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Maitre Gims et les pyramides : l’Histoire réécrite…

22 avril 2024

On a coutume de dire qu’il faut connaître le passé pour comprendre le présent et préparer l’avenir. C’est même la raison d’être des archéologues et des historiens que de mieux comprendre comment nos ancêtres plus ou moins lointains ont vécu et comment ils ont évolué pour en arriver où nous en sommes et expliquer certaines situations auxquelles nous sommes confrontées au quotidien, voire nous aider à mieux les gérer pour ne pas refaire éternellement les mêmes erreurs.

Mais comme pour toute science humaine, il existe une part de subjectivité dont il est parfois difficile de s’extraire. L’Histoire, plus que d’autres disciplines scientifiques, est exposée aux pressions politiques et les exemples abondent de régimes qui ont cherché à manipuler la réalité historique pour donner corps à leur propre vision, quitte à créer de toutes pièces des mythes qui orientent les esprits. Sans même évoquer les approches négationnistes qui visent à nier des faits historiques comme la Shoah, le génocide arménien ou le massacre des officiers polonais à Katyn en 1940 par l’armée de Staline, il suffit de voir comment, en France, la IIIe République, à la suite d’ailleurs de Napoléon III, a forgé son « Roman national » en mettant en avant le rôle majeur du chef arverne Vercingétorix, héros de la guerre de résistance contre l’invasion des légions romaines, quitte à tordre quelque peu la réalité historique en l’embellissant…

Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César, tableau peint en 1899 par Lionel Royer  (source © musée Crozatier, le Puy-en-Velay / Antique Limousin)

Une tendance que certains qualifient d’« archéologie romantique », et qui consiste à imaginer, à partir de faits historiques avérés mais parcellaires, des enchaînements hasardeux pour étayer une thèse présupposée. Certains n’hésitent pas à tordre ainsi la vérité historique pour justifier de la prééminence de tel ou tel peuple du fait de l’ancienneté de sa présence, tout particulièrement dans les zones de conflit territorial comme c’est le cas actuellement en Israël et notamment à Jérusalem, où toute fouille archéologique est sujette à débats…

Les pyramides de Méroé, dans le désert soudanais, vestiges des rois de Nubie et de la culture koushite (photo © Nigel Pavitt / AWL images / National Geographic)

Même l’Égypte antique n’est pas épargnée par ce phénomène. Les pasteurs noirs américains diffusent ainsi l’idée que Koush, fils de Cham et petit-fils noir de Noé, avait conquis le monde, en s’appuyant que le fait que le royaume koushite de Nubie, alors à l’apogée de sa puissance, avait même vaincu l’Égypte en 730 avant J.-C. Le roi Piye est ainsi devenu le premier de la 25e dynastie, cette fameuse lignée des pharaons noirs, qui dut cependant battre en retraite une soixantaine d’années plus tard, face à une invasion assyrienne, le royaume de Koush se repliant alors sur son territoire du Soudan actuel, autour de sa capitale Méroé. Il continua à prospérer parallèlement à son voisin égyptien, même après que ce dernier soit tombé dans l’escarcelle romaine, à la mort de Cléopâtre, en 30 avant J.-C.

La reine Cléopâtre, représentée sur un bas-relief du temple d’Hathor à Dendérah, entre 55 et 50 av. J.-C. (photo © Peter Horree / Hemis / Alamy / Beaux Arts)

De quoi en effet alimenter bien des fantasmes quant à la puissance historique de ce royaume noir qui a marqué l’histoire trop méconnue du continent africain, qui a connu bien d’autres empires, à l’instar de ceux du Ghana ou du Mali, en leur temps bien plus prospères que bien d’autres régions du monde. De quoi contribuer à démentir le sentiment trop largement ancré que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », comme avait osé l’affirmer Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 devant des étudiants à Dakar… Au point d’engendrer, notamment parmi la culture afro-américaine, un véritable engouement pour ces périodes antiques, au risque de prendre quelques libertés avec la vérité historique.

Le rappeur Maitre Gims, au micro de la chaîne Oui Hustle en avril 2023, pour un long dialogue avec LeChairman (source © You Tube)

C’est ainsi que l’on a vu en 2023, le géant américain Netflix produite un documentaire dans lequel la reine Cléopâtre elle-même, est jouée par une actrice noire. Et l’on a pu assister à la même époque, en avril 2023, à une interview assez étonnante de Maître Gims, un rappeur francophone, d’origine congolaise, qui dialogue longuement sur la chaîne YouTube Oui Hustle, en affirmant sans ciller que les pyramides de l’empire de Koush étaient recouvertes d’or et servaient en réalité d’antennes : « Les pyramides que l’on voit, au sommet il y a de l’or, et l’or c’est le meilleur conducteur pour l’électricité… C’était des foutues antennes ! Les gens avaient l’électricité (…) et les historiens le savent ».

Une affirmation un peu abrupte mais énoncée avec beaucoup d’aplomb par le chanteur et compositeur à succès, créateur du groupe Sexion d’assaut, et qui se présente comme « un fan d’Histoire », capable de disserter dans cette interview que le fait que si l’Afrique n’a plus d’archives sur son passé historique glorieux, c’est parce que ses bibliothèques ont été pillées et brulées, et que « l’Afrique a peuplé l’Europe avant les Européens », mais qu’ils ont été décimé par les Européens venant d’Asie, les Yamnayades, évoquant même la présence de chevaliers africains en Europe, « 50 000 ans avant les Européens ».

Illustration du morceau intitulé Hernan Cortes, de Maître Gims sorti en avril 2023 (source © You Tube)

Un joyeux fatras affirmé avec un énorme aplomb et de lourds sous-entendus complotistes, confirmé par l’illustration de l’album sorti peu après par le rappeur et montrant les fameuses pyramides d’Égypte avec leur sommet couvert d’or et les transformateurs à leur pied. Une affirmation que n’a jamais reniée depuis Maître Gims, malgré les innombrables interviews et réactions que ses affirmations à l’emporte-pièce ont suscitées. Même EDF s’est fendu d’une publicité reprenant à son compte ces élucubrations saugrenues et se présentant du coup comme « fournisseur officiel d’électricité des pharaons depuis – 2 000 ans »…

Une publicité satirique d’EDF qui surfe sur les élucubrations loufoques de Maitre Gims (source © Le Point)

De quoi brouiller légèrement les repères historiques et chronologiques d’une jeunesse parfois plus prompte à écouter en boucle ses idoles du show business que ses professeurs d’école. Car bien entendu, et peut-être faut-il le préciser, il n’a jamais été retrouvé de feuilles d’or sur les pyramidions en granite noirs qui surmontaient les pyramides égyptiennes (mais pas celle de Méroé), même si l’obélisque de Louxor, qui trône sur la place de la Concorde à Paris, est bel et bien orné d’un pyramidion en bronze et feuilles d’or, mis en place en 1998…

Quant à prétendre que l’Égypte antique était déjà largement électrifiée, voire que les pyramides servaient d’émetteurs wifi, personne en dehors du rappeur Maître Gims ne s’y était jusque-là hasardé, en dehors peut-être de quelques pochetrons avinés après une soirée trop arrosée, mais il y a fort à parier, au vu de l’audience et de la notoriété de Maître Gims, que des milliers de jeunes crédules sont désormais convaincus par cet afrocentrisme conspirationniste qui ne recule devant aucune ineptie pour réécrire l’histoire à sa manière, contribuant à l’obscurantisme et au communautarisme. Bon courage aux professeurs d’Histoire qui auront à lutter contre ce type de préjugés !

L. V.

La Disparition menacée de disparition ?

2 avril 2024

Encore une disparition inquiétante ? Il ne s’agit cette fois ni d’un individu ni même d’une espèce biologique menacée d’extinction ou d’une cité antique perdue, mais bien d’un média. Une fois de plus pourrait-on dire, au vu des difficultés extrêmes que rencontre la presse à vivre durablement dans un environnement où chacun est saturé d’informations se télescopant en temps réel sur l’écran de notre smartphone.

La Disparition, un média épistolaire reçu dans la boîte aux lettres (source © La Disparition)

En l’occurrence, le média en question est conçu à Marseille et se présente lui-même comme un « long-courrier journalistique et littéraire », une belle formule pour décrire cet objet médiatique étrange, 100 % indépendant, sans aucune publicité, imprimé en France et adressé tous les 15 jours, sous enveloppe timbrée, à des abonnés. Une aventure singulière, lancée en janvier 2022, fruit de l’imagination et de la ténacité de deux journalistes, Annabelle Perrin et François de Monès.

Annabelle Perrin et François de Monès, les deux journalistes à l’origine de cette lettre singulière (source © La Disparition)

Elle est rédactrice en chef, choisit les sujets et se charge des relations avec les pigistes et les auteurs, tout en gérant la correspondance avec les lecteurs et les réseaux sociaux. Elle tient également une chronique chaque lundi matin sur Radio Nova, et anime le cinéclub de La Baleine, un cinéma-bistrot situé sur le cours Julien à Marseille. Lui s’occupe notamment de la relecture des articles, de la rédaction du Nota Bene, des illustrations, de la revue de presse de l’Infolettre, et accessoirement de la gestion administrative et financière.

A eux deux, ils ont d’ailleurs publié un ouvrage qui rassemble 10 de ces lettres tournant autour du terme de la disparition qui leur est chère. Un recueil éclectique où il est notamment question de ces bateaux de croisière de plus en plus gigantesques et en pleine croissance alors même que chacun dénonce l’impact écologique désastreux de ce mode de tourisme de masse, au point que certains considèrent qu’il ne s’agit que d’un anachronisme voué à disparaître mais qui a la vie dure…

Il y évoqué aussi le sort du terrain de football de Montcabrier, une petite commune du Lot, qui a vu se succéder sur sa pelouse jaunie, des générations d’amoureux du ballon rond et qui est voué à disparaître pour permettre le passage d’une autoroute.

Mohamed M’Bougar Sarr, écrivain sénégalais, recevant le prix Goncourt le 3 novembre 2021 (photo © Bertrand Guay / AFP / le Monde)

Y figure aussi le récit inédit signé de Mohamed Mbougar Sarr, romancier sénégalais lauréat du prix Goncourt 2021 pour La Plus Secrète Mémoire des hommes, qui relate une expérience qu’il a vécu au Mexique en 2022, lorsqu’il s’est retrouvé enfermé dans une ZAPI, une « zone d’enfermement pour personnes en instance », faute d’avoir pu attester de manière indubitable d’un visa en bonne en due forme. Un espace parallèle dont les occupants sont littéralement soustraits au monde de droit commun, n’ayant plus aucune possibilité de communiquer avec l’extérieur, ayant disparu du regard de leurs proches et relégués ainsi dans un lieu improbable pour une durée indéterminée, dans l’attente d’une issue incertaine sur laquelle ils n’ont aucune prise…

Le dragonnier de Socotra, une île au large du Yémen, devenue difficile d’accès (source © Globe trotting)

Plus de 40 lettres et quelques hors-séries de La Disparition sont ainsi déjà parues, traitant de sujets tout aussi éclectiques. Il y est question de la disparition de l’arbre dragon, une essence millénaire qui ne pousse que sur l’île de Socotra, au Yémen, un pays où enquêter sur les particularités botaniques relève du grand reportage de guerre. On y trouve aussi une passionnante histoire sur la disparition de la malade du sommeil, qui relate les efforts ayant permis de lutter peu à peu contre les ravages de la mouche Tsé-Tsé en République démocratique du Congo. Mais il y est aussi question de la disparition des petits pêcheurs de Guadeloupe, de celle des chauffeurs routiers aux USA ou encore de celle des Juifs en Afrique du Nord. Des enquêtes fouillées qui nous entrainent sur des sujets peu connus mais qui disent beaucoup de notre humanité et des dangers qui la guettent. Que l’on parle de la disparition des chiens du Groenland ou de celle des marais de Mésopotamie, c’est souvent le lien de l’homme à son environnement qui est en cause, mais aussi nos relations sociales et nos choix économiques, si déterminants par exemple pour cette lettre axée sur la disparition de la psychiatrie publique.

Les marais de Mésopotamie, en voie de disparition ?  (photo © Aline Deschamps / l’Humanité)

Un univers motivé par une réflexion quelque peu angoissante sur cette propension de l’humanité à vouloir faire tout disparaître, la biodiversité mondiale comme les usines françaises. Une démarche qui renvoie inéluctablement à l’exercice littéraire de Georges Pérec, dans son roman intitulé lui aussi « La disparition », écrit sans le moindre recours à la lettre « e » pourtant la plus usitée du vocabulaire français, en référence, dit-on, à la disparition si traumatisante d’« eux », ses propres parents. C’est justement d’« eux » que veut parler cette lettre bi-hebdomadaire si attachante, eux les victimes de ce monde déréglé, qui souffrent de la disparition de leurs repères comme de leurs soutiens, qui souffrent mais qui ont la force de lutter et inventent des stratégies pour rester debout malgré tout.

Une entreprise ambitieuse et qui mérite d’être saluée donc, mais qui se heurte, comme bien d’autres avant elle, à la dure réalité économique et à l’indifférence. C’est pourquoi ses promoteurs lancent un appel pour recruter de nouveaux abonnés afin de poursuivre son aventure menacée à son tour de disparition. Ils recherchent 300 abonnés supplémentaires d’ici le 15 avril pour passer le prochain cap et ne pas faire naufrage, « pour faire face à l’augmentation du prix du timbre et du papier, ainsi qu’à l’érosion du lectorat ». Tout passe, tout lasse, tout casse, c’est bien connu et « Tout doit disparaître » ; hormis peut-être cette « Disparition » si singulière et si inspirante, qui mérite vraiment de ne pas disparaître corps et biens : avis aux amateurs !..  

L. V.

Vers des pôles et réseaux innovants plus en phase avec les Français ? (3ème partie)

20 mars 2024

Cette chronique a été publiée le 10 mars 2024 par GoMet, un média numérique qui traite de l’actualité locale sur la métropole Aix-Marseille-Provence en s’efforçant de mettre en avant les réussites et les expertises présentes sur le territoire, notamment en matière d’innovation technologique, mais aussi politique, sociale, économique et culturelle. Rédigée par Jacques Boulesteix, astrophysicien, ancien directeur de recherches au CNRS, président-fondateur de POPsud en 2000, d’Optitec en 2006, puis du réseau Optique Méditerranéen, et président de 2010 à 2018 du fond régional d’investissement Paca Investissement, mais aussi premier président du Cercle progressiste carnussien, cette chronique est le troisième et dernier chapitre d’une réflexion plus vaste retraçant le parcours des structures créées localement pour favoriser ce développement technologique, entre mondialisation assumée et souhait d’un ancrage social de proximité…

Jacques Boulesteix dans les locaux de GoMet à Marseille le 16 février 2024 (photo © JYD / Gomet)

Depuis 2022, par exemple, les nuages s’amoncellent au-dessus de la Silicon Valley. Les licenciements s’enchaînent : 12 000 chez Alphabet (Google), 11 000 chez Meta (Facebook, Instagram), 10 000 pour Microsoft, 18 000 pour Amazon, 8 000 chez Salesforce, 4 000 chez Cisco, 3 700 chez X-Twitter… En mars 2023, la faillite retentissante de la Silicon Valley Bank, un établissement bancaire qui finançait les start-up’s, inquiète les milieux américains de l’innovation.

La Silicon Valley est aujourd’hui un peu prise à son propre piège. Attirant par son modèle ouvert l’intelligence mondiale jusqu’en 2020, elle a favorisé l’émergence d’un monde hyperconnecté qui rend moins essentiel la proximité physique de l’échange créatif. Les nouveaux “hubs” se développent à grande vitesse à Bangalore, São Paulo, Tel-Aviv, … « Ensemble, ils redessinent la carte de l’innovation mondiale, en créant une carte plus dispersée, diversifiée et compétitive », soulignait récemment The Economist.

Au pied de la tour Saleforces à San Francisco, cœur de la Silicon Valley américaine ((photo © JFE / GoMet)

Le défi des technopôles français est donc double. D’une part résister à ce chamboulement mondial dans lequel l’Europe peine à trouver sa place et qui draine une part croissante d’investissements du capital-risque vers des pays en développement. D’autre part, être capables de générer beaucoup plus d’emplois et de richesses à partir des compétences acquises et des échanges mutualisés.

La fuite en avant de l’État

Cette tâche sera d’autant moins facile que le ministre Bruno Le Maire a annoncé à plusieurs reprises son souhait de voir l’État se désengager à terme du soutien aux pôles de compétitivité et que le plan France 2030 prévoit un rétrécissement de son action puisque la moitié des aides seraient ciblées sur les seuls acteurs émergents, c’est-à-dire des entreprises jeunes et innovantes. Dans un certain sens, c’est une forme de fuite en avant que le ministre résume par la formule « Détecter et accompagner les champions de demain ».

