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Fos : l’industrie en voie de décarbonation ?

2 novembre 2023

La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer n’est pas jusqu’à présent connue pour être un modèle en matière de respect de l’environnement. Idéalement située entre l’étang de Berre, à l’Est, et le delta du Rhône à l’Ouest, la commune a été amputée en 1866 d’une partie de son vaste territoire pour donner naissance à Port-de-Bouc et à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Mais elle contrôle encore l’essentiel du golfe de Fos où se sont développés, à partir des années 1970, les bassins ouest du Grand Port maritime de Marseille qui couvrent désormais plus de 10 000 hectares, accessibles aux plus grands navires méthaniers comme porte-containers.

Terminaux pétroliers du Grand Port maritime de Marseille à Fos et Lavéra (source © GPMM / Mer et marine)

L’étang de Berre lui-même, est devenu un écosystème en perdition du fait des rejets massifs d’eau douce, tandis que ses berges sont le réceptacle de tout ce que l’industrie pétrochimique a pu créer depuis les années 1960. Toute la zone n’est qu’un entrelacs d’usines, dont 15 classées Seveso, de torchères, de hauts fourneaux, de pylônes électriques, de pipelines et de cuves, d’où émergent l’aciérie gigantesque d’Arcelor Mittal, les raffineries d’Esso et de LyondellBasel ou encore les cuves de chlore de Kem One, sans compter l’incinérateur que la communauté urbaine de Marseille y a implanté en 2010, à plus de 50 km de Marseille, dans un lieu où la qualité de l’air et des sols est déjà tellement dégradée qu’on est plus à une nuisance près…

Activité pétrochimique et sidérurgique sur le Grand Port maritime de Marseille autour de Fos, Martigues et Port-de-Bouc (photo © P. Magnein / 20 minutes)

Mais cette image de grand pôle de l’industrie sidérurgique et pétrochimique, alliée à celle d’un complexe portuaire de premier ordre, par où transitent hydrocarbures et containers, est peut-être en train d’évoluer sous l’effet de plusieurs projets qui s’inscrivent dans une logique plus vertueuse de tentative de décarbonation.

Usine sidérurgique d’Arcelor Mittal à Fos-sur-Mer (source © La Tribune)

L’un de ces projets, qui fait l’objet depuis le 30 octobre 2023, d’une vaste concertation sous l’égide de la Commission nationale du débat public, vise l’implantation, dans la zone de Caban-Tonkin, en plein cœur du complexe industrialo-portuaire de Fos, d’une immense usine de production d’hydrogène vert sur 41 ha. Le projet correspond à un investissement ambitieux de 900 millions d’euros porté par RTE et surtout H2V, une filiale de la société d’investissement française Samfi-Invest. Cette holding familiale, basée en Normandie, est issue du groupe Malherbe, un des leaders français du transport de marchandises. Cette société s’est diversifiée dans l’immobilier et, depuis 2004, dans les énergies renouvelables, avec désormais un parc éolien de 134 MW, implanté en France et en Belgique, mais aussi dans le photovoltaïque, et désormais dans la production d’hydrogène vert, via sa filiale H2V.

Maquette de l’implantation des futures installations d’H2V à Fos-sur-Mer (source © Les Nouvelles publications)

En 2016, cette dernière s’est lancée dans un ambitieux projet de fabrication d’hydrogène à grande échelle par électrolyse de l’eau, en partenariat avec RTE, le gestionnaire du réseau français de distribution de l’électricité. L’usine, implantée en Normandie, à 30 km du Havre, a obtenu son autorisation d’exploitation en 2021 et est en cours de construction. Un autre site est à l’étude près de Toulouse, ainsi donc que celui de Fos-sur-Mer dont une première tranche constituée de 2 unités de production de 100 MW chacune pourrait être opérationnelle à partir de 2028, sachant que l’objectif est d’installer ensuite 4 autres unités, soit une capacité totale visée de 600 MW.

Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) est entré au capital de H2V pour participer à ce projet qui devrait permettre de produire chaque année 84 000 tonnes d’hydrogène à faible empreinte carbonée, destiné à alimenter en énergie les industries pétrochimiques et sidérurgiques les plus émettrices de gaz à effet de serre de la zone industrialo-portuaire de Fos. La première tranche du projet prévoit également d’implanter une usine de production de méthanol de synthèse, à raison de 130 000 tonnes par an, pour servir de carburant vert au trafic maritime du port. Le prix de revient de l’hydrogène vert ainsi produit est évalué entre 4,5 et 6 € le kg, soit 2 à 3 fois plus cher que l’hydrogène produit classiquement par vaporeformage du méthane, plus économique mais fort émetteur de CO2… Contrairement à d’autres projets comparables, il ne s’agira d’ailleurs pas vraiment d’hydrogène vert puisque l’électricité utilisée, qui nécessité la construction par RTE d’un nouveau poste d’alimentation électrique, viendra directement du réseau.

