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Un 1er avril tout feu tout flamme

7 avril 2024

En ces temps de crise et d’austérité, la tradition potache du poisson d’avril aurait presque tendance à disparaître, comme si rire était devenu incongru dans un monde où l’on ne parle plus que conflits sanglants, menaces sur la démocratie, crise économique, perte massive de biodiversité et risque climatique majeur. Il faut dire aussi que certains sont devenus particulièrement chatouilleux et n’hésitent pas à porter plainte pour un simple gag de poisson d’avril ou, pire, à dégainer la kalachnikov pour se venger d’un dessinateur de presse trop incisif…

Le poisson d’avril, source d’inspiration d’innombrables cartes postales (source © Carte postale ancienne / Delcampe)

Et pourtant, certains restent fidèles à la tradition qui remonterait, dit-on, à l’époque de Charles IX qui décida, en 1564, de fixer définitivement le 1er jour de l’année au 1er janvier, ce qui donna l’occasion de se moquer de ceux qui continuaient de la fêter le 1er avril. En réalité, ce rite du poisson d’avril que l’on accroche dans le dos du voisin et des autres blagues potaches que l’on se permet de faire à cette date est, comme souvent, le fruit de traditions multiples qui se télescopent et ont fini par se cristalliser, y compris, peut-être depuis la plus lointaine Antiquité puisque les Grecs dédiait le 1er avril, 12 jours après l’équinoxe de printemps, au dieu du rire, ce qui leur donnait l’occasion de se faire quelques petites farces bien troussées… Une tradition d’ailleurs reprise par nos ancêtres les Romains qui avaient instauré la fête des Hilaria, plutôt le 25 mars, en l’honneur de Cybèle et du retour du printemps, et se permettaient ce jour-là quelques plaisanteries plus ou moins satiriques.

Toujours est-il que cette année encore les médias se sont fait l’écho de nombreuses fausses informations plus ou moins saugrenues publiées à l’occasion du 1er avril, à l’image de celle-ci repérée par France 3 sur le site Facebook de l’office de tourisme Esterel-Côte d’Azur qui annonce sans rire l’implantation d’une nouvelle espèce animale sur les rochers rouges de l’Esterel, en l’occurrence un petit macaque asiatique que l’on voit, sur plusieurs photos, se balader tranquillement dans les pins qui surplombe les rivages de la Côte d’Azur. De quoi susciter quelques commentaires sarcastiques de la part de visiteurs qui observent que de tels spécimens pullulent déjà sur le littoral varois en période estivale…

La biodiversité se renforce sur les pentes de l’Esterel : une nouvelle espèce est arrivée en ce 1er avril… (source © Facebook Office tourisme Esterel Côte d’Azur)

Marsactu n’est pas en reste, lui qui s’est fait l’écho d’un supposé rapport confidentiel que l’amiral Lionel Mathieu, commandant le bataillon des marins-pompiers de Marseille, aurait remis à Benoît Payan, à l’aube de l’inauguration de la marina du Prado, destinée à accueillir les prochains jeux olympiques. Un rapport explosif puisque l’amiral y évoquerait le risque excessif lié à l’arrivée par bateau de la flamme olympique, à bord du fameux Belem, le 8 mai prochain. Il est bien connu que les marins se méfient comme la peste du feu à bord des navires et l’avertissement ne manque pas de crédibilité dans une ville encore marquée par l’incendie dramatique des Nouvelles Galeries, sur la Canebière, le 28 octobre 1938, qui fit au moins 73 victimes et conduisit le gouvernement à placer la ville sous tutelle…

La flamme olympique, jugée trop inflammable par les experts des marins-pompiers de Marseille ? (source © Marsactu)

Selon Marsactu, l’adjoint au maire en charge de la sécurité, Yannick Ohanessian, qui, comme de bien entendu, ne mégote pas avec les risques d’incendie, sitôt alerté par les craintes des marins-pompiers, plancherait déjà sur une solution de repli et imagine proposer au Comité olympique de remplacer le flambeau traditionnel par une version numérique, déclarant au journaliste de Marsactu : « J’ai installé chez moi une fausse cheminée murale, tous mes amis me disent qu’on n’y voit que du feu ». Voilà un sujet qui risque en tout cas d’enflammer les esprits et de mettre de l’huile sur le feu dans un contexte politique local déjà brûlant…

Alors que la bataille fait déjà rage entre les ténors politiques marseillais, Martine Vassal et Renaud Muselier tirant quotidiennement à boulet rouges et pour le moindre prétexte contre le maire en exercice, Benoît Payan, tandis que la Secrétaire d’État en charge de la ville et de la citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, qui se présente comme « ministre de Marseille » ne rate pas une occasion de rappeler qu’elle a de hautes ambitions pour les prochaines municipales de 2026, voilà que ce 1er avril 2024 a fait surgir de nouvelles affiches électorales pour cette même échéance…

