Archive for the ‘Politique’ Category

Un précurseur antique du chemin de fer

16 Mai 2024

Il est bien connu que l’invention du chemin de fer a largement contribué à l’essor de l’industrialisation en Europe au début du XIXe siècle. Associant un système de rails métalliques pour le guidage et des wagons tractés par une locomotive à moteur, ce nouveau mode de déplacement a connu un essor spectaculaire à partir de 1840 et s’est imposé pendant plus d’un siècle, jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale comme le mode de transport prépondérant, pour les marchandises comme pour les voyageurs. La première ligne commerciale fut ouverte en 1825, dans le comté de Durham, au nord-est de l’Angleterre et reliait le port fluvial de Stockton-on-Tees à la ville de Darlington, permettant la desserte de plusieurs houillères pour en faciliter le transport du charbon extrait.

Le jour de l’inauguration, c’est l’ingénieur britannique Georges Stephenson en personne qui est aux commandes de la locomotive à vapeur qu’il a lui-même construite et baptisé Locomotion n°1, laquelle tracte un wagon de musiciens, ce qui ne l’empêche pas d’atteindre en descente la vitesse fabuleuse à l’époque de 40 km/h. Stephenson n’en est pas à son coup d’essai, ayant conçu un premier prototype de locomotive à vapeur dès 1814 et faisant fonctionner depuis 1817 un engin capable de tracter 70 tonnes de charbon dans la houillère où il est employé. C’est lui qui a eu l’idée de tester une locomotive à vapeur sur cette ligne où il était initialement prévu une traction hippomobile, et c’est lui encore qui concevra en 1829 La Fusée, une locomotive innovante pour la nouvelle ligne reliant Manchester à Liverpool.

La locomotive Rocket (La Fusée) conçue par l’ingénieur britannique Georges Stephenson en 1829 (photo © Wiliam M. Connolley / Science Museum London / Wikimedia Commons)

Si ce mode de transport sur rails a connu un tel succès et continue encore à être très largement utilisé de nos jours malgré sa contrainte liée à la nécessité de suivre toujours le même trajet, c’est parce qu’il permet de réduire fortement les frottements et facilite ainsi le transport de lourdes charges. Avant même l’invention de la locomotive à vapeur, ce système de rails était ainsi déjà largement utilisé, notamment dans les mines, parfois depuis le XVIe siècle, mais plutôt sous forme de rainures taillées dans la roche, remplacées ensuite par des gorges en bois recouvert de fer pour réduire l’usure.

Wagonnets poussés par des enfants dans une mine de charbon dans les années 1800 à 1850 (source © Fossilraptor)

Un tel dispositif de chemin guidé destiné à minimiser l’énergie nécessaire pour déplacer des charges remonte en fait à l’Antiquité. Le modèle le plus abouti date des Grecs anciens et est connu sous le nom de Diolkos, ce qui fait référence à la notion de portage. Il s’agit d’une voie dallée, de 3,5 à 6 m de largeur, creusée de deux sillons parallèles et qui avait été aménagée sans doute à la fin du VIIe siècle avant J.-C., pour relier le golfe de Corinthe, à l’ouest, au golfe Saronique, du côté de la mer Egée. Cette voie pavée avait été conçue pour faciliter le transfert des marchandises par voie terrestre via l’isthme de Corinthe, une bande de terre qui ne fait pas plus de 6,4 km de largeur à son point le plus étroit et qui permet de relier la presqu’île du Péloponnèse à la Grèce continentale.

Tronçon encore bien conservé du Diolkos antique, sur une base militaire grecque, au nord du canal de Corinthe (source © Arkeonews)

C’est probablement Périandre, tyran de Corinthe, qui est à l’origine de l’aménagement de cette voie remarquable, aménagée en courbe de niveau pour minimiser les dénivelées et dont la pente est en moyenne de 1,5 % sans jamais dépasser 6 %. Ses vestiges sont encore bien visibles du côté du golfe de Corinthe où l’on peut voir l’ancien quai d’amarrage des navires et la rampe qui permettait de tracter les navires sur la terre ferme. Selon les reconstitutions archéologiques qui ont pu être faites, les bateaux étaient déchargés et les marchandises acheminées à travers l’isthme terrestre sur des sortes de chariots roulants halés au moyen de cordes, et guidés par les deux gorges taillées dans le calcaire dur selon un espacement de 1,60 m.

Reconstitution du fonctionnement de la voie de transbordement des bateaux à travers l’isthme de Corinthe (source © YouTube)

L’opération permettait un transbordement rapide depuis la mer Ionienne vers la mer Egée sans avoir à faire tout le tour du Péloponnèse par une navigation souvent périlleuse au passage de certains caps réputés particulièrement traîtres. Dans certains cas, c’était même le navire tout entier qui était ainsi halé à terre pour le faire passer rapidement d’une mer à l’autre. Un système de treuils à cabestan était probablement utilisé pour tirer les lourds navires de guerre à terre et les faire pivoter pour les orienter dans l’axe des rails, après les avoir allégés au maximum. En 428 avant J.-C., les Spartiates avaient prévu de faire transiter leur flotte par le Diolkos pour attaquer Athènes et en 411, ils y firent transiter toute une escadre en direction de Chios. En 220 av. J.-C., Démétrios de Pharos y fit passer une cinquantaine de navires de guerre vers le golfe de Corinthe et, trois ans plus tard, c’est Philippe de Macédoine qui l’utilisa pour 38 de ses vaisseaux tandis que le reste de sa flotte contournait le Péloponnèse. Le Romain Octave emprunta lui aussi cette voie terrestre avec une partie de ses birèmes après sa victoire à Actium en 31 av. J.-C., pour pourchasser plus rapidement son adversaire Marc Antoine. On raconte même que le général byzantin Nicétas Oryphas l’utilisa encore en 868 après J.-C. et y fit transiter sa flotte de 100 navires venus au secours de la ville italienne de Raguse alors assiégée par les Arabes, ce qui signifierait que cette voie terrestre aura servi pendant au moins 1500 ans !

Bataille d’Actium, bas-relief exposé au musée de l’Ara Pacis à Rome, copie d’originaux en marbre issus d’un temple dédié au culte impérial d’Auguste, conservés aujourd’hui à Cordoue (photo ©  G. Collognat / Odysseum)

Une belle longévité pour un ouvrage, dont le péage fit la fortune de la ville de Corinthe et qui a d’ailleurs été probablement bien davantage utilisée à des fins commerciales, pour transporter des pondéreux, y compris des blocs de marbre ou des bois d’œuvre, que pour un usage militaire, même si c’est ce dernier dont on a surtout gardé trace dans les chroniques anciennes.

An l’an 67 de notre ère, l’empereur Néron, alors en tournée en Grèce, inaugure en grande pompe avec l’aide d’une pelle en or, le chantier du futur canal de Corinthe, destiné à permettre un transfert maritime plus rapide à travers l’étroit isthme. Mais le chantier, jugé excessivement onéreux par Galba, qui lui succède à sa mort en 68, sera rapidement abandonné. Il faudra attendre 1829 pour que le géologue français Pierre Théodore Virlet d’Aoust, participant à l’expédition de Morée à la fin de la guerre d’indépendance de la Grèce, dresse de nouveaux plans pour reprendre ce vieux projet de canal.

Le canal de Corinthe, large de 24 m, quelque peu sous-dimensionné pour le transit des paquebots modernes (source © Apostolos Kaknis / Blog-Croisiland)

Les travaux ne débuteront cependant qu’en mars 1882 et se révéleront bien plus ardus que prévu. La société concessionnaire fera d’ailleurs faillite en 1889 et l’inauguration de l’ouvrage ne se fera qu’en juillet 1893 pour une première traversée en janvier 1894, par un bateau battant pavillon français, le Notre-Dame du Salut, bien avant la traversée toute récente du Bélem rapportant la flamme olympique. Le canal débute d’ailleurs côté ouest juste à côté de l’antique Diolkos et son creusement est sans doute à l’origine de la destruction des vestiges d’une bonne partie de cette voie de halage particulièrement ingénieuse pour son époque, prémices, selon certains, des futures voies ferrées du XIXe siècle.

L. V.

Changement climatique : la plongée dans l’inconnu…

14 Mai 2024

Chacun sait désormais que la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre, n’arrête pas d’augmenter, alimentant un réchauffement climatique global de plus en plus visible. Les bonnes résolutions prises, année après année, par les quelques responsables politiques qui font mine de s’intéresser au sujet le temps des COP, n’y changent malheureusement rien : malgré un court répit lié au ralentissement momentané de l’activité économique en 2020 pour cause de pandémie mondiale et malgré les efforts de certains pays, dont la France fait partie, qui ont réussi à diminuer progressivement (mais encore très timidement) leurs émissions de gaz à effet de serre, les rejets de ces gaz dans l’atmosphère terrestre, principalement le dioxyde de carbone et le méthane, continuent d’augmenter d’année en année !

Malgré toutes nos belles paroles, nos émissions de CO2 continuent d’augmenter : pas besoin de construire un mur, il existe déjà et se rapproche à grande vitesse… : un dessin signé Wingz

Mesurer la concentration de CO2 dans l’air ambiant ne pose pas de difficulté technique et il est donc assez facile de suivre ce paramètre. Mais ce dernier fluctue énormément dans le temps car directement influencé par l’activité biologique végétale et par les conditions météorologiques. En 2019, la Ville de Paris avait ainsi encouragé des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à installer un réseau de mesures sur l’ensemble du territoire métropolitain avec notamment une station de mesures sur le toit de l’université de Jussieu, pour établir mensuellement une météo locale du carbone permettant de suivre les évolutions de ce paramètre dans le temps et aider à évaluer les politiques publiques engagées.

Toute la difficulté est en effet d’analyser ces fluctuations dans le temps et dans l’espace pour en tirer des conclusions globales sur des tendances à long terme. C’est notamment ce qui avait été fait dans une étude publiée en 2019 dans la revue scientifique Science Advances par une équipe de chercheurs allemands qui avaient estimé, sur la base d’une modélisation numérique alimentée par de nombreux points de mesures, que la concentration moyenne de CO2 dans l’atmosphère terrestre était alors de 412 ppm (partie par million, autrement dit, pour chaque million de molécule de gaz dans l’air ambiant, en moyenne 412 sont des molécules de dioxyde de carbone).

Prélèvement d’une carotte glaciaire en 1984 dans le cadre du programme Vostok (source © Fonds Lorius / CNRS)

En soi, ce chiffre n’est guère parlant. Il l’est davantage lorsqu’on le compare aux situations antérieures que notre planète a connues et que l’on peut reconstituer en analysant les bulles de gaz piégées dans certains sédiments marins enfouis ou dans des carottes glaciaires prélevées en profondeur. On constate dès lors qu’il faut remonter à la fin du Pléistocène, il y a 3 millions d’années pour retrouver de telles concentrations de CO2 dans l’atmosphère terrestre, supérieures à 400 ppm. A l’époque, notre lointain ancêtre, Australopithecus africanus, commençait tout juste à peupler les savanes africaines. La température moyenne à la surface du globe était supérieure de 3 à 4°C, les arbres poussaient dans l’Antarctique et le niveau des océans était plus haut de 15 à 20 m par rapport à ce que nous connaissons.

Évolution des concentrations de CO2 mesurées à la station de Mauna Loa depuis 1958 et comparées à des données issues de carottes glaciaires (source © The Economist)

Depuis cette lointaine période que l’homme n’a pas connue, la concentration moyenne de CO2 à la surface du globe est toujours restée à une moyenne très inférieure, ne dépassant jamais 280 ppm, du moins jusqu’au début du XXe siècle. Pour suivre ces fluctuations, la station de référence est celle du Mauna Loa, à Hawaï, car c’est la plus ancienne où ce paramètre est suivi en continu, en l’occurrence depuis 1958, ce qui correspond à une période où le développement industriel était déjà largement amorcé mais où ses impacts environnement mondiaux commençaient tout juste à être perceptibles.

La concentration en dioxyde de carbone suit une fluctuation saisonnière régulière avec un maximum en mars, juste avant le démarrage du cycle végétatif. Les enregistrements de la station d’Hawaï, connus sous le nom de « Keeling Curve » sont accessibles en temps réel et montrent une tendance très nette et ininterrompue à l’augmentation, avec un nouveau record battu le 9 mai 2024 à un niveau jamais atteint de 427,7 ppm. Mais ce qui inquiète surtout les scientifiques, c’est la vitesse à laquelle ces valeurs augmentent. Entre mars 2023 et mars 2024, l’augmentation est en effet de 4,1 ppm, ce qui représente la plus forte croissance annuelle jamais enregistrée depuis la mise en service de la station en 1958. Non seulement la concentration en CO2 de l’atmosphère terrestre atteint des records que la Terre n’a pas connus depuis plus de 3 millions d’années et que l’Homme n’a jamais vécu, mais surtout cette augmentation se fait à une vitesse inégalée et qui continue d’accélérer d’année en année, comme si la machine était en train de s’emballer.

Une accélération qui est d’ailleurs encore plus sensible pour les rejets de méthane. En effet, le service Copernicus de l’Union européenne sur le changement climatique révélait, dans sa dernière synthèse pour l’année 2022, que cette année-là les concentrations moyennes de gaz à effets de serre avaient augmenté par rapport à leur niveau de référence du XIXe siècle, de 50 % pour le dioxyde de carbone (passant de 278 à 417 ppm) mais de 162 % pour le méthane (passant de 0,72 à 1,9 ppm), sachant que l’impact de ce dernier gaz sur le réchauffement climatique à court terme est très supérieur à celui du CO2 (84 fois supérieur sur 20 ans, même si la durée de vie de ce gaz dans l’atmosphère est inférieur, ce qui en atténue l’impact sur le long terme).

Estimation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre selon différentes sources et comparaison par rapport à la période de référence 1859-1900 (source © État du Globe 2022 / Copernicus)

Ces données factuelles n’ont donc rien de rassurant et se traduisent d’ores et déjà par un réchauffement climatique mondial supérieur à 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui laisse penser que le seuil fatidique de 1,5 °C qui servait de référence lors de la COP 21, sera très rapidement atteint. Un sondage effectué par le média britannique The Gardian auprès de nombreux scientifiques ayant participé aux travaux du GIEC et publié le 8 mai 2024, montre d’ailleurs que 80 % de ces chercheurs estiment que l’augmentation de température moyenne atteindra très vraisemblablement 2,5 °C d’ici 2100. Les trois-quarts d’entre eux se montrent désespérés par l’inertie de nos responsables politiques et par l’importance majeure du lobby économique, notamment issu de l’activité pétrolière.

L’actualité récente semble d’ailleurs plutôt leur donner raison à en croire les dernières révélations du Washington Post qui indiquait, le 11 mai 2024, que l’équipe de campagne de Donald Trump, possible nouveau Président des États-Unis à l’issue des prochaines élections de novembre 2024, aurait promis, à une vingtaine de dirigeants de grosses entreprises du secteur pétrolier de mettre fin aux réglementations à caractère environnemental qui gênent le développement de leur activité, s’il devait être réélu.

Donald Trump, champion du lobby pétrolier : un dessin signé Georges Chappatte, publié en juin 2017 par The New York Times, et toujours d’actualité

Alors que les entreprises du secteur auraient déjà versé 6,4 millions de dollars pour financer sa campagne, Donald Trump espère obtenir 1 milliard de dollars de leur part, leur assurant que le retour sur investissement leur sera favorable du fait des avantage fiscaux et réglementaires qu’il compte leur accorder en cas de réélection, s’engageant notamment à faciliter l’exportation de gaz naturel liquéfié, à accorder de nouvelles concessions de forages pétroliers dans le Golfe du Mexique et à alléger les restrictions de forage en Alaska. Certains sont restés dans l’histoire pour avoir promis leur trône contre un plat de lentilles ; nos responsables politiques le resteront sans doute pour avoir rendu la vie humaine impossible sur Terre en échange de leur réélection…

 L. V.

La nouvelle guerre des mondes

10 Mai 2024

Publié en 1898 et traduit en français en 1900 seulement, le célèbre roman d’anticipation du Britannique H. G. Wells raconte l’invasion de la Grande-Bretagne par des extraterrestres en provenance de Mars. L’histoire, supposée se dérouler en 1894, débute par l’observation de nombreuses explosions incandescentes à la surface de la planète rouge, suivie par une pluie de météores, puis, quelques jours plus tard par l’arrivée de premiers objets cylindriques non identifiés qui s’écrasent sur Terre.

Il en sort d’étranges machines à trois pieds, pourvues d’un rayon ardent et d’un gaz toxique qui ravagent tout sur leur passage. L’armée est rapidement débordée et les populations terrorisées s’enfuient dans un monde devenu chaotique, traqués par les créatures martiennes tentaculaires qui pompent le sang des rescapés tandis qu’une herbe rouge se répand en étouffant toute végétation. Un vrai cauchemar, jusqu’à s’apercevoir que les envahisseurs martiens ont fini par succomber aux microbes terrestres, venus malgré eux aux secours d’une humanité en déroute…

Une histoire, mainte fois reprise et adaptée, y compris par le réalisateur Steven Spielberg en 2005, et par bien d’autres depuis, qui, dans le contexte de l’époque, était une manière pour l’auteur d’attirer l’attention sur la vulnérabilité de l’Empire britannique, alors au sommet de sa gloire, et dont l’emprise territoriale et économique s’étendait sur toute la planète.

C’est évidemment en référence à cette œuvre littéraire devenue un grand classique, que le géopoliticien français, Bruno Tertrais, vient de titrer son dernier ouvrage, publié en octobre 2023 aux éditions de l’Observatoire, La guerre des mondes – Le retour de la géopolitique et le choc des empires

Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et conseiller scientifique auprès du Haut-commissaire au Plan, est un spécialiste de la géopolitique et des relations internationales. Il a écrit de nombreux ouvrages et vient d’ailleurs de récidiver en publiant aux éditions Odile Jacob son dernier essai, intitulé Pax atomica : théorie, pratique et limites de la dissuasion, paru en janvier 2024. Dans son ouvrage précédent, il n’évoque pas d’invasion martienne mais la remise en mouvement de la tectonique des plaques géopolitiques, quelque peu figées depuis la guerre froide, et ceci sous l’impulsion de ce qu’il nomme des néo-empires émergents, à savoir la Chine, la Russie, l’Iran et la Turquie.

