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La Grave : le téléphérique de la discorde

12 novembre 2023

Avec le réchauffement climatique, le sort de la plupart des glaciers alpins est d’ores et déjà réglé, condamnés à fondre inexorablement jusqu’à disparaître tandis que la faune et la flore de haute altitude vont devoir s’adapter rapidement pour survivre aux nouvelles conditions climatiques qui s’imposent, à une vitesse jamais observée jusque-là. D’ici la fin du siècle, autrement dit dans 75 ans seulement, la moitié des 215 000 glaciers répertoriés dans le monde auront probablement disparu selon une étude scientifique publiée en janvier 2023 dans la revue Science. Et encore, cette modélisation ne vaut que si on maintient la trajectoire du réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C, ce qui semble désormais totalement illusoire. Avec un réchauffement de 4 °C, nettement plus réaliste au vu des observations actuelles, ce sont 83 % des glaciers actuels qui auront disparu en 2100 ! Dans le massif alpin, seuls quelques plaques de glace résiduelles pourraient encore subsister à plus de 4000 m d’altitude…

La Meige vue du Chazelet, un hameau de La Grave (photo © Éric Beallet / Oisans)

Une bien triste perspective pour des villages comme La Grave, symbole du tourisme alpin. Cette petite commune du nord des Hautes-Alpes, située dans la haute vallée de la Romanche, sur un axe routier important, reliant Grenoble à Briançon, et au-delà vers l’Italie par le col de Montgenèvre, ne compte, malgré sa position stratégique juste en dessous du col du Lautaret, que 477 habitants, répartis entre le bourg et différents hameaux qui s’étagent tous entre 1300 et 1900 m d’altitude.

La Grave a surtout la chance de se trouver au pied même du massif de la Meije, le deuxième plus haut sommet du massif des Écrins, culminant à 3 983 m d’altitude et dont la face nord surplombe majestueusement le village. Dernier sommet majeur des Alpes à être gravi par l’homme, après au moins 17 tentatives avortées depuis 1870, il a fallu attendre le 16 août 1877 pour qu’un alpiniste français, Emmanuel Boileau de Castelnau, parvienne au sommet du Grand Pic de la Meije, guidé par le local de l’étape, Pierre Gaspard et son fils. Depuis lors, La Meije est devenue un haut-lieu du tourisme alpin, avec l’ouverture d’un premier hôtel dès 1857.

Face sud de la Meije avec son point culminant, le Grand Pic de la Meije, à 3 983 m (photo © Freddi Meignan / Isère tourisme)

A la fin des années 1950 apparaît le besoin d’un déneigement hivernal du col du Lautaret pour répondre à la demande émergente des sports d’hiver et une première station de ski, celle du Chazelet, est aménagée à La Grave. La création du Parc national des Écrins, en 1958, freine le projet de construction du téléphérique de la Meije, déjà dans les cartons mais dont le projet devra nécessiter un ajustement des limites du Parc, après moult discussions… Déjà à l’époque, les polémiques sont vives entre le maire qui prône un développement touristique tous azimuts et une partie de la population qui insiste pour préserver le cadre naturel exceptionnel du site. Un premier tronçon finit quand même par être achevé en 1976 mais quelques mois plus tard, un plasticage à l’explosif retarde la poursuite des travaux, si bien que le second tronçon ne sera mis en service qu’en 1978.

Les cabines du téléphérique de la Gave à la Meije (source © Ski passion)

Ces téléphériques qui fonctionnent avec des trains de 5 cabines chacun, comportent donc une gare intermédiaire située à 2424 m d’altitude, la gare d’arrivée du tronçon supérieur étant à 3 173 m. Exploités depuis 2017 par la Société d’aménagement touristique de la Grave, une filiale de la SATA, basée à l’Alpe d’Huez, ces téléphériques permettent de desservir l’hiver un téléski qui conduit les skieurs sur le glacier de la Girose jusqu’à 3 600 m d’altitude. Mais ce vieux téléski, fonctionnant encore au fuel, est mal placé par rapport à la configuration actuelle du glacier qui s’est fortement rabougri ces dernières années et les skieurs doivent se faire tracter sur 800 m par une dameuse pour le rejoindre depuis l’arrivée du téléphérique… D’où le projet de construire un troisième tronçon de téléphérique qui prendra la suite des deux précédents et conduira directement les passagers jusqu’à 3 600 m.

