Carnoux : une pelouse synthétique bientôt interdite ?

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Pour la commune de Carnoux-en-Provence, ce sera l’investissement majeur de l’année 2023 : le stade de football Marcel Cerdan, dans laquelle la commune a déjà injecté des millions depuis des années, va utiliser l’essentiel de son budget d’investissement annuel avec près de 1,3 millions d’euros programmé pour remplacer les ampoules et le grillage mais surtout pour arracher toute la pelouse et la remplacer par du gazon synthétique en plastique. Car notre maire en est convaincu : le plastique est l’avenir de l’humanité et un stade qui se respecte doit forcément présenter un revêtement en gazon synthétique qui permet une utilisation plus intensive du terrain, même si le coût de l’opération est colossal, pour une durée de vie qui ne dépasse pas une dizaine d’années.

Le stade Marcel Cardan à Carnoux avec ses deux terrains de jeu (source © Carnoux Football Club / Foot méditerranéen)

Le bilan environnemental d’un tel choix est catastrophique, d’autant que les déchets générés lors du remplacement d’un tel revêtement sont énormes et quasi impossibles à recycler. Cette décision paraît même quelque peu anachronique à l’heure où l’on essaie tant bien que mal de s’extraire de notre dépendance aux hydrocarbures dont l’utilisation à outrance depuis bientôt deux siècles a réussi à modifier de manière irréversible le climat de notre planète. Certes, les volumes d’eau nécessaires à l’arrosage du stade en seront un peu diminués (mais pas supprimés pour autant) et il paraît même, comme cela a été évoqué en séance du conseil municipal, que cela dissuaderait les gens du voyage à venir s’installer sur le stade de Carnoux lors de leur passage annuel, en l’absence d’aire d’accueil, toujours en gestation depuis des décennies faute de la moindre volonté politique de respecter la loi…

Coupe de principe d’un terrain de sport avec sa sous-couche et ses rouleaux de gazon synthétique lestés de sable fin avec un remplissage de granulés en caoutchouc en en liège (source © Realsport)

Mais voilà que la Commission européenne envisage désormais sérieusement d’interdire totalement l’usage du gazon synthétique d’ici quelques années. En 2018 pourtant, l’ANSES (Agence nationale de la sécurité alimentaire, de l’alimentation et du travail), avait estimé que ce type de revêtement synthétique de terrains de sport était surtout dommageable pour l’environnement mais a priori peu dangereux pour la santé humaine, le risque principal étant lié à l’utilisation, pour ce type de terrains, de granulats constitués de pneumatiques usagés broyés, lesquels peuvent relarguer quantité de produits indésirables mal identifiés, tels que métaux lourds, benzène, composés organiques volatiles et autres produits potentiellement cancérigènes.

Remplissage d’un gazon synthétique au moyen de granulés en caoutchouc à base de pneus usagés (photo © kvdkz/ Actu environnement)

Le gazon synthétique lui-même est fabriqué à partir de microfibres à base de polyéthylène et de polyamide, ce dernier polymère étant parfois considéré comme un perturbateur endocrinien. Les dalles de gazon synthétiques sont généralement recouvertes d’un lit de sable fin puis de microgranules de caoutchouc, issues de la récupération et du recyclage des pneus usagés dont on ne sait trop que faire et qui trouvent ici un de leur principal débouché. Ces matériaux s’insinuent entre les fibres et ne sont pas visibles mais ils contribuent fortement au confort et à la souplesse du terrain, tout en limitant son échauffement qui est l’un des gros défauts des gazons synthétiques, pouvant même provoquer des risques de brûlure en plein été.

Le stade n° 4 du complexe sportif Léo Lagrange à Toulon avec son revêtement synthétique à base de noyaux d’olives concassées (source © mes infos)

Pour remplacer les granulés à base de pneus usagés qui servent à lester les dalles de gazon synthétique, des alternatives existent, notamment à base de noyaux d’olive concassés, comme cela a été testé par la ville de La Ciotat qui a inauguré en janvier 2020 le premier terrain de sport réalisé en France par une entreprise d’Ollioules, Méditerranée Environnement, avec cette technique sur le stade Bouissou en remplacement d’un revêtement en stabilisé (simple mélange de terre, de sable et de gravillon tassé). Cette technique qui présente l’avantage de recycler un matériau issu de l’agriculture local (il a fallu 60 tonnes de noyaux d’olives en provenance du Muy pour le stade de La Ciotat !), sans aucun risque pour l’environnement ni la santé humaine, présente un léger surcoût par rapport à une solution classique mais pour une durée de vie plus longue, tout en laissant diffuser un infime parfum d’huile d’olive, très couleur locale.