Bruno Tertrais (source © Fondation pour la recherche stratégique)

Il observe ainsi comment le monde occidental libéral auquel l’Europe appartient, se retrouve confronté à ces nouveaux empires eurasiatiques, dirigés par des pouvoirs autoritaires et qui cherchent à s’imposer et à imprimer leur propre vision du monde, sous forme de revanche après des décennies de domination occidentale. De quoi alimenter bien des foyers de confrontation voire de conflits, en Ukraine comme à Taïwan ou au Proche-Orient, mais aussi sur le continent africain ou dans la compétition pour l’accès aux ressources naturelles dont le lithium, voire pour la maîtrise de l’espace ou des fonds sous-marins.

Une confrontation analysée avec beaucoup de finesse, dans un ouvrage très documenté et qui tord le cou à bien des idées simplistes. La supposée stratégie de joueur d’échec de Vladimir Poutine y est quelque peu battue en brèche, ce dernier étant plutôt présenté comme un autocrate paranoïaque et sans scrupules, dont le régime n’hésite pas à manipuler le peuple russe en s’appuyant sur des mythes messianiques et l’invocation de la famille traditionnelle et de la religion orthodoxe. Tertrais se montre sceptique sur la capacité de la Russie à vaincre en Ukraine et note une certaine vassalisation de la Russie vis-à-vis de la Chine, maintenant qu’elle semble avoir définitivement coupé les ponts avec l’Occident.

L’armée chinoise à la manœuvre, une force émergente de premier plan (source © Démocratie nouvelle)

Une Chine qui, en revanche, semble un adversaire autrement redoutable. Elle n’hésite plus désormais à revendiquer ouvertement et par l’intimidation si nécessaire la maîtrise complète des mers jusqu’au ras des côtes de ses voisins vietnamiens ou philippins et s’immisce partout où elle le peut pour développer ses nouvelles routes de la soie, investissant dans des ports ou des infrastructures qu’elle s’accapare lorsque les États hôtes s’avèrent incapables de rembourser. Entrée sans réelle réciprocité dans l’OMC, la Chine est en passe de s’imposer comme la première économie mondiale, prédatrice en matière de propriété intellectuelle et ne se contentant plus d’être l’atelier mondial fabriquant et exportant tout ce que les occidentaux consomment, mais devenu aussi le laboratoire où se testent les techniques les plus sophistiquées de contrôle social numérique des populations.

Le géopolitique qu’est Bruno Tertrais observe avec une certaine inquiétude cette arrogance retrouvée des dirigeants chinois qui préparent activement l’annexion de Taïwan pour les années à venir et ne devraient guère hésiter à le faire par une opération militaire un peu musclée, à la manière de l’opération spéciale engagée par la Russie sur le territoire ukrainien en février 2022. Il n’est cependant pas persuadé qu’une telle invasion sera aussi facile qu’il n’y paraît malgré l’écrasante supériorité numérique de l’armée chinoise, laquelle n’a cependant pas d’expérience récente d’un tel conflit armé. Il pense même qu’un tel conflit dans le Pacifique ne pourrait laisser les États-Unis indifférents, créant le risque d’un affrontement direct entre des puissances militaires et nucléaires de premier plan…

Site de forage de gaz de schiste à St Marys en Pennsylvanie  (photo © SIPA Press / L’Opinion)

Car l’auteur reste confiant dans la capacité des États-Unis à jouer un rôle majeur dans l’ordre mondial en pleine reconfiguration, malgré l’isolationnisme récurrent de ses dirigeants, estimant que ce pays fait preuve d’un dynamisme démographique très supérieur à celui de la Chine ou de la Russie, a désormais retrouvé le chemin de son indépendance énergétique grâce à l’exploitation à outrance des gaz de schistes, catastrophique sur le plan environnemental mais très profitable économiquement, et reste largement en tête de la course mondiale aux brevets et à l’innovation technologique.

La démocratie, force ou faiblesse de l’Europe ? (source © L’Indépendant)

Quant à l’Europe, objet de nombreux débats en cette période pré-électorale, Bruno Tetrais rappelle aux plus pessimistes qu’elle continue de peser un quart du PNB mondial et que les démocraties, malgré leurs faiblesses inhérentes liées à la nécessite de prendre en compte leur opinion publique parfois bien versatile vire pusillanime, peuvent se montrer plus résilientes qu’il n’y paraît face à des régimes autocratiques dirigés par des satrapes entourés de courtisans aux ordres, à condition toutefois de se débarrasser de sa naïveté originelle qui l’a transformée en « herbivore au milieu des carnivores » et à nouer avec la Chine notamment, une relation plus équilibrée que celle qui a consisté jusque-là à « fermer les yeux sur le néo-impérialisme de Pékin en échange de biens de consommation pas chers ». Une évolution que l’auteur appelle de ses vœux et qui concerne en particulier l’Allemagne, moteur de l’Europe et trop longtemps persuadée qu’elle pouvait sans risque « miser sur l’Amérique pour sa sécurité, la Russie pour son gaz et la Chine comme marché ».

Un nouvel ordre mondial est peut-être effectivement en train d’émerger sous nous yeux, en espérant qu’il sera plus équilibré et moins source de tensions que les précédents : rien n’est moins sûr !

L. V.

L’Europe pour les nuls…et les jeunes

2 Mai 2024

Dans un peu plus d’un mois seulement aura lieu la prochaine élection au Parlement européen, le dimanche 9 juin 2024. Rappelons d’ailleurs au passage, pour ceux qui l’auraient oublié, bien qu’il s’agisse quand même de la dixième édition de ces élections qui se tiennent tous les 5 ans depuis 1979, que ce suffrage se fait à un seul tour à la proportionnelle.

Les modalités diffèrent d’ailleurs d’un pays à l’autre. En France, il a été choisi de fixer un seuil minimal de 5 % pour qu’une liste puisse disposer d’un représentant élu, ce qui n’est pas forcément le cas chez certaines de nos voisins. Ainsi, lors du dernier suffrage qui s’était tenu en 2019, et pour lequel pas moins de 34 listes avaient été constituées et validées, parfois in extremis après recours devant le Conseil d’État, seules 6 d’entre elles avaient pu obtenir au moins un représentant au Parlement européen. Les voix qui s’étaient portées sur les 27 autres listes en pure perte représentaient quand même 19,7 % des suffrages exprimées !

Pour les dernières élections européennes en 2019, un nombre record de listes en compétition : un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 23 mai 2019

On ne sait pas encore combien de listes seront retenues pour concourir lors de la prochaine échéance du 9 juin puisque la date limite pour le dépôt des listes est fixée au 17 mai à 18h, mais il y a fort à parier qu’elles seront au moins aussi nombreuses qu’en 2019 ! A l’époque, le nombre de sièges d’eurodéputés avait été fixé à 705 dont 79 pour la France. Pour la prochaine échéance, inflation oblige et malgré le retrait devenu effectif de la Grande-Bretagne, il y aura 720 sièges en jeu, dont 81 pour notre pays.

La représentation nationale actuelle au Parlement européen compte 23 représentants du Front national, 23 de la République en marche, 13 écologistes, 8 LR, 6 socialistes et 6 représentants de la France insoumise. Au vu des nombreux sondages actuels déjà publiés et qui vont se multiplier dans les semaines à venir, tout laisse penser que la liste du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella, arrivera largement en tête, donné actuellement autour de 30 %, ce qui pourrait l’amener à augmenter encore son nombre de représentants au Parlement européen. Viendrait ensuite, au vu des tendances observées jusqu’à présent, la liste macroniste dirigée par l’eurodéputée sortante, Valérie Hayer, qui peine à atteindre la barre des 20 % et pourrai perdre 6 à 7 sièges…

L’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg, cœur de la démocratie européenne (photo © Vincent Kessler / Reuters / La Tribune)

Le troisième homme de cette campagne est pour l’instant l’eurodéputé sortant Raphaël Glucksmann qui mène, comme en 2019, la liste du parti socialiste et que les sondages placent actuellement autour de 12 à 13 %, ce qui pourrait lui permettre de faire élire une douzaine de représentants. Quatre autres listes sont à ce jour données à plus de 5 % avec la perspective pour chacune d’elles de remporter 6 à 7 sièges chacune. C’est le cas de la liste écologiste, pilotée par Marie Toussaint, qui verrait ainsi sa représentation fortement amputée, tandis que la France insoumise, dont la tête de liste est, comme en 2019, Manon Aubry, paraît stable par rapport à 2019. A droite, la liste LR, menée par le très conservateur François-Xavier Bellamy, comme en 2019 également, est pour l’instant crédité d’un score assez comparable à celui obtenu alors, autour de 8 %. Pourrait aussi figurer dans ce dernier carré l’autre liste d’extrême-droite, menée par Marion Maréchal, sous l’étiquette Reconquête, et qui pourrait aussi peut-être se hisser au-dessus de la barre fatidique des 5 %.

Comme en 2019, la grosse inconnue de cette séquence électorale reste le taux de participation qui avait tout juste atteint 50 % lors de ce dernier suffrage. Tout laisse malheureusement à penser que cette année encore un Français sur deux ne prendra même pas la peine de se déplacer le 9 juin prochain pour aller exercer son droit de vote, alors même que l’Europe est au cœur de notre vie quotidienne et que la majorité de notre législation actuelle est directement dérivée des directives européennes. Jamais la France n’a été autant intégrée à l’Union européenne, dans un monde désormais multipolaire où même un bloc aussi important que l’Europe peine à exister face aux appétits de puissance des États-Unis, de la Chine, de la Russie mais aussi de nombreux pays émergents en pleine expansion. Et pourtant, les Français ont du mal à s’intéresser aux débats qui agitent le Parlement européen…

Peut-on encore croire à l’Europe ? Un dessin signé Plantu, publié dans Le Monde à l’occasion de la visite du pape au Parlement européen de Strasbourg le 25 novembre 2014…

Ce n’est pourtant pas faute d’efforts de communication et de pédagogie pour rendre accessibles à tous les arcanes de ce lieu de démocratie. Saluons à ce sujet la série remarquable intitulée sobrement Parlement, écrite par Noé Noblet et produite par Cinétévé, Artemis Productions et CineCentrum, dont les 20 épisodes des saisons 1 et 2 ont été diffusés sur France TV en avril 2020, suivi d’une saison 3 tournée en 2022 et diffusée en septembre 2023.

Samy, jeune attaché parlementaire au Parlement européen… (source © Parlement 2024)

On y voit les premiers pas au Parlement européen d’un jeune assistant parlementaire français, Samy, joué par le comédien Xavier Lacaille, qui débarque à Bruxelles au lendemain du vote du Brexit, et découvre les rouages de la démocratie européenne aux côté de son eurodéputé fainéant, Michel Specklin, de l’anglaise Rose, de l’italien Guido, de l’allemand Martin Kraft, ou encore du fonctionnaire européen ultra-compétent et incorruptible, l’impénétrable Eamon. Un bijou d’humour et d’autodérision, sans prétention mais plein d’esprit et qui a le mérite de faire pénétrer au cœur des arcanes complexes du Parlement européen mais aussi de la Commission européenne, où l’on découvre le fonctionnement au jour le jour de nos institutions européennes avec les enjeux auxquels est confrontée la construction européenne, les rivalités entre états membres, le rôle des lobbyistes et la manière dont s’élabore un consensus politique dans un tel bazar. De quoi donne au citoyen européen une vision plus humaine et terriblement incarnée de ces froides institutions qui paraissent si loin de nos préoccupations mais dont les décisions pèsent si fortement sur notre vie quotidienne.

Et voilà que Cinétévé, le producteur de cette série à succès, vient de s’allier avec l’Institut Jean Monet, une fondation attachée à promouvoir l’idéal d’union et de paix qui animait les pères fondateurs de l’Union européenne, pour produire une série de clips inspirés directement de la série télévisée Parlement et destinés à inciter les jeunes (notamment) à voter en masse lors de la prochaine échéance électorale du 9 juin 2024. Sur les 8 clips de campagne prévus, 2 sont déjà accessibles en ligne sur le site dédié. On y retrouve l’humour grinçant et décalé propre à la série télévisée, et ses messages pédagogiques qui font mouche…

Un des clips de campagne inspirés de la série télévisée Parlement (source © Parlement 2024)

Espérons que les Français, et notamment les plus jeunes d’entre eux qui s’étaient largement abstenus en 2019, seul un tiers des 18-39 ans ayant alors fait l’effort de glisser un bulletin dans l’urne, soient sensibles à cette campagne. D’autant qu’elle est loin d’être la seule, les initiatives se multipliant actuellement pour inciter le maximum de jeunes européens à aller voter et à s’intéresser de plus près au fonctionnement démocratique de nos institutions. C’est notamment le cas de la plateforme Ensemble, mais aussi du Parlement européen lui-même qui met à disposition une boîte à outils pédagogique dans ce but, tandis que la Commission européenne s’efforce, via son site Les décodeurs de l’Europe, de combattre certaines idées reçues sur les dysfonctionnements de l’Europe.

Visuels élaborés par l’agence de communication I&S pour inciter à se mobiliser lors des prochaines élections européennes (source © Image et Stratégie)

Même des agences de communication s’y mettent et lancent des campagnes d’affichage pour diffuser des messages incitant chacun à se mobiliser pour cette échéance électorale, à l’instar de l’agence Image & Stratégie, qui insiste sur l’idée que chaque citoyen est acteur du choix des politiques publiques, même celles décidées dans des institution qui nous paraissent trop souvent lointaines, opaques et éloignées de nos préoccupations quotidiennes. C’est l’esprit même de la démocratie dans laquelle chaque voix compte, sauf celles qui décident de ne pas participer au scrutin…

L. V.

Corée du Sud : des législatives aux petits oignons

12 avril 2024

On votait, ce mercredi 10 avril 2024, en Corée du Sud, pour renouveler les 300 membres de l’Assemblée nationale. Une élection dont les résultats ne font manifestement pas les affaires du Président de la République, l’ancien procureur et très conservateur Yoon Suk-yeol, qui avait été élu de justesse à ce poste, il y a tout juste 2 ans, en mai 2022, sort nettement affaiblie de ces élections. Alors que son parti « Pouvoir au Peuple » détenait 103 sièges dans le parlement sortant, il n’en détient plus que 90 tandis que le bloc progressiste, déjà largement majoritaire, se retrouve avec 176 députés, manquant de peu la majorité des deux-tiers qui lui aurait permis de concrétiser la menace de destitution qui pèse désormais sur le président.

Le président de la République de Corée du Sud, Yoon Suk-yeol (photo © Reuters / Firstpost)

Il faut dire que celui-ci est arrivé au pouvoir dans un contexte de crise économique et sociale, même si la Corée du Sud reste la quatrième puissance économique mondiale. L’accès au logement est notamment devenu un vrai souci pour les Sud-Coréens. Alors qu’en 2017 un jeune Coréen achetant un appartement arrivait à rembourser son emprunt immobilier en 20 ans, il lui faut désormais 40 ans pour y arriver !

Et la politique menée par le président Yoon Suk-yeol depuis son arrivée au pouvoir ne fait qu’exacerber ces difficultés sociales. Se positionnant d’emblée du côté du patronat, il a ainsi affirmé que maintenir la semaine de travail à 52 heures lui paraissait intenable et plaidant pour le passage à 69 heures de travail hebdomadaire, bien loin des 35 heures en vigueur en France…

En juillet 2023, des syndicalistes sud-coréens protestent contre la répression syndicale du gouvernement (source © Industriall Global Union)

Faisant face en novembre 2022 à une grève des camionneurs, il a été jusqu’à menacé les grévistes de peines de prison ferme et d’amendes records de dizaines de milliers d’euros pour entrave à la vie économique du pays, tandis qu’il accordait sa grâce présidentielle à plusieurs hommes d’affaires condamnés pour corruption, dont le président du groupe Samsung. Yoon Suk-yeol n’avait pas hésité à déclarer publiquement que, selon lui, « les gens qui font grève sont aussi dangereux que les ogives nucléaires nord-coréennes ». Un discours tout en nuance que les syndicats n’avaient guère apprécié…

En quelques mois, sa cote de popularité s’était effondrée, d’autant qu’il faisait montre en parallèle d’une position extrêmement rigide et belliqueuse envers le voisin nord-coréen, se rapprochant des États-Unis et rompant tout dialogue, estimant même nécessaire d’envisager des frappes préventives en cas de menace, avivant ainsi la tension entre les deux Corées.

Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et son entourage faisant mine de découvrir des bottes d’oignons verts à un prix défiant toute concurrence (photo © AFP / Huffington post)

Et voila que le Président, alors en pleine campagne des législatives, le 18 mars dernier se rend dans un magasin de fruits et légumes à Séoul, pour y constater le prix des denrées alimentaires et tordre le cou à l’idée largement partagée que la population fait face à une forte inflation du coût des produits de base. Avisant une botte d’oignons verts, un légume particulièrement prisé dans la cuisine coréenne, le président fanfaronne devant les caméras en affirmant que pour 875 wons, le prix est très accessible. De fait, cette somme représente à peine 60 centimes d’euros… Sauf que les Coréens sont tombés des nues car eux paient quotidiennement trois à quatre fois plus cher leur botte d’oignons !

Après enquête, les journalistes se sont ainsi rendus compte que tout ceci n’était en réalité qu’une mise en scène, le commerçant, prévenu à l’avance, ayant volontairement affiché pour les besoins de la cause, des étiquettes avec des prix défiant toute concurrence… De quoi alimenter les sarcasmes envers un président totalement déconnecté des réalités et qui prend vraiment ses concitoyens pour des imbéciles. Il n’en fallait pas davantage pour doper l’opposition qui dès lors s’est mis à brandir des oignons verts à chacun de ses meetings. La cébette est ainsi devenue le symbole de l’opposition au président conservateur !

Des militants brandissant leur botte d’oignons en signe de protestation contre la morgue du président, Yoon Suk-yeol, à Sejong, le 25 mars 2024 (photo © Yonhap / AFP / BFMTV)

Au point que la commission nationale électorale s’en est inquiété et a décrété, deux jours avant les élections, l’interdiction de se promener avec des oignons verts à proximité des bureaux de vote, considérant gravement, dans un communiqué officiel, que « détourner une certaine chose de sa fonction initiale pour en faire un moyen d’expression est susceptible d’affecter le scrutin ». De quoi déclencher l’hilarité générale et mettre en verve tout ce que la Corée du sud compte d’esprits espiègles qui se sont dés lors mis à rivaliser d’imagination pour détourner cette loi anti-oignons. Et l’on a vu ainsi fleurir les bandeaux et les écharpes couleur vert oignon ainsi que les porte-clés en forme de ciboulette.