Mais voilà que, comme il y a 50 ans mais avec encore plus de vigueur, ce projet déchaîne les passions et suscite une forte opposition, de la part de ceux qui considèrent qu’aller faire du ski hors-piste sur les pentes de la Meije à plus de 3 500 m d’altitude est une activité obsolète qui ne peut plus être encouragée de nos jours alors que le réchauffement climatique  fait fondre à grande vitesse les derniers glaciers alpins et que l’on a enfin pris conscience de la nécessité de préserver ce qu’il reste de notre environnement naturel. Des associations se sont mobilisés et ont engagé des actions en justice pour tenter de faire obstacle à ce projet d’un autre temps. Mais en vain ! Leurs référés successifs ont tous été rejetés par le Tribunal administratif…

Manifestation d’opposants au projet sur le glacier de la Girose le 24 septembre 2023 (photo © Mountain Wilderness / Montagnes magazine)

Les travaux ont donc démarré comme prévu fin septembre pour construire ce troisième tronçon de téléphérique sur 1800 m de longueur avec le même flux de passagers que les deux tronçons inférieurs, soit 400 passagers par heure dans des cabines de 40 places de quoi embarquer 1000 à 1200 personnes par jour jusqu’à 3 600 m d’altitude. La station de La Grave accueillant des touristes été comme hiver, le téléphérique servira pour les skieurs comme pour les adeptes de l’alpinisme ou de la randonnée en altitude, mais aussi pour les simples flâneurs venus admirer le paysage et profiter du restaurant d’altitude situé à l’arrivée du deuxième tronçon ainsi que du glaciorium qu’il est prévu d’aménager, lieu de conférence et d’exposition sur les glaciers et la haute montagne.

Images de synthèse de la future gare d’arrivée du troisième tronçon du téléphérique de la Meije, à 3 600 m d’altitude (source © SATG / Montagnes magazine)

Le chantier, dont le coût est estimé à 15 millions d’euros, est prévu sur 3 ans avec une ouverture programmée à l’hiver 2025, sachant que les entreprises ne peuvent travailler que 4 mois par an, entre la fin de la saison estivale et les premières grosses neiges, ainsi qu’au printemps. Cet automne, les travaux doivent porter sur la protection préalable des espèces végétales impactées ainsi que sur les fondations du pylône intermédiaire qui sera implanté sur un éperon rocheux émergeant du glacier. Mais les opposants au projet se sont invités dans le jeu : début octobre, une quinzaine de militants, issus principalement des Soulèvements de la Terre, sont venus interrompre les travaux, déployant leurs banderoles à 3 400 m d’altitude et bloquant les travaux pendant une petite semaine, au grand dam des entreprises engagées dans une course contre la montre pour tenter de respecter leur planning très serré.

Les militants écologistes manifestant sur le site du chantier du téléphérique de la Meije début octobre 2023 (photo © Les Soulèvements de la Terre / France 3 régions)

Une autre marche était organisée en parallèle, le 7 octobre 2023, par deux autres associations opposées à ce projet : La Grave autrement et Mountain Wilderness, tandis que les commerçants et associations sportives locales organisaient de leur côté une contre-manifestation, le 14 octobre, pour exprimer leur soutien au projet, porteur d’emploi local et de retombées économiques positives, tout en soulignant le moindre impact environnemental du futur téléphérique par rapport au vieux téléski actuel.

De quoi aviver les tensions entre partisans d’une exploitation touristique à tout prix de la montagne, et militants d’une adaptation aux réalités du changement climatique, particulièrement sensible dans ces milieux alpins de haute altitude. Un dialogue de sourd qui risque bien de reprendre au printemps lorsque les travaux du chantier reprendront…

L. V.

Le Mont-Blanc a encore perdu 2 mètres…

11 octobre 2023

Chaque Français l’a appris à l’école : le Mont-Blanc, situé en France, est le plus haut sommet d’Europe et culmine à 4 807 m d’altitude. Des affirmations qui néanmoins méritent quelques précisions…

Le Mont-Blanc, plus haut sommet français (photo © Sergueï Novikov / Adobe Stock / Futura Sciences)

Une chose est sûre, ce sommet, situé à égale distance des villes de Chamonix, en Haute-Savoie, et de Courmayeur, dans le Val d’Aoste italien, est bien le point culminant des Alpes, et de l’Union européenne dans sa configuration actuelle. De là à dire que c’est le sommet le plus élevé d’Europe, tout dépend de ce que cette notion géographique recoupe… Car si l’on considère que la chaîne du Caucase fait partir du continent européen, force est de constater qu’on y trouve une bonne dizaine de montagnes sensiblement plus élevées que notre Mont-Blanc. La plus haute d’entre elles est le mont Elbrouz, situé dans le nord du Caucase, en territoire russe, et qui culmine à 5 642 m d’altitude. Mais on dénombre au moins 6 autres sommets caucasiens qui dépassent les 5 000 m, dont le Dykh Tau, situé en Kabardino-Balkarie, tout comme le Kochtan-Taou, tandis que le Chkhara, le Djanghi-Taou, le Kazbek ou encore le pic Pouchkine sont du côté georgien.

