Le cercle de lecture carnussien Katulu ? poursuit ses activités, toujours aussi épris de partager ses coups de cœur sur les derniers livres découverts par ses membres, au cours du deuxième trimestre de l’année 2023.
Retrouvez ci-dessous l’intégralité des notes de lecture de ces livres. Si vous aussi vous avez envie d’échanger en toute convivialité autour de vos lectures, venez nous rejoindre pour les prochaines réunions qui se tiennent régulièrement à Carnoux-en-Provence !
Vivre vite
Brigitte GIRAUD
Le Prix Goncourt 2022 a été attribué à Brigitte Giraud pour « Vivre vite » ! Dans ce roman autobiographique, l’autrice analyse, vingt ans après la mort de son mari dans un accident de moto, les circonstances malheureuses, les mauvais choix qui ont conduit à ce malheur dont elle a eu beaucoup de mal à se remettre. Elle attribue à la maison achetée depuis peu une place primordiale à l’enchaînement des faits qui ont conduit au drame.
Cet écrivain nous permet, grâce au récit, de passer de l’intime, du particulier à un roman vers l’Universel, qui touche tout le monde et nous fait réfléchir sur notre vie dans la société actuelle, notre civilisation où « Vivre vite » est souhaité pour être efficace et rentable.
Josette J.
Paris-Briançon
Philippe Besson
Dans ce roman, Besson décrit un voyage ferroviaire. « Le train Intercités de nuit n°5789 est prévu à 20 h 52. Il dessert les gares de… et Briançon, son terminus, qu’il atteindra à 8 h 18. ». C’est d’une précision SNCF.
A Paris, dans un des six wagons de ce train, sont montés un couple de retraités, des hommes d’affaires, une mère de famille avec deux enfants, des étudiants. Les motifs qui les ont poussés à choisir ce long voyage de nuit, au lieu d’un TGV plus rapide, sont rationnels et bien expliqués. Les passagers font connaissance selon leurs affinités, se livrant peut-être plus facilement à des confidences, dans ce milieu clos. Que restera-t-il des échanges de la nuit ?
Un réveil matinal dans ce microcosme… et puis c’est l’accident à un passage à niveau : «la collision était inévitable ». On entre en tragédie, avec les médias, les secours, les badauds.
Efficace et sobre, un épilogue de deux pages clôt ce récit intimiste et évocateur. Bien fait, facile à lire. Pourrait faire un scénario.
Roselyne
L’horizon
Patrick Modiano
Jean Bosmans, âgé d’une soixantaine d’années, déambule dans le Paris de 2010. A l’entrée de la petite rue Radziwill, il évoque ses rencontres, quarante ans auparavant, avec Margaret Le Coz qui travaillait comme traductrice d’allemand dans une agence d’intérim et qu’il allait chercher à la sortie des bureaux.
Ils ont 21 ans mais sont tracassés par un passé trouble (des parents indignes pour Jean, un harceleur sexuel pour Margaret). Ils se soutiennent mutuellement pour dominer leur angoisse et leur faiblesse. « Puis le temps passe et ce futur devient du passé ». Cela semble le refrain habituel de P. Modiano. Mais, chose rare, le récit est au temps présent, un présent actif qui a l’horizon comme avenir.
Quarante ans après, un soir que Bosmans est à Berlin, il a l’idée saugrenue de taper sur un clavier : « Margaret le Coz Berlin ». L’adresse, le numéro de téléphone, le fax d’une librairie apparaissent. Il part à pied la rejoindre. A pied… il a le temps, il sait que la librairie ferme tardivement.
Nouveautés : Le temps a plus d’importance que les lieux. L’horizon remplace le passé.
Roselyne
Crépuscule
Philippe Claudel
Un roman historique qui se situe à la fin du 19ème siècle, un roman sombre qui n’est pas sans évoquer le monde actuel fait d’inquiétudes, de peurs, de fantasmes (complotisme).
Le sujet du livre, le fil rouge : comment l’homme écrit-il l’histoire ? Comment l’homme décide-t-il de raconter l’histoire ? La vérité historique est-elle possible ? Comment se fabrique-t-elle ? L’élaboration de contre-vérités, la réécriture de l’histoire ne sont-elles pas une mécanique millénaire ? L’imaginaire rétablit la vérité, cela arrange tout le monde, cela soude le collectif.