Une ambiance plutôt bon enfant mais qui a du coup suscité un fort engouement pour cette échéance électorale qui a fortement mobilisé, avec un taux de participation record de 67 % et un score peu amène pour les partisans de Yoon Suk-yeol qui, pour avoir mal évalué l’oignon, en a gros sur la patate : quand on raconte des salades, il arrive qu’on fasse chou blanc…

L. V.

Un financement public pour des écoles privées

9 avril 2024

En France, la question scolaire a toujours été objet de vifs débats. Essentiellement confessionnel jusqu’à la Révolution française, l’enseignement primaire s’est peu à peu organisé autour de l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, généralisée à l’initiative de Jules Ferry à partir de 1881. Une cohabitation entre école dite libre et école publique parfois conflictuelle mais qui relève pour l’essentiel d’un choix personnel des parents avec de fortes disparités régionales. Dans bien des départements, comme en Lorraine ou dans le Massif Central, moins de 5 % des élèves sont scolarisés dans le privé, alors que cette proportion dépasse 50 % dans le Morbihan ou en Vendée.

Le collège privé Stanislas à Paris, un établissement élitiste où l’ex ministre de l’Éducation nationale scolarise ses enfants (photo © Thomas Samson/ AFP / Le Parisien)

A Paris, un élève sur trois fréquente une école primaire privée et la polémique récente qui a concernée les enfants de l’éphémère ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, a montré à quel point la plupart de nos responsables politiques utilise des stratégies d’évitement pour épargner à sa progéniture de fréquenter l’école de la République. A Marseille, Marsactu estimait en 2016 que plus de 13 600 élèves fréquentaient des écoles privées, principalement liées à l’enseignement catholique, contre 74 000 seulement dans le public, soit une proportion de 15 % en forte hausse depuis les 20 dernières années.

A Marseille, Jean-Claude Gaudin s’est montré particulièrement favorable à l’enseignement privé catholique, faisant passer le forfait élève à 900 € en 2019 tout en laissant se dégrader les écoles publiques : un dessin signé Ysope (source © Le Ravi)

A l’échelle nationale, un rapport récent de la Cour des Comptes, rendu public en juin 2023, évaluait à plus de 2 millions le nombre d’élèves fréquentant l’un des 7 500 établissements privés de l’Hexagone, soit 17,6 % des effectifs scolaires, lesquels sont en baisse constante depuis une dizaine d’années. Ce même rapport s’interrogeait sur l’importance du financement public de cet enseignement privé, en regard d’une ségrégation croissante des élèves qui en bénéficient. Une interrogation récurrente qui fait également l’objet d’un rapport de mission parlementaire qui vient tout juste d’être remis par les députés Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissberg (Renaissance) après 6 mois d’investigations et plusieurs déplacements, dont un à Marseille précisément.

Les députés Christophe Weissberg et Pauk Vannier lors de la discussion de leur rapport en commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée Nationale (source © Banque des Territoires)

Pendant longtemps, la République française a considéré que l’enseignement privé confessionnel avait parfaitement droit de cité mais qu’il lui revenait de s’organiser avec ses propres moyens. Ce n’est finalement qu’en 1959 que la loi Debré a instauré le système de contrat qui permet à un établissement privé sous contrat (la très grande majorité d’entre eux), de bénéficier désormais d’un financement public, quasi à parité des écoles publiques. A l’époque, cette décision était largement motivée par le contexte d’après-guerre et de baby-boom qui voyait l’État peiner à scolariser tous les élèves et souhaitait par cette mesure encourager le privé à prendre sa part du fardeau. Un choix dicté par le contexte et à vocation temporaire donc, mais qui est toujours en vigueur 85 ans plus tard, s’étant même renforcé au fil du temps, notamment avec le développement des lois de décentralisation.

Désormais, l’enseignement privé français sous contrat est donc financé à 75 % par l’argent public, principalement par l’État qui, de la même manière que dans le public, prend entièrement à sa charge le coût des personnels enseignants, même si ces derniers sont contractuels dans le privé, auquel il ajoute un forfait d’externat, supposé couvrir les frais de personnel d’administration, de gestion, de direction, de santé, etc. Le reste est payé par les collectivités territoriales, chacune pour ce qui relève de ses compétences et de manière relativement discrétionnaire.

Pour les écoles maternelles et primaires, les communes versent ainsi pour chaque élève scolarisé dans le privé une somme forfaitaire annuelle qui correspond à ce que lui coûterait la scolarité de cet élève dans son école publique. Un avantage incontestable puisque cette somme n’est pas calculée en fonction du besoin de l’établissement privé pour équilibrer son budget, mais selon les dépenses effectives de l’école publique, alors que celle-ci est soumise à bien d’autres contraintes. Quand l’école publique est obligée d’accueillir tous les élèves qui s’inscrivent et de mettre en place des dispositifs de soutien spécifiques pour les accompagner au mieux, le privé est libre de sélectionner ses élèves, ce qui lui permet de faire des classes plus chargées avec des coûts par élèves moindres mais une subvention généreusement allouée par le public sur la base de ses propres coûts.

L’école et le collège privés Saint-Augustin, à Carnoux (source © École Saint-Augustin)

Un montant qui est par ailleurs calculé de manière totalement opaque, selon des règles imprécises et qui font l’objet de larges interprétations par les municipalités. Ainsi, à Carnoux, la commune a décidé d’attribuer un montant de 720 € pour chaque élève scolarisé à l’école Saint-Augustin, déjà largement subventionnée lors de sa construction, et qui vient encore de recevoir une nouvelle subvention de 11 000 € cette année pour l’utilisation de ses locaux par le Centre aéré. Un montant théoriquement calculé sur la base des coûts réels de scolarisation d’un élève à l’école Frédéric Mistral. Sauf que cette même prestation n’est facturée que 667 € lorsqu’il s’agit d’y scolariser un ressortissant d’Aubagne, et même 547 € s’il vient de Cassis : comprenne qui pourra…

Cette manne d’argent publique, estimée en 2022 à près de 14 milliards d’euros par an, qui permet à l’enseignement privé, principalement catholique, de développer son réseau pendant que les écoles publiques ferment, suscite d’autant plus d’interrogations que les obligations et les contrôles qui pèsent sur l’enseignement privé en France sont quasi inexistants. Selon le rapport de Paul Vannier et Christophe Weissberg, les contrôles pédagogiques y sont très rares et les vérifications comptables quasi inexistantes : moins de 5 établissements privés feraient ainsi l’objet d’un contrôle comptable chaque année, ce qui leur laisse entrevoir un contrôle tous les 1 500 ans en moyenne…

L’école publique est en train de craquer : un dessin signé Zaïtchick (source © Blagues et dessin)

Une situation d’autant plus inquiétante que toutes les études confirment une ségrégation scolaire croissante. Les élèves des classes aisées et ceux qui présentent les meilleurs résultats scolaires s’orientent de plus en plus vers les établissements privés qui les trient sur le volet, à tel point que le taux de mixité sociale dans les écoles privées est en chute libre. Selon les observations de la Cour des Comptes, les élèves de familles très favorisées, qui constituaient 26,4 % des effectifs de l’enseignement privé sous contrat en 2000, en représentent 40,2 % en 2021. Les élèves de milieux favorisés à très favorisés y sont désormais majoritaires alors qu’ils ne représentent que 32,3 % des élèves dans le public. À l’inverse, la part des élèves boursiers y représente moins de 12 % contre plus de 29 % dans le public.

Dans le passé, toute réforme visant à rééquilibrer les relations entre école publique et privée a montré à quel point le sujet pouvait être source de tension dans la société française. Pourtant, le sujet a quitté depuis bien longtemps le terrain de la croyance individuelle, dans une société où le poids des confessions religieuses s’est considérablement allégé. Il est désormais au cœur d’un choix de société, au même titre d’ailleurs que la santé publique. Deux domaines dans lesquels les intérêts privés ont réussi à capter à leur profit la manne des financement publics pour créer une société à deux vitesses : aux riches les meilleures écoles et les soins de qualité, largement subventionnés, et aux pauvres un système public qui peine à faire face, avec des contraintes toujours croissantes et des moyens financiers en berne…

L. V.

CETA : c’est à n’y rien comprendre…

25 mars 2024

A trois mois des prochaines élections au Parlement européen, le rejet par le Sénat du traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, constitue un véritable camouflet pour le gouvernement. Il faut dire que ces accords commerciaux, négociés en catimini par la Commission européenne, ont tendance à focaliser les critiques de tous les acteurs démocratiques ! Le sort du TAFTA, ce fameux traité de libre-échange transatlantique, pour lequel les négociations ont repris en 2019 après avoir été gelées fin 2016 suite à l’élection de Donald Trump, illustre à quel point ce type d’accord peut susciter un rejet viscéral. D’ailleurs, la France continue à s’opposer officiellement au projet pour lequel les discussions se poursuivent néanmoins, mais en excluant désormais les marchés publics et surtout l’agriculture qui focalise le plus d’inquiétudes.

L’accord de libre-échange avec le Mercosur, potentiel accélérateur de la déforestation en Amazonie ? Un dessin signé Plantu, datant de juillet 2019

Le gouvernement français est également officiellement opposé à l’accord de libre-échange négocié entre l’Union européenne et le Mercosur, ce marché commun qui regroupe la plupart des pays d’Amérique du Sud. Lancées en 2000 et interrompues en 2004, les négociations avaient repris en 2014 et abouti à un accord en 2019, mais le Parlement européen avait rejeté le projet en octobre 2020, suite au désaccord exprimé ouvertement par la France et du fait des réticences de l’Allemagne, toutes les deux inquiètes des impacts environnementaux d’un tel accord.

Un dessin signé Marc R., publié en 2017 sur son site Marker

Avec le Canada, l’accord économique et commercial global, CETA selon son acronyme anglais (Comprehensive Economic and Trade Agrement), a été négocié à partir de 2009 et conclu dès 2014. Il a suscité alors tant de débats qu’il a fallu attendre 2 ans avant que la Commission européenne ne finisse par l’adopter en juillet 2016 avant de demander aux 27 pays membres (qui étaient alors encore 28, avant le Brexit) de le ratifier. Les pays membres l’ont signé le 30 octobre 2016, après un premier cafouillage car la Wallonie avait formellement refusé de donner son accord pour que l’État fédéral de Belgique puisse signer le document ! Le Parlement européen s’était à son tour prononcé en faveur de ce texte le 15 janvier 2017, mais en excluant le volet lié au dispositif chargé de régler les différents entre États et investisseurs, qui ne relève pas de la compétence de l’UE mais des États.

Ces mécanismes d’arbitrage par lesquels les multinationales arrivent à attaquer les législations en vigueur dans certains pays et jugées défavorables à leurs intérêts propres constituent de fait un des points de cristallisation des critiques majeures contre ces traités de libre-échange. Les exemples sont en effet désormais nombreux de multinationales, principalement américaines, qui arrivent ainsi à remettre en cause des dispositions législatives pourtant démocratiquement décidées, en matière de protection de l’environnement, de la santé ou des droits des travailleurs…

Des agriculteurs bloquent l’autoroute près de Mulhouse le 8 octobre 2019 et protestent notamment contre les traités CETA et Mercosur (photo © Sébastien Bozon / AFP / Le Monde)

Depuis 2017, l’accord CETA est considéré comme signé et il a été ratifié par 17 des États membres de l’UE, ainsi que par l’ensemble des parlements fédéraux et régionaux du Canada, lesquels se sont empressés de le faire dès 2017. La Grande-Bretagne elle-même, toujours friande de plus de libéralisme économique, l’avait ratifié avant de claquer la porte de l’Union Européenne ! De fait, le traité est désormais officiellement en vigueur depuis le 21 septembre 2017, à la seule exception des clauses, finalement assez marginales, qui concernent les investissements et le règlement des différends entre des entreprises européennes et canadiennes (tribunaux d’arbitrage) qui relèvent d’une compétence partagée entre l’UE et ses États membres. 

En revanche, si un seul des pays membres refuse de ratifier le texte et le notifie à l’UE, c’est l’ensemble du dispositif qui s’écroule puisque le texte est présenté comme un accord global. C’est déjà le cas puisque le parlement chypriote a rejeté l’accord le 1er août 2020, mais Chypre n’a pas notifié officiellement cette décision à l’UE et chacun fait donc comme si de rien n’était…

Le 23 juillet 2019, les députés français avaient voté en faveur de la ratification du CETA, malgré les exhortations de l’activiste suédoise, Greta Thunberg, venue leur parler le matin même… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

En France, où les oppositions contre cet accord de libre-échange sont nombreuses, Emmanuel Macron a tenté de faire passer le vote en catimini, en pleine trêve estivale, le 23 juillet 2019. A l’époque, il disposait pourtant d’une large majorité présidentielle à l’Assemblée Nationale, mais le texte avait suscité une véritable fronde de la part de certains des députés de son propre camp et n’avait alors été adopté qu’à une assez faible majorité de 266 députés alors que 213 d’entre eux se prononçaient contre. Le projet aurait dû être présenté au Sénat dans la foulée mais depuis, le gouvernement procrastine, craignant un rejet qui mettrait à mal tout l’édifice, et attendant que d’autres pays se prononcent à leur tour, dont l’Italie, où l’opinion n’est pas non plus très favorable.

Résultat du vote au Sénat le 21 mars 2024 aboutissant au rejet de la ratification du CETA : le centre mou était manifestement aux abonnés absents… (source © Sénat / La France agricole)

Mais cette course de lenteur a fini par prendre fin à l’initiative du groupe communiste au Sénat qui a profité de sa niche parlementaire pour remettre le dossier sur la table et obliger les sénateurs à sortir de leur ambiguïté. Et le résultat a confirmé que les craintes du gouvernement étaient bien fondées puisque le 21 mars 2024, le Sénat a très largement rejeté toute idée de ratification de cet accord par 211 voix contre 44. Une véritable claque pour le gouvernement ! Certes, c’est l’Assemblée Nationale qui aura le dernier mot mais on voit mal comment une majorité pourrait s’y dessiner désormais en faveur de la ratification de ce texte dès lors qu’il sera soumis à l’ordre du jour…

Il faut dire que cette affaire était bien mal emmanchée dès le début. Avant même l’entrée en vigueur de cet accord, le Canada était déjà un partenaire commercial de premier plan pour les pays européens, au 11e rang des exportations européennes et en 16e position pour nos importations, tandis que l’Europe constituait le 2e partenaire commercial du Canada derrière les États-Unis. La Commission européenne imaginait que le CETA allait faire progresser de 25 % les échanges commerciaux avec le Canada. Elle brandit d’ailleurs des chiffres tendant à montrer que ces échanges ont bondi de 37 % depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2017. Sauf que cette augmentation s’explique en presque totalité par l’inflation des prix ! En volume, l’augmentation ne représente que 9 % et elle bénéficie surtout au Canada, les exportations européennes ayant, quant à elles, plutôt diminué depuis !

Évolution des échanges avec le Canada en volume (source © Eurostat / Le Monde)

Objectivement, les éleveurs européens ont plutôt profité jusqu’à présent de cet accord puisque les exportations européennes vers le Canada de viande bovine et surtout de fromages ont fortement augmenté depuis. Mais leur crainte est que les éleveurs canadiens ne profitent de ce cadre favorable pour investir en masse le marché européen avec leur bœuf aux hormones produit selon des normes environnementales et sanitaires nettement moins contraignantes qu’en Europe.

C’est là tout l’enjeu de ces accords de libre-échange qui profitent surtout aux grosses multinationales implantées dans des pays où les normes sanitaires et environnementales sont les plus laxistes, et qui ont donc pour effet une moindre protection des consommateurs, une concurrence accrue au détriment des petits producteurs locaux et une augmentation des flux internationaux de marchandises, ce qui va à l’encontre des efforts entrepris pour réduire nos émissions de gaz à effets de serre et notre impact sur la biodiversité. C’est bien pour cette raison que la Convention citoyenne pour le climat s’était exprimé contre cet accord en juin 2020. Emmanuel Macron ne l’a pas entendu alors que même les sénateurs, pourtant réputés comme peu progressistes, ont fini par le comprendre…

L. V.

Projet Nestor : EDF vend son âme au diable…

11 mars 2024

C’est une enquête de Géraldine Hallot, de la cellule d’investigation de Radio France, qui a mis le doigt sur le malaise en train de se développer au sein des équipes d’EDF Hydro et d’EDF Renouvelables, une holding créée en 2004 et dénommée ainsi depuis 2018, filiale à 100 % d’EDF, et qui est axée surtout sur le développement de projets d’énergie éolienne, de solaire photovoltaïque et de stockage de l’électricité.

Cette filiale, forte de 3000 agents dans le monde, est implantée dans de nombreux pays dont l’Arabie Saoudite où elle exploite déjà, en consortium avec la société émiratie Masdar et le conglomérat saoudien Nesma Company, la centrale solaire de South Jeddah, d’une capacité de 300 MW, et le plus grand parc éolien en activité du Moyen-Orient, à Dumar Al Jandal. Elle vient aussi de remporter l’appel d’offre pour développer, construire et exploiter, à partir de 2025, la future centrale solaire d’Al Henakiyah, d’une capacité de 1,1 GW.

Maquette de la centrale solaire de 300 MW implantée au sud de Jeddah (photo © Masdar / PV Tech)

Des projets dont le groupe EDF peut légitimement tirer une certaine fierté, tout comme la mise en service, prévue cette année, de l’usine hydroélectrique de 420 MW sur le fleuve Sanaga, à Nachtigal, au Cameroun, et bien d’autres projets dans le monde et en France où EDF Hydro ambitionne d’augmenter de 2000 MW supplémentaires sa capacité de production hydroélectrique via l’optimisation de ses installations existantes et par le développement de stations de transfert de l’énergie par pompage (STEP), qui permettent de fait de stocker de l’énergie en remplissant des réservoirs en hauteur lorsque la production électrique est excédentaire, réservoirs dont l’eau peut ensuite être turbinée pour produire de l’électricité à la demande. Autant de projets qui contribuent à l’alimentation en électricité des populations et à la décarbonation de nos sources d’énergie.