Le mont Elbrouz en Russie et ses 5 642 m d’altitude… (source © Outwild)

Quant à affirmer que le Mont-Blanc est bien sur le territoire français, c’est un point qui n’est pas définitivement tranché… Bien sûr, jusqu’en 1860 la question ne se posait pas puisqu’il faisait incontestablement partie du duché de Savoie alors rattaché au Royaume de Sardaigne. Mais en 1858, le premier ministre sarde, Camillo Cavour rencontre Napoléon III à Plombières et il est question de permettre le rattachement à la France de la Savoie et du comté de Nice, moyennant une aide militaire française pour aider la Sardaigne à unifier l’Italie contre la volonté autrichienne.

La France participe ainsi aux victoires sardes de Montebello, puis de Magenta et de Solférino, mais au prix de tant de pertes humaines que Napoléon III préfère signer un armistice et se retirer. Ce qui n’empêchera pas la diplomatie de faire son œuvre et d’aboutir, via le traité de Turin, signé le 24 mars 1860, au rattachement à la France de la Savoie toute entière, à l’issue d’un plébiscite largement contesté d’ailleurs. Toujours est-il que le traité se garde bien de définir précisément les frontières, laissant ce soin à une future commission mixte…

Extrait de la carte d’état-major dressée en 1865 par Jean-Joseph Mieulet, avec le tracé de la frontière franco-italienne déporté au niveau du Mont-Blanc de Courmayeur (source © Gallica / BNF)

En toute logique, la frontière finalement délimitée passe par le sommet du Mont-Blanc, qui se trouve donc franco-italien. Un tracé que l’on retrouve encore de nos jours sur les cartes italiennes, mais pas sur les françaises… Dès 1865, la carte d’état-major levée par le capitaine Mieulet repousse le tracé de la frontière plus au sud, au niveau du Mont-Blanc de Courmayeur. Une version qui sera confirmée en 1946, à l’occasion d’un arrêté ministériel pris juste après la guerre, qui confirme ce tracé frontalier et répartit le territoire ainsi indument annexé entre les communes de Chamonix et de Saint-Gervais. Les Italiens protestent à maintes reprises contre ce coup de force et adressent même en 1995 un mémoire aux autorités françaises pour demander de réexaminer ce litige. Mais la France s’abstient purement et simplement d’y répondre et les choses en sont là, pour l’instant !

Le massif du Mont-Blanc vu depuis Combloux, le 15 février 2019 (photo © Christophe Suarez / Biosphoto / AFP / France TV info)

Quant à savoir quelle est l’altitude précise du Mont-Blanc, les scientifiques les plus au fait du sujet auraient tendance à répondre comme l’humoriste Fernand Reynaud jadis au sujet du temps que met le fût du canon à refroidir : « ça dépend… ». A leur décharge, l’exercice n’est pas si facile qu’il n’y paraît. Le premier à s’y colle est le Britannique George Shuckburgh-Evelyn, qui grimpe en 1775 avec le naturaliste genevois Horace Benedict de Saussure au sommet du Môle, au-dessus de Bonneville, ce qui lui permet d’estimer la hauteur du Mont-Blanc à 4 787 m. Après correction de la planimétrie puis intégration d’un coefficient de réfraction, cette mesure sera ajustée en 1840 à 4 806,5 m. Une mesure qui sera affinée entre 1892 et 1894 par les cousins Vallot à 4 807,2 m, laquelle restera longtemps la valeur de référence, confirmée d’ailleurs en 1980 par une campagne photogrammétrique de l’IGN.