A la fois, c’est un changement par rapport à la politique menée depuis 20 ans qui visait à structurer et favoriser les échanges de compétences existants pour créer de nouvelles activités. Mais il n’est pas sûr également que cela permettra d’être plus efficace dans la création d’emplois productifs induits par l’innovation. On rappellera, avec un peu d’acidité, qu’en France, 14 % des emplois relèvent du secteur industriel contre 24 % en Allemagne et que cela se traduit par un gros écart sur les balances commerciale

Bruno Le Maire (à gauche) aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence (source © archives / GoMet)

L’instantanéité planétaire induite par le développement des communications bouleverse la notion de localisation des activités. Un chirurgien peut opérer à distance. Le télétravail (qui va bien au-delà du travail à domicile) réduit l’échange social et favorise la compétition plus que la solidarité au travail. Les flux tendus sont optimisés

L’accès permanent à une information sans limite couplée à l’intelligence artificielle contraint l’invention et la recherche plus qu’elle ne les favorise. Car les moteurs même de la créativité que sont l’échange contradictoire, le hasard, l’analogie ou le simple recul, échappent à ces logiques d’accumulation ou de croisement massifs supposés universels.

L’instantanéité planétaire bouleverse la notion de localisation des activités

Il y a sans doute place à des processus d’innovation plus proches des besoins humains, des habitudes, des contraintes géographiques et des ressources naturelles. Le changement climatique n’est pas perçu de la même manière à Paris, aux Maldives, en Islande ou sur une île grecque.

La bibliothèque Oodi d’Helsinki en Islande (photo © JFE / GoMet)

L’innovation va devoir s’adapter. Si, depuis 150 ans, les inventions ont profondément changé le mode de vie des habitants de la planète, l’innovation a parfois été vécue comme subie. Nous sommes entrés dans une autre ère, celle où nous souhaitons préserver notre mode de vie face aux changements climatiques et sommes en attente d’innovations de rupture en ce sens. Rien n’est gagné. Selon une étude de l’Académie des technologies, 56 % des Français se disent inquiets vis-à-vis des nouvelles technologies, en hausse de 18 points par rapport à 2018. En tête des craintes, l’alimentation, l’environnement, l’intelligence artificielle. Or l’essor des pôles de compétitivité est fortement dépendant des politiques publiques qui elles-mêmes sont de plus en plus contraintes par l’opinion publique.

L’opinion publique arbitre…

Ces suspicions à l’égard de l’innovation vont aussi de pair avec la montée de l’obscurantisme. Une étude de l’IFOP, fin 2022, montre un effritement de l’opinion sur les bénéfices du progrès scientifique et technologique. Cette situation renforce les exigences en matière d’éducation, de communication et d’éthique de l’innovation. Le débat public n’est possible que si les citoyens sont informés, sensibilisés, éclairés. Il n’y aura pas d’innovation positive si elle est refusée par la société. Il n’y aura pas non plus d’innovation positive si sa mise en œuvre amplifie les inégalités sociales.

Étudiants sur le campus Saint-Charles d’Aix Marseille Université (photo © JYD / Gomet)

Les pôles de compétitivité (ou les structures qui leur succèderont) doivent donc être beaucoup plus proches de la population, capables de l’impliquer, de l’écouter, de susciter des vocations et des rêves et mener des actions en ce sens.  Il convient sans aucun doute de développer réellement l’information scientifique et technologique, de créer des organismes d’évaluation locaux, indépendants et transparents, ouverts aux citoyens, notamment aux jeunes. C’est à ce prix seulement qu’il est possible de transformer l’innovation en réel développement économique, c’est-à-dire en emplois industriels et de service, allant de pair avec une amélioration ambitieuse du bien être individuel et social.

Bref, l’heure est à l’ouverture des pôles…

J. Bx.

La crise du logement en débat à Carnoux

5 janvier 2024

Comment peut-on encore se loger dans les grandes agglomérations françaises en 2023 ? Depuis plusieurs mois, le sujet est dans tous les médias. Le 28 décembre, Le Monde explique comment des ménages, pourtant aisés, sont contraints de falsifier leurs fiches de paie pour décrocher une location en région parisienne… Le 8 décembre, c’était Les Echos qui alertaient sur la panne durable des chantiers de construction de logements neufs. Le 2 novembre, France 2 consacrait une émission d’Envoyé spécial sur la crise du logement et diffusait des interviews poignantes de salariés obligés de vivre durablement au camping faut de trouver à se loger convenablement, tandis que ceux qui cherchent à acquérir un bien immobilier se voient obligés d’y renoncer faute d’accès au crédit nécessaire. Le 19 octobre, c’était la Fondation Abbé Pierre qui présentait son éclairage régional sur l’état du mal logement en région PACA, dans la continuité de son 28e rapport annuel sur le mal logement publié en février et qui attire l’attention une fois de plus, sur les difficultés croissantes d’accès au logement social et à un toit décent notamment pour les plus précaires. La veille, BFM TV se faisait l’écho du ras le bol des certains habitants du Panier où tous les logements sont transformés en meublés de tourisme loués à la semaine sur internet, empêchant les habitants de ce quartier marseillais populaire de pouvoir encore se loger…

Même le dernier numéro du journal publié en novembre 2023 par le Cercle progressiste carnussien se faisait l’écho de ces difficultés réelles d’accéder à un logement, y compris à Carnoux où les files d’attentes pour le logement social s’allongent tandis que se multiplient les résidences secondaires et les meublés de tourisme en location sur Airbnb, Abritel, Booking ou TripAdvisor.

Extrait du journal n°46 du Cercle progressiste carnussien publié en 2023 avec un dossier spécial logement

Un sujet qui mérite un véritable débat car l’accès au logement fait partie des besoins fondamentaux : notre qualité de vie personnelle dépend fortement de notre capacité à disposer d’un logement décent et adapté, proche de nos lieux de vie, confortable et bien desservi en mode de transport, mais qui ne draine pas la totalité de notre pouvoir d’achat… Une véritable quadrature du cercle en cette période de pénurie croissante de logements à des prix abordables. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi construit-on aussi peu de logements neufs ? Pourquoi un ménage de salariés avec des revenus corrects a-t-il autant de mal à accéder à un logement et encore plus à en devenir propriétaire ? Pourquoi y a-t-il aussi peu de logements sociaux alors que les deux-tiers des Français y sont éligibles ? Pourquoi le droit au logement est-il aussi mal appliqué dans les faits ?

Autant de questions qui méritent un éclairage car le dossier n’est pas des plus simples. C’est à ces questions en tout cas que s’efforcera de répondre la prochaine conférence organisée par le CPC à Carnoux, le lundi 22 janvier 2024. Animée par Francis Vernède, directeur régional PACA de la Fondation Abbé Pierre, et par Aude Lévêque, chargée de mission pour le logement des plus défavorisés, ainsi que par Marc Vincent, directeur du pôle de lutte contre l’habitat indigne à la Ville de Marseille, cette présentation sera l’occasion d’échanger et de débattre en toute liberté sur ce sujet qui touche nécessairement chacun d’entre nous de manière très personnelle.

L’accès est gratuit et ouvert à tous et le rendez-vous est fixé dans la salle municipale du Clos Blancheton à 18h30 : venez nombreux !

Brebis contre pelleteuse sur la route à Wauquiez

25 octobre 2023

Les militants écologistes qui s’opposent assez fréquemment aux grands projets d’infrastructure se retrouvent souvent confrontés à ce terrible paradoxe. Rester dans la légalité et se contenter de recours administratifs en espérant que la raison finira par l’emporter, ou déclencher des actions spectaculaires de blocage, voire de destruction, pour se faire entendre en partant du principe que quand on se heurte à un mur, on n’a pas d’autre choix que de sortir la masse pour tenter de le démolir… Au risque cependant d’y perdre son âme, voire la vie, comme l’ont montrées à plusieurs reprises les affrontements avec les forces de l’ordre qui dégénèrent dans la violence. Les images de heurts brutaux, encore récemment sur le chantier des retenues d’eau agricoles en Poitou-Charentes, ne servent pas nécessairement la cause des militants écologistes et peuvent même amener une large partie de l’opinion publique à y voir un comportement extrémiste indéfendable.

Une religieuse de la congrégation fait un placage magistral à un militant écologique le 16 octobre 2023 sur le chantier de Saint-Pierre de Colombier (source France Bleu © capture vidéo Nicolas Ferero / France 3 régions)

On en a vu encore un exemple sur le chantier du complexe religieux dans le petit village ardéchois de Saint-Pierre de Colombier où une vidéo virale a fait le tour des réseaux sociaux. On y voit sœur Benoîte, de la congrégation de la Famille missionnaire de Notre-Dame, courser un écolo chevelu et le plaquer magistralement dans la boue. En plein mondial de rugby, la scène ne pouvait évidemment pas passer inaperçu, mais elle interroge néanmoins sur le degré de tension nécessaire pour en arriver à de telles batailles de chiffonniers sous l’œil des caméras.

En l’occurrence, la tension ne date pas d’hier dans ce village de 440 habitants perdu à 30 mn d’Aubenas, où la congrégation est installée depuis 1946 et y a fait édifier la statue de Notre-Dame des Neiges, devenu un important lieu de pèlerinage qui surplombe les gorges de la Bourges. En 2001, le village avait déjà failli en arriver aux mains suite aux élections municipales remportées par une liste favorable aux projets d’extension de la congrégation, un habitant ayant été jusqu’à déposer un recours devant le tribunal pour contester la légalité de l’inscription sur les listes électorales des 98 bonnes-sœurs qui avaient permis de faire basculer le scrutin !

Face à face des religieuses et des militants écologistes devant les pelleteuses immobilisées, sous le regard des forces de l’ordre, le 17 octobre 2023 (photo © Stéphane Marc / Le Dauphiné)

La congrégation s’attelle dès lors à son ambitieux projet immobilier visant à construire un vaste sanctuaire de 50 m de haut, capable d’accueillir 3500 personnes, assorti d’annexes, d’une aire de retournement pour autocars et d’une passerelle franchissant la rivière. Le permis de construire est accordé en 2018 mais suscite la désapprobation tant de la population que du Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, et même de l’évêque de Viviers et du Vatican qui jugent démesuré ce projet à 18 millions d’euros ! Le préfet bloque le projet en octobre 2020 mais est contraint de lever son arrêté fin 2022. Le tribunal administratif rejette, quant à lui, le 16 mars 2023, la demande d’annulation du permis de construire.

Les écologistes locaux, réunis au sein d’une association au nom quelque peu étrange des Amis de la Bourges, mettent en avant le risque de destruction d’une espèce menacée, le Réséda de Jacquin mais perdent leur pourvoi devant la Cour administrative d’appel. De fil en aiguille, la tension monte. Des militants écologistes tentent de s’enchaîner aux pelleteuses pour bloquer le chantier. Ni une ni deux, les bonnes sœurs en habit accourent sur le chantier et se mettent à monter la garde sur les engins de BTP en chantant des cantiques, jusqu’à cet affrontement et ce « placage cathédrale » de « Sœur Chabal » dont les images ont fait le tour du monde…Depuis, les services de la Préfecture tentent de faire retomber la tension, mais les esprits sont bien échauffés.

Travaux de terrassement en cours sur le chantier de l’A69 à Soual (Tarn), le 11 octobre 2023 (photo © JC Milhet / Hans Lucas / AFP / France TV infos)

Une tension que l’on retrouve désormais sur quasiment tous les gros chantiers d’infrastructures, de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, désormais abandonné, au projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Sur ce chantier de 53 km, qui permettra aux automobilistes de gagner 15 mn à peine sur leur temps de trajet, au prix de centaines d’hectares de terres et de bois bitumés, même les experts du Conseil national de la protection de la nature ont émis un avis défavorable, jugeant le projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif de zéro artificialisation nette (…) ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat ». 200 scientifiques toulousains se sont élevés contre ce projet jugé absurde et injustifié, dont le coût est chiffré à 450 millions d’euros. De nombreux militants écologistes, réunis au sein du collectif La voie est libre, manifestent régulièrement contre, et certains d’entre eux sont allés jusqu’à entamer une grève de la faim, mais manifestement rien ne fera plier l’État qui reste droit dans ses bottes et soutient mordicus le projet…

Les travaux titanesques de « la route à Wauquiez »… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Un autre projet routier fait l’objet actuellement d’une opposition écologiste, plus discrète mais pas forcément moins efficace. Il s’agit des 10 km de construction d’une route à 2 x 2 voies destinée à contourner les villages de Saint-Hostien et Le Pertuis, en Haute-Loire, dans ces paysages verdoyants des Sucs d’Auvergne, sur le tracée de la RN 88 qui relie Lyon à Toulouse en passant par Saint-Étienne et Albi. La nationale appartient à l’État mais celui-ci à délégué la maîtrise d’ouvrage du projet à la Région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez, dont c’est justement le fief électoral, d’où ce sobriquet de « route à Wauquiez ».

Laurent Wauquiez et quelques élus locaux lors de la pose de la première pierre pour la déviation d’Yssingeaux par la RN 88, le 28 février 2020 (photo © Nicolas Defay / Zoom d’ici)

Or, dans ce paysage très vallonné et entrecoupé de nombreuses sources et petits cours d’eau, tailler une telle infrastructure à gabarit quasi autoroutier, ne permet guère de faire dans la dentelle. Il faut défricher à tour de bras, terrasser des millions de m3, creuser des bassins de rétention, construire des ouvrages d’art, canaliser les écoulements naturels, le tout pour une ardoise plutôt salée puisqu’il en coûtera la bagatelle d’au moins 226 millions d’euros au contribuable, tout ça pour permettre à l’automobiliste pressé de gagner, montre en main, 3 mn sur son temps de parcours… Les entreprises de BTP se frottent les mains mais même l’Autorité environnementale a rendu un avis sévère, déplorant un intérêt public « insuffisamment étayé » et déplorant la parte de 60 km de haies, 60 ha de forêt, 25 ha de zones humides et 105 ha de terres agricoles, sans compter les murets et les abris traditionnels de bergers, irrémédiablement détruits… Cela n’a pas empêché le Préfet de donner son feu vert, pas plus que la mobilisation de près d’un millier de personnes en mai 2021, farouchement opposés à ce projet quelque peu décalé.

Les travaux sont donc lancés, mais un petit groupe d’opposants déterminés, regroupés au sein du mouvement local La lutte des Sucs, a posé sa caravane près du chantier et suit au jour le jour les impacts environnementaux des terrassements, notant les destructions de murets sans débroussaillage préalable par un écologue, les passages d’engins au travers de parcelles privées ou encore l’absence de dispositifs pour permettre à la petite faune de traverser. Des observations soigneusement consignées qui font l’objet de réclamations en bonne et due forme et sont remontées en réunion de chantier.

En cas d’irrégularité, les bergers amènent leurs brebis pour bloquer le chantier… (photo © Moran Kerinec / Reporterre)

Et quand les observateurs n’arrivent pas à se faire entendre, ils font appel à l’armée de réserve, à savoir deux troupeaux de brebis mobilisées spécifiquement pour aller faire face aux engins de chantier et bloquer l’avancement des travaux, le temps que leurs revendications soient effectivement prises en compte. Par deux fois déjà depuis cet été, les brebis, dont les meneurs s’appellent Victoire, Zadinette et Bêêricade, ont fait courageusement face aux pelotons de CRS venus en renfort mais qui n’ont pas osé charger dans le tas, au grand dam de Laurent Wauquiez qui s’étrangle en évoquant les dérives extrémistes de dangereux terroristes environnementaux. Un dialogue au jour le jour qui reste compliqué entre aménageurs du territoire et défenseurs de l’environnement…

L. V.

Des complotistes à Carnoux-en-Provence ?

3 octobre 2023

Certains Carnussiens ont eu la surprise de trouver récemment dans leur boîte aux lettres un tract étrange, intitulé « Macron prépare la guerre ». Un tract étrange, parfaitement anonyme et dont l’origine reste un mystère. Les deux illustrations qui figurent en tête de ce document, à l’allure artisanale, proviennent manifestement d’internet, l’une d’un visage cloîtré derrière plusieurs rangées de barbelés, siglée du fournisseur britannique d’illustrations Alamy, et l’autre représentant un individu assis dont le cerveau est branché en direct sur un maelström de données numériques issues d’un écran géant.

Un tract au contenu assez intriguant, distribué à Carnoux-en-Provence le 29 septembre 2023 (photo © CPC)

Des images chocs destinées à alerter contre « des mesures liberticides très dangereuses pour l’avenir de notre pays » !  Le ton du message est dramatique à souhait et vise à mettre en garde chacun de nos concitoyens, pardon « compatriotes », contre un complot qui se trame, animé par le Président de la République en personne, avec bien entendu la complicité des médias et qui concerne des risques de nature à détruire irrévocablement « la liberté d’expression du peuple », rien de moins.