Le prince Mohamed ben Salman faisant la promotion de son projet de ville futuriste « The Line » en 2021 (photo © Bandar al-Jaloud / Saudi Royal Palace / AFP / France TV Info)

Mais EDF s’est lancée en parallèle dans une aventure, toujours en Arabie Saoudite, qui est loin de susciter le même enthousiasme au sein de ses équipes. Il s’agit ni plus ni moins que de concevoir en plein désert une usine hydroélectrique et son réservoir de stockage, afin de garantir l’approvisionnement en électricité d’un projet urbain aussi farfelu que démesuré, tout droit sorti de l’imagination délirante du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed ben Salman, qui s’est mis en tête de créer ex nihilo, dans la province désertique de Tabuk, au nord-ouest du pays, une mégapole du nom de Neom, dont la superficie devrait approcher celle de la Belgique toute entière…

Vue d’artiste du projet « The Line », un immense gratte-ciel horizontal sur 170 km de long en plein désert (source © Neom / Vert-eco)

Ce projet pharaonique, dont la promotion est assurée à grands coups de clips hollywoodiens, prévoit notamment l’aménagement d’une station de ski en plein désert, où le prince a prévu d’organiser les jeux asiatiques d’hiver en 2029, ainsi qu’une île pour séjours touristiques de luxe sur la mer Rouge et un port flottant, mais surtout une ville-immeuble totalement futuriste. Baptisée « The Line », cette immense barre de 170 km de long sur 200 m de largeur culminera à 500 m de hauteur, nettement plus haut donc que la tour Eiffel. Dans cette ville verticale du futur, destinée à accueillir pas moins de 9 millions d’habitants, tous richissimes, les déplacements se feront tout simplement en taxis volants, tout comme dans le film de Luc Besson, « Le cinquième élément ».

Esquisses de la ville futuriste « The Line », un immense gratte-ciel horizontal sur 170 km de long en plein désert (source © Gerson Cardosso / Neom / La Republica)

Et bien entendu, pour rester dans l’air du temps, cette cité utopique au pays de l’or noir, ne consommera que de l’énergie renouvelable, à base de solaire et d’éolien. Seul petit hic : ces sources d’énergie étant par nature intermittentes, il faudra bien prévoir un dispositif de stockage pour éclairer tout ce beau monde la nuit, d’où la présence d’EDF qui a offert son expertise au prince héritier et ceci dès le mois d’octobre 2018, alors que le monde entier s’émouvait d’apprendre qu’un journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, venait d’être assassiné et proprement démembré dans les locaux de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Istambul sur ordre de ce même Mohamed ben Salman, par moment un peu irascible.

En 2021, EDF remettait un premier inventaire des sites potentiellement favorable à l’implantation de la future STEP et engageait dans la foulée les études de faisabilité désormais bien avancées de ce qui est devenu le projet Nestor. Bien entendu, construire une centrale hydroélectrique en plein désert en l’absence d’eau présente quelques menues contraintes. Pas plus cependant que d’y aménager une station de ski… Le problème a d’ailleurs été vite réglé et il suffira de prélever l’eau acheminée par pipe line depuis une usine de dessalement, quitte à construire une nouvelle usine sur la mer Rouge si la première se montre insuffisante.

Maquette du futur lac artificiel de la station de ski Trojana, intégrée dans le projet Neom (source © Neom / AFP / Libération)

Car forcément, même si la future « Line » se veut à la pointe de l’innovation et devrait présenter un mode de fonctionnement exemplaire, sa construction n’est pas neutre en termes d’empreinte environnementale. Autant le reconnaître, c’est même une totale aberration. La seule construction de la future cité nécessitera des volumes inimaginables d’acier et de béton qu’il faudra acheminer en plein désert et devrait produire à elle-seule de l’ordre de 1,8 milliard de tonnes de CO2, soit l’équivalent de quatre fois les émissions annuelles d’un pays comme la Grande-Bretagne…

Maquette des futurs immeubles d’habitation de « The Line » (source © Neom / The Line)

Et ceci pour un bénéfice social très discutable, car forcément, jouer au golf et skier dans le désert tout en se déplaçant en taxi volant ne sera pas donné à tout le monde. Au-delà de flatter l’ego de l’ambitieux prince héritier, la future Neom, si elle voit effectivement le jour, sera naturellement réservée à une élite richissime, par ailleurs soigneusement triée sur le volet et fliquée en permanence. Car on ne rigole pas avec l’autorité au pays de Mohamed ben Salman. Plusieurs membres de la tribu des Howeitat, qui ont la malchance de vivre sur le territoire du futur projet et qui se montrent quelque peu récalcitrant à céder leurs terrains ont déjà été assassinés ou arrêtés et, pour cinq d’entre eux, jugés à huis clos et condamnés à la décapitation, officiellement pour « atteinte à la sûreté d’État ».

De quoi faire tousser certains agents d’EDF, embarqués malgré eux dans ce projet délirant et bien éloigné de l’idéal de service public qui anime cet organisme depuis sa création. Une majorité d’entre eux a exprimé ses réticences et une alerte éthique a même été lancée auprès de la direction d’EDF dès 2022, tant le projet paraît à l’antithèse des objectifs de responsabilité sociétale et environnementale prônés par EDF. Mais la direction ne veut pas entendre ces doutes et, selon l’enquête menée par Radio France, un climat malsain est en train de se développer au sein des équipes, mélange de pression amicale et de menaces voilées, histoire que chacun comprenne qu’il est bien entendu libre de ses opinions mais que s’il n’est pas en phase avec le projet, il vaudrait mieux qu’il aille voir ailleurs : ambiance, ambiance…

L. V.

La sécheresse s’installe en Catalogne

9 mars 2024

« La Catalogne souffre de sa pire sécheresse depuis un siècle » a annoncé le 1er février 2024 Pere Aragonès, président du gouvernement régional catalan, avant de déclencher l’état d’urgence pour Barcelone et sa périphérie, soit plus de 6 millions d’habitants directement concernés. Depuis 3 ans, le littoral catalan, tant en France qu’en Espagne, connait en effet un déficit pluviométrique majeur, le plus important jamais observé depuis le début des observations météorologiques locales en 1916. A Barcelone, les pelouses des jardins publics, qui ne sont plus arrosées depuis des mois, sont totalement desséchées, de même que les voies enherbées des tramways. Plus de 500 arbres d’alignement sont morts l’an dernier du fait de la sécheresse et on déplore même la mort d’une jeune femme tuée par la chute brutale d’un palmier à bout de souffle…

Le lac réservoir de Sau, partiellement asséché en février 2024, avec son église du XIe siècle actuellement émergée (photo © Lluis Gene / AFP / Sud Ouest)

L’approvisionnement en eau potable de la métropole catalane, située dans une zone de plus en plus aride, sans ressources hydrographique majeure, a toujours été problématique, mais il devient un véritable casse-tête pour les autorités. La principale source d’approvisionnement est le lac-réservoir de Sau, planifié dès 1931 mais mis en service en 1963 seulement, sur le fleuve Ter, avec deux autres aménagements, ceux de Susqueda, en aval, et celui de Pasteral, destinés à alimenter notamment Barcelone, Gerone et la Costa Brava.

Long de 17 km, le lac de Sau contient un volume total de 177 millions de m3. Mais début février, le réservoir ne contenait plus que 16 % de sa capacité, ce qui a entraîné le déclenchement du seuil d’alerte. Et depuis, la situation ne fait que s’aggraver malgré les quelques pluies de ces derniers jours, le seuil de remplissage étant descendu sous la barre des 10 % début mars. Le 7 mars 2024, la commission sécheresse de la Generalitat de Catalogne s’est donc de nouveau réunie pour décider du passage à la phase 2 de l’état d’urgence du plan sécheresse, qui se traduit par un net durcissement des restrictions, concernant pour l’instant uniquement 12 communes du nord-est de la Catalogne.

Le lac réservoir de Darnius-Boadella en temps normal (source © M2lux) et fin février 2024… (photo © generalitat de Catalunya / France TV info)

Celles-ci dépendent d’un autre barrage-réservoir, celui de Darnius-Boadella, un ouvrage de 63 m de haut, achevé en 1969 sur la rivière Muga et qui ne contient plus que 7 millions de m3, soit à peine 11 % de sa capacité totale de stockage ! En phase 2 de l’état d’urgence du plan sécheresse, la consommation maximale d’eau autorisée par habitant est réduite à 180 litres par jour et il est totalement interdit d’arroser les jardins ou les espaces verts. Même les douches des installations sportives sont désormais interdites d’utilisation !

Pour les 227 autres communes qui restent au niveau 1, les restrictions sont déjà très conséquentes. L’agriculture doit réduire sa consommation habituelle d’eau de 80 %, les éleveurs de 50 % et l’industrie de 25 %, tandis que le plafond maximum autorisé est de 200 litres par jour et par habitant. Cette dernière valeur reste d’ailleurs plutôt confortable, la consommation moyenne quotidienne des Barcelonais se situant autour de 106 litres alors qu’elle est de l’ordre de 150 litres en France mais qu’elle dépasse allègrement les 250 litres dans les zones touristiques…

Piscine de l’hôtel GHT à Tossa de Mar sur la Costa Brava (source © Trip advisor)

C’est justement la question des piscines qui fait débat. Dès le niveau 1 du plan sécheresse, il est en principe interdit de remplir et même d’ajuster le niveau des piscines. Mais des assouplissements ont d’ores et déjà été accordés face à la bronca des hôteliers qui s’alarment de ces mesures de restriction à quelques semaines du démarrage de la saison touristique.

Le syndicat des hôteliers de Lloret de Mar, une station balnéaire très fréquentée de la Costa Brava qui accueille chaque année près d’un million de touristes, a ainsi annoncé son intention d’investir dans l’achat d’une station de dessalement de l’eau de mer. Installée à même la plage et alimentée par un puits creusé dans le sable, l’usine permettra de produire 50 m3 d’eau douce à l’heure, de quoi alimenter les 40 000 piscines des établissements hôteliers concernés, pour la modique somme de 1,5 million d’euros… Un tel projet fait débat mais les hôteliers ont prévu de reverser leurs surplus d’eau dessalinisée dans le réseau d’eau potable de la ville, ce qui devrait achever de convaincre les autorités de leur donner le feu vert malgré les réticences de l’Agence de l’Eau catalane.

En 2008 déjà, Barcelone avait dû être alimentée en eau potable par bateaux-citernes (photo © Joseph Lago / AFP / Sud Ouest)

Déjà en 2008, la Catalogne avait dû faire face à une sécheresse intense et avait alors fait venir de l’eau par bateaux-citernes depuis Tarragone et même depuis Marseille : de l’eau prélevée dans le Verdon par la Société du Canal de Provence et revendue ainsi pour alimenter les piscines et les golfs de la Costa Brava alors que les éleveurs des Alpes de Haute-Provence restreignaient leur consommation. Pourtant, en 2008, le niveau de remplissage des 6 principaux barrages-réservoirs de Catalogne n’était pas descendu en dessous de 21 % de leur capacité maximale alors qu’il est désormais en dessous du seuil critique de 16 % !

Usine de dessalinisation de l’eau de mer près de Barcelone (source © France TV info)

Une usine de dessalinisation de l’eau de mer avait d’ailleurs été construite dans la banlieue sud de Barcelone, à la suite de cette sécheresse de 2008. Elle produit 200 000 m3 d’eau douce par jour grâce à la technique de l’osmose inverse, mais ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport aux immenses besoins de la métropole catalane et de son littoral touristique surfréquenté. Il est d’ailleurs question désormais de faire venir par bateau de l’eau douce issue d’une autre usine de dessalinisation située à Sagunto près de Valence.

Une solution prônée en dernier ressort par le ministère espagnol de la transition écologique qui doit faire face en parallèle à un épisode de sécheresse et de pénurie d’eau tout aussi inquiétant dans le sud du pays, en Andalousie et qui n’a pas trouvé d’autre solution que d’organiser des transferts d’eau douce par bateaux citernes probablement depuis l’usine de dessalinisation d’Escombreras, près de Carthagène.

La culture intensive sous serres en Andalousie, près d’Alméria, dans une région soumise à une forte tension des ressources en eau (source © Mr Mondialisation)

C’est le ministère central qui assumera les coûts de dessalinisation tandis que l’exécutif régional se chargera de régler la facture du transport maritime vers les ports d’Alméria, de Malaga, de Cadix, et d’Algésiras, pour un coût de l’ordre de 60 à 70 centimes par m3 d’eau ainsi transporté. Une facture qui devrait s’élever à plus de 20 millions d’euros pour cet été, de quoi faire réfléchir le gouvernement régional andalou à la nécessité d’adapter son agriculture pour réduire sa consommation d’eau dans un secteur en voie de désertification avancé mais qui continue d’inonder toute l’Europe avec ses fruits et légumes produits sous serres…

L. V.

La région face à la mondialisation et aux nouveaux défis de l’innovation (1ère partie)

6 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 25 février 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle.

Souhaitant revenir sur les différentes initiatives prises localement en faveur de la recherche appliquée et du développement technologique, GoMet a sollicité Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS et élu à la mairie de Marseille de 1989 à 1995, alors chargé du développement des technopôles et des universités. Président-fondateur de POPsud en 2000 puis d’Optitec en 2006, il créa également le Comité national d’optique et photonique regroupant les pôles régionaux en optique ainsi que les industriels de la filière. A la fin des années 2000, administrateur de la plateforme européenne Photonics 21, il crée le réseau Optique Méditerranéen, ainsi que l’European Network of Optical Clusters (ENOC). Il dirigea de 2010 à 2018 le fond régional d’investissement Paca Investissement, aujourd’hui Région Sud Inves. Il a aussi été le premier président du Cercle progressiste carnussien et a été élu au Conseil municipal de Carnoux en 2020.

Cette chronique est le premier volet d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des différentes structures mises en place localement pour accompagner et favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité… Les deux autres volets de cette série, seront publiés ultérieurement, en décalé avec leur diffusion sur GoMet

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

1970-2000 : le fait technopolitain

La première initiative de mutation technologique de l’économie française s’est matérialisée par la naissance des technopôles, conçus comme des espaces protégés, consacrés aux hautes technologies, basés sur une stratégie territoriale simple et efficace : (re)localiser les entreprises technologiques sur un territoire susceptible d’accélérer leur développement en proximité d’écoles d’ingénieurs et de laboratoires de recherches. Sophia Antipolis constitua, dès 1969, un précurseur largement financé par l’État (Datar), suivi de Grenoble en 1971. Ils ne faisaient que s’inscrire dans le sillage de laRoute 128 (le “demi-cercle magique” de Boston), apparu à la fin des années 50 à proximité de l’Université de Harvardet du MIT, et de la Silicon Valley en Californie dans les années 60 autour des entreprises de semi-conducteurs et de l’Université de Stanford. 

Les technopôlessont donc avant tout, à cette époque, des lieux structurés pour favoriser les relations université-recherche-entreprises, avec l’idée simple de « transformer l’intelligence en richesse ». Dans les Bouches-du-Rhône, trois technopôles virent ainsi le jour. 

Premier en date, le technopôle de Luminy fut structuré en 1985 autour des bio-techs sur un site universitaire développé dans les années 1970 autour des mathématiques, de la physique, de l’architecture et du sport. Il s’étend sur une centaine d’hectares. 

Entrée du Laboratoire d’astrophysique de Marseille sur le technopôle de Château-Gombert (photo © Gomet)

Le technopôle de Château-Gombert date, lui, du début des années 1990 et correspondait plutôt à la thématique des sciences de l’ingénieur. Il fit l’objet d’une action à la fois financée par l’État avec la création de l’Institut Méditerranéen de Technologie (IMT) et par la ville de Marseille avec une opération foncière touchant 180 ha. L’implication de l’État, avec le déménagement d’écoles d’ingénieurs et celle de la Chambre de Commerce, avec la création de la Maison du Développement Industriel (MDI), furent déterminantes. Le scientifique et ministre Hubert Curien fut d’ailleurs président du Groupement d’Intérêt Public créé à cet effet.

Le technopôle de l’Arbois démarre, lui, en 1995, avec l’installation du Centre de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CeReGE) dans les locaux rénovés de l’ancien sanatorium. Il se développe vraiment dans les années 2000, sur 75 ha, autour de la thématique de l’environnement.

Le salon Envirorisk sur le technopôle de l’Arbois, reconnu par le label Parc+ (photo © Christian Apothéloz / Gomet)

De 1970 aux années 2000, la structuration du monde de l’innovation en France est donc marquée par la création de divers “technopôles” (au masculin), de “technopoles” (au féminin), de “parcs technologiques”, de “parcs scientifiques”, de “zones d’innovations”, de “vallées scientifiques”, de “polygones technologiques”, qui, quel que soit le vocable, se réfèrent tous au même concept : un espace spécifique protégé à vocation scientifique et technologique. Il y en a une cinquantaine en France.

Les technopôles : un bilan positif, mais contrasté

Le bilan de ces 40 années d’existence est contrasté. Bâtis sur le modèle américain de la Silicon Valley, ils sont loin d’avoir eu son dynamisme. Selon le réseau Retis et une enquête du journal Les Echos en 2022, les 43 technopôles référencés regroupent 14 000 entreprises et 180 000 salariés. C’est évidemment bien loin des 504 000 emplois du secteur de l’innovation localisés dans la Silicon Valley (auxquels il faudrait rajouter 571 000 emplois dans l’innovation en Californie du Sud). En fait, si les technopôles français ont largement contribué à développer les synergies entre les entreprises innovantes et la recherche publique, ils n’ont jamais vraiment réussi à concentrer les outils et les moyens de leur développement.

L’une des critiques est que la concentration d’activités technologiques les isole de fait du reste de la vie économique. Le croisement vertueux de la connaissance y reste limité. Les technopôles peinent à rayonner sur l’ensemble du tissu économique local. Les initiatives communes des différents acteurs publics et privés se heurtent rapidement aux clôtures-même du technopôle : il y a ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui sont à l’extérieur. Le développement du concept, théoriquement plus ouvert, de technopôles urbains (comme Château-Gombert) n’a pas pleinement répondu à cette difficulté.

