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Changement climatique : la plongée dans l’inconnu…

14 Mai 2024

Chacun sait désormais que la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre, n’arrête pas d’augmenter, alimentant un réchauffement climatique global de plus en plus visible. Les bonnes résolutions prises, année après année, par les quelques responsables politiques qui font mine de s’intéresser au sujet le temps des COP, n’y changent malheureusement rien : malgré un court répit lié au ralentissement momentané de l’activité économique en 2020 pour cause de pandémie mondiale et malgré les efforts de certains pays, dont la France fait partie, qui ont réussi à diminuer progressivement (mais encore très timidement) leurs émissions de gaz à effet de serre, les rejets de ces gaz dans l’atmosphère terrestre, principalement le dioxyde de carbone et le méthane, continuent d’augmenter d’année en année !

Malgré toutes nos belles paroles, nos émissions de CO2 continuent d’augmenter : pas besoin de construire un mur, il existe déjà et se rapproche à grande vitesse… : un dessin signé Wingz

Mesurer la concentration de CO2 dans l’air ambiant ne pose pas de difficulté technique et il est donc assez facile de suivre ce paramètre. Mais ce dernier fluctue énormément dans le temps car directement influencé par l’activité biologique végétale et par les conditions météorologiques. En 2019, la Ville de Paris avait ainsi encouragé des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à installer un réseau de mesures sur l’ensemble du territoire métropolitain avec notamment une station de mesures sur le toit de l’université de Jussieu, pour établir mensuellement une météo locale du carbone permettant de suivre les évolutions de ce paramètre dans le temps et aider à évaluer les politiques publiques engagées.

Toute la difficulté est en effet d’analyser ces fluctuations dans le temps et dans l’espace pour en tirer des conclusions globales sur des tendances à long terme. C’est notamment ce qui avait été fait dans une étude publiée en 2019 dans la revue scientifique Science Advances par une équipe de chercheurs allemands qui avaient estimé, sur la base d’une modélisation numérique alimentée par de nombreux points de mesures, que la concentration moyenne de CO2 dans l’atmosphère terrestre était alors de 412 ppm (partie par million, autrement dit, pour chaque million de molécule de gaz dans l’air ambiant, en moyenne 412 sont des molécules de dioxyde de carbone).

Prélèvement d’une carotte glaciaire en 1984 dans le cadre du programme Vostok (source © Fonds Lorius / CNRS)

En soi, ce chiffre n’est guère parlant. Il l’est davantage lorsqu’on le compare aux situations antérieures que notre planète a connues et que l’on peut reconstituer en analysant les bulles de gaz piégées dans certains sédiments marins enfouis ou dans des carottes glaciaires prélevées en profondeur. On constate dès lors qu’il faut remonter à la fin du Pléistocène, il y a 3 millions d’années pour retrouver de telles concentrations de CO2 dans l’atmosphère terrestre, supérieures à 400 ppm. A l’époque, notre lointain ancêtre, Australopithecus africanus, commençait tout juste à peupler les savanes africaines. La température moyenne à la surface du globe était supérieure de 3 à 4°C, les arbres poussaient dans l’Antarctique et le niveau des océans était plus haut de 15 à 20 m par rapport à ce que nous connaissons.

Évolution des concentrations de CO2 mesurées à la station de Mauna Loa depuis 1958 et comparées à des données issues de carottes glaciaires (source © The Economist)

Depuis cette lointaine période que l’homme n’a pas connue, la concentration moyenne de CO2 à la surface du globe est toujours restée à une moyenne très inférieure, ne dépassant jamais 280 ppm, du moins jusqu’au début du XXe siècle. Pour suivre ces fluctuations, la station de référence est celle du Mauna Loa, à Hawaï, car c’est la plus ancienne où ce paramètre est suivi en continu, en l’occurrence depuis 1958, ce qui correspond à une période où le développement industriel était déjà largement amorcé mais où ses impacts environnement mondiaux commençaient tout juste à être perceptibles.

La concentration en dioxyde de carbone suit une fluctuation saisonnière régulière avec un maximum en mars, juste avant le démarrage du cycle végétatif. Les enregistrements de la station d’Hawaï, connus sous le nom de « Keeling Curve » sont accessibles en temps réel et montrent une tendance très nette et ininterrompue à l’augmentation, avec un nouveau record battu le 9 mai 2024 à un niveau jamais atteint de 427,7 ppm. Mais ce qui inquiète surtout les scientifiques, c’est la vitesse à laquelle ces valeurs augmentent. Entre mars 2023 et mars 2024, l’augmentation est en effet de 4,1 ppm, ce qui représente la plus forte croissance annuelle jamais enregistrée depuis la mise en service de la station en 1958. Non seulement la concentration en CO2 de l’atmosphère terrestre atteint des records que la Terre n’a pas connus depuis plus de 3 millions d’années et que l’Homme n’a jamais vécu, mais surtout cette augmentation se fait à une vitesse inégalée et qui continue d’accélérer d’année en année, comme si la machine était en train de s’emballer.

Une accélération qui est d’ailleurs encore plus sensible pour les rejets de méthane. En effet, le service Copernicus de l’Union européenne sur le changement climatique révélait, dans sa dernière synthèse pour l’année 2022, que cette année-là les concentrations moyennes de gaz à effets de serre avaient augmenté par rapport à leur niveau de référence du XIXe siècle, de 50 % pour le dioxyde de carbone (passant de 278 à 417 ppm) mais de 162 % pour le méthane (passant de 0,72 à 1,9 ppm), sachant que l’impact de ce dernier gaz sur le réchauffement climatique à court terme est très supérieur à celui du CO2 (84 fois supérieur sur 20 ans, même si la durée de vie de ce gaz dans l’atmosphère est inférieur, ce qui en atténue l’impact sur le long terme).

Estimation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre selon différentes sources et comparaison par rapport à la période de référence 1859-1900 (source © État du Globe 2022 / Copernicus)

Ces données factuelles n’ont donc rien de rassurant et se traduisent d’ores et déjà par un réchauffement climatique mondial supérieur à 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui laisse penser que le seuil fatidique de 1,5 °C qui servait de référence lors de la COP 21, sera très rapidement atteint. Un sondage effectué par le média britannique The Gardian auprès de nombreux scientifiques ayant participé aux travaux du GIEC et publié le 8 mai 2024, montre d’ailleurs que 80 % de ces chercheurs estiment que l’augmentation de température moyenne atteindra très vraisemblablement 2,5 °C d’ici 2100. Les trois-quarts d’entre eux se montrent désespérés par l’inertie de nos responsables politiques et par l’importance majeure du lobby économique, notamment issu de l’activité pétrolière.

L’actualité récente semble d’ailleurs plutôt leur donner raison à en croire les dernières révélations du Washington Post qui indiquait, le 11 mai 2024, que l’équipe de campagne de Donald Trump, possible nouveau Président des États-Unis à l’issue des prochaines élections de novembre 2024, aurait promis, à une vingtaine de dirigeants de grosses entreprises du secteur pétrolier de mettre fin aux réglementations à caractère environnemental qui gênent le développement de leur activité, s’il devait être réélu.

Donald Trump, champion du lobby pétrolier : un dessin signé Georges Chappatte, publié en juin 2017 par The New York Times, et toujours d’actualité

Alors que les entreprises du secteur auraient déjà versé 6,4 millions de dollars pour financer sa campagne, Donald Trump espère obtenir 1 milliard de dollars de leur part, leur assurant que le retour sur investissement leur sera favorable du fait des avantage fiscaux et réglementaires qu’il compte leur accorder en cas de réélection, s’engageant notamment à faciliter l’exportation de gaz naturel liquéfié, à accorder de nouvelles concessions de forages pétroliers dans le Golfe du Mexique et à alléger les restrictions de forage en Alaska. Certains sont restés dans l’histoire pour avoir promis leur trône contre un plat de lentilles ; nos responsables politiques le resteront sans doute pour avoir rendu la vie humaine impossible sur Terre en échange de leur réélection…

 L. V.

Maitre Gims et les pyramides : l’Histoire réécrite…

22 avril 2024

On a coutume de dire qu’il faut connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir. C’est même la raison d’être des archéologues et des historiens que de mieux comprendre comment nos ancêtres plus ou moins lointains ont vécu et comment ils ont évolué pour en arriver où nous en sommes et expliquer certaines situations auxquelles nous sommes confrontées au quotidien, voire nous aider à mieux les gérer pour ne pas refaire éternellement les mêmes erreurs.

Mais comme pour toute science humaine, il existe une part de subjectivité dont il est parfois difficile de s’extraire. L’Histoire, plus que d’autres disciplines scientifiques, est exposée aux pressions politiques et les exemples abondent de régimes qui ont cherché à manipuler la réalité historique pour donner corps à leur propre vision, quitte à créer de toutes pièces des mythes qui orientent les esprits. Sans même évoquer les approches négationnistes qui visent à nier des faits historiques comme la Shoah, le génocide arménien ou le massacre des officiers polonais à Katyn en 1940 par l’armée de Staline, il suffit de voir comment, en France, la IIIe République, à la suite d’ailleurs de Napoléon III, a forgé son « Roman national » en mettant en avant le rôle majeur du chef arverne Vercingétorix, héros de la guerre de résistance contre l’invasion des légions romaines, quitte à tordre quelque peu la réalité historique en l’embellissant…

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, tableau peint en 1899 par Lionel Royer  (source © musée Crozatier, le Puy-en-Velay / Antique Limousin)

Une tendance que certains qualifient d’« archéologie romantique », et qui consiste à imaginer, à partir de faits historiques avérés mais parcellaires, des enchaînements hasardeux pour étayer une thèse présupposée. Certains n’hésitent pas à tordre ainsi la vérité historique pour justifier de la prééminence de tel ou tel peuple du fait de l’ancienneté de sa présence, tout particulièrement dans les zones de conflit territorial comme c’est le cas actuellement en Israël et notamment à Jérusalem, où toute fouille archéologique est sujette à débats…

Les pyramides de Méroé, dans le désert soudanais, vestiges des rois de Nubie et de la culture koushite (photo © Nigel Pavitt / AWL images / National Geographic)

Même l’Égypte antique n’est pas épargnée par ce phénomène. Les pasteurs noirs américains diffusent ainsi l’idée que Koush, fils de Cham et petit-fils noir de Noé, avait conquis le monde, en s’appuyant que le fait que le royaume koushite de Nubie, alors à l’apogée de sa puissance, avait même vaincu l’Égypte en 730 avant J.-C. Le roi Piye est ainsi devenu le premier de la 25e dynastie, cette fameuse lignée des pharaons noirs, qui dut cependant battre en retraite une soixantaine d’années plus tard, face à une invasion assyrienne, le royaume de Koush se repliant alors sur son territoire du Soudan actuel, autour de sa capitale Méroé. Il continua à prospérer parallèlement à son voisin égyptien, même après que ce dernier soit tombé dans l’escarcelle romaine, à la mort de Cléopâtre, en 30 avant J.-C.

La reine Cléopâtre, représentée sur un bas-relief du temple d’Hathor à Dendérah, entre 55 et 50 av. J.-C. (photo © Peter Horree / Hemis / Alamy / Beaux Arts)

De quoi en effet alimenter bien des fantasmes quant à la puissance historique de ce royaume noir qui a marqué l’histoire trop méconnue du continent africain, qui a connu bien d’autres empires, à l’instar de ceux du Ghana ou du Mali, en leur temps bien plus prospères que bien d’autres régions du monde. De quoi contribuer à démentir le sentiment trop largement ancré que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », comme avait osé l’affirmer Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 devant des étudiants à Dakar… Au point d’engendrer, notamment parmi la culture afro-américaine, un véritable engouement pour ces périodes antiques, au risque de prendre quelques libertés avec la vérité historique.

Le rappeur Maitre Gims, au micro de la chaîne Oui Hustle en avril 2023, pour un long dialogue avec LeChairman (source © You Tube)

C’est ainsi que l’on a vu en 2023, le géant américain Netflix produite un documentaire dans lequel la reine Cléopâtre elle-même, est jouée par une actrice noire. Et l’on a pu assister à la même époque, en avril 2023, à une interview assez étonnante de Maître Gims, un rappeur francophone, d’origine congolaise, qui dialogue longuement sur la chaîne YouTube Oui Hustle, en affirmant sans ciller que les pyramides de l’empire de Koush étaient recouvertes d’or et servaient en réalité d’antennes : « Les pyramides que l’on voit, au sommet il y a de l’or, et l’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité… C’était des foutues antennes ! Les gens avaient l’électricité (…) et les historiens le savent ».

Une affirmation un peu abrupte mais énoncée avec beaucoup d’aplomb par le chanteur et compositeur à succès, créateur du groupe Sexion d’assaut, et qui se présente comme « un fan d’Histoire », capable de disserter dans cette interview que le fait que si l’Afrique n’a plus d’archives sur son passé historique glorieux, c’est parce que ses bibliothèques ont été pillées et brulées, et que « l’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens », mais qu’ils ont été décimé par les Européens venant d’Asie, les Yamnayades, évoquant même la présence de chevaliers africains en Europe, « 50 000 ans avant les Européens ».

Illustration du morceau intitulé Hernan Cortes, de Maître Gims sorti en avril 2023 (source © You Tube)

Un joyeux fatras affirmé avec un énorme aplomb et de lourds sous-entendus complotistes, confirmé par l’illustration de l’album sorti peu après par le rappeur et montrant les fameuses pyramides d’Égypte avec leur sommet couvert d’or et les transformateurs à leur pied. Une affirmation que n’a jamais reniée depuis Maître Gims, malgré les innombrables interviews et réactions que ses affirmations à l’emporte-pièce ont suscitées. Même EDF s’est fendu d’une publicité reprenant à son compte ces élucubrations saugrenues et se présentant du coup comme « fournisseur officiel d’électricité des pharaons depuis – 2 000 ans »…

Une publicité satirique d’EDF qui surfe sur les élucubrations loufoques de Maitre Gims (source © Le Point)

De quoi brouiller légèrement les repères historiques et chronologiques d’une jeunesse parfois plus prompte à écouter en boucle ses idoles du show business que ses professeurs d’école. Car bien entendu, et peut-être faut-il le préciser, il n’a jamais été retrouvé de feuilles d’or sur les pyramidions en granite noirs qui surmontaient les pyramides égyptiennes (mais pas celle de Méroé), même si l’obélisque de Louxor, qui trône sur la place de la Concorde à Paris, est bel et bien orné d’un pyramidion en bronze et feuilles d’or, mis en place en 1998…

Quant à prétendre que l’Égypte antique était déjà largement électrifiée, voire que les pyramides servaient d’émetteurs wifi, personne en dehors du rappeur Maître Gims ne s’y était jusque-là hasardé, en dehors peut-être de quelques pochetrons avinés après une soirée trop arrosée, mais il y a fort à parier, au vu de l’audience et de la notoriété de Maître Gims, que des milliers de jeunes crédules sont désormais convaincus par cet afrocentrisme conspirationniste qui ne recule devant aucune ineptie pour réécrire l’histoire à sa manière, contribuant à l’obscurantisme et au communautarisme. Bon courage aux professeurs d’Histoire qui auront à lutter contre ce type de préjugés !

L. V.

Robinson Crusoé et le Chevalier des Tuamotu

20 avril 2024

Publié en 1719, le célèbre roman d’aventure de Daniel Defoe, intitulé Robinson Crusoé, retrace l’histoire imaginaire mais inspirée de faits réels de ce marin de 28 ans, originaire de York, seul survivant d’un naufrage survenu près de l’embouchure de l’Orénoque, au large du Venezuela, et qui se retrouva seul sur une île déserte où il vécut pendant 28 longues années avant de pouvoir regagner l’Angleterre à l’occasion d’une mutinerie d’un navire de passage. Ce roman a captivé des générations entières et inspiré de multiples auteurs, dont Michel Tournier et son célèbre Vendredi, ou les limbes du Pacifique. Les adaptations au cinéma sont également innombrables, une des dernières en date étant le film américain à succès, sorti en 2000 et adapté en français sous le titre Seul au monde, dans lequel l’acteur Tom Hanks se retrouve seul survivant d’un accident d’avion sur une île déserte des Fidji où il restera plusieurs années avant d’arriver à rejoindre la civilisation sur un radeau de fortune.

Tom Hanks, Robinson Crusoé des temps modernes, sur son île déserte en tête à tête avec son ballon de volley (source © IUP / Première)

Ces robinsonnades, qui ont créé un nouveau genre littéraire, exercent un véritable pouvoir sur bien des adolescents attirés par l’esprit d’aventure. C’est précisément le cas du biologiste français Matthieu Juncker, attiré depuis tout petit par le monde de la mer et passionné de pêche, qui garde un souvenir très précis de ses lectures du chef d’œuvre de Daniel Defoe. Devenu biologiste marin après des études à Paris et à Luminy, il embarque en 2000 pour le Pacifique et n’a plus quitté la région depuis.  Polynésie. Après une thèse sur le lagon de Wallis-et-Futuna, il prend la direction en 2009 de l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie où il se passionne notamment pour la photographie sous-marine mais aussi pour le savoir ancestral des pêcheurs du Pacifique.

Le biologiste Matthieu Juncker dans son élément (photo © Claude Bretegnier / Demain en Nouvelle-Calédonie)

Après avoir participé à de multiples inventaires de faune sous-marine et à différentes expéditions, le voilà qui vient d’embarquer pour une nouvelle robinsonnade. Depuis le 17 avril 2024, il a en effet débarqué seul sur un îlot totalement désert de l’archipel des Tuamotu où il compte vivre seul et en totale autarcie pendant 200 jours, de quoi concrétiser enfin son rêve d’enfant découvrant les aventures de Robinson Crusoé. Le motu corallien sur lequel il va vivre cette aventure hors du commun fait partie de la centaine d’ilots déserts de cet archipel de Polynésie, qu’il décrit lui-même comme « assez austère, un banc de sable avec le lagon à gauche, l’océan à droite et quelques cocotiers au milieu ».

Quelques-uns des nombreux îlots déserts de l’archipel des Tuamotu, entre océan et lagon (photo © M. Juncker / À contre-courant)

Pas vraiment de quoi faire rêver, sinon du fait de l’extrême richesse des poissons multicolores qui grouillent encore dans les eaux du lagon au milieu de la barrière récifale. Un milieu extrêmement menacé par le réchauffement climatique global, le corail étant particulièrement sensible à toute variation de température. Comme pour les gorgones en Méditerranée, les scientifiques sont très inquiets pour le devenir de ces barrières coralliennes qui sont à l’origine de cet écosystème très riche mais fortement vulnérable. Comme l’explique le biologiste aventureux, « Selon les prévisions, une hausse de la température de 2 degrés suffirait à les rayer de la carte. La majorité des coraux n’ont pas la capacité de survivre à ce réchauffement et l’acidification des océans ralentira leur croissance ».

C’est donc bien le sort de ces ilots menacés et où des espèces commencent à disparaître, qui motive principalement l’expédition scientifique solitaire de Matthieu Juncker. Il s’intéresse en particulier au « Titi », un oiseau endémique qui n’a rien d’un moineau parisien comme son nom vernaculaire pourrait le laisser entendre, mais est un véritable « chevalier », au sens le plus noble du terme. Le Chevalier des Tuamotu ne se promène certes pas à cheval et armé de pied en cap, mais son port altier lui confère néanmoins une certaine distinction malgré sa petite taille (15 à 16 cm), ses pattes jaune sale, ses ailes courtes et son bec riquiqui qui le fait plutôt ressembler à un passereau.

