Archive for juin 2023

Titan et les migrants : le choix des médias

29 juin 2023

L’affaire a fait beaucoup de bruit et toute l’actualité internationale a vibré à l’unisson autour de cet évènement dramatique qui a tenu en haleine la planète entière à partir du 18 juin 2023. Ce jour-là en effet, le petit sous-marin de poche, dénommé Titan, appartenant à la société américaine OceanGate, avait plongé avec 5 hommes à bord pour aller visiter l’épave du Titanic, ce paquebot britannique présumé insubmersible qui avait coulé lors de sa première traversée transatlantique le 15 avril 1912 après avoir malencontreusement heurté un iceberg et dont l’épave git désormais à 650 km au sud-est de Terre-Neuve, par 3 851 m de fond.

Le Titan amorçant sa plongée vers les abysses (source © OceanGate / Reuters / Le Temps)

La plongée du Titan, largement médiatisée, devait durer 7 heures. C’était la première de l’année 2023 mais d’autres avaient déjà eu lieu en 2021 et 2022. Construit en 2017, le Titan est un cylindre de 6,70 m de long, en oxyde de titane recouvert de fibres de carbone, actionné par 4 moteurs électrique mais à autonomie très limitée. Il nécessite l’usage d’un navire pour l’amener sur site et le récupérer. La plongée vers l’épave dure 2 heures et autant pour la remontée vers la surface, laissant quelques heures pour vadrouiller autour de l’épave que les passagers peuvent observer au travers d’un vaste hublot.

C’est d’ailleurs probablement le point faible de l’engin car le hublot en question n’est homologué que jusqu’à 1300 m de profondeur. Un ancien dirigeant de la société Oceangate, David Lochridge, avait d’ailleurs démissionné en 2018, inquiet pour la sécurité des passagers de l’appareil du fait de l’absence de vérification du comportement de ce hublot à une telle profondeur. Des incidents avaient déjà été signalés et le scénariste américain Mike Reiss, qui avait plongé en 2022 à bord du même sous-marin, confirmait le 19 juin à la BBC : « On perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments et ce genre de trucs ».

Plateforme de mise à l’eau du Titan, ici en 2018 lors des premiers essais de plongée (photo © MacKenzie Funk / New York Times)

Il faut dire que le submersible en question ne dispose pas de système de géolocalisation et que les communications avec la surface sont très sommaires. Le confort est spartiate, chacun étant simplement assis à même le plancher avec des réserves en oxygène limitées donnant une autonomie maximale de 96 heures. Les passagers, qui payent pourtant la bagatelle de 250 000 dollars pour avoir ce privilège d’observer de visu à travers le fameux hublot les vestiges rouillés du Titanic, sont donc amplement prévenus des dangers de l’opération et doivent signer, avant de monter à bord, une décharge confirmant qu’ils sont bien conscients que tout cela peut très mal tourner…

Le bastingage du Titanic vu depuis le hublot du Titan (sans Leonardo DiCaprio ni Kate Winslet) par près de 4 000 m de fond (source © OceanGate)

Cinq passagers étaient à bord du submersible lors de cette fameuse plongée du 18 juin 2023. Le pilote de l’engin était le fondateur et PDG d’OceanGate en personne, Stockton Rush, accompagné par le Français Paul-Henri Nargeolet, un ancien officier de marine ayant servi comme plongeur-démineur, puis devenu responsable à l’IFREMER des programmes de submersibles Cyana et Nautile. Il avait plongé dès 1987 à bord d’un Nautile vers l’épave du Titanic. Chasseur d’épaves invétéré et passionné du Titanic, il avait rejoint la société RMS Titanic Inc comme responsable des opérations sous-marines, ce qui lui avait permis en 1993 de remonter les premiers objets de l’épave. Depuis 2018, il était consultant pour l’entreprise Caladan Oceanic qui organise également des plongées vers l’épave du Titanic mais avec un sous-marin homologué pour descendre jusqu’à 11 000 m. A 77 ans, il était sans conteste l’un des meilleurs spécialistes de l’épave du Titanic.

Paul-Henry Nargeolet, l’ancien officier de marine passionné par l’épave du Titanic (photo © Vincent Michel / Ouest-France / MaxPPP / L’Indépendant)

De quoi attirer de riches passionnés désireux de dépenser leur fortune pour participer à une expédition touristique hors du commun avec frissons garantis, de quoi agrémenter en savoureuses anecdotes leurs prochains dîners d’affaires. Ainsi, le Britannique Hamish Harding, qui faisait partie du voyage, est le PDG d’Action Aviation, une société de courtage d’avions, basée à Dubaï, après avoir notamment développé le tourisme d’affaire vers l’Antarctique. Il avait déjà plongé au plus profond de la fosse des Mariannes, à 11 000 m, et avait participé à un vol spatial en 2022 à bord de la fusée New Shepard. L’autre businessman qui l’accompagnait, Shahzada Dawood, un Britannique d’origine pakistanaise, était le richissime vice-président du conglomérat pakistanais Engro Corporation qui fait dans les engrais et l’industrie chimique. Ce dernier avait même traîné dans l’aventure son jeune fils de 19 ans, Suleman, étudiant à Gmasgow.

Ce 18 juin 2023, le navire de surface Polar Prince, un brise-glace canadien, perd le contact avec le petit sous-marin Titan après 1h45 de plongée. A l’heure prévue pour la fin de mission, il ne remonte pas et un dispositif de recherche s’enclenche alors. Deux avions équipés de sonar sont engagés sur zone tandis qu’un troisième largue des bouées acoustiques pour tenter de capter des sons provenant du submersible. L’IFREMER mobilise de son côté son navire l’Atalante avec à son bord un robot capable de plonger à 6 000 m de profondeur. Toute la presse mondiale se mobilise et le monde entier est tenu en haleine par les moindres péripéties des recherches en cours. Les meilleurs spécialistes mondiaux se perdent en conjecture sur tous les plateaux télé pour supputer les chances de retrouver vivant l’équipage dont on sait qu’il ne dispose que de réserves limitées en oxygène.

Bref, personne sur Terre ne peut ignorer que quelque part dans l’Atlantique nord, des moyens colossaux sont déployés pour tenter de retrouver ces 5 touristes intrépides alors même que tout indique que leur sous-marin de poche s’est désintégré sous l’effet de la pression dans les premières heures de plongée. Une hypothèse qui sera d’ailleurs confirmée le 28 juin par un communiqué des garde-côtes américaines, précisant que le submersible a bien implosé et que ses restes ont été repêchés à 500 m de l’épave du Titanic.

Fragment de l’épave du Titan repêchée en mer et rapportée à Saint-Jean de Terre-Neuve au Canada, le 28 juin 2023 (photo © Paul Daly / The Canadian Press / AP / Le Monde)

Il n’en reste pas moins que cette opération a mobilisé pendant plusieurs jours des moyens importants et capté l’essentiel de l’attention médiatique, alors que bien d’autres événements au moins aussi dramatiques étaient quasiment passés sous silence.

C’est le cas notamment de la catastrophe qui est survenue quelques jours plus tôt, dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, près des côtes grecques du Péloponnèse. Un bateau de pêche vétuste, contenant sans doute entre 400 et 750 migrants, fait naufrage alors que des navires des garde-côtes grecques l’avaient repéré et approché mais l’empêchaient d’accoster. Les passeurs égyptiens dont le capitaine du navire qui l’avait abandonné avant l’entrée dans les eaux profondes du Péloponnèse ont été arrêtés depuis. Mais le bilan est lourd avec pas moins de 82 corps sans vie qui ont été repêchés tandis que 104 rescapés, principalement égyptiens, syriens et pakistanais, ont pu être secourus, les autres étant à jamais disparus en mer.

Un dessin de Daniel Glez (source © Jeune Afrique)

Un drame malheureusement devenu banal dans cette Méditerranée que des milliers de jeunes venus du Sud tentent de traverser au péril de leur vie, attirés par l’Eldorado européen, et que les médias ont finalement bien vite éclipsé, au profit des aventures plus croustillantes du petit sous-marin Titan. Même Barak Obama s’est ému de cette distorsion dans le traitement de l’actualité et le médiateur de Radio-France a largement relayé les innombrables réactions d’auditeurs indignés par une vision aussi biaisée.

