Demain, du plastique aux algues ?

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Après une chute des prix spectaculaire en avril 2020, en plein confinement liée à la pandémie de Covid 19 qui avait mis à l’arrêt toute l’économie mondiale, le prix du pétrole atteint de nouveau des sommets, alimenté par la folie spéculative des traders déboussolés, alors même que la Russie continue ses exportations. Mais cette hausse obéit malgré à une logique impitoyable, liée au fait que les réserves de pétrole et de gaz les plus facilement exploitables commencent à s’épuiser après presque 2 siècles d’extraction industrielle.

Depuis les années 2007-2008, la production de pétrole conventionnel est en déclin et la plupart des grands pays producteurs de pétrole ont passé leur pic de production. C’est le cas notamment de la Russie mais aussi de l’Arabie Saoudite dont le gisement de Ghawar, le plus grand de la planète a dépassé son pic, de même que celui de Burgan au Koweit ou celui de Cantarell au Mexique. Un peu partout dans le monde, en Afrique comme au Moyen-Orient ou en Mer du Nord, la production pétrolière amorce un lent déclin, bien que pour l’instant plus que largement compensé par l’essor des schistes et sables bitumineux aux États-Unis et Canada, malgré le coût et les ravages environnementaux d’une telle exploitation.

Exploitation des sables bitumineux dans l’Alberta, au Canada (photo © Greenpeace / REZAC / Futura-Sciences)

Dans ce contexte, l’industrie pétrochimique qui depuis un siècle nous fournit abondamment en plastiques de toute sorte dérivés de produits pétroliers, commence à s’intéresser à d’autres matières premières. Et l’on voit ainsi fleurir, un peu partout, les recherches plus ou moins opérationnelles pour fabriquer le plastique de demain à partir de matériaux différents, dont les algues, ce végétal miracle dont on ne finit pas de découvrir les vertus : tour à tout utilisé comme engrais, comme ressource alimentaire, comme cosmétique et désormais comme absorbeur de gaz à effet de serre, mais aussi demain peut-être pour produire des carburants, de l’asphalte, voire des objets du quotidien en plastique.

Usine pétrochimique de production de polyéthylène à Singapour (photo © Exxonmobil / PlastEurope)

En France, c’est d’ailleurs, parmi bien d’autres, une entreprise bretonne qui est en pointe dans ce domaine, sous l’impulsion d’un jeune entrepreneur, Rémy Lucas, ingénieur plasturgiste, dont les grands-parent justement ramassaient le goémon sur les plages du Finistère nord, pour en faire de l’amendement agricole alors très prisé localement, mais qui était aussi brûlé dans des fours pour la production de soude. En 2010, cet ingénieur crée la société Algopack qui a développé, en collaboration avec le Centre d’études et de valorisation des algues et la Station biologique de Roscoff, un process innovant pour fabriquer du plastique à partir de ces mêmes algues brunes.

Rémy Lucas, fondateur de la société Algopack, avec des mugs fabriqués en plastique à base d’algues (photo © Isabelle Lê / Ouest France)

Déshydratées et broyées, les algues se transforment en petits agrégats qui servent de matière première pour fabriquer un plastique utilisé aussi bien pour réaliser des films alimentaires que des clés USB, des montures de lunettes, des jouets de plage ou des pots de fleurs biodégradables. L’approvisionnement se fait aussi par recyclage des sous-produits de l’industrie cosmétique, elle-même très friande d’algues, et des recherches sont en cours pour tenter d’utiliser également les immenses accumulations d’algues brunes de la Mer des Sargasses qui connaissent un développement exponentiel sous l’effet du réchauffement climatique et viennent perturber l’activité touristique dans les Antilles.

Ramassage d’algues brunes échouées sur la plage de Sainte-Anne en Guadeloupe (photo © Emmanuel Lelaidier / MaxPPP / La Croix)

Mais bien d’autres acteurs industriels se lancent dans cette filière manifestement prometteuse, non seulement pour remplacer à l’avenir le recours au dérivés pétroliers de plus en plus difficiles à extraire, mais aussi pour réduire l’impact écologique catastrophique des rejets de plastique non dégradable qui polluent désormais la planète entière et que l’on retrouve de plus en plus fréquemment dans le ventre même des poissons et de la faune marine. On estime en effet que chaque seconde, pas moins de 500 kg de plastique finissent d’une manière ou d’une autre dans les océans qui sont ainsi le réceptacle de 10 % de la production mondiale de plastique : une horreur !

Autour de l’étang de Berre, c’est encore une autre motivation qui s’ajoute à cette volonté de développer un plastique moins dangereux pour l’environnement. Il s’agit en effet de trouver un débouché industriel aux accumulations d’algues vertes qui, à certaines périodes de l’année et comme sur les plages bretonnes, viennent s’échouer en énormes quantités sur les rives de l’étang et de son voisin, le Bolmon, sous l’effet de l’eutrophisation des eaux enrichies pas les nitrates et les phosphates des eaux d’assainissement qui s’y déversent. Malgré l’organisation de campagnes de ramassage mécanique avec des engins allant jusqu’à moissonner les algues sous l’eau, l’invasion est incontrôlable et ces algues échouées, en se putréfiant, dégagent des gaz toxiques pour les animaux et même l’homme.

Échouage d’ulves, les algues vertes, sur la presqu’île du Jaï en bordure de l’étang de Bolmon (source © GIPREB)

C’est la raison pour laquelle la société Eranova vient d’implanter un démonstrateur pré-industriel à Port-Saint-Louis-du-Rhône, inauguré le 18 février 2022 sur un vaste espace de 1,3 ha pour caler un processus industriel visant à valoriser ces algues vertes comme matière première pour la réalisation d’une résine plastique multiusage destinée à fabriquer aussi bien des sacs poubelles que des emballages alimentaires biodégradables ou des plateaux repas.

L’idée n’est pas neuve puisque cette implantation fait suite à une expérimentation de grande ampleur conduite à Palavas-les-Flots avec l’IFREMER par Philippe Lavoisier et Philippe Michon, les deux cofondateurs de la société Eranova. Le procédé ainsi développé et désormais breveté consiste à faire croître des algues en les affamant, de sorte à réduire leur teneur en protéine et augmenter leur production d’amidon, ce qui permet d’obtenir une matière première nettement plus riche en amidon que le blé ou le maïs classiquement utilisés pour la production de bioplastiques, après extraction du sucre et polymérisation. Ceci confère à ce plastique des caractéristiques mécanique très supérieures.

Vue aérienne de l’usine Eranova implantée à Port-Saint-Louis-du-Rhône (photo © Eranova / GoMet)

Un tel procédé repose donc sur la culture d’algues à grande échelle, dans de vastes bassins, l’apport des algues échouées sur les rives de l’étang de Berre comme sur les plages bretonnes, n’étant qu’une motivation supplémentaire. En tout cas, le procédé est suffisamment innovant et prometteur pour avoir permis de drainer de nombreux soutiens financiers publics et privés, de la Région PACA ou de l’ADEME comme de Total énergies : si même les pétroliers s’intéressent à un tel procédé qui les concurrence directement, c’est qu’il doit certainement être intéressant…

L. V.

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Une Réponse to “Demain, du plastique aux algues ?”

  1. Tickets de caisse : de qui se moque-t-on ? | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] de l’agro-alimentaire de développer des emballages sans plastique, de quoi relancer une filière industrielle innovante avec même des capacités d’exportation à la clé : un programme autrement plus ambitieux que […]

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