Dessin d’architecte de la future implantation de l’usine Carbon à Fos-sur-Mer (photo © Q5Q / Marsactu)

Mais un autre projet ambitieux est également en cours de concertation à Fos. Il s’agit du projet Carbon, une immense usine employant 3000 personnes et s’étalant sur 62 hectares destinée à construire des cellules et des panneaux photovoltaïques, pour un investissement colossal de 1,5 milliards d’euros. La capacité de production de cette usine serait de 5 GWc et son alimentation exigera un raccordement électrique de 240 MW en continu tandis que l’activité créera un flux annuel de marchandise évalué à 490 000 tonnes, soit 20 000 containers, ce qui explique que l’entreprise CMA-CGM, se soit associée au projet !

Maquette de la future usine GravitHy sur un site du Grand Port maritime de Marseille à Fos (source © GravitHy / Usine nouvelle)

Et ce n’est pas tout car bien d’autres projets sont dans les cartons ou en voie de concrétisation qui devraient contribuer à tenter de faire évoluer cette zone industrielle à impact environnemental catastrophique sur une voie plus vertueuse. Citons notamment GravitHy, qui veut tout simplement révolutionner la production d’acier en procédant à une réduction directe du fer par l’hydrogène. Le projet, porté par un consortium industriel composé de EIT InnoEnergy, Engie New Ventures, Plug, Forvia, Primetals Technologies et le groupe Idec, envisage un investissement colossal de 2,2 milliards d’euros pour implanter une usine sur 70 ha, faisant travailler 3000 personnes dont 500 emplois directs sur site et capable de produire, à partir de 2027 si tout va bien, 2 millions de tonnes de minerai de fer pré-réduit à très bas taux de carbone, grâce à la production locale, toujours par électrolyse de l’eau, de 120 000 tonnes d’hydrogène vert par an.

Emmanuel Macron, en visite à Marseille, en juin 2023, évoquait déjà la possibilité d’implanter un réacteur nucléaire sur le site du Grand Port maritime de Marseille (photo © R. B. / Marsactu)

Des projets particulièrement ambitieux et innovants qui vont peut-être changer à terme la physionomie de cette immense zone industrielle et portuaire en faisant un pas vers cette transition écologique tant espérée. Des projets néanmoins qui ont quand même en commun de nécessiter une énergie électrique colossale, dans une région qui jusque-là ne brille pas par ses capacités de production excédentaires, un petit détail que nos responsables politiques locaux semblent tous oublier, eux qui se gargarisent à l’unisson de ce saut technologique à venir, en masquant pudiquement le fait que de tels projets ne sont probablement viables que moyennant l’implantation d’un réacteur nucléaire sur le site même de Fos, comme l’a récemment suggéré le Président de la République qui reconnaissait que la consommation électrique du GPMM nécessite la production de 4 EPR…

L. V.

Lhyfe va produire de l’hydrogène vert en Vendée

23 janvier 2021

L’hydrogène sera-t-il le carburant du futur ? L’avenir le dira sachant que l’Histoire ne manque pas d’exemples de technologies qui paraissaient prometteuses et qui sont ensuite tombées, plus ou moins brutalement, dans les oubliettes. Même en passant par les filières classiques de production à partir de gaz naturel, l’hydrogène coûte cher à produire et ce n’est pas demain la veille que les automobilistes disposeront d’un réseau suffisamment dense, fiable et sécurisé de stations services pour faire fonctionner leur voiture à l’hydrogène.

Pour autant, de nombreuses collectivités utilisent désormais l’hydrogène comme carburant pour une partie de leur flotte captive qu’il est possible d’alimenter à partir d’une station de distribution centralisée. Et du coup, on commence à voir fleurir des initiatives comme celle de la start-up nantaise baptisée Lhyfe qui s’est mis en tête de lancer en France la production industrielle d’hydrogène vert.