Il n’en reste pas moins que les médias ne font que répondre à la demande et savent pertinemment que la curiosité humaine sera davantage captée par le sort de 5 riches explorateurs intrépides perdus près de l’épave emblématique du Titanic que par celui de centaines de pauvres gens qui sombrent jour après jour dans les eaux de la Méditerranée en espérant fuir la misère : toutes les vies se valent, mais certaines valent quand même manifestement plus que d’autres…

L. V.

M99 : la future nouvelle tour de Marseille

21 juin 2023

Marseille connaît une crise du logement sans précédent avec, selon les estimations du rapport Nicol de 2015 de l’ordre de 40 000 logements indignes, insalubres ou potentiellement dangereux et pas moins de 47 000 ménages en attente de logements sociaux alors que le parc social de la ville ne compte au total que 80 000 logements avec un taux de rotation très faible et seulement un peu plus de 800 constructions nouvelles autorisées en 2022…

La future tour M99 (à droite) dans l’alignement des tours d’Arenc (source © Challenge)

Heureusement, comme partout et peut-être davantage qu’ailleurs, les populations les plus aisées ne connaissent pas ces affres et les logements de luxe arrivent encore bien à sortir de terre. C’est le cas de la future tour qui verra bientôt le jour sur le front de mer, dans le secteur d’Euroméditerranée, à côté de la tour « La Marseillaise », conçue par Jean Nouvel, et inaugurée fin 2018. Les esprits chagrins pourraient s’étonner que cette nouvelle tour, initialement baptisée Horizon, et connue sous le nom de code H99 en référence à sa hauteur projetée de 99 m, soit encore dans les cartons alors que le permis de construire a été attribué en 2008.

La tour La Marseillaise lors de son inauguration en 2018 (source © Groupe Constructa)

La période de gestation est plutôt inhabituelle, mais il s’est passé beaucoup de chose depuis et le secteur, autrefois zone d’activité logistique plutôt mal famée de l’arrière port, est devenue un immense quartier d’affaire, encore en chantier, mais déjà méconnaissable. La construction de la tour CMA-CGM, qui culmine à 147 m de hauteur et constitue la figure de proue de l’ensemble a donné le signal de départ de l’opération. Débuté en 2006, sur les plans de l’architecte Zaha Hadid, le bâtiment a été livré en 2010 avec ses 2700 postes de travail pour les collaborateurs de l’entreprise.

L’immeuble La Porte bleue conçu par l’architecte Jean-Baptiste Pietri (source © Pietri Architectes)

Après l’achèvement par le groupe Constructa de la tour La Marseillaise, destinée également à accueillir des bureaux dont ceux de la Métropole Aix-Marseille-Provence, c’est l’immeuble dénommé « La porte bleue », qui a été édifiée et livrée en juillet 2022. Un immeuble de 17 étages jouxtant La Marseillaise, conçu par l’architecte Jean-Baptiste Piétri, constitué d’un assemblage de voûtes en béton blanc de taille variée. Les 11 étages inférieurs sont destinés à accueillir une résidence de tourisme de luxe tandis que les niveaux supérieurs sont des logements de haut standing pour de l’accession à la propriété : Luxe, calme et volupté, rien n’est trop beau pour les Marseillais qui ont le bon goût et les moyens financiers d’investir ainsi en bord de mer, à deux pas du tramway.

Créé en 1964 à Marseille, le promoteur immobilier Constructa est passé en 1988 entre les mains de Marc Pietri qui avait rejoint le groupe en 1973 et avait contribué à son implantation aux USA dès 1984. Devenu spécialiste de l’asset management, qui consiste à gérer des actifs immobiliers pour le compte de clients, Constructa est chargé en 1997 d’édifier trois tours d’hôtels de luxe Sofitel à New York, Philadelphie et Chicago. En 2014, après avoir géré la réhabilitation des Docks Village, Constructa fait construire sur le quai d’Arenc son premier immeuble, le Balthazar, conçu par Roland Carta et y installe son siège.

Jean-Baptiste Pietri, à la tête de la société Constructa, dans son bureau de la tour La Marseillaise  (photo © Richard Michel / GoMet)

En février 2020, Constructa perd son président, Marc Pietri, décédé à 73 ans, et c’est le fils de ce dernier, Jean-Baptiste Pietri, alors à la tête d’un cabinet d’architecte à Paris, qui reprend les rênes de l’entreprise familiale et ses 200 salariés, en plein confinement lié au Covid. C’est à cette période qu’est lancé le chantier de la Porte bleue, conçue par le même Jean-Baptiste Pietri. Et c’est toujours lui qui a redessiné les plans de la future tour M99, la suivante sur la liste, dont il a fièrement dévoilé l’esquisse le 2 juin dernier, en convoquant la presse au 29e étage de la tour La Marseillaise.

Ancienne tour Horizon H99 devenue future M99 (source © GoMet)

Prévue en calcaire blanc avec des formes modernes et épurée, cette future tour de 99 m de hauteur abritera sur ses six premiers étages 95 logements d’une résidence sociale étudiante. Les huit niveaux suivants seront occupés par un hôtel quatre étoiles de 130 chambres et un restaurant. Enfin, les 17 derniers étages, avec vue imprenable sur la rade de Marseille et le port d’Arenc, seront partagés en 37 logements très haut de gamme, avec loggia, balcon filant, terrasse et même un jardin partagé en toiture. Leur commercialisation est prévue entre 2023 et 2024 à un prix évalué entre 8000 et 10 000 € le m2, ce qui place le Duplex à 3 millions : pas vraiment pour toutes les bourses…

Si tout va bien et que les riches investisseurs sont au rendez-vous, le chantier lui-même débutera en 2024 pour un achèvement programmé en 2027. D’ici là, la Cité scolaire internationale située à deux pas aura vu le jour, ce qui devrait contribuer à attirer une clientèle aisée de hauts cadres, de quoi rassurer Constructa pour la bonne réalisation de ce projet dont le coût global est évalué à 95 millions d’euros : qui a dit que le marché du logement se portait mal à Marseille ? 

L. V.

Abayas, ce chiffon noir qui nous aveugle…

19 juin 2023

L’Histoire regorge de ces petits prétextes futiles dont l’Homme adore se servir pour déclencher, sinon des guerres, du moins des polémiques capables de mettre la société à feu et à sang. Il suffit de relire Rabelais et ses guerres picrocholines ou les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift pour se rappeler à quel point l’humanité est capable de se déchirer pour des sujets les plus anodins comme le fait d’attaquer son œuf à la coque par un bout ou par l’autre. La religion fait bien évidemment partie de ces sujets de conflit interminables, et incompréhensibles pour un non initié, puisqu’elle fait justement appel aux croyances les plus profondes et les plus intimes, qui touchent à notre identité propre et sur laquelle on est le moins en capacité de transiger.

Se battre pour un rien, un atavisme gaulois ? (source © Les éditions Albert René / Goscinny – Uderzo)

C’est bien d’ailleurs ce qui a poussé nombre de philosophes à conclure qu’il valait mieux, pour éviter de voir se reproduire sans cesse ces guerres de religion qui ont tant fait couler le sang, séparer autant que possible ce qui relève de la foi individuelle et ce qui concerne la conduite des affaires du pays et de la vie en société. La laïcité, l’un des piliers sur lequel repose notre République, part justement de ce principe que chacun est totalement libre d’exercer la religion qu’il souhaite mais que l’espace public et la vie en société supposent une certaine neutralité et une soumission aux règles communes, édictées par le pouvoir politique et non par les prescripteurs religieux.

Une conception qui ne va pas de soi pour bien des fous de Dieu pour qui la foi révélée doit passer au-dessus de tout et qui sont près à tout pour saper sans arrêt les fondements de cette laïcité qui gêne leur prosélytisme. La IIIe République s’est à l’époque heurtée de front au conservatisme catholique pour arriver à imposer cette vision sécularisée et apaisée de la laïcité. C’est désormais surtout avec l’islamisme qu’elle doit ferrailler et, le moins qu’on puisse dire, c’est que tous les responsables politiques ne font pas montre d’un grand courage en la matière…

Les deux collégiennes à l’origine de l’affaire des foulards de Creil (Oise), ici avec leur père Ali Achaboun le 9 octobre 1989 (photo © Leimdorfer / AFP / Le Point)

On se souvient des atermoiements de nos élus face à la détermination effrontée de quelques gamines de Creil qui refusaient obstinément d’enlever leur foulard islamique en classe en 1989, affirmant haut et fort : « Nous sommes des folles d’Allah et nous le porterons jusqu’à la mort ». A l’époque, des associations comme SOS Racisme soutenaient haut et fort leur combat au nom de leur liberté d’expression, feignant de penser que cet accoutrement n’avait rien de religieux mais reflétait simplement un choix d’identité culturelle. Le ministre de l’éducation, un certain Lionel Jospin, préfère alors prudemment saisir le Conseil d’Etat qui ne tranche pas vraiment et, en décembre 1989, chaque chef d’établissement reçoit une circulaire lui renvoyant la responsabilité de choisir d’exclure ou nom, en son âme et conscience, les élèves voilées. Il a fallu attendre 2004 pour qu’une loi soit adoptée, permettant d’interdire enfin les « signes religieux ostentatoires » à l’école comme au collège ou au lycée.