Nicolas Pagnol, déjà en lice pour les prochaines municipales à Marseille ? (source © La Provence)

Des affiches en bonne et due forme, sur fond de Vieux-Port avec l’hôtel de ville en ligne de mire, en faveur de Nicolas Pagnol, le petit fils de l’écrivain et cinéaste provençal. De fait, celui-ci ne décolère pas depuis qu’il a été évincé de la délégation de service publique pour la gestion du château de la Buzine. Ses propos acerbes à l’encontre de la municipalité marseillaise rendent de fait assez crédible un tel engagement de sa part sous une bannière elle-même très offensive puisque le slogan « Nous tous Marseille » est directement inspiré du nom du groupe de rap de Joeytstarr, NTM, et l’on sent bien que cette insulte des quartiers populaires est bien présente à l’esprit de Nicolas Pagnol lorsque ce dernier évoque le maire actuel de Marseille…  

Dans un tout autre registre, La Provence évoque également, parmi les canulars du 1er avril 2024, une annonce assez extraordinaire de la RTM qui indique, sur son compte Instagram : « Ce soir, un phénomène d’une importance rare est annoncé ! ». De quoi faire jaser la journaliste du quotidien régional qui grince : « Une rame de métro qui arrive à l’heure ? N’exagérons pas. Il s’agit d’un événement bien plus habituel : l’observation d’aurores boréales dans le ciel marseillais… ».

Réchauffement climatique ou pas, la RTM annonce des aurores boréales dans le ciel de Marseille (source © compte Instagram RTM)

Avec le dérèglement climatique global auquel on assiste, personne ne sera bientôt plus étonné de voir de tels phénomènes au-dessus de Notre-Dame de la Garde. C’est d’ailleurs précisément pour sensibiliser aux effets du changement climatique que l’artiste suisse Dan Acher avait créé en septembre 2022 une simulation d’aurore boréale dans le ciel marseillais, au-dessus des jardins du palais Longchamp. Une installation artistique impressionnante et qui a manifestement marqué les esprits des chargés de communication de la RTM, manifestement plus à l’aise pour inventer des canulars que pour répondre aux plaintes des usagers de son réseau de transport en commun exposé à des dysfonctionnements quotidiens !

L. V.

Aux grands hommes, Carcassonne reconnaissante…

4 mars 2024

Il n’y a pas qu’à Carnoux que les voisins sont vigilants. A Carcassonne, un riverain s’est étonné de la pose récente par la municipalité de deux nouvelles plaques orgueilleusement signées du logo prestigieux « Carcassonne – Patrimoine mondial » pour indiquer le nom de l’avenue Pierre Curie, une perpendiculaire à la RN 113, laquelle traverse la ville de part en part. L’un de ces deux nouveaux panneaux a d’ailleurs été mis en place pour remplacer l’ancien, jugé trop vétuste. Sauf que sur ces deux nouveaux panneaux installés par des agents municipaux, le nom du grand physicien français est orthographié de manière assez exotique « Pierre Curry ».

Une plaque de rue manifestement mal orthographiée à Carcassonne (source © Capture d’écran Facebook – Thierry Raynaud)

Notre voisin vigilant s’en est étonné et a signalé l’erreur sur son compte Facebook, déclenchant immédiatement une bronca des journalistes locaux toujours à l’affut d’une belle boulette. Contacté le samedi 24 février dans l’après-midi, le cabinet du maire indiquait ne pas être au courant. Mais dès 16h30, des agents des services techniques communaux étaient mobilisés, en dehors même des heures ouvrées, pour s’empresser de démonter les deux panneaux litigieux. Ce qui n’a cependant pas empêché la commune d’être la risée de tous les médias qui font depuis leurs gorges chaudes de ce petit loupé administratif.

Sans compter les réseaux sociaux qui s’en donnent à cœur joie, telle cette internaute qui réagit ainsi à la photo publiée sur Facebook : « C’est épicé : ça pique les yeux ! », tandis qu’un autre s’amuse : « Et Marie Basmati, alors ? »

Le curry, un mélange d’épices inventé par les colons britanniques de la Compagnie des Indes et qui agrémente largement la cuisine du sous-continent indien et très au-delà… (photo © Divya Kudua / Flickr)

Les services techniques de la Ville de Carcassonne ne sortent certes pas grandis de ce petit loupé peu glorieux qui laisse entendre que le recrutement de ses agents gagnerait à être plus exigeant en matière de maîtrise de la culture générale. Il est vrai que le physicien Pierre Curie, pas plus d’ailleurs que son homonyme culinaire qui désigne de multiples préparations épicées issues plutôt du sous-continent indien, n’est pas connu pour ses attaches locales dans le Carcassonnais. Né à Paris en 1859, il est décédé dans la même ville en 1906, d’un banal accident de la circulation, heurté malencontreusement par un camion hippomobile en voulant traverser la rue Dauphine.