Pose de la première pierre du site de production d’hydrogène vert à Bouin le 26 septembre 2020 (photo © Franck Dubray / Ouest France)

Créée en 2017, la jeune pousse a levé pour 8 millions d’euros de fonds en 2020 et a posé en septembre dernier la première pierre de son tout premier site de production d’hydrogène par électrolyse, en collaboration avec le Syndicat d’énergie de Vendée (SyDEV) et sa société d’économie mixte Vendée Énergie, ainsi que la Communauté de communes de Challans Gois.

Un projet original puisqu’il prévoit de produire de l’hydrogène à partir d’un parc de 8 éoliennes de 102 m de hauteur, installées en 2003 sur la commune de Bouin et exploitées par le SyDEV. Ces éoliennes ont bénéficié pendant 15 ans du tarif de rachat préférentiel accordé par EDF mais cette clause a pris fin en 2017. Dès lors, le SyDEV avait le choix entre deux options : renouveler les éoliennes pour bénéficier à nouveau d’un tarif de rachat garanti ou se contenter de revendre l’électricité au tarif du marché, lequel fluctue d’heure en heure, ce qui n’est guère favorable à la filière éolienne par nature soumise aux caprices du vent.

Parc éolien de Bouin à proximité des parcs à huîtres (source © Ouest France / La Roche-sur-Yon)

Renouveler des éoliennes encore en parfait état de marche aurait certes permis d’installer du matériel plus performant car plus moderne, mais au prix d’une empreinte carbone globale très défavorable et d’un investissement important qui n’aurait pas forcément été très judicieux, d’autant que les tarifs de rachat sont nettement moins lucratifs qu’en 2003. La chute accidentelle et spectaculaire d’une des 8 éoliennes, cisaillée net à sa base lors du passage de la tempête Carmen le 1er janvier 2018 aurait certes pu faire pencher la balance dans ce sens. Mais le SyDEV a préféré garder ses éoliennes et réserver trois d’entre elles (au moins dans un premier temps) pour produire directement de l’hydrogène par électrolyse, ce qui présente l’avantage majeur de produire de l’hydrogène vert garanti décarboné, sans avoir à passer par le système contraignant des certificats d’origine comme lorsqu’on utilise de l’électricité du réseau.

L’éolienne n°7 du parc de Bouin, cisaillée net lors de la tempête Carmen le 1er janvier 2018 (photo © Emmanuel Sérazin / Radio France / France Bleu)

C’est donc la société Lhyfe qui sera en charge de cette production et qui louera à la Communauté de communes Challans Gois deux bâtiments situés à proximité du parc éolien et pour lesquels un permis de construire a été délivré le 11 mars 2020 : l’un de 700 m² qui accueillera l’installation d’électrolyse et l’autre qui abritera des bureaux et un centre de recherche et développement. Les travaux sont en cours, le tout représentant pour la collectivité un investissement de 2,1 M€.

Maquette du futur site de production et d’exploitation d’hydrogène vert sur la parc éolien de Bouin (source © SYDEV / France 3 Régions)

L’installation, qui devrait être opérationnelle à partir de l’été 2021, permettra de produire 300 kg d’hydrogène par jour en visant une montée en puissance jusqu’à 1 tonne d’hydrogène quotidien. L’autre originalité de cette installation est qu’elle puisera directement en mer l’eau destinée à l’électrolyse et qu’elle procédera à sa désalinisation préalable toujours en utilisant l’électricité produite localement par les éoliennes. Cette étape ne consommera que 0,1 % de l’électricité totale nécessaire sachant que l’oxygène issue de l’électrolyse servira aussi à réoxygéner l’eau de mer en améliorant sa qualité. Un cycle vertueux donc par rapport à la production classique d’hydrogène « gris » à partir d’hydrocarbures.

C’est en tout cas le pari que fait la société Lhyfe qui espère déployer rapidement sur d’autres sites, en France et dans d’autres pays européens, cette technologie nouvelle qui consiste à piloter l’électrolyse de l’hydrogène à partir d’une énergie éolienne intermittente. Son idée serait d’ailleurs de déployer cette production directement sur des plateformes en mer, sans lien avec le réseau électrique. Lauréate de l’appel à manifestation d’intérêt SeaGrid lancé par Centrale Nantes, RTE et Enedis, Lhyfe va pouvoir mener des essais en mer sur un site au large du Croisic et espère ainsi disposer d’un démonstrateur performant d’ici quelques années.