Le roman s’ouvre sur un crime dans un petit village de 1 378 habitants où vit une communauté musulmane de 54 âmes, parfaitement intégrée. Le crime n’est pas un crime ordinaire : le curé du village a été tué. Et pourtant cela va devenir « un événement dérisoire ».
Les cinq cents pages du livre analysent le long cheminement des forces occultes, en particulier celles du pouvoir en place qui sent venir sa fin, qui aboutiront à un meurtre collectif.
Crépuscule est un livre d’écrivain : un style poétique, un vocabulaire riche, de longues phrases descriptives, l’art du portrait, l’art de créer l’émotion. Ne pas oublier l’art du suspens : le meurtrier du curé ne sera dévoilé que dans les dernières pages et cela n’est pas sans surprise ! Un livre passionnant par les idées qu’il développe et par l’écriture de l’auteur. Un livre de 500 pages certes mais qu’on ne lâche pas !
Marie-Antoinette
Génération DENIM
Dato Tourachvili
En 1983 en Géorgie, un fait divers tragique révéla au monde entier les agissements de la Russie. L’auteur, Dato Tourachvili, décrit ainsi ambiance morbide qui écrasait les Géorgiens dans leur pays satellite de URSS. Gouvernement, justice et police sont soumis à des contrôles permanents. La population est affamée par des restrictions drastiques. Le peuple n’ose rien mais rêve de retrouver la douceur de vivre dans ce pays tempéré, jadis libre et riche. Les jeunes surtout lorgnent vers la liberté occidentale. Porter un vrai jean en devient le symbole, mais un vrai denim, un jean américain réputé inusable et strictement interdit par les autorités.
Le récit romancé raconte les vies et les espoirs de quelques jeunes gens : fuir leur pays en détournant un petit avion de liaison avec la Turquie voisine. Mal préparée, l’affaire tourne au drame, à l’arrestation des conjurés, à leur procès sommaire et à leur exécution sauvage. Bref et atroce.
Paru en 2008, traduit en français en 2022 et édité chez Robert Laffont, le récit est bien documenté avec photos des étudiants en fin de volume, étude psychologique des protagonistes, étude sociologique d’un pays asservi en reconquête de ses libertés. A lire dans l’ambiance actuelle.
Roselyne
L’ancien calendrier d’un amour
Andreï Makine
Le livre s’ouvre sur la rencontre du narrateur avec un vieil homme à l’entrée d’un cimetière à Nice. Tous deux sont Russes. Le héros Valdas ! Quelle vie ! Quel chemin parcouru depuis ses premiers émois en Crimée à ce monsieur âgé assis sur le banc du cimetière qui va se confier au narrateur.
Valdas a vécu les tourments de l’histoire, d’abord la première guerre mondiale puis la guerre civile de son propre pays qui met à bas toute sa vie. Survivant des massacres entre « Rouges et Blancs » il se réfugiera en France… et ce sera à nouveau la guerre. Mais il garde en lui le souvenir d’une parenthèse qui le bercera toute sa vie, une vie qu’il aurait vécu au sein de « l’ancien calendrier ».
Plus qu’un roman historique, c’est un roman sur l’homme, sur la manière dont les événements, l’Histoire avec un grand H peut se révéler dévastatrice, briser la vie ; et malgré tout celui qui survit, espère et aime encore.
Un livre relativement court qui fait revivre ce vingtième siècle, un siècle chargé en événements violents, surtout quand on est Russe et qu’on a quinze ans en 1913. Et ce qui charme par-dessus tout, c’est l’écriture de l’auteur, à la fois merveille de concision et de puissance évocatrice. Émouvante évocation du deuil. Envoûtante par la magie de ses mots, de son style.