Étudiantes à Srinagar, en Inde, protestant le 8 juin 2023 contre une tentative d’interdiction du port de l’abaya (photo © Faizan Mir / The Wire)

Mais l’islamisme, inspiré et largement financé par les monarchies wahhabites du Golfe, continue son travail de sape insidieux, manipulant les consciences via les réseaux sociaux et imposant peu à peu son soft power, en utilisant, comme l’écrit récemment Natacha Polony dans Marianne, « aussi bien des instances footballistiques corrompues que des influenceurs décérébrés ». Et voilà que 30 ans plus tard, les mêmes éternels débats ressurgissent, centrés cette fois sur le port au lycée, des abayas, ces robes noires en forme de sac couvrant tout le corps des femmes, ou des qamis, ces tuniques amples tombant jusqu’aux chevilles, passées par-dessus les vêtements masculins pour se rendre à la mosquée.

Cette manie de se couvrir le corps pour pratiquer des rites religieux est des plus répandue dans nombre de cultures mais il faut vraiment être aveugle (ou totalement orienté comme l’est le Conseil français du culte musulman) pour ne pas y voir une marque de prosélytisme d’une vision rigoriste de l’islam dans notre société laïque et émancipée. De nombreux intellectuels musulmans rappellent d’ailleurs que nul n’est besoin de porter un tel vêtement comme c’est l’usage à Dubaï ou Abu Dhabi, pour vivre sa foi…

Jeune femme en abaya devant le lycée Victor Hugo (photo © Gilles Bader / MaxPPP / L’Indépendant)

Il n’empêche : la guerre des abayas est déclarée. A Marseille c’est le lycée Victor Hugo, proche de la gare Saint-Charles, qui y est notamment confronté, et le choc est violent… Il y a un an déjà, le lycée s’était vu contraint de sanctionner 3 assistants d’éducation, garants du respect des règles et chargés de filtrer les entrées au lycée, qui s’étaient montrés complices d’un groupe de jeunes filles décidées à faire de la provocation en venant assister aux cours en abaya. En septembre, le proviseur, Fabien Mairal, bon connaisseur de la culture musulmane, avait à plusieurs reprises convoqué dans son bureau les jeunes filles en question pour tenter de leur expliquer qu’une telle attitude les desservait.

Il s’était notamment permis d’indiquer, sur un ton sans doute quelque peu paternaliste : « Je suis tenu de faire respecter le texte et, de deux, je me dois de vous préparer au mieux à votre insertion professionnelle et sociale. (…) Je ne veux pas que vous restiez à la maison avec dix gamins à faire le couscous, le tajine ou les samoussas ». Mais les étudiantes avaient enregistré le proviseur à son insu et Médiapart en avait fait ses choux gras, le 4 mai 2023, en dénonçant de la part du proviseur en question des propos qualifiés de racistes et islamophobes. De quoi mettre un plein bidon d’huile sur le feu, d’autant que l’un des surveillants incriminés a été licencié, déclenchant la grève illimitée des autres, depuis le 16 janvier, tandis que le 8 mars une enseignante du lycée était à son tour suspendue pour avoir brandi, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, une pancarte portant comme slogan : « lycée Victor-Hugo, balance ton proviseur, sexiste/raciste ».

Manifestation le 11 mai 2023 à la porte du lycée Victor Hugo (photo © Pierre Korobeinik / La Provence)

Chaude ambiance donc au lycée où était organisée le 11 mai dernier une manifestation soigneusement orchestrée par certains étudiants et de nombreux militants syndicaux de Sud et de la CGT notamment. Et le 1er juin, c’est carrément une expédition punitive qui a été lancée par une cinquantaine de militants dont de nombreux cégétistes en chasuble, qui ont pénétré dans l’établissement et ont exercé des violences physiques et verbales sur le proviseur et son adjointe, séquestrés dans leur bureau et dépouillés de leur téléphone jusqu’à l’arrivée des forces de police 45 mn plus tard. De quoi tendre encore plus l’atmosphère déjà très électrique. Résultat : le proviseur et son adjointe sont en arrêt maladie, le rectorat a porté plainte, trois militants surexcités, jouant les idiots utiles du prosélytisme wahhabite, ont été interpellés, et la tension n’est pas prête de retomber.

A chaque chef d’établissement de se débrouiller pour juger de ce qui est licite ou pas : bon courage ! (source © L’actu Playbacpresse)

Il serait peut-être temps d’ouvrir enfin les yeux sur ce que cachent ces bouts de tissu que certains portent en étendard pour affirmer leur refus d’une société laïque de citoyens émancipés et autonomes, capables de définir en bonne intelligence des règles de vie commune. Il est quand même rageant de voir des intellectuels de gauche et des syndicalistes se réclamant des valeurs de solidarité et de justice sociale, se faire les avocats d’une société archaïque et ultraconservatrice qui cherche à imposer ses vues culturelles d’un autre temps en manipulant les esprits déboussolés de jeunes en quête de repères et en prônant ouvertement l’aliénation des femmes…  

L. V.

Équateur : comment payer sa dette en nature ?

17 juin 2023

L’Équateur, c’est ce petit pays d’Amérique du Sud, coincé sur la côte Pacifique entre le Pérou et la Colombie, deux voisins avec qui les rapports ont longtemps été conflictuels. Ayant conquis son indépendance par les armes en 1822, avec l’aide de renforts dépêchés par Simon Bolivar, l’Équateur est entré en guerre dès 1830 avec la Colombie pour tenter de lui arracher la province frontalière du Cauca et a récidivé entre 1861 et 1863 mais sans trop de succès. Ce qui ne l’a pas empêché de mener pas moins de 4 guerres frontalières avec son autre voisin, péruvien, et ceci jusqu’en 1995.

El Panecillo, la colline surmontée d’une statue de la Vierge, qui domine la ville de Quito, capitale de l’Équateur, à plus de 3000 m d’altitude, avec le volcan Pichincha en arrière-plan (source © Voyages-équateur)

Mais au-delà de ces péripéties historiques liées à l’imprécision des limites administratives de ces anciennes provinces espagnoles surtout dans la partie amazonienne à l’Est du pays, l’Équateur traverse depuis quelques années une passe difficile. Le pays ne manque pourtant pas d’atouts et est réputé non seulement pour la qualité de ses chapeaux de paille tressée, injustement connus sous le nom de « panamas », mais aussi pour ses activités agricoles : premier exportateur mondial de bananes et cinquième de cacao, le pays est aussi un gros producteur de canne à sucre, d’ananas, d’huile de palme et de soja. Grand producteur de fleurs coupées, dont la fameuse rose de Quito, l’Équateur a aussi été dans les années 2010 un gros exportateur de pétrole, membre de l’OPEP.

Péniche transportant des camions-citernes liés à l’exploitation pétrolière sur le río Napo, en Amazonie équatorienne (photo © Alban Elkaïm / Slate)

Victime d’une forte crise bancaire dans les années 1990, qui l’a conduit à abandonner sa monnaie nationale, le Sucre, pour adopter le dollar américain, le pays a connu une croissance soutenue dans les années 2000 et a réussi le tour de force de réduire considérablement ses inégalités sociales entre 2007 et 2014. En octobre 2019 néanmoins, et en contrepartie d’un prêt du FMI, le gouvernement du président Lenìn Moreno met en œuvre une politique économique très libérale avec baisse des impôts sur le capital, baisse de salaire de 20 % des contractuels du secteur public et perte de la moitié des jours de congés dans la fonction publique, tandis que le prix des carburants grimpe de 125 %, tous les ingrédients réunis pour déclencher grèves, manifestations et émeutes violentes avec au moins 5 morts et plus de 2000 blessés : le bureau de l’Inspection générale des finances est incendié, le gouvernement doit fuir la capitale pour se réfugier à Guayaquil et l’état d’urgence est décrété pour 60 jours…

Manifestant lors des émeutes de 2019 protestant notamment contre les réformes économiques engagées par le gouvernement en échange d’un prêt du FMI (photo © Martin Bernetti / AFP / TF1)

En 2021, c’est un homme d’affaires libéral et conservateur, Guillermo Lasso, qui accède (à son troisième essai) à la Présidence de la République et qui s’empresse de doubler la production du pétrole exploité dans la zone amazonienne. La situation du pays est morose avec un recul de 8 % du PIB durant la crise du Covid. La dette se creuse, atteignant 62 % du PIB, soit plus de 3000 € par habitant. On est certes loin du niveau d’endettement de la France où la dette représente 113 % du PIB, soit 43 000 € par habitant ! Le Fonds monétaire international est sur les dents et l’Équateur est donc sommé de trouver des solutions pour réduire sa dette qui dépassait en février 2023 les 48 milliards de dollars.