Schéma de principe d’une installation de production off shore d’hydrogène (source © Lhyfe)

Reste à savoir quoi faire de l’hydrogène vert ainsi produit. Sur le site de Bouin, c’est le SyDEV qui se chargera de la distribution en approvisionnant un réseau de stations services dont les deux premières pourraient être opérationnelles dès 2021 à La Roche-sur-Yon et Les Sables-d’Olonne. En attendant que la demande se développe, l’hydrogène alimentera des bus et des bennes à ordures ménagères que plusieurs collectivités locales envisagent d’acquérir tandis que les pompiers s’intéressent aussi à cette technologie pour faire rouler leurs véhicules : un usage qui serait de nature à rassurer le grand public quant aux enjeux de sécurité associés à cette technologie encore balbutiante…

L. V.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’hydrogène sans jamais oser le demander…

16 décembre 2020

Tout le monde s’intéresse à l’hydrogène souvent présenté comme un des éléments de la transition énergétique vers une société décarbonée, capable de se passer des énergies fossiles et de maîtriser ses émissions de gaz à effet de serre. On n’y est pas encore et les tergiversations récentes de notre Président de la République qui hésite fortement à mettre en œuvre les propositions issues de la Convention citoyenne sur le Climat, qu’il a pourtant lui-même constituée, confirme, s’il en était besoin, que le chemin sera encore long et parsemé d’embûches…

Un dessin d’actualité signé Ysope

Pour ceux en tout cas qui s’interrogent sur le potentiel que représente d’hydrogène pour contribuer à cette révolution énergétique que beaucoup appellent de leurs vœux, on recommandera la lecture d’une note de synthèse rédigée par l’astrophysicien Jacques Boulesteix, par ailleurs conseiller municipal de Carnoux. Une synthèse claire et pédagogique qui permet de mieux appréhender les formidables atouts que représente l’hydrogène, ce gaz très répandu dans notre environnement et qui peut servir aussi bien de combustible sans émission de CO2 dans une chaudière ou un moteur, que de source d’électricité dans une pile à combustible dont le rendement est très supérieur à celui d’un groupe électrogène classique.

Graphique extrait de la note de Jacques Boulesteix sur l’hydrogène

Mais pour autant, l’hydrogène n’est pas la panacée miraculeuse que certains imaginent. Sa production, en dehors de cas très favorables où on arrive à l’extraire de manière native, passe pour l’essentiel par des opérations lourdes de vaporeformage à partir de gaz naturel, un procédé peu coûteux mais catastrophique en termes d’émission de gaz à effet de serre. Quant à l’alternative bien connue qui consiste à réaliser une hydrolyse de l’eau, son bilan énergétique n’est guère reluisant…

Certes, les chercheurs et les industriels du monde entier s’échinent à contourner ces obstacles physico-chimiques pour trouver le Graal qui permettra demain (peut-être) de produire de l’hydrogène bon marché, en grosses quantités, sans impact environnemental et avec un bilan énergétique favorable. De multiples pistes sont pour cela explorées allant de la valorisation de la biomasse à partir de déchets plus ou moins fermentescibles jusqu’à la production par photosynthèse à partir de micro algues.

Structure moléculaire d’une hydrogénase modifiée (source © Labo BIP CNRS)

Il est d’ailleurs à noter que cette dernière voie est notamment explorée par une équipe marseillaise du Laboratoire de bioénergétique et ingénierie des protéines. Celle-ci travaille sur des micro-algues vertes et des cyanobactéries qui produisent de l’hydrogène lors de la photosynthèse, sous l’effet d’enzymes appelées hydrogénases. Mais ce processus est très transitoire car les hydrogénases sont inhibées par l’oxygène qui est également produit pendant la photolyse de l’eau. L’équipe de chercheurs a donc testé (et breveté) des mutations bien spécifiques des hydrogénases afin de permettre à l’hydrogène formé de diffuser vers l’extérieur afin d’orienter ainsi la photosynthèse vers la production d’hydrogène plutôt que d’oxygène.

L’avenir dira si ces recherches permettront d’ouvrir la voie vers un nouveau mode de production plus propre de l’hydrogène. Mais ce n’est pas le seul obstacle qui reste à lever pour une large exploitation de l’hydrogène, loin s’en faut. Celui du stockage et du transport de l’hydrogène n’est pas simple non plus, comme le précise Jacques Boulesteix dans sa note. Mais là aussi des équipes locales sont à pied d’œuvre pour chercher des solutions.