La principale de ces menaces, illustrée par deux extraits encadrés du projet, concernerait la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030, adoptée la veille du 14 juillet par un large consensus national puisque 313 députés ont voté en faveur de ce texte et seulement 17 contre, les autres ayant préféré s’abstenir ou se faire porter pâle. Cette nouvelle loi d’orientation, qui a fait l’objet d’un gros effort de communication, adoptée dans le contexte de la guerre en Ukraine et du regain de tensions internationales auxquelles on assiste, prévoit une forte augmentation du budget national consacré aux armées, qui passerait à plus de 400 milliards en 7 ans, sous réserve néanmoins d’une confirmation à l’occasion de l’adoption de chacun des prochains budgets annuels.

Emmanuel Macron, aux côtés du ministre des Armées, Sébastien Lecornu : deux comploteurs ? (photo © SIPA / L’Opinion)

Mais ce n’est manifestement pas cela qui inquiète les auteurs, lesquels focalisent sur l’article 29 de cette loi qui en comporte 71, article qui apporte quelques modifications à des dispositions du Code de la Défense, concernant les modalités de réquisition « en cas de menace actuelle ou prévisible, pesant sur les activités essentielles à la vie de la Nation, sur la protection de la population, sur l’intégrité du territoire ou sur la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense ».

En période de tension internationale, c’est le moment d’évoquer une augmentation des budgets militaires : un dessin signé Michel Heffe (source © Unité et Diversité)

Cette nouvelle disposition est présentée comme une atteinte grave à la liberté des citoyens, laissant entendre qu’un coup d’État se prépare et que tous les citoyens réquisitionnés d’office se verront immédiatement jetés en prison s’ils refusent de suivre les injonctions gouvernementales. La vérité oblige à dire que le texte est quand même nettement plus restrictif puisqu’il ne concerne que le domaine de la Défense et pas celui du maintien de l’ordre public. Autrement dit, il ne peut s’appliquer qu’en cas de menace de guerre et vise simplement à adapter le régime des réquisitions qui n’avait pas été revu depuis 1959 et qui ne permettait plus de répondre aux caractéristiques des conflits actuels. Il est d’ailleurs curieux de constater que ce sont plutôt des milieux complotistes d’extrême droite qui ont le plus fortement réagi à ce texte alors que la Rassemblement national a voté comme un seul homme la loi de programmation militaire qui, inversement, a été unanimement rejetée par les députés LFI…

L’étendue des libertés individuelles en société, une question d’équilibre ? Une maxime du Chat de Philippe Geluck  (source © Pinterest)

Le tract évoque aussi « de nouvelles lois numériques permettant à l’État d’avoir le contrôle total des données personnelles, mais aussi la censure immédiate de tout message considéré comme haineux ou incitant à une quelconque révolte ». Encore une attaque contre les libertés individuelles digne de Big Brother ! Il s’agit cette fois du projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, adopté à l’unanimité par le Sénat le 5 juillet 2023 puis en commission à l’Assemblée nationale le 21 septembre.

En fait le risque évoqué ici de maîtrise par le gouvernement des données personnelles de chaque individu n’a pas de rapport avec ce projet. Au contraire, la loi Informatique et liberté, en vigueur depuis 1978 a été actualisée en 2018 par de nouvelles dispositions destinées à transposer une directive européenne de 2016 qui vise justement à généraliser cette protection des citoyens contre la diffusion de données personnelles les concernant. Tout l’inverse en réalité des approches en vigueur dans le monde libéral des GAFAM américaines qui cherchent à exploiter au maximum, y compris sur le plan commercial, ces données individuelles…

Voiture et poubelles incendiées lors des émeutes urbaines, ici le 28 juin 2023 dans le quartier du Mirail à Toulouse (photo © Nathalie Saint-Affre / DDM / La Dépêche)

En revanche, il est bien exact que le texte de loi en cours d’adoption et qui découle lui aussi d’une volonté européenne, le Digital Service Acts adopté dès le 25 août 2023, vise à mieux protéger les internautes des dérives des plateformes numériques gérés notamment par les GAFAM. Le principe est d’y interdire la mise en ligne de tout ce qui est considéré comme illicite dans le monde réel, et notamment les appels à la violence. Une réaction directe au constat fait durant les émeutes de juin 2023 lorsque les réseaux sociaux ont bruissé d’appels à piller les magasins, s’attaquer aux commissariats et brûler les voitures. Le projet de loi vise ainsi à responsabiliser davantage les fournisseurs d’accès en ligne pour limiter certaines dérives qui ne concernent d’ailleurs pas uniquement les appels au meurtre ou à la violence mais aussi la pédopornographie, l’incitation des jeunes aux jeux en ligne, les cyberharceleurs et même les locations de meublés de tourisme !

Les réseaux sociaux, outil indispensable à la vie moderne en société ou menace ? (photo © Pinterest / Être parents)

On a d’ailleurs un peu de mal à croire que des militants d’extrême droite puissent se montrer aussi soucieux de préserver les libertés individuelles de ceux qui, via les réseaux sociaux, appellent au pillage et à la chienlit… Pourtant, l’encadré qui figure sur ce tract et qui relaye les critiques contre l’ouvrage de Klaus Schwab, intitulé The Great Reset, ne laisse guère de doute sur la mouvance de ses auteurs.

Rappelons au passage que l’auteur de cet essai paru en juillet 2020, en pleine pandémie de covid, n’est autre que le directeur du Forum économique de Davos, qu’il avait créé en 1971 pour tenter de rapprocher les dirigeants d’entreprises des préoccupations de la société civile mais qui est devenu, au fil du temps, une opération commerciale où le monde économique débat en circuit fermé.

Klaus Schwab, fondateur et directeur du Forum économique mondial de Davos, et coauteur du livre The Great Reset  (photo © Markus Schreiber / AP / SIPA / Marianne)

Dans son ouvrage, Schwab explique que la mise à l’arrêt de l’économie mondiale du fait du confinement peut être l’occasion de remettre à plat les objectifs du capitalisme et de le réorienter vers un mode de fonctionnement plus équitable et davantage tourné vers le développement durable, incitant notamment à instaurer une taxe carbone pour favoriser le financement de la transition écologique. Pas de quoi fouetter un chat donc, et même de quoi séduire plus d’un écologiste.

Mais nos complotistes l’interprètent très différemment et y voient la main d’une conspiration mondialisée qui aurait créé de toutes pièces cette pseudo-pandémie mondiale, histoire de conditionner les esprits pour les amener à accepter docilement des mesures nécessairement privatives des libertés individuelles. Dans leur délire, ils imaginent que les solutions vaccinales apportées à cette crise sanitaire font partie du complot et qu’elles visent ni plus ni moins qu’à injecter à chaque citoyen et à son insu une puce électronique en vue de la prise de contrôle numérique des populations.

Efficacité économique, justice sociale et liberté politique, ou la quête éternelle d’un équilibre délicat… (source © QQ Citations / Le vide poche)

Nous en serions là de ce plan bien organisé et l’étape suivante qui se dessine via ces quelques projets de loi bien anodin, consisterait donc à instaurer ni plus ni moins que la loi martiale et la terreur pour annihiler toute velléité de révolte. Quant à l’objectif suivant de ce complot mondial, il viserait purement et simplement à supprimer l’épargne et la propriété individuelle tout en dématérialisant l’argent : où l’on reconnaît que les complotistes à l’origine de ce gloubi-boulga craignent avant tout une socialisation de la société au détriment de la liberté individuelle de s’enrichir sans devoir rendre de compte à personne. Une idée force de la droite la plus libérale qui a toujours accordé plus d’importance à la liberté individuelle qu’à la justice sociale : c’est même à ça qu’on la reconnaît diraient certains…

L. V.

Autriche : heureux comme un locataire à Vienne…

13 septembre 2023

A Vienne, la capitale autrichienne, qui compte environ 1,9 millions d’habitant, soit un peu moins que Paris (2,16 millions), 80 % des habitants sont locataires alors que dans la plus grande ville française, cette proportion est de 61 %. Un contraste saisissant, d’autant plus si l’on étend la comparaison à l’ensemble du pays, puisque le taux de locataires en France ne dépasse pas 36 %. D’un pays à l’autre, le rapport au logement diffère donc considérablement. Même au sein de l’espace européen, on constate des écarts très étonnants : la proportion de locataires ne dépasse pas 5 % en Roumanie et 24 % en Espagne, mais elle atteint 49 % en Allemagne et même 58 % en Suisse.

Le centre historique de Vienne, vu depuis la tour de la cathédrale Saint-Etienne (source © Jolis circuits)

Sur l’ensemble de l’Autriche, ce taux est de l’ordre de 55 % et la ville de Vienne, qui concentre un peu plus de 20 % de la population national, fait donc vraiment figure d’exception. Mais ce qui est encore plus étonnant c’est que 61 % des Viennois sont en fait locataire d’un logement social à loyer modéré. On est très loin du taux parisien qui ne dépasse pas 20,8 % aux dernières nouvelles, en dessous du seuil fatidique de 25 % imposé par la loi SRU dans les grandes agglomérations, sachant que ce taux est à peine supérieur à 15 % à l’échelle nationale comme sur la commune de Carnoux.

La ville de Vienne compte ainsi à elle seule pas moins de 440 000 logements sociaux dont 200 000 gérés directement par la municipalité via l’office local d’HLM, Wiener Wohnen, les autres étant gérés par des structures à but non lucratif, qui réinvestissent la totalité de leurs revenus dans l’entretien et l’agrandissement de leur parc. Par comparaison, il n’y a à Paris que 227 000 logements locatifs sociaux et même seulement 20 000 dans une ville comme Montréal qui compte pourtant un peu plus de 2 millions d’habitants également, de quoi attiser la curiosité de bien des urbanistes face à ce modèle viennois étonnant !

Karl-Wrba Hof, une résidence sociale achevée en 1982 à Vienne, avec ses 1038 logements, ses terrains de jeu, son épicerie intégrée et ses deux garderies d’enfants (photo © Thomas Ledl / CC BY-SA 3.0. / Wikimedia)

La principale conséquence de cette situation est que les habitants de la capitale autrichienne dépensent bien moins pour leur logement que leurs homologues parisiens. Le prix moyen des loyers y est inférieur à 10 € le m2, tandis qu’il atteint 27 à 28 € dans des villes comme Paris ou Londres. Même dans une petite commune comme Carnoux, ce coût moyen est de 16 € le m2, presque deux fois plus élevé que dans la capitale autrichienne ! La forte disponibilité en logements sociaux tire en effet vers le bas le prix des loyers du parc privé et explique qu’il n’y ait que 15 000 Viennois en attente d’un logement social alors qu’il y en a plus de 130 000 à Paris et de l’ordre de 60 000 dans une ville comme Marseille où le temps d’attente est de plus de 8 ans en moyenne.

Karl-Seitz Hof, une résidence sociale des années 1930 à Vienne, avec ses 1173 logements et son jardin central (photo © Heinrich Moser / Mein Bezirk)

Une situation qui relève directement de choix politiques initiés il y a bien longtemps et maintenus depuis avec une constance remarquable. Il faut pour cela remonter à 1919, au lendemain de l’effondrement de l’empire austro-hongrois, alors que les élections municipales portent au pouvoir à Vienne des socialistes, qui ambitionnent de réformer en profondeur la vie quotidienne tout en rejetant le bolchévisme. Le pays est alors en crise et les ouvriers comme la classe moyenne se heurtent à une forte pénurie de logements avec des loyers élevés pour des taudis insalubres. La nouvelle municipalité prend le taureau par les cornes, plafonne les loyers et rachète ou municipalise des logements pour lesquels elle lance un programme ambitieux de rénovation, maîtrisant ainsi dès 1923 plus de 66 000 logements sociaux.

En parallèle, elle instaure des taxes sur les biens de luxe, sur les loyers perçus par les propriétaires privés, sur les nouvelles constructions et sur les terrains nus constructibles, pour inciter leurs propriétaires à s’en défaire. Réquisitions, rachats et nouvelles constructions, à raison de 3000 nouveaux logements par an en moyenne, permettent ainsi à la capitale autrichienne de disposer, dès 1934, de plus de 500 000 logements sociaux ! Les propriétaires privés, s’estimant spoliés, menacent d’arrêter de payer leurs taxes et même de couper l’eau et l’électricité. Mais les locataires ripostent en s’organisant en comité d’immeuble, si bien que les propriétaires bailleurs échouent à imposer leur loi…

L’ensemble de logements sociaux du Karl-Marx-Hof, achevé en 1930 au nord de Vienne (photo © Joe Klamar / AFP / Le Figaro)

De cette époque date la construction de résidences emblématiques comme le Karl-Marx-Hof, achevé en 1930, vaste ensemble art déco aux façades de couleurs ocre, qui s’étend sur 1 km de long dans le quartier de Heiligenstadt, organisé autour de 3 cours intérieures et d’une vaste place, comprenant à sa construction 1382 logements pourvus de tout le confort moderne. 3500 personnes y vivent actuellement, payant des loyers très accessibles et offrant une véritable mixité sociale.

Car c’est une autre particularité des logements sociaux viennois : quasiment tout le monde y a accès, même en gagnant le double du revenu moyen, ce qui permet de mixer effectivement population modeste et classes moyennes, d’autant que lorsqu’on accède à un logement social, c’est pour la vie et même au-delà. Les personnes dont les revenus finissent par excéder les seuils éligibles peuvent s’y maintenir et le bail peut être aisément repris par les enfants en cas de décès, ce qui explique que l’on retrouve nombre de personnes à revenus intermédiaires dans ce logements sociaux viennois : un système garant d’une certaine paix sociale et d’un mode de vie plus apaisé. A Vienne, l’adresse d’un quidam ne donne aucune indication sur son niveau social : bien des habitants des quartiers nord de Marseille aimeraient pouvoir en dire autant !

Hundertwasserhaus, ensemble original de 50 logements sociaux achevé en 1986 par l’architecte Friedenreich Hundertwasser rue Kegelgasse, à Vienne (source © Pretend)

Cette politique de construction de logements à marche forcée a permis à la gauche de se maintenir au pouvoir à Vienne, dans une Autriche très conservatrice, jusqu’aux affrontements de février 1934 qui voient justement l’armée bombarder le Karl-Marx-Hof où s’étaient réfugiés les socialistes assiégés. Après l’épisode nazi qui s’ensuit, les sociaux-démocrates reviennent à la tête de la municipalité dès 1945 et les dernières élections d’octobre 2020 confirment leur forte implantation dans la Ville qu’ils dirigent sans discontinuer depuis cette date, poursuivant inlassablement cette politique de gestion d’un parc social exceptionnellement étendu et de grande qualité.

Contrairement à ce qui a été observé un peu partout, la ville de Vienne n’a pas bradé au privé son parc de logements sociaux et n’a eu de cesse de le compléter. Dans les années 1970 a ainsi été construit le grand ensemble dénommé Wohnpark Alterlaa, achevé en 1985, avec ses 3180 appartements répartis dans 9 tours à l’architecture futuriste. Des logements hauts de gamme, avec saunas et piscines sur les toits et en sous-sol, gymnase et courts de tennis, garderie et terrains de jeux pour les enfants, vastes loggias arborées, avec station de métro en pied d’immeuble et le tout pour des loyers défiant toute concurrence : 850 € pour un T4 avec double terrasse !

Piscine sur les toits dans le complexe de logements sociaux d’Alterlaa à Vienne (photo © Isabelle Ducas / La Presse)

Des résidences de ce type ont été édifiées par des sociétés à but non lucratif, sur des terrains cédés par la commune à bas prix, avec obligation de réinvestir tous les revenus dans l’entretien des bâtiments. Pour y accéder, les futurs locataires doivent verser une mise de fonds de l’ordre de 20 000 €, ce qui contribue à financer l’opération. Cette somme leur est reversée lorsqu’ils quittent la résidence (après déduction de 1 % par an), ce qui les aide à disposer un apport propre s’ils souhaitent devenir propriétaires. Un modèle qui permet à la municipalité viennoise d’envisager avec sérénité la poursuite de son programme de construction de logements sociaux, pour faire face à une augmentation démographique qui ne faiblit pas, preuve s’il en était besoin qu’une ville, pour rester attractive, se doit d’offrir à sa population des conditions de logement favorables et à des prix abordables…

L. V.

A quand une sécurité sociale de l’alimentation ?

15 août 2023

L’agriculture française est en crise. Les agriculteurs, qui représentaient les deux tiers de la population active lors de la Révolution française, n’en constituaient plus qu’un peu plus de 40 % au début du XXe siècle et ce taux ne cesse de décroître : tombé à 15 % environ en 1968, il est de l’ordre de 7 % au début des années 1980 et désormais inférieur à 2 % : moins de 400 000 personnes en France sont désormais exploitants agricoles et ce chiffre devrait encore diminuer de 10 % dans les 10 ans à venir.

Exploitation maraîchère bio du Pas de Calais (photo © Sandrine Mulas / Terre de Liens / Le Figaro)

La France reste un gros pays exportateur de produits agricoles, principalement pour les vins et les spiritueux, mais aussi pour les pommes de terre, les eaux minérales en bouteilles et les céréales. Mais ses importations de produits agricoles n’arrêtent pas d’augmenter, ayant plus que doublé au cours des 20 dernières années : la France importe désormais massivement non seulement le soja brésilien, mais aussi les tomates, les fraises, les bananes, les olives, le café, le cacao ou les fruits de mer, et de plus en plus des produits transformés comme le beurre, les pâtisseries, la bière, le fromage, ou la volaille, autant de produits qui pourraient être davantage produits sur le sol français moyennant un mode d’organisation différent de notre système agricole. La France importe désormais en masse son alimentation d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie, autant de pays européens où les conditions de production devraient pourtant être proches des nôtres !