Pierre et Marie Curie dans leur laboratoire à l’EMPCI, vers 1898 (source © Musée Curie coll. ACJC / Cote MCP80.02 / Université Paris sciences et lettres)

Alors responsable du laboratoire de physique de l’École municipale de physique et de chimie industrielle de la Ville de Paris, il épouse en 1895 une jeune thésarde polonaise qui ne s’appelait pas Marie Basmati mais Maria Sklodowska. Il abandonne alors ses brillantes recherches sur le magnétisme et travaille dès lors avec son épouse sur la radioactivité, l’aidant à traiter un stock d’une tonne de pechblende issu de Bohème, ce qui leur permet d’annoncer en 1898 la découverte de deux nouveaux éléments radioactifs, le polonium et le radium. Pierre Curie sera ainsi le premier à découvrir les potentialités de l’énergie nucléaire et à caractériser les différents rayonnements nucléaires.

En 1903, Pierre et Marie Curie reçoivent conjointement et avec Henri Becquerel, le prix Nobel de physique pour avoir réussi à déterminer la masse atomique du radium. Sa disparition tragique et brutale, alors qu’il venait d’être élu membre de l’Académie des Sciences en 1905, n’empêchera pas son épouse de poursuivre leurs recherches et de recevoir en 1911 un second prix Nobel, en chimie cette fois, pour sa découverte du polonium et du radium.

Marie Curie dans le laboratoire de la rue Cuvier vers 1913 (source © Henri Manuel / Musée Curie – coll. ACJC / Le journal du CNRS)

Elle codirige le nouvel institut du radium qui ouvre ses portes en 1914 rue d’Ulm et qui porte depuis son nom, et se mobilise avec toute son équipe durant la Première guerre mondiale en concevant des unités chirurgicales mobiles passées à la postérité sous le nom de « petites Curies ». Après la guerre, la découverte des vertus thérapeutiques du radium dans le traitement contre le cancer vaut à son institut une renommée mondiale. Atteinte de leucémie, elle meurt en 1934 mais sa fille, Irène Joliot-Curie reprend le flambeau et recevra en 1935 à son tour le prix Nobel de physique avec son mari, Frédéric Joliot, pour leurs travaux sur la radioactivité. Pierre et Marie Curie reposent depuis 1995 au Panthéon.

Une renommée mondiale incontestable donc, mais qui n’est manifestement pas arrivée aux oreilles de certains employés municipaux de la bonne ville de Carcassonne, probablement plus portés sur les vertus gustatives de la cuisine orientale : chacun ses centres d’intérêt !

L. V.

Le rire est le propre de l’Homme, quoique…

23 janvier 2024

La formule est bien connue de tous les bacheliers depuis que le médecin François Rabelais l’a affirmé dans le prologue de Gargantua, publié dans le mitant du XVIe siècle sous son pseudonyme transparent d’Alcofribas Nasier : « le rire est le propre de l’homme ». Une manière pour lui de bien préciser que son histoire de « la vie très honorifique du grand Gargantua, père de Pantagruel » est avant tout un roman comique, plein de verve et de truculence, digne de l’esprit potache d’un ancien carabin, mais dont le ton débridé et souvent outrancier des « propos torcheculatifs » cache bien des réflexions plus profondes par exemple sur les principes d’écoute, d’ouverture et d’équilibre dans les approches éducatives, ou sur les vertus de la diplomatie et d’une certaine bienveillance pour venir à bout des « guerres picrocholines ».

Rire en famille, quoi de plus humain ? (source © Hominidés)

Le rire, même gras, sert donc le propos de l’humaniste qu’est Rabelais et lui permet de faire passer, sous un travestissement de roman picaresque et quelque peu déjanté, bien des idées iconoclastes, y compris sur la fondation de sa fameuse « abbaye de Thélème » dont la devise est « Fay ce que tu vouldras ». De là à prétendre que seuls les hommes savent s’amuser, même Rabelais ne s’y serait sans doute pas risqué. Il suffit de voir comment un chiot ou un chaton est capable de facéties. Les primatologues ont tous observés chez les grands singes, et notamment parmi les sujets les plus jeunes, à quel point leurs mimiques faciales, dans certaines circonstances, ressemblent à s’y méprendre à un bel éclat de rire.

Un chimpanzé hilare (source © Muséum national d’histoire naturelle)

Pour ceux qui auraient du mal à s’en convaincre, on ne peut que conseiller de visionner une très brève séquence vidéo tournée par un couple de visiteurs en 2015 au zoo de Barcelone et qui a fait le buzz sur les réseaux en 2015. On y voit un homme assis devant la vitre qui sépare le public de l’enclos des singes. Derrière la vitre, une jeune femelle orang outang le surveille d’un œil. Le visiteur lui montre un gobelet dans lequel il plonge un objet, probablement un fruit de platane ramassé à terre.