Le Titi ou Chevalier des Tuamotu, une espèce menacée (photo © P. Raust / Manu)

De son nom scientifique Prosobonia parvirostris, cet oiseau limicole endémique des Tuamotu est de fait menacé de disparition, même s’il a réussi à survivre à son cousin, le Chevalier de Kiritimati, une espèce désormais éteinte pour l’éternité. Le dernier inventaire en date faisait état de 1000 individus encore recensés, présents sur 5 atolls seulement, mais c’était il y a 10 ans déjà et Matthieu Juncker s’est donc donné pour mission (ou prétexte) d’actualiser ces données en étudiant de près cet oiseau dans son environnement naturel, tout en analysant plus globalement l’effet de la montée des eaux sur le fragile petit atoll où il a désormais élu domicile. Il est également chargé par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) de surveiller la présence de déchets plastiques dans la mer à proximité de son motu. De son côté, l’association polynésienne Te mana o te moana lui a demandé de profiter de son séjour pour d’observer les sites de pontes de tortues.

Matthieu Juncker dans son nouvel environnement pour 200 jours (photo © Claude Bretegnier / À contre-courant)

Un programme scientifique qui devrait donc largement occuper notre Robinson Crusoé moderne, lequel compte se nourrir exclusivement de poissons pêchés dans le lagon et de noix de coco ou autres ressources végétales locales. Il prend néanmoins la précaution de se munir d’une petite unité de désalinisation d’eau de mer et d’une bâche pour recueillir l’eau de pluie, ainsi que d’une pharmacie pour faire face en cas d’accident, mais aussi de quelques outils dont une machette pour se construire son faré sur la plage.

L’expédition se nomme À contre-courant, ce qui exprime bien la volonté de Matthieu Juncker, au-delà de l’expérience scientifique de vouloir vivre une expérience personnelle forte en allant « à l’encontre de cette société de surinformation, de consommation et de sécurité ». Il disposera néanmoins d’un téléphone cellulaire et enverra régulièrement des nouvelles de son expédition dont il compte surtout témoigner largement ensuite, via un livre et un film notamment, pour alerter sur la fragilité de ces écosystèmes menacés par le réchauffement climatique et dont on ne se soucie guère…

L. V.

Optitec : naissance, vie et fin d’un technopôle de la photonique

31 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 17 mars 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Le pôle de compétitivité Optitec a été absorbé début janvier 2024 par le pôle Solutions communicantes sécurisées (SCS) et la photonique provençale n’existe donc plus en tant que telle. C’est une aventure d’un quart de siècle qui se termineJacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, revient ici sur la genèse de l’un des précurseurs des pôles de compétitivité, le premier impliquant, à l’échelle de notre région, tous les acteurs académiques et industriels d’une même thématique sectorielle.

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

La photonique est la science et la technologie des photons, ces éléments constitutifs de la lumière, à la fois ondes et particules. Mais la photonique est en fait beaucoup plus que la lumière. Car la photonique se trouve derrière de très nombreuses technologies de la vie quotidienne. Et si l’éclairage, l’optique, la vision ou l’image restent des secteurs traditionnels de ce secteur technologique, d’autres applications majeures comme les télécommunications, la biophotonique, l’énergie ou la productique, lui ont donné un grand coup de booster depuis une trentaine d’années. Aujourd’hui, les liaisons internet, les smartphones, les ordinateurs portables, la médecine et la chirurgie, la robotique, ont vécu de véritables révolutions technologiques grâce à la photonique qui s’est révélée une source d’innovations considérable.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

La photonique, la science du XXIe siècle

C’est un volumineux rapport du National Research Council (NRC) américain qui lança en 1998 l’essor de la photonique mondiale. « Harnessing Light : Optical Science and Engineering for the 21 st Century » récapitulait les inventions (lasers, fibre optique, cristaux liquides, scanners médicaux, panneaux photovoltaïques, vision nocturne, couches minces, disques optiques, LEDs, …) au regard des potentialités de leurs utilisations (communications, informatique, écrans, santé, éclairage, détecteurs, défense, spatial, processus industriels, …). Selon ses conclusions, non seulement l’économie induite devait croître très rapidement, mais la photonique était promise à devenir la science du XXIe siècle, tout comme l’électronique fut celle du siècle précédent.

À la fin des années 1990, un bouillonnement est effectivement apparu dans certains pays et les premiers clusters de photonique avaient déjà vu le jour. En Amérique du Nord, plusieurs pôles se structuraient (Californie, Tucson, Québec). En Europe, l’Allemagne avait pris un peu d’avance avec deux associations industrielles régionales traditionnellement à forte composante optique (Jena, Berlin). En France, c’est d’abord en Île-de-France (Optics Valley), en Bretagne (Lannion autour des télécoms) et en Provence Alpes Côte d’Azur avec POPsud que le mouvement était le plus visible.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Le pôle optique et photonique POPsud 

La genèse de POPsud a sans doute été la plus originale, puisqu’elle a eu lieu autant à l’initiative de chercheurs universitaires et du CNRS, que de responsables ou cadres d’entreprises d’optique. La situation locale était tout à fait particulière : les principaux acteurs se connaissaient de longue date ! Les relations se regroupaient autour de deux grands sujets : l’astronomie et l’espace d’une part, la physique des matériaux de l’autre. Concernant la physique, par exemple, beaucoup d’entrepreneurs avaient gardé un lien avec le laboratoire où ils avaient étudié, suivi un stage, été parfois salariés, alors qu’une partie non négligeable de la recherche publique était financée sous contrats.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Le cas du spatial et de l’astronomie était différent. Les astronomes provençaux étaient largement impliqués et souvent même à l’initiative de la construction de grands instruments mondiaux (satellites, grands télescopes français à Hawaï ou européens au Chili). La fabrication de ces télescopes et l’instrumentation auxiliaire étaient régulièrement confiées à des industriels locaux. Le déclencheur du rapprochement a été la nécessité de renouveler fortement un équipement important (bancs de tests, chambres propres, refroidies ou à vide) à la fois dans les entreprises et les laboratoires. La complexité et le coût de ces équipements étaient incompatibles avec une utilisation à temps partiel. Aussi, les tout premiers projets financés par POPsud ont largement été consacrés à des « moyens mutualisés », localisés dans le privé ou le public, mais partagés.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Tout restait à inventer

Le principe de la création de POPsud avait été adopté en octobre 1999, lors d’une réunion de six fondateurs. Trois entrepreneurs : Gilbert Dahan, de SESO (13), Charles Palumbo, de Cybernetix (13) et Gérard Greiss, de SEOP (83). Trois chercheurs universitaires : François Flory, de l’Institut Fresnel (13), Farrokh Vakili, de l’Observatoire de la Côte d’Azur (06) et moi-même, du Laboratoire d’astrophysique de Marseille (13). Nous ne savions pas du tout où nous allions. Tout restait à inventer. C’était grisant, mais nous étions d’accord pour tenter le coup d’une structure régionale, réellement nouvelle, qui n’avait de sens que si elle accélérait réellement le développement de la photonique dans notre région où les acteurs étaient déjà nombreux et souvent de niveau international. Notre petite histoire retiendra que nous nous étions engagés à nous reposer chaque année (et cela a été fait au moins jusqu’en 2013) la question de la prolongation du pôle. Il n’était pas question d’institutionnaliser une structure qui aurait perdu son dynamisme et son inventivité.

La Provence, une terre historique de recherche et d’essaimage industriel en optique

La Provence a été de longue date une terre de développement de l’optique, initialement autour de l’Observatoire de Marseille, initialement « Observatoire royal de la marine », créé en 1702 aux Accoules, puis transféré « en limite de la ville » en 1860 sur le plateau Longchamp. Marseille s’enorgueillit donc d’être la ville du troisième observatoire astronomique moderne construit au monde, juste après Paris (1667) et Greenwich (1675). Et surtout, Marseille fut dotée en 1865 du télescope de 80 cm de Foucault (que l’on peut toujours visiter), alors le plus grand au monde, le premier instrument associant un miroir parabolique et une réflexion par couche argentée, en rupture totale avec la tradition des lunettes astronomiques. C’est toujours le principe optique des télescopes actuels, terrestres ou spatiaux. L’instrument, révolutionnaire, disposait même d’un support de miroir actif, concept longtemps oublié, mais qui équipe aujourd’hui tous les télescopes géants modernes.

Présentation d’Optitec le 16 mars 2003 (source © Gomet)

Vérifier la relativité générale d’Einstein

L’inventivité de Marseille en matière optique ne s’arrête pourtant pas là. En 1897, à l’université, alors sise rue Sénac de Meilhan en haut de la Canebière, deux physiciens, Alfred Perot et Charles Fabry, inventèrent l’interféromètre à ondes multiples qui porte leur nom, l’interféromètre de Fabry-Perot. Il s’agit d’une invention majeure de la métrologie, qui permit notamment la vérification observationnelle de la relativité générale d’Einstein lors d’une éclipse de Soleil en 1919. Aujourd’hui, elle est essentielle aux contrôles des surfaces optiques, à la mesure des déplacements infinitésimaux, aux filtrages de longueurs d’onde et est utilisée quotidiennement dans la recherche et l’industrie.

Un peu plus tard, à partir des années 1930, c’est un autre domaine d’excellence qui se développe à partir de Marseille : celui des couches minces métalliques, de quelques dizaines de microns au plus. Associées au départ à l’amélioration de l’interféromètre de Fabry-Perot, elles trouvent bien vite d’autres applications et sont aujourd’hui indispensables comme antireflet dans les composants photo-électroniques, la lunetterie, les cellules photovoltaïques.

SESO, pionnier de la photonique

Ce contexte académique a bien évidemment été déterminant dans la création en 1979 à Aix-en-Provence, de la société SESO (Société européenne de systèmes optiques), créée par des cadres issus de la société Bertin. SESO est spécialisée dans la conception et la fabrication de composants et de systèmes de précision dans le domaine de la photonique, notamment pour le secteur aéronautique et spatial.

En 1989, c’est le calcul optique qui vient compléter la panoplie, avec la création, par un jeune diplômé de l’École supérieure d’optique de Marseille, de la société Optis à La Farlède dans le Var. Avec le développement de la simulation et le prototypage virtuel en matière d’optique, Optis deviendra l’un des acteurs majeurs du secteur avant d’être rachetée en 2018 par le géant mondial de la réalité virtuelle Anzys, pour les véhicules autonomes.

Au début des années 2000, le projet Iter de fusion thermonucléaire à Cadarache s’intéresse aussi à la photonique. D’ailleurs, les contraintes d’intégration de capteurs, de lasers, d’imageurs dans un milieu radiatif hostile avec zéro défaut et zéro panne, s’apparentaient fortement à celles déjà présentes dans POPsud autour du spatial et des systèmes sous-marins.

C’est évidemment avant tout ce lien très fort existant entre une recherche universitaire établie dans le domaine des sciences de la lumière et un tissu industriel très riche dans les domaines de l’optique, qui a permis l’émergence, en 1999, du pôle d’optique et de photonique POPsud, simultanément avec la création d’Optics Valley en région parisienne, bien avant l’annonce, en 2005, des premiers pôles de compétitivité.

Un outil clé : les plateformes mutualisées

Les bonnes fées étaient présentes lors de la naissance de POPsud. Jean-Pierre Nigoghossian, ancien de Bertin, de l’Institut méditerranéen de technologie, puis directeur de la recherche et de la technologie en région, a accompagné de nombreux conseils, ce qu’il faut bien appeler une « aventure avant l’heure ». La première étude de faisabilité, réalisée par le cabinet parisien Atalaya confirmait à la fois l’anticipation du boom mondial de la photonique et les potentialités locales.

Jean-Pierre Nigoghossian (photo © CA / GoMet)

Cerise sur le gâteau, Pierre Bernhard, le fondateur et directeur de l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) à Sophia-Antipolis, acceptait de présider le conseil scientifique de POPsud, alors que la photonique n’était vraiment pas sa spécialité. Mais ce recul s’avérera décisif dans la sélection et la réussite des premiers projets. Le principe novateur initial retenu fut également que 30 % du conseil stratégique ne soit pas directement lié à la photonique et que 30 % soit extérieur à la région. Tout était sur la table. Tout était à inventer. Un vrai défi collectif !

Pierre Bernhard, fondateur de l’INRIA à Sophia Antipolis (source © Sciences pour tous 06)

13 projets communs financés

Entre 2001 et 2005, 13 projets communs entreprises-laboratoires virent le jour pour un financement de sept millions d’euros, issu à 53 % du privé. Évidemment, la sélection en 2005 de POPsud (qui devient alors Optitec) dans le cadre de l’appel d’offres des pôles de compétitivité allait changer l’échelle du financement. Entre 2006 et 2012, chaque année en moyenne, dans le cadre du pôle de compétitivité, 15 à 20 projets mutualisés sont financés pour une quarantaine de millions d’euros (dont 50 % venant du privé). En 2010, Optitec s’étend à la région Languedoc-Roussillon.

15 000 emplois, 1 500 chercheurs

La labellisation comme pôle de compétitivité a indéniablement favorisé la croissance des entreprises. Selon les statistiques d’Optitec, qui ne compte strictement que les emplois liés à l’optique-photonique, en 2000, la filière régionale comptait 3 000 emplois qualifiés dans 15 000 emplois industriels associés et 1 500 chercheurs. Entre 2006 et 2012, 1 600 emplois directs qualifiés furent créés ainsi que 30 start-up avec un taux de survie de 82 %. La croissance annuelle locale était légèrement supérieure à la croissance mondiale de la photonique (15 %), ce qui en faisait un secteur régional très dynamique.

En 2013, le chiffre d’affaires des entreprises régionales de photonique atteignait 1 300 M€, concentrant 25 % des activités françaises de recherche et développement dans le secteur optique. En 2012 était inauguré, sur le technopôle de Château-Gombert, l’Hôtel Technoptic, accélérateur pour les start-up de l’optique, la photonique et des objets connectés IOT à la fois pépinière d’entreprises et hébergeur de plateformes technologiques. En 2010, Optitec était récompensé du Label de Bronze de cluster européen sous l’égide de la Commission Européenne.

Partie du Comité stratégique de POP Sud (source © archives J. Boulesteix / GoMet)

Avec un taux d’exportation de ses entreprises supérieur à 35 % à sa création et des laboratoires publics de recherche mondialement reconnus, POPsud/Optitec était naturellement tourné vers l’extérieur. Les accords d’échange et les visites d’entreprises à l’étranger furent nombreux : Singapour 2004, Israël 2004, Shangaï 2004 (Optochina), Canada 2002 et 2005, Iéna 2008 (Optonet/Zeiss), Royaume-Uni 2008, MIT et Boston University 2009, Shenzhen 2009, Brésil 2010, Espagne 2011 (SECPHO), Italie 2012 (OPTOSACANA), Russie 2011 et 2012, … En 2005, Optitec créait le Réseau optique méditerranéen (ROM), financé par l’Europe et réunissant les régions de Valence, Catalogne, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Toscane, Sardaigne, Crète et Israël.

La photonique : un domaine bouleversé par l’irruption de l’acteur chinois

Dès 2013, l’Union européenne avait identifié la photonique comme l’une des six technologies clés du XXIe siècle (KET, Key Enabling Technology). Les Chinois aussi, certainement. Car la Chine envahit alors rapidement le marché mondial de composants optiques à faible coût et rattrape à grand pas son retard sur les systèmes photoniques complexes. Avec une croissance dans ce secteur une fois et demi supérieure à celle de l’Europe et un immense marché intérieur, la Chine, qui y était quasiment absente dans les années 2000 rivalise de plein fouet avec la photonique européenne (et américaine). Le 4e plan quinquennal chinois (2021-2025) a d’ailleurs placé l’optique-photonique au cœur des technologies prioritaires. On savait déjà que la Chine était devenue le premier marché mondial de consommation des circuits intégrés avec une part du marché mondial de 34,4 %, contre 21,7 %, pour les États-Unis et 8,5 % pour l’Europe. C’est aussi le cas pour la photonique.

Pour bien en comprendre l’enjeu, il faut savoir que la science et les applications de la lumière représentent, en termes de PIB, environ 11 % de l’économie mondiale. C’est le secteur de plus forte croissance. Les revenus annuels mondiaux des produits photoniques dépassent 2 300 milliards d’euros. Cette industrie emploie plus de 4 millions de personnes. La chaîne de valeur de la photonique est très large. Elle va du verre aux systèmes très intégrés, en passant par l’éclairage, la fibre optique, les lasers, les imageurs, les panneaux photoélectriques. La photonique est présente dans tous les systèmes complexes : robots, avions, espace, smartphones, scanners médicaux, communications, ordinateurs, machines-outils, les véhicules autonomes, sans parler du militaire…

L’Hôtel Technoptic, accélérateur pour les start-up de l’optique  (source © Gomet)

Certes la France n’est pas démunie. Selon les statistiques de l’European Photonic Industry Consortium (EPIC), qui compte assez largement toutes les activités liées de près ou de loin à la photonique, l’écosystème photonique français représente 19 Md€ de chiffres d’affaires, une croissance de 7,5 % par an et 80 000 emplois. Ce n’est pas rien. D’autant plus qu’au-delà des groupes de taille mondiale comme Thales, Safran, Essilor ou Valeo, on estime le tissu riche de 1 000 entreprises dont 40 % ont moins de 10 ans. Elles génèrent une activité estimée à 15 Md€ avec plus de 80 000 emplois hautement qualifiés, opérant sur un marché mondial estimé à 525 Md€.

Le contexte de l’innovation dans lequel est né POPsud a profondément évolué en 25 ans

D’une part, contrairement à d’autres pays européens, le tissu industriel français le plus innovant à l’époque, clairement composé de PME partenaires de laboratoires de recherche publics, n’a pas vraiment réussi sa mutation vers des établissements plus importants (ETI) disposant d’une assise financière suffisante et de ressources humaines pour attaquer de gros marchés. La croissance, pourtant importante dans le secteur de la photonique, a plafonné.

À cette faiblesse structurelle très française, s’est ajouté, au fil du temps, un certain essoufflement des croisements entre les partenaires des pôles, dont les projets peinent, après quelques années, à échapper à une certaine consanguinité, qui n’a peut-être pas été assez anticipée. Or l’innovation, c’est aussi la découverte, la surprise d’un nouveau partenaire. D’où les nouvelles stratégies d’élargissement thématique et de fusion avec d’autres pôles. Enfin, les partenariats directs entre les entreprises à l’échelle mondiale se sont développés, chaque entreprise dynamique cherchant aujourd’hui à disposer d’un point d’appui sur chaque continent, au risque de créer des conflits à l’intérieur même des pôles. Le chacun pour soi s’est développé, s’éloignant toujours un peu plus de l’esprit des initiateurs des premiers pôles.

Il serait cependant bien hasardeux de penser que le renouveau des mécanismes d’innovation passe par une rationalisation ou une intégration à une échelle toujours plus grande. L’histoire enseigne que les idées naissent dans de petites entités, de petites équipes, plus favorables à l’ouverture et au dynamisme. Ce n’est pas le cas de la production ou de la percée sur les marchés, qui font appel à d’autres ressorts, pas forcément liés à une logique de pôles. C’est cette dualité que nous a permis de mieux comprendre, depuis 25 ans, l’expérience des pôles pionniers comme POPsud.