Le campus de la faculté des sciences et du sport à Luminy, en bordure des Calanques (photo © Gomet)

Le second problème est que les technopôles n’ont pas réussi (à quelques exceptions près) à attirer un financement suffisant pour le développement de leurs entreprises. D’ailleurs, même aujourd’hui, si en France comme en Europe, la valeur des investissements en capital-risque a triplé en 10 ans, le fossé continue de se creuser avec les États-Unis où cet effort est plus du triple de celui de toute l’Europe et se concentre particulièrement sur les zones technologiques peu nombreuses, hébergées sur une dizaine d’États seulement. De plus, la part du capital-risque consacrée à l’innovation scientifique et technologique est inférieure à 50 % en Europe et supérieure à 85 % aux USA. Et la seule Silicon Valley concentre 20 à 25 % de tout l’investissement capital-risque américain en matière d’innovation…

Les politiques locales sont aussi parfois contestées : concernant les technopôles français, si les opérations foncières à maîtrise publique ont été déterminantes, elles ont été bien souvent, pour des raisons de rentabilité à court terme, alimentées par des opportunités de relocalisations d’entreprises existantes au détriment de l’aide aux startups. Même si les lieux d’hébergement dédiés (espaces de coworking, pépinières, incubateurs, accélérateurs) se multiplient, la fragmentation existe et elle n’est pas toujours favorable à l’innovation.

Les technopôles ne pouvaient donc répondre seuls au défi de l’innovation. D’ailleurs, les acteurs eux-mêmes l’avaient bien compris. En Provence, il y aurait eu place à un technopole marin et portuaire ou à un autre dans le domaine de l’aéronautique. Ces deux secteurs étaient développés, dynamiques, localisés et avaient besoin d’innovation. Mais dès les années 2000, le vent avait tourné. Le développement de réseaux, de nouveaux pôles, non localisés semblait plus prometteur.

J. Bx.

Département : Martine Vassal rechigne à aider Marseille

2 mars 2024

C’est un véritable psychodrame qui s’est joué cette semaine entre le maire de Marseille, Benoît Payan, et celle qui espérait bien le devenir à sa place mais s’était fait battre à plates coutures aux dernières élections municipales, tout en restant présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône. C’est à ce dernier titre que Martine Vassal avait proposé de rencontrer le maire de Marseille, une commune qui concentre à elle-seule plus de 42 % de la population de tout le département.

L’enjeu de ces échanges qui se sont déroulés le jeudi 29 février 2024 était de discuter des subventions du Conseil départemental à la Ville de Marseille. Contrairement à ce qu’on pourrait croire en effet, le Département des Bouches-du-Rhône dépense plus d’argent en subventions accordées aux 119 communes de son territoire que pour assurer ses propres investissements destinés à remplir les missions obligatoires qui lui sont confiées. Le pli avait déjà été pris par Jean-Noël Guérini qui avait dirigé le Département de 1998 à 2015. A l’époque, le montant annuel des subventions aux communes atteignait en moyenne 103 millions d’euros par an. Lorsque Martine Vassal a pris la tête de l’institution, en 2015, elle a encore renforcé ce volet d’aide aux communes qui a atteint en moyenne un peu plus de 155 M€ par an !

Le Bateau bleu, siège du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône à Marseille (source © Conseil départemental 13)

Le Département est désormais fortement endetté et ses finances sont dans le rouge comme le reconnait bien volontiers Yves Moraine, son vice-président délégué aux finances, qui évoque « un contexte apocalyptique » pour présenter le projet de budget 2024 avec pas moins de 155 M€ prévus en 2024 uniquement pour payer les annuités de la dette en cours ! Mais cela n’empêche pas cette institution de prévoir encore 148 M€, soit 21,7 % de son budget total d’investissement, uniquement en subvention aux communes. C’est bien davantage que les 120 M€ destinés aux collèges ou les 63 M€ consacrés aux routes départementales, lesquels constituent pourtant ses compétences principales !

Mais ces subventions colossales versées par le Département aux communes constituent une arme redoutable pour s’attacher la fidélité des maires qui sont totalement dépendants de cette manne pour boucler leur propre budget d’investissement et mettre en œuvre leurs projet. C’est notamment le cas de la ville de Carnoux qui a signé un contrat départemental de développement et d’aménagement pour la période 2020-2022, pour un montant de travaux de près de 8 M€, et qui arrive depuis des années à se faire financer par le Département de l’ordre de 60 % de ses dépenses annuelles d’investissement pourtant élevées pour une commune de cette taille.

Martine Vassal présente lors de l’inauguration de l’hôtel de ville de Carnoux, largement cofinancé par le Département et par la Métropole (photo © CPC)

La plupart des villes dirigées par la droite bénéficient ainsi de plantureuses subventions de la part du Conseil départemental, mais l’aide n’est pas équitablement répartie. Même la Chambre régionale des Comptes s’en était étonnée dans son rapport d’observation émis en octobre 2022 qui évoquait « des dépenses d’investissement orientées vers une politique de redistribution ».

Sur la période 2013-2020, elle avait ainsi calculé que la ville de Marseille avait perçu du Département un montant total d’aides cumulées évalué à 147 M€, ce qui représente environ 170 € par habitant sur cette période de 8 ans. Dans le même temps, une commune comme Gignac-la-Nerthe recevait du Département plus de 2600 € par habitant ! A Carnoux, où le budget prévoit chaque année de l’ordre de 2 M€ de subvention du Département, le ratio atteint 320 € par habitant et par an, ce qui revient à 2 500 € par habitant sur ce même laps de temps !

C’est d’ailleurs fort de ces éléments que le nouveau maire de Marseille avait interpellé son homologue du Conseil départemental sachant que le dernier contrat avait été signé en 2016 entre Martine Vassal, fraîchement élue à la tête du Département, et Jean-Claude Gaudin, toujours maire de Marseille, pour un montant de 200 M€ qui ne serait toujours pas dépensé en totalité. Lors du dernier conseil municipal, le 16 février 2024, Martine Vassal avait proposé de renouveler ce contrat, pour le même montant de 200 M€, sur la base d’une liste de projet qu’elle avait elle-même dressée en décembre dernier, choisissant ses propres priorités comme si elle était elle-même aux commandes de la commune, décidant d’investir en priorité dans le déploiement de nouvelles caméras de surveillance et l’installation de nouveaux commissariats de police, ainsi que dans la rénovation de la piscine de Luminy, d’une médiathèque et de cuisines scolaires.

Martine Vassal met la priorité sur la sécurité, ici avec des représentants de la police et des pompiers (photo © CD 13 / La Marseillaise)

C’était donc l’objectif de cette réunion du 29 février au cours de laquelle Martine Vassal avait invité le maire de Marseille au siège du Conseil départemental en prenant bien soin de préciser au préalable : « nous allons choisir ensemble les projets que le Département financera. Je soutiendrai les projets en accord avec ma vision, le Département n’est pas un tiroir-caisse ! ». Une main tendue que Benoît Payan a volontiers acceptée. Il s’est donc déplacé à la date convenue avec une liste de projets à financer, pour un montant global de 371 M€, arguant justement d’une nécessité de rééquilibrage de l’aide départementale en faveur des Marseillais jusqu’à présent plutôt lésés par ce dispositif.

Entre Martine Vassal et Benoît Payan, le torchon brûle (photo © Philippe Laurenson / La Provence)

Sauf que la main tendue s’est plutôt transformée en bras de fer, voire en doigt d’honneur entre les deux élus. Alors que la réunion s’était plutôt bien passée et qu’un communiqué commun était même envisagé avec une réunion technique prévue dans la foulée, Martine Vassal publie illico un communiqué affirmant que Benoît Payan est dans la surenchère et a refusé son chèque de 200 M€, l’accusant d’amateurisme et d’irresponsabilité. Une position immédiatement suivie par tout son camp politique, Renaud Muselier en tête qui tacle le maire de Marseille sur X : « il ne travaille pas, ne sait pas travailler. Un amateur qui tue Marseille », ambiance, ambiance…

Au Département des Bouches-du-Rhône, Martine célèbre l’armistice mais n’est pas encore prête à signer la paix avec Benoît… (source © Accents février 2018 – magasine du CD 13)

Une réaction qui laisse le maire de Marseille pantois et l’oblige à une mise au point, pour expliquer qu’il avait effectivement demandé une aide plus substantielle, sur la base d’une liste de projets précise, comme l’ont fait les autres communes du Département, mais qu’il ne refuse en aucun cas les 200 M€ proposés, se contentant même de 50 M€ si le Département n’est pas en capacité de faire plus, tout en regrettant ce traitement inéquitable qui défavorise les Marseillais. Une nouvelle réunion est programmée prochainement entre la maire de Marseille et la même Martine Vassal, cette fois en tant que présidente de la Métropole, mais on peut d’ores et déjà présager que le climat n’y sera probablement pas des plus cordial…

L. V.

Grotte Loubière : les chauves-souris de retour ?

28 février 2024

C’est un article publié par Marsactu, mardi 27 février 2024, qui le signale : la Ville de Marseille vient tout juste de lancer une consultation pour une mission de « maîtrise d’œuvre en vue de la renaturation de la Grotte Loubière en faveur des chiroptères ». Un énoncé un peu sibyllin mais qui a aussitôt attiré l’attention, au point que le Figaro a repris dès le lendemain l’information à l’échelle nationale après en avoir vérifié la source auprès de Christine Juste, adjointe au Maire de Marseille en charge de l’environnement, de la lutte contre les pollutions, de l’eau et l’assainissement, de la propreté de l’espace public, de la gestion des espaces naturels, de la biodiversité terrestre et de l’animal dans la ville, rien que ça… Avec ces galéjades de Marseillais, on n’est jamais trop prudent, et il vaut mieux vérifier ses sources deux fois qu’une !

L’état actuel de l’entrée de la grotte Loubière bouchée par des enrochements, ici en avril 2023 (photo © CPC)

Mais en l’occurrence, l’adjointe au Maire l’a bien confirmé : cette grotte située dans le massif de l’Étoile à quelques 2 km de Château-Gombert, a été identifié comme un ancien site de reproduction particulièrement favorable pour deux espèces de chauves-souris dont le Minioptère de Schreibers, sur les 23 espèces recensées dans les Bouches-du-Rhône, sans compter les deux espèces qui ont d’ores et déjà disparu, à savoir le Rhinolophe de Méhely et le Rhinolophe euryale. Car les colonies de chauves-souris font partie des espèces grandement menacées, victimes de l’urbanisation, de la destruction de leurs refuges traditionnels, de la pollution visuelle nocturne mais aussi et surtout des ravages faits par les pesticides.

Les chauves-souris bientôt de retour dans la grotte Loubière ? (photo © Benoît Morazé / Conseil départemental des Bouches du Rhône)

Une chauve-souris est en effet un véritable aspirateur à insectes qui dévore chaque nuit de l’ordre de 30 à 50 % de son propre poids et est donc particulièrement sensible aux effets des insecticides utilisés pour notre confort et pour la protection des cultures. En Camargue, où l’on estime à un peu plus de 10 000 la population de chauves-souris encore présentes, ce sont donc environ 40 kg, soit 6 à 10 millions de moustiques qui sont ainsi dévorés chaque nuit, soit de l’ordre de 2 milliards de moustiques qui finissent chaque année dans le ventre de ces précieux auxiliaires !

La grotte Loubière, éloignée de toute habitation, en plein massif de l’Étoile, paraît effectivement être un site intéressant pour ces chauves-souris qui ont de plus en plus de mal à trouver des refuges adaptés à leurs besoins. Mais l’entrée de cet ancien abri sous roche a été muré par de gros enrochements en mars 1989 et n’est plus accessible depuis. L’idée serait donc de réaménager les accès à la grotte et de rendre celle-ci plus propice à la fréquentation des chiroptères, après avoir nettoyé l’intérieur de certains aménagements artificiels.

Entrée de la Baume Loubière dans son état naturel avant qu’elle ne soit fermée par les services de la Ville de Marseille (source © Tourisme in Marseille)

Car cette grotte a connu bien des vicissitudes depuis sa découverte qu’on attribue à un certain J. Simonet, lequel a inscrit sur une stalactite son nom et la date de ses premières explorations, en 1829. Mais il n’est bien évidemment pas le premier humain à y avoir pénétré, loin s’en faut ! Dès 1893, une communication scientifique signée par E. Fournier et C. Rivière et présentée à la Société d’anthropologie de Paris, fait état d’importantes découvertes archéologiques attribuées au Néolithique, effectuées à faible profondeur dans le sol de la grotte : couteaux, racloirs, grattoirs, poinçons en os, tessons de poteries et éclats de silex y ont été retrouvés en nombre, témoignant que cette cavité souterraine s’ouvrant par un large porche bien exposé a été un abri très prisé de nombre de nos ancêtres.

Plan de la grotte Loubière dressé en 1899 (source © Gombertois)

A l’époque, les deux scientifiques décrivent en détail les principales salles de cette cavité karstique naturelle creusée dans le calcaire urgonien du massif et croient nécessaires de démentir au passage la rumeur que les galeries s’enfoncent jusqu’à rejoindre la ville d’Aix-en-Provence ! Mais en 1898, un drame se produit : on retrouve dans la Baume Loubière le corps sans vie d’une fillette violée et assassinée. Il faudra d’ailleurs attendre 1915 pour connaître le nom de son meurtrier, un berger des environs, qui soulage sa conscience avant de mourir, de quoi inspirer le romancier marseillais, Jean Contrucci, qui en a tiré une nouvelle enquête de son héros, Raoul Signoret, dans son ouvrage titré L’affaire de la Soubeyranne.

Ce fait divers fait tellement de bruit à l’époque que les autorités décident illico de murer les entrées de la grotte. Mais en 1930, une société privée décide d’investir dans l’exploitation touristique de la Baume Loubière et entreprend alors des travaux pour aménager un circuit de visite. A l’époque, on ne faisait pas dans la dentelle et les déblais de terrassement sont purement et simplement jetés à l’entrée où un archéologue, Georges Daumas, entreprend en 1931 quelques observations sommaires. Il découvre notamment une hache en serpentine polie, de nombreux colliers de coquillages et des fragments d’ustensiles ménagers qui lui permettent d’affirmer que cette grotte, spacieuse, facile à défendre et possédant d’abondantes réserves d’eau constitue la plus importante station préhistorique des environs de Marseille à l’âge de la Pierre polie.

État actuel de la grotte Loubière visitée en mai 2020 par des amateurs d’exploration urbex (extrait capture vidéo © YouTube)

En 1936, M. Dujardin-Weqer, membre de la Société de Géographie et de Spéléologie y fit la découverte d’un squelette préhistorique d’Homo-sapiens. Mais l’exploitation touristique de la grotte ne permit jamais de la fouiller correctement. A la fin des années 1980, le restaurant avec piscine, installé à l’entrée de la grotte connait une forte fréquentation : on y organise des mariages et des fêtes avec visite de la grotte qui se transforme de fait en boîte de nuit. Cette fréquentation perdura jusqu’en 1989, date à laquelle la mairie décide de fermer purement et simplement l’entrée de la grotte avec des grilles puis de gros blocs de pierres encore renforcés en 2021 pour éviter tout risque d’intrusion. Le restaurant quant à lui est resté encore ouvert quelques années jusqu’en 1994 avant d’être abandonné, puis squatté et finalement rasé.

L’avenir dira si ce lieu chargé d’histoire mais bien malmené au cours du dernier siècle, retrouvera un jour sa quiétude pour servir d’abri aux chauves-souris avant que celles-ci ne finissent par disparaître totalement…

L. V.

Russie : Poutine réécrit l’Histoire et tend les frontières

26 février 2024

Le président russe Vladimir Poutine, ancien officier du KGB au pouvoir depuis le 31 décembre 1999, il y a donc bientôt un quart de siècle, s’apprête à se faire réélire pour un nouveau mandat présidentiel lors des prochaines élections prévues du 15 au 17 mars 2024. Une simple formalité, jouée d’avance, surtout après le décès suspect au goulag, de son seul opposant politique déclaré, Alexei Navalny, déclaré mort par les autorités russes le 16 février 2024, un mois avant l’échéance électorale.

Pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, il y a tout juste 2 ans, Vladimir Poutine vient de se livrer à un exercice peu fréquent en acceptant de se faire interviewer, au Kremlin, le 6 février dernier, par un journaliste occidental, en l’occurrence l’Américain Tucker Carlson, ex-animateur de Fox News et proche de Donald Trump. Une interview qui a en réalité tourné au monologue, le journaliste laissant le président russe déployer sa propagande, avec notamment un argumentaire de 23 minutes sans interruptions, au cours duquel Poutine a largement réécrit l’histoire de l’Ukraine, présentée comme le berceau de l’empire russe et un État totalement artificiel, manipulé par les volontés expansionnistes de l’OTAN et que la Russie s’emploie actuellement à dénazifier.

Le président russe Vladimir Poutine face au journaliste américain Tucker Carlson, au Kremlin, le 6 février 2024 (photo © President of Russia Office / Apaimages / SIPA / 20 minutes)

Vladimir Poutine n’a pas hésité pour cela à remonter jusqu’au IXe siècle, à l’époque où se met en place l’État de la Rus’, qui englobe le nord de l’Ukraine actuelle, la Biélorussie, et une petite partie occidentale de la Russie. Sa démonstration pseudo historique lui a d’ailleurs attiré un petit rappel à l’ordre de la part de l’ancien président de la Mongolie, Tsakhia Elbegdorj, qui s’est permis de lui rappeler, cartes à l’appui, que ses ancêtres Mongols, à la suite d’ailleurs des Tatars, envahirent au XIIIe siècle l’essentiel de ce territoire et fondèrent un des plus vastes empires du monde.

L’expansion de l’empire russe et son extension maximale en 1914 (source © L’Histoire)

Il fallut alors aux Russes attendre 1462 pour reconquérir Moscou et sa région, et finalement l’avènement de Pierre-le-Grand, au XVIIIe siècle pour que l’empire russe débute son expansion territoriale qui a marqué son apogée à la veille de la Première guerre mondiale. Le fait que la Russie ait alors fortement perdu de son emprise territoriale à la suite de la révolution bolchévique de 1917 et de la guerre civile qui s’en est suivie, est de fait soigneusement occultée par le pouvoir actuel qui a une fâcheuse tendance à vouloir réécrire l’Histoire.

Une scène de la guerre du Caucase, peinte par Franz Roubaud, une guerre coloniale menée par l’Empire russe entre 1775 et 1864 (source © Areion24)

La démarche n’est pas nouvelle et Staline avant Poutine l’a pratiqué à grande échelle. Mais elle est désormais institutionnalisée depuis la réforme constitutionnelle de 2020 qui a permis, outre le maintien au pouvoir de Vladimir Poutine jusqu’en 2036, d’acter le devoir impérieux de « défendre la vérité historique » et de « protéger la mémoire de la Grande Guerre Patriotique » qui désigne pour les Russes la Seconde guerre mondiale. Selon le discours officiel, ceux qui s’écartent du narratif officiel sont « les équivalents modernes des collaborateurs nazis ». Sous le régime de Poutine, on ne fait pas dans la dentelle et on ne s’encombre guère des nuances qui font toute la richesse de l’analyse historique… Pour le Kremlin évoquer le pacte germano-soviétique de 1939, le massacre de Katyn auquel se sont livrés les Russes contre des officiers polonais en avril-mai 1940, ou encore la présence de hauts dignitaires nazis sur la place Rouge pour le défilé militaire du 1er mai 1941, et surtout l’occupation brutale des pays d’Europe de l’Est par les forces armées soviétiques après 1945, relève de la provocation et du révisionnisme antipatriotique.