Augmentation des importations de volaille en France : elles représentent désormais près de la moitié de la consommation intérieure !  (source © Plein Champ)

Parallèlement à cette crise de l’agriculture française, dominée par le productivisme et le triomphe de l’agrobusiness, qui ne répond plus aux besoins, tout en détruisant irrémédiablement la biodiversité, les sols et nos ressources en eau, à coup d’engrais chimiques et de pesticides, se pose chaque jour davantage le défi de permettre à chacun de se nourrir correctement. En France aujourd’hui, 8,5 millions d’adultes soufrent d’obésité du fait de la malbouffe, et plus de 5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire.

Distribution d’aide alimentaire par les Restos du Cœur à Marseille en mars 2021 (photo © Nicolas Turcat / AFP / Reporterre)

Depuis le lancement des Restos du Cœur dans les années 1980, le montant de l’aide alimentaire en France n’a cessé d’augmenter et atteint désormais 1,5 milliard d’euros par an (en comptant la valorisation du travail des bénévoles associatifs qui en assurent la distribution). Une part importante de ce coût est en réalité apporté sous forme de défiscalisation des entreprises de la grande distribution pour leur permettre d’écouler ainsi à bon compte leur stock d’invendus et de produits proches de la péremption. Si bien que ce système profite en réalité surtout à l’industrie agro-alimentaire et à la grande distribution en lui servant de variable d’ajustement pour gérer sa surproduction.

C’est ce double constat de dysfonctionnement de notre système agricole et de nos politiques publiques d’aide alimentaire qui a conduit en 2017 un groupe d’étudiants d’Ingénieurs sans frontières, réunis dans le cercle de réflexion AgriSTA (Agriculture et souveraineté alimentaire), à élaborer la notion de sécurité sociale alimentaire (SSA) au point de lancer en 2019 un Collectif national en se regroupant avec une dizaine de partenaires associatif dont la Confédération paysanne, le réseau CIVAM pour des campagnes vivantes, l’Atelier paysan, le collectif Les pieds dans le Plat, ou encore l’association VRAC.

Extrait de la bande dessinée élaborée par ISF-Agrista et illustrée par Claire Robert, publiée en 2021 (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le confinement lié à la pandémie de Covid19, à partir de mars 2020, a mis en lumière le besoin criant d’aide alimentaire pour de nombreuses catégories de travailleurs précaires et d’étudiants privés de cantine, tandis que s’aggravait la crise du monde paysan. Face à ce constat, l’idée est de reconnecter les politiques agricoles et d’aide alimentaire en instaurant un système démocratique et participatif basé, non pas sur la croyance aveugle dans les vertus du marché libre et non faussé, mais sur des valeurs proches de celles qui ont conduit après-guerre le Conseil national de la résistance à instaurer la Sécurité sociale, toujours en œuvre malgré les attaques incessantes du libéralisme débridé.

L’objectif est de favoriser l’accès à tous à une alimentation saine et de qualité, produite par des paysans dans le respect de l’environnement, un peu à la manière des AMAP ou autres dispositifs de circuits courts, mais à grande échelle sans aucune exclusion. Ce principe d’universalité reposerait donc sur la base d’une cotisation obligatoire et se traduirait par une sorte de carte Vitale bis permettant d’allouer à chacun une allocation alimentaire d’un montant identique, utilisable uniquement pour acheter les produits conventionnés issus de l’agriculture équitable française.

Une nouvelle carte Vitale qui porterait bien son nom ? (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le montant reste à fixer, mais on évoque une somme de l’ordre de 150 € par mois, ce qui correspond plus ou moins à la médiane des dépenses alimentaires par personne (hors boisson et produits extérieurs), sachant que cette somme est plutôt de l’ordre de 100 € pour les ménages pauvres. Le coût global d’une mesure aussi ambitieuse atteint près de 130 milliards par an, financé par un système de cotisations qui reste à imaginer, l’idée étant d’instaurer des caisses locales au fonctionnement démocratique pour récolter les cotisations et choisir les produits et exploitations conventionnées.

D’autres alternatives sont aussi envisageables, comme celle proposée en 2022 par le collectif Hémisphère gauche qui consiste à distribuer des chèques services aux ménages les plus modestes pour acheter des produits issus de l’agroécologie. Moyennant une aide de 100 € par mois pour les 10 % les plus nécessiteux, de 60 € pour les 10 % suivants et de 50 € pour la tranche suivante de 10 %, le coût se réduit à 7,5 milliards par an. Une somme qui peut être entièrement couverte par l’instauration d’une taxe de 1,5 % sur le chiffre d’affaires de la grande distribution, une taxe additionnelle sur les ventes d’alcool et la suppression partielle de la niche fiscale sur la restauration.

Distribution des Paniers marseillais, ici en 2019 (photo © Marion Esnault / Reporterre)

Les idées ne manquent donc pas pour tenter de remettre sur les rails de la raison notre agriculture en pleine dérive tout en améliorant les conditions d’alimentation de la population française mise à mal par des décennies de malbouffe et de triomphe d’une industrie agro-alimentaire dépourvue d’éthique. Une vingtaine d’expérimentations locales de cette démarche de sécurité sociale de l’alimentation ont déjà vu le jour, dont le Marché du lavoir, à Dieulefit dans la Drôme, ou encore les Paniers marseillais, un regroupement local d’AMAP qui distribue depuis mai 2021 des paniers solidaires à 3 € dans certains quartiers nord de Marseille, grâce à des subventions de collectivités publiques : des pistes qui méritent d’être creusées pour un projet qui ne manque pas d’ambition…

L. V.

Tickets de caisse : de qui se moque-t-on ?

7 août 2023

La mesure avait été décidée un peu en catimini dans le cadre de l’adoption de la loi du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, qui prévoyait dans son article 49 qu’à compter du 1er janvier 2023, l’impression systématique des tickets de caisse mais aussi des reçus de carte bancaire et des tickets d’automate serait supprimée. Un décret publié le 31 mars 2023 a reporté l’entrée en vigueur de cette mesure au 1er août 2023, mais voilà donc qui est fait : depuis quelques jours déjà, le consommateur qui fait ses courses ou qui procède à un paiement sur un automate voire à une opération bancaire sur distributeur automatique de billets, n’a plus aucune preuve écrite lui permettant d’en conserver trace et donc de la contester en cas d’erreur matérielle toujours possible, sauf à exiger expressément son reçu.

Les tickets de caisse, bientôt un lointain souvenir… (photo © SIPA / Le Progrès)

Bien entendu, la démarche est justifiée par de louables intentions tant sanitaires qu’environnementales. Comme le précisent les attendus de la loi, cette dématérialisation va dans le sens de l’Histoire et ne fait qu’emboîter le pas à ce que font la plupart de nos voisins européens, rappelant que l’on imprime en France chaque année 30 milliards de tickets de caisse et de facturettes qui finissent toutes à la poubelle alors même que certains de ces documents contiennent, quelle horreur !, des substances nocives dont du bisphénol A qui est un perturbateur endocrinien.

Supprimer ces tickets va donc dans le sens de la modernisation de notre société, permet de faire des économies, allège notre empreinte carbone et est même une véritable mesure de santé publique. A se demander même qui a eu cette idée folle un jour d’inventer les tickets de caisse, véritable fléau des temps modernes ?

Un dessin signé Chaunu publié dans Ouest France le 1er août 2023

On notera au passage que l’identification des dangers sanitaires du bisphénol A ne date pas d’hier et que l’utilisation de ce produit est interdite en France depuis 2010 dans les biberons et depuis 2015 dans les récipients à usage alimentaire. Classé comme « substance extrêmement préoccupante » par le règlement européen REACh en 2016, la Commission européenne en a définitivement interdit l’usage dans les papiers thermiques, destinés justement à l’impression des tickets de caisse, et ceci depuis le 2 janvier 2020. L’argument selon lequel ces bouts de papier seraient dangereux pour la santé humaine au prétexte qu’ils pourraient contenir une substance illicite est donc quelque peu fallacieux, sauf à imaginer que l’État français ne se donne pas les moyens de faire appliquer les réglementations européennes en vigueur…

Quant à l’impact environnemental de ces tickets de caisse, il mérite, lui aussi, d’être quelque peu proportionné. Le papier est en effet, avec le verre, la substance qui se recycle le plus facilement. Sa fabrication elle-même, pour peu que l’on se préoccupe un minimum d’en adapter les procédés techniques, se fait pour l’essentiel à partir de matière première renouvelable (le bois) ou recyclée (vieux papiers et chiffons). Rien ne prouve donc a priori, que le bilan carbone d’un reçu de carte bancaire soit plus élevé lorsque ce reçu est imprimé sur un petit bout de papier que lorsqu’il est envoyé de manière numérique et stocké sur un serveur. Le contraire est même le plus probable…

Une mesure écologique, vraiment ? Un dessin signé Soph’, publié dans l’Est Républicain

A qui donc profite une telle décision, puisque les arguments mis en avant sont de toute évidence des plus fallacieux ? Aux commerçants et aux banquiers, bien évidemment, qui, non seulement économisent ainsi l’approvisionnement en rouleaux de papier et en toner, voire en imprimantes, mais surtout s’évitent bien bien des discussions avec les clients habitués à vérifier sur leur ticket de caisse si le prix promotionnel si alléchant a bien été pris en compte lors du passage en caisse…

Il faudra désormais être particulièrement vigilant et vérifier en temps réel si le prix scanné par la caissière et brièvement affiché sur l’écran digital est bien le bon : une porte ouverte à toutes les « erreurs » possibles, surtout en grande surface où les distributeurs se sont fait une spécialité d’oublier d’appliquer les promotions pourtant affichées de manière ostentatoire pour attirer le chaland.

Même les oiseaux s’inquiètent… (source © Birds dessinés)

Car la loi est claire : le commerçant n’a aucune obligation de justifier désormais le détail de la transaction. Il peut le faire de manière dématérialisée, par envoi de SMS ou par courriel via un compte fidélité du client ou via l’application bancaire de ce dernier, sous réserve que celui-ci lui ait donné son accord, dans le strict respect des règles de protection des données individuelles. Mais rien ne l’y oblige, sauf à ce que le client en question le demande, ou exige d’obtenir son ticket de caisse (du moins pour l’instant, le temps que tous les commerçant finissent d’user leurs imprimantes encore fonctionnelles). Le commerçant n’a même pas l’obligation de le proposer aux clients, sinon par une simple affichette plus ou moins discrète : si l’on veut malgré tout son ticket de caisse, c’est au consommateur de le réclamer !

Les personnes âgées, parfois éloignées des outils numériques, et celles à faibles ressources, dont le budget familial doit être ajusté à l’euro près, pour espérer tenir jusqu’à la fin du mois, seront bien évidemment les premières victimes de cette nouvelle offrande que le gouvernement fait au secteur bancaire et à celui de la grande distribution.

Une mesure qui ne va pas faciliter la vie des personnes aux revenus modestes : un dessin signé Dawid, publié dans La Nouvelle République

Il y avait pourtant nettement plus urgent et plus efficace comme mesure à prendre si l’objectif était véritablement de se préoccuper de l’état de notre environnement et de la santé publique. Plutôt que de supprimer les tickets de caisse et les reçus bancaires, le vrai enjeu est bien de réduire de manière significative les emballages plastiques qui continuent d’englober la majeure partie de ce qui est vendu en grande surface et qui viennent encombrer nos poubelles jaunes ou sont emportées par le vent jusque dans la mer où ils rendent nos écosystèmes durablement invivables pour la faune résiduelle.

Rappelons au passage que seule une toute petite partie de nos déchets plastiques est actuellement recyclable, grosso modo celui qui sert à fabriquer les flacons et les bouteilles. Certaines collectivités, dont la Métropole Aix-Marseille-Provence, acceptent de récupérer tous les emballages plastiques dans les poubelles jaunes, par souci de facilité, mais l’essentiel de cette collecte finit dans l’incinérateur ou enfoui en décharge ! L’objectif est officiellement de recycler 100 % de nos déchets plastiques d’ici 2025 (demain donc…) mais on en est très loin avec un taux qui ne dépasse pas 26 % des déchets plastiques récoltés, selon les chiffres (optimistes) de PAPREC.

Les emballages alimentaires en plastique : le vrai fléau à combattre ! (source © Zero waste)

L’urgence serait donc d’inciter (enfin) la grande distribution et les industriels de l’agro-alimentaire de développer des emballages sans plastique, de quoi relancer une filière industrielle innovante avec même des capacités d’exportation à la clé : un programme autrement plus ambitieux que cette idée parfaitement stupide de supprimer les tickets de caisse au motif que cela fait plus moderne et que certains de nos voisins européens l’ont fait avant nous !

L. V.

Peut-on s’inspirer de la social-démocratie danoise ?

8 juillet 2023

Le Danemark n’est pas la France ! Avec 5,8 millions d’habitants, à peine plus que la seule région PACA, le Danemark reste un petit pays européen, par ailleurs sensiblement plus riche que la France avec un PIB par habitant supérieur de 22 % et un endettement qui ne dépasse pas 32 % du PNB. Pourtant, comme la France, le Danemark fait partie de ces pays où l’État providence a été fortement développé et reste très présent, avec un niveau de protection sociale et un taux d’imposition très élevés, ce dernier étant même supérieur à celui de la France pour les plus hautes tranches de revenus.

Mais les Danois ne connaissent pas ces flambées de violence et ces émeutes urbaines que la France subit régulièrement (et que l’on a vu aussi, récemment dans d’autres pays proches dont la Suède), ni cette morosité ambiante qui rend les Français si désespérés et perpétuellement râleurs. L’indice de développement humain, calculé par le PNUD à partir d’indicateurs basés sur le niveau de vie, la santé et l’éducation, autrement dit les principales préoccupations de la grande majorité, y est très supérieur à celui de la France et l’un des premiers au monde. Quant au taux de chômage, il plafonne à 4,5 % de la population active, près de deux fois moins qu’en France, avec un système dit de flexisécurité qui allie une relative facilité de licenciement et une forte indemnisation des personnes au chômage.

Mette Frederiksen, chef du gouvernement danois depuis 2019 (source © Scanpix / T-online)

Et qui plus est, ce pays, officiellement une monarchie constitutionnelle, est depuis 2019 dirigé par un gouvernement de gauche, d’abord composé uniquement de membres du parti social-démocrate puis allié depuis 2022 avec le Parti libéral, avec, à la tête du gouvernement, une femme, Mette Frederiksen, jadis surnommée « Mette la Rouge », membre du parti à 15 ans, ancienne syndicaliste, élue députée pour la première fois à 24 ans, et qui a été successivement ministre de l’Emploi en 2011, dans un gouvernement de centre-gauche, puis ministre de la Justice en 2014.

Borgen, la série de politique fiction au Danemark, créée par Adam Price en 2010 (source © France TV Info)

Pour qui a vu la série « Borgen » qui relate la vie quotidienne de Birgitte Nyborg, Première Ministre danoise centriste fictive, les rouages de la vie politique danoise n’ont que peu à voir avec le fonctionnement de notre propre démocratie. Les coalitions entre partis y sont plus fréquentes et la notion de compromis politique, en vue de poursuivre un intérêt général commun, plus facile à mettre en œuvre, même si les coups bas et les rivalités de personnes y sont aussi nombreux que partout ailleurs. En 2015, lorsque le parti social-démocrate a laissé le pouvoir à une coalition libérale et que Mette Frederiksen a pris la tête du parti, elle a largement contribué à poursuivre son évolution, en particulier vers une position plus ferme en matière de régulation de l’immigration.

Arrivée de réfugiés au Danemark en 2015 (photo © Claus Fisker / Scanpix Denmark / AFP / Courrier international)

Comme la plupart des pays européens, le Danemark a connu, à partir des années 1960 plusieurs vagues d’immigrations, et a dû faire face à des difficultés croissantes d’intégration d’une partie de ces populations qui se rassemblent dans des quartiers ghettos où les conditions de vie et de sécurité se dégradent. Dans ces années-là, comme en France, les partis danois de gauche adoptaient une vision très libérale face à l’immigration. Ainsi que l’analyse très bien Renaud Large pour la Fondation Jean Jaurès, la gauche européenne et française en particulier, est plutôt sur ces questions adepte de la politique de l’autruche, feignant d’ignorer que ces difficultés d’intégration liés à une immigration mal contrôlée, deviennent une préoccupation majeure pour nombre de leurs électeurs, non pas les populations aisées et éduquées des grandes métropoles, mais pour leur électorat populaire traditionnel qui rejoint en masse les rangs de l’extrême-droite.