Hysilabs, la start-up qui cherche à révolutionner le transport de l’hydrogène (photo © G. Vanlede / La Provence)

C’est en particulier le cas de la société Hysilabs, une start-up initiée par deux chercheurs qui se sont rendus compte qu’il était possible de combiner l’hydrogène gazeux avec des hydrures pour le transporter sous forme liquide en s’affranchissant des inconvénients du transport et du stockage sous forme de gaz fortement comprimé. La petite start-up basée à Aix-en-Provence a levé pour plus de 2 millions d’euros de fonds en 2018 pour poursuivre ses développements et proposer des solutions industrielles clé en main telles que l’alimentation d’une tour de télécommunication sur le plateau de l’Arbois par un générateur électrique à l’hydrogène.

Démonstrateur Jupiter 1000 à Fos-sur-mer d’injection de gaz dans le réseau (photo © Jérôme Cabanel / GRT gaz / actu-environnement)

Et l’on pourrait citer aussi le projet Jupiter 1000, un démonstrateur industriel piloté par GRT gaz et d’autres partenaires à Fos-sur-Mer, permettant de transformer par électrolyse de l’électricité renouvelable en hydrogène mais aussi en méthane grâce au recyclage de CO2 issu de la capture de fumées industrielles du secteur. Une installation qui permet d’injecter dans le réseau jusqu’à 25 m3/h de méthane et 200 m3/h d’hydrogène.

Qui a dit que l’agglomération marseillaise était à la traîne en matière de recherche et développement de pointe ?

L. V.

Au Mali, l’hydrogène coule de source

8 décembre 2020

Depuis quelques années, on entend plus souvent parler du Mali pour la fréquence de ses coups d’État ou pour la violence des accrochages entre les rebelles djihadistes et les forces armées régulières épaulées par de nombreux militaires français, que pour l’excellence de son industrie de haute technologie. Il semble bien loin le temps de l’Empire mandingue du Mali, fondé au XIIIe siècle par Soundiata Keita et dont la renommée internationale était alors considérable. Les chroniqueurs arabes ont en particulier retenu le voyage fastueux que fit l’empereur Kankou Moussa à la Mecque en 1324, accompagné de 60 000 porteurs et d’environ 10 tonnes d’or, généreusement distribuées en route, au point de faire baisser durablement le cour mondial du métal précieux…

Représentation du roi Kankou Moussa sur une carte nautique catalane du XIIIe siècle (source © Atlas catalan d’Abraham Cresques, Majorque, 1375 / Bibliothèque nationale de France / Héritage Images / Leemage / Citeco)

Depuis ces époques fastueuses, et l’indépendance du pays en 1960, le Mali s’est heurté à bien des vicissitudes du fait de son instabilité politique et surtout du climat semi-désertique qui règne sur les deux tiers de son territoire actuel. Le développement de l’exploitation aurifère a certes permis au Mali de devenir le troisième exportateur africain d’or. La production de coton constitue également une importante source de devises, mais depuis 2005 les cours mondiaux de la fibre textile sont en baisse et les agriculteurs produisent trop souvent à perte. Dans un pays où 80 % de la population vit encore de l’agriculture et de l’élevage, qui est confronté depuis des années à des violences interethniques attisées par les mouvements djihadistes et dont l’indice de développement humain est l’un des plus bas de la planète, l’espérance de vie ne dépasse pas 53 ans et le produit intérieur brut par habitant n’excède pas 827 dollars par habitant selon la Banque mondiale, à peine plus qu’en Éthiopie et 5 fois moins qu’en France.

Visite du président de Petroma sur le champ captant de Bourakebougou (source © Maliweb)

Et pourtant, c’est dans ce pays encore largement rural et arriéré par bien des égards, qu’a été développée une technologie unique au monde et qui consiste à exploiter directement de l’hydrogène naturel comme source d’énergie : le graal auquel aspire tout énergéticien en marche vers une transition écologique durable !

Rappelons en effet que l’hydrogène, dans lequel chacun place désormais les espoirs les plus fous pour s’orienter vers l’énergie décarbonée de demain, est classiquement produit selon deux méthodes très différentes. La plus plus couramment utilisée jusqu’à présent consiste à gazéifier du charbon ou à procéder au vaporeformage de gaz naturel (méthane) à haute température et forte pression : une opération gourmande en énergie et qui surtout libère d’énormes quantités de CO2, ce qui n’est guère favorable dans un contexte de réchauffement climatique par effet de serre… L’alternative existante est de procéder à l’électrolyse de l’eau, ce qui diminue l’impact environnemental mais nécessite beaucoup d’électricité avec un rendement très discutable et n’a d’intérêt que si l’on utilise pour cela une source d’énergie renouvelable.