Aux prises avec une nouvelle procédure de destitution à son encontre, pour cause de corruption et dans un contexte de crise sociale et politique, le président équatorien, Guillermo Lasso (au centre) a annoncé le 17 mai 2023 la dissolution du Parlement (photo © Bolivar Para / Ecuador Presidency / Reuters / Latinsigth)

Qu’à cela ne tienne : une solution plutôt originale a été trouvée, déjà expérimentée dans les années 1980 dans quelques petits pays dont Belize et les Seychelles. Elle porte sur 3% seulement de la dette mais cela représente quand même 1,6 milliards de dollars qui ont été émis sous forme d’obligations internationales et rachetés sous forme de facilité de crédit pour 656 milliards de dollars, dans le cadre d’une opération organisée par le Crédit Suisse, qui devient donc le créancier du pays pour ce montant, avec des garanties contre le risque politique apportées par la Banque interaméricaine de développement et l’agence gouvernementale américaine Development Finance Corporation.

Une belle décote donc, rendue nécessaire par l’état catastrophique des comptes de la nation, mais qui du coût permet au Panama de faire une belle économie de plus de 1,1 milliards de dollars grâce à cette annulation d’une partie de son passif. Mais la condition de ce tour de passe-passe est que l’Équateur s’engage à investir 450 millions dans la protection de la biodiversité sur l’archipel des Galápagos, un ensemble d’une quarantaine d’îlots volcaniques perdus dans le Pacifique à plus de 1000 km à l’ouest des côtes équatoriennes.

Les îles Galápagos, archipel volcanique perdu à plus de 1000 km des côtes équatoriennes et encore largement préservé (source © Blonville)

Explorées par les Espagnols dès 1535, ces îles ont été le théâtre de nombreuses observations ornithologiques par le naturaliste britannique Charles Darwin en 1835, observations qui l’ont conduit plus tard à étayer sa fameuse théorie sur l’évolution des espèces et la sélection naturelle. Il faut dire que la faune et la flore de ces minuscules ilots restés très longtemps inhabités est particulière riche avec de multiples espèces endémiques ayant évolué différemment d’une île à l’autre. Outre les fameux pinsons largement étudiés par Darwin, on y observe les fameuses tortues géantes et les iguanes terrestres et marins, mais aussi des otaries et pas moins de 300 espèces de poissons et 875 espèces de plantes dont 228 sont considérées comme endémiques.

Les iguanes, source d’attraction touristique majeure des îles Galápagos (source © Voyage-galapagos)

Annexées en 1832 par l’Équateur, ces îles n’ont pendant près d’un siècle été peuplées que par une poignée de colons, ce qui explique leur bon niveau de préservation. Une colonie pénitentiaire y a bien été installée, mais elle a été fermée dès 1959, date de la création du parc national qui protège désormais 97 % des surfaces émergées, tandis qu’une réserve marine, l’une des plus vastes du monde, préserve les abords. Les constructions y sont désormais très rigoureusement encadrées, les sacs plastiques interdits et le tourisme commence à être plus soigneusement limité. Les fonds colossaux issus de cet échange peu banal « dette contre nature » seront principalement affectés au renforcement des moyens de surveillance et de contrôle pour garantir l’efficacité des mesures de protection de la biodiversité déjà largement mises en place mais qui n’empêche pas la menace persistante sur certaines espèces dont les tortues marines, les requins-baleines ou les requins-marteaux.

Requins-marteaux au large des îles Galápagos (source © Voyage-galapagos)

Réduire la dette financière du pays tout en renforçant ses investissements pour préserver son capital naturel : la démarche est plutôt vertueuse et pourrait peut-être donner des idées à d’autres, si elle réussit. Selon le Monde, « Cette opération permet de tuer deux oiseaux d’une seule balle, mais il faut bien viser », résume Pierre Cailleteau, associé gérant de Lazard Frères Banque, qui a conseillé le ministère des finances de l’Équateur sur cette opération. Ce n’est pas forcément l’image que l’on aurait utilisée pour une approche qui vise notamment à sauver les derniers pinsons de Darwin, mais un banquier, même s’il n’est pas un requin, reste un banquier…

L. V.

Djeddah Tower : toujours plus haut…

14 juin 2023

Construire une tour la plus haute possible, jusqu’au ciel, tel a été, de tous temps, l’ambition de l’homme cherchant à s’affranchir de l’autorité divine. Un mythe que l’on retrouve dans bien des civilisations et qui est notamment développé dans l’histoire biblique de la tour de Babel, évoquée dans le livre de la Genèse. Construit à l’aide de briques en terre cuite assemblée à l’aide d’un mortier bitumineux, l’édifice ne pouvait manquer d’attirer la curiosité de l’Éternel qui stoppa l’opération en multipliant les langues parlées par les bâtisseurs : quoi qu’en pensent les tenants d’une mondialisation heureuse, il est toujours préférable de parler le même langage pour arriver à s’entendre quand on s’attaque à un chantier aussi ambitieux…

La Tour de Babel, imaginée par Peter Bruegel l’ancien au XVIe siècle, conservé à Vienne (source © Wikimedia)

Certains historiens pensent que c’est la ziggurat de l’Etemananki qui inspira ce mythe, une tour massive, carrée, à plusieurs degrés, implantée au cœur de Babylone et dédiée au dieu Marduk, dont la construction se serait étalée sur près d’un siècle, sans doute achevée sous le règne du roi assyrien Nabuchodonosor II, celui-là même qui prit Jérusalem en 586 av. J.-C. et déporta une partir du peuple juif. Alexandre le Grand lui-même s’extasia, dit-on, devant cette construction impressionnante…

La pyramide de Kheops à Gizeh, près du Caire, longtemps la plus haute construction humaine de tous les temps (photo © Istock / Histoire et civilisation)

Depuis lors, la vanité humaine a entrepris de construire toujours plus haut, même si les Égyptiens avaient déjà mis la barre très haut avec la pyramide de Kheops, à Gizeh, qui culminait à 147 m lors de son achèvement, vers 2550 ans avant notre ère. Il fallu en effet attendre 1311 pour qu’un autre édifice, en l’occurrence la flèche de la cathédrale de Lincoln, en Angleterre, dont le chantier avait débuté en 1088, dépasse ce sommet avec ses 160 m de hauteur. Un record éphémère d’ailleurs car la flèche en question s’est écroulée en 1549, de même que celle de la cathédrale de Beauvais qui atteignit 153 m lors de son achèvement en 1569, avant de s’effondrer 5 ans plus tard : on ne tutoie pas ainsi impunément des altitudes aussi élevées !

Il faudra ensuite attendre 1889 et un véritable saut technologique pour que des constructions humaines dépassent significativement de telles hauteurs. C’est Gustave Eiffel qui marque véritablement les esprits avec sa tour métallique en acier riveté qui culmine, à son achèvement, à 300 m de hauteur dans le ciel parisien, édifiée en 2 ans seulement et terminée juste à temps pour l’exposition universelle destinée à célébrer le centenaire de la Révolution française.

La Tour Eiffel, à Paris, qui culmine désormais à 330 m avec ses nouvelles antennes (source © Vivre Paris)

A partir de là, l’histoire s’accélère et dès 1930, la Tour Eiffel est détrônée par les 319 m du Chrysler Building achevé à New York et suivi, l’année d’après par le monstrueux Empire State Building, toujours à New York et qui monte à 381 m de hauteur. Des gratte-ciels eux-mêmes rapidement concurrencés par la mode des tours de transmission qui se succèdent un peu partout dans le monde à partir des années 1950. La Griffin Television Tower atteint ainsi 481 m dès 1954 à Oklahoma City tandis que la KFVS TV Mast à Cap-Girardeau dans le Missouri dépasse les 500 m dès 1960, suivie en 1963 par le mât de KVLY-TV à Fargo, dans le Dakota du Nord qui atteint les 628 m avant d’être dépassée en 1974 par la tour de transmission de Radio-Varsovie, en Pologne qui culmine à 646 m au-dessus du sol mais a depuis été détruite en 1991.

La Tour Willis, à Chicago, au milieu d’une forêt de gratte-ciels (source © Planete of hotels)

Quant aux tours de bureaux et d’habitation, elles n’ont cessé de se multiplier depuis, avec des hauteurs de plus en plus vertigineuses. En 1973, la tour Willis à Chicago s’élevait déjà à la hauteur incroyable de 442 m, et même 527 m en comptant l’antenne qui la surplombe ! En 1998, les tours jumelles de Pétronas, construites à Kuala Lumpur, en Malaisie, atteignent, quant à elles, la hauteur vertigineuse de 452 m. Mais on a fait mieux depuis avec l’inauguration en 2004 de la tour Taipei 101 qui atteint les 509 m, tandis que le One World Trade Center, achevé en 2014 sur les ruines des Twin towers détruites après l’attentat du 11 septembre 2011, culmine de son côté à 541 m, soit 1776 pieds, en référence à l’année de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, chacun ses symboles…

Les tours jumelles Petronas à Kuala Lumpur, en Malaisie (source © Veena World)

Depuis 2010 néanmoins, le plus haut gratte-ciel du monde ne se situe plus aux USA, ni même en Chine qui compte pourtant désormais pas moins de 6 immeubles de plus de 500 m de hauteur, dont la tour Shangaï, inaugurée en 2015, avec sa forme audacieuse de spirale qui atteint la bagatelle de 632 m de hauteur avec ses 128 étages de bureaux et d’hôtel, elle-même entourée par la tour Jinmao (420 m) achevée en 1998 et celle du Shangaï World Financial Center (492 m), inaugurée en 2008.

