« Le XXIe siècle sera mystique ou ne sera pas » aurait dit André Malraux, même si cette citation fait l’objet de controverses. En tout cas, l’actualité internationale et nationale tendrait plutôt à lui donner raison, elle qui porte au premier plan des conflits armés ou des problèmes de société dont l’origine est principalement d’ordre religieux. Même si les affrontements entre protestants et catholiques en Irlande du Nord ont récemment baissé d’intensité, les nombreux conflits inter-religieux ou entre dogmes « concurrents » de la religion musulmane qui se développent au Proche comme au Moyen-Orient ou en maints pays africains ou asiatiques tendent à montrer que le fait religieux prend une part de plus en plus importante sur notre planète.
Manifestation Place de la république à Paris le 11 janvier 2015 (photo P. René-Worms / RFI)
Même en France, les polémiques qui font rage sur la viande halal dans les cantines ou sur le port du voile dans les lieux publics confirment à quel point le sujet reste sensible. Les attentats de janvier dernier et de nombreux faits divers quotidiens ne font que raviver dans notre société française qui se veut moderne, laïque et multiculturelle, des querelles religieuses que l’on pensait éteintes depuis les grands affrontements des guerres de religion ou, plus récemment, de la séparation entre l’Église et l’État.
A ce sujet, un récent article du Monde, vient apporter de très instructifs éclairages sur la place des religions dans notre société et en particulier sur l’importance du sentiment religieux chez les Français. Car le sujet n’est pas simple, ne serait-ce que parce que les statistiques ethniques ou sur l’appartenance religieuse restent très encadrées en France, au point qu’il est impossible de déterminer le nombre exact d’adeptes des différentes religions.
Vœux du Président de la République aux autorités religieuses, le 7 janvier 2014 (photo SIPA)
Heureusement, plusieurs sondages effectués au niveau mondial et européen en donnent une bonne estimation, et ceci grâce à l’adoption en 2000 par le Conseil européen, de la directive Race, contre la discrimination raciale et ethnique, qui a permis de débloquer la situation en rendant possible la collecte d’informations sous réserve qu’elle soit « anonyme, librement consentie et réalisée sous le contrôle de la CNIL (Commission nationale Informatique et libertés) », et à condition « d’en faire un usage raisonné, c’est à dire respectant l’intérêt général, que ce soit pour la recherche scientifique et historique ou par souci de mieux lutter contre les discriminations ».
Ainsi, en 2012, l’association de sondages WIN/Gallup International, spécialiste de la question, a interrogé plus de 50 000 personnes dans 57 pays et a constaté que seuls 37 % des Français se considéraient comme religieux, les autres se partageant entre non religieux et athées convaincus. Un autre sondage en 2010 avait abouti à des résultats comparables avec une proportion de 40 % d’athées déclarés auxquels s’ajoutent près de 30 % de personnes se déclarant sans religion mais croyant néanmoins à des forces supérieures…
Importance de l’athéisme selon les résultats de l’étude Gallup (carte publiée dans Le Monde du 7 mai 2015)
De tels chiffres tendent à montrer que la France serait l’un des pays du monde où l’athéisme est le plus présent, derrière quand même la Chine, où des décennies de Maoïsme semblent avoir laissé des traces… Selon cette source, près de 60 % des personnes interrogées dans le monde se déclarent encore religieuses même si cette proportion a baissé de 9 % depuis le précédent sondage en 2005. Celles qui se revendiquent athées ne dépassent pas 13 % dans le monde, très en deçà donc de la proportion affichée en France qui atteint 29 % selon ce sondage. L’analyse du sondage met d’ailleurs en évidence une corrélation assez nette entre l’importance du sentiment religieux et le niveau de développement du pays : plus le pays est riche, moins la religion y est présente. Ce n’est pas une découverte majeure et de nombreux philosophes l’avaient déjà largement pressenti…
Dans un domaine aussi complexe et personnel que le sentiment religieux, on perçoit vite en tout cas les limites de l’outil statistique qu’est le sondage avec ses cases à cocher… Comment répertorier toutes les nuances que l’on imagine entre le matérialiste convaincu qu’il n’existe aucune forme de spiritualité, l’agnostique qui se dit incapable de trancher quand à l’existence ou non d’une divinité supérieur ou le déiste qui croit en une forme de divinité tout en rejetant toute pratique religieuse ?
Là où le sujet semble plus affermi, c’est lorsqu’on s’interroge sur les comportements liés à la pratique religieuse. Et là, les chiffres sont éloquents : seuls 4,5 % des Français affirment continuer à se rendre régulièrement à la messe… Même si 70 % des Français seraient encore baptisés, seuls 300 000 d’entre eux ont été nouvellement baptisés en 2010, ce qui représente à peine plus d’un tiers des naissances de cette année là. La pratique religieuse catholique est donc en baisse manifeste dans ce pays.
Quant à celle de l’Islam elle semble un peu plus régulière mais est loin d’être systématique. Ainsi un sondage IFOP commandé par La Croix en 2011 avait estimé que 75 % des Français issus de familles d’origine musulmane se disaient croyants, mais en réalité seuls 41 % se considèrent comme pratiquants (contre 16 % des Français d’origine catholique) et un quart seulement affirment se rendre à la mosquée tous les vendredis. La proportion est plus élevée que pour les catholiques mais reste minoritaire. Une autre analyse parue dans Le Monde évalue ainsi à environ 4 à 5 millions le nombre de personnes de culture musulmane vivant en France (soit environ 8 % de la population française), ce qui représenterait donc un peu plus d’un millions de pratiquant se rendant régulièrement dans un des 2500 lieux de cultes musulmans recensés en France par le Ministère de l’Intérieur. En comparaison, on constate que les quelques 3 millions de catholiques qui disent se rendre régulièrement à la messe ont à leur disposition pas moins de 40 000 églises, ce qui est leur laisse largement la place de prier à défaut de trouver suffisamment de prêtres, crise des vocations oblige…
Musulmans en prière à Lyon (photo G. Atger / Divergence pour l’Express)
Cet article du Monde fait aussi référence à l’évolution du sentiment religieux qui semble plus fort chez les jeunes générations d’origine musulmane ainsi qu’aux conversions vers l’Islam qui concerneraient en France de l’ordre de 4000 personnes chaque année, chiffre finalement assez faible bien que suscitant de nombreux fantasmes. Cet accroissement de la pratique religieuse et de l’identité musulmane chez les jeunes générations, serait, selon une étude du sociologue Hugues Lagrange publiée en 2013, davantage le reflet d’un « sentiment de relégation sociale » qui favoriserait l’émergence d’une culture de l’islam rigoriste parfois opposé aux valeurs de la République.
A défaut d’être « mystique », notre siècle est en tout cas pour beaucoup d’entre nous celui des inégalités et des frustrations, ce qui peut en effet conduire, si nous n’y prenons garde, à un repli identitaire et une réactivation des conflits religieux dont l’histoire a montré tout les périls qu’ils peuvent engendrer. Espérons que nous saurons les éviter en nous appuyant sur les leçons du passé…
C.M. et L.V.