J. Bx.

Après les cagoles, les perruches de Marseille

18 mars 2024

Les cagoles, à Marseille, ce sont ces jeunes femmes que l’on ne peut que remarquer. Outrageusement maquillées, habillées de manière extravagante et souvent un peu provocante, elles se déplacent en groupe en piaillant fort, et ne passent pas inaperçu. L’humoriste Yves Pujol les a même comparées à du tuning, ces voitures que l’on personnalise pour mieux se faire remarquer dans la rue : « la cagole est à la femme ce que le tuning est à la voiture de série : un festival de couleurs, d’accessoires, de chromes aux oreilles, au cou, aux bras et bien sûr de pièces non d’origine pour une ligne toujours plus profilée, de jantes toujours plus larges et de pare-chocs toujours plus imposants ».

La cagole marseillaise, décryptée dans le documentaire « Cagole forever » diffusé en 2017 sur Canal + (source © Le Bonbon)

On ne sait même pas très bien d’où vient ce nom de cagole, si typiquement marseillais. Certains font le rapprochement hasardeux avec le verbe provençal « caguer », ce qui laisse penser une certaine filiation avec celle que le poète disparu, Georges Brassens, toute « misogynie à part », avait qualifiée de « véritable prodige / emmerdante, emmerdeuse, emmerderesse itou ». Mais d’autres évoquent plutôt un lien étymologique avec le terme provençal « cagoulo » qui désignait le tablier des femmes qui travaillaient dans les nombreuses usines d’ensachement de dattes, jadis florissantes à Marseille.

C’est notamment le cas de la société Micasar, fondée en 1948 et initialement implantée cours Julien avant de déménager boulevard Michelet, puis d’aménager en 1964 un autre atelier dans une ancienne savonnerie de la rue Roger Salengro, suivi en 1977 d’un troisième au 3 boulevard Louis Villecroze, dans des locaux autrefois occupés par les Pastis Berger. Cette dernière usine, rachetée en 2002 par la coopérative France-Prune, a fermé en 2007 seulement, faisant tomber dans l’oubli cette expression courante que bien des petites Marseillaises ont entendu dans leur enfance : « si tu ne travailles pas bien à l’école, tu iras travailler aux dattes ! ».

La cagole de Marseille, une figure qui sert même la bière locale… (source © La Cagole)

Il faut dire que le travail d’ensachage à l’usine était particulièrement pénible et très mal payé, au point que nombre de ces jeunes femmes arrondissaient leurs fins de mois en allant vendre leurs charmes dans le voisinage, d’où sans doute cette expression de « cagoles », tellement typique du patrimoine marseillais qu’une marque locale de bière, créée en 2003 par Yves Darnaud, certes désormais brassée à Douai mais avec un site de distribution basé à Gémenos, lui a même empruntée son nom.

Mais dans les rues de Marseille désormais, l’attention n’est plus attirée seulement par ces cagoles haut perchées en tenue léopard, mais aussi par les plumages criards et les piaillements tout aussi stridents de milliers de perruches qui envahissent par place le ciel de la cité phocéenne. Relâchées dans le parc Borély en 1990, les perruches à collier, Psittacula krameri, pour les intimes, pourtant originaires non pas des Calanques mais plutôt de la péninsule indienne ou de l’Afrique de l’Ouest, s’y sont acclimatées depuis des années, raffolant de cet endroit bruyant et fortement éclairé la nuit, où les rapaces, leurs plus dangereux prédateurs, n’oseraient jamais s’aventurer.

Une perruche à collier femelle, photographiée ici en Allemagne (photo © Andreas Eichler / CC BY-SA 4.0 / Wikipedia)

Cette invasion de perruches n’est pas propre à Marseille, loin s’en faut. A Bruxelles, où une quarantaine de perruches s’étaient fait la belle du zoo en 1973, on en dénombrait pas moins de 8000 quarante ans plus tard et sans doute autour de 20 000 à Londres… En Île-de-France, leur nombre atteignait un millier en 2008 et avait été évalué à 5000 en 2016 ! En 2019, France 3 se faisait l’écho des recensements réalisés à Marseille, deux fois par an par une docteur en écologie, Marie Le Louarn, près des trois principaux dortoirs où les perruches se rassemblent chaque soir pour passer la nuit en groupe dans les platanes de la place Rabatau notamment, mais aussi à Aubagne. On comptait alors près de 1500 individus et un nouveau reportage de BFM TV début mars 2024 indiquait que ce chiffre avait plus que doublé depuis et qu’on atteindrait désormais les 3500 individus dans le ciel de Marseille et sa proche banlieue !

Une conure veuve, photographiée ici dans le Mato Grosso, au Brésil (photo © Bernard Dupont / CC BY-SA 2.0 / Wikipedia)

Et voilà qu’une autre espèce de perruches les a désormais rejoints et a établi ses quartiers dans le secteur de la passerelle de Plombière, sur la place Burrel, en limite sud du 14e arrondissement. Il s’agit cette fois de perruches-souris, dites aussi conures veuves, ou Myiopsitta monachus de leur nom scientifique. Originaire d’Amérique du Sud, cette espèce de perruche, particulièrement colorée, a déjà colonisée une bonne partie des USA et est désormais présente dans les jardins publics d’un grand nombre de villes européennes. On en voir aussi en liberté à Montpellier ou à Toulon, mais aussi à Barcelone, Rome, Athènes ou Bruxelles.

La particularité de cette dernière espèce est son habitude de construire d’énormes nids collectifs à plusieurs entrées, constitués d’un incroyable enchevêtrement de brandilles et petits branchages, qui peuvent atteindre plusieurs mètres de diamètre et peser jusqu’à 200 kg. De quoi inquiéter vaguement les riverains qui voient ces énormes amas faire ployer au-dessus de leur tête les branches de platanes déjà envahies de tigres.

Perruches près de leur nid à Marseille (photo © Gilles Bader / La Provence)

L’espèce vit en couple et les femelles pondent deux fois par an en moyenne 5 à 6 œufs, de quoi expliquer la forte croissance de l’espèce qui s’installe durablement dans le paysage marseillais, aux côtés des perruches à collier, plus nombreuses, qui vivent aussi en colonies mais font plutôt leur nid dans les anfractuosités des troncs de platanes, et de quelques perruches mitrées que l’on reconnait à leur tête tachetée de rouge qui dénote franchement de leur plumage d’un vert éclatant. Chez ces oiseaux-là, on aime se faire remarquer, ce qui explique peut-être pourquoi ils se sont aussi facilement acclimatés à l’ambiance marseillaise. Au point d’ailleurs que certains considèrent ces espèces parfaitement exotiques comme vaguement envahissantes, sources de nuisances sonores lorsqu’elles piaillent en chœur en regagnant leur dortoir chaque soir, mais aussi génératrices de nombreuses fientes sur l’espace public, et volontiers chapardeuses des baies, petits fruits, graines et jeunes pousses dont elles se nourrissent.

Perruche à collier confortablement installée dans un arbre creux pour nicher (photo © Franck Vassen / Flickr / Reporterre)

Considérées comme nuisibles pour les cultures en certains endroits de la planète, ce n’est pour l’instant pas le cas en France, surtout dans l’environnement urbain marseillais. Une vaste étude menée en 2019 a d’ailleurs conclu que cette augmentation spectaculaire des perruches en Europe ne pose pour l’instant pas de problème spécifique de concurrence avec les espèces locales, même si l’on subodore une certaine concurrence sur l’accès aux cavités arboricoles favorables pour nicher, en particulier avec une espèce de chauve-souris, la Grande Noctule. Mais pour la nourriture, les perruches, bien que plus imposantes que nombre d’espèces locales, tel le moineau, la mésange ou le rouge-gorge, ne semblent pas constituer une menace, pas plus en tout cas que les pies ou les tourterelles déjà bien implantées dans le paysage.

L’implantation de ces oiseaux exotiques dans les platanes de la cité phocéenne est donc probablement partie pour durer et tout laisse penser que désormais la perruche, comme la cagole, fait partie du paysage urbain marseillais…

L. V.

La région face à la mondialisation et aux nouveaux défis de l’innovation (1ère partie)

6 mars 2024

La chronique ci-après a été publiée le 25 février 2024 par GoMet, un média tout numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment dans les domaines de l’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle.

Souhaitant revenir sur les différentes initiatives prises localement en faveur de la recherche appliquée et du développement technologique, GoMet a sollicité Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS et élu à la mairie de Marseille de 1989 à 1995, alors chargé du développement des technopôles et des universités. Président-fondateur de POPsud en 2000 puis d’Optitec en 2006, il créa également le Comité national d’optique et photonique regroupant les pôles régionaux en optique ainsi que les industriels de la filière. A la fin des années 2000, administrateur de la plateforme européenne Photonics 21, il crée le réseau Optique Méditerranéen, ainsi que l’European Network of Optical Clusters (ENOC). Il dirigea de 2010 à 2018 le fond régional d’investissement Paca Investissement, aujourd’hui Région Sud Inves. Il a aussi été le premier président du Cercle progressiste carnussien et a été élu au Conseil municipal de Carnoux en 2020.

Cette chronique est le premier volet d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des différentes structures mises en place localement pour accompagner et favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité… Les deux autres volets de cette série, seront publiés ultérieurement, en décalé avec leur diffusion sur GoMet

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

1970-2000 : le fait technopolitain

La première initiative de mutation technologique de l’économie française s’est matérialisée par la naissance des technopôles, conçus comme des espaces protégés, consacrés aux hautes technologies, basés sur une stratégie territoriale simple et efficace : (re)localiser les entreprises technologiques sur un territoire susceptible d’accélérer leur développement en proximité d’écoles d’ingénieurs et de laboratoires de recherches. Sophia Antipolis constitua, dès 1969, un précurseur largement financé par l’État (Datar), suivi de Grenoble en 1971. Ils ne faisaient que s’inscrire dans le sillage de laRoute 128 (le “demi-cercle magique” de Boston), apparu à la fin des années 50 à proximité de l’Université de Harvardet du MIT, et de la Silicon Valley en Californie dans les années 60 autour des entreprises de semi-conducteurs et de l’Université de Stanford. 

Les technopôlessont donc avant tout, à cette époque, des lieux structurés pour favoriser les relations université-recherche-entreprises, avec l’idée simple de « transformer l’intelligence en richesse ». Dans les Bouches-du-Rhône, trois technopôles virent ainsi le jour. 

Premier en date, le technopôle de Luminy fut structuré en 1985 autour des bio-techs sur un site universitaire développé dans les années 1970 autour des mathématiques, de la physique, de l’architecture et du sport. Il s’étend sur une centaine d’hectares. 

Entrée du Laboratoire d’astrophysique de Marseille sur le technopôle de Château-Gombert (photo © Gomet)

Le technopôle de Château-Gombert date, lui, du début des années 1990 et correspondait plutôt à la thématique des sciences de l’ingénieur. Il fit l’objet d’une action à la fois financée par l’État avec la création de l’Institut Méditerranéen de Technologie (IMT) et par la ville de Marseille avec une opération foncière touchant 180 ha. L’implication de l’État, avec le déménagement d’écoles d’ingénieurs et celle de la Chambre de Commerce, avec la création de la Maison du Développement Industriel (MDI), furent déterminantes. Le scientifique et ministre Hubert Curien fut d’ailleurs président du Groupement d’Intérêt Public créé à cet effet.

Le technopôle de l’Arbois démarre, lui, en 1995, avec l’installation du Centre de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (CeReGE) dans les locaux rénovés de l’ancien sanatorium. Il se développe vraiment dans les années 2000, sur 75 ha, autour de la thématique de l’environnement.

Le salon Envirorisk sur le technopôle de l’Arbois, reconnu par le label Parc+ (photo © Christian Apothéloz / Gomet)

De 1970 aux années 2000, la structuration du monde de l’innovation en France est donc marquée par la création de divers “technopôles” (au masculin), de “technopoles” (au féminin), de “parcs technologiques”, de “parcs scientifiques”, de “zones d’innovations”, de “vallées scientifiques”, de “polygones technologiques”, qui, quel que soit le vocable, se réfèrent tous au même concept : un espace spécifique protégé à vocation scientifique et technologique. Il y en a une cinquantaine en France.

Les technopôles : un bilan positif, mais contrasté

Le bilan de ces 40 années d’existence est contrasté. Bâtis sur le modèle américain de la Silicon Valley, ils sont loin d’avoir eu son dynamisme. Selon le réseau Retis et une enquête du journal Les Echos en 2022, les 43 technopôles référencés regroupent 14 000 entreprises et 180 000 salariés. C’est évidemment bien loin des 504 000 emplois du secteur de l’innovation localisés dans la Silicon Valley (auxquels il faudrait rajouter 571 000 emplois dans l’innovation en Californie du Sud). En fait, si les technopôles français ont largement contribué à développer les synergies entre les entreprises innovantes et la recherche publique, ils n’ont jamais vraiment réussi à concentrer les outils et les moyens de leur développement.

L’une des critiques est que la concentration d’activités technologiques les isole de fait du reste de la vie économique. Le croisement vertueux de la connaissance y reste limité. Les technopôles peinent à rayonner sur l’ensemble du tissu économique local. Les initiatives communes des différents acteurs publics et privés se heurtent rapidement aux clôtures-même du technopôle : il y a ceux qui sont à l’intérieur et ceux qui sont à l’extérieur. Le développement du concept, théoriquement plus ouvert, de technopôles urbains (comme Château-Gombert) n’a pas pleinement répondu à cette difficulté.

Le campus de la faculté des sciences et du sport à Luminy, en bordure des Calanques (photo © Gomet)

Le second problème est que les technopôles n’ont pas réussi (à quelques exceptions près) à attirer un financement suffisant pour le développement de leurs entreprises. D’ailleurs, même aujourd’hui, si en France comme en Europe, la valeur des investissements en capital-risque a triplé en 10 ans, le fossé continue de se creuser avec les États-Unis où cet effort est plus du triple de celui de toute l’Europe et se concentre particulièrement sur les zones technologiques peu nombreuses, hébergées sur une dizaine d’États seulement. De plus, la part du capital-risque consacrée à l’innovation scientifique et technologique est inférieure à 50 % en Europe et supérieure à 85 % aux USA. Et la seule Silicon Valley concentre 20 à 25 % de tout l’investissement capital-risque américain en matière d’innovation…

Les politiques locales sont aussi parfois contestées : concernant les technopôles français, si les opérations foncières à maîtrise publique ont été déterminantes, elles ont été bien souvent, pour des raisons de rentabilité à court terme, alimentées par des opportunités de relocalisations d’entreprises existantes au détriment de l’aide aux startups. Même si les lieux d’hébergement dédiés (espaces de coworking, pépinières, incubateurs, accélérateurs) se multiplient, la fragmentation existe et elle n’est pas toujours favorable à l’innovation.

Les technopôles ne pouvaient donc répondre seuls au défi de l’innovation. D’ailleurs, les acteurs eux-mêmes l’avaient bien compris. En Provence, il y aurait eu place à un technopole marin et portuaire ou à un autre dans le domaine de l’aéronautique. Ces deux secteurs étaient développés, dynamiques, localisés et avaient besoin d’innovation. Mais dès les années 2000, le vent avait tourné. Le développement de réseaux, de nouveaux pôles, non localisés semblait plus prometteur.

J. Bx.

Aux grands hommes, Carcassonne reconnaissante…

4 mars 2024

Il n’y a pas qu’à Carnoux que les voisins sont vigilants. A Carcassonne, un riverain s’est étonné de la pose récente par la municipalité de deux nouvelles plaques orgueilleusement signées du logo prestigieux « Carcassonne – Patrimoine mondial » pour indiquer le nom de l’avenue Pierre Curie, une perpendiculaire à la RN 113, laquelle traverse la ville de part en part. L’un de ces deux nouveaux panneaux a d’ailleurs été mis en place pour remplacer l’ancien, jugé trop vétuste. Sauf que sur ces deux nouveaux panneaux installés par des agents municipaux, le nom du grand physicien français est orthographié de manière assez exotique « Pierre Curry ».

Une plaque de rue manifestement mal orthographiée à Carcassonne (source © Capture d’écran Facebook – Thierry Raynaud)

Notre voisin vigilant s’en est étonné et a signalé l’erreur sur son compte Facebook, déclenchant immédiatement une bronca des journalistes locaux toujours à l’affut d’une belle boulette. Contacté le samedi 24 février dans l’après-midi, le cabinet du maire indiquait ne pas être au courant. Mais dès 16h30, des agents des services techniques communaux étaient mobilisés, en dehors même des heures ouvrées, pour s’empresser de démonter les deux panneaux litigieux. Ce qui n’a cependant pas empêché la commune d’être la risée de tous les médias qui font depuis leurs gorges chaudes de ce petit loupé administratif.

Sans compter les réseaux sociaux qui s’en donnent à cœur joie, telle cette internaute qui réagit ainsi à la photo publiée sur Facebook : « C’est épicé : ça pique les yeux ! », tandis qu’un autre s’amuse : « Et Marie Basmati, alors ? »

Le curry, un mélange d’épices inventé par les colons britanniques de la Compagnie des Indes et qui agrémente largement la cuisine du sous-continent indien et très au-delà… (photo © Divya Kudua / Flickr)

Les services techniques de la Ville de Carcassonne ne sortent certes pas grandis de ce petit loupé peu glorieux qui laisse entendre que le recrutement de ses agents gagnerait à être plus exigeant en matière de maîtrise de la culture générale. Il est vrai que le physicien Pierre Curie, pas plus d’ailleurs que son homonyme culinaire qui désigne de multiples préparations épicées issues plutôt du sous-continent indien, n’est pas connu pour ses attaches locales dans le Carcassonnais. Né à Paris en 1859, il est décédé dans la même ville en 1906, d’un banal accident de la circulation, heurté malencontreusement par un camion hippomobile en voulant traverser la rue Dauphine.

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire à l’EMPCI, vers 1898 (source © Musée Curie coll. ACJC / Cote MCP80.02 / Université Paris sciences et lettres)

Alors responsable du laboratoire de physique de l’École municipale de physique et de chimie industrielle de la Ville de Paris, il épouse en 1895 une jeune thésarde polonaise qui ne s’appelait pas Marie Basmati mais Maria Sklodowska. Il abandonne alors ses brillantes recherches sur le magnétisme et travaille dès lors avec son épouse sur la radioactivité, l’aidant à traiter un stock d’une tonne de pechblende issu de Bohème, ce qui leur permet d’annoncer en 1898 la découverte de deux nouveaux éléments radioactifs, le polonium et le radium. Pierre Curie sera ainsi le premier à découvrir les potentialités de l’énergie nucléaire et à caractériser les différents rayonnements nucléaires.

En 1903, Pierre et Marie Curie reçoivent conjointement et avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique pour avoir réussi à déterminer la masse atomique du radium. Sa disparition tragique et brutale, alors qu’il venait d’être élu membre de l’Académie des Sciences en 1905, n’empêchera pas son épouse de poursuivre leurs recherches et de recevoir en 1911 un second prix Nobel, en chimie cette fois, pour sa découverte du polonium et du radium.