La tour Shangaï (à droite) avec ses 632 m de hauteur, à côté de la tour Jinmao (au centre – 420 m) et du Shangaï World Financial Center (492 m, à gauche)  (source © Top AsiaTour)

C’est désormais à Dubaï que l’on trouve la plus haute structure humaine jamais édifiée, et qui a atteint en 2009 la hauteur de 828 m, marquant le franchissement d’un nouveau pas dans la quête insatiable de l’homme à vouloir toujours s’élever davantage pour frapper les esprits et étaler sa puissance. Cette tour, dénommée Burj Khalifa en l’honneur de l’émir d’Abu Dhabi qui a généreusement participé à son financement, le chantier ayant quand même coûté de l’ordre de 1 milliard d’euros pour 160 étages d’habitation, 10 étages de bureaux et un hôtel de luxe.

La tour Burj Khalifa à Dubaï, la plus haute du monde avec ses 828 m (source © Domus web)

Mais voilà que l’Arabie saoudite s’apprête à dépasser à son tour ce record, montrant au passage à quel point la dépendance de notre civilisation vis-à-vis des énergies fossiles ont fait basculer la puissance du monde du côté des monarchies pétrolières de la péninsule arabique. La future Jeddah Tower, en cours de construction depuis avril 2013, devait initialement culminer à 1 mille, soit 1632 m, mais l’ambition a été légèrement revue à la baisse à cause de la médiocrité des conditions géotechniques de fondation et du fait des contraintes extrêmes liées au vent et à la dilatation thermique sur des structures aussi élevées. Première étape d’un quartier en devenir situé au nord de Djeddah, sur les bords de la mer Rouge et modestement dénommé Kingdom City, cette tour de 167 étages et de forme triangulaire (pour limiter les effets du vent) devrait comporter 59 ascenseurs se déplaçant à 36 km/h en pointe et sera pourvue d’un vaste balcon panoramique circulaire en façade…

Chantier de la Djeddah Tower, toujours en construction depuis 2013 (source © Mag magazine)

En 2017, les principaux artisans du projet, dont le président du Saoudi Ben Laden Group, ont été arrêtés dans le cadre d’une purge politique. Le chantier a néanmoins repris, atteignant fin 2017 la hauteur de 252 m avant de stopper du fait de la crise du CoVid et de difficultés de main d’œuvre. La tour en serait actuellement à environ 300 m de hauteur, mais aucun calendrier n’est annoncé pour la reprise des travaux, venant rappeler s’il en était besoin que construire des structures aussi pharaoniques n’est jamais une partie de plaisir…

L. V.

Des panneaux solaires sur le bitume !

12 juin 2023

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on souvent, mais la route est parfois pavée de mauvaises innovations, pourrait-on ajouter, au vu du fiasco qu’a constitué le déploiement du premier tronçon de route avec revêtement solaire, inauguré en grandes pompes en décembre 2016 par Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement. L’idée paraissait pourtant séduisante et l’entreprise Colas se gargarisait alors de sa technologie hautement innovante, pompeusement baptisée Wattway, « premier revêtement photovoltaïque circulable au monde ». Constitué de dalles très minces de quelques mm d’épaisseur, ce revêtement était collé directement sur la chaussée, évitant ainsi les risques de vol.

Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, lors de l’inauguration du premier tronçon de la route solaire à Tourouvre, en Normandie, le 22 décembre 2016 (photo © Charly Triballeau / AFP / Le Monde)

Un premier tronçon de 1 km de route départementale avait ainsi été équipé en 2016, dans la petite commune de Tourouvre-en-Perche, en partenariat avec le Département de l’Orne. Après ce premier test grandeur nature, l’industrialisation du procédé était programmée dès 2017, avant de couvrir tout le réseau routier français de millions de mètres carrés dès 2020. Peu après d’ailleurs, en 2018, les Chinois inauguraient à leur tour un tronçon de 1,6 km d’autoroute recouverte de cellules photovoltaïques à Jinan, dans la province du Shandong, un dispositif conçu par le fabricant local Pavenergy et mis en œuvre par une entreprise de construction routière.

A l’époque, chacun s’extasiait sur cette innovation technologique majeure promise à un avenir brillant, permettant de valoriser l’espace routier pour y produire de l’électricité pouvant servir aussi bien à déneiger les routes l’hiver qu’à alimenter la signalisation routière voire à recharger directement les quelques voitures électriques à induction circulant sur la chaussée. Mais force est de constater que l’on a vite déchanté. Dès 2019, un article du Monde dressait un bilan calamiteux de l’expérience normande où, en l’espace de 2 ans seulement, une bonne partie des cellules photovoltaïques s’étaient décollées ou avaient été arrachées sous l’effet de la friction des pneus tandis que le rendement énergétique était bien moindre qu’espéré, du simple fait des salissures et des feuilles tombant sur la chaussée. Celle-ci s’est également avérée très bruyante et peu adhérente, à tel point que la vitesse a dû y être limitée à 70 km/h et on a même vu le dispositif disjoncter en cas d’orages…

Côté chinois, le bilan est tout aussi calamiteux, dans ce pays pourtant en pointe en matière de développement des énergies renouvelables et premier producteur mondial d’électricité photovoltaïque. Sept des dix plus grosses entreprises mondiales fabricant des panneaux photovoltaïques sont chinoises, ce pays fournissant près de 70 % des modules photovoltaïques du monde et étant à l’origine de 44 % de l’électricité solaire produite dans le monde, très loin devant les États-Unis, le Japon, l’Inde ou même l’Allemagne, sans même parler de la France.

Travailleurs chinois installant des panneaux solaires sur un toit à Beijing en 2011 (photo © ChinaFotoPress / MaxPPP / La Croix)

Mais en Chine comme en France il a bien fallu se rendre à l’évidence et constater que recouvrir l’asphalte routier de panneaux solaires coûte très cher (la seule expérience de Tourouvre a nécessité d’injecter plus de 5 millions d’euros d’argent public) et n’est guère rentable, dans l’état actuel des choses. L’entreprise Wattways s’est d’ailleurs depuis reconvertie vers l’installation de petites surfaces de capteurs photovoltaïques, destinés à alimenter des dispositifs de signalisation routière, d’éclairage ou de vidéosurveillance, non raccordés au réseau.

Panneaux photovoltaïques Wattways sur une piste cyclable le long du canal de l’Ourcq à Bobigny, permettant d’éclairer un passage sous un pont SNCF (photo © C.G. / Le Parisien)

Pour autant, l’idée d’exploiter le réseau routier voire ferroviaire pour y produire de l’électricité solaire est loin d’être abandonnée. Le bureau d’étude Carbone 4 avait d’ailleurs réalisé en 2017 une étude visant à explorer la voie de l’électrification des autoroutes les plus fréquentées. Partant du principe que le transport routier consomme en France 30 % de l’énergie et émet une proportion comparable des émissions de gaz à effet de serre du pays, dont la moitié pour le seul transport de fret par camion, il y a une vraie nécessité à réfléchir à des solutions alternatives. Le fret ferroviaire ne cesse de perdre des parts de marché et est devenu marginal dans le transport de marchandise, n’étant rentable que pour des acheminements sur de longues distance, pour des produits pondéreux en vrac et non périssables.

Électrifier les camions ne paraît pas judicieux, du moins avec les technologies actuelles, à cause du poids excessif des batteries et de leur autonomie limitée. On pourrait en revanche imaginer des poids lourds hybrides utilisant leur moteur électrique sur les grands axes de circulation à condition d’équiper ces derniers de dispositifs d’alimentation électrique continue. Pour cela, plusieurs idées seraient à l’étude avec une alimentation des véhicules par caténaires, par rail central ou par induction notamment, au moins sur une voie, pour permettre la circulation des poids lourds à moindre impact écologique sur ces grands axes, avec des niveaux d’investissement financier qui ne paraissent pas démesurés. Un tronçon test de 5 km a d’ailleurs déjà été équipé de caténaires pour camions en Allemagne près de Francfort en 2019 pour évaluer l’intérêt du dispositif.