Ce sont les mêmes mécanismes qui, au Danemark, ont conduit à l’émergence et à la croissance rapide du parti du Peuple danois, le FN local, qui draine en 2015 plus de 21 % des suffrages. Sauf que, depuis plusieurs années et surtout depuis leur défaite électorale de 2015, les sociaux-démocrates danois ont fortement évolué sur ces questions, se livrant à un véritable aggiornamento. L’un des artisans de cette révolution idéologique est un jeune député élu en 2015 et devenu en 2019 ministre de l’Immigration et de l’Intégration, Mattias Tesfaye, lui-même fils de réfugié éthiopien et d’origine modeste, issu de l’aile gauche du parti.

Mattias Tesfaye, actuel ministre de l’Éducation du Danemark (photo © Jens Dresling / Policywatch)

Il se rend compte, en analysant les archives, à quel point les élus locaux de gauche ont à maintes reprises alerté dans les années 1980-90 sur les difficultés sociales liées au défaut d’intégration de certains immigrés alors que la gauche dans son ensemble refusait de voir cette réalité et prônait un accueil inconditionnel, rejoignant en cela les intérêts du patronat, adepte d’une immigration sans limite. Or, pour les refondateurs du parti social-démocrate danois, adeptes d’un régime social juste, la gauche ne peut ainsi rester sourde aux attentes des catégories populaires fragiles, qui ont le plus besoin de cet État providence, moteur de l’égalité sociale grâce à la redistribution des richesses qu’il met en œuvre.

Pour reprendre les termes de Renaud Large, « l’intégration ratée des étrangers, c’est-à-dire le repli communautaire et les flux migratoires incontrôlés, érodent cette cohésion sociale nécessaire à la permanence de l’État providence. Les sociaux-démocrates danois estiment désormais que le contrôle des frontières et l’intégration des immigrés est la condition nécessaire à la préservation de l’État providence ». Depuis leur retour au pouvoir en 2015, ils ont donc poursuivi une politique nettement plus ferme visant à mieux contrôler les flux migratoires sur le sol danois et surtout à mieux intégrer les populations d’origine étrangère, ce qui passe par des programmes très ambitieux de dé-ghettoïsation de certains quartiers, d’apprentissage obligatoire de la langue, de formation professionnelle des nouveaux arrivants, mais aussi d’acculturation notamment sur les questions d’égalité hommes-femmes. Il est devenu désormais très difficile d’obtenir la nationalité danoise et le nombre de demandeurs d’asiles, qui était de 20 000 en 2015 est retombé à 800.

En parallèle, cette inflexion très nette du parti social-démocrate, outre qu’elle lui a permis de revenir au pouvoir en 2019, a contribué à un effondrement du parti du Peuple danois, retombé à moins de 3 % lors des dernières élections et surtout à un apaisement de la vie démocratique, 81 % des Danois estimant qu’elle fonctionne plutôt bien dans leur pays, tandis que les questions liées à l’immigration ne sont plus du tout centrales dans l’opinion publique.

Un dessin signé Karim (source © Gagdz)

La droite française lorgne d’ailleurs sur cette politique migratoire danoise devenue l’une des plus fermes en Europe et aimerait s’inspirer de certaines des mesures qui y ont été prises. Mais c’est la gauche qui ferait bien de réfléchir à la nécessité d’aborder enfin ces questions qui préoccupent nombre de leurs électeurs des milieux populaires, principales victimes de la mondialisation et confrontés au quotidien à ces ratés de l’intégration qui remettent en cause leurs propres chances d’évolution sociale, d’accès à l’emploi et de sécurité.

C’est peut-être le mérite de l’exemple danois que de montrer que l’on peut aborder avec sérénité et de manière quasi consensuelle ces questions complexes de l’intégration des populations immigrées en sortant des positions figées à la Française que Kasper Sand Kjaer, porte-parole du parti social-démocrate danois résume ainsi dans Marianne : « si vous en parlez, vous êtes raciste. Si vous n’en parlez pas, vous êtes aveugle »…

L. V.

Transition écologique : 10 ans pour rattraper 30 ans d’inaction…

30 Mai 2023

Les scientifiques alertent maintenant depuis des décennies sur l’impact grandissant des gaz à effet de serre et sur les conséquences désormais irréversibles de ce phénomène sur le réchauffement climatique mondial, source de désordres multiples et dont on constate dès à présent les effets concrets : montée du niveau des océans et submersion des zones basses côtières souvent très urbanisées, aggravation des risques d’inondations et de feux de forêts, perte de la biodiversité, hausse des températures rendant certaines zones inhabitables, canicules et sécheresses agricoles, tensions pour l’eau et accentuation des migrations climatiques…

Changement climatique : on tarde à prendre les décisions drastiques qui s’imposent… un dessin signé Michel Cambon (source © Mr Mondialisation)

Autant de fléaux déjà à l’œuvre mais dont on pourrait encore atténuer les effets si la planète s’engageait dans une véritable transition écologique, tournant définitivement le dos aux énergies fossiles qui ont fait la prospérité de la majorité depuis 150 ans mais qui conduisent désormais l’humanité à sa perte. Tous les scientifiques sérieux le disent depuis maintenant des décennies, relayés par les excellents travaux de synthèse et de vulgarisation du GIEC, le Groupe international des experts pour le climat. L’opinion publique est de plus en plus sensible à leurs arguments, mais nos responsables politiques et économiques tardent à s’engager dans cette voie, obnubilés qu’ils sont par les impératifs de la rentabilité à court terme et du « business as usual ».

Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat passées à la trappe : l’effet des lobbies économiques ? Un dessin signé Ganaga (source © Médias Citoyens Diois)

C’est justement pour échapper à ce piège du pilotage à (courte) vue qu’a été créée en 2013 une instance comme France Stratégie, officiellement le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, un service du Premier ministre, chargé de « concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental, ainsi qu’à la préparation des réformes ».

Son premier commissaire général, le haut fonctionnaire Jean Pisani-Ferry, a laissé la place en janvier 2017 pour se consacrer à l’élaboration du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, alors en campagne. Mais cet économiste de renom est toujours dans le circuit et Elisabeth Borne lui a confié, en septembre 2022, une mission ambitieuse visant ni plus ni moins qu’à identifier les conditions et les moyens pour mettre enfin en œuvre cette transition écologique dont tout le monde parle.

Le travail entrepris est colossal, mobilisant des dizaines de spécialistes et aboutissant à la rédaction de 11 rapports thématiques qui embrassent de multiples aspects du problème, des modélisations macro-économiques jusqu’aux impacts sur l’inflation, la productivité ou le marché du travail, en passant par les approches en matière de sobriété et d’adaptation au changement climatique, sans oublier les enjeux du financement et de la fiscalité, le tout conclu par un rapport de synthèse, cosignée avec l’inspectrice générale des finances, Selma Mahfouz, et qui a été remis officiellement le 22 mai 2023 à Élisabeth Borne.

Remise officielle du rapport de Jean Pisani-Ferry à Elisabeth Borne (source © France stratégie)

Le principal mérite de ce travail est peut-être d’écrire noir sur blanc et de manière officielle ce que tout le monde savait déjà, à savoir qu’il est plus que temps d’engager enfin concrètement cette transition écologique pour laquelle nous n’avons que trop tergiversé, que cela exigera une volonté politique sans faille de la part de l’État, et que le coût pour la société sera colossal…

Sur la nécessité d’agir, ce rapport ne fait que rappeler des évidences déjà largement démontrées, et notamment que ne rien faire coûterait infiniment plus cher que d’anticiper et de prendre enfin à bras le corps cette problématique devant laquelle chacun recule depuis des décennies… D’autant que la France s’est d’ores et déjà engagée à réduire d’ici 2030 de 47,5 % ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2050, un projet d’autant plus ambitieux que quasiment rien n’a été fait depuis 30 ans et qu’il va falloir désormais mettre les bouchées doubles pour rattraper en 10 ans le retard accumulé !

Pour cela, les auteurs de ce rapport ont identifié 3 leviers d’action qui n’ont rien d’original et qui devront être actionnés simultanément pour espérer obtenir enfin le résultat visé : réorienter massivement le capital jusqu’à présent investi dans l’utilisation des énergies fossile, axer tous les développements technologiques vers les énergies vertes et engager un mouvement résolu de sobriété et d’économie d’énergie. Un programme qui ne pourra se mettre en place que via une impulsion forte de l’État, dans le cadre d’une planification écologique rigoureuse, et qui exigera des investissements publics majeurs, de l’ordre de 2 à 2,5 points de PIB.

Coût des investissements et des aides publiques nécessaires par secteur d’activité selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz (source © La finance pour tous)

Un gros effort que Jean Pisani-Ferry ne cherche pas à masquer et qui se traduira nécessairement, selon lui, au moins jusqu’en 2030 par des baisses de confort et de niveau de vie, avec un coût économique et social non négligeable. L’effort portant sur tous les Français mais pesant proportionnellement surtout sur les plus modestes, pour isoler leur logement et changer leur voiture, cela ne sera possible que moyennant des aides publiques massives, pour soutenir les ménages comme les entreprises. Un effort qui se traduira nécessairement par un endettement conséquent que le rapport chiffre à 10 points de PIB supplémentaire en 2030 et probablement 25 d’ici 2040, en tenant compte du ralentissement de la croissance qui en découlera.

Un effort significatif donc et que Jean Pisani-Ferry propose de répartir, pour le rendre plus acceptable socialement, en mettant fortement à contribution les classes les plus aisées via un prélèvement obligatoire exceptionnel ciblé à leur encontre. Une condition sine qua non selon lui pour rendre socialement acceptable une telle transition écologique sans se heurter aux mêmes protestations que lors des crises antérieures des « bonnets rouges » ou des « gilets jaunes » qui ont jusqu’à présent contribué à retarder la prise de telles mesures.

Elisabeth Borne, pilote énergique et persuasive de la planification écologique…, un dessin signé KAK, publié dans L’Opinion

Sauf que ce message courageux et réaliste n’a reçu aucun écho de la part du gouvernement. Élisabeth Borne s’est empressée de préciser qu’il n’y aura bien évidemment aucun prélèvement fiscal supplémentaire sur les Français les plus riches, le niveau de fiscalité étant déjà bien assez élevé, et qu’on se contentera, pour tenter de financer cette transition écologique, de faire des économies, à hauteur de 5 % dans les budgets des différents ministères. C’est donc encore une fois la détérioration du service public qui sera mise à contribution sans que cela puisse bien évidemment suffire, confirmant s’il en était encore besoin, qu’Emmanuel Macron n’est absolument pas à la hauteur de cet enjeu majeur de société auquel nous sommes collectivement confrontés, et qu’il reste, envers et contre tous, « le président des riches » !    

L. V.

Finlande : le pays du bonheur ?

7 avril 2023

Cela paraît incroyable mais c’est pourtant ce qu’il ressort de la dernière édition du World Hapiness Report, une enquête très sérieuse dont l’ONU vient de dévoiler les résultats officiels à l’occasion de la dernière Journée mondiale du bonheur qui s’est tenue le 20 mars 2023 ! Pour la sixième année consécutive, la Finlande arrive en tête des pays les plus heureux du monde !

Bien évidemment, comme toute enquête de ce type, il s’agit de résultats statistiques, issus principalement de sondages effectués par l’institut américain Gallup, mais dont les résultats sont analysés de manière très approfondie par des spécialistes de l’ONU, eux-mêmes accompagnés d’une brochette de chercheurs très pointus issus des meilleures universités du monde : le bonheur sur terre est une notion trop importante pour la prendre à la légère…

Une cabane dans les bois au bord d’un lac en Finlande : la recette du bonheur… (photo © Gil Katrin Lillenthal / EyeEm – Getty Images / RTBF)

Cette étude annuelle en est d’ailleurs à sa dixième édition et ce classement, bien que nécessairement subjectif, traduit néanmoins la manière dont les habitants des 156 pays qui ont été interrogés se positionnent par rapport à cette notion de bonheur qui est évalué au travers d’une flopée de questions. Pour chacun des pays pris en compte, ce sont au moins 1000 personnes qui ont ainsi été interviewées, selon un échantillon jugé représentatif de la population dans sa diversité, qu’elle vive en ville ou en milieu rural et quel que soit son niveau social. Les résultats quant à eux sont établis en faisant la moyenne des trois dernières années, ce qui explique en partie une certaine stabilité du classement final.

Toujours est-il que les Finlandais apparaissent bel et bien comme le peuple le plus heureux de la Terre, et ceci malgré la menace que fait peser sur ce petit pays scandinave de 5,5 millions d’habitant le voisinage avec la Russie et ses velléités à venir régulièrement envoyer ses blindés de l’autre côté de ses frontières. Colonisée par un autre de ses voisins, la Suède, à partir du XIIIe siècle, la Finlande a subi sa première occupation russe dès 1497. Victime au XVIIe siècle de la Grande guerre du Nord entre Suédois et Russes, la Finlande voit disparaître la moitié de sa population victime de la famine, tandis que la plupart de ses intellectuels, prêtes et fonctionnaires, fuient le pays et les troupes d’occupation.

Le sauna finlandais, une des composantes du bonheur scandinave ? (source © Visit Finland)

Rattachée à la Russie en 1809, la Finlande ne retrouvera son indépendance qu’en 1917, à l’occasion de la révolution bolchévique. Mais elle devra céder une partie de son territoire à l’URSS au cours de l’hiver 1939-40 avant de s’allier aux armées hitlériennes puis de se retourner contre ces dernières en 1944. Le pays échappe de peu à une annexion pure et simple par l’URSS en 1947 et tente de maintenir depuis une certains neutralité même si sa politique étrangère est restée longtemps subordonnée au joug soviétique. Il a fallu l’invasion russe en Ukraine, en 2022, pour que la Finlande se décide enfin à franchir le pas et à demander son adhésion à l’OTAN, qu’elle vient tout juste de rejoindre officiellement, le 4 avril 2023.

Sanna Marin, Première Ministre de Finlande, ici à Helsinki le 1er novembre 2022 (photo © Kimmo Brandt / EPA-EFE / Euractiv)

Un tel contexte géopolitique pourrait être de nature à créer un climat plutôt anxiogène. Mais c’est mal connaître les Finlandais ! On a vu ainsi la Première ministre finlandaise, une jeune femme brillante de 36 ans, Sanna Marin, présidente du parti social-démocrate finlandais depuis août 2020, s’amuser avec ses copains lors d’une soirée festive dont les vidéos ont malencontreusement fuité en août 2022. De quoi déclencher une belle polémique en pleine guerre russo-ukrainienne ! Mais la dirigeante assume sans complexe en déclarant : « « J’ai une famille, un travail et parfois un peu de temps durant lequel je profite de mes amis. (…) Et je vous le confirme : j’ai dansé et j’ai chanté, j’ai pris mes amis dans mes bras et bu de l’alcool ».

Un incident qui d’ailleurs n’altère en rien sa grande popularité, comme le confirme l’analyse du journal Iltalehti, considérant qu’elle « est la personnalité politique la plus importante du pays, qu’elle dirige la Finlande durant l’une des crises les plus terribles de son époque du fait des envies guerrières de la Russie et elle trouve quand même le temps de s’amuser ». Le titre ajoute : « Décontractée, moderne et confiance, c’est comme cela que la politique fonctionne. Sanna Marin incarne la génération ’cool’ et c’est clairement ce que Poutine n’est pas. »

Sanna Marin, Première Ministre de Finlande, en visite à Kiev aux côtés du Président ukrainien Volodymyr Zelinsky, le 10 mars 2023 (photo © Kimmo Brandt / EPA-EFE / Euronews)

Comme quoi, en Finlande, on peut être très professionnel et savoir se détendre quand on referme ses dossiers. Ce qui ne l’a d’ailleurs pas empêché de perdre d’un cheveu les toutes récentes élections législatives qui se sont tenues dimanche 2 avril 2023 et qui ont vu son parti social-démocrate s’incliner d’un rien derrière son rival du centre-droit et derrière le parti anti-immigration et eurosceptique des Finlandais, tous les trois au coude à coude. Mais elle a reconnu avec le sourire sa défaite en félicitant avec chaleur ses challengers…C’est peut-être cela le recette du bonheur finlandais, un pays où la durée hebdomadaire de travail est de 40 heures et l’âge minimum de départ en retraite fixé à 63 ans, mais où chacun quitte le bureau le vendredi à 16h pour se retrouver en famille et souvent se ressourcer en forêt, au bord d’un des multiples lacs que compte le pays.

Passer du temps en famille, une possibilité pour les jeunes Finlandais grâce à une politique familiale plutôt généreuse (photo © Tina & Geir / Photonnonstop / Le Monde)

En Finlande, les espaces naturels sont largement préservés et l’accès à la nature est libre, chacun pouvant y pratiquer à sa guise le camping, la cueillette de champignons, le ski ou la randonnée. Bon équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, pas trop de soumissions aux injonctions contraignantes et un accès aisé à des espaces naturels de qualité, qui ne serait pas heureux dans un tel contexte ?