Marie-Antoinette
Une fille en colère sur un banc de pierre
Véronique Ovaldé
L’auteur à travers l’histoire d’une famille sur l’île de Lazza au large de Palerme en Sicile, ausculte au plus près les relations que nous entretenons les uns avec les autres, et les incessants accommodements qu’il nous faut déployer pour vivre nos vies. Un roman comme un conte, ses secrets, ses regrets, ses jalousies, ses culpabilités, jalonnent le texte pointant le portrait d’une famille meurtrie par la disparition d’un de ses membres : Mimi la dernière des quatre filles.
Il y a la peinture d’un village méditerranéen et de ceux qui y vivent, et de celle qui a été répudiée, bannie car désignée coupable. Ambiance de ce coin de Sicile, ses mystères, ses décors. Il y a l’odeur du chèvrefeuille et les stridulations des mésanges, puis il y a les abeilles bombardières. Il y a la brise de mer, les pins…Et il y a ses relations familiales, ses silences. Le passé et ses secrets vont resurgir lors de l’enterrement du père et ce sera le temps de la vérité et celui de la vengeance, insidieuse mais implacable.
La plume est alerte et incisive. L’autrice explore de façon subtile les méandres des tensions familiales exacerbées par une tragédie suggérée pendant tout le roman et dévoilée dans les dernières pages.
Dany
Terminus Malaussène
Daniel Pennac
Paru chez Gallimard en 2023, neuvième et dernier tome de la série commencée en 1985 avec « Au bonheur des ogres ». Comme le titre l’indique, D Pennac met un point final à sa série-culte avec cette dernière publication. En exergue du livre se trouve l’arbre généalogique de la famille Malaussène et en fin de volume le répertoire de tous les personnages qui ont traversé la série.
Sans rides malgré son âge, Maman préside à trois générations. Les plus jeunes ont monté un coup, pour rigoler, en enlevant un richissime homme d’affaire, et son fils. Hélas la blague tourne au drame. Au fil des pages se dessinent les trafics de drogues, rapts d’enfants, vol d’organes, les paris, la misère, le luxe tapageur, le crime, le dévouement ; le tout soutenu et amplifié par les médias et la pratique des « folks-news ».
Semant ainsi dans l’histoire extravagante quelques idées et sentiments personnels, D.Pennac prépare sa conclusion. Dans une contraction finale apparaît un fil d’Ariane : la Maman et le Pépère symbolisent le bien et le mal dans une vision manichéenne ; celle-ci embellie pour la faconde, le sens du récit, la souplesse et la multiplication des figures de style.
Un feu d’artifice final ! Mais qui ne laisse pas oublier le charme et l’humour des huit récits précédents dans le vieux quartier de Belleville où l’on sentait vibrer l’âme d’une population multiple et pittoresque.
Il ne fut pas toujours facile de publier une telle extravagance. Porte-parole de D. Pennac, Alceste interpelle Benjamin, page160 et suivantes : « Il paraît que vous trouvez mon bouquin trop marqué par le réalisme magique, Malaussène ? Que vous voulez me faire retravailler ? Vous ? Me faire retravailler ? Moi !… » « Je vous le dis solennellement, si vous tenez à votre santé mentale, ne fréquentez pas les éditeurs. »
Roselyne
PARIS
Yann Moix
Polémiste et écrivain, bien connu à la T.V., Yann Moix donne suite, dans un style perfectionniste, à ses romans Verdun, Reims et Orléans, en racontant la vie d’un jeune homme instruit mais désargenté qui a décidé d’être, quoi qu’il en coûte, un « auteur à succès ».
C’est un roman noir et burlesque sur le milieu snobinard littéraire dans la capitale. Mais on se lasse de ces avatars et on attend en vain le ressenti d’émotions créatrices qui pousseront l’écrivain à peaufiner son œuvre. On se contenterait même d’une idée directrice, d’un élan…
Les éditeurs ne sont guère plus intéressés par l’œuvre enfin achevée, sauf Grasset en 2022 qui accepte le texte pour son style séduisant. Mais l’art pour l’art, est-ce assez pour séduire le lecteur ?
Roselyne
Blanc
Sylvain Tesson
De Menton au bord de la Méditerranée, la traversée des Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie, de 2018 à 2021, à la fin de l’hiver, à raison d’un mois par an. C’est le récit de ce défi que Sylvain Tesson s’était lancé avec son ami Daniel du Lac. « Ailleurs est plus beau que demain », selon la formule de Paul Morand.
