L’affaire a fait beaucoup de bruit et toute l’actualité internationale a vibré à l’unisson autour de cet évènement dramatique qui a tenu en haleine la planète entière à partir du 18 juin 2023. Ce jour-là en effet, le petit sous-marin de poche, dénommé Titan, appartenant à la société américaine OceanGate, avait plongé avec 5 hommes à bord pour aller visiter l’épave du Titanic, ce paquebot britannique présumé insubmersible qui avait coulé lors de sa première traversée transatlantique le 15 avril 1912 après avoir malencontreusement heurté un iceberg et dont l’épave git désormais à 650 km au sud-est de Terre-Neuve, par 3 851 m de fond.
La plongée du Titan, largement médiatisée, devait durer 7 heures. C’était la première de l’année 2023 mais d’autres avaient déjà eu lieu en 2021 et 2022. Construit en 2017, le Titan est un cylindre de 6,70 m de long, en oxyde de titane recouvert de fibres de carbone, actionné par 4 moteurs électrique mais à autonomie très limitée. Il nécessite l’usage d’un navire pour l’amener sur site et le récupérer. La plongée vers l’épave dure 2 heures et autant pour la remontée vers la surface, laissant quelques heures pour vadrouiller autour de l’épave que les passagers peuvent observer au travers d’un vaste hublot.
C’est d’ailleurs probablement le point faible de l’engin car le hublot en question n’est homologué que jusqu’à 1300 m de profondeur. Un ancien dirigeant de la société Oceangate, David Lochridge, avait d’ailleurs démissionné en 2018, inquiet pour la sécurité des passagers de l’appareil du fait de l’absence de vérification du comportement de ce hublot à une telle profondeur. Des incidents avaient déjà été signalés et le scénariste américain Mike Reiss, qui avait plongé en 2022 à bord du même sous-marin, confirmait le 19 juin à la BBC : « On perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments et ce genre de trucs ».
Il faut dire que le submersible en question ne dispose pas de système de géolocalisation et que les communications avec la surface sont très sommaires. Le confort est spartiate, chacun étant simplement assis à même le plancher avec des réserves en oxygène limitées donnant une autonomie maximale de 96 heures. Les passagers, qui payent pourtant la bagatelle de 250 000 dollars pour avoir ce privilège d’observer de visu à travers le fameux hublot les vestiges rouillés du Titanic, sont donc amplement prévenus des dangers de l’opération et doivent signer, avant de monter à bord, une décharge confirmant qu’ils sont bien conscients que tout cela peut très mal tourner…
Cinq passagers étaient à bord du submersible lors de cette fameuse plongée du 18 juin 2023. Le pilote de l’engin était le fondateur et PDG d’OceanGate en personne, Stockton Rush, accompagné par le Français Paul-Henri Nargeolet, un ancien officier de marine ayant servi comme plongeur-démineur, puis devenu responsable à l’IFREMER des programmes de submersibles Cyana et Nautile. Il avait plongé dès 1987 à bord d’un Nautile vers l’épave du Titanic. Chasseur d’épaves invétéré et passionné du Titanic, il avait rejoint la société RMS Titanic Inc comme responsable des opérations sous-marines, ce qui lui avait permis en 1993 de remonter les premiers objets de l’épave. Depuis 2018, il était consultant pour l’entreprise Caladan Oceanic qui organise également des plongées vers l’épave du Titanic mais avec un sous-marin homologué pour descendre jusqu’à 11 000 m. A 77 ans, il était sans conteste l’un des meilleurs spécialistes de l’épave du Titanic.