Parade militaire sur la place Rouge à Moscou le 7 novembre 2019, en souvenir du départ des troupes russes en novembre 1941 pour contrer l’invasion allemande suite à la rupture du pacte germano-soviétique (photo © Dimitar Dilkoff / AFP / L’Express)

Une position qui répond manifestement à l’attente d’une majorité de la population qui cherche à renouer avec la grandeur passée de l’Empire Russe, et que le pouvoir de Vladimir Poutine entretient consciencieusement. En 2009 a ainsi été créée la Commission présidentielle de la Fédération de Russie de lutte contre les tentatives de falsifier l’histoire, puis en 2012 la Société historique militaire russe, destinées à entretenir au sein de la population une vision historique glorieuse et quelque peu biaisée de l’histoire du pays, dans l’optique d’accréditer l’idée que les Russes ont besoin d’un pouvoir fort, héritier d’une tradition militaire conquérante.

De nouvelles lois mémorielles ont été promulguées qui pénalisent non seulement l’apologie du nazisme mais simplement « l’irrévérence envers les symboles de la gloire militaire russe, le fait de répandre des informations qui manquent de respect envers les jours fériés liés à la défense du pays, ou le fait de diffuser consciemment des fausses informations sur les activités de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ». Un arsenal législatif qui a été notamment utilisé pour condamner des internautes qui s’émouvaient des interventions militaires russes en Syrie ou en Crimée.

Soldats russes en répétition avant le défilé militaire prévu le 9 mai 2022 sur la place Rouge à Moscou (photo © Maxim Shipenkof / EPA-EFE / Ouest France)

La guerre de conquête et d’annexion que mène actuellement la Russie en Ukraine s’inscrit assez clairement dans cette volonté expansionniste que Catherine II elle-même avait exprimée dès la fin du XVIIIe siècle, déclarant alors « je n’ai d’autres moyens de défendre mes frontières que de les étendre ». Une analyse qui s’appuie sur une réalité géographique, faute de frontières naturelles à l’ancien Empire Russe, mais que ne renierait pas Vladimir Poutine, lui qui, en 2016, alors qu’il remettait des prix dans les locaux de la Société russe de géographie, reprenait un écolier qui énumérait avec brio les frontières actuelles du pays, le reprenait en ces termes : « Non, non les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ! ».

Etat actuel des relations frontalières de la Russie avec ses 14 voisins (source © Le Monde)

De fait, une infographie publiée récemment dans Le Monde et analysée notamment sur France Culture, met en évidence que sur les 20 000 km de frontières de la Russie actuelle, avec pas moins de 14 pays, une bonne partie fait l’objet de relations tendues. Seules la Chine, la Corée du Nord, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie (par où les troupes russes ont pénétré en Ukraine) entretiennent de bonnes relations stratégiques avec leur voisin russe. A l’ouest en revanche, et sans même parler de l’Ukraine en guerre, la frontière est désormais totalement fermée avec les pays baltes mais aussi avec la Pologne et même avec la Finlande depuis que cette dernière a pris peur et cherche la protection de l’OTAN. Même la Géorgie, qui dispose pourtant depuis 2022 d’un gouvernement ouvertement prorusse, s’inquiète du bellicisme de son voisin qui a purement et simplement annexé les deux enclaves d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il ne fait pas bon vivre trop près de la tanière de l’ours russe quand il sort de sa torpeur…

L. V.

Il y a 80 ans, le dernier épisode de la bataille de l’eau lourde

21 février 2024

Il arrive parfois que des événements historiques soient tellement rocambolesques qu’ils dépassent les meilleurs scénarios de fiction. Ils en deviennent par conséquent une source d’inspiration inépuisable pour les auteurs de thrillers et de films d’action. C’est le cas de ce qui est resté dans l’Histoire comme « la bataille de l’eau lourde ». Cet épisode a inspiré dès 1947 un premier film franco-norvégien du même nom, sorte de docu-fiction dans lequel la plupart des vrais protagonistes jouent leur propre rôle. C’est aussi la toile de fond du film sorti en 1965 et intitulé Les héros de Telemark, dans lequel jouait notamment Kirk Douglas, mais aussi de celui réalisé en 2003 par Jean-Paul Rappeneau et intitulé Bon voyage. Une série norvégienne Les soldats de l’ombre, diffusée en 2015 en 5 épisodes, relate également en détail cette histoire qui a inspiré bien d’autres auteurs…

Extrait de la série norvégienne Heavy Water War : les soldats de l’ombre (source © Bulles de culture)

Pour se remettre dans le contexte, rappelons que les principes de la fission nucléaire, pressentis de manière théorique par Enrico Fermi et son équipe dès 1934, sont réellement décrits dans une publication cosignée par l’Allemand Otto Hahn, le 17 décembre 1938, lequel précise ensuite, début 1939, les résultats du bombardement d’un atome d’uranium par des neutrons. Le physicien danois Niels Bohr, alerté par les Autrichiens Lise Meitner, ancienne collaboratrice d’Otto Hahn, et son neveu Otto Frisch, évoque le sujet avec Albert Einstein, alors installé à Princeton après avoir fui l’Allemagne nazi.

Les physiciens Niels Bohr et Albert Einstein, ici en 1930 (source © P. Ehrenfest / Futura Science)

Ces scientifiques voient en effet se dessiner les impacts militaires d’une réaction de fission nucléaire qui dégage une énergie importante, au point qu’Albert Einstein, pacifiste convaincu, décide de cosigner le 2 août 1939 une lettre au président Roosevelt, l’alertant sur le risque d’une telle arme nucléaire sur laquelle travaillent les Allemands. On sait désormais que ces derniers n’ont jamais été en mesure d’aller au bout de ce projet mais qu’en revanche, les Américains en ont saisi rapidement l’intérêt et ont aussitôt créé l’Uranium Committe qui aboutira en 1942 au projet Manhattan puis à la première bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945. Au point que le physicien Albert Einstein regrettera publiquement avoir ainsi attiré l’attention du président américain…

En février 1939, c’est le Français Frédéric Joliot-Curie qui, avec Hans Halban et Lew Korwarski, démontre expérimentalement que la réaction en chaîne liée à la fission nucléaire peut se produire. Dès le mois de mai 1939, son équipe dépose plusieurs brevets qui sont, ni plus ni moins, que ceux du principe de la bombe atomique. Passé directement sous la houlette du ministère des armées alors que la France est d’ores et déjà en guerre avec l’Allemagne, Frédéric Joliot-Curie s’emploie à assurer l’approvisionnement de la France en uranium via un contrat avec l’Union minière du Haut-Katanga.

Frédéric Joliot (à gauche), Hans Halban et Lew Korwaski en 1933 (source © Wikipedia)

Mais il a aussi besoin d’eau lourde, dans laquelle les atomes d’hydrogène sont remplacés par son isotope, le deutérium, car cet élément est nécessaire pour contrôler la réaction en chaîne et éviter l’emballement en laboratoire. Les filières civiles des réacteurs nucléaires, dites à eau pressurisée, utilisent désormais de l’eau ordinaire comme modérateur de neutrons car ils fonctionnent avec de l’uranium enrichi, mais à l’époque, l’eau lourde est considérée comme le modérateur idéal pour limiter les collisions stériles avec l’uranium 238.

Il existe alors une seule usine au monde capable de produire de l’eau lourde, située à Vemork, en Norvège, et appartenant à la compagnie Norsk-Hydro, un opérateur d’hydro-électricité par ailleurs fabricant d’engrais azoté et qui a développé depuis 1935 la production commerciale d’eau lourde comme un sous-produit de son activité industrielle. En février 1940, le ministre français des armées, Raoul Dautry, organise donc une mission secrète et envoie des émissaires en Norvège pour négocier le rachat de la totalité du stock d’eau lourde disponible, soit 185 kg répartis dans 26 bidons. La Norvège est alors neutre mais l’Allemagne s’apprête à l’envahir et a été informée des projets français alors qu’elle-même souhaite s’approvisionner en eau lourde pour ses propres projets.

Salles d’électrolyse pour la production de l’eau lourde à l’usine de Vemork (source © Association du fort de Litroz)

Le précieux liquide est finalement rapporté en Écosse en mars 1940 après avoir été planqué dans la légation française à Oslo grâce à l’aide de résistants norvégiens. Rapatrié en France, le précieux chargement ne peut y rester suite à l’invasion allemande et le 18 juin 1940, Frédéric Joliot-Curie expédie à Londres ses deux précieux collaborateurs d’origine juive, Hans Halban et Lew Korwarski, qui parviennent à embarquer à Bordeaux à bord d’un navire charbonnier britannique, avec les bidons d’eau lourde et les brevets de la bombe atomique…

Mais ce n’est que la première manche de la bataille de l’eau lourde… Les Allemands ayant finalement envahi la Norvège contrôlent désormais l’usine stratégique de Vémork qui continue à produire de l’eau lourde et ils comptent bien s’en servir comme modérateurs à neutrons pour leurs expériences en vue de produire une bombe au plutonium. Alertés par la Résistance norvégienne, les services secrets britanniques décident de détruire l’usine.

Les résistants norvégiens en éclaireurs pour aller saboter l’usine, extrait du film La bataille de l’eau lourde, tourné en 1947 par Jean Dréville et Titus Vibe-Müller (source © L’heure de la sortie)

En octobre 1942, ils parachutent sur place 4 éclaireurs norvégiens, suffisamment loin de la zone pour ne pas être repérer. Ces derniers mettront d’ailleurs 15 jours pour rejoindre le site à ski et déclencher la seconde phase du plan qui consiste à envoyer 2 planeurs avec les commandos destinés à faire sauter l’usine. Lancée le 19 novembre 1942, l’opération est une succession de catastrophes. Les deux avions tracteurs et les planeurs s’écrasent les uns après les autres loin de leur cible et les seuls qui survivent aux crashs successifs sont capturés par les Allemands qui les exécutent : c’est un fiasco total, d’autant que les Allemands découvrent quelle était la cible et renforcent aussitôt la sécurité.

Les Anglais ne se découragent pas pour autant et préparent une nouvelle action. Ils larguent de nouveaux parachutistes qui rejoignent les éclaireurs restés sur place et le 27 février 1943, neuf d’entre eux parviennent à pénétrer dans l’usine grâce à un complice. Ils placent des charges sous les cuves à électrolyse et détruisent partiellement les installations ainsi qu’un stock de 500 kg d’eau lourde, parvenant même à s’échapper et à rejoindre la Suède après un périple de 400 km à ski en plein hiver !

Mais la production reprend et en novembre 1943, les Britanniques décident de renouveler l’opération. Cette fois, ils ne font pas dans la dentelle et envoient une véritable armada de 143 forteresses volantes pour un bombardement massif de l’usine. Le raid aérien est un échec total : les bombes ratent totalement leur cible et font 21 victimes civiles : un véritable désastre…

Le ferry D/F Hydro à l’embarcadère du lac Tinnjå en 1942 (source © Le Populaire)

Face à un tel acharnement, les Allemands décident de rapatrier en Allemagne le précieux stock d’eau lourde qui est alors de 16 tonnes. Le 19 février 1944, les bidons sont chargés discrètement dans un ferry, le D/F Hydro pour leur faire traverser le lac Tinnsjå. Mais les résistants norvégiens ont eu vent de l’opération et deux d’entre eux parviennent à s’introduire dans le bateau transbordeur pour y placer des charges explosives. Le bateau appareille au matin du dimanche 20 février 1944 et coule au milieu du lac par 430 m de fond. Son épave sera d’ailleurs retrouvée par un sous-marin en 1993 et des prélèvements ont même été effectués dans les bidons qui se trouvaient à bord, confirmant qu’il s’agissait bien d’eau lourde.

Il semble néanmoins que les Allemands s’étaient méfiés et ont pu malgré tout rapatrier à Berlin l’essentiel du stock du précieux liquide qui a ainsi été au cœur d’une lutte sans merci pendant tant d’années, alors que l’on sait maintenant qu’il n’a manifestement pas suffi au régime nazi pour mener à bien son propre programme de bombe atomique…  

L. V.

Renaissance du RPR : et de deux !

19 février 2024

Décidément, les hommes politiques français de droite ont la tête dans le rétroviseur et cherchent continuellement dans le passé des références plus ou moins glorieuses pour attirer le chaland. On a vu ainsi le parti présidentiel pourtant « en marche » depuis sa création en avril 2016 par Emmanuel Macron, décider brusquement de changer de nom en avril 2022 pour devenir le parti « Renaissance », une référence directe à une période historique un peu datée puisqu’elle a été initiée en Italie au XVe siècle et est classiquement considérée comme la fin du Moyen-Âge. Son nouveau président d’honneur, toujours le même Emmanuel Macron en expliquait d’ailleurs ainsi l’ambition à l’occasion du congrès fondateur de ce nouveau parti, le 17 septembre 2022 : « Nous allons reconquérir ces terres qui ont abandonné la politique après qu’elle les a abandonnées ».

Des membres éminents du parti Renaissance lors de sa soirée de lancement, le 17 septembre 2022 (photo © Julien de Rosa / AFP / Challenges)

Une ambition qui évoque donc implicitement la Reconquista, cette reconquête militaire qui s’est étalée sur plusieurs siècles en Espagne et qui a abouti en 1492 à la chute du royaume de Grenade, dernier bastion aux mains des occupants issus du monde arabo-musulman qui, au VIIIe siècle, administraient la quasi-totalité de la péninsule ibérique. « Reconquête ! », tel est d’ailleurs le nom choisi par Éric Zemmour pour son nouveau parti créé fin 2021 et qui fait clairement référence à ce mouvement de la reconquête du territoire espagnol par les royaumes chrétiens du nord, principalement au cours du XIIIe siècle, bien avant donc l’épisode des rois catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.

Jacques Chirac transforme en 1976 l’UDR en Rassemblement pour la République, pour en faire une machine de guerre électorale à son profit (source © AFP / La Dépêche)

Et voilà qu’une partie de la droite politique française se met à avoir la nostalgie du RPR, le Rassemblement pour la République, ce mouvement que Jacques Chirac avait créé en 1976 après avoir brusquement démissionné de son poste de Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et après avoir pris la tête, deux ans plus tôt, de l’UDR, cet ancien parti gaulliste. Devenue une formidable machine de guerre électorale, le RPR avait servi les intérêts de Jacques Chirac et de bien des barons locaux du chiraquisme jusqu’à sa transformation, en 2002, en UMP, l’Union pour la majorité présidentielle, pour les besoins de la campagne présidentielle du même Jacques Chirac, après le choc qu’avait constitué la qualification de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles.

Mais le RPR a remporté tellement de succès politiques que nombreux à droite sont nostalgiques de cette étiquette. A commencer par Marine Le Pen qui, en 2017 avait chargé un de ses amis de racheter la marque, avec dans l’idée de l’utiliser pour tourner la page du Front national hérité de son père, avant de préférer finalement opter pour le Rassemblement national. L’acronyme n’est pas perdu pour autant et il a été repris en 2022 par Franck Allisio qui se targue donc depuis cette date d’être le nouveau président du RPR, issu lui-même des rangs LR, Les Républicains, le nouveau nom que Nicolas Sarkozy avait voulu donner à l’UMP en 2015, lors de sa tentative de come-back, pour faire oublier son échec à la présidentielle de 2012 et surtout le naufrage de l’affaire Bygmalion et de son trucage délibéré de ses comptes de campagne qui lui valent d’ailleurs une nouvelle condamnation en appel à 6 mois de prison ferme.

Éric Le Dissès et Franck Allisio annoncent en juin 2023 la création de leur nouvelle association dénommée RPR (photo © A. L. / La Provence)

Élu député en juin 2022 dans la 12e circonscription des Bouches-du-Rhône sous l’étiquette du RN, Franck Allisio a donc annoncé en grandes pompes, le 23 juin 2023, aux côtés du maire LR de Marignane, Éric le Dissès, la transformation du RPR en une nouvelle association d’élus de droite (très à droite !) dont la charte graphique et le logo en forme de croix de Lorraine rappellent furieusement les référence de l’ex RPR gaulliste de Chirac et Pasqua…

Une tentative de récupération qui n’a pas beaucoup plus à droite, dans les rangs de ceux qui se réclament du chiraquisme… Renaud Muselier, toujours aussi excessif, a immédiatement hurlé à l’imposture, accusant les deux compères de crime de lèse-majesté, eux qui ont osé reprendre comme symbole la croix de Lorraine du Général de Gaulle qui, à l’entendre serai un don de son propre grand-père à la France. Il est vrai que le vice-amiral Émile Muselier, déjà à la retraite, avait rejoint le Général de Gaulle à Londres dès le 30 juin 1940 et avait alors été chargé de créer les Forces françaises navales libres qu’il dirigea jusqu’en 1942 avant de démissionner du Comité national de libération national puis de rejoindre le général Giraud à Alger en 1943 où il est relevé de ses fonctions quelques mois plus tard.

Renaud Muselier, ici dans l’émission Les quatre vérités sur France 2 Télématin le 30 juin 2023 (source © France TV)

Le président de la région PACA ne perd naturellement jamais une occasion de rappeler ce brillant passé de son grand-père, laissant entendre que cela fait nécessairement de lui-même le premier des gaullistes et le dernier rempart de la nation contre les errements du Rassemblement national. Une posture qui ne l’a pourtant pas empêché de claquer violemment la porte des LR pour rejoindre le parti d’Emmanuel Macron qui n’a pourtant rien de gaullien mais qui a l’avantage d’être au pouvoir.

Toujours est-il que ce même Renaud Muselier vient de publier un manifeste signé par 77 élus locaux de son entourage qui acte la création du RPR sud, comme l’a relayé le Figaro le 14 février 2024. Ce tout nouveau RPR vient donc faire concurrence à celui relancé en juin 2023 par Franck Allisio et qui vient tout juste d’ouvrir une antenne dans le Vaucluse, coordonnée par Marc Jaume, un conseiller municipal LR de Carpentras et qui avait invité pour l’occasion la député RN d’Avignon, Catherine Jaouen. C’est donc en réaction que Muselier et ses amis, parmi lesquels Martine Vassal, Christian Estrosi ou encore le député Lionel Royer-Perreaut, viennent de (re)créer leur propre RPR, le Rassemblement pour la Région et de déposer à leur tour la marque RPR.