Faire du kayak sur les eaux claires d’un lac finlandais et planter sa tente pour la nuit, un petit bonheur simple à savourer… (source © TRVLR)

En tout cas, la France arrive assez loin derrière, dans ce classement des pays où l’on est le plus heureux, loin derrière les autres pays scandinaves, mais aussi la Suisse, l’Australie, le Canada et même les États-Unis qui sont en quinzième position. Certes, le Japon est à la 47e place et la Russie à la 70e, derrière la Chine qui se classe en 64e position, mais encore loin devant bien des pays africains ou l’Afghanistan, en queue de peloton. En matière de bonheur, tout est relatif et globalement les Français ne sont donc pas si malheureux que cela. Peut-être leur manque-t-il juste cette capacité des Finlandais à se contenter des plaisirs simples de la nature ?

L. V.

Va-t-on un jour interdire les piscines ?

3 avril 2023

Alors que toute la France ne parle plus, depuis des mois, que des fameuses bassines, ces réserves de substitution que les agriculteurs, surtout dans l’ouest de la France, voudraient implanter partout pour pouvoir continuer tranquillement à irriguer en été, même lorsque les nappes sont au plus bas et les rivières à sec, voilà que l’on commence à s’interroger sur l’impact des piscines privées sur la gestion de la ressource en eau.

Emmanuel Macron lui-même, pourtant peu connu pour son souci de préservation de l’environnement, a tenu à insister, lors de son allocution sur les bords du lac de Serre-Ponçon, ce jeudi 30 mars 2023, sur la nécessité de diminuer le gaspillage de l’eau et de n’utiliser qu’avec parcimonie cette ressource de plus en plus rare.

Emmanuel Macron en déplacement sur les bords du lac de Serre-Ponçon le 30 mars 2023, à Savines-le-Lac (photo © Sébastien Nogier / AFP / Le Monde)

Il est vrai que ce dernier hiver a été particulièrement sec avec 32 jours sans aucune pluie en France, et des niveaux de nappe qui sont presque partout très en dessous de leur niveau habituel à cette période de l’année. Une dizaine de départements français sont d’ores et déjà en situation de vigilance voire de vigilance renforcée. La commune de Carnoux-en-Provence, comme 18 autres dans le bassin de l’Huveaune, est même passée en situation de crise depuis le 21 mars 2023, ce qui est exceptionnel à cette saison, et le remplissage des piscines y est donc désormais interdit.

Dans le Var voisin, 9 communes du Pays de Fayence, ont récemment défrayé la chronique lorsque leurs maires ont annoncé qu’il serait désormais totalement interdit d’y construire une piscine, et ceci pour une durée d’au moins 5 ans à compter de février 2023. Ces communes s’interrogent fortement sur la pérennité de leurs ressources en eau et préfèrent donc limiter les besoins en n’accordant plus de permis de construire pour de nouvelles piscines, estimant que ce n’est pas un usage prioritaire.

Qui ne rêve d’une belle piscine privative dans son jardin ? (source © Dffazur Piscines / Côté Maison)

Il faut dire que jamais les Français n’ont aménagé autant de piscines privatives ! Dans les années 2000, la France ne comptait que 700 000 piscines. Mais selon les derniers chiffres de la Fédération française des professionnels de la piscine et du spa, on dénombre désormais plus de 3,2 millions de piscines installées, se partageant sensiblement à parts égales entre piscines enterrées et piscines hors-sol. Rares sont les secteurs économiques qui peuvent se vanter d’une expansion aussi rapide… A défaut de se réindustrialiser, la France s’adonne aux joies de la natation : chacun ses priorités ! D’ailleurs, la France peut s’enorgueillir d’être le pays au monde qui compte le plus de piscines privées, derrière les États-Unis quand même…

Lotissement de maisons individuelles avec piscines dans les Bouches-du-Rhône (source © le JDD)

Et la région PACA concentre une grande partie de ces piscines installées sur les terrains de particuliers. Le département du Var, à lui seul, détient plus de 100 000 piscines privatives, soit quasiment une pour trois maisons individuelles et dans certains lotissements, chaque maison possède sa piscine. Et encore, toutes ne sont pas déclarées comme viennent de le confirmer les services fiscaux qui mènent depuis 2021 une expérimentation dans plusieurs départements et qui va être généralisée à tout le territoire national : en exploitant via l’intelligence artificielle des photos aériennes récentes, ils ont ainsi pu repérer plus de 20 000 piscines clandestines, dont 12 000 uniquement dans le Var et les Bouches-du-Rhône ! De quoi faire rentrer près de 10 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires pour les collectivités locales…

Remplir sa piscine peut devenir un luxe discutable en période de pénurie d’eau  (photo © Franck Boileau / La Montagne)

Une piscine consommerait en moyenne 15 m3 d’eau par an, destiné pour l’essentiel à refaire régulièrement les niveaux pour compenser ce qui est perdu par évaporation et chaque fois que les enfants facétieux s’amusent à faire la bombe dans le bassin. Sachant qu’un ménage français consomme en moyenne de l’ordre de 120 m3 d’eau par an, le ratio n’est donc pas totalement négligeable. En période de restriction d’eau, maintenir à niveau toutes ces piscines pour veiller à entretenir une bonne qualité de l’eau, finit donc par nécessiter des volumes conséquents, surtout si en parallèle on souhaite maintenir bien vert le gazon qui borde la piscine !

Une piscine privée correspond-elle bien à un besoin prioritaire quand la ressource en eau se fait rare ? Un dessin signé Phil, publié en juillet 2021 (source © les Dernières nouvelles d’Alsace)

C’est d’ailleurs ce qui explique certaines disparités locales importantes dans la consommation d’eau des ménages : un habitant des Alpes-Maritimes consomme ainsi en moyenne 238 litres par jour, alors que cette consommation n’est que de 148 litres en moyenne sur l’ensemble du territoire national, et ce n’est sans doute pas l’eau qu’il verse dans son pastis qui peut expliquer à elle-seule un tel écart…

L. V.

Mali : les imams et la laïcité

16 mars 2023

Le 27 février 2023, la version finale du projet de nouvelle constitution du Mali a été remise solennellement au colonel Assimi Goïta, un militaire putschiste qui dirige la « Transition » dans ce vaste pays sahélien de près de 22 millions d’habitants, qui s’étend de l’Algérie jusqu’en Côte d’Ivoire. Une constitution dont l’adoption par référendum était initialement prévue le 19 mars, première étape vers un retour du pouvoir aux civils, avec des élections envisagées en 2024 si tout va bien.

Remise officielle du projet de constitution par la commission de finalisation au colonel Assimi Goïta le 27 février 2023 (source © a Bamako)

Sauf que ce projet de constitution n’est pas du goût de tout le monde. La Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, une structure très influente qui représente les autorités religieuses musulmanes du pays, a purement et simplement appelé à voter non à ce projet à l’occasion d’un point de presse soigneusement orchestré, le 7 mars 2023. La raison de ce rejet ? La ligue des imams avait demandé le 10 janvier dernier que le terme de « laïcité » ne figure pas dans ce texte constitutionnel, lui préférant celui d’« État multiconfessionnel »…

Pour des religieux, le terme de laïcité fait horreur car il présuppose que les citoyens pourraient conduire les affaires publiques de la Nation sans se préoccuper de leurs convictions religieuses, voire même sans avoir du tout de telles conviction, ce qui est proprement inconcevable pour nombre de personnes, persuadées que seuls les préceptes religieux sont à même de régir le monde et, en l’occurrence, que la charia, la loi de Dieu, s’impose à tous bien au-dessus des règles des hommes.

Prière du vendredi dans une rue de Bamako en janvier 2013 (photo © Sia Kambou / Le Point)

La commission chargée de finaliser le projet n’ayant pas accédé à cette demande, les imams affirment donc sans ambages leur opposition frontale et appellent l’ensemble des Musulmans du pays à voter contre ce projet qui ne les satisfait pas. Sachant qu’environ 95 % des habitants du pays se réclament de l’Islam, le pouvoir a quelque souci à se faire quant à l’adoption de son projet…

D’autant que ce n’est pas la première fois que cette ligue d’imams défie ainsi le pouvoir politique. En août 2009 déjà, elle avait rassemblé plus de 50.000 manifestants dans un stade de Bamako pour protester énergiquement contre le nouveau code de la famille adopté par les députés, considérant qu’il s’éloignait trop des préceptes de l’Islam traditionnel, accordant trop de droits aux femmes et pas assez de valeur au mariage religieux. Même un simple article prévoyant d’autoriser une femme à faire du commerce sans l’autorisation de son mari déclenchait les foudres des imams conservateurs !

L’imam Mahmoud Dicko, proche des milieux rigoristes wahhabites et alors président du Haut conseil isamique, à l’occasion d’un de ses meetings à Bamako, le 12 août 2012 (photo © Habibou Kouyaté / AFP / France TV info)

Le président Amadou Toumani Touré, directement menacé par les imams, avait alors été contraint de faire machine arrière et de renoncer à promulguer le nouveau texte, finalement adopté en décembre 2011 après une refonte complète. La nouvelle mouture marquait un net recul des droits des femmes en particulier, reconnaissant juridiquement le mariage religieux et affirmant que « la femme doit obéissance à son mari ». Cela n’avait pas empêcher le président malien d’être renversé quelques mois plus tard, en mars 2012, par un coup d’État militaire.

A l’époque, le Mali est en proie à des troubles majeurs dans le nord du pays qui passe progressivement dans les mains de mouvements armés djihadistes. En janvier 2013, les rebelles islamistes menacent directement Bamako et la France doit intervenir pour empêcher qu’ils ne s’emparent du pouvoir. Mais la présence militaire française dans le cadre des opérations Serval puis Barkhane finit par générer du ressentiment, soigneusement attisé par certains. En avril 2020, les élections législatives, plusieurs fois reportées du fait du contexte d’insécurité persistant, se tiennent dans un climat de violence qui se matérialise par de nombreux enlèvements dont celui du chef du principal parti d’opposition, Soumaïla Cissé, qui ne sera libéré que 6 mois plus tard.

Militaires putschistes dans les rues de Bamako le 18 août 2020 (photo © Moussa Kalapo / EPA-EFE / Le Temps)

Entre temps, un groupe de militaires putschistes procède à l’arrestation musclée du Président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, contraint à la démission le 19 août 2020. Le colonel Assimi Goïta, qui fait partie des 5 gradés mutins, prend le dessus sur ses petits camarades à l’occasion d’un second coup d’État, le 24 mai 2021. Il promet alors d’organiser rapidement des élections, en février 2022 au plus tard, mais cette promesse ne sera pas tenue. Son rapprochement avec les forces mercenaires russes du groupe Wagner, celui-là même qui combat en ce moment contre l’armée ukrainienne, finit par obliger la France à replier ses troupes encore engagées dans l’opération Barkhane de maintien de l’ordre.

Le colonel Assimi Goïta, chef de la Transition au Mali, le 21 juin 2022 (source © Présidence du Mali / Jeune Afrique)

Toujours est-il que le colonel Assimi Goïta vient de tomber sur un os avec son projet de constitution qui prônait l’« attachement à la forme républicaine et à la laïcité de l’État » et dans lequel il était prudemment précisé que « la laïcité ne s’oppose pas à la religion et aux croyances. Elle a pour objectif de promouvoir et conforter le vivre-ensemble fondé sur la tolérance, le dialogue et la compréhension mutuelle ». Mais ces termes ont été jugés outrageants par la très chatouilleuse Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique, pour qui la laïcité « est une astuce que les gouvernants utilisent à leur guise pour cadenasser la ou les religions ».

La transition du Mali vers une société démocratique et moderne ne semble donc pas être pour demain, d’autant que les protestations énergiques des imams reçoivent bien évidemment un écho très favorable de la part des mouvements djihadistes désormais bien implantés dans le nord du pays où l’un des proches du chef de la Katiba du Macina vient de diffuser une vidéo qui exhorte la population malienne à se dresser contre l’adoption de cette constitution d’inspiration trop occidentale à son goût. La laïcité à la française a décidément bien du mal à s’exporter hors de nos frontières…

L. V.

Les Chinois aussi s’inquiètent pour la retraite

20 février 2023

En Chine, les manifestations sont excessivement rares. Celles de la place Tiananmen lors du « printemps de Pékin » en 1989 avaient fait forte impression mais s’étaient soldées par une répression féroce de la part des autorités. Le 27 novembre dernier, de nouvelles manifestations ont éclaté à Shangaï, suite à l’incendie d’un immeuble qui a fait 10 morts à Urumqi, dans le Xinjiang, provoquant l’exaspération des populations confrontées à un confinement des plus stricts, destiné à enrayer l’épidémie de Covid-19, au point d’enfermer les habitants à domicile, quitte à restreindre dramatiquement l’arrivée des secours en cas d’incendie…

Manifestation à Pékin en hommage aux victimes de l’incendie d’Urumqi, le 27 novembre 2022 (photo © Thomas Peter / Reuters / Le Monde)

Une réaction populaire assez intense, au point d’entendre sur les quelques vidéos relayées par les réseaux sociaux, des citoyens exaspérés hurler leur mécontentement à l’encontre du Parti communiste chinois et crier des slogans comme : « Xi Jinping, démission ! ». Une première dans un pays où l’opinion publique reste fortement muselée.

Rien de tel bien sûr pour les récentes manifestations dont la presse s’est faite l’écho, le 8 et le 15 février 2023, qui ont rassemblé quelques centaines de personnes seulement, dans les villes de Dalian et de Wuhan. Dans cette dernière, une métropole de 11 millions d’habitants, qui s’est rendue mondialement célèbre pour être le point de départ de l’épidémie planétaire de Covid-19, quelques vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent une poignée de retraités pacifiques bien qu’un peu excités faire face à un cordon d’agents de sécurité devant l’entrée du parc Zhongshan, un lieu populaire de promenade de la ville. La semaine précédente, ils avaient déjà exprimé leur mécontentement et certains d’entre eux avaient été reçus en délégation par les autorités.

Manifestation de retraités à Wuhan contre la baisse des allocations santé, le 15 février 2023 (source © Twitter Pearlher / 20 minutes)

Ces retraités manifestent contre une mesure récente du gouvernement chinois qui vise à réduire le montant des remboursements de prestations d’assurance maladie pour ces retraités, anciens actifs de la fonction publique ou ex-ouvriers d’entreprises d’État. Ces derniers estiment en effet s’être contentés de salaires modestes en espérant une couverture maladie plus généreuse à la retraite et se voient donc floués par ces mesures d’économie du gouvernement chinois qui taille dans les dépenses pour réduire ses déficits sociaux.

Car la question de l’équilibre des retraites ne donne pas seulement des maux de tête à nos dirigeants occidentaux. C’est aussi un casse-tête chinois, dans un pays qui vieillit rapidement et dont les générations ne se renouvellent pas. Avec la politique de l’enfant unique, entrée en vigueur en 1979, la Chine a réussi à réduire drastiquement sa croissance démographique, ce qui lui a permis de mieux nourrir sa population et de l’entraîner dans une spirale de croissance économique spectaculaire, au point de devenir la deuxième puissance économique mondiale derrière les États-Unis.

La famille nucléaire chinoise après 40 ans de politique de l’enfant unique… (photo © XiXinXing / Getty Images / Chinoistips)

Mais la chute de la natalité qui s’en est suivie à conduit les autorités à assouplir leur position. Depuis le 1er janvier 2016, tous les couples chinois sont désormais officiellement autorisés à avoir deux enfants, et même trois depuis le 20 août 2022. Sauf que la croissance démographique ne se décrète pas et que les Chinois sont devenus une société très matérialiste qui considère désormais que les enfants sont une charge qui coûte cher et peut entraver le déroulement de carrière des parents…

Si bien que le taux de fécondité qui été supérieur à 6 enfants par femme dans les années 1970 est désormais l’un des plus bas du monde avec 1,28 enfants par femme, très en dessous de ce qui est nécessaire pour permettre le renouvellement des générations. La Chine a ainsi perdu 850 000 habitants en 2022 ! Du fait de l’augmentation de l’espérance de vie, la part des actifs ne cesse de diminuer et la Chine devrait perdre pas moins de 3 millions d’actifs par an dans les années à venir : une véritable catastrophe pour maintenir un régime de retraite équilibré !

Évolution du taux de fécondité en Chine comparé à ceux du Japon et des États-Unis (source ©  Banque mondiale)

En réalité, nombreux sont les Chinois qui ne bénéficient pas d’une pension de retraite, surtout dans les campagnes. Mais paradoxalement, pour ceux qui jouissent d’une retraite, l’âge de départ à la retraite est resté relativement bas comparativement aux pays occidentaux puisqu’il est de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Assurer un équilibre durable des caisses de retraites dans de telles conditions est une gageure et le gouvernement commence à se faire des cheveux blancs, songeant déjà à augmenter progressivement le départ de l’âge de départ en retraite et à introduire des systèmes de retraite complémentaire par capitalisation.