Cette épopée est décrite en 4 chapitres, chacun correspondant à l’année où elle s’est déroulée. Dans deux pages d’introduction et deux pages de conclusion Sylvain Tesson nous livre la quintessence de son expérience. Le corps du livre nous fait vivre physiquement les réflexions de ces 4 pages !
L’effort physique : « Dans le vent… on allait, réduit au seul soin d’avancer… Parfois il semblait nous évanouir vivants. Où allait-on ? Peu importait. Pour combien de temps ? Aucune idée. »
la métamorphose des paysages : « Les structures du paysage se métamorphosaient en un motif unique… Ces espaces avaient perdu leurs délimitations pour se dissoudre en un seul principe dont l’absence de singularité garantissait l’éclat. »
la contemplation : hypnose du blanc… « le blanc envahissait l’être, organisait l’oubli… tout s’annulait : les vœux comme les regrets… La joie de la contemplation se mêlait à la jouissance de tracer dans l’absolu.
Et de citer les vers de Rimbaud, le poète qui l’accompagne tout au long des heures de marche :« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, mais l’amour infini me montera dans l’âme » et d’ajouter : « Remplacer « amour » par « blanc »… »
Marie-Antoinette
Tsunami
Marc Dugain
Ce roman retrace la vie d’un jeune Président de la République Française qui vient d’être élu : nous sommes en 2027 ! Pourquoi : « Tsunami » ? Ce terme signifie menace car tous les événements auxquels on assiste au fur et à mesure du livre sont inquiétants et promettent des difficultés à venir pour le nouvel élu.
« Quand fiction et réalité se mêlent étrangement » ! La trame romanesque attache le lecteur : il y a un héros, le Président de la République. C’est un journal intime et une chronique de la société. Les relations humaines au niveau de l’exécutif, les jeux de pouvoir sont parfois cocasses et dignes d’un Balzac !
Mais le romanesque rejoint la réalité car très vite les faits décrits sont brûlants d’actualité. Une grande révolte sociale se prépare suite à l’annonce d’une réforme primordiale sur les institutions, réforme qui peut engendrer une guerre civile !
La drogue, la violence dans les cités, l’écologie, la puissance des GAFAM, les lobbies ou la concentration des pouvoirs, l’abstention aux élections, autant de sujets abordés reflets de la réalité de la France et du Monde d’aujourd’hui.
Ce livre est passionnant par son intérêt sociologique sur notre société actuelle. Les mécanismes de nos institutions sont bien décrits par l’auteur qui est expert sur ces sujets d’actualité, de gouvernance ou d’environnement. La violence qui s’étend à travers le monde est inquiétante, le poids des GAFAM, devenant plus forts que les États, les effets néfastes des écrans sur les individus font de ce roman un vrai tsunami des dangers à venir !
On croit pouvoir dire en lisant ce livre « qu’on ne va pas vers le meilleur des mondes ».
Josette J.
Francis Ponge
Lire Francis Ponge est une gourmandise littéraire. C’est tantôt comme savourer une tasse de chocolat chaud et onctueux et tantôt comme goûter la saveur fraîche et acidulée d’une citronnade non sucrée. Tout dépend de la température de votre esprit.
Le tronc vivant, l’arborescence de son œuvre sont tels que je ne saurais faire un choix dans ce génial fouillis car ce serait couper des branches sans raison. Je cueille donc simplement quelques pensées et je vous en offre un petit bouquet :
« Qu’est-ce qu’un artiste ? C’est quelqu’un qui n’explique pas du tout le monde mais qui le change. Ce tableau…. ne représente rien, bien sûr puisqu’il vous présente l’avenir. »
« Mes pensées les plus chères sont étrangères au monde, si peu que je les exprime, lui paraissent étranges. Mais si je les exprimais tout à fait, elles pourraient lui devenir communes. »
« Ces phrases ont été formées par moi en songe, m’y semblant parfaitement belles et significatives. Il me sembla chaque fois, que j’avais trouvé comme la pierre philosophale de la poésie… »
Mireille