Mais voilà que au Mali, dans le village de Bourakebougou, situé à une soixantaine de kilomètres au nord de la capitale Bamako, un forage réalisé en 2011 pour chercher de l’eau (en vain) est tombé sur une source naturelle d’hydrogène à 110 m de profondeur. Un gaz pur à 98 %, emprisonné dans les interstices d’une roche gréseuse très poreuse, et que la société malienne Petroma, rebaptisée depuis Hydroma, dirigée par l’homme d’affaires Aliou Boubacar Diallo, a décidé d’exploiter directement pour produire de l’électricité qui, depuis 2013, éclaire la mosquée et la place du village tout en alimentant les habitations d’une centaine de famille. Depuis cette trouvaille miraculeuse, ce sont en effet pas moins de 25 puits qui ont été forés sur ce site et tous se sont révélés productifs, sans montrer de baisse de rendement après plusieurs années d’exploitation, ce qui est très encourageant,

Aliou Boubakar Diallo, le dirigeant de la société malienne Petroma (photo © CC BY-SA 3.0 / Actu-Mag)

C’est la première unité au monde qui exploite ainsi une source naturelle d’hydrogène pour produire de l’électricité en alimentant un groupe électrogène. Et la société Petroma est persuadée que ce site n’est pas un cas particulier puisqu’elle a obtenu début 2016 un permis d’exploration sur une vaste zone où s’étend en profondeur cette couche géologique du craton africain, protégée par une couverture imperméable qui permet de piéger le gaz en profondeur.

Deux géologues français issus de l’Institut français du pétrole et des énergies nouvelles, Alain Prinzhofer et Eric Deville, ont d’ailleurs publié en mai 2015, un ouvrage à ce sujet qui a fait beaucoup de bruit. Intitulé L’hydrogène naturel, la prochaine révolution énergétique ?, il rappelle que les sources naturelles d’hydrogène sont connues depuis les explorations menées par l’IFREMER dans les années 1970 à 4 000 m de profondeur.

Alain Prinzhofer, le scientifique qui traque les sources d’hydrogène natif (source
© YouTube)

Les scientifiques étaient jusque-là persuadés que de telles émanations n’étaient pas possibles en milieu continental. Jusqu’à ce qu’en 2010, des collègues russes signalent aux deux géologues français qu’ils avaient observé des flux conséquents d’hydrogène s’échappant du sol : un débit estimé à quelques 40 000 m³ par jour sur l’un des sites observés ! Ce gaz serait produit en profondeur par une réaction de réduction de l’eau en hydrogène, l’oxydant en action étant le fer sous forme ferreuse Fe2+, mais pouvant être aussi le magnésium, la réaction étant fortement facilitée lorsque la température augmente, ce qui est le cas en profondeur. Contrairement au pétrole, l’hydrogène gazeux est très volatil et s’échappe rapidement du sous-sol au fur et à mesure de sa formation, sauf lorsqu’il reste emprisonné dans des poches à la configuration favorable comme à Bourakebougou…

De quoi donner des idées à de nombreux géologues à la recherche permanente de l’Eldorado, d’autant que l’hydrogène ainsi produit serait quasi inépuisable puisque ces réactions se produisent en temps réel : il s’agit d’exploiter un flux et non pas un stock fossile comme avec le pétrole… Une compagnie américaine NH2E a ainsi foré un premier puits au Kansas en 2019 en vue d’une exploitation potentielle. Une société française 45-8 Energy recherche de son côté à le fois de l’hydrogène et de l’hélium. Quant à Alain Prinzhofer, il est désormais directeur scientifique de l’entreprise brésilienne GEO4U, qui tente de monter un consortium avec le géant pétrolier brésilien Petrobras pour développer l’exploration, tout en nouant en parallèle des contacts avec Total. Sa lubie actuelle ? Détecter par voie aérienne des formations circulaires où la végétation peine à se développer, des sortes de « ronds de sorcière » géants qui pourraient être la signature de points d’émanation naturelle de l’hydrogène du sous-sol…

« Rond de sorcière » d’environ 800 m de diamètre, d’où s’échappe de l’hydrogène dans le Minas Gerais, au Brésil (photo © A. Prinzhofer / Connaissance des énergies)

Cette découverte d’hydrogène présent à l’état pur dans le sous-sol est peut-être à l’origine d’une véritable révolution. De la même manière qu’on a commencé à extraire le méthane du charbon, dans les fameuses « usines à gaz » dont on peine encore à se débarrasser des vestiges et de leurs sols pollués en profondeur, avant de s’apercevoir qu’il était beaucoup plus simple d’extraire directement le gaz naturel des gisements fossiles présents dans le sous-sol, de même nous sommes peut-être au tournant d’une évolution comparable pour l’hydrogène. Plutôt que de l’extraire du charbon ou de l’eau via des procédés industriels complexes, polluants et/ou à faible rendement énergétique, il sera peut-être possible demain d’aller le chercher directement à la source. Avec un avantage certain par rapport aux gisements fossiles de gaz naturel puisque cette source pourrait bien être renouvelable.