Vieilles femmes chinoises assises sur un banc de Chongqing, en Chine (photo © Tim Graham / Robert Harding Heritage / France TV Info)

Toute ressemblance avec une situation vécue en France serait bien entendu purement fortuite mais force est de constater que la question de l’équilibre des régimes de retraite constitue finalement un sujet assez universel…

L. V.

Réforme des retraites : une analyse de la CFDT

7 février 2023

Et voilà, c’est reparti ! Comme en 2010, des millions de Français sont dans la rue pour protester contre une nouvelle réforme des retraites, toujours dans le même sens, à savoir l’allongement de la durée de cotisation et le recul de l’âge légal de départ en retraite. Lors de son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait pourtant proposé une approche visant une harmonisation des régimes de retraites basée sur une retraite à points, que certains, y compris parmi les syndicats, jugeaient globalement plus équitable pour les salariés.

Manifestation à Paris le 31 janvier 2023 contre la réforme des retraites (photo © Alain Jocard / AFP / TV5 Monde)

Mais sitôt réélu, le voilà qui affirme que l’urgence est désormais de reculer une nouvelle fois l’âge légal de départ en retraite, à 64 ans. De quoi focaliser l’hostilité de la grande majorité des Français et de tous les syndicats unanimes contre ce retour en arrière. Rappelons au passage, que cet âge légal de départ était fixé à 65 ans jusqu’en 1983, date à laquelle François Mitterrand l’avait réduit à 60 ans, en application de sa promesse de campagne. La réforme mise en œuvre par François Fillon à partir de 2011 a reculé progressivement cet âge jusqu’à 62 ans et le gouvernement veut désormais le faire passer à 64 ans au motif que l’espérance de vie des Français s’est accru et que les régimes de retraite s’annoncent déficitaires à court terme.

De quoi susciter la colère et l’incompréhension d’une majorité de Français et de quoi relancer les mêmes débats qu’en 2010 sur un sujet complexe et pour lequel il est parfois difficile de démêler le vrai du faux tant les positions sont divergentes et parfois quelque peu outrancières. C’est pourquoi on ne peut que saluer ceux qui font effort de pédagogie pour permettre à tout un chacun de s’y retrouver.

Un dessin signé Deligne : il y a toujours quelque chose qui cloche… (source © Reddit)

C’est le cas notamment de cet argumentaire synthétique et percutant diffusé par la CFDT qui non seulement décrypte et réfute les analyses du gouvernement, mais surtout propose des pistes concrètes pour des alternatives jugées plus pertinentes : un document à lire pour mieux comprendre les enjeux de cette réforme et se positionner en toute connaissance de cause !

Ce texte explique notamment pourquoi les conclusions diffèrent quant au besoin de financement supplémentaire que le gouvernement met en avant pour justifier son projet. Personne pourtant ne met en doute les calculs du Conseil d’orientation des retraites qui a fait des projections à court, moyen et long terme, selon différentes hypothèses d’évolution du taux de croissance, du chômage et des choix politiques retenus. Évidemment, les conclusions diffèrent selon les hypothèses retenues !

Pour la réforme des retraites vue de l’Elysée, toutes les idées ne sont pas bonnes à prendre : un dessin signé Hub (source © Hublog)

La CFDT retient pour sa part une hypothèse plutôt pessimiste avec un taux de croissance de 1,3 % (il était de 2,6 % en 2022) et un taux de chômage de 7 %, ce qui correspond, peu ou prou aux chiffres du dernier trimestre 2022 (7,4 %), en baisse tendancielle. Sur cette base, le besoin de financement complémentaire pour assurer le maintien  des niveaux de retraite est somme toute modeste et sans commune mesure avec les prévisions alarmantes qui avaient justifié les réformes précédentes de 2010 et 2014. En France, le coût annuel des retraites pèse environ 345 milliards et le besoin de financement pour équilibrer ce budget dans sa phase la plus critique, à l’horizon 2027, ne dépasse pas 7 milliards. Il faut donc bien trouver de nouvelles recettes, mais globalement cela confirme que notre système de retraite par répartition se porte plutôt bien !

Tout augmente, même en Suisse : un dessin de Georges Chappatte publié dans Le Temps le 14 septembre 2021

Sans surprise, le point de désaccord majeur avec les propositions du gouvernement concerne le report de l’âge de départ en retraite. La CFDT reproche en effet à cette mesure d’être socialement injuste. Elle pénalise de fait les salariés les moins rémunérés et ceux qui ont commencé à travailler tôt, c’est-à-dire dans les deux cas les couches sociales les moins favorisées. Au vu des effets de la réforme Fillon, elle se traduira de fait par une diminution des pensions moyennes pour les salariés les moins payés et une augmentation pour les autres…C’est pourquoi la CFDT plaide plutôt pour un maintien du statu quo mais avec des mesures incitatives qui permettent à ceux qui le souhaitent (et le peuvent) de prolonger leur maintien en activité : une hausse de 10 points du taux d’emploi des séniors, de manière choisie et non contrainte, ramènerait la France au niveau moyen des autres pays européens et suffirait quasiment à combler le déficit de notre régime de retraite !

Un dessin signé Charmag (source © L’Anticapitaliste)

Les autres pistes évoquées comme complémentaires dans ce document de la CFDT pour atteindre cet équilibre budgétaire indispensable au maintien de notre régime de retraite auquel les Français sont si attachés sont de trois ordres et la CFDT suggère de les actionner simultanément. Le premier consiste à faire évoluer les cotisations en redirigeant vers le système de retraite une partie des augmentations salariales à venir et en rétablissant des cotisations patronales pour une meilleure prise en compte de la pénibilité du travail, voire pour compenser l’absence d’effort sur le travail des séniors.

Le second levier concerne le maintien de la participation financière de l’État alors que ce dernier souhaite la réduire drastiquement via notamment une augmentation de la part indemnitaire des fonctionnaires. Ceux-ci perçoivent une rémunération basée d’une part sur une grille indiciaire et d’autre part sur un régime indemnitaire constitué de primes qui peuvent atteindre plus de 40 % de la rémunération globale selon les catégories, mais ne compte pas pour le calcul de la pension de retraite : plus cette part augmente, plus les pensions des fonctionnaires baissent mécaniquement…

Un dessin de Kak, publié dans l’Opinion le 10 janvier 2023

Enfin, le troisième levier évoqué consiste à mobiliser des recettes supplémentaires notamment en supprimant certaines niches fiscales jugées inefficaces voire contre-productives. La CFDT évoque notamment pour cela certaines exonérations sur les heures supplémentaires ou sur les cotisations patronales.

Bref, les alternatives à la réforme proposée par le gouvernement ne manquent pas et il est peut-être encore temps de les explorer avant de mettre le pays entier à feu et à sang en s’arque boutant sur des principes réformistes socialement peu acceptables : espérons que nos responsables politiques auront la sagesse de s’en saisir…

L. V.

Violences conjugales : une nouvelle grille (pain)…

3 décembre 2022

A l’occasion du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, le Département de Savoie a lancé sa campagne d’information sur les violences conjugales, réalisée et co-financée par la Préfecture de la Savoie et par le Centre Départemental de l’Accès au Droit (CDAD) de Savoie. Des sachets destinés à emballer les baguettes de pain ont ainsi été imprimées en 75 000 exemplaires et distribuées, par les brigades de la gendarmerie, dans 137 boulangeries des territoires ruraux de Savoie.

Sachets à pain pour alerter sur les violences faites aux femmes, ici en 2021 à Paris (source © Mairie du 10e arrondissement de Paris)

Sur ces sachets est imprimé d’un côté le violentomètre, qui se présente sous la forme d’une grille d’auto-évaluation comportant 23 questions rapides à se poser, qui permettent de repérer les comportements violents et de mesurer si la relation de couple est saine ou si elle est violente. Imaginé en Amérique latine, cet outil a été adapté en 2018 par l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, en partenariat avec l’Observatoire parisien de lutte contre les violences faites aux femmes et l’association En Avant Toute(s).

Le violentomètre rappelle ce qui relève ou non des violences à travers une graduation colorée décrivant 23 exemples de comportements types qu’un partenaire peut avoir. Les graduations vertes caractérisent une relation saine et celles qui ressortent en orange sont indicatrices de violences qui n’ont pas lieu d’être, voire de situations de danger contre lesquelles se protéger est nécessaire.

Sur l’autre face du sachet à pain, il est rappelé la notion de consentement, à savoir : « le fait de donner son accord de manière consciente, libre et explicite à un moment donné pour une situation précise » et surtout que faire si on est témoin ou victime de violence, comment signaler des violences et infractions sexistes et sexuelles, où trouver de l’aide et à qui s’adresser.

Affiche de sensibilisation de la campagne contre les violences faites aux femmes (source © dossier de presse Préfecture de Savoie)

Une démarche de communication originale et percutante donc, qui de surcroît implique directement les forces de l’ordre avec l’intervention des gendarmes pour la distribution des sachets !

Ces campagnes sont très importantes pour que les femmes prennent conscience qu’elles sont en danger et il y a encore du travail en la matière ! Comme le rappelle Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes : « Il y a un nombre exponentiel de femmes qui contactent des associations débordées. Le gouvernement n’a fait que chiffrer ce qui est déjà sur la table, il n’y a pas de moyens supplémentaires, notamment pour des solutions d’hébergement de qualité ». 

Comment mieux protéger les femmes ? Avoir les moyens de les accompagner et de les mettre en sécurité ? Tout faire pour éviter les féminicides ? C’est la question qui hante depuis des mois, pour ne pas dire des années, les associations. En effet que peut faire une femme qui est partie de chez elle avec ses enfants et qui ne trouve pas de place pour l’accueillir ? Elle ne peut que rentrer chez elle, jusqu’à la prochaine crise !

La Maison des femmes de Saint-Denis (source © Gomet)

On doit souligner tout de même l’ouverture en janvier 2022 de la Maison des femmes à Marseille au sous-sol de l’hôpital de la Conception, et qui doit emménager fin 2023 dans une vaste maison de ville mise à la disposition par le Conseil départemental, rue Saint-Pierre. Cette Maison des femmes a été conçue à l’image de celle de Saint-Denis ouverte en 2016 et qui connait un grand succès. Depuis, 12 autres centres ont suivi et 8 sont en projet.

Cependant en France les féminicides ne sont pas en baisse malgré ces campagnes. Pour Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, les chiffres de 2021 sont « glaçants » : « Malgré les efforts sans précédent engagés par l’État ces cinq dernières années, les féminicides restent à un niveau trop élevé », a-t-elle déclaré auprès de l’AFP. En effet 122 femmes ont perdu la vie en 2021 sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à l’année précédente, selon le bilan des « morts violentes au sein du couple » publié par le Ministère de l’Intérieur. Pour l’année 2022, le collectif #NousToutes a déjà décompté 85 féminicides en date du 21 août, soit en moins de 8 mois.

En Espagne, les féminicides ont diminué de 24 % en moins de 20 ans, ce qui confirme qu’une politique volontariste est payante. Depuis2004, la loi d’État contre les violences conjugales a mis en place un système de droits et d’aides sociales particulières pour les femmes victimes. Le texte a modifié le Code pénal, créé des crimes spécifiques et établi une juridiction spécialisée. 107 des 3 500 tribunaux du pays se consacrent exclusivement aux violences commises par un époux ou un ex-compagnon. En Espagne, il y a 100 fois plus de bracelets anti-rapprochement distribués qu’en France.

Manifestation contre les violences sexistes en Espagne (source © France TV info)

Depuis l’été 2021, le gouvernement travaille sur un tout nouveau concept qui pourrait faire basculer le Code pénal : un projet de loi baptisé « Solo sí es sí » (seul un oui est un oui). L’idée est d’inverser la charge de la preuve. Il reviendra au présumé agresseur de prouver qu’il y a eu consentement s’il veut être acquitté. Et non plus à la victime de prouver qu’elle a refusé l’acte sexuel. Une révolution en droit regardée avec envie par toutes les féministes européennes.

« Les violences envers les femmes sont le symptôme. Mais la maladie vient de la société, de ses préjugés et du système capitaliste », estime Me Serra, (avocat espagnol). « Comment peut-on aider une victime qui a fui son mari et vit dans la rue ? Aujourd’hui, le système capitaliste est poussé à l’extrême. On a une situation sociale toujours plus précarisée, une extrême droite qui banalise les violences : le contexte social ne peut que favoriser les violences envers les femmes. La meilleure formule pour lutter contre elles, c’est une politique sociale globale. Ensuite, on pourra parler de stratégie envers les violences conjugales. » Vaste chantier en perspective, assurément

C. T.

Cercles de Provence : on recycle !

12 octobre 2022

La Salle du Clos Blancheton accueillait le public, ce samedi 8 octobre 2022, pour une conférence intitulée « les Cercles, une sociabilité en Provence », animée par Pierre Chabert, enseignant chercheur et docteur en ethnologie.

En introduction, le Président du Cercle progressiste carnussien, Michel Motré, rappelle : « Notre association est jeune si on la compare aux autres cercles des communes voisines. Ainsi Le Cercle Républicain de Gémenos a fêté ses 150 ans et celui de Roquefort la Bédoule ses 140 ans ! Tous ces cercles constituent des espaces de sociabilité riches d’initiatives citoyennes, de culture et de solidarité. Aujourd’hui, nous vous proposons une conférence qui traite des Cercles et de leur évolution au travers des années.

Pierre Chabert, spécialiste de l’histoire des Cercles de Provence (photo © CPC)

Pour cela, nous avons fait appel à Pierre Chabert qui a retracé l’histoire des cercles en Provence dans un ouvrage publié au Presses Universitaires de Provence paru en 2006. Très récemment, avec l’appui de Pauline Mayer, chargée de mission inventaire du patrimoine immatériel, il a effectué une recherche sur l’évolution de ces chambrettes devenues cercles au travers d’une étude qui privilégie une pratique vivante (humaine). L’enquête se fonde sur des entretiens qui concernent le sud de la région : les Bouches du Rhône, le Var et les Alpes Maritimes. Le diaporama qui recense les différents cercles du territoire Provence verte et Verdon a été réalisé par Pauline Mayer qui nous l’a aimablement transmis pour la conférence. »

Cercle de Brue Auriac dans le Var (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

L’étude des cercles comporte plusieurs facettes : géographique, historique, ethnologique et politique. Pierre Chabert s’attache à développer ces différents aspects en insistant surtout sur les trois premiers points, l’aspect politique diffusant dans les trois.

Les cercles dans l’espace géographique

L’exposé s’interroge sur les raisons pour lesquelles les Cercles se sont développés, en particulier dans notre région entre l’Est du Rhône et l’Ouest du fleuve Var, comment ils ont évolué dans le temps et pourquoi ils se sont implantés dans certains territoires plutôt que sur d’autres. En dehors de ce territoire provençal, les cercles ont quasiment disparu sauf dans les Landes où ce sont essentiellement des assemblées de chasseurs, et en Alsace où l’orientation est plus religieuse.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, au début du XXe siècle (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

C’est en Europe, à partir de l’Italie qui comportait de nombreuses confréries de pénitents, conférant un caractère religieux à ces associations, que les émigrés introduisirent ces structures en France, dans le Sud-Est en particulier. La spécificité religieuse de ces cercles évolua selon des critères liés à l’activité professionnelle, aux intérêts culturels ou aux engagements sociaux comme politiques des populations concernées. Ces Cercles revêtent aussi localement un caractère corporatiste, regroupant des chasseurs, des pêcheurs, ou des employés et ouvriers de l’industrie et du commerce, cela sans oublier les cercles philharmoniques avec leur fanfare traditionnelle.

Les cercles dans l’histoire

Historiquement, les cercles se sont développés dans le cadre de la loi de 1901 sur les Associations, conquête de la politique sociale instituée par la IIIème République qui encadre le mouvement associatif. C’est ainsi que ces cercles se structurent de différentes manières, regroupant notamment des sympathisants de partis politiques de droite ou de gauche, dont les membres étaient soit plutôt des bourgeois, soit plutôt des ouvriers.

Chaque cercle possédait sa marque spécifique, conservant un fond religieux (pratique de la charité) ou optant pour une démarche plus progressiste (création de caisses de solidarité, de coopératives). La vocation restait cependant la même :  créer dans la ville, dans le village ou le quartier, un espace de sociabilité.

Cercle républicain des travailleurs de Roquefort la Bédoule (photo © CPC)

En continuant de remonter dans le temps, notre conférencier, situe avec l’avènement de la IIIème République les clivages constatés, parfois, entre les cercles d’une même localité, tels ceux de notre commune voisine de Roquefort-la-Bédoule avec le cercle dit « blanc » regroupant les notables et grands propriétaires terriens d’une part et d’autre part le Cercle Républicain des Travailleurs dit « rouge », celui des ouvriers et employés des fours à chaux.