Camions avec pantographe sur le tronçon expérimental d’autoroute près de Francfort équipé de caténaires (photo © Silas Stein / AFP / DPA Pictures-Alliance / Europe camions)

En attendant, nombreux sont ceux qui lorgnent sur les espaces disponibles le long des grands axes routiers et autoroutiers, ainsi que sur les délaissés de voirie, voire les aires d’autoroutes que beaucoup rêvent de couvrir d’ombrières photovoltaïques. Certains élus de la Ville de Marseille imaginent ainsi couvrir la L2 de panneaux solaires dans ses traversées urbaines, mais le concessionnaire autoroutier APRR, du groupe Eiffage, a déjà installé plusieurs centrales photovoltaïques au sol sur ses délaissés fonciers, en Savoie ou en Bourgogne notamment.

Centrale photovoltaïque au sol inaugurée en juin 2022 par TotalEnergies, Altergie Développement et APRR sur un délaissé de l’autoroute A6 à Boyer et Jugy en Saône-et-Loire (photo © Erolf productions / L’écho du solaire)

Quant à son concurrent, Vinci autoroutes, il annonçait par la voie de son président en mars 2023, envisager de couvrir de panneaux solaires tout son patrimoine foncier disponible le long de ses 4443 km de réseau autoroutier concédé, soit 1000 hectares disponibles, auquel il rajouterait bien les 4000 hectares du réseau ferré de la SNCF, de quoi fournir autant d’électricité que 5 centrales nucléaires, le tout pour un investissement qu’il évalue à 5 milliards d’euros seulement, soit 5 fois moins cher que le coût de construction de la centrale EPR de Flamanville : à ce prix-là, pourquoi hésiter ?

L. V.

Au Nord, ce sera les batteries…

10 juin 2023

Le Nord de la France a longtemps été connu pour ses corons, ces cités ouvrières constituées d’un alignement de petites maisons mitoyennes en briques, si typiques des banlieues industrielles qui ont poussé comme des champignons dans la seconde moitié du XIXe siècle dans le Nord et le Pas-de-Calais, associés à l’essor local de l’exploitation minière du charbon, et de la sidérurgie. En 1906, la catastrophe de Courrières, liée à un coup de grison y a fait plus de 1000 morts dans un vaste réseau minier près de Lens, ce qui en dit long sur l’importance de la main d’œuvre alors occupée à l’exploitation de la houille.

Coron de la cité La Parisienne à Drocourt (photo © Hubert Bouvet / Région Nord Pas-de-Calais / Patrimoine mondial)

En 1947, on comptait plus de 200 000 mineurs en activité dans le bassin houiller du Nord Pas-de-Calais. Cinq ans plus tard, en 1952, sous l’effet de la mécanisation, ce nombre avait déjà été divisé par deux pour une production qui avait néanmoins augmenté, atteignant plus de 29 millions de tonnes par an !

Mais le déclin s’amorce dans les années 1960 et, en 1984, les Houillères du Nord ne comptent plus que 21 000 mineurs avant de stopper définitivement l’extraction fin 1990. En parallèle s’était développée une industrie sidérurgique florissante dans le Valenciennois et la vallée de la Sambre, alimentée par le charbon du Nord et le minerai de fer lorrain. Relancée dans les années 1960 avec du minerai de fer importé, la sidérurgie connait à son tour le déclin tandis qu’à partir des années 1980 ce sont les autres industries, textiles et automobiles notamment, qui commencent à leur tour à battre de l’aile. Depuis la fin des années 1980 la moitié des emplois d’ouvriers non qualifiés travaillant dans l’industrie du Nord et du Pas-de-Calais ont été supprimés, et il n’en restait plus que 185 000 en 2018.

Ancien carreau de mine et terrils de charbon à Loos-en-Gohelle, près de Hénin-Beaumont (source © French wanderers)

Mais voilà qu’une nouvelle filière est peut-être en train de se mettre en place avec l’implantation de pas moins de 4 gros projets de fabrication de batteries électriques, susceptibles d’équiper nos voitures de demain. Le plus avancé est celui de la société ACC (Automotive Cells Company), créée en 2020 en partenariat entre l’équipementier Saft, désormais filiale de TotalEnergies, et les groupes PSA et Mercedes-Benz. Plusieurs centres de production sont envisagés mais le premier est en train de voir le jour sur le site de Douvrin, dans la banlieue de Lens, à côté de l’usine automobile de PSA devenue Stellantis. Inaugurée le 30 mai 2023, cette première usine devrait permettre d’embaucher plus de 2000 salariés et fournira d’ici 2030 de quoi équiper en batterie de l’ordre de 500 000 véhicules électriques.

L’usine de batteries ACC implantée tout récemment sur les communes de Douvrin et de Billy-Berclau, près de Lens (photo © France 3 régions)

Le groupe sino-japonais Envision- AESC devrait lui emboîter le pas en développant à partir de 2024 sa propre usine de fabrication de batteries, près de Douai, pour le compte de Renault et à proximité de l’usine de ce dernier. Détenu à 80 % par le Chinois Envision et à 20 % par Nissan, ce groupe possède déjà 4 usines de ce type dans le monde et a déjà équipé plus de 600 000 véhicules électriques. Cette implantation s’inscrit comme la précédente dans la stratégie européenne de réindustrialisation pour fabriquer localement les batteries qui devront équiper nos véhicules de demain, les voitures à moteur thermique étant vouées à disparaître d’ici 2035.

La start-up grenobloise Verkor, développe de son côté un projet d’implantation d’une usine gigantesque près de Dunkerque, qui devrait employer à terme 2000 salariés et créer 5000 emplois indirects, moyennant un investissement colossal de 2,5 milliards d’euros, des batteries qui devraient aussi alimenter les véhicules Renault de demain. Les premiers coups de pioche sont prévus dès l’été 2023 et le site devrait être opérationnel à partir de 2025. De quoi donner du baume au cœur au Chef de l’État, Emmanuel Macron, qui se réjouissait avec emphase en février 2022 de cette implantation qui « permet de faire des Hauts-de-France la vallée de la batterie, un segment essentiel pour produire sur notre sol les voitures électriques de demain ».

Maquette de la future gigafactory de batteries imaginée par la société grenobloise Verkor près de Dunkerque (source © Verkor / La Tribune)

Et voilà qu’un quatrième site de production de batteries pour véhicules électriques est désormais annoncé, toujours dans ce même secteur géographique, cette fois par le groupe taïwanais ProLogium, lequel envisage d’implanter deux sites de production massive de batteries électriques solides, sur le grand port maritime de Dunkerque. Des dispositifs qui présentent, par rapport aux batteries plus classiques lithium-ion, l’avantage d’être plus légères et d’avoir une longévité supérieure, ce qui leur confère un bilan carbone global meilleur tout en acceptant des puissances de charge plus élevées, donc des vitesses de rechargement plus rapides.

Les batteries produites par la société taïwanaise ProLogium fondée en 2006 (source © ProLogium / L’Usine nouvelle)

Ce dernier projet de ProLogium, qui correspondrait à un investissement global de 5,2 milliards d’euros, n’a pas encore été confirmé, mais c’est néanmoins l’euphorie au pays des corons qui voit son avenir industriel s’éclaircir de nouveau avec cette manne d’investissement dans les batteries du futur : après le textile, les betteraves à sucre, le charbon et l’acier, cap sur les batteries !

L. V.

Miquelon prépare son déménagement…

8 juin 2023

L’archipel de Saint-Pierre et Miquelon fait partie de ses confettis dispersés dans le monde et que les hasards de l’Histoire continuent de rattacher à la France. Ces îles minuscules situées au sud de Terre-Neuve, elle-même vaste espace insulaire plus étendu que la Bulgarie ou le Portugal, situé à l’embouchure du Saint-Laurent et désormais territoire canadien, sont devenues Département d’Outre-mer en 1976 avant d’acquérir en 1985 leur statut actuel de collectivité territoriale française.

La ville de Saint-Pierre au lever du soleil (photo © Henryk Sadura / Getty image / Radio France)

Pourtant, l’archipel est lilliputien avec ses 242 km2 de terres émergées et ses 6000 habitants recensés : moins qu’à Carnoux pour une superficie sensiblement équivalente à celle de la commune de Marseille ! Ces fragments de terre au large de l’estuaire du Saint-Laurent ont d’ailleurs longtemps été recouverts par un vaste inlandsis glaciaire et il a fallu attendre la fin de la dernière glaciation, il y a en gros 12 000 ans, pour que toute la région se libère progressivement des glaces. Les régions côtières ayant été les premières à voir les glaces fondre pour laisser peu à peu la végétation se développer, ont aussi été les premières à voir apparaître des tribus de chasseurs-cueilleurs, il y a peut-être 6000 ans de cela.