Depuis, les techniques de mesure altimétrique ont beaucoup évolué et se font désormais par satellite. Les premières visées de 1986 aboutissent d’ailleurs à une valeur assez proche mais légèrement supérieure de 4 808,4 m. Depuis 2001, dans le cadre d’un partenariat entre la chambre départementale des géomètres-experts de Haute-Savoie et la société Leica Geosystems, des campagnes de mesures sont réalisées tous les deux ans pour tenter de suivre l’évolution de l’altitude du Mont-Blanc. Car contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, celle-ci est loin d’être intangible. De fait, alors que la première mesure en 2001 aboutit à 4810,4 m, la suivante, réalisée en septembre 2003 après une année de forte canicule, montre que le sommet a baissé de près de 2 m ! A cette occasion, un relevé très fin de toute la calotte neigeuse au-dessus de 4000 m est effectué pour servir de référence.

La calotte neigeuse au sommet du Mont-Blanc, en perpétuel mouvement (source © Les exploratrices)

Car le Mont-Blanc, comme son nom l’indique, est recouvert d’une épaisse couche de neige, de 15 à 20 m d’épaisseur. Son sommet rocheux se situe donc plus bas, à 4 792 m d’altitude et est décalé d’une quarantaine de mètres plus à l’ouest par rapport au sommet neigeux. Ce dernier évolue donc au fil du temps, en fonction des cycles de précipitation et des déplacements de la couche de neige sous l’effet du vent. En septembre 2005, le sommet a ainsi regagné 30 cm puis carrément 2,15 m supplémentaire en 2007, date à laquelle le volume du manteau neigeux sommital avait presque doublé de volume par rapport à 2003. En septembre 2011, les mesures indiquaient ainsi un sommet culminant à 4 810,4 m.

Mais depuis, les campagnes les plus récentes ont tendance à montrer une perte progressive d’altitude. En 2019, le sommet était ainsi retombé à 4 806 m. Il est remonté d’un mètre en 2021 et la dernière campagne, réalisée entre le 14 et le 16 septembre 2023 indique une altitude encore inférieure, évaluée à 4 805,59 m. Il ne faut pas nécessairement en conclure pour autant que les 2,20 m de manteau neigeux perdus depuis 2021 et même 4,50 m depuis 2013, sont une résultante directe du changement climatique. Il est en effet trop tôt pour tirer ce type de conclusion sur la base d’une série de mesures aussi brève, alors que la partie sommitale du Mont-Blanc reste en permanence en dessous de 0 °C. Les mesures désormais disponibles montrent que la configuration du manteau neigeux au sommet du Mont-Blanc change très rapidement sous l’effet du vent qui déplace en permanence la neige et remodèle à sa guise le sommet.

État du glacier de la Mer de Glace, ici le 3 février 2021 (photo © Marco Bertorello / AFP / Actu)

En revanche, le réchauffement climatique se fait sans conteste sentir sur les glaciers des Alpes et notamment dans le massif du Mont-Blanc, à l’image de la Mer de Glace qui fond à vue d’œil. En 2022, la fonte mesurée avait atteint 4 m entre fin mai et début juillet, un phénomène qui s’est fortement accéléré depuis le débit des années 1990 et un recul qui devrait atteindre plusieurs kilomètres d’ici 30 ou 40 ans. Dans les Alpes, la disparition des glaciers est déjà considérée comme un phénomène programmé et irréversible…

L. V.

Réserve des Monts d’Azur : la source aux bisons

21 mars 2023

Patrice Longour fait partie de ces amoureux de la nature qui consacrent leur vie à tenter de défendre la biodiversité, de plus en plus menacée par l’explosion de l’activité humaine et qui est victime d’une extinction massive comme la Terre en a rarement connues. Une menace qui pèse sur les cigales de notre environnement quotidien comme sur les éléphants du Mozambique lointain ! C’est justement auprès de cette faune africaine que Patrice Longour, alors jeune diplômé de l’école vétérinaire de Lyon a choisi de s’investir, au sein de l’association Préserve, dans delta de l’Okavango au Botswana.

Éléphants dans le delta de l’Okavango au Botswana (source © Terre d’aventure)

Cet immense delta intérieur alimenté par les eaux qui ruissellent des hauteurs de l’Angola va ensuite se perdre dans les sables du désert du Kalahari, mais il constitue un habitat naturel relativement préservé, très favorable au développement d’une faune et d’une flore diversifiée. On y dénombre plus de 400 espèces d’oiseaux et l’on peut y observer éléphants, rhinocéros, buffles, impalas, guépards, crocodiles, hyènes, hippopotames et on en passe…

Au début des années 2000, Ian Khama, chef de la tribu des Bamangwatos et futur président de la République du Botswana qu’il dirigea pendant 10 ans à partir d’avril 2008, fait observer au jeune vétérinaire français que les Européens ne sont pas forcément les mieux placés pour donner des leçons de préservation de la faune, et qu’ils feraient mieux de s’investir dans leur propre pays pour sauver ce qui peut encore l’être.

