La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer n’est pas jusqu’à présent connue pour être un modèle en matière de respect de l’environnement. Idéalement située entre l’étang de Berre, à l’Est, et le delta du Rhône à l’Ouest, la commune a été amputée en 1866 d’une partie de son vaste territoire pour donner naissance à Port-de-Bouc et à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Mais elle contrôle encore l’essentiel du golfe de Fos où se sont développés, à partir des années 1970, les bassins ouest du Grand Port maritime de Marseille qui couvrent désormais plus de 10 000 hectares, accessibles aux plus grands navires méthaniers comme porte-containers.
L’étang de Berre lui-même, est devenu un écosystème en perdition du fait des rejets massifs d’eau douce, tandis que ses berges sont le réceptacle de tout ce que l’industrie pétrochimique a pu créer depuis les années 1960. Toute la zone n’est qu’un entrelacs d’usines, dont 15 classées Seveso, de torchères, de hauts fourneaux, de pylônes électriques, de pipelines et de cuves, d’où émergent l’aciérie gigantesque d’Arcelor Mittal, les raffineries d’Esso et de LyondellBasel ou encore les cuves de chlore de Kem One, sans compter l’incinérateur que la communauté urbaine de Marseille y a implanté en 2010, à plus de 50 km de Marseille, dans un lieu où la qualité de l’air et des sols est déjà tellement dégradée qu’on est plus à une nuisance près…
Mais cette image de grand pôle de l’industrie sidérurgique et pétrochimique, alliée à celle d’un complexe portuaire de premier ordre, par où transitent hydrocarbures et containers, est peut-être en train d’évoluer sous l’effet de plusieurs projets qui s’inscrivent dans une logique plus vertueuse de tentative de décarbonation.
L’un de ces projets, qui fait l’objet depuis le 30 octobre 2023, d’une vaste concertation sous l’égide de la Commission nationale du débat public, vise l’implantation, dans la zone de Caban-Tonkin, en plein cœur du complexe industrialo-portuaire de Fos, d’une immense usine de production d’hydrogène vert sur 41 ha. Le projet correspond à un investissement ambitieux de 900 millions d’euros porté par RTE et surtout H2V, une filiale de la société d’investissement française Samfi-Invest. Cette holding familiale, basée en Normandie, est issue du groupe Malherbe, un des leaders français du transport de marchandises. Cette société s’est diversifiée dans l’immobilier et, depuis 2004, dans les énergies renouvelables, avec désormais un parc éolien de 134 MW, implanté en France et en Belgique, mais aussi dans le photovoltaïque, et désormais dans la production d’hydrogène vert, via sa filiale H2V.
En 2016, cette dernière s’est lancée dans un ambitieux projet de fabrication d’hydrogène à grande échelle par électrolyse de l’eau, en partenariat avec RTE, le gestionnaire du réseau français de distribution de l’électricité. L’usine, implantée en Normandie, à 30 km du Havre, a obtenu son autorisation d’exploitation en 2021 et est en cours de construction. Un autre site est à l’étude près de Toulouse, ainsi donc que celui de Fos-sur-Mer dont une première tranche constituée de 2 unités de production de 100 MW chacune pourrait être opérationnelle à partir de 2028, sachant que l’objectif est d’installer ensuite 4 autres unités, soit une capacité totale visée de 600 MW.
Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) est entré au capital de H2V pour participer à ce projet qui devrait permettre de produire chaque année 84 000 tonnes d’hydrogène à faible empreinte carbonée, destiné à alimenter en énergie les industries pétrochimiques et sidérurgiques les plus émettrices de gaz à effet de serre de la zone industrialo-portuaire de Fos. La première tranche du projet prévoit également d’implanter une usine de production de méthanol de synthèse, à raison de 130 000 tonnes par an, pour servir de carburant vert au trafic maritime du port. Le prix de revient de l’hydrogène vert ainsi produit est évalué entre 4,5 et 6 € le kg, soit 2 à 3 fois plus cher que l’hydrogène produit classiquement par vaporeformage du méthane, plus économique mais fort émetteur de CO2… Contrairement à d’autres projets comparables, il ne s’agira d’ailleurs pas vraiment d’hydrogène vert puisque l’électricité utilisée, qui nécessité la construction par RTE d’un nouveau poste d’alimentation électrique, viendra directement du réseau.
Mais un autre projet ambitieux est également en cours de concertation à Fos. Il s’agit du projet Carbon, une immense usine employant 3000 personnes et s’étalant sur 62 hectares destinée à construire des cellules et des panneaux photovoltaïques, pour un investissement colossal de 1,5 milliards d’euros. La capacité de production de cette usine serait de 5 GWc et son alimentation exigera un raccordement électrique de 240 MW en continu tandis que l’activité créera un flux annuel de marchandise évalué à 490 000 tonnes, soit 20 000 containers, ce qui explique que l’entreprise CMA-CGM, se soit associée au projet !
Et ce n’est pas tout car bien d’autres projets sont dans les cartons ou en voie de concrétisation qui devraient contribuer à tenter de faire évoluer cette zone industrielle à impact environnemental catastrophique sur une voie plus vertueuse. Citons notamment GravitHy, qui veut tout simplement révolutionner la production d’acier en procédant à une réduction directe du fer par l’hydrogène. Le projet, porté par un consortium industriel composé de EIT InnoEnergy, Engie New Ventures, Plug, Forvia, Primetals Technologies et le groupe Idec, envisage un investissement colossal de 2,2 milliards d’euros pour implanter une usine sur 70 ha, faisant travailler 3000 personnes dont 500 emplois directs sur site et capable de produire, à partir de 2027 si tout va bien, 2 millions de tonnes de minerai de fer pré-réduit à très bas taux de carbone, grâce à la production locale, toujours par électrolyse de l’eau, de 120 000 tonnes d’hydrogène vert par an.
Des projets particulièrement ambitieux et innovants qui vont peut-être changer à terme la physionomie de cette immense zone industrielle et portuaire en faisant un pas vers cette transition écologique tant espérée. Des projets néanmoins qui ont quand même en commun de nécessiter une énergie électrique colossale, dans une région qui jusque-là ne brille pas par ses capacités de production excédentaires, un petit détail que nos responsables politiques locaux semblent tous oublier, eux qui se gargarisent à l’unisson de ce saut technologique à venir, en masquant pudiquement le fait que de tels projets ne sont probablement viables que moyennant l’implantation d’un réacteur nucléaire sur le site même de Fos, comme l’a récemment suggéré le Président de la République qui reconnaissait que la consommation électrique du GPMM nécessite la production de 4 EPR…
L. V.