Paysages désolés de l’île Saint-Pierre au niveau de la vallée des 7 étangs près de l’île aux marins (photo © Madame Oreille / Explore France)

Vers l‘an mil, quelques explorateurs Viking tentent de s’implanter sur l’île de Terre-Neuve, mais ces premiers colons en seront chassés par le durcissement des conditions climatiques à l’occasion du petit âge glaciaire, à la fin du Moyen-Age. Dès la fin du XIVe siècle et en tout cas au cours du XVe siècle, les pêcheurs basques et bretons fréquentent ces côtes pour y pêcher la morue et la baleine. Dès 1504, des pêcheurs bretons et normands prirent l’habitude de venir s’installer sur les côtes de l’île Saint-Pierre, au sud de l’archipel, pour pêcher la morue autour de Terre-Neuve, même si officiellement c’est le navigateur portugais João Alvares Fagundes qui revendiqua la découverte de l’archipel le 21 octobre 1520, jour de la Sainte-Ursule et lui attribua le nom original de « l’Ile des Onze mille vierges », en souvenir d’une obscure légende liée à cette lointaine martyre des premiers temps du christianisme. C’est Jacques Cartier qui donna le nom de Saint-Pierre à l’île lors de son passage en 1536.

Carte postale ancienne montrant des pêcheries de morue à Saint-Pierre et Miquelon (source © Les quatre saisons / Jean Provenchère)

Au XVIe siècle, lorsque les premiers Européens commencent à s’installer plus ou moins durablement sur l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon comme à Terre-Neuve, ils cohabitent avec des Amérindiens installés là depuis au moins 1500 ans, les Béothuks. Mais ces derniers sont progressivement chassés puis carrément massacrés au cours du XVIIIe siècle. En 1766 on ne recense plus que 500 Béothuks vivants et la dernière représentante commune de la lignée, Shanawdithit, capturée en 1823, décède en 1829.

Récupérées par la France en 1763, les îles de Saint-Pierre et Miquelon ont été attaquées à plusieurs reprises par les Anglais en 1778 puis en 1793 avant d’être rétrocédées définitivement à la France en 1816, sous Louis XVIII, puis de connaître une certaine prospérité durant la période de prohibition américaine, pour des raisons peu avouables liées au trafic d’alcool en tout genre… Le débarquement audacieux du vice-amiral Émile Muselier, le 24 décembre 1941, contre l’avis des autorités américaines et canadiennes, mais avec l’assentiment de Churchill, permit à l’archipel de devenir le premier territoire français à se libérer du gouvernement de Vichy.

Vue aérienne du village de Miquelon le 4 décembre 2018 (photo © Xénia Philippenko / BRGM CC BY-NC-ND / The Conversation)

Toujours est-il que l’avenir même de ces îles, qui culminent à moins de 250 m d’altitude, est désormais menacé par le réchauffement climatique et la montée inexorable du niveau de la mer. C’est surtout le cas de l’île de Miquelon, la plus étendue, constituée en réalité de trois presqu’îles reliées entre elles par de fins tombolos qui se sont développés au fil du temps et au gré des courants marins qui remanient les sédiments : Le Cap au nord, Grande-Miquelon au centre et Langlade au sud.

L’isthme du Grand Barrachois qui relie la Grande-Miquelon à Langlade au sud de l’archipel (photo © Madame Oreille / Explore France)

La ville de Miquelon et ses quelques 600 habitants est elle-même installée sur l’un de ses tombolos de galets et de sable, au sud de la presque-île du Cap. Depuis les années 2000, les épisodes de tempêtes et de submersion marine se succèdent, attaquant les maisons implantées au ras de l’eau, l’isthme sur lequel la ville est construite étant tout bonnement menacé de disparition sous l’effet de la lente montée du niveau de l’océan. En 2014, le Président François Hollande, en visite sur place, évoque clairement ce risque et annonce le lancement d’un Plan de prévention des risques littoraux pour réglementer le développement de l’urbanisation dans cette zone fortement exposée. La question d’un éventuel déplacement du village est alors évoquée mais provoque une réaction majoritairement hostile de la population.

Les maisons de pêcheurs de Miquelon particulièrement exposées au risque de submersion marine et d’inondation par remontée de nappe dans le cordon littoral  (photo © Urzabov / Actu-environnement)

Dès novembre 2018 néanmoins, 2 violentes tempêtes successives provoquent des dégâts importants et des inondations par remontée de nappe, ce qui contribue à faire progressivement évoluer l’opinion. Une enquête effectuée à l’été 2019 montre que plus de 80 % des habitants interrogés est désormais favorable à l’idée d’un déménagement. Depuis, les autorités s’activent pour tenter d’organiser ce grand déménagement en perspective, probablement plutôt en direction de l’île principale de Grande-Miquelon, ce qui suppose d’acquérir des terrains, de modifier le plan local d’urbanisme et de mettre en place, en concertation avec l’ensemble des acteurs locaux, toute une stratégie d’aménagement du territoire.

Un véritable défi politique, financier mais aussi humain, qui nécessite une démarche d’accompagnement au changement, le tout dans des délais contraints puisqu’il s’agit de mettre en place de nouvelles implantations avant que les effets de la submersion marine n’aient fait des dommages trop graves aux habitations actuelles. Bienvenue dans le nouveau monde du changement climatique global !

L. V.

Un volant en béton pour stocker l’énergie solaire ?

3 juin 2023

En matière d’innovation, il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées. Encore faut-il savoir les défendre avec conviction et persévérance pour espérer les voir se concrétiser. C’est peut-être le cas de cet ingénieur en mécanique, André Gennesseaux, ancien de chez Total, qui avait su captiver son auditoire, fin 2015, en expliquant de manière très pédagogique, son intuition révolutionnaire, à l’occasion d’une conférence organisée à Paris dans le cadre du programme TEDx, un cycle de conférences inspiré par une association américaine qui promeut des « idées qui méritent d’être diffusées » via ces conférences « Technology, Entertainement and Design »…

Conférence donnée par André Genesseaux fin 2015 dans le cadre du programme TEDx à Paris (source © YouTube)

Comme il l’explique très bien, tout l’enjeu est de rechercher une manière simple et économique de stocker l’énergie solaire dont la production est peu coûteuse mais intermittente. Produire de l’électricité par capteurs photovoltaïques coûte de moins en moins cher, de l’ordre de 2 centimes le kWh, moins que le charbon (autour de 4), que le nucléaire (5 à 10 selon les filières) ou encore que le gaz (autour de 6). Mais comme la production est intermittente, il faut la stocker et cela suppose d’utiliser des batteries dont la production coûte cher et est exigeante en matières premières rare, qu’il est difficile de recycler et dont la durée de vie est limitée, leur efficacité diminuant rapidement avec le temps.

André Gennesseaux devant l’un de ses volants d’inertie VOSS (photo © Thibault Quartier / Le Trois info)

D’où cette quête effrénée d’une solution alternative pour stocker l’électricité ainsi produite. Les adeptes des Shadoks ont déjà largement phosphoré pour imaginer des solutions plus ou moins adaptées. Celle que propose André Gennesseaux n’a d’ailleurs rien de révolutionnaire puisqu’elle s’appuie sur une technologie ancienne et largement éprouvée, celle du volant d’inertie. Une masse tournant autour d’un axe emmagasine de l’énergie cinétique qu’elle peut restituer sous forme d’électricité si on la couple avec un alternateur. L’électricité produite par un panneau photovoltaïque peut ainsi entrainer la rotation. Une fois le volant lancé à grande vitesse, l’inertie entretient cette rotation qui continue à produire de l’électricité pendant une dizaine d’heures, une fois le soleil couché.

Schéma de principe d’un volant de stockage solaire développé par la société Energiestro : le cynlindre en béton précontraint (1), reposant sur de simples roulements à billes (3) assistés par une butée magnétique passive (5), est relié à un moteur-alternateur (2) qui l’entraine en phase d’accélération et produit de l’électricité en phase de freinage, l’ensemble étant maintenu dans le vide par une enceinte en béton étanche (6) pour éviter les frottements. Un convertisseur électronique transforme le courant continu produit par les panneaux solaires en courant alternatif haute fréquence pour alimenter le moteur (source © Energiestro)

D’autres avaient déjà testé cette approche mais avec des volants en acier ou en carbone qui coûtent très cher car il faut une masse importante pour que le volant d’inertie puisse fonctionner toute une nuit, lorsque le soleil n’est pas au rendez-vous. L’innovation introduite par André Gennesseaux consiste donc à remplacer ces matériaux coûteux par un qui l’est 10 fois moins et est plus facile à produire : le béton. Mais comme le volant d’inertie est soumis en rotation à des contraintes de traction très élevées, il faut utiliser du béton précontraint. C’est toute l’astuce de l’innovation apportée par ce VOSS, un « volant de stockage solaire », mis au point et breveté par André Gennesseaux, et qui a été récompensé en 2015 par l’attribution du prix EDF Pulse.