Renaud Muselier à l’occasion d’une réunion de son micro parti Cap sur l’Avenir, le 18 janvier 2023 (photo © Julie Rampal-Guiducci / GoMet)

Ce n’est pas un parti puisque Renaud Muselier a déjà le sien, intitulé Cap sur l’Avenir, et d’ailleurs personne ne sait très bien à quoi sert ce RPR bis sinon à contrer l’initiative du RN qui s’est ainsi approprié un sigle depuis longtemps tombé en désuétude mais qui d’un seul coup reprend un attrait inattendu auprès de ces nostalgiques de Jacques Chirac. C’est d’ailleurs ainsi que le présente le manifeste qui affirme, de manière quelque peu grandiloquente : « Nous sommes entièrement déterminés à défendre le sens historique, remarquable, de ce sigle ancré dans l’histoire de notre pays (…), qui ne faisait aucune concession à l’extrême droite ». Un bien noble combat pour des valeurs tellement profondes que l’initiative risque de laisser pantois le citoyen lambda qui se souvient peut-être qu’en 1986 le RPR n’avait pas ces pudeurs de violette pour s’allier ouvertement avec le Front national d’alors et s’octroyer ainsi la présidence de plusieurs conseils régionaux dont celui de PACA.

Un épisode que Renaud Muselier a sans doute oublié, n’étant pas encore élu à cette époque, lui qui vise simplement avec ce RPR bis dont il se vante d’avoir acquis la propriété intellectuelle, les prochaines élections régionales, prévues en 2028 seulement, mais pour lesquelles il a déjà choisi le nom de sa future liste qui s’appellera donc RPR Sud. A défaut de programme, voilà qui devrait séduire son électorat…

L. V.

Donald Trump de nouveau à la Maison Blanche ?

17 février 2024

Aux États-Unis, les prochaines élections présidentielles, les soixantièmes depuis que le pays existe, ne sont prévues que dans près de 9 mois, le 5 novembre 2024 et d’ici-là tout peut arriver. Pourtant, on croit déjà savoir, avec un degré élevé de certitude, qui seront les deux prétendants à cette fonction qui n’a rien d’anodin, les USA restant à ce jour la première puissance militaire et économique mondiale, même si la Chine commence à la talonner mais avec un PIB par habitant qui reste trois à quatre fois plus faible que celui des Américains.

Côté Républicains, la qualification de Donald Trump, qui a annoncé sa candidature pour un second mandat dès novembre 2022, ne fait plus guère de doute même si les primaires sont loin d’être terminées. Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, qui semblait avoir le plus de chance de le contrer, a jeté l’éponge dès le 21 janvier et les candidats encore en lice face à Donald Trump ne font manifestement plus le poids. Seule une décision de la Justice pourrait encore l’arrêter sachant que les condamnations successives qui l’ont frappé récemment ne font s’accroître encore sa popularité auprès d’un électorat populaire et antisystème qui le plébiscite.

2024 : un duel au sommet entre un Trump imprévisible et un Biden incohérent ? Un dessin signé Oli

Le 19 décembre 2023, la Cour Suprême du Colorado, suivi depuis par celle du Maine, avait décidé qu’il ne pouvait concourir à la primaire dans cet État, une inéligibilité qui découle de son rôle actif de soutien aux milliers de sympathisants qui avaient pris d’assaut le Capitole, le 6 janvier 2021, deux mois après les élections présidentielles qui avaient mis fin à son mandat en consacrant la victoire de son adversaire Démocrate, Joe Biden.

Une victoire que Donald Trump avait eu bien du mal à reconnaître, faisant même vaciller la démocratie américaine lors de cette folle journée qui avait vu ses partisans se déchaîner contre les symboles du pouvoir fédéral. C’est la Cour Suprême des États-Unis qui devra trancher ce sujet sensible mais on voit mal comment elle pourrait empêcher le très populaire Donald Trump de concourir pour un nouveau mandat alors que tous les sondages le donnent actuellement en tête face à un président sortant vieillissant et affaibli.

Kamala Harris et Joe Biden à la Maison Blanche (source © Monmouth University)

Lors des précédentes élections, en 2020, le Démocrate Joe Biden s’était beaucoup appuyé sur sa colistière, Kamala Harris, devenue Vice-Présidente des États-Unis et on aurait pu penser que cette dernière reprenne le flambeau à l’occasion de l’échéance de 2024 pour laquelle Joe Biden aura atteint l’âge plus que respectable de 82 ans. Mais Kamala Harris n’a manifestement pas réussi à s’imposer et soutient donc de nouveau la candidature de Joe Biden qui n’a pas de vrai adversaire dans le camp démocrate, même si Robert Kennedy Junior s’est lancé dans la course, sans grandes chances de succès.

Pour autant, beaucoup s’interrogent sur les réelles capacités du président sortant à assumer pleinement la fonction pendant encore quatre longues années, lui dont les bourdes et les absences défrayent la chronique. Déjà lors de la campagne de 2020, son air souvent éteint et ses multiples incohérences avaient fait l’objet de nombreuses spéculations sur son état de santé, alors qu’il avait déjà subi deux attaques cérébrales, une embolie pulmonaire et une thrombose veineuse profonde. Donald Trump, pourtant aujourd’hui âgé de 77 ans, s’était moqué à moult reprises du manque de dynamisme de son adversaire qu’il surnomme cruellement « Sleepy Joe ».

Joe Biden, ici en juillet 2022, prononçant un discours sur le droit à l’avortement (photo © SIPA / Shutterstock / Est Républicain)

Le fait est que la situation ne s’est pas arrangée depuis, Joe Biden multipliant les faux pas et les pertes de mémoire en public. On l’a vu trébucher à de nombreuses reprises, s’étalant lamentablement en montant la passerelle de l’avion présidentiel Air Force One et racontant des inepties, évoquant par exemple ses entretiens, au début de son mandat, avec le président de l’Allemagne, un certain Mitterrand… De quoi laisser ses interlocuteurs abasourdis, comme lors de cette conférence de presse en septembre 2023, à l’occasion d’un voyage officiel au Vietnam, au cours de laquelle il a tenu des propos totalement décousus, évoquant un film de John Wayne et des histoires d’indiens Apache alors qu’on le questionnait sur le réchauffement climatique, avant d’annoncer qu’il allait se coucher, obligeant son attaché de presse à interrompre la séance en catastrophe…

Blanchi dans l’affaire de la mauvaise gestion de documents classifiés par un rapport plutôt bienveillant du procureur spécial qui évoque comme excuses sa « mauvaise mémoire », Joe Biden a réagi vertement en convoquant illico une conférence de presse en pleine nuit, ce jeudi 8 février 2024, mais sans se montrer très convaincant avec sa démarché hésitante, son air éteint et accumulant encore les gaffes en évoquant le nom du maréchal al-Sissi pour parler du Président mexicain !

Un dessin signé Patrick Chappatte, publié le 10 février 2024 dans Le Temps de Genève

Du pain béni pour son futur adversaire Donald Trump dont on connait certes les multiples incohérences et approximations, mais dont personne ne semble s’offusquer. Le bilan économique de Joe Biden est pourtant plutôt favorable et le plan de relance qu’il a impulsé après la pandémie de Covid a permis à l’économie américaine de repartir avec un taux de croissance de 2 % dès 2022 et un taux de chômage très faible à 4 %, mais au mépris d’un retour de l’inflation et d’une augmentation des inégalités sociales. De fait, les sondages montrent qu’une large majorité des Américains font davantage confiance à Donald Trump pour redresser l’économie du pays. Sur le plan international, le retrait piteux par Joe Biden des troupes américaines d’Afghanistan a marqué défavorablement les esprits même si l’isolationnisme semble faire un large consensus chez les Américains. De fait, le soutien apporté par les USA aux alliés ukrainiens suite à l’invasion russe s’essouffle et Joe Biden a désormais bien du mal à masquer que ce n’est plus une priorité américaine.

Donald Trump en campagne pour les Primaires dans l’Iowa (source © AFP / Ouest-France)

Si Donald Trump devait remporter les prochaines présidentielles américaines, cet isolationnisme américain risque de se renforcer encore davantage. Lors de son premier mandat, il avait été fortement freiné dans ses élans par les scrupules et l’inertie de la haute administration et du commandement militaire américain. Mais il a retenu la leçon et saura en cas de réélection faire rapidement le ménage.

C’est d’ailleurs sans doute ainsi qu’il faut comprendre sa récente répartie à un journaliste lui demandant : « Promettez-vous à l’Amérique ce soir, que vous n’abuserez jamais de votre pouvoir pour vous venger de qui que ce soit ? », ce à quoi Donald Trump a répondu tout à trac : « Sauf le premier jour… Je veux fermer la frontière et je veux forer, forer, forer ». On ne serait être plus clair et au moins les Américains savent à quoi s’attendre, et les Européens aussi car ce sont manifestement ce que veulent entendre la majorité de nos alliés outre Atlantique…

L. V.

Élections européennes en vue…

13 février 2024

2024, année électorale ! C’est même du jamais vu depuis l’instauration du suffrage universel (pour les hommes uniquement !) par la Convention nationale en 1792 et son application effective surtout à partie de 1848 : en 2024, plus de la moitié de la population planétaire est appelée aux urnes ! Selon Le Monde, des scrutins de nature diverse, élections municipales, régionales, législatives ou présidentielles, sont prévus cette année dans pas moins de 68 pays dont 8 des 10 États les plus peuplés du monde…

Européennes : des élections en vue (source © Europe direct Strasbourg)

En Europe, et pour la dixième fois depuis les premières élections au Parlement européen le 10 juin 1979, les ressortissants des 27 pays membres de l’Union européenne seront appelés à élire leurs députés européens. En France, le vote se tiendra le 9 juin 2024 et cette année, le nombre de représentants français à Strasbourg sera porté à 81, soit deux de plus que lors du dernier scrutin de 2019, Brexit oblige.

En 2019, plus de 400 millions d’électeurs étaient inscrits sur les listes pour ces élections européennes et un peu plus de la moitié d’entre eux s’étaient déplacés pour élire leurs 751 représentants au Parlement européen, retombés à 705 après le départ de la Grande Bretagne. Sans surprise, le groupe dominant issu de ces élections est le PPE (Parti populaire européen) qui détient désormais 177 sièges et qui regroupe les partis de la droite traditionnelle dont LR en France ou la CDU en Allemagne. il est suivi par les sociaux-démocrates auxquels se rallie notamment le PS français.

Répartition actuelle des parlementaires européens par groupe (source © Parlement européen / Toute l’Europe)

Puis vient le groupe désormais dénommé Renew Europe où l’on retrouve sans surprise les 23 élus macronistes alors En marche, devenus Renaissance. Les écologistes et les régionalistes, forment le quatrième groupe avec, notamment 12 représentants français, suivi de près par le groupe des conservateurs et réformistes européens où les Polonais dominent. Vient ensuite le groupe Identité et démocratie où se retrouvent les 18 élus français du Rassemblement national avec leurs homologues issus notamment de la Ligue italienne et de l’AFD allemande. Le groupe le plus restreint, en dehors des 50 députés non-inscrits, est celui de La Gauche, où figurent notamment les 6 députés LFI.

A quatre mois du prochain scrutin, les sondages sont déjà nombreux qui permettent de se faire une petite idée des intentions de vote, même si des surprises sont toujours possibles. En France, les tendances qui se dessinent depuis plusieurs mois déjà montrent que la liste du RN, menée par Jordan Bardella, actuel président du parti et eurodéputé sortant, a le vent en poupe avec des intentions de vote évaluées actuellement autour de 30 % et plutôt en hausse. Derrière, le parti macroniste, qui n’a toujours pas désigné officiellement sa tête de liste, est à la peine, autour de 20 % des intentions de vote et avec une tendance marquée à la baisse. Viennent ensuite les trois listes concurrentes de gauche, désunies comme à leur habitude, et toutes les trois créditées de 8 à 10 % chacune, avec a priori un léger avantage pour celle des socialistes, probablement menée par Raphaël Glucksmann comme en 2019, suivi de celle des écologistes, dirigée par Marie Toussaint, et par celle de LFI, conduite par Manon Aubry, en léger décrochage.

Séance plénière au Parlement européen à Strasbourg (source © blog droit européen)

On ignore encore à ce stade le nombre de listes qui seront présentes, sans doute au moins 20 ou 30 comme en 2019, mais parmi celles qui semblent avoir une chance de dépasser le seuil fatidique de 5 % pour avoir un élu, figurent a priori uniquement les listes LR (conduite par François-Xavier Bellamy), Reconquête (Marion Maréchal-Le Pen) et PCF (Léon Deffontaines).

Reste que l’on peut s’interroger sur les raisons de ce score fleuve que les Français s’apprêtent à donner au RN pour les représenter au Parlement européen. Le groupe Identité et démocratie de l’extrême droite, actuellement composée de 58 députés pourrait en effet gagner une quarantaine de membres supplémentaires au vu des projections actuelles de la poussée du RN en France et de l’AFD en Allemagne. Une situation qui traduit une exaspération croissante contre le libéralisme européen et son ouverture des frontières puisque tels sont les principaux thèmes mis en avant par ces partis.

L’eurodéputé RN, Jordan Bardella, en session plénière au Parlement européen, à Strasbourg le 18 octobre 2023 (photo © Sathiri Kelp / Anadolu / France TV info)

Dans son programme européen, le RN fustige en effet l’ouverture excessive et le laxisme dont ferait preuve l’Europe, notamment en matière d’immigration, insistant sur la nécessité de renforcer les aides au développement dans les pays du Sud pour limiter les flux migratoires, tout en mettant en œuvre une politique de contrôle plus strict aux frontières. Sur le plan économique, le RN propose d’abroger la directive sur les travailleurs détachés et de renforcer les tarifications douanières pour favoriser les circuits courts et la préférence nationale. Des orientations qui se heurtent de plein fouet aux choix suivi par l’Union européenne depuis sa création, chantre d’un libéralisme se traduisant par la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux, et adepte d’une « concurrence libre et non faussée ».

Face à ce rouleau compresseur des idées simples du RN qui trouvent manifestement un écho dans l’opinion publique, la gauche aura sans doute fort à faire pour convaincre qu’on peut encore croire en une Europe des peuples, ouverte et solidaire, tout en tournant le dos aux excès du libéralisme qui semble consubstantielle à son évolution. C’est ce à quoi s’attachent les leaders de listes de gauche tout en pointant les incohérences entre le discours lénifiant du RN actuel et ses actes au Parlement européen où les députés, à l’instar de Jordan Bardella, sont très peu présents et ne participent guère au travail en commission.

Alors qu’à l’Assemblée nationale Marine Le Pen veille à donner une image de respectabilité et de responsabilité, ses élus au Parlement européen sont plutôt dans l’opposition systématique et de principe. Comme le soulève notamment Pascal Canfin, le bilan du RN à Strasbourg « c’est d’avoir voté contre le plan de relance qui a sauvé des centaines de milliers d’emplois, d’entreprises et d’artisans en France et partout en Europe. Le Rassemblement national a voté contre le soutien financier à l’Ukraine. Il n’a pas voté la taxe carbone aux frontières qui permet de faire payer les importations chinoises pour nous protéger de nos concurrents ».

Pascal Canfin, eurodéputé Renew (photo © SIPA Press / L’Opinion)

Ce à quoi Raphaël Glucksmann renchérit en mettant en avant la posture récente du RN qui propose que le Parlement européen décerne cette année le prix Sakharov destinés aux défenseurs des droits de l’homme au milliardaire Elon Musk pour avoir repris en main l’ex Twitter en permettant à Donald Trump de s’y exprimer de nouveau : un véritable pas en avant pour la liberté d’expression et la démocratie directe ! Espérons que la campagne qui s’ouvre en vue de ces prochaines échéances permettra un vrai débat de fond pour un vote éclairé de nos concitoyens le 9 juin prochain…

L. V.

Des législatives mouvementées au Pakistan

11 février 2024

On votait au Pakistan ce jeudi 8 février 2024, pour élire les 336 membres de l’Assemblée nationale de cette république islamique, coincée entre l’Inde, la Chine, l’Iran et l’Afghanistan. Créé en 1947 d’une partition de l’Inde, suivie d’émeutes sanglantes qui ont fait plusieurs centaines de milliers de morts, avant d’être amputé en 1971 de sa partie occidentale devenue le Bengladesh, le Pakistan fait partie de ces pays à la vie politique mouvementée. Les épisodes démocratiques qu’il a connus ont été marqués par une forte instabilité politique avec, par exemple, 7 Premiers ministres qui se succèdent entre 1947 et 1958, et ont été entrecoupés par trois coups d’État militaires, avec une armée toute puissante qui fait et défait les gouvernements.

Le général Pervez Musharraf, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1999 (source © AFP / la Tribune de Genève)

Le dernier putsch militaire en date est celui conduit par le général Pervez Musharraf en 1999, qui destitue le Premier ministre d’alors, Nawaz Sharif. L’armée reste au pouvoir jusqu’en 2008, confrontée à des insurrections violentes des talibans dans le Nord-Ouest du pays, puis à un mouvement de contestation populaire animé par des avocats et des juges. L’ancienne Première ministre Benazir Bhutto ayant été assassinée en 2007, son mari accède à la Présidence de la République en 2008 mais en 2013 c’est son rival de la Ligue musulmane, Nawaz Sharif, qui revient au pouvoir pour la troisième fois. Inculpé par la Cour suprême pour corruption et évasion fiscale, il doit quitter le gouvernement en 2017…

L’ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan, désormais en prison, ici en juin 2021 (photo © Saiyna Bashir / Reuters / Paris Match)

A l’issue des dernières législatives en 2018, c’est un ancien joueur international de cricket, Imran Khan, fondateur et président du PTI, le Mouvement du Pakistan pour la Justice, qui accède au poste de Premier ministre. Mais il est renversé dès 2022 et remplacé à son poste par Shehbaz Sharif, le propre frère de son prédécesseur ! Des centaines de cadres de son parti sont arrêtés par la police et plus de 100 procédures judiciaires sont lancées à son encontre pour le neutraliser. Il échappe le 3 novembre 2022 à une tentative d’assassinat par balles puis à plusieurs tentatives d’arrestations, avant d’être enlevé violemment par des paramilitaires en pleine salle d’audience du tribunal, le 9 mai 2023. Il croupit depuis en prison et a été encore condamné le 30 janvier 2024 à 10 ans de prison et 5 ans d’inéligibilité, puis, le lendemain, à 14 ans de prison ferme supplémentaires !