Patrice et Alena Longour sur le site de la réserve des Monts d’Azur au début de l’aventure il y a 20 ans (source © Wikipedia)

Un message reçu 5 sur 5 par Patrice Longour qui finit par abandonner son cabinet vétérinaire et rachète avec son épouse Aléna le vaste domaine de 700 ha du Haut-Thorenc, sur la commune d’Andon dans les Alpes-Maritimes, perdu sur les hauteurs de Grasse à plus de 1000 m d’altitude, constitué de forêts et de friches au pied d’une grande barre rocheuse. Un ancien manoir jadis transformé en école mais abandonné depuis 30 ans trône au milieu du plateau. Une villa bioclimatique et des écolodges sont construits à proximité pour y accueillir des touristes.

Patrice Longour, le créateur de la réserve biologique des Monts d’Azur, devant les bisons réintroduits par ses soins (photo © Ian Hanning / REA / Le Point)

Une source, qui débite toute l’année, traverse le domaine lorsque Patrice Longour le rachète en 2003. Cette source des Termes, qui se perd sur la plateau calcaire est alors captée depuis 1965 par Suez pour le compte du Syndicat des Trois Vallées, basé dans le village voisin de Caille, qui alimente en eau potable 6 communes des environs. Sauf que le syndicat en question n’a jamais racheté les terres autour de la source comme il s’y était engagé dans le cadre de la déclaration d’utilité publique et s’était contenté d’une convention avec la Caisse d’assurance maladie, alors propriétaire de la source elle-même. Lorsque cette dernière a vendu son terrain à Patrice Longour pour y créer ce qui est devenue la réserve biologique des Monts d’Azur, celui-ci a donc engagé un véritable bras de fer avec Suez afin de récupérer, au profit de la biodiversité locale et des zones humides du plateau, cette source qui est principalement captée pour alimenter les canons à neige de la station de ski de Gréolières-les-Neiges, située un peu plus haut.

La source des Termes, convoitée par Suez pour les canons à neige de Gréolières-les-Neiges (photo © Frédéric Lewino / Le Point)

Le bras de fer juridique n’est probablement pas terminé malgré deux arrêts de la Cour de cassation, mais cela n’a pas empêché la réserve biologique d’aménager deux plans d’eau, ce qui a permis à Patrice Longour de réintroduire sur le site de Thorenc, entre 2005 et 2006, deux espèces disparues d’Europe occidentale : le bison d’Europe et le cheval de Przewalski.

Les bisons d’Europe prenant leur bain dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Océane Sailorin / Côte d’Azur)

Les bisons d’Europe, que Charlemagne s’amusait encore à chasser dans les forêts d’Aix-la-Chapelle, ont disparu depuis la Première guerre mondiale et seule quelques individus survivaient encore en captivité jusqu’aux premières tentatives de réintroduction dans les années 1950. Quant au cheval de Przewalski que nos ancêtres du Néolithique avaient coutume de représenter sur des parois des grottes ornées, il n’a été redécouvert qu’en 1879, en Dzoungarie, dans les Monts Altaï qui bordent le désert de Gobi, mais plusieurs sites ont récemment permis sa réintroduction, à l’instar de celui de la réserve des Monts d’Azur qui renferme aussi des élans d’Europe, des cerfs élaphes ou encore des daims et totalise plus de 800 espèces naturelles dans son site entièrement clôturé.

Harde de cerfs élaphes dans la réserve biologique des Monts d’Azur (photo © Rv Dols / Œil PACA)

La réserve biologique des Monts d’Azur fête cette année ses 20 ans d’existence et s’enorgueillit de recevoir près de 40 000 visiteurs par ans, dont beaucoup de scolaires mais aussi de simples curieux venus voir de près ces animaux en semi-liberté, dans le cadre de visites guidées, à pied mais aussi en calèche voire en traineau pendant la saison hivernale. Certains y voient une activité un peu trop commerciale tournée avant tout vers l’accueil touristique dans un cadre naturel attractif. Mais on ne peut dénier à Patrice Longour d’avoir eu le courage de prendre au mot les conseils du chef bantou Ian Khama et d’avoir fait de gros efforts pour créer sur ce plateau de Thorenc un véritable havre de biodiversité, quitte à détourner, au profit de la nature, le débit tant convoité de la petite source des Termes…

L. V.

Philippe Echaroux enchante la montagne

12 septembre 2022

Le photographe marseillais Philippe Echaroux n’en finit pas de faire parler de lui. Nous avions déjà évoqué sur ce blog ses œuvres aussi spectaculaires qu’éphémères qui revêtent souvent un caractère engagé voir pédagogique. Devenu une véritable référence mondiale en matière de street art 2.0, en remplaçant les bombes de peintures qui dégradent durablement les murs tagués malgré eux, par un vidéoprojecteur surpuissant, il n’hésite pas à afficher sur les façades de Marseille, de La Havanne, de New York ou de Venise ses slogans humoristiques, profonds ou provocateurs.