Notre ingénieur a créé en 2001, avec son épouse Anne, sa société qu’il a baptisée Energiestro, ce qui signifie « énergie » en Esperanto. Il avait d’abord tenté de développer un groupe électrogène fonctionnant à l’huile végétale avant de se tourner vers son volant inertiel solaire, son ambition étant d’exporter cette technologie partout dans le monde, mais principalement dans les milieux insulaires et les pays en développement où elle est le plus adaptée, faute de possibilité de raccordement à un réseau maillé comme en métropole et du fait de la facilité à produire sur place et à moindre coût les gros cylindres en béton qui la constituent, robustes et capables de fonctionner pendant une trentaine d’années sans entretien, sur un million de cycles.

Le Préfet du Territoire de Belfort en visite dans les nouveaux locaux d’Energiestro, en présence d’Anne et André Gennesseaux (photo © Facebook / Préfecture du Territoire de Belfort)

Initialement installée à Châteaudun, en Eure-et-Loir, sa société a déménagé fin 2021 pour s’implanter à Essert, dans le Territoire de Belfort, attirée par les subventions du Conseil régional de Bourgogne-Franche Comté et par le riche tissu local de sous-traitants dans le domaine de la mécanique de précision. Des partenariats ont désormais été noués avec Voltalia, un fournisseur d’énergie renouvelable, et avec Engie. Et des perspectives commencent à se dessiner pour des premières mises en application notamment en Guyane et à Madagascar où la société malgache Filatex a pris une participation à hauteur de 41 % en injectant 10 millions d’euros dans le projet. Une centaine de VOSS devraient être produites dès cette année.

L’avenir dira si la brillante idée d’André Gennesseaux arrivera à se concrétiser et à contribuer efficacement au problème récurrent de stockage de l’énergie solaire. Une chose est sûre : il ne suffit pas d’innover pour réussir mais il faut aussi une bonne dose de patience et de persévérance pour passer du concept à l’opérationnel…

L. V.

L’industrie pétrolière se camoufle en vert

1 juin 2023

C’est le secrétaire général des Nations Unies en personne, Antonio Guterres, qui l’a affirmé le 18 janvier 2023 à l’occasion du Forum économique de Davos, devant le gratin de l’économie planétaire : « Certains producteurs d’énergies fossiles étaient parfaitement conscients dans les années 1970 que leur produit phare allait faire brûler la planète. Mais comme l’industrie du tabac, ils ont fait peu de cas de leur propre science. Certains géants pétroliers ont colporté le grand mensonge (…) Les responsables doivent être poursuivis ». Une menace directe pour les grandes entreprises pétrolières et gazières, faisant référence aux condamnations judiciaires qui ont frappé les industriels de l’amiante ou du tabac, ces derniers ayant notamment accepté de verser en 1998 la somme astronomique de 246 milliards de dollars en compensation des désastres sanitaires de leur activité économique.

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, au Forum économique de Davos, fustigeant les mensonges de l’industrie pétrolière (photo © AFP / La Nouvelle République)

Une affirmation cinglante qui fait suite à la publication d’un article paru récemment dans la revue Science, qui analyse les recherches faites en interne par le premier groupe pétrolier mondial, ExxonMobil dont les chercheurs ont prédit depuis 1977 et avec une très grande précision, les impacts de l’activité humaine sur le réchauffement climatique planétaire. L’industrie pétrolière connaissait donc parfaitement depuis près de 50 ans les conséquences délétères de son activité, ce qui ne l’a pas empêché de lancer depuis les années 1990, lorsque la question du changement climatique a commencé à se vulgariser et à devenir un sujet de société, de vastes campagnes de dénégation pour instiller le doute quant à l’existence même du réchauffement climatique, nier ses impacts dommageables potentiels et surtout persuader tout un chacun que l’exploitation des énergies fossiles n’avait aucun rapport avec ce phénomène.    

L’économie pétrolière vue par le dessinateur Adrien René : tant qu’il reste du pétrole à exploiter, pourquoi se brider ?

Une étude tout à fait comparable avait d’ailleurs été publiée en novembre 2021 par des chercheurs français à partir de l’analyse des archives de TotalEnergies, confirmant que la multinationale française était elle aussi alertée depuis les années 1970 du risque de réchauffement climatique lié à l’exploitation des énergies fossiles et parfaitement consciente de l’impact planétaire de son activité depuis les années 1980. Une lucidité qui, non seulement n’a pas incité les groupes pétroliers à infléchir leur activité, mais au contraire les a conduit à favoriser toutes sortes de campagnes de communication visant à discréditer les scientifiques qui tiraient la sonnette d’alarme. Une stratégie qui s’est poursuivie jusqu’à ce que les travaux du GIEC et les différentes COP finissent par convaincre la grande majorité que l’affaire était entendue, que le réchauffement climatique était devenu une réalité visible et que l’exploitation massive des énergies fossiles en était le principal responsable.

Navire pétrolier de Total au large des côtes de l’Angola en 2018 (photo © Rodger Bosch / AFP / FranceTVinfo)

Du coup, depuis les années 2000 et surtout 2010, les groupes pétroliers commencent à changer de stratégie de communication et se lancent dans le greenwashing. En 2021, le groupe pétrolier français a changé de nom pour se baptiser désormais Total Energies, afin de montrer sa volonté de se diversifier dans les énergies renouvelables, et affirme vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Un discours que l’on retrouve également chez ses principaux concurrents ExxonMobil, l’Italien ENI ou encore BP. Rappelons au passage qu’en cette même année 2021, l’Agence internationale de l’énergie a fixé comme feuille de route mondiale l’arrêt total de toute nouvelle mise en exploitation de nouveau gisement de gaz, pétrole ou charbon, si l’on veut garder une chance de limiter le réchauffement climatique en dessous des 2 °C.

Une des 10 barges flottantes d’exploitation pétrolière du groupe Total en Afrique de l’Ouest, mise en place en 2019 sur le champ Egina, exploité au large du Nigéria avec le Chinois CNOOC, le Brésilien Petrobras et le Nigérian Sapetro (photo © Georges Osodi / Bloomberg / Les Echos)

Mais un rapport récent de l’ONG Bloom montre que la réalité est bien différente. Depuis 2021, TotalEnergies a lancé par moins de 30 nouveaux projets d’exploitation d’énergie fossile, lesquels représentent en 2022 plus de 80 % de ses investissements ! La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique produit par la multinationale ne devrait pas dépasser 15 % d’ici 2030 : on est loin du compte, alors même que la firme annonce des résultats pharaoniques avec un bénéfice net de 20,5 milliards de dollars pour 2022… En revanche, comme le montre Bloom à travers l’analyse de ses 313 récents communiqués de presse, TotalEnergies communique presque exclusivement sur ses investissements dans le solaire et l’éolien, qui souvent accompagnent le développement de champs gaziers ou pétroliers.

Après « Tintin et l’or noir », Patrick Pouyané, ses juteux bénéfices et ses promesses de transition énergétique…, un dessin signé KAK, publié dans l’Opinion

Ainsi, même lorsque TotalEnergies évoque le projet Eacop d’immense oléoduc tant décrié que la multinationale projette de construire en Ouganda et en Tanzanie, elle communique sur les 5 fermes solaires qu’elle envisage de mettre en place le long du tracé, comme si cela pouvait contrebalancer l’impact planétaire du nouveau champ pétrolier qui sera ainsi mis en exploitation. Il en est de même au Qatar où TotalEnergies s’apprête à mettre en exploitation les champs gaziers de North Field East et North Field South, développant ainsi le plus grand projet au monde de gaz naturel liquéfié, en contradiction complète avec les engagements de l’Agence internationale de l’énergie. Mais tout va bien à entendre son PDG, Patrick Pouyané, car en parallèle TotalEnergies participe à l’installation de deux centrales photovoltaïques dans le pays… Comme d’ailleurs en Argentine où TotalEnergies a annoncé en septembre 2022 avoir bouclé les investissements nécessaires pour lancer l’exploitation d’un immense champ gazier au large de la Terre de Feu, installation dont l’impact environnemental sera (un peu) atténué par l’installation de quelques menus parcs éoliens…

Des militants d’Attac manifestent devant le siège de TotalEnergies à La Défense en 2019 (photo © Lucas Barioulet / AFP / Reporterre)

Bien entendu, les compagnies pétrolières ont beau jeu de dire qu’elles ne font que répondre à la demande mondiale, personne n’étant disposé à se passer aussi aisément des atouts considérables des énergies fossiles. Elles ne font donc que verdir leur communication pour masquer le fait qu’elles continuent à exploiter tant et plus les dernières gouttes de gaz et de pétrole encore accessibles. Comment pourrait-on les blâmer quand on voit les bénéfices que leurs actionnaires en retirent ?   

L. V.