Partisans de l’ancien Premier ministre Imran Khan à Islamabad le 8 février 2024 (photo © Charlotte Greenfield / Reuters / Le Monde)

Non seulement Imran Khan n’avait pas la possibilité de se présenter lors de ces élections législatives du 8 février 2024, mais son parti n’était pas autorisé non plus à concourir, ce qui obligeait ses candidats à se présenter comme indépendants. L’un d’entre eux a par ailleurs été assassiné en pleine campagne électorale, au cours de laquelle la police a attaqué certains meetings du PTI, procédant à de multiples arrestations arbitraires.

Une ambiance délétère qui s’explique en partie par l’état alarmant du pays, exposé au risque d’un défaut de paiement de la dette extérieure et qui a subi entre juin et octobre 2022 des inondations catastrophiques ayant affecté plus de 33 millions d’habitants et causé au moins 1700 morts et la destruction de plus de 250 000 maisons. Dans ce pays très jeune, où 50 % de la population a moins de 22 ans, les perspectives économiques ne sont guère encourageantes avec un taux d’inflation qui dépasse les 40 % et des difficultés d’approvisionnement en céréales du fait de la guerre en Ukraine.

Policiers pakistanais en faction devant un bureau de vote à Peshawar le 8 février 2024 (photo © Fayaz Aziz / Reuters / Le Monde)

Pas étonnant, dans ce contexte, que les élections du 8 février 2024 aient été émaillées de multiples incidents. Plusieurs attentats à la bombe et des fusillades ont éclaté près de bureaux de vote. Des membres des forces de l’ordre ont été tués et les irrégularités du scrutin semblent particulièrement nombreuses. Surtout, le scrutin a été marqué par une absence totale de réseau de téléphone mobile et d’internet, officiellement pour cause de panne, mais en tout cas de nature à perturber fortement les opérations de contrôle.

Sous prétexte de cette panne de réseau, il a fallu attendre longuement pour connaître les premiers résultats du vote, dont la sincérité est jugée douteuse par de nombreux observateurs. Alors que le parti de l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif, opportunément rentré de son exile londonien en octobre 2022, était donné comme largement vainqueur, ses partisans ne remportent que 71 sièges contre 100 aux candidats du PTI d’Imran Khan. Mais ceux-ci ne pourront prétendre à diriger le gouvernement puisqu’ils se présentaient de fait comme indépendants. Leurs résultats ne sont pas non plus pris en compte pour l’attribution, à la proportionnelle, des 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités, encore une spécificité du mode de scrutin pakistanais…

Nawaz Sharif, qui pourrait bien être, de nouveau et pour la quatrième fois, Premier ministre du Pakistan à l’issue de ces élections (photo © AFP / NDTV)

L’inoxydable et très libéral Nawaz Sharif a donc d’ores et déjà prononcé son discours de victoire, avant même la proclamation définitive des résultats électoraux, tendant la main à d’autres partis, y compris le Parti du Peuple Pakistanais de Benazir Bhutto, qui a fait un score très honorable avec au moins 53 élus. Le Pakistan risque donc d’être gouverné par une alliance un peu contre nature, destinée à barrer le chemin à l’ancien joueur de cricket qui risque fort de finir ses jours en prison. La politique au Pakistan est loin d’être un long fleuve tranquille…

L. V.

Un pigeon voyageur accusé d’espionnage…

6 février 2024

En ces temps troublés de tensions internationales et de conflits armés, les accusations d’espionnage ne sont pas à prendre à la légère. Un modeste pigeon voyageur vient d’en faire les frais. Capturé en mai 2023 à proximité des installations portuaires de Bombay, il avait été trouvé en possession d’un anneau à chaque patte, auquel était attaché un message écrit en chinois. Un comportement jugé éminemment suspect par les autorités indiennes, très chatouilleuses quant à la souveraineté de leur espace aérien national, et pas en très bons termes avec son voisin chinois avec qui les escarmouches ne sont pas rares. Le cas avait été jugé suffisamment sérieux par la police de Bombay pour qu’une enquête soit diligentée et le volatile placé en détention provisoire dans une clinique vétérinaire locale.

Incarcéré pendant 8 mois pour une accusation d’espionnage, les risques du métier de pigeon voyageur (source © Shutterstock / Peuple animal)

Après 8 mois d’enquête approfondie, il a néanmoins pu être établi que le pigeon en question participait en réalité à une compétition à Taïwan et qu’il s’était malencontreusement égaré sur le sol indien, comme l’a rapporté le Times of India. Même chez les sportifs de haut niveau, connus pour leur sens légendaire de l’orientation, une défaillance est toujours possible. Blanchi de toute accusation d’espionnage, le pigeon voyageur a donc été officiellement relâché par les autorités indiennes le 30 janvier 2024, au grand soulagement de l’association de défense des animaux Péta.

Le pigeon voyageur détenu depuis 8 mois pour accusation d’espionnage a enfin été relaxé et relâché, mardi 30 janvier 2024 (photo © Anshuman Poyrekar / AP / SIPA / 20 minutes)

Mais ce n’est pas la première fois qu’un pigeon se retrouve ainsi incarcéré dans les geôles indiennes pour un tel motif. En 2020 déjà, un pigeon voyageur appartenant à un pêcheur pakistanais avait été capturé par la police du Cachemire sous contrôle indien après avoir illégalement traversé la frontière fortement militarisée qui sépare les deux pays. Lui aussi avait pu être blanchi après enquête qui avait révélé que les inscriptions éminemment suspectes portées sur le message qui lui était attaché étaient en réalité le numéro de téléphone de son propriétaire, pour le cas où l’animal perdrait son chemin. Une sage précaution mais il faut dire que la police indienne est sur les dents et fait preuve d’une extrême méfiance envers les pigeons voyageurs.

Déjà en octobre 2016, la police des frontières indienne avait attrapé et incarcéré plusieurs volatiles de ce type dans la région de Pathankot, au Penjab. L’un d’eux portait accroché à la patte un message clairement menaçant, rédigé en ourdou et adressé au Premier Ministre : « Modi, nous ne sommes plus les mêmes qu’en 1971. Désormais, chaque enfant est prêt à combattre l’Inde ». Une allusion transparente au dernier conflit armé en date entre l’Inde et le Pakistan, qui avait abouti à la sécession du Bangladesh. Considéré comme un dangereux terroriste djihadiste, le pauvre volatile avait immédiatement placé sous les barreaux, de même qu’un autre de ses congénères dont les ailes portaient des inscriptions en ourdou. Chacune des plumes de ce dernier avait été passée aux rayons X par la police scientifique indienne et le suspect enfermé dans une cage surveillée par trois agents selon Le Monde qui rapportait l’incident, mais il semble finalement que le pigeon ait pu être relâché à l’issue de ces investigations.

De telles suspicions paraissent quelques peu démesurées mais les autorités indiennes rappellent à qui veut l’entendre que les pigeons voyageurs, placés entre les mains de terroristes déterminés, constituent une arme redoutable et que les Moghols, qui régnèrent sur une partie du sous-continent indien jusqu’au milieu du XIXe siècle, avaient experts dans l’art de dresser ces oiseaux. Ce n’était d’ailleurs pas les premiers puisque les pigeons voyageurs étaient déjà utilisés par les navigateurs égyptiens, 3000 ans avant notre ère, pour avertir de leur arrivée prochaine au port. Les Grecs en étaient également très friands et les employaient pour communiquer les résultats des Jeux Olympiques, bien avant que les médias internationaux ne se disputent leurs droits de diffusion mondiale.

Lâcher de pigeons (photo © Le Républicain Lorrain)

Les pigeons voyageurs possèdent de fait un sens de l’orientation aiguisé, lié peut-être à la présence de minuscules cristaux de magnétite dans leur cerveau qui leur permettraient de se guider sur le champ magnétique terrestre pour retrouver à coup sûr (ou presque) le chemin de leur colombier. Capables de parcourir rapidement des distances considérables, jusqu’à 1 200 km en 16 heures, avec des pointes à 120 km/h par vent favorable, certains sont restés célèbres pour leurs exploits comme celui qui a parcouru 11 590 km en 24 heures entre Saïgon et le nord de la France. Tout repose sur le fait que quelque soit l’endroit où on les lâche, leur principale préoccupation est de revenir au plus vite au bercail, auquel ils sont particulièrement attachés. Les mâles sont mus, paraît-il par le désir de retrouver leur conjointe et les femelles plutôt par celui de retrouver leurs petits, chacun ses motivations…

Un pigeon équipé avec ses bagues et les numéros de téléphone de contact (photo © Bernard Moiroud / Le Progrès)

Un pigeon peut ainsi aisément transmettre un message, attaché à sa patte, mais aussi un mini appareil de prise de vue, ce qui en fait des auxiliaires précieux pour aller discrètement survoler les lignes ennemies et rapporter quelques clichés stratégiques. Le limite du système est que le voyage ne fonctionne que dans un sens, toujours vers le colombier d’origine, ce qui suppose au préalable de transporter les précieux auxiliaires vers le point de départ des messages, et de ne pas l’y laisser trop longtemps de peur qu’il ne finisse par s’habituer à sa nouvelle demeure ! Les pigeons voyageurs ont ainsi servi à plusieurs reprises pour expédier des messages depuis les villes assiégées, depuis celle de Modène en 43 avant J.-C. jusqu’à celle de Paris en 1870.

Soldats lâchant des pigeons voyageurs munis de messages pendant la Première guerre mondiale (source © Rue des archives / PVDE / 1 jour 1 actu)

Pendant la Première guerre mondiale, l’armée française utilisa ainsi plus de 30 000 pigeons voyageurs pour assurer le service de messagerie aérienne en cas de défaillance (fréquente) des lignes téléphoniques. L’un d’entre eux fut même cité à l’Ordre de la Nation pour avoir vaillamment transporté l’ultime message du commandant Raynal, défenseur du Fort de Vaux à Douaumont en juin 1916. Pendant la Seconde guerre mondiale, ce sont pas moins de 16 500 pigeons qui sont parachutés sur le sol français par les alliés britanniques pour faciliter les transmissions avec la Résistance. L’armée française continue d’ailleurs d’entretenir une petite escouade de pigeons voyageurs au colombier militaire du Mont Valérien et il se murmure que la Chine entretient des dizaines de milliers de pigeons solidement entraînés pour assurer ses transmissions militaires en cas de défaillance technique : on n’est jamais trop prudent…

L. V.

Rejets de méthane : une belle marge de progrès en perspective ?

21 janvier 2024

Quand on évoque les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique mondial, on pense en priorité au dioxyde de carbone (CO2), dont les rejets sont considérés effectivement comme expliquant grosso modo les deux-tiers du phénomène. Mais l’on oublie souvent le méthane (CH4), dont les rejets dans l’atmosphère seraient à l’origine de 30 % de ce réchauffement climatique que l’on observe et qui devrait, selon toutes les projections, s’accélérer et s’amplifier dans les années à venir.

De fait, le méthane présente un pouvoir de réchauffement global très supérieur à celui du CO2, environ 80 fois supérieur si l’on observe son impact cumulé sur 20 ans. Mais il présente l’avantage de ne pas rester dans l’atmosphère plus d’une douzaine d’années avant de se dégrader, contrairement au dioxyde de carbone qui reste actif pendant une centaine d’années et participe donc davantage à la dégradation du climat sur le temps long. Réduire nos émissions de méthane aurait donc un impact immédiat permettant peut-être d’éviter de franchir des seuils aux effets potentiellement catastrophiques que certains scientifiques redoutent, impliquant notamment une fonte massive des pergélisols, libérant de grosses quantités de méthane et provoquant un emballement du processus…

Comment lutter contre le réchauffement climatique sans tout débrancher ? Un dessin signé Dave Whamond (source © Linkedin / Hubert Serret)

L’élevage, bovin notamment, mais aussi l’agriculture sont des sources non négligeables de rejet de méthane, mais qui pourraient devenir minoritaires par rapport aux fuites liées à l’exploitation du charbon et des hydrocarbures, à savoir le pétrole et le gaz naturel, composé justement surtout de méthane. Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ces rejets de méthane liés au secteur de l’énergie ont été très largement sous-estimées jusqu’à présent et sont en croissance, atteignant 135 millions de tonnes en 2021.

Évolution des rejets mondiaux de méthane dans l’atmosphère depuis 2000 liée à l’exploitation du pétrole (orange), du gaz naturel (violet), du charbon (jaune) et des bioénergies (vert) (source © Agence internationale de l’énergie / Énergie plus)

Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la Chine est en tête avec 28 millions de tonnes de méthane issues notamment de l’exploitation de ses mines de charbon, suivie de près par la Russie et les États-Unis, qui sont au coude à coude, suivi par d’autres pays producteurs d’hydrocarbures comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Ce classement est intéressant car il met en évidence que certains pays producteurs sont nettement plus vertueux que d’autres. Ainsi, la Norvège, pourtant 8e producteur mondial de gaz et 12e pour le pétrole, n’émet que très peu de méthane, grâce à ses équipements performants et bien entretenus. Si tous les autres pays producteurs s’alignaient sur ses pratiques, c’est 90 % des émissions mondiales de méthane issu du secteur énergétique qui pourrait être supprimé ! Selon l’AIE, si tout le gaz perdu en 2021 avait été capté et valorisé, cela aurait permis de couvrir la totalité du gaz consommé cette année-là pour la production électrique de toute l’Europe

Plateforme de forage pétrolier sur le lac Maracaibo au Venezuela (photo ©  Jose Isaac Bula Urrutia / Getty images / Orinoco)

Inversement, certains pays producteurs tels l’Algérie et surtout le Venezuela rejettent une quantité invraisemblable de gaz en proportion de leur production énergétique. Pendant longtemps, ce gaz en surplus était brûlé dans d’immenses torchères, fortement émettrices de CO2. Pour éviter ces émissions facilement repérables, de nombreux industriels ont pris l’habitude de relarguer désormais le méthane en surplus directement dans l’atmosphère, ni vu ni connu, provoquant un impact sur l’effet de serre incomparablement supérieur, surtout à court terme comme on l’a vu…

Mais depuis quelques années, les satellites d’observation permettent de repérer directement ces émissions concentrées de méthane et même de les quantifier. La start-up française Kayrros s’en est même fait une spécialité et a analysé en 2022, avec l’aide de chercheurs du CNRS et du CEA, des milliers d’images prises pendant 2 ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Cela leur a permis d’identifier pas moins de 1800 panaches de méthane supérieurs à 25 tonnes par heure, dont la plupart liés à l’exploitation d’hydrocarbures.

Carte des principales fuites de méthane repérées par satellite (source © Kayrros / L’Usine nouvelle)

Ces fuites majeures, accidentelles ou récurrentes, dépendent directement des efforts de maintenance et de la réactivité des exploitants en cas de problème. Les observations montrent ainsi d’énormes lacunes le long des principaux gazoducs russes dont le tracé est parfaitement visible depuis l’espace en suivant les panaches de méthane qui s’en échappent en permanence. On y repère aussi certains champs pétrolier ou gaziers dont l’exploitation laisse à désirer. C’est en particulier le cas des gisements d’Hassi Messaoud et d’Hassi R’Mel, exploités par la société nationale algérienne Sonatrach, et dont les fuites de méthane dans l’atmosphère sont catastrophiques.

Champs d’exploitation gazière d’Hassi Messaoud en Algérie (source © Algérie patriotique)

Mais la palme revient dans ce domaine au Turkménistan, cette ancienne république soviétique d’Asie centrale, pays indépendant depuis 1991 et dirigé depuis cette date par une dynastie autoproclamée d’autocrates, le dernier en date étant le lieutenant-colonel Serdar Berdimuhamedow, élu président en mars 2022, suite à la démission de son propre père. Ce pays dispose de réserves de gaz colossales, en quatrième place mondiale derrière la Russie, l’Iran et le Qatar. Il s’est donc imposé comme un producteur majeur de gaz, bien qu’à la 11e place mondiale seulement, mais aussi de pétrole, exportés pour l’essentiel vers la Russie et surtout la Chine. Or les observations satellite, reportées notamment dans un article publié en 2022 dans la revue Environmental Science and Technology, indique que la côte ouest du Turkménistan, sur la mer Caspienne, est l’une des principales zones d’émission de méthane du monde, avec pas moins de 4,4 millions de tonnes de méthane émis dans l’atmosphère chaque année, du fait de la vétusté de ses pipelines fuyards et surtout des pratiques de la société étatique Turkmenoil qui rejette directement dans l’atmosphère le méthane issu de ses puits de pétrole.

Installation de raffinage sur le site de Turkmenbachy au Turkménistan (source © Turkmenbashy Oil Processing Complex)

Outre ces méthodes déplorables et d’un autre âge, le Turkménistan est aussi connu pour son chaudron du Diable, surnommé « la porte de l’Enfer » à l’instar de son homologue de la taïga russe. Ce cratère de Darvaza, situé dans le désert du Karakoum, est même devenu la principale attraction touristique du pays. Les Russes y avaient installé une plateforme de forage et d’exploitation de gaz naturel en 1971 après y avoir découvert de fabuleuses réserves. Malheureusement, le forage s’est éboulé, créant en surface un vaste cratère de 70 m de diamètre qui a englouti toutes les installations minières et par où d’énormes quantités de méthane s’échappent directement à l’air libre.

Le cratère de Darvaza, « la Porte de l’Enfer », dans le désert du Karakoum, au Turkménistan (photo © Getty images / BBC)

Craignant pour la sécurité des habitants les plus proches, les Russes ont finalement préféré y mettre le feu dans les années 1980, pensant que l’incendie s’éteindrait de lui-même au bout de quelques semaines. Quarante ans plus tard, il brûle toujours et personne ne sait plus très bien quoi en faire, sinon exploiter les revenus touristiques que cette attraction mondiale procure… Les Américains ont même proposé en 2023 leur aide au président turkmène pour combler le cratère, éteindre le feu qui couve et reprendre l’exploitation du gisement toujours présent, de manière totalement désintéressée naturellement et pour le seul bien de la planète, cela va de soi !

L. V.