Il ferme le gobelet et le secoue ostensiblement devant le singe qui le suit avec un intérêt croissant et en ouvrant de grands yeux. Le visiteur cache le gobelet et enlève discrètement l’objet avant de remettre le verre fermé sous le nez de l’orang outang qui se demande manifestement où il veut en venir avec ses grands gestes théâtraux. L’homme ouvre le couvercle et montre au singe le gobelet désormais vide : un tour de magie un peu frustre mais indéniablement réussi. Le singe regarde le gobelet perplexe puis éclate de rire et tombe à la renverse en se tapant sur les cuisses.

Bien sûr, aucun son ne sort de la bouche de l’orang outang isolée derrière sa vitre, mais ses mimiques ressemblent tellement à celles d’un humain confronté à une situation des plus comiques, qu’il paraît bien difficile de prétendre que nos cousins les orangs outangs n’ont pas le sens de la plaisanterie au moins aussi développé que bien de nos congénères.

Certes, un singe enfermé dans un zoo vit au contact des hommes et peut acquérir par mimétisme certaines de nos attitudes mais force est de constater, en regardant en boucle cette vidéo devenue virale, et d’autres montrant qu’un singe ne reste pas indifférent à un tour de magie bien fait et qu’il peut très bien apprécier le comique de situation qui provient du décalage inattendu entre le déroulement d’une action et son dénouement imprévu. De quoi renforcer encore le sentiment de familiarité voire de connivence que l’on peut ressentir face certains de nos animaux de compagnie et, peut-être plus encore, en présence de ces singes qui nous ressemblent tant…

L. V.

2023 : à l’heure du bilan

31 décembre 2023

Même les meilleures choses ont une fin. Ce n’est peut-être pas ainsi que l’on serait tenté de qualifier l’année 2023 qui s’achève, avec son lot de catastrophes, de conflits armés, d’attentats, de crise économique et d’inflation exacerbée, le tout sur fond de déclin irréversible de la biodiversité et de dégradation croissante de notre environnement.

Mais, comme chaque année, au milieu de tous ces cataclysmes, réels ou annoncés, chacun y a puisé aussi mille petites joies et satisfactions au quotidien. De quoi sourire et oublier ces angoisses qui dépriment et inquiètent. C’est justement ce à quoi s’emploient, jour après jour, les dessinateurs de presse qui ont l’art de présenter, de manière décalée et humoristique, l’actualité la plus sombre, histoire d’en rire plutôt que d’en pleurer…

Quoi de plus réjouissant donc, à l’heure du bilan de l’année écoulée, que de ressortir quelques-uns de ces dessins qui ont ponctué l’actualité de l’année 2023 : de quoi se remémorer quelques événements au hasard. Ce ne sont pas forcément ceux-là que l’on retiendra de l’année qui s’achève, et probablement pas de la manière dont ces dessinateurs de talents les ont mis en lumière, mais peu importe…

C’est en tout cas l’occasion pour ceux qui animent ce blog sans prétention, qui s’efforce seulement de partager, de manière plus ou moins régulière, les sujets qui nous sont chers, nous interrogent ou simplement nous interloquent, voire nous offusquent, de souhaiter à tous nos lecteurs, épisodiques ou fidèles, une excellente nouvelle année 2024. Comme les précédente, celle-ci charriera sans doute son lot de désillusions et de désespérance, mais peut-être nous apportera-t-elle aussi quelques bonnes surprises et, sait-on jamais, de nouvelles raisons d’espérer !

Janvier : Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, peaufine sa nouvelle loi contre l’immigration, déjà dans les cartons depuis l’été 2022, et dont l’avant-projet a été déposé au Conseil d’Etat en décembre. Un véritable numéro d’équilibrisme politique destiné avant tout à séduire la frange la plus droitière de l’électorat… un dessin signé Aurel, publié dans Politis le 18 janvier 2023

Février : Le 10 février, l’humoriste Pierre Palmade, sous l’emprise de stupéfiants, provoque un grave accident de la route. Assigné à résidence dans un centre de désintoxication, il est victime d’un accident vasculaire cérébral 15 jours plus tard, puis placé en détention préventive, une situation qui prend une place démesurée dans nombre de médias français… un dessin signé Dubus, publié le 1er mars 2023 dans Soir Mag

Mars : La réforme des retraites, visant à repousser à 64 minimum l’âge de départ en retraite, suscite une vague de manifestations sans précédent dans le pays. Le 7 mars, le nombre de manifestants sur l’ensemble du pays atteint entre 1,28 et 3,5 millions selon les estimations, un record ! Ce qui n’empêche pas le gouvernement d’Élisabeth Borne de maintenir le cap comme