Une telle source d’énergie serait d’autant plus intéressante à exploiter qu’elle ne rejette pas de gaz à effet de serre. Mais elle risque surtout de changer notre rapport à l’énergie, au même titre d’ailleurs que le solaire ou l’éolien. Comme dans le village de Bourakebougou, en pays Mandingue, un tel flux naturel d’énergie est à consommer sur place : nul besoin donc de chercher à la stocker ou à la transporter sur des milliers de kilomètres via d’immenses réseaux interconnectés nécessitant une très lourde gestion centralisée : on n’arrête pas le progrès…

L. V.

A Manosque, on mise sur l’énergie verte

24 juin 2019

Loin de tout miser sur le projet ITER et ses promesses d’accéder un jour peut-être à la maîtrise de la fusion nucléaire, le maire LR de Manosque, Bernard Jeanmet-Péralta, par ailleurs président de la communauté d’agglomération Durance Luberon Verdon Agglomération (DLVA), se débat depuis des années pour tenter de mettre en œuvre une autre voie de la transition énergétique, l’hydrogène vert.

C’est tout l’enjeu du projet Hygreen (pour « Hydrogène vert », en Provençal dans le texte), en gestation depuis 2 ans mais sur lequel la collectivité DLVA n’hésite plus désormais à communiquer largement. La Provence s’en était fait largement l’écho dans un article en février 2019 et le maire de Manosque n’a pas hésité à interpeller en direct à ce sujet le Président de la République Emmanuel Macron, lors de son passage à Gréoux-les-Bains, le 7 mars 2019, à l’occasion du Grand débat post Gilets jaunes.

A Gréoux, le maire de Manosque, Bernard Jeanmet-Péralta, interpellant Emmanuel Macron sur la filière de l’hydrogène vert (photo © Frédéric Speich / La Provence)

L’idée n’est pas nouvelle mais elle s’inscrit bien dans l’air du temps de la transition énergétique, et dans les ambitions du plan national Hydrogène dévoilé par Nicolas Hulot, du temps où il était encore ministre de la transition écologique. Elle consiste à développer la production locale d’électricité par panneaux photovoltaïques, puis à utiliser cette énergie verte pour fabriquer de l’hydrogène par électrolyse d’eau distillée. Un procédé très gourmand en électricité et actuellement peu compétitif face aux filières classiques de production d’hydrogène par voie chimique à partir d’hydrocarbures, mais qui a l’avantage d’être totalement décarboné et ne ne pas rejeter de gaz à effet de serre.

L’hydrogène ainsi produit constitue un excellent moyen de stocker l’énergie puisqu’il peut ensuite être restitué sous forme d’électricité via des piles à combustibles pour alimenter des véhicules à moteur électrique. L’avantage est que ces véhicules, qui disposent de leur propre réservoir d’hydrogène sous pression, peuvent faire le plein en quelques minutes seulement, comme avec une pompe à carburant traditionnelle, et disposer ensuite d’une autonomie de plusieurs centaines de kilomètres.

Toyota Miraï faisant le plein d’hydrogène (DR)

A Manosque, on ne sait pas encore très bien comment tout ceci va se concrétiser, mais les choses se précisent. Le pari du président de la DLVA, une communauté d’agglomération qui regroupe 25 communes du sud des Alpes de Haute-Provence (et une du Var) entre Durance et Verdon, est que son territoire dispose pour cela de nombreux atouts : un ensoleillement très favorable, de l’espace et même des cavités naturelles exploitées depuis 1969 pour le stockage d’hydrocarbures et qui pourraient être réemployées pour y conserver l’hydrogène ainsi produit.