Remplissage en noyaux d’olives concassés du terrain de sport Léo Lagrange à Toulon (source © Toulon Provence Méditerranée)

Un succès qui a incité la métropole Toulon Provence Méditerranée à lui emboîter le pas en lançant tout récemment la rénovation de deux terrains de sport jusque-là recouverts avec des granulés de pneus. A l’automne 2022, le complexe sportif Léo Lagrange à Toulon a ainsi été refait par la même entreprise qu’à La Ciotat, également à base de noyaux d’olives concassées. Et l’été dernier, le terrain de rugby de la base nature du Vallon du soleil à La Crau, a quant à lui été refait avec du liège qui permet d’utiliser des fibres plus longues (de 60 mm). Plus coûteuse et davantage soumise à l’érosion en cas de fortes pluies, cette solution technique présente néanmoins de multiples avantages, ce matériau s’avérant très résistant à l’usure, ne se compactant pas au fil du temps et ne générant pas de poussière.

Pour autant, on se rend compte désormais que les impacts environnementaux et probablement sanitaires de ce type de gazon à base de microplastiques sont nettement plus importants que ce l’on imaginait. Le sol situé sous un gazon synthétique devient très rapidement totalement stérile, les micro-organismes et les vers de terre étant dans l’incapacité d’y subsister. La surface recouverte est totalement hostile à toute vie, les oiseaux en particulier ne pouvant plus y trouver la moindre subsistance. Un terrain de sport enherbé constitue de fait un puits de carbone, un espace de biodiversité et un îlot de fraicheur en période de canicule alors que le même espace recouvert d’un gazon en plastique devient une zone stérile, hostile à toute vie et qui en réfléchissant les rayons solaires accentue encore le réchauffement climatique.

Un dessin signé Vrob (source © Vrob / blog Médiapart)

Mais on constate désormais que de surcroît les innombrables microfibres en polymère qui constituent l’essentiel des gazons synthétiques se désagrègent rapidement et se dispersent dans l’environnement sous forme de microparticules non dégradables qui sont emportées par l’eau et le vent et qui finissent généralement dans la mer. La France à elle-seule déverserait ainsi dans la mer Méditerranée pas moins de 11 000 tonnes de pastique chaque année ! Une partie de ces minuscules fragments de plastique est ingéré par les poissons et se retrouvent donc dans notre chaîne alimentaire, en sus des fragments que nous ingérons directement chaque fois que le mistral souffle…

Pour ces différentes raisons, de nombreuses villes comme Boston ont d’ores et déjà décidé d’interdire le gazon synthétique sur leur territoire. En 2021, le Sénat s’était également prononcé à l’unanimité en faveur d’une interdiction totale à compter de 2026 de tout nouveau terrain synthétique, estimant que le plastique est devenu le fléau des temps modernes à éradiquer en priorité. Cette date de 2026 risque fort d’être de toute façon la limite que retiendra la Commission européenne pour interdire tout nouveau revêtement en gazon synthétique et il serait vraiment regrettable que notre commune de Carnoux n’anticipe pas cette échéance et s’obstine à vouloir implanter une pelouse en plastique sur son stade de foot pour le seul plaisir de quelques acharnés qui veulent pouvoir taper dans leur ballon quelques heures de plus par semaine : l’avenir de notre planète mérite peut-être ce petit sacrifice…

L. V.

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Une Réponse to “Carnoux : une pelouse synthétique bientôt interdite ?”

  1. Vous reprendrez bien un peu de plastique ? | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] Un message que la commune de Carnoux pourrait peut-être entendre, elle qui s’apprête à arracher le gazon naturel de son stade de foot pour le remplacer par des fibres en plastique dont les micro-débris finiront […]

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