Des liens souvent étroits entre coopératives agricoles et cercles : affiche à la Coopérative de Brignoles (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Cette ouverture constituait un progrès à cette époque si on se réfère à la situation précédente car au Second Empire, Napoléon III voyait dans ces assemblées un caractère dangereux pour le pouvoir, au point qu’il en interdit la création. Précédemment existaient en effet des structures de sociabilité informelles appelées « chambrettes ». Elles réunissaient une vingtaine de personnes dans un petit local (chambre, grange…) et avaient un caractère plus ou moins secret. C’est dans ce type d’assemblée que le mouvement de « la libre pensée » s’exprimait notamment au cours du Premier Empire, puis durant la restauration et la monarchie de juillet.

Dans la région, c’est en 1791 que l’on voit apparaître les premiers cercles à Saint Zacharie et au Beausset. Suivront notamment après 1870 la création de cercles républicains dont le nom est marqué par l’histoire : Cercles du 4 septembre 1870, en commémoration de la proclamation de la IIIème République. Auparavant, donc avant la Révolution, les « chambrettes » avaient plutôt une vocation religieuse et étaient tenues par des congrégations soucieuses de développer la pratique de la charité.

Sans remonter à l’époque romaine où existaient déjà des assemblées citoyennes, notons que c’est à la date de 1212 que l’on enregistre la création de la première « commune » par la confrérie du « Saint Esprit », avec pour objectif d’administrer la ville de Marseille. L’importance de cette filiation continue jusqu’à aujourd’hui, en effet de célèbres édiles de la ville de Marseille furent issue du « Cercle catholique de Mazargues » ou de celui de « la Renaissance de Sainte-Marguerite ».

Les cercles, quelques approches ethnologiques

Pour revenir à la période de prospérité des cercles que fut celle de la IIIème République et jusqu’au début de la seconde partie du XXème siècle, ces cercles ont eu pour vocation de regrouper essentiellement des hommes, cela dans l’esprit de l’époque, peu ouverte à l’émancipation des femmes. Ils regroupaient principalement des salariés autour des emplois fournis par les industries locales des tuileries, des chantiers navals à La Ciotat ou des mines de lignite autour de Gardanne. Initialement, pour y être admis il fallait être parrainé et les demandes d’adhésion faisaient l’objet d’un examen où la valeur de la moralité du candidat était prise en compte. Cela donnait droit à une carte de membre, qui pouvait se transmettre au sein d’une même famille.

Cercle philharmonique de Saint-Maximin-La Sainte-Baume dans le Var, actuellement (photo © Pauline Mayer / Provence Verte et Verdon)

Ces cercles étaient le reflet de la société en modèle réduit, parfois politisés, mais recherchant essentiellement à développer la convivialité entre ses membres, proposer des activités culturelles (bibliothèque, fanfare musicale), gérer une coopérative ou une épicerie solidaire.

Les cercles pouvaient être propriétaires (par souscription) ou locataires des locaux qu’ils aménageaient souvent comme un second « chez soi » en les décorant avec des tableaux, des photos et autres objets dont une Marianne dans les cercles républicains. Les cercles étaient souvent « l’antichambre » de la mairie pour les prétendants à la fonction de premier magistrat de la commune. La réussite de l’organisation de fêtes et autres banquets républicains étaient le gage d’un succès d’estime auprès des populations. Cela suscitait aussi la rivalité entre cercles de tendances politiques différentes ou entre communes voisines avec des identités marquées.

Conclusion débat sur l’avenir des cercles

Au terme de son exposé et au cours des échanges qui suivirent avec le public Pierre Chabert a montré que le mode de vie actuel, l’organisation de la société, les comportements individuels ont entraîné un déclin de l’activité des cercles, voire leur disparition à l’exception de la partie Est de la Provence. La distance entre le domicile et le lieu de travail s’est considérablement allongée et les liens de voisinage s’affaiblissent. De plus, la concurrence des réseaux sociaux ne fait qu’accentuer l’individualisme au profit d’autres modes de communications et d’accès à la culture.

Une assistance passionnée pour cette conférence de Pierre Chabert (photo © CPC)

A ce bilan s’ajoute que parfois ces lieux ne sont pas reconnus pour leur apport à la culture populaire voire qu’ils sont soupçonnés d’être trop « politisés », alors même que le terme politique renvoie justement à la vie de la cité. Aujourd’hui subsistent des cercles qui doivent leur survie à l’engagement de leurs membres et de leurs dirigeants, souvent retraités, dont la composition se féminise, ouvrant de nouvelles voies de renouveau pour perpétuer et développer ces lieux d’échanges participatifs.

C’est le cas du Cercle Progressiste Carnussien qui en plus de ses réunions mensuelles, édite un journal distribué à toute la population et publie des articles sur un blog, propose un club de lecture (« Katulu ? ») et participe à des actions caritatives. Sans se comparer aux cercles centenaires de communes voisines, nous souhaitons qu’il perdure au profit de cette sociabilité locale provençale héritière de la « romanité » antique.

C’est autour d’un verre d’apéritif, offert par le Cercle, que la conférence prit fin tout en continuant les échanges entre le public et notre brillant conférencier auquel nous adressons nos plus vifs remerciements.

C.M.

Les Français, ignares en matière de changement climatique ?

27 août 2022

En matière de politique publique, l’adhésion des populations est un point essentiel, surtout dans un pays comme la France qui se targue de démocratie et où la mauvaise humeur du peuple a plus d’une fois conduit nos responsables politiques à une piteuse reculade, voire à une fuite éperdue lorsque la révolte devenait trop violente…La crise des gilets jaunes, fin 2018, tout comme celle des bonnets rouges en 2013, sont là pour nous rappeler que l’esprit insurrectionnel n’est jamais très loin lorsque le gouvernement s’attaque à certains sujets qui fâchent.

Manifestation des Gilets Jaunes à Paris le 1er décembre 2018 (photo © AFP / La Dépêche)

C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique l’extrême prudence de nos dirigeants, voire leur frilosité que beaucoup jugent excessive, à imposer des mesures qui permettraient de lutter plus efficacement contre l’aggravation du changement climatique et ceci malgré l’urgence de la situation. L’été 2022, comme plusieurs autres ces dernières années, vient pourtant encore nous rappeler que le réchauffement climatique global n’est pas qu’une lubie de spécialiste mais a des effets désormais bien visibles sur notre vie quotidienne.

En juin 2020, la Convention citoyenne pour le climat, composée de 150 personnes tirées au sort dans un échantillon représentatif de la population française, avait mené à bien un travail intense de débats et de réflexion et établi une série de 149 propositions de bon sens, destinées à adapter nos modes de consommation, de production, de déplacement, de nourriture et de logement, en vue de limiter notre impact climatique et se donner une chance de ne pas trop dépasser les seuils au-delà duquel on sait d’ores et déjà que le réchauffement global risque de conduire au chaos généralisé.

Intervention d’Emmanuel Macron lors de la Convention citoyenne pour le climat (photo © Lemouton / SIPA / 20 minutes)

Mais le gouvernement, qui s’était engagé à ce que ces propositions soient soumisse « sans filtre » à adoption directe ou à référendum, s’est bien vite empressé de remiser ce brûlot au fond d’un placard, estimant manifestement que l’opinion publique n’était pas prête à mettre en œuvre des mesures pourtant identifiées comme nécessaires par un groupe de citoyen lambda pour peu qu’il prenne la peine de creuser un minimum le sujet.

De fait, une étude récente, publiée le 27 juin 2022 par l’OCDE, vient conforter cette impression que la population française dans son ensemble est loin d’être convaincue par la nécessité de prendre des mesures volontaristes pour tenter de réduire enfin nos émissions de gaz à effet de serre. Certes, les pseudo-scientifiques climato-sceptiques à la Claude Allègre ont désormais quasiment disparu du paysage médiatique et les médias eux-mêmes peuvent difficilement se voir reproché de ne pas en faire assez sur le problème de la perte de biodiversité et sur les effets délétères du changement climatique.

Comment concilier politiques climatiques et justice sociale ? Un dessin signé Notto

Cette vaste enquête de l’OCDE a été menée auprès de plus de 40 000 citoyens du monde entier, issus de 20 pays différents, les plus concernés puisque émettant à eux seuls de l’ordre de 72 % des gaz à effet de serre de la planète. Et ses résultats sont assez consternant pour les Français qui se classent parmi les plus climato-sceptiques, au-delà même des États-Unis ou de l’Australie. Malgré tout le battage médiatique auquel nous sommes soumis, seule une petite moitié des Français (57 %) se dit effectivement persuadée de l’existence d’un lien entre le réchauffement climatique observé et l’activité humaine ! Pire encore, 12 % des Français se disent même convaincus que le réchauffement climatique est une pure chimère… Par comparaison, 84 % des Chinois et des Japonais ont parfaitement intégré ce lien entre activité humaine et changement climatique, de même que 80 % des Espagnols et des Anglais. En France, manifestement, la vulgarisation des sujets scientifiques a encore des marges de progression…

Selon cette enquête, plus de 80 % des Français ont bien intégré que le réchauffement climatique allait se traduire par une aggravation des périodes de sécheresse et une montée du niveau de la mer, même si cette proportion est plutôt de l’ordre de 90 % dans bon nombre de pays, voire supérieure en Indonésie par exemple. Mais curieusement ils ne sont pas moins de 63 % à penser que ce changement climatique est lié à des éruptions volcaniques plus fréquentes ! Force est de constater que la plupart des Danois, des Allemands ou même des Sud Coréens sont, ce ce point de vue, nettement moins crédules que nous…

Des stratégies personnelles liées à une mauvaise compréhension des mécanismes du changement climatique… Un dessin signé Wingz

Quant à déterminer les facteurs qui permettent de caractériser la source des gaz à effets de serre (GES) responsable de ce changement climatique, les Français sont systématiquement ceux des pays développés qui fournissent le plus fort taux de mauvaises réponses. Ainsi ils ne sont que 72 % à avoir intégré que produire de la viande de bœuf émet davantage de GES que produire des pâtes ou du poulet. Seuls 62 % des Français interrogés sont en capacité d’affirmer que l’empreinte environnementale de l’avion est supérieur à celle du train ou du bus. Et seuls 50 % ont compris que l’émission de GES de l’énergie nucléaire était inférieure à celle du gaz ou du charbon : étonnant dans un pays champion du monde du recours à l’électricité d’origine nucléaire et dont le gouvernement se bat pour tenter d’imposer cette réalité à ses voisins européens…

Dans un autre registre, un Français sur deux ignore que les USA sont le pays du monde qui émet le plus de GES par tête d’habitant et 40 % d’entre eux ne savent pas que c’est la Chine qui est le plus gros émetteur mondial de GES. Un niveau d’information aussi faible sur un sujet dont on nous rebat pourtant les oreilles à longueur de journée interroge de fait sur la capacité de notre pays à prendre les décisions qui s’imposent en la matière et surtout à les faire accepter par l’opinion publique. Nombre de scientifiques se sont d’ailleurs émus de ce constat, parmi lesquels François Gemenne, spécialiste des questions de migrations environnementales et climatique qui déplore qu’en France, la science soit devenue « affaire de croyance et d’opinion politique, ce qui est dramatique pour la démocratie ».

Toute l’ambiguïté de la lutte contre le changement climatique, un dessin d’Alexandre Magnin

Pas très rassurant en effet quant à l’acceptation collective de politiques publiques plus volontaristes en matière environnementale, d’autant que, sur ce point, les Français rejoignent les autres, comme le souligne l’OCDE qui constate que « dans tous les pays, le soutien aux politiques climatiques dépend des perceptions des citoyens concernant trois facteurs clés : l’efficacité perçue des politiques en matière de réduction des émissions, leur impact distributif présumé sur les ménages à faibles revenus (préoccupations en matière d’inégalité), et leur impact direct anticipé (gains et pertes) sur le revenu disponible du ménage ». Autrement dit, chacun est d’accord pour s’investir mais à condition que cela soit efficace, que l’effort soit équitablement réparti et que les conséquences sur son pouvoir d’achat et son niveau de confort personnel soit minimes. Une équation pas si facile à résoudre…

L. V.

Droit à l’avortement : la menace américaine

8 juillet 2022

Le droit des femmes à l’avortement est un long combat qui s’est toujours heurté au conservatisme et au fondamentalisme religieux, qu’il soit catholique, protestant, orthodoxe, juif ou musulman… Aux États-Unis d’Amérique, pays conservateur par excellence, l’avortement était interdit partout en 1973, jusqu’à la publication de ce fameux arrêt Roe vs Wade, rendu par la Cour suprême, avec l’accord de sept des neuf juges qui la composaient à l’époque.

Un dessin signé de l’Algérien Dilem (source © Cartooning for Peace)

Jane Roe était une jeune Texane de 21 ans qui souhaitait avorter de son troisième enfant après avoir abandonné le précédent et qui avait donc engagé une procédure judiciaire pour cela, l’interruption volontaire de grossesse étant alors totalement illégale et quasi impossible aux USA. Après trois ans de bataille judiciaire acharnée contre l’État du Texas, représenté par l’avocat Henry Wade, la Cour suprême avait donc tranché le 22 janvier 1973, en reconnaissant que le 14e amendement de la Constitution américaine garantissait un droit des femmes à avorter et que les États ne pouvait pas les en priver.

Depuis, la même Cour avait précisé, en 1992, que ce droit était valable tant que le fœtus n’est pas considéré comme « viable », soit jusqu’à 22 à 24 semaines de grossesse. Mais malgré cet arrêt, le droit à l’avortement aux USA reste fragile et soumis à de multiples attaques de la part des lobbies fondamentalistes. Le 1er septembre 2021, le Texas a ainsi adopté une nouvelle loi qui interdit l’IVG quatre semaines après la fécondation, et ceci même en cas d’inceste ou de viol. A ce jour, ce sont pas moins de 31 États sur les 50 que compte les USA qui ont ainsi introduit des propositions de lois restreignant le droit à l’avortement.

Un dessin signé Large (source © Twitter)

Et voila que le 3 mai 2022, une fuite délibérée a révélé que la Cour suprême était en train de concocter une décision remettant en cause ce fameux arrêt de 1973 et laissant chaque État décider de sa position en matière de droit à l’avortement. Une décision qui a finalement été confirmée le 24 juin dernier, votée par cinq des neufs juges, dont le fameux juge Clarence Thomas, 74 ans, nommé à ce poste en 1991 par Georges W. Bush, et qui ne cache pas sa volonté de revoir toutes les jurisprudences un tant soit peu libérales, y compris celles autorisant les rapports entre personnes du même sexe. Son collègue, Samuel Alito, également nommé par Bush, l’a rejoint dans cette décision, de même que les trois juges nommés par Donald Trump, à savoir l’ultra religieuse Amy Coney Barett, le conservateur Neil Gorsuch et le juge Brett Kavanaugh, lui-même accusé d’agression sexuelle. Le président de la Cour suprême, John Roberts, ne les a pas suivis mais avait lui-même approuvé une loi du Mississippi, interdisant l’avortement au-delà de 15 semaines…

Le président des États-Unis, Joe Biden, en visioconférence le 1er juillet 2022 avec des gouverneurs après la décision de la Cour suprême révoquant le droit à l’avortement (photo © Tom Brenner / Reuters / RFI)

Cette offensive conservatrice contre le droit des femmes à disposer de leur corps a bien entendu déclenché de nombreuses protestations indignées. Le président Joe Biden lui-même a dénoncé sans équivoque cette « décision terrible et extrême » qui « chamboulera des vies », tout en reconnaissant son impuissance, dans le rapport de forces actuel, à s’y opposer faute de majorité progressiste suffisante au Sénat et à la Chambre des représentants. Il appelle d’ailleurs ses compatriotes à profiter des élections de mid-term qui se profilent en novembre prochain, pour conforter sa majorité et lui permettre de revenir sur cette décision.

En attendant, trois nouveaux États se sont déjà appuyés sur l’arrêt du 24 juin pour interdire l’avortement et 19 avaient déjà anticipé la décision des juges suprêmes. On estime désormais que plus de la moitié des États, principalement dans le sud et le centre du pays, le plus conservateur, devraient restreindre fortement le droit à l’IVG à très court terme. Pourtant, l’on considère qu’environ 25 % des femmes américaines ont eu recours un jour à l’avortement et que un million d’entre elles en bénéficie chaque année pour différentes raisons, suite à un viol, à une grossesse non désirée ou pour des raisons de pathologie.

Un dessin de Chapatte, publié dans le Canard enchaîné

Il est donc étonnant qu’il puisse ainsi se dégager une telle majorité politique pour imposer à ces femmes des conditions qui vont totalement à l’encontre de leur souhait le plus profond, et ceci pour des raisons purement idéologiques voire strictement religieuses. A l’instar d’autres nations, les États-Unis d’Amérique, malgré leur long attachement à un parcours démocratique, libéral et progressiste, ont bien du mal à lutter contre ces vieux démons du fondamentalisme le plus obtus et le plus rétrograde qui constitue une menace permanente contre les avancées, même les plus intimes, de la société humaine. Et tout laisse à penser que d’autres pays ne sont pas à l’abri d’un tel risque de retour en arrière : «Rien n’est jamais acquis à l’Homme… » rappelait le poète !

L. V.