Projection de Philippe Echaroux sur le Cap Canaille (source © Philippe Echaroux)

Mais Philippe Echaroux est aussi un artiste engagé qui embrasse de multiples causes. Celles des enfants des rues de Calcutta comme celle de la déforestation qui menace la forêt amazonienne. Après avoir projeté un portrait géant de Zinédine Zidane sur le pignon aveugle d’une maison marseillaise de la Corniche, Philippe Echaroux s’est rendu en 2016 au fin fond de la forêt amazonienne pour y rencontrer des représentants d’un peuple indien méconnu, les Suruis, au contact de la civilisation occidentale depuis une cinquantaine d’années seulement, et aux prises avec la déforestation qui menace leur écosystème millénaire.

Projection dans la forêt amazonienne d’un visage Surui (source © Philippe Echaroux / Destimed)

Ses portraits de membres de la tribu Suruis, projetés de nuit sur les immenses arbres qui les entourent créent un univers onirique des plus étranges qui a beaucoup amusé les Indiens assistant à la genèse et à la mise en œuvre de ce projet artistique pour le moins original. Mais cette œuvre éphémère dont les photographies témoins ont été exposées dans une galerie parisienne fin 2016, sont avant tout un acte écologique militant. Celui d’un artiste qui cherche à convaincre par l’émotion esthétique que la défense de la forêt amazonienne est une condition de la survie de l’humanité, et pas seulement des quelques tribus qui y vivent en symbiose avec le milieu naturel.

Projection de Philippe Echaroux sur les arbres de la forêt amazonienne (source © Philippe Echaroux)

« Derrière chaque arbre déraciné, c’est un homme qui est déraciné ». Tel est le message fort que cherche à faire passer Philippe Echaroux à travers ce projet spectaculaire. Et il entreprend la même démarche pour attirer l’attention sur la fonte inexorable des glaciers alpins, n’hésitant pas à crapahuter de nuit avec un guide de haute montagne, sur ce qu’il reste de la Mer de glace pour projeter sur le monde minéral qui l’entoure ses messages d’alerte sur cette glace qui hurle en fondant comme une vulgaire boule de crème glacée entre les mains d’un gamin capricieux.

Projection de Philippe Echaroux sur la Mer de Glace qui fond désespéramment (source © Philippe Echaroux)

Car Philippe Echaroux est un vrai amoureux de la montagne et de ceux qui l’habitent. Alpinistes, gardiens de refuges, bergers d’alpage ou secouristes de haute-montagne, autant de figures auxquelles l’artiste marseillais a voulu rendre hommage dans une série de portraits géants qu’il a projeté au cours de l’été 2022 et jusqu’au 30 septembre, sur les façades de plusieurs villages du Parc des Écrins, dans les Hautes-Alpes, et de l’Oisans, en Isère.

Philippe Echaroux dans le massif des Écrins (photo © Patrick Domeyne / Made in Marseille)

Une exposition in situ dans de petits villages de montage, qui attire les touristes de passages et les amoureux de la montagne, tout en rendant un hommage magnifique à ceux qui y vivent toute l’année. Photographe portraitiste reconnu, Philippe Echaroux sait mieux que personne rendre toute l’humanité de ces visages burinés par le soleil des longues courses en altitude et désireux de faire partager leur passion de ces paysages naturels dont l’accès se mérite par l’effort.

Projection sur une façade du village de Villar-d’Arène dans le Parc des Écrins (photo © Patrick Domeyne / Made in Marseille)

On ne peut que saluer cette belle initiative qui vise à réenchanter ces paysages alpins et à valoriser cette pratique d’un alpinisme authentique et respectueux de la nature, tout en faisant appel à un art à la fois original, d’une beauté esthétique incontestable, minimisant son impact environnemental par son aspect éphémère et virtuel, mais en même temps porteur d’un message humaniste fort : bravo l’artiste !

L. V.