Marie Curie dans le laboratoire de la rue Cuvier vers 1913 (source © Henri Manuel / Musée Curie – coll. ACJC / Le journal du CNRS)

Elle codirige le nouvel institut du radium qui ouvre ses portes en 1914 rue d’Ulm et qui porte depuis son nom, et se mobilise avec toute son équipe durant la Première guerre mondiale en concevant des unités chirurgicales mobiles passées à la postérité sous le nom de « petites Curies ». Après la guerre, la découverte des vertus thérapeutiques du radium dans le traitement contre le cancer vaut à son institut une renommée mondiale. Atteinte de leucémie, elle meurt en 1934 mais sa fille, Irène Joliot-Curie reprend le flambeau et recevra en 1935 à son tour le prix Nobel de physique avec son mari, Frédéric Joliot, pour leurs travaux sur la radioactivité. Pierre et Marie Curie reposent depuis 1995 au Panthéon.

Une renommée mondiale incontestable donc, mais qui n’est manifestement pas arrivée aux oreilles de certains employés municipaux de la bonne ville de Carcassonne, probablement plus portés sur les vertus gustatives de la cuisine orientale : chacun ses centres d’intérêt !

L. V.

Il y a 80 ans, le dernier épisode de la bataille de l’eau lourde

21 février 2024

Il arrive parfois que des événements historiques soient tellement rocambolesques qu’ils dépassent les meilleurs scénarios de fiction. Ils en deviennent par conséquent une source d’inspiration inépuisable pour les auteurs de thrillers et de films d’action. C’est le cas de ce qui est resté dans l’Histoire comme « la bataille de l’eau lourde ». Cet épisode a inspiré dès 1947 un premier film franco-norvégien du même nom, sorte de docu-fiction dans lequel la plupart des vrais protagonistes jouent leur propre rôle. C’est aussi la toile de fond du film sorti en 1965 et intitulé Les héros de Telemark, dans lequel jouait notamment Kirk Douglas, mais aussi de celui réalisé en 2003 par Jean-Paul Rappeneau et intitulé Bon voyage. Une série norvégienne Les soldats de l’ombre, diffusée en 2015 en 5 épisodes, relate également en détail cette histoire qui a inspiré bien d’autres auteurs…

Extrait de la série norvégienne Heavy Water War : les soldats de l’ombre (source © Bulles de culture)

Pour se remettre dans le contexte, rappelons que les principes de la fission nucléaire, pressentis de manière théorique par Enrico Fermi et son équipe dès 1934, sont réellement décrits dans une publication cosignée par l’Allemand Otto Hahn, le 17 décembre 1938, lequel précise ensuite, début 1939, les résultats du bombardement d’un atome d’uranium par des neutrons. Le physicien danois Niels Bohr, alerté par les Autrichiens Lise Meitner, ancienne collaboratrice d’Otto Hahn, et son neveu Otto Frisch, évoque le sujet avec Albert Einstein, alors installé à Princeton après avoir fui l’Allemagne nazi.

Les physiciens Niels Bohr et Albert Einstein, ici en 1930 (source © P. Ehrenfest / Futura Science)

Ces scientifiques voient en effet se dessiner les impacts militaires d’une réaction de fission nucléaire qui dégage une énergie importante, au point qu’Albert Einstein, pacifiste convaincu, décide de cosigner le 2 août 1939 une lettre au président Roosevelt, l’alertant sur le risque d’une telle arme nucléaire sur laquelle travaillent les Allemands. On sait désormais que ces derniers n’ont jamais été en mesure d’aller au bout de ce projet mais qu’en revanche, les Américains en ont saisi rapidement l’intérêt et ont aussitôt créé l’Uranium Committe qui aboutira en 1942 au projet Manhattan puis à la première bombe atomique larguée sur Hiroshima le 6 août 1945. Au point que le physicien Albert Einstein regrettera publiquement avoir ainsi attiré l’attention du président américain…

En février 1939, c’est le Français Frédéric Joliot-Curie qui, avec Hans Halban et Lew Korwarski, démontre expérimentalement que la réaction en chaîne liée à la fission nucléaire peut se produire. Dès le mois de mai 1939, son équipe dépose plusieurs brevets qui sont, ni plus ni moins, que ceux du principe de la bombe atomique. Passé directement sous la houlette du ministère des armées alors que la France est d’ores et déjà en guerre avec l’Allemagne, Frédéric Joliot-Curie s’emploie à assurer l’approvisionnement de la France en uranium via un contrat avec l’Union minière du Haut-Katanga.

Frédéric Joliot (à gauche), Hans Halban et Lew Korwaski en 1933 (source © Wikipedia)

Mais il a aussi besoin d’eau lourde, dans laquelle les atomes d’hydrogène sont remplacés par son isotope, le deutérium, car cet élément est nécessaire pour contrôler la réaction en chaîne et éviter l’emballement en laboratoire. Les filières civiles des réacteurs nucléaires, dites à eau pressurisée, utilisent désormais de l’eau ordinaire comme modérateur de neutrons car ils fonctionnent avec de l’uranium enrichi, mais à l’époque, l’eau lourde est considérée comme le modérateur idéal pour limiter les collisions stériles avec l’uranium 238.

Il existe alors une seule usine au monde capable de produire de l’eau lourde, située à Vemork, en Norvège, et appartenant à la compagnie Norsk-Hydro, un opérateur d’hydro-électricité par ailleurs fabricant d’engrais azoté et qui a développé depuis 1935 la production commerciale d’eau lourde comme un sous-produit de son activité industrielle. En février 1940, le ministre français des armées, Raoul Dautry, organise donc une mission secrète et envoie des émissaires en Norvège pour négocier le rachat de la totalité du stock d’eau lourde disponible, soit 185 kg répartis dans 26 bidons. La Norvège est alors neutre mais l’Allemagne s’apprête à l’envahir et a été informée des projets français alors qu’elle-même souhaite s’approvisionner en eau lourde pour ses propres projets.

Salles d’électrolyse pour la production de l’eau lourde à l’usine de Vemork (source © Association du fort de Litroz)

Le précieux liquide est finalement rapporté en Écosse en mars 1940 après avoir été planqué dans la légation française à Oslo grâce à l’aide de résistants norvégiens. Rapatrié en France, le précieux chargement ne peut y rester suite à l’invasion allemande et le 18 juin 1940, Frédéric Joliot-Curie expédie à Londres ses deux précieux collaborateurs d’origine juive, Hans Halban et Lew Korwarski, qui parviennent à embarquer à Bordeaux à bord d’un navire charbonnier britannique, avec les bidons d’eau lourde et les brevets de la bombe atomique…

Mais ce n’est que la première manche de la bataille de l’eau lourde… Les Allemands ayant finalement envahi la Norvège contrôlent désormais l’usine stratégique de Vémork qui continue à produire de l’eau lourde et ils comptent bien s’en servir comme modérateurs à neutrons pour leurs expériences en vue de produire une bombe au plutonium. Alertés par la Résistance norvégienne, les services secrets britanniques décident de détruire l’usine.

Les résistants norvégiens en éclaireurs pour aller saboter l’usine, extrait du film La bataille de l’eau lourde, tourné en 1947 par Jean Dréville et Titus Vibe-Müller (source © L’heure de la sortie)

En octobre 1942, ils parachutent sur place 4 éclaireurs norvégiens, suffisamment loin de la zone pour ne pas être repérer. Ces derniers mettront d’ailleurs 15 jours pour rejoindre le site à ski et déclencher la seconde phase du plan qui consiste à envoyer 2 planeurs avec les commandos destinés à faire sauter l’usine. Lancée le 19 novembre 1942, l’opération est une succession de catastrophes. Les deux avions tracteurs et les planeurs s’écrasent les uns après les autres loin de leur cible et les seuls qui survivent aux crashs successifs sont capturés par les Allemands qui les exécutent : c’est un fiasco total, d’autant que les Allemands découvrent quelle était la cible et renforcent aussitôt la sécurité.

Les Anglais ne se découragent pas pour autant et préparent une nouvelle action. Ils larguent de nouveaux parachutistes qui rejoignent les éclaireurs restés sur place et le 27 février 1943, neuf d’entre eux parviennent à pénétrer dans l’usine grâce à un complice. Ils placent des charges sous les cuves à électrolyse et détruisent partiellement les installations ainsi qu’un stock de 500 kg d’eau lourde, parvenant même à s’échapper et à rejoindre la Suède après un périple de 400 km à ski en plein hiver !

Mais la production reprend et en novembre 1943, les Britanniques décident de renouveler l’opération. Cette fois, ils ne font pas dans la dentelle et envoient une véritable armada de 143 forteresses volantes pour un bombardement massif de l’usine. Le raid aérien est un échec total : les bombes ratent totalement leur cible et font 21 victimes civiles : un véritable désastre…

Le ferry D/F Hydro à l’embarcadère du lac Tinnjå en 1942 (source © Le Populaire)

Face à un tel acharnement, les Allemands décident de rapatrier en Allemagne le précieux stock d’eau lourde qui est alors de 16 tonnes. Le 19 février 1944, les bidons sont chargés discrètement dans un ferry, le D/F Hydro pour leur faire traverser le lac Tinnsjå. Mais les résistants norvégiens ont eu vent de l’opération et deux d’entre eux parviennent à s’introduire dans le bateau transbordeur pour y placer des charges explosives. Le bateau appareille au matin du dimanche 20 février 1944 et coule au milieu du lac par 430 m de fond. Son épave sera d’ailleurs retrouvée par un sous-marin en 1993 et des prélèvements ont même été effectués dans les bidons qui se trouvaient à bord, confirmant qu’il s’agissait bien d’eau lourde.

Il semble néanmoins que les Allemands s’étaient méfiés et ont pu malgré tout rapatrier à Berlin l’essentiel du stock du précieux liquide qui a ainsi été au cœur d’une lutte sans merci pendant tant d’années, alors que l’on sait maintenant qu’il n’a manifestement pas suffi au régime nazi pour mener à bien son propre programme de bombe atomique…  

L. V.

Le rire est le propre de l’Homme, quoique…

23 janvier 2024

La formule est bien connue de tous les bacheliers depuis que le médecin François Rabelais l’a affirmé dans le prologue de Gargantua, publié dans le mitant du XVIe siècle sous son pseudonyme transparent d’Alcofribas Nasier : « le rire est le propre de l’homme ». Une manière pour lui de bien préciser que son histoire de « la vie très honorifique du grand Gargantua, père de Pantagruel » est avant tout un roman comique, plein de verve et de truculence, digne de l’esprit potache d’un ancien carabin, mais dont le ton débridé et souvent outrancier des « propos torcheculatifs » cache bien des réflexions plus profondes par exemple sur les principes d’écoute, d’ouverture et d’équilibre dans les approches éducatives, ou sur les vertus de la diplomatie et d’une certaine bienveillance pour venir à bout des « guerres picrocholines ».

Rire en famille, quoi de plus humain ? (source © Hominidés)

Le rire, même gras, sert donc le propos de l’humaniste qu’est Rabelais et lui permet de faire passer, sous un travestissement de roman picaresque et quelque peu déjanté, bien des idées iconoclastes, y compris sur la fondation de sa fameuse « abbaye de Thélème » dont la devise est « Fay ce que tu vouldras ». De là à prétendre que seuls les hommes savent s’amuser, même Rabelais ne s’y serait sans doute pas risqué. Il suffit de voir comment un chiot ou un chaton est capable de facéties. Les primatologues ont tous observés chez les grands singes, et notamment parmi les sujets les plus jeunes, à quel point leurs mimiques faciales, dans certaines circonstances, ressemblent à s’y méprendre à un bel éclat de rire.

Un chimpanzé hilare (source © Muséum national d’histoire naturelle)

Pour ceux qui auraient du mal à s’en convaincre, on ne peut que conseiller de visionner une très brève séquence vidéo tournée par un couple de visiteurs en 2015 au zoo de Barcelone et qui a fait le buzz sur les réseaux en 2015. On y voit un homme assis devant la vitre qui sépare le public de l’enclos des singes. Derrière la vitre, une jeune femelle orang outang le surveille d’un œil. Le visiteur lui montre un gobelet dans lequel il plonge un objet, probablement un fruit de platane ramassé à terre.

Il ferme le gobelet et le secoue ostensiblement devant le singe qui le suit avec un intérêt croissant et en ouvrant de grands yeux. Le visiteur cache le gobelet et enlève discrètement l’objet avant de remettre le verre fermé sous le nez de l’orang outang qui se demande manifestement où il veut en venir avec ses grands gestes théâtraux. L’homme ouvre le couvercle et montre au singe le gobelet désormais vide : un tour de magie un peu frustre mais indéniablement réussi. Le singe regarde le gobelet perplexe puis éclate de rire et tombe à la renverse en se tapant sur les cuisses.

Bien sûr, aucun son ne sort de la bouche de l’orang outang isolée derrière sa vitre, mais ses mimiques ressemblent tellement à celles d’un humain confronté à une situation des plus comiques, qu’il paraît bien difficile de prétendre que nos cousins les orangs outangs n’ont pas le sens de la plaisanterie au moins aussi développé que bien de nos congénères.

Certes, un singe enfermé dans un zoo vit au contact des hommes et peut acquérir par mimétisme certaines de nos attitudes mais force est de constater, en regardant en boucle cette vidéo devenue virale, et d’autres montrant qu’un singe ne reste pas indifférent à un tour de magie bien fait et qu’il peut très bien apprécier le comique de situation qui provient du décalage inattendu entre le déroulement d’une action et son dénouement imprévu. De quoi renforcer encore le sentiment de familiarité voire de connivence que l’on peut ressentir face certains de nos animaux de compagnie et, peut-être plus encore, en présence de ces singes qui nous ressemblent tant…

L. V.

Égypte : Alexandrie sous les eaux ?

19 janvier 2024

Avec le réchauffement climatique en cours, le niveau des océans monte, principalement sous l’effet d’un phénomène physique de base : un liquide qui s’échauffe se dilate. A cela s’ajoutent bien d’autres phénomènes dont une modification de régime des précipitations ou encore la fonte des glaciers et des calottes polaires qui rendent les choses plus complexes et risquent d’amplifier le mouvement. Toujours est-il que depuis 1880, toutes les observations confirment que le niveau des mers s’élève, et même de plus en plus vite. Entre 1901 et 2015, cette élévation moyenne avait été estimée autour de 1,7 mm par an. Sur la période 2006-2018, elle serait plutôt de l’ordre de 3,7 mm/ an, donc plus du double. Et les projections du GIEC annoncent une augmentation comprise, selon les scénarios, entre 5,2 et 12,1 mm/an pour la période 2080-2100.

L’élévation du niveau de la mer, un phénomène inéluctable déjà bien engagé (photo © Bruno Marty / INRAE)

Une étude récente publiée le 18 décembre 2023 par trois chercheurs de l’Institut national de géophysique et de volcanologie, basés à Bologne et à Rome, s’attache à suivre les mouvements du niveau de la Méditerranée à partir des données satellite qui enregistrent ces données en continu par visée radar et sont disponibles depuis 1996. Or ces données révèlent une hausse du niveau relatif de la mer Méditerranée localement très supérieure car se cumulent non seulement l’élévation du niveau de la mer mais aussi l’enfoncement du sol sous l’effet des mouvements tectoniques toujours en cours.

L’effet de ces mouvements géologiques de subsidence varie fortement d’un point à un autre mais leur prise en compte modifie fortement l’impact de cette élévation du niveau de la mer : lorsque celle-ci monte en même temps que le sol s’enfonce, les effets en termes d’érosion du littoral ou de salinisation des terres, déjà bien visibles dans certaines régions comme la Camargue ou la presqu’île de Gien dans le Var, en sont décuplés ! Sur certaines stations de mesure, notamment dans le nord de l’Adriatique, on observe ainsi, dès à présent, des vitesses d’élévation relative de la mer par rapport au littoral qui atteignent 17 mm par an ! Inversement, à certains endroits, la côte se soulève comme c’est le cas des Champs Phlégréens près de Naples avec une élévation relative de 39 mm par rapport au niveau de la mer, malgré la hausse de ce dernier.

Principales plaines côtières du pourtour méditerranéen, directement menacées par l’élévation en cours du niveau des eaux (source © A. Vecchio et al., Environmental Research Letters)

Selon cette étude, les 19 000 km de côte méditerranéenne risquent néanmoins de subir une élévation relative moyenne du niveau de la mer plus importante que celle imaginée par le GIEC dont les projections ne tiennent pas compte de ces mouvements tectoniques. Un phénomène qui sera particulièrement marqué dans les grands deltas alluviaux, dont ceux du Rhône (Camargue), du Pô (côte vénitienne) et surtout du Nil, dans la région d’Alexandrie, de loin la plus exposée.

Vue aérienne de l’entrée du port d’Alexandrie avec la citadelle mamelouke de Qaitbay, édifiée au XVe siècle avec les pierres de l’ancien phare antique (photo © Getty Image / Norwegian Cruise Line)

Sur ce dernier point, l’information n’est pas nouvelle et l’on mesure déjà depuis des années un enfoncement de la grande cité égyptienne de 6 millions d’habitants, qui dépasse allègrement les 3 mm/an, ce phénomène étant en l’occurrence renforcé depuis la construction des barrages sur le Nil qui empêchent le transit sédimentaire permettant de recharger, année après année, le cône alluvial menacé par les intrusions marines. Le GIEC avait déjà annoncé dans un de ses rapport qu’on s’attend ici à une augmentation du niveau de la mer de 1 m d’ici 2050 et que « un tiers des terres ultra-fertiles du delta du Nil et des villes historiques comme Alexandrie seront inondées ».

Pluies sur Le Caire, ici le 12 mars 2020 : durant cet hiver, les inondations ont fait une vingtaine de morts en Égypte (photo ©  Mohamed el-Shahed / AFP / Arabnews)

Dans le delta du Nil, la mer a déjà avancé de 3 km depuis les années 1960. Le phare de Rosette, construit à la fin du XIXe siècle par le khédive Ismaël Pacha a d’ores et déjà été englouti dans les années 1980. Selon les projections de l’ONU, une simple élévation de la mer de 50 cm se traduirait par l’inondation de 30 % de la ville d’Alexandrie et le déplacement d’au moins 1,5 millions d’habitants, lesquels ont déjà dû évacuer en 2015 et en 2020 des dizaines d’immeubles fragilisés par les inondations récurrentes. Dans son discours d’ouverture de la COP 26, à Glasgow, en novembre 2021, l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson, toujours provocateur, n’avait d’ailleurs pas hésité à prononcer ses « adieux » à la ville d’Alexandrie, invitant chacun à s’y rendre s’en tarder pour la visiter avant qu’il ne soit trop tard…

Reconstitution par l’équipe de Franck Goddio de la cité antique de Thônis-Hérakléion dans la baie d’Aboukir (source © Bilan)

Il faut dire que la région connait déjà au moins un précédent avec la disparition de l’ancien port antique de Thônis-Hérakléion, érigé sur une île à l’embouchure du Nil, et qui repose désormais sous plusieurs mètres de fond dans les eaux de la Méditerranée où ses vestiges, ainsi que ceux de la ville voisine de Canope, ont été découverts en 1999-2000 par l’archéologue sous-marin français, Franck Goddio, dans la baie d’Aboukir, à plusieurs kilomètres des côtes égyptiennes actuelles. L’ancien port grec d’Hérakléion jouait pourtant un rôle majeur dans le commerce naval antique et était même le principal port de toute la Méditerranée jusqu’à la fondation d’Alexandrie en 331 avant J.-C.