De quoi attirer de riches passionnés désireux de dépenser leur fortune pour participer à une expédition touristique hors du commun avec frissons garantis, de quoi agrémenter en savoureuses anecdotes leurs prochains dîners d’affaires. Ainsi, le Britannique Hamish Harding, qui faisait partie du voyage, est le PDG d’Action Aviation, une société de courtage d’avions, basée à Dubaï, après avoir notamment développé le tourisme d’affaire vers l’Antarctique. Il avait déjà plongé au plus profond de la fosse des Mariannes, à 11 000 m, et avait participé à un vol spatial en 2022 à bord de la fusée New Shepard. L’autre businessman qui l’accompagnait, Shahzada Dawood, un Britannique d’origine pakistanaise, était le richissime vice-président du conglomérat pakistanais Engro Corporation qui fait dans les engrais et l’industrie chimique. Ce dernier avait même traîné dans l’aventure son jeune fils de 19 ans, Suleman, étudiant à Gmasgow.
Ce 18 juin 2023, le navire de surface Polar Prince, un brise-glace canadien, perd le contact avec le petit sous-marin Titan après 1h45 de plongée. A l’heure prévue pour la fin de mission, il ne remonte pas et un dispositif de recherche s’enclenche alors. Deux avions équipés de sonar sont engagés sur zone tandis qu’un troisième largue des bouées acoustiques pour tenter de capter des sons provenant du submersible. L’IFREMER mobilise de son côté son navire l’Atalante avec à son bord un robot capable de plonger à 6 000 m de profondeur. Toute la presse mondiale se mobilise et le monde entier est tenu en haleine par les moindres péripéties des recherches en cours. Les meilleurs spécialistes mondiaux se perdent en conjecture sur tous les plateaux télé pour supputer les chances de retrouver vivant l’équipage dont on sait qu’il ne dispose que de réserves limitées en oxygène.
Bref, personne sur Terre ne peut ignorer que quelque part dans l’Atlantique nord, des moyens colossaux sont déployés pour tenter de retrouver ces 5 touristes intrépides alors même que tout indique que leur sous-marin de poche s’est désintégré sous l’effet de la pression dans les premières heures de plongée. Une hypothèse qui sera d’ailleurs confirmée le 28 juin par un communiqué des garde-côtes américaines, précisant que le submersible a bien implosé et que ses restes ont été repêchés à 500 m de l’épave du Titanic.
Il n’en reste pas moins que cette opération a mobilisé pendant plusieurs jours des moyens importants et capté l’essentiel de l’attention médiatique, alors que bien d’autres événements au moins aussi dramatiques étaient quasiment passés sous silence.
C’est le cas notamment de la catastrophe qui est survenue quelques jours plus tôt, dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, près des côtes grecques du Péloponnèse. Un bateau de pêche vétuste, contenant sans doute entre 400 et 750 migrants, fait naufrage alors que des navires des garde-côtes grecques l’avaient repéré et approché mais l’empêchaient d’accoster. Les passeurs égyptiens dont le capitaine du navire qui l’avait abandonné avant l’entrée dans les eaux profondes du Péloponnèse ont été arrêtés depuis. Mais le bilan est lourd avec pas moins de 82 corps sans vie qui ont été repêchés tandis que 104 rescapés, principalement égyptiens, syriens et pakistanais, ont pu être secourus, les autres étant à jamais disparus en mer.
Un drame malheureusement devenu banal dans cette Méditerranée que des milliers de jeunes venus du Sud tentent de traverser au péril de leur vie, attirés par l’Eldorado européen, et que les médias ont finalement bien vite éclipsé, au profit des aventures plus croustillantes du petit sous-marin Titan. Même Barak Obama s’est ému de cette distorsion dans le traitement de l’actualité et le médiateur de Radio-France a largement relayé les innombrables réactions d’auditeurs indignés par une vision aussi biaisée.
Il n’en reste pas moins que les médias ne font que répondre à la demande et savent pertinemment que la curiosité humaine sera davantage captée par le sort de 5 riches explorateurs intrépides perdus près de l’épave emblématique du Titanic que par celui de centaines de pauvres gens qui sombrent jour après jour dans les eaux de la Méditerranée en espérant fuir la misère : toutes les vies se valent, mais certaines valent quand même manifestement plus que d’autres…
L. V.