Ces cavités sont réalisées artificiellement par dissolution du sel dans des couches géologiques profondes et permettent de stocker de grandes quantités d’hydrocarbure liquide en toute sécurité. Le site exploité par la société Géostock comprend ainsi 28 cavités pour une capacité de stockage de plus de 9 millions de m3, la plus importante de France, en plein cœur du Parc naturel régional du Luberon. Le groupement d’intérêt économique Géométhane, qui stocke du gaz naturel à plus de 1000 m de profondeur, près de Manosque, devrait être le partenaire associé au projet Hygreen.

A ce jour, un comité scientifique a été mis sur pied, ainsi qu’un comité stratégique de pilotage du projet, associant, outre les élus locaux, la Région PACA et les services de l’État. Les communes ont été sollicitées pour mettre à disposition les terrains sur lesquels seront installés les panneaux photovoltaïques, sachant que le territoire de la DLVA compte déjà près de 500 installations fonctionnelles pour une production annuelle supérieure à 12 GWh.

Parc solaire de Gréoux-les-Bains sur 180 ha, mis en service en juin 2017 par Solairedirect (source ENGIE)

Le projet dans son état actuel envisage la production d’électricité via plusieurs sites distincts équipés de panneaux photovoltaïques pour une puissance totale visée de 900 MWc. De quoi produire plus de 10 000 tonnes d’hydrogène vert chaque année. Dix commune de la DLVA ont déjà proposé des terrains pour l’implantation des premières installations au sol, soit l’équivalent de 650 ha à ce jour, l’objectif à terme étant de couvrir environ 1600 ha. Elles percevront en échange un loyer qui pourrait correspondre à environ 30 % de la recette, le reste revenant aux acteurs publics et privés qui apporteront l’essentiel de l’investissement tandis que la communauté d’agglomération DLVA percevra les recettes fiscales et que le territoire bénéficiera des retombées en matière d’emploi, les projections les plus optimistes faisant état d’un millier de postes créés sur 10 ans et de recettes pour le territoire évaluées à 10 millions d’euros par an pendant 30 ans : une véritable manne pour DLVA !

Le coût de l’opération n’est cependant pas négligeable puisqu’il est estimé actuellement  à près d’un milliard d’euros dont environ 600 millions pour les installations solaires de production d’électricité et le reste pour produire et stocker l’hydrogène. De l’hydrogène vert dont le sort n’est pas encore totalement fixé : il pourrait soit être injecté directement dans le réseau de gaz, soit être revendu à des sites industriels locaux, soit servir à la mise en place d’un réseau de transport public et au ravitaillement de flottes captives de voitures électriques.

Kangoo à hydrogène achetée par le Conseil départemental de la Manche en 2015 (source © Breez Car)

L’idée est en effet de promouvoir l’hydrogène comme carburant des véhicules décarbonés du futur, même si jusqu’à présent la filière reste encore très expérimentale malgré les initiatives de nombreuses collectivités qui mettent en place, qui leurs bus, qui leurs vélos à hydrogène. On trouve désormais sur le marché des voitures électriques Renault Kangoo équipés de piles à combustible à hydrogène par la société grenobloise Symbio FCell, rachetée par Michelin en février 2019. Et il existe même un train à hydrogène, le Coradia iLint, développé par Alstom et dont les premières rames roulent depuis fin 2018 pour le réseau régional de transport de Basse-Saxe en Allemagne.

Pour autant, le nombre de véhicules à hydrogène en service était estimé en 2018 à 6 500 tout au plus à travers le monde. A Paris, une flotte d’une centaine de taxis est exploitée depuis 2015 sous la marque Hype. Mais le marché reste encore très balbutiant du fait des coûts très élevés de ces véhicules et des craintes qui existent quant à la sécurité des réservoirs à hydrogène sous pression. L’hydrogène est en effet un gaz très volatile et qui s’enflamme facilement au contact de l’air.

Explosion d’une station de distribution d’hydrogène le 10 juin 2019 près d’Oslo, en Norvège le (source © Automobile propre)

Deux explosions ont d’ailleurs déjà eu lieu coup sur coup sur des usines de production et de distribution d’hydrogène, la première le 1er juin 2019 à Santa Clara en Californie, et la seconde le 10 juin 2019 près d’Oslo en Norvège. Dans les deux cas, tout le réseau de distribution d’hydrogène du pays a été mis à l’arrêt en attendant de diagnostiquer les causes réelles du sinistre, confirmant que la technologie, bien que très prometteuse dans le cadre de la transition énergétique, n’est peut-être pas encore totalement mature, ce qui bien sûr n’enlève rien aux rêves ensoleillés de la communauté d’agglomération DLVA…

L. V.