Les ruines de la cité antique engloutie de Thônis-Hérakléion, par 6 m de fond (source © Arkeonews)

Au milieu du IIe siècle avant notre ère, un violent tremblement de terre détruisit le temple du dieu Amon. D’autres cataclysmes ont suivi, avec des phénomènes de liquéfaction des sols liés aux séismes, emportant sous les eaux la totalité de la ville engloutie définitivement au VIIe siècle de notre ère et dont les plongeurs continuent à fouiller les vestiges, confirmant, s’il en était besoin, que lorsque les forces telluriques s’allient à l’élévation du niveau de la mer sous l’effet du réchauffement climatique, il ne fait pas bon habiter trop près du littoral…

L. V.

Krafla : quand la fiction devient réalité

13 janvier 2024

« Crack in the World », traduit en français par « Quand la Terre s’entrouvrira » fait partie de ces films de science-fiction catastrophistes dont le cinéma américain est friand. Sorti en 1965 et réalisé par Andrew Marton, celui-là même à qui l’on doit le tournage du morceau de bravoure qu’est la course de chars de « Ben-Hur », ce film est évidemment à replacer dans le contexte de la guerre froide de l’époque où l’on craignait à tout moment le déclenchement d’une guerre thermonucléaire marquant la fin du monde.

Affiche du DVD tiré du film d’Andrew Marton, Crack in the World (source © Toile et moi)

Le film relate les exploits du professeur Sorenson dont le projet scientifique, sur le point d’aboutir, vise, rien de moins qu’à offrir à l’humanité une source d’énergie inépuisable en utilisant le magma en fusion situé sous l’écorce terrestre. Un forage profond a été réalisé mais il se heurte à une barrière infranchissable. Pas découragé pour autant et pressé d’arriver à ses fins car atteint d’un cancer qui ne lui laisse plus beaucoup de temps à vivre, le professeur n’hésite pas une seconde à employer la manière forte en envoyant une bombe nucléaire au fond du forage, malgré les réticences de son adjoint géologue. Forcément, les effets sont catastrophiques, provoquant l’ouverture d’une fissure qui se propage inexorablement à la surface de la Terre. On n’en dira pas davantage pour préserver le suspens car le film est sorti en DVD en 2010…

Mais voilà que soixante ans plus tard, la fiction imaginée dans ce scénario un peu improbable, est en train de devenir réalité. On apprend en effet que 38 équipes de recherche issues de 12 pays dont la France, le Canada, l’Allemagne et les États-Unis se sont associés autour du projet dénommé Krafla Magma Testbed, doté d’un budget de 90 millions d’euros, qui vise à réaliser à partir de 2024 des forages profonds pour atteindre une poche de magma située à 2 km de profondeur sous le volcan Krafla, situé au nord-est de l’Islande.

Image de synthèse illustrant la chambre magmatique sous le site de Krafla (source © KMT)

Située sur la dorsale médio-atlantique, l’Islande connait une activité volcanique très soutenue et a encore fait parler d’elle récemment à ce sujet, à l’occasion des mouvements telluriques qui ont entraîné l’évacuation de la ville de Grindavik, en novembre dernier, après avoir perturbé tout le trafic aérien européen à l’occasion de l’éruption de l’Eyjafjallajökull en 2010, puis à nouveau fait planer une menace similaire en 2014 quand l’un de ses volcans majeurs, le Bardabunga, s’est réveillé à son tour.

Le magnifique maar de Helviti de couleur turquoise (source © Itinari)

Le Krafla, quant à lui, situé au nord de l’Islande, se caractérise par une immense caldeira d’effondrement d’une dizaine de kilomètres de largeur, qui se serait produite il y a environ 100 000 ans, à la suite d’énormes éruptions explosives. L’activité volcanique y est restée très intense dans tout le secteur où s’ouvrent de multiples fissures. En 1724 en particulier, un nouveau cycle éruptif a débuté, avec notamment une explosion phréato-magmatique qui a permis la création d’un autre lac de cratère, le maar de Helviti, dont les eaux présentent une couleur turquoise d’un très bel effet esthétique, liée à la présence d’algues siliceuses. Entre 1975 et 1984, le Krafla a aussi connu plusieurs phases éruptives assez intenses et la région présente de nombreux solfatare et mares de boue bouillante qui témoignent de cette activité volcanique.

Éruption du Krafla en septembre 1984 (photo © Katia et Maurice Kraft / Global Volcanism Program / Smithsonian Institution)

Deux centrales géothermiques ont été installées dans le secteur, dont celle de Bjarnaflag, la première du pays, opérationnelle dès 1969 pour produire de l’électricité à partir de vapeur d’eau bouillante. Désassemblée en 1980 à cause de l’activité volcanique devenue trop intense, elle fut modernisée et a continué à fonctionner jusqu’en 2001. La seconde, celle de Kröflustöð, construite à proximité entre 1974 et 1977, subit de plein fouet la période d’éruption volcanique qui entraîna une rapide corrosion des puits. La première turbine, finalement installée en 1978, ne commença à tourner à plein régime qu’en 1982 et le seconde ne fut installée qu’en 1997.

Vue aérienne de la centrale géothermique de Krafla (photo © Shutterstock / Neozone)

En 2009, alors que les géologues poursuivaient les forages pour développer le champ géothermique, ils sont tombés par hasard, à une profondeur de 2,1 km, sur une poche de magma. La nature de cette lave, proche d’une rhyolite, donc plus riche en silice que les coulées basaltiques qui s’épanchent en surface sur le Krafla a fortement interrogé les scientifiques qui en ont conclu, dans une étude parue en 2011 dans la revue Geology, qu’il s’agirait d’un mélange entre du magma basaltique issu classiquement du manteau et la fusion de basaltes altérés par des processus hydrothermaux.

Toujours est-il que cette découverte inédite et totalement fortuite qui a permis d’accéder directement dans la chambre magmatique du volcan, ouvre des perspectives enthousiasmantes pour les scientifiques. C’est de là qu’est né en 2017 le projet Krafla Magma Testbed, dont l’objectif est avant tout d’explorer ainsi, via de nouveaux forages, le contenu de cette chambre magmatique pour mieux comprendre son fonctionnement alors que les volcanologues n’ont habituellement accès qu’à la lave qui s’écoule en surface mais qui a subi de nombreuses transformations depuis sa sortie de la chambre magmatique, au contact des roches dans lesquelles elles se fraye un chemin.

La centrale géothermique de Krafla et son champ de forage en arrière-plan du maar de Helviti (photo ©  G.O. Fridleifsson et W. Elders / UC Riverside / Futura sciences)

Mais les ingénieurs ne sont pas loin et ils s’intéressent eux aussi à cet accès direct à la chambre magmatique qui pourrait constituer une source d’énergie 10 fois plus puissante que la simple exploitation classique du gradient géothermique. Deux forages sont donc prévus en parallèles, dont la réalisation devrait débuter dès cette année, le premier destiné aux observations scientifiques, et le second pour amorcer une exploitation géothermique innovante.

Une aurore boréale en arrière-plan de la centrale géothermique de Krafla (photo © Landsvirkjun / AFP / Daily Sabah)

La tâche ne s’annonce pas des plus simples car la température de la lave dans la chambre magmatique atteint les 900 °C, ce qui rend les opérations de forage pour le moins périlleuses, surtout à une telle profondeur… En 2009, lorsque les tiges de forage ont percé le toit de la chambre magmatique, la lave s’est engouffrée dans le train de tige et en refroidissant s’est transformé en obsidienne, un verre qui a tout bloqué et empêché miraculeusement la lave de jaillir en surface. A l’époque la chaleur ainsi émise avait permis de produire de l’électricité pendant 9 mois avant que la tête de puits en surface finisse par atteindre une température de 450 °C, obligeant à abandonner le chantier et la foreuse totalement calcinée. Espérons que l’opération qui va débuter et pourrait se concrétiser d’ici 2026 se déroulera sans incident majeur car elle rappelle étrangement les tentatives maladroites et lourdes de conséquence du professeur Sorenson dans le film d’anticipation de 1965…

L. V.

Tourbières du Congo : un équilibre en sursis

9 janvier 2024

Le fleuve Congo est considéré comme le deuxième du monde derrière l’Amazone, de par son débit moyen colossal de 41 000 m3/s à la station de Brazzaville, située à environ 700 km en amont de l’embouchure, et de par la superficie de son bassin versant qui s’étend sur 3,68 millions de km2, soit bien davantage que ceux du Mississippi ou du Nil.

La forêt tropicale de part et d’autre du fleuve Congo (source © Greenpeace / Euroactiv)

La majeure partie de cet immense bassin versant qui s’étend de part et d’autre de l’Équateur, se situe dans ce qui est actuellement la République démocratique du Congo, un immense pays, vaste comme quatre fois la France, le plus grand d’Afrique derrière l’Algérie. Propriété privée du roi des Belge à partir de 1885, le pays subi pendant des années une exploitation intensive de sa population soumise au travail forcé dans les plantations d’hévéa et accède à l’indépendance en 1960. Le général Mobutu Sese Seko y prend rapidement le pouvoir, avec l’aide américaine après avoir fait assassiner Patrice Lumumba, et gère d’une main de fer le pays, rebaptisé Zaïre, jusqu’à son éviction en 1997 par Laurent-Désiré Kabila. Assassiné en 2001, ce dernier est remplacé par son fils, Joseph Kabila qui cède le pouvoir en 2019 à Félix Tshisekedi, actuel président de cette république dont les immenses richesses minières en cuivre, cobalt et diamant notamment attirent bien des convoitises.

Exploitation minière de cuivre et de cobalt à Tenke Fungurume, au nord-ouest de Lubumbashi, dans le sud de la République démocratique du Congo, par la société minière China Molybdenum Co. Ltd. en 2013 (source © Amnesty International)

Sur l’aval du bassin versant et en rive droite du fleuve s’étend un autre pays, actuellement dénommé République du Congo et dont la capitale, Brazzaville, se situe juste en face de Kinshasa. Ancienne colonie française devenue indépendante en 1960, un temps appelée République populaire du Congo sous la première présidence de Denis Sassou-Nguesso jusqu’en 1992, cette jeune nation a déjà vécu, comme sa voisine, plusieurs guerres civiles et coups d’État, le dernier en date en 1997 ayant vu le retour au pouvoir du président Sassou-Nguesso toujours en place et encore réélu en mars 2021 avec un peu plus de 88 % des voix, face à un adversaire décédé le lendemain du scrutin…

Au-delà de ces péripéties politiques, le bassin du Congo est surtout caractérisé par l’immensité de sa forêt équatoriale et tropicale, la deuxième la plus vaste du monde derrière l’Amazonie. On y recense plus de 10 000 espèces végétales, 1000 espèces d’oiseaux, 700 de poissons et 400 de mammifères dont l’emblématique gorille des montagnes.

Gorilles dans le Parc national de Bukima en République démocratique du Congo (source © WWF)

Mais cet écosystème particulièrement riche, domaine traditionnel des populations pygmées est fortement menacé. L’exploitation forestière y bat son plein, malgré un moratoire mis en place en 2002, et Greenpeace estime que la République démocratique du Congo pourrait avoir perdu 40 % de son couvert forestier d’ici 2050, sous l’effet des exploitations minières et forestières, aggravées par l’accroissement démographique qui amène les populations locales à défricher toujours davantage pour cultiver et cuisiner au charbon de bois.

Exploitation forestière au Congo (source © Reporterre)

En 2014, Simon Lewis, chercheur en écologie végétale à l’université britannique de Leeds, engage des investigations sur les sols marécageux qui s’étendent de part et d’autre du fleuve Congo, dans cet immense entrelacs forestier encore mal connu. Les conclusions auxquelles il arrive, publiées en 2107 dans la revue Nature, sont ébouriffantes. Il met en effet en évidence que l’on trouve dans ce secteur plus de 167 000 km3 de tourbières tropicales, de loin les plus étendues du monde et que ce territoire stocke à lui seul pas moins de 30,6 milliards de tonnes de carbone, soit autant que toute la forêt  du bassin et l’équivalent de 3 années complètes de nos émissions mondiales de gaz à effet de serre !

La tourbe, qui s’est accumulé sur une épaisseur qui atteint par endroit jusqu’à 6 m, s’est formée par dépôts successifs de bois et de feuilles mortes dans un environnement marécageux. Normalement, l’humus qui se dépose ainsi sous couvert forestier se décompose très rapidement, mais ce n’est pas le cas lorsqu’il est dans l’eau : faute d’oxygène, la décomposition est beaucoup plus lente et les dépôts ligneux, riches en carbone, peuvent alors se conserver, formant ces sols tourbeux bien connus en Écosse ou en Finlande où ils servent de combustibles depuis des millénaires.

Paysage de la forêt congolaise près du village de Lokolama où ont été prélevées des carottes de sols tourbeux pour analyse (photo © Gwenn Dubourgthoumieu / Reporterre)

Depuis cette découverte majeure, les équipes britanniques et congolaise poursuivent leurs investigations scientifiques en analysant, sur des carottes de sols tourbeux prélevés en divers endroits du bassin, l’âge des dépôts, leur degré de décomposition mais aussi la nature et les caractéristiques des pollens conservés pour reconstituer les climats du passé. Il en résulte que l’accumulation de dépôts ligneux dans ce bassin a débuté localement il y a plus de 17 500 ans, mais elle s’est fortement ralentie entre 7 500 et 2 000 ans avant nos jours, du fait probablement d’un assèchement relatif du climat qui s’est traduit par une accélération de la décomposition de l’humus. Au moins 2 m de tourbe auraient ainsi disparu durant cette période mais depuis 2000 ans, le cycle a repris et la zone est redevenue marécageuse, permettant de nouveau l’accumulation de dépôts tourbeux.

Un processus qui est donc éminemment fragile et qui peut s’interrompre dès lors que la zone évolue, sous l’effet de la déforestation et de la progression des plantations et aménagements de toute sorte qui se traduisent inéluctablement par des drainages et un assèchement des espaces marécageux. Un sol tourbeux qui n’est plus inondé et s’assèche à l’air libre, en climat tropical, non seulement subit des processus de décomposition rapide avec relargage de gaz à effet de serre, mais peut aussi prendre feu du fait des pratiques locales de cultures sur brûlis, et provoquer des incendies qui couvent ensuite pendant des années, se traduisant par des rejets massifs de CO2 dans l’atmosphère.

Répartition du couvert forestier et des zones de tourbières dans le bassin du Congo (source © ESA Climate Change Initiative / Reporterre)

Ce processus d’assèchement est justement à l’œuvre dans cet immense bassin forestier jusque-là relativement préservé mais où la population a doublé en 20 ans et continue sa progression démographique au même rythme. Malgré les efforts de régulation, les projets d’exploitation minière se multiplient, l’exploration pétrolière débute, et la déforestation s’accélère, avec de nombreuses concessions désormais accordées à des investisseurs asiatiques notamment. Le bassin du Congo prend le chemin de l’Indonésie où les plantations de palmier à huile ont depuis longtemps remplacé la forêt primaire, transformant ce massif forestier en zone émettrice de gaz à effet de serre.

On considère actuellement que le bassin du Congo est encore un des puits de carbone majeur de notre planète, un des rares endroits encore fonctionnels où la capacité naturelle d’absorption de gaz à effet de serre dépasse les émissions, absorbant chaque année de l’ordre de 1,5 milliards de tonnes de CO2. On considère, selon le dernier bilan du Global Carbon Project qu’en 2023, les émissions mondiales de CO2 ont atteint 40,9 milliards de tonnes de CO2, en hausse depuis 3 ans consécutifs après le petit coup de mou lié à la pandémie de Covid, bien loin des scénarios validés, COP après COP, qui visent tous une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement climatique. Les tourbières du Congo ne suffiront pas éternellement à absorber un tel flux, surtout si on les laisse se dégrader au rythme actuel…

L. V.

Niveau scolaire : la douche PISA…

19 décembre 2023

Publiée le 5 décembre 2023, la dernière étude PISA, portant sur l’année 2022, a fait l’effet d’une douche froide. La France se trouve certes dans la moyenne des 81 pays de l’OCDE qui ont participé à l’étude, avec des résultats assez comparables à ceux de ses voisins allemands, italiens ou espagnols notamment. Elle n’en recule pas moins de 46 points par rapport à 2018, date de la dernière publication de ces tests, et alors même que la dominante pour ce cru 2022 portait sur les mathématiques, un domaine où la France a plutôt bonne réputation avec ses nombreuses médailles Fields et ses filières d’excellence que s’arrachent les start-ups et le monde de la finance anglo-saxonne.

Les résultats PISA 2022 : la douche froide pour le ministre Gabriel Attal… Un dessin signé Kak, publié dans l’Opinion le 5 décembre 2023

Un score tellement alarmant que le ministre de l’Éducation nationale, le fougueux Gabriel Attal a jugé nécessaire d’annoncer le même jour une série de mesures choc, destinées à accréditer l’idée qu’il prend le sujet à bras le corps et va y remédier fissa ! Une fois de plus, le ministre annonce une refonte totale des programmes tout en exigeant désormais que l’enseignement des mathématiques se fasse exclusivement selon la méthode dite « de Singapour » qui aurait fait ses preuves, du moins pour les bons élèves. Il propose aussi la création de groupes de niveau et le retour du redoublement à l’initiative des enseignants.

De mauvais résultats en mathématiques, mais pas seulement… Un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France

Des mesures diversement appréciées du milieu enseignant lui-même et qui ne semblent guère répondre aux failles de notre système scolaire telles que les tests PISA les décèlent. Notons d’ailleurs au passage que la France n’est pas la seule à perdre des points au classement PISA, par rapport à 2018. La tendance est même générale, avec des dégringolades spectaculaires comme celles de la Norvège ou de la Finlande qui a longtemps fait figure d’élève modèles que tous les autres pays européens s’acharnaient à vouloir copier. Seuls les dragons asiatiques que sont notamment Singapour, le Japon ou la Corée du Sud, s’en tirent haut la main, eux qui caracolent en tête du classement et qui gagnent encore des points.

Extrait du classement PISA 2022 des pays de l’OCDE (source © Vie Publique)

Il faut bien dire que l’écart est spectaculaire et guère reluisant pour l’école française. Rappelons que ces tests PISA (qui signifie « Programme international pour le suivi des acquis des élèves »), lancés en 1997, ont concerné en 2022 pas moins de 690 000 élèves de 15 ans, dont 7 000 Français, ce qui leur confère une représentativité indéniable. Basés sur des exercices à traiter sur ordinateur, ils portent sur les mathématiques, au travers d’exercices pratiques de la vie courante, sur la compréhension de textes et sur les sciences.

Des domaines dans lesquels les élèves français ne brillent donc guère. Les meilleurs élèves, qui atteignent le niveau 5 voire 6 en mathématiques sont très minoritaires dans notre pays, ne dépassant pas 7 % alors que leur proportion atteint 41 % à Singapour, ce qui donne une idée du décalage de niveau ! De surcroît, la France s’illustre aussi comme étant l’un des pays où l’origine sociale est la plus discriminante, le système scolaire ayant beaucoup de mal à réduire l’impact de l’origine socio-économique des élèves. C’est aussi, avec le Cambodge, l’un de ceux où les directeurs d’établissements signalent le plus d’enseignants non remplacés…

Le redoublement n’est pas forcément la panacée… Un dessin signé Nom, publié en 2017 dans le Télégramme

De tels résultats sont bien évidemment à relativiser, de même d’ailleurs que l’effet des mesures phares annoncées illico par notre ministre de l’Éducation nationale. Lorsque les études PISA ont été lancées, elles avaient mis en évidence que la France était la championne du monde du redoublement, plus de 40 % des élèves de 15 ans ayant déjà redoublé au moins une fois, sans que cela ne se traduise dans les résultats de notre pays qui a, depuis, presque totalement abandonné le recours au redoublement. On se doute bien que le fait d’y revenir ou de faire des groupes de niveau ne va pas avoir une incidence très significative sur les résultats de la prochaine étude PISA…

Les mauvais résultats de la France aux tests PISA, déjà en 2013 : serait-ce lié au niveau des enseignants ?… Un dessin signé Vissecq (source © Pointe à mines)

Le fait que les résultats baissent dans la plupart des pays de l’OCDE montre d’ailleurs, s’il en était besoin, que le phénomène est loin d’être franco-français. Le décrochage de la Finlande par exemple, qui s’aggrave d’année en année depuis 2011, s’explique en partie par une pénurie croissante d’enseignants et des inégalités socio-économiques qui augmentent, en lien direct avec l’arrivée de nombreux enfants allophones issus de l’immigration et souvent de milieux sociaux défavorisés.

Des constats qui s’appliquent aussi en France où l’école a le plus grand mal à corriger les inégalités sociales. Mais à cela s’ajoutent des handicaps liés plus spécifiquement au mode de recrutement et de formation des enseignants, voire de rémunération de ces derniers. La France a en effet de plus en plus de mal à recruter des enseignants de bon niveau, surtout dans les matières scientifiques, en lien sans doute avec une valorisation sociale insuffisante de ces métiers par ailleurs de plus en plus exposés à des problèmes de discipline dans les classes. Ce dernier point est d’ailleurs l’une des caractéristiques qui ressort de ces études PISA, la moitié des collégiens français se plaignant du bruit et du désordre qui règne trop souvent en classe, alors que ces situations paraissent nettement moins répandues dans la plupart des pays de l’OCDE. Les élèves français se sentent aussi moins soutenus par leurs professeurs que dans la plupart des autres pays, ce qui là encore revient à pointer la question de la qualité pédagogique des enseignants français.

Le niveau des enseignants français serait-il insuffisant ?… Un dessin signé Ransom (source © Le Parisien)

Il n’y a certainement pas de recette magique pour rendre l’école française plus performante et s’aligner sur les systèmes qui cartonnent, à l’image de celui de l’Estonie qui se classe en tête des pays européens en 2022, avec pourtant un niveau de rémunération de ses enseignants inférieur à celui de la France et très loin de celui de l’Allemagne ou du Luxembourg, champions en la matière. La formation des enseignants, leur mode de recrutement, l’autonomie qui leur est laissée pour s’adapter au mieux aux besoins et au niveau des élèves, mais aussi la valorisation de leur place dans la société, semblent néanmoins des paramètres à prendre en compte pour tenter d’améliorer l’efficacité de notre système scolaire : un beau chantier en perspective !

L. V.

Marseille : plus vieille la ville ?

4 décembre 2023

Chacun, ou presque, sait que la ville de Marseille a été créée il y a exactement 26 centenaires, comme le rappelle le parc du même nom, aménagé sur un peu plus de 10 hectares, près de la place Castellane, à l’emplacement de l’ancienne gare du Prado et inauguré en 1999. A cet endroit avaient été installés en 1875 les ateliers de la société PLM qui exploitait alors la liaison Paris-Lyon-Marseille et, en 1878, le site avait pris une importance accrue pour le transport de marchandises avec le percement du nouveau tunnel Prado-Carénage permettant le transport de fret sous la ville directement vers les bassins du port. Mais en 1993, cet ancien tunnel ferroviaire, surcreusé et allongé, a été transformé en tunnel routier à péage et la gare du Prado a été définitivement abandonnée après avoir servi longtemps pour charger les trains d’ordures à destination de l’ancienne décharge d’Entressen avant la mise en service de l’incinérateur de Fos-sur-mer.

Vestiges encore visibles de l’ancienne gare de marchandise du Prado, dans le parc actuel du 26e centenaire (source © Made in Marseille)

Toujours est-il que si ce nom étrange a été choisi pour désigner un des rares grands parcs urbains que compte la ville de Marseille, quelque peu défiguré par les travaux récents du tunnel Schloesing, c’est parce que chacun s’accorde à penser que la cité phocéenne a été fondée, comme son surnom l’indique, par une poignée de navigateur grecs débarqués vers 600 avant J.-C. sur les rivages du Lacydon, cette calanque naturelle qui a donné le Vieux-Port actuel.

Reconstitution de la calanque du Lacydon à l’époque des Phocéens (source © Le journal de joli rêve)

A l’époque, des populations d’origine celto-ligures, désignées souvent sous le terme de Salyens et dont la confédération s’étendait du Rhône jusqu’au fleuve Var, avec pour capitale la ville d’Entremont, située sur les hauteurs d’Aix-en-Provence, étaient déjà établies avec de nombreux oppidums installés sur toutes les parties hautes de la zone. Les Gaulois Salyens sont alors de fait les principaux habitants de la région jusqu’à l’occupation de la Narbonnaise par les troupes romaines à partir de 125 avant J.-C. puis la prise de Massalia par les armées de Jules César en 49 avant J.-C qui romanisent le nom de la cité en Massilia.

A l’époque, ceux qui sont installés sur les hauteurs de Marseille, dans l’oppidum de Saint-Marcel, au-dessus de la vallée de l’Huveaune, mais aussi dans celui de Saint-Blaise, sur la commune actuelle de Saint-Mitre-les-Remparts, près de l’étang de Berre, sont des Ségrobriges, l’une des tribus réunies dans la confédération salyenne. C’est à un historien romain nettement plus tardif, Marcus Junianus Justinus, ayant probablement vécu vers l’an 250 voire 400 après J.-C., que l’on doit le récit, sous doute largement imaginaire, de la création de la colonie grecque de Massilia par un groupe de colons ioniens, dirigés par Simos et Protis, venus de la cité antique de Phocée, en Asie Mineure.

Les noces de Protis et Gyptis, tableau du peintre marseillais Joanny Rave, de 1874 (source © Landkaart)

Selon Justin, les commandants grecs de la flotte rendent visite au roi des Ségobriges, dans son oppidum du Baou de Saint-Marcel, un certain Nanus, justement occupé à régler le mariage de sa fille Gyptis. Selon la coutume locale, un banquet est organisé, au cours duquel la future mariée doit verser de l’eau à celui destiné à être son époux. Par courtoisie, les visiteurs étrangers sont invités au banquet et, contre toute attente, la jeune Gyptis choisit de remplir la coupe du séduisant Protis, au grand dam des autres prétendants locaux.

Le roi des Ségobriges attribue du coup aux colons grecs un emplacement près du Lacydon où les Grecs fondent donc leur première colonie, sur les hauteurs du Panier actuel. La suite de la cohabitation avec les Ségobriges locaux fut vraisemblablement moins idyllique, ce qui n’empêcha pas la colonie grecque de prendre de l’ampleur et de fonder bien d’autres colonies aux alentours, à l’emplacement actuel de Cassis, d’Avignon, d’Agde, d’Antibes, de Nice, de Monaco et d’Aléria notamment, certaines d’entre elles, dont celle de Béziers étant même d’ailleurs antérieures comme le montrent les fouilles les plus récentes.

Le jardin des vestiges à côté du Centre-Bourse de Marseille avec les restes des quais de l’ancien port grec du Lacydon, mis à jour en 1967 (source © Tourisme Marseille)

Mais voilà que certains remettent en cause ce mythe de la fondation de Marseille par les Grecs et l’attribuent aux Phéniciens, estimant que cette création aurait peut-être eu lieu deux siècles plus tôt, après la fondation de Cartage, qui date d’environ 800 avant J.-C., mais avant celle de Rome daté de l’an 753 avant notre ère. Une théorie que soutient mordicus l’ancien journaliste du Méridional, Gabriel Chakra, qui a publié en août 2022 aux éditions Maïa, un livre intitulé Marseille phénicienne – Chronique d’une histoire occulte, dans lequel il tente de démontrer qu’avant même l’arrivée des Grecs de Phocée, le site de Marseille abritait un comptoir phénicien et que le mot Marsa, qui signifie « port » en Phénicien et que l’on retrouve dans l’appellation des villes anciennes de Mers-el-kébir (en Algérie), de Marsala (en Sicile) ou de Marsaxlokk (ancienne Malte) serait aussi à l’origine du nom de Marseille.

En réalité, l’essentiel de son argumentation repose sur la découverte en 1845, dans le quartier de la Major, avant même le début du chantier de Notre-Dame de la Major, débuté en 1852, d’un bloc de pierre recouverte d’inscriptions. Etudiée alors par l’abbé Bargès, professeur d’hébreu, la petite tablette retrouvée brisée en deux, révèle 21 lignes écrites en caractères phéniciens, qui détaillent le prix de différents sacrifices (vache, porc, poule) destinées au dieu Baal. Connu sous le nom de « tarif de Marseille », cette tablette d’origine indubitablement phénicienne a été examiné peu après sa découverte par l’archéologue Charles Texier qui y reconnait sans le moindre doute des caractères phéniciens et conclut d’un simple coup d’œil que le bloc de calcaire sur lequel a été gravé ce message antique est indubitablement issue des carrières de pierre de Cassis, alors exploitées de longue date.

Une analyse partagée par l’abbé Bargès, qui avait publié dès 1847, sous le nom de Temple de Baal à Marseille, une notice décrivant cette découverte historique majeure et qui récidive donc en publiant une autre note historique en 1868, dans laquelle il reconnait néanmoins que, après étude géologique plus approfondie, la pierre en question ne provient absolument pas des carrières de Cassis mais des environs de Carthage, ce qui confirme le caractère importé de l’objet.

Mais à cette période, les Phéniciens sont à la mode ! Gustave Flaubert, parti se faire oublier en Afrique du Nord après le scandale déclenché par la sortie de Madame Bovary, publie en 1862 son roman historique Salammbô qui relate la guerre des mercenaires, opposant au IIIe siècle avant J.-C. les Carthaginois aux mercenaires barbares employés durant la première guerre punique. Il y évoque une action qui se situé « à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar », et la France entière se passionne alors pour cette civilisation phénicienne dont la reine Didon, celle-là même qui « dina, dit-on, du dos dodu d’un dodu dindon » comme chacun l’a appris en cours de diction, fonda en 814 avant notre ère la ville de Carthage, dont la puissance ébranla, bien des années plus tard, celle de Rome elle-même.

Salammbô, huile sur toile peinte par Jean-Paul Sinibaldi en 1885 (source © Wikipedia)

Toujours est-il qu’en 1885, dans son Histoire de l’art dans l’Antiquité, qui fera référence pendant toute la fin du XIXe siècle, Georges Perrot reprend à son compte l’histoire du tarif phénicien de Baal qui aurait été gravé sur un bloc de pierre de Cassis, accréditant l’idée d’une colonie phénicienne alors bien implantée sur les rives du Lacydon. On sait désormais que cette pierre, en réalité extraite près de Carthage et probablement gravée au IVe siècle seulement avant J.-C., a sans aucun doute été importée par bateau et que sa présence à Marseille traduit simplement la réalité des échanges nombreux à cette époque entre Grecs et Phéniciens.

Quant à la fondation de Massalia par des colons phocéens, elle ne fait guère de doute aux yeux des historiens qui ont largement documenté les vestiges de l’implantation grecque au VIe siècle avant notre ère, même si la vérité oblige à dire que la présence humaine autour de Marseille est en réalité nettement plus ancienne comme en attestent les datations effectuées sur les peintures rupestres de la grotte Cosquer dont les plus anciennes remontent à 33 000 ans, à une époque où, comme le rappelle 20 minutes, il n’y avait ni Grec ni Phénicien dans les calanques de Marseille, mais surtout des phoques et des pingouins

L. V.

Islande : une nouvelle éruption en préparation

18 novembre 2023

Dans le petit port côtier islandais de Grindavic, situé au sud-ouest de l’île, à une cinquantaine de kilomètres au sud de la capitale Reykjavik, c’est l’attente. La ville connait depuis plusieurs jours une activité sismique intense avec jusqu’à un millier de secousses sismiques enregistrées chaque jour ! Le sol de la ville a commencé à bouger, s’affaissant par endroits de plus d’un mètre. Des fissures se sont ouvertes dans la chaussée, laissant s’échapper par moment des gaz sulfurés. Samedi 11 novembre à l’aube, l’ordre a donc été donné par les autorités d’évacuer rapidement la totalité des 3700 habitants de la petite ville portuaire.

Vue aérienne de la petite ville portuaire de Grindavic, au sud-ouest de l’Islande, désormais totalement vidée de ses habitants (source © Visitor’s guide Grindavic)

Des centaines de policiers, pompiers et membres de la protection civile bouclent désormais la zone où les volcanologues s’affairent pour suivre les mouvements de la terre et la remontée du magma dont on estimait la profondeur à environ 5 km il y a une dizaine de jours mais qui ne serait plus qu’à 500 m aux dernières nouvelles. Les habitants ont été à plusieurs reprises autorisés à revenir chercher quelques effets personnels, pour des durées assez courtes, mais la situation reste tendue et les spécialistes s’attendent à brève échéance à de premières effusions de lave.

Affaissement et fissuration du réseau routier à Grindavic, avec émanation de fumerolles (source © Geotales / Actu.fr)

Il faut dire que la région se trouve sur le passage de l’une des deux branches de la dorsale médio-atlantique qui traversent le sud de l’Islande et se rejoignent ensuite pour ne former dans le nord de l’Ile qu’une faille principale, surface de contact entre la plaque nord-américaine à l’ouest et la plaque tectonique eurasiatique côté est. Les deux plaques s’écartent progressivement et le magma remonte donc sporadiquement, venant grossir les dépôts volcaniques dont l’épaisseur atteindrait plus de 3000 m, déposés au-dessus des fonds océaniques.

Carte géologique simplifiée de l’Islande (source © Anabac)

Dans cette péninsule de Reykjanes, qui n’avait pas connu d’éruption pendant 8 siècles, la lave avait brusquement jailli le 19 mars 2021 d’une fissure ouverte sur les flancs du volcan Fagradalsfjall, provoquant des effusions de laves particulièrement photogéniques qui avaient attiré des milliers de touristes. Le phénomène s’était reproduit en août 2022 et encore en juillet 2023, toujours dans des secteurs désertiques. Mais cette fois, c’est bien la ville de Grindavic avec ses infrastructures portuaires, sa station thermale Blue Lagoon et surtout une importante centrale géothermique qui alimente toute l’agglomération de Reykjavic qui sont directement menacés par cette nouvelle poussée de lave…

Éruption volcanique du Fagradalsfjall fin mars 2021 (photo © Jeremie Richard / AFP / Sud-Ouest)

Situé au-dessus de la dorsale et d’un point chaud, l’Islande connait une activité volcanique intense avec de l’ordre de 200 volcans actifs répertoriés et une bonne vingtaine d’éruptions en moyenne chaque siècle. L’île avait beaucoup fait parler d’elle en 2010 lors de l’éruption explosive de l’Eyjafjallajökull qui a débuté le 20 mars à travers 200 m de glace et s’est poursuivie jusqu’à fin octobre, projetant dans l’atmosphère d’énormes quantités de cendres très fines qui s’étaient répandues dans toute l’Europe de l’ouest, provoquant l’annulation de plus de 100 000 vols commerciaux avec quelques 10 millions de passagers bloqués dans les aéroports.

Éruption de l’Eyjafjallajökull en 2010, au sud de l’Islande (source © Islande explora)

En 2014, c’est un autre volcan, également recouvert d’une calotte glaciaire qui est entré en éruption, le Bárðarbunga, second plus haut sommet volcanique du pays, situé sous le Vatnajökull, la plus vaste calotte de glace de l’Islande. Du fait de la recrudescence de secousses sismiques dans la région, les volcanologues s’attendaient à cette éruption dès 2011, mais celle-ci s’est produit via un volcan voisin, le Grímsvötn, entre le 21 et le 28 mai 2011. Mais 3 ans plus tard, le 16 août 2014, l’activité sismique s’intensifie en nouveau et, le 29 août, une fissure s’ouvre avec des émanations gazeuses puis des effusions de lave. L’éruption se poursuit jusqu’en février 2015 laissant un champ de lave impressionnant qui s’étend sur 85 km2 avec jusqu’à 40 m d’épaisseur, mais sans dégât majeur.

Éruption du volcan Bardabunga le 4 septembre 2014 (photo © Peter Hartree / Flickr / Notre planète)

On ne peut pas en dire autant de certaines éruptions volcaniques historiques qui se sont produites, la plus importante de la période historique étant sans conteste celle du Laki survenue en 1783. Ce n’est pas le Laki lui-même qui est alors entré en éruption mais c’est une faille, reliée au système magmatique du Grímsvötn qui s’est ouverte sur 27 km, de part et d’autre de cet ancien cône volcanique, avec l’apparition de pas moins de 115 petits cratères alignés le long de cette faille. Le phénomène, qui a débuté le 8 juin 1783, a d’abord été explosif et s’est poursuivi par des effusions massives de lave qui ont duré pendant 8 mois, recouvrant une surface totale estimée à 565 km2 ! Certaines fontaines de laves ont jailli jusqu’à plus de 1000 m de hauteur et il s’en est suivi une propagation de cendres dans l’atmosphère observée jusqu’à Londres durant tout l’été…

D’énormes quantités de dioxyde de soufre, évaluées à 120 millions de tonnes, ont été émis dans l’atmosphère à cette occasion, provoquant une perturbation climatique ressentie à travers toute l’Europe. En Islande, les cendres volcaniques, fortement chargées en fluor, ont recouvert les pâturages et provoqué une forte mortalité du bétail, atteint de fluorose dentaire ou osseuse. La moitié des bovins du pays aurait ainsi péri, de même qu’un quart des moutons et des chevaux. Une véritable hécatombe qui a entraîné une famine dévastatrice avec près de 10 000 morts selon les chroniques de l’époque, ce qui représentait près d’un quart de la population islandaise d’alors ! Espérons donc que l’éruption à venir, attendue du côté de Grindavic ne sera pas d’une telle ampleur…

L. V.

Champs Phlégréens : la nouvelle menace ?

30 octobre 2023

Quand on évoque le risque volcanique à Naples, on pense inévitablement au Vésuve dont l’éruption historique du 25 octobre de l’an 79 après J.-C. avait totalement détruit les villes romaines d’alors, notamment Herculanum et Pompéi, qui s’étalaient en contrebas, le long du golfe qui abrite désormais la mégapole de Naples dont l’agglomération comporte plus de 4,4 millions d’habitants. Mais le Vésuve, situé au Sud-Est de l’agglomération et dont la dernière éruption à ce jour, le 17 mars 1944, avait fait 26 morts et 12 000 sans-abris, n’est pas le seul risque volcanique qui pèse sur les habitants de la troisième ville italienne.

La dernière éruption du Vésuve au-dessus de la ville de Naples en 1944… (source © Geologically / Bernard Duyck / Earth of Fire)

De l’autre côté de la ville, le golfe de Pouzzoles, qui fait suite à la baie de Naples côté ouest, et qui se trouve lui-même en pleine zone urbanisé, abrite un autre complexe volcanique dont le regain d’activité actuel inquiète plus particulièrement les volcanologues… Cette zone, qui constitue une immense cuvette volcanique de 13 km de diamètre est connue depuis l’Antiquité. Le lac volcanique Averne, avec sa forme de puits profond d’où se dégagent des vapeurs méphitiques, et qui se situé dans la caldeira, était réputée être l’une des portes des Enfers, citée notamment par Virgile racontant les pérégrinations d’Orphée de retour des Enfers. La prêtresse d’Apollon, la Sybille, qui apparaît dans la légende d’Enée, y avait son antre près de la ville de Cumes située à proximité, une ancienne colonie grecque devenue romaine en 338 avant J.-C./

Accès à l’antre de la sybille de Cumes, en réalité un ancien tunnel de fortification sous l’acropole de l’antique cité grecque (source © Nature et voyage)

Le nom de Champs Phlégréens que l’on donne à cet immense complexe volcanique est d’ailleurs directement dérivé du Grec ancien et signifie « champs brûlants », en référence non pas à une activité volcanique, absente en ces temps antiques, mais à l’existence de nombreuses fumerolles et sources chaudes dont les Romains raffolaient. Et pourtant, il s’agit bien d’un volcan, lié à la subduction de la plaque adriatique sous la péninsule italienne et qui a connu deux éruptions paroxystiques majeures dont la première, datée d’il y a environ 36 000 ans, rattache ce site à la liste des super-volcans.

Fumerolle en activité dans les Champs Phlégréens (photo © Donar Reiskoffer  / RadioFrance)

Cette notion n’est pas forcément très rigoureusement définie aux yeux des volcanologues mais l’US Geological Survey la limite aux volcans qui rejettent plus de 1 000 km³ de pierre ponce et de cendre en une seule explosion, soit cinquante fois le volume de l’éruption de 1883 du Krakatoa, en Indonésie, qui tua plus de 36 000 personnes : « Les volcans forment des montagnes ; les super-volcans les détruisent. Les volcans tuent plantes et animaux à des kilomètres à la ronde ; les super-volcans menacent d’extinction des espèces entières en provoquant des changements climatiques à l’échelle planétaire. » Certains pensent d’ailleurs que cette gigantesque éruption à l’origine de la caldeira des Champs Phlégréens et dont les cendres se retrouvent sur tout l’Ouest de l’Europe et une partie du Proche-Orient, a contribué à la formation d’un hiver volcanique qui pourrait expliquer la disparition de l’Homme de Néandertal, rien de moins !

Une seconde série d’explosions ont ravagé le site il y a environ 15 000 ans, se traduisant par des émissions de grosses quantités de tuf jaune. La dernière éruption explosive est datée entre 4500 et 3700 ans et s’est traduite par des éruptions phréatiques et la formation de dômes de lave. Une seule éruption a été bien documentée durant le période historique. Elle a débuté le 29 septembre 1538 sur la rive Est du lac Averne et a abouti à la formation en quelques jours seulement, d’un monticule de cendre et de ponce de 130 m de hauteur, le monte Nuovo. Le 6 octobre, l’éruption s’est achevée par un dernier paroxysme, tuant les 24 curieux qui s’aventuraient sur ses pentes pour entreprendre l’ascension de ce tout nouveau monticule en formation…

Vue aérienne de la caldeira des Champs Phlégréens en bordure du golfe de Pouzzoles (source © CBS News)

Contrairement au Vésuve avec sa forme de cône volcanique typique et son panache de fumée intermittent, les Champs Phlégréens ne correspondent pas à un édifice volcanique classique tel qu’on se l’imagine habituellement. La caldeira elle-même disparaît partiellement sous la mer dans toute sa partie sud et elle comporte pas moins de 24 cratères dispersés mais une seule structure conique, le fameux monte Nuovo, d’apparence bien modeste. Mais surtout, toute cette zone, d’apparence vallonnée et sans relief spectaculaire, est totalement urbanisée. On compte en effet 360 000 habitants installés à l’intérieur même de la caldeira et de l’ordre de 2,3 millions qui vivent à proximité immédiate du site !   

Cratère de la Solfatare à Pouzzoles en 2016 (photo © Classe Latin-Grec – Lycée Jean-Pierre Vernant)

La présence de nombreuses fissures dans le sol, notamment dans l’immense cratère de la Solfatare, avec ses émanations de gaz et ses nombreuses sources hydrothermales qui ont fait longtemps l’attraction touristique des lieux, rappellent sans conteste l’activité volcanique intense du site, mais sans pourtant arriver à inquiéter les habitants qui se pressent dans cette zone côtière de la banlieue napolitaine. Pourtant, au début des années 1980, les volcanologues qui surveillent attentivement le secteur ont noté un soulèvement très significatif du sol et de nombreux signes avant-coureurs annonçant une possible remontée du magma. Un séisme de magnitude 4,2 a même eu lieu en octobre 1983, conduisant les autorités à évacuer environ 40 000 personnes de la ville de Pouzzoles entre 1982 et 1984.

Depuis le début des mesures en 1969 et jusqu’en 1985, le soulèvement du sol a atteint 3,20 m… L’origine de ces mouvements, que les scientifiques désignent sous le nom de bradyséisme, serait lié à une augmentation de température dans la chambre magmatique qui se déforme sous l’effet des transformations de l’état liquide à l’état gazeux. On observe d’ailleurs, des alternances historiques de subsidence et de gonflement du sol dans la caldeira des Champs Phlégréens, avec un paroxysme très marqué au XVe siècle, ayant conduit à l’éruption du monte Nuovo, puis deux phases récentes de soulèvement de 1,70 m en 1970-72 et 1,80 m en 1982-84. L’observation des ruines de l’ancien marché romain de Pouzolles, connu sous le nom de temple de Sérapis, permet d’ailleurs de suivre avec précision les mouvements successifs de subsidence et de réhaussement du sol sur de longue périodes, la base des colonnes se retrouvant par moment sous le niveau de la mer.

Ruines du temple de Sérapis à Pouzzoles (photo © Claude Grandpey)

Et voilà que le phénomène recommence ! Après une période d’affaissement continu, le sol recommence à gonfler depuis 2004, et les choses semblent s’accélérer… Depuis le début de l’année 2023, plus de 3000 séismes localisés ont été enregistrés, dont un de magnitude 4,2 le 27 septembre dernier. Le sol s’est soulevé de plus d’un mètre depuis 2011 dont 25 cm depuis janvier 2022. Le 5 octobre 2023, le gouvernement italien a signé un décret spécifique donnant 3 mois pour élaborer un nouveau plan d’évacuation des quartiers à risques de l’agglomération napolitaine.

Il faut dire qu’une étude effectuée en 2022 par le Conseil national de la Recherche avait évalué à 30 milliards d’euros par an le coût de l’évacuation des habitants proches des Champs Phlégréens selon les plans d’urgence actuellement en vigueur mais dont tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont totalement irréalisables. Il suffit de voir la configuration des ruelles étroites des petites localités alentours pour constater à quelle point les conditions logistiques d’une telle évacuation seraient difficiles en cas d’urgence.

Vue aérienne de la Solfatare avec la petite ville portuaire de Pouzzoles à proximité (photo © Roberto Salomone / Guardian / Eyevine / National Geographic)

Sans compter le facteur psychologique qui fait qu’en cas de catastrophe naturelle, surtout aussi atypique, une large partie des habitants refuse purement et simplement de quitter sa maison, comme on l’a encore constaté en 2009 lors du tremblement de terre qui avait ravagé le centre-ville d’Aquila, en pleine nuit, faisant 309 morts dont de nombreuses victimes qui avaient préféré retourner se coucher malgré deux premières secousses fortes. C’est tout l’enjeu de la prévention des risques naturels, dont la prédiction reste largement impossible dans l’état actuel des connaissances scientifiques. Il ne suffit pas aux scientifiques d’établir un diagnostic fiable, encore faut-il le faire accepter par les autorités politiques, souvent peu à l’aise avec les notions mathématiques de risque probabiliste, et ensuite par la population, qui montre souvent une profonde défiance envers ses responsables élus comme vis-à-vis des experts techniques…

L. V.

A Konya, l’agriculture intensive creuse sa tombe…

21 octobre 2023

C’est semble-t-il en Mésopotamie que les hommes du Néolithique, il y a quelques 11 000 ans de cela, se sont mis à développer la culture céréalière. Une pratique qui a conduit peu à peu les tribus de chasseurs-cueilleurs à se sédentariser pour surveiller les champs et à développer la sélection des variétés culturales, ce qui permet de suivre la progression de ces techniques au gré des déplacements de populations. Sur le plateau anatolien, en Turquie, les céréales sont présentes depuis au moins 2 millions d’années mais les premières traces de mise en culture dateraient d’environ 10 000 ans, sans doute à l’origine de la propagation de ces techniques vers l’Occident. L’Anatolie peut donc se targuer d’une longue expérience agricole et reste d’ailleurs considérée traditionnellement comme le grenier à blé de la Turquie.

Récolte d’un champ de maïs en Anatolie centrale (photo © Esin Denitz / Freepik)

Une agriculture qui s’est incontestablement modernisée, même si, comparativement à ses voisins européens elle reste globalement l’une des moins mécanisées et les moins consommatrices d’intrants. Son développement est pourtant spectaculaire, en lien avec l’évolution démographique exponentielle de ce pays qui comptait seulement 13 millions d’habitants lors du premier recensement de 1927, 27 millions en 1960 et a désormais dépassé les 85 millions. En Turquie, plus de 18 % de la population active reste encore occupée dans les champs, ce qui constitue un ratio très supérieur à nos économies occidentales. La Turquie se targue ainsi d’être le premier exportateur mondial de farine mais aussi de noisettes, d’abricots, de figues, de raisins secs ou encore de cerises et elle se place dans les 5 ou 10 premiers pays exportateurs en matière de melons, pastèques ou concombres, mais aussi pour les lentilles, les pois chiches. Quant aux céréales, la Turquie était en 2022 le 8e principal exportateur mondial de blé, loin derrière la Russie ou l’Union européenne, mais devant l’Argentine par exemple.

Sur le plateau d’Anatolie centrale, les étés peuvent être très chauds avec des températures atteignant 40 °C et de longues périodes sans pluie… (source © Duvar english)

Pourtant dans ce grenier à blé que constitue le plateau d’Anatolie centrale, autour de la ville de Konya, les conditions climatiques ne sont pas des plus favorables. Le cumul mensuel de précipitations, sur la base d’une quarantaine d’années d’observations fiables, ne dépasse pas 438 mm par an, ce qui est sensiblement inférieur au climat marseillais où ce cumul annuel est plutôt de 515 mm sur cette période. Mais surtout, cette pluie, qui tombe principalement en hiver, est tout sauf régulière. Si l’on excepte les années exceptionnelles comme 2000 ou 2013, le cumul annuel dépasse en fait exceptionnellement les 250 à 300 mm par an, ce qui est très faible.

La question de l’accès aux ressources en eau est donc cruciale dans une telle région. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que cette gestion est loin d’être optimale… Déjà en 2007, un article du Monde alertait sur les difficultés rencontrées après un été particulièrement sec. Pour tenter de sauver leurs récoltes, les agriculteurs de la région étaient amenés à multiplier les forages, de plus en plus profond, tandis que le niveau des nappes souterraines baissait à vue d’œil et que les grands lacs qui parsèment le paysage d’Anatolie centrale disparaissaient les uns après les autres. Le grand lac Hotamis, sur lequel les habitants avaient l’habitude de pêcher était alors totalement à sec, largement remplacé par des champs de betterave à sucre !

Lac Tuz, dans la province d’Aksaray, en Anatolie centrale, presque entièrement asséché à l’issue de l’été, ici le 25 octobre 2021 (photo © Emrah Gurel / The Associated Press / The Globe and mail)

A l’époque, l’administration reconnaissait avoir laissé s’installer une anarchie totale dans la gestion des puits et forages d’irrigation dont moins de 30 000 sont déclarés alors que leur nombre était alors estimé à plus de 60 000 et à plus de 100 000 désormais. Une situation qui n’a donc fait que s’aggraver depuis, alors même que les cultures traditionnelles de blé et d’orge cèdent de plus en plus la place à d’autres cultures comme le maïs et surtout la betterave à sucre, plus lucratives et mieux subventionnées, mais nettement plus gourmandes en eau et qui exigent une irrigation continue.

La Turquie s’est lancée dans des travaux pharaoniques pour détourner l’eau des zones plus montagneuses et venir alimenter des retenues à usage agricole, mais nombre d’agriculteurs préfèrent forer leur propre puits, parfois jusqu’à  300 ou 400 m de profondeur et venir pomper comme bon leur semble, sans la moindre gestion d’ensemble des ressources en eau et de leur capacité de renouvellement. Dans la région de Konya, plus de 90 % de l’eau captée, dont la moitié provient de réservoirs souterrains, est destinée à l’agriculture. Certaines années, on y observe désormais une baisse du niveau des nappes souterraines qui peut atteindre une vingtaine de mètres en période estivale !

Agriculteur de la région de Konya devant le gouffre apparu brutalement sur ses terres, il y a une dizaine d’années et qui fait plus de 30 m de diamètre (photo © Raphaël Boukandoura / Ouest France)

Du fait de ces variations brutales du niveau d’eau, un nouveau phénomène naturel est apparu, de plus en plus fréquent et particulièrement inquiétant : la formation d’effondrements en surface, du fait du soutirage en profondeur liée aux pompages agricoles. Certains de ces cratères qui s’ouvrent brutalement en plein champ et s’agrandissent ensuite d’année en année font jusqu’à 30 voire 50 m de diamètre avec des profondeurs variables mais qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mètres !

Cratère dans un champ dans la région de Karapınar, en Turquie, le 27 septembre 2022 (photo © Abdullah Dogan / Anadolu Agency / AFP / Reporterre)

Ces trous béants qui se forment ainsi font perdre de la surface agricole mais ils peuvent aussi parfois endommager des lignes électriques voire des routes ou des maisons d’habitation, tout en constituant un véritable danger pour la population, même si jusqu’à présent aucune victime n’est à déplorer. Dans le district de Karapinar, une famille a dû ainsi abandonner en catastrophe sa maison et une mosquée a été rendue inutilisable. Un phénomène qui a tendance à se multiplier et que l’ou retrouve dans toute la région de Konya, mais aussi dans celle de Karaman, plus au Sud, et celle de Niğde, plus à l’Est ou encore dans celle d’Aksaray, en Cappadoce.

Ces formations de dolines du fait d’effondrements souterrains de calcaire plus ou moins fracturé et karstifié qui constituent le plateau d’Anatolie centrale sont un phénomène naturel et qui a toujours existé. Mais la multiplication soudaine de ces effondrements, à raison d’une trentaine par an, interroge sur les pratiques liées à une exploitation anarchique des ressources en eau souterraine dans une région au climat semi-désertique, autrefois plutôt recouverte de prairies à moutons et de champs de blé et d’orge de printemps. Le développement d’une agriculture plus intensive centrée sur des variétés plus exigeantes en eau ne se fait pas impunément, même dans le traditionnel grenier à blé de la Turquie et quoi qu’en pense son leader, Recep Tayyip Erdoğan, adapte d’un productivisme agricole forcené et qui rappelait encore, début janvier 2023 : « celui qui néglige la terre néglige son avenir ». Une belle sentence qui mériterait presque d’être appliquée à la lettre…

L. V.

Le Mont-Blanc a encore perdu 2 mètres…

11 octobre 2023

Chaque Français l’a appris à l’école : le Mont-Blanc, situé en France, est le plus haut sommet d’Europe et culmine à 4 807 m d’altitude. Des affirmations qui néanmoins méritent quelques précisions…

Le Mont-Blanc, plus haut sommet français (photo © Sergueï Novikov / Adobe Stock / Futura Sciences)

Une chose est sûre, ce sommet, situé à égale distance des villes de Chamonix, en Haute-Savoie, et de Courmayeur, dans le Val d’Aoste italien, est bien le point culminant des Alpes, et de l’Union européenne dans sa configuration actuelle. De là à dire que c’est le sommet le plus élevé d’Europe, tout dépend de ce que cette notion géographique recoupe… Car si l’on considère que la chaîne du Caucase fait partir du continent européen, force est de constater qu’on y trouve une bonne dizaine de montagnes sensiblement plus élevées que notre Mont-Blanc. La plus haute d’entre elles est le mont Elbrouz, situé dans le nord du Caucase, en territoire russe, et qui culmine à 5 642 m d’altitude. Mais on dénombre au moins 6 autres sommets caucasiens qui dépassent les 5 000 m, dont le Dykh Tau, situé en Kabardino-Balkarie, tout comme le Kochtan-Taou, tandis que le Chkhara, le Djanghi-Taou, le Kazbek ou encore le pic Pouchkine sont du côté georgien.

Le mont Elbrouz en Russie et ses 5 642 m d’altitude… (source © Outwild)

Quant à affirmer que le Mont-Blanc est bien sur le territoire français, c’est un point qui n’est pas définitivement tranché… Bien sûr, jusqu’en 1860 la question ne se posait pas puisqu’il faisait incontestablement partie du duché de Savoie alors rattaché au Royaume de Sardaigne. Mais en 1858, le premier ministre sarde, Camillo Cavour rencontre Napoléon III à Plombières et il est question de permettre le rattachement à la France de la Savoie et du comté de Nice, moyennant une aide militaire française pour aider la Sardaigne à unifier l’Italie contre la volonté autrichienne.

La France participe ainsi aux victoires sardes de Montebello, puis de Magenta et de Solférino, mais au prix de tant de pertes humaines que Napoléon III préfère signer un armistice et se retirer. Ce qui n’empêchera pas la diplomatie de faire son œuvre et d’aboutir, via le traité de Turin, signé le 24 mars 1860, au rattachement à la France de la Savoie toute entière, à l’issue d’un plébiscite largement contesté d’ailleurs. Toujours est-il que le traité se garde bien de définir précisément les frontières, laissant ce soin à une future commission mixte…

Extrait de la carte d’état-major dressée en 1865 par Jean-Joseph Mieulet, avec le tracé de la frontière franco-italienne déporté au niveau du Mont-Blanc de Courmayeur (source © Gallica / BNF)

En toute logique, la frontière finalement délimitée passe par le sommet du Mont-Blanc, qui se trouve donc franco-italien. Un tracé que l’on retrouve encore de nos jours sur les cartes italiennes, mais pas sur les françaises… Dès 1865, la carte d’état-major levée par le capitaine Mieulet repousse le tracé de la frontière plus au sud, au niveau du Mont-Blanc de Courmayeur. Une version qui sera confirmée en 1946, à l’occasion d’un arrêté ministériel pris juste après la guerre, qui confirme ce tracé frontalier et répartit le territoire ainsi indument annexé entre les communes de Chamonix et de Saint-Gervais. Les Italiens protestent à maintes reprises contre ce coup de force et adressent même en 1995 un mémoire aux autorités françaises pour demander de réexaminer ce litige. Mais la France s’abstient purement et simplement d’y répondre et les choses en sont là, pour l’instant !

Le massif du Mont-Blanc vu depuis Combloux, le 15 février 2019 (photo © Christophe Suarez / Biosphoto / AFP / France TV info)

Quant à savoir quelle est l’altitude précise du Mont-Blanc, les scientifiques les plus au fait du sujet auraient tendance à répondre comme l’humoriste Fernand Reynaud jadis au sujet du temps que met le fût du canon à refroidir : « ça dépend… ». A leur décharge, l’exercice n’est pas si facile qu’il n’y paraît. Le premier à s’y colle est le Britannique George Shuckburgh-Evelyn, qui grimpe en 1775 avec le naturaliste genevois Horace Benedict de Saussure au sommet du Môle, au-dessus de Bonneville, ce qui lui permet d’estimer la hauteur du Mont-Blanc à 4 787 m. Après correction de la planimétrie puis intégration d’un coefficient de réfraction, cette mesure sera ajustée en 1840 à 4 806,5 m. Une mesure qui sera affinée entre 1892 et 1894 par les cousins Vallot à 4 807,2 m, laquelle restera longtemps la valeur de référence, confirmée d’ailleurs en 1980 par une campagne photogrammétrique de l’IGN.

Depuis, les techniques de mesure altimétrique ont beaucoup évolué et se font désormais par satellite. Les premières visées de 1986 aboutissent d’ailleurs à une valeur assez proche mais légèrement supérieure de 4 808,4 m. Depuis 2001, dans le cadre d’un partenariat entre la chambre départementale des géomètres-experts de Haute-Savoie et la société Leica Geosystems, des campagnes de mesures sont réalisées tous les deux ans pour tenter de suivre l’évolution de l’altitude du Mont-Blanc. Car contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, celle-ci est loin d’être intangible. De fait, alors que la première mesure en 2001 aboutit à 4810,4 m, la suivante, réalisée en septembre 2003 après une année de forte canicule, montre que le sommet a baissé de près de 2 m ! A cette occasion, un relevé très fin de toute la calotte neigeuse au-dessus de 4000 m est effectué pour servir de référence.

La calotte neigeuse au sommet du Mont-Blanc, en perpétuel mouvement (source © Les exploratrices)

Car le Mont-Blanc, comme son nom l’indique, est recouvert d’une épaisse couche de neige, de 15 à 20 m d’épaisseur. Son sommet rocheux se situe donc plus bas, à 4 792 m d’altitude et est décalé d’une quarantaine de mètres plus à l’ouest par rapport au sommet neigeux. Ce dernier évolue donc au fil du temps, en fonction des cycles de précipitation et des déplacements de la couche de neige sous l’effet du vent. En septembre 2005, le sommet a ainsi regagné 30 cm puis carrément 2,15 m supplémentaire en 2007, date à laquelle le volume du manteau neigeux sommital avait presque doublé de volume par rapport à 2003. En septembre 2011, les mesures indiquaient ainsi un sommet culminant à 4 810,4 m.

Mais depuis, les campagnes les plus récentes ont tendance à montrer une perte progressive d’altitude. En 2019, le sommet était ainsi retombé à 4 806 m. Il est remonté d’un mètre en 2021 et la dernière campagne, réalisée entre le 14 et le 16 septembre 2023 indique une altitude encore inférieure, évaluée à 4 805,59 m. Il ne faut pas nécessairement en conclure pour autant que les 2,20 m de manteau neigeux perdus depuis 2021 et même 4,50 m depuis 2013, sont une résultante directe du changement climatique. Il est en effet trop tôt pour tirer ce type de conclusion sur la base d’une série de mesures aussi brève, alors que la partie sommitale du Mont-Blanc reste en permanence en dessous de 0 °C. Les mesures désormais disponibles montrent que la configuration du manteau neigeux au sommet du Mont-Blanc change très rapidement sous l’effet du vent qui déplace en permanence la neige et remodèle à sa guise le sommet.

État du glacier de la Mer de Glace, ici le 3 février 2021 (photo © Marco Bertorello / AFP / Actu)

En revanche, le réchauffement climatique se fait sans conteste sentir sur les glaciers des Alpes et notamment dans le massif du Mont-Blanc, à l’image de la Mer de Glace qui fond à vue d’œil. En 2022, la fonte mesurée avait atteint 4 m entre fin mai et début juillet, un phénomène qui s’est fortement accéléré depuis le débit des années 1990 et un recul qui devrait atteindre plusieurs kilomètres d’ici 30 ou 40 ans. Dans les Alpes, la disparition des glaciers est déjà considérée comme un phénomène programmé et irréversible…

L. V.

Ecocéan : une station MIR dans le port de Marseille

27 septembre 2023

Le pourtour méditerranéen fait partie de ces régions où la biodiversité est particulièrement menacée. Au-delà des effets du changement climatique, dont les manifestations directes commencent à être bien visibles avec l’afflux d’espèces envahissantes et des surmortalités de certaines espèces endémiques, c’est l’impact de l’activité humaine qui constitue la principale menace sur cette biodiversité. Plus de 500 millions de personnes y vivent, auxquels s’ajoutent de l’ordre de 360 millions de touristes chaque année. L’urbanisation détruit les habitats naturels côtiers et les déchets s’accumulent, y compris en mer, tandis que les rejets d’eaux pluviales et d’eaux usées souvent mal traitées viennent dégrader la qualité des milieux aquatiques. La faune marine est de plus en plus menacée par l’accroissement des activités nautiques, le braconnage et la surpêche qui a fait des ravages en Méditerranée.

Fonds marins filmés en Méditerranée par un robot submersible de l’IFREMER, en 2021, à 2000 m de profondeur (photo © IFREMER / Radio France)

Certes, il arrive que l’on constate quelques heureux événements comme ces pontes de tortues caouanne sur deux plages du Var cet été, à Fréjus, comme en 2020, et à Saint-Cyr-sur-Mer où 62 petites tortues marines viennent d’éclore le 20 septembre 2023, après des mois de surveillance rapprochée pour éviter tout risque de prédation.

Jeune tortue fraîchement éclose sur la plage des Lecques à Saint-Cyr-sur-Mer le 20 septembre 2023  (source © Fréquence Sud)

Mais un rapport publié en juin 2021 par une équipe scientifique coordonnée par l’Institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéenne, basée à la Tour du Valat, dressait un bilan très alarmant du véritable effondrement de la biodiversité observée sur le bassin méditerranéen entre 1993 et 2016. Les populations de vertébrés ont chuté de 20 % et plus de 50 % des écosystèmes marins sont en danger.

Les pratiques de pêche ne sont pas étrangères à ce bilan alarmant, en particulier le chalutage qui racle les fonds marins sans distinction. Un article de Marsactu évoquait ainsi dernièrement le sort de deux chalutiers marseillais « pesqués par la Justice ». Le premier, baptisé Notre-Dame de la Garde, a été ainsi pris la main dans le filet à 5 reprises durant l’été 2021, en train de draguer en toute illégalité des réserves interdites à la pêche pour permettre aux juvéniles de se reproduire. Une zone située au large de Port-Saint-Louis du Rhône forcément très poissonneuse et où le chalutier s’est rendu pas moins de 23 fois durant l’été, remontant dans ces filets des pêches miraculeuses et très lucratives tout en ravageant sans scrupule l’écosystème protégé.

Chalutiers marseillais dans le port de Saumaty (photo © Anaïs Boulay / Le Marin)

Quant au second chalutier, baptisé Di Trento, c’est en novembre 2022 qu’il été alpagué, en plein cœur du Parc national des Calanques, dans un secteur interdit à la pêche, en pleine période de migration de la daurade royale, de quoi remonter des filets à plusieurs milliers d’euros. Une tentation qui fait que ce pêcheur professionnel a déjà été condamné à plusieurs reprises. Le voilà désormais interdit de sortie en mer pour un an, sachant que c’était le dernier des 5 chalutiers marseillais encore autorisés à pratiquer ce type de pêche lors de la création du parc : de quoi permettre aux fonds marins de souffler un peu…

Filets utilisés par Ecocean pour la pêche des post-larves au large de La Ciotat (photo © Rémy Dubas / Ecocean)

Pour autant, le littoral marseillais a bien besoin de se reconstituer après des décennies de surpêche mais aussi et surtout d’activités industrielles polluantes et de rejets urbains mal contrôlés. C’est justement une des missions que s’est assignée la jeune société Ecocean. Créée en 2003 à Montpellier par le plongeur professionnel Gilles Lecaillon, Ecocean s’est spécialisée dans le collecte et l’élevage de post-larves de poissons ou de crustacés, un domaine scientifique connu internationalement sous son appellation anglo-saxonne de Post-Larval Capture and Culture, PCC pour les intimes.

Le principe est simple puisqu’il s’agit de pêcher en mer, dans les zones relativement préservées, des post-larves qui correspondent à la dernière étape des métamorphoses larvaires successives avant le stade juvénile, puis d’élever en aquarium ces individues avant de les réimplanter dans un milieu naturel dégradé comme le littoral portuaire marseillais, totalement ravagé par des siècles d’incurie. Si cette technique s’est imposée c’est parce que l’élevage des larves elles-mêmes s’avère très difficile. Les poissons, pour se reproduire, pondent de grandes quantités d’œufs qui remontent à la surface de l’eau, donnant des larves qui mènent d’abord une existence planctonique. Elles subissent ensuite de nombreuses métamorphoses et ce n’est qu’au cours des derniers stades que ces larves se fixent au fond de l’eau en devenant des juvéniles.

Post-larve de sar, Diplodus sargus, en aquarium (photo © Alizee Frezel / Ecocean)

La caractéristique commune de ces larves de poissons est leur vulnérabilité extrême. Moins de 1% des œufs de poissons atteignent le stade de juvéniles, l’immense majorité d’entre eux servant de nourriture aux innombrables prédateurs. Les juvéniles eux-mêmes ont une espérance de vie très faible. L’idée est donc de capturer des post-larves, sans incidence sur les stocks puisque l’immense majorité est destinée à périr dans le milieu naturel, de les élever en laboratoire à l’abri des prédateurs, puis de les relâcher à l’état juvénile dans des zones à recoloniser.

Réintroduction des juvéniles dans le cadre du projet Casciomar au large de Cassis et La Ciotat (photo © Rémy Dubas / Ecocean)

Pour cela, Ecocean s’appuie sur des pêcheurs professionnels qui vont prélever les post-larves dans les secteurs préservés de la côte méditerranéenne pour alimenter ses fermes aquacoles de Toulon et de Marseille. Cette dernière est installée dans les installations portuaires de la Joliette, abritée dans des containers estampillés CMA-CGM, et forme ce que Ecocean a malicieusement dénommé la station MIR, autrement dit une station Méditerranéenne d’innovation en restauration écologique. Les post-larves y sont élevées pendant 2 à 6 mois avant d’être relâchées en mer pour repeupler les fonds.

Biohuts prête à être immergées dans les eaux de Port-Miramar à La Londe-les-Maures, dans le Var, pour servir de nursery aux post-larves de poissons (photo © Ecocean)

Depuis 2015, Ecocean s’enorgueillit ainsi d’avoir réimplanter en mer plus de 20 000 juvéniles dont la survie est évaluée à plus de 80 %, et poursuit son action au rythme de 2000 à 3000 réintroductions par an, généralement dans des récifs artificiels protégés, dénommés biohuts, sorte de cages bourrées de coquilles d’huîtres recyclées dans lesquelles les juvéniles trouvent un milieu favorable et sécurisé pour leur nouvelle implantation. On trouve ainsi 56 de ces biohuts implantées au large de Port-Fréjus et une trentaine de ports en Méditerranée est associé à l’opération cofinancée par l’Agence de l’Eau.

OP Coral : aquarium d’élevage de coraux dans le port de Marseille (photo © Franck Pennant / La Provence)

Une œuvre de longue haleine puisqu’on estime à environ 400 km de côtes la partie du littoral méditerranéen devenue totalement impropre à la vie aquatique du fait des activités urbaines et industrielles. Une ferme coralligène, surnommée OP Coral, a aussi été implantée dans un container du port de Marseille pour y développer la croissance contrôlée de coraux, éponges et autres gorgones dans des bacs à 16 °C éclairés par des lampes à UV, avec comme objectif de réimplanter ensuite des individus en milieu naturel. Tout espoir n’est donc pas perdu d’arriver un jour à retrouver en Méditerranée des fonds poissonneux et vivants…

L. V.

Début septembre 2023 : une situation climatique extrême…

11 septembre 2023

Il y a des périodes, comme ça, qui donnent l’impression que le climat est vraiment en train de se dérégler. Une impression malheureusement bien réelle, qui ne fait que confirmer, en pire, ce que les climatologues prédisent depuis des années et dont nous ne pouvons désormais ignorer les effets…

Au cours de l’été 2023, la France a fait face à une nouvelle phase de canicule. A partir du 10 août, les températures sont allées croissant, conduisant à une généralisation des chaleurs extrêmes sur la quasi-totalité du territoire national le 17 août. Puis la température a encore gagné en intensité sur l’arc méditerranéen, la vallée du Rhône et le Sud-ouest, avec un pic spectaculaire entre le 21 et le 24 août où l’on a enregistré des températures jamais vues en France après un 15 août. Près de la moitié des postes météorologiques des 19 départements classés en vigilance canicule rouge dans la moitié sud du pays ont alors enregistré des records absolus de température. Le thermomètre est ainsi monté à 43,2 °C à Carcassonne le 23 août tandis que les températures minimales nocturnes atteignaient également des sommets : 29,1 °C à Perpignan le 21 août et même 30,4 °C à Menton le 23 août !

Des températures qui ont dépassé les 36 °C en plein cœur de Paris début septembre 2023 (source © Urban hit)

Et l’été n’est pas fini puisque le 8 septembre, on enregistrait de nouveau des températures très inhabituelles en France à cette période de l’année, cette fois surtout dans la moitié nord du pays avec un record de 36,5 °C enregistré à Paris, dans les jardins du Luxembourg. Des valeurs jamais observées à cette période de l’année en région Ile-de-France ou dans le Val de Loire, depuis une bonne centaine d’années que les stations météorologiques sont opérationnelles…

Pompier luttant contre un incendie près d’Agioi Theodori, à l’ouest d’Athènes, le 18 juillet 2023 (photo © AFP / La Croix)

Une canicule qui a sévi en 2023 dans bien d’autres pays, au Canada dès le mois de mai, puis notamment chez nos voisins grecs. Fin juillet, le pays faisait lui aussi face à des chaleurs écrasantes avec un thermomètre qui est monté à 46,4 °C le 24 juillet à Gythios dans le Péloponnèse tandis que le pays se battaient contre plusieurs foyers d’incendie nécessitant des évacuations massives. Dès le 19 juillet, la protection civile grecque devait faire face à 47 feux de forêts simultanés, mais d’autres incendies spectaculaires se sont aussi déclenchés en août, dont celui d’Alexandropolis, à partir du 19 août, qui a ravagé plus de 81 000 hectares et qui est considéré comme le plus vaste incendie observé dans l’Union européenne !

Incendie dans la périphérie de Bejaia, en Algérie, le 24 juillet 2023 (source © Radio-m)

Le 24 juillet, on enregistrait 49 °C à Alger où un gigantesque incendie faisait une quinzaine de victimes dans la région de Bejaia et le lendemain, c’était Tunis qui se retrouvait avec à son tour jusqu’à 49 °C en journée. Le mois de juillet 2023 est d’ailleurs désormais officiellement considéré comme le plus chaud jamais observé, avec une température moyenne mondiale de 16,95 °C, le précédent record datant de 2019 seulement…

Véhicules bloqués par la montée des eaux après le passage de la tempête Daniel, à Flamouli, près de la ville de Trikala, jeudi 7 septembre 2023 (photo © Stergios Spiropoulos /Reuters / Libération)

Et voilà qu’en ce début du mois de septembre, la Grèce, meurtrie par cette vague de chaleur extrême et d’incendies dévastateurs, se retrouve sous les flots ! A partir du mardi 5 septembre au matin, sous l’effet de la tempête méditerranéenne Daniel, des pluies torrentielles se sont abattues sur la région, en particulier sur le mont Pélion où l’on a observé des intensités instantanées de plus de 500 mm/h. Alors que l’on enregistre en moyenne un cumul de précipitation de l’ordre de 400 mm par an à Athènes, celles du 5 septembre 2023 ont atteint 754 mm en seulement 24 heures à Zagora, en Thessalie !

Pont emporté dans le village de Kala Nera, en Grèce, le 7 septembre 2023 (photo © Stamos Prousalis / Reuters / France 24)

En quelques heures tous les cours d’eau ont débordé et la grande plaine de Thessalie, dans le centre du pays, qui englobe notamment les départements de Magnésie, de Trikala et de Karditsa, s’est transformée en un immense lac avec des hauteurs d’eau dépassant localement 1,50 m. En fin de semaine, les secours déploraient déjà au moins 10 morts, piégés par les eaux en furie, alors qu’hélicoptères et canots de sauvetage continuaient à sillonner la zone, village par village, pour tenter de récupérer les victimes bloquées, parfois sur le toit de leur maison. Les pays voisins ont aussi été sévèrement touchés par ces intempéries exceptionnelles qui auraient fait 11 morts en Bulgarie et en Turquie.

Inondations à Istanbul le 5 septembre 2023  (photo © Yasin Akgul / AFP / Huffington Post)

Et pendant ce temps-là, à l’autre bout du monde, la ville de Hongkong subissait à son tour des inondations catastrophiques. Déjà le 2 septembre, la région avait dû faire face à un super typhon, baptisé Saola, qui avait obligé à évacuer plus de 880 000 personnes dans les provinces chinoises de Guangdong et Fujian, et obligé des millions de personnes à se calfeutrer dans les grandes villes de Hongkong, Canton, Shenzhen et Macao. Une semaine plus tard, vendredi 8 septembre, de nouvelles trombes d’eau s’abattaient sur la ville de Hongkong qui enregistrait alors son maximum historique depuis 1884, date de la mise en service de la station météo, avec des cumuls atteignant 158 mm en une heure !

Parking souterrain inondé à Hongkong début septembre 2023 (extrait vidéo © Dailymotion / Le Monde)

En quelques heures, les rues de la mégapole de 17,7 millions d’habitants ont été transformées en torrents de boue, emportant tout sur leur passage, tandis que certaines stations de métro étaient entièrement noyées. Au moins deux personnes ont perdu la vie et plusieurs ont été gravement blessées. Déjà fin juillet-début août la ville de Pékin et la province de Hebei avaient été touchées par de violentes inondations qui avaient fait au moins 69 morts et avait obligé les autorités à faire sauter des digues pour détourner les eaux en furie. C’est maintenant le sud du pays qui est concerné, avec l’annonce par les autorités de la nécessité de délester les retenues d’eau de Shenzhen pour éviter que ces ouvrages hydrauliques ne soient submergés, ce qui risque d’aggraver encore les inondations en aval.

Une pelleteuse dégage les rues inondées de la ville de Zhuozhou, dans la province de Hebei, le 9 août 2023 (photo © Jade Gao / AFP / La Provence)

En tout état de cause, ces successions d’événements météorologiques cataclysmiques sont, de l’avis des tous les météorologues, une manifestation directe du réchauffement climatique global, non pas que canicules, pluies et tempêtes soient inhabituelles dans ces différentes régions, mais parce que le réchauffement global en accentue l’intensité et la fréquence. Rappelons ainsi que chaque augmentation d’un degré de la température de l’air augmente de 6 à 15 % sa pression de vapeur saturante, autrement dit la quantité d’eau susceptible d’être contenue dans l’air, ce qui explique largement ces trombes d’eau qui peuvent alors s’abattre et qui n’ont donc pas fini de faire des dégâts.

Notre ville de Carnoux-en-Provence n’est d’ailleurs pas à l’abri de telles pluies diluviennes, surtout à l’approche de l’automne, et il n’était sans doute pas inutile de surélever les bungalows provisoires pendant la durée du chantier de reconstruction de l’école maternelle, elle qui a été judicieusement implantée en zone inondable, au plus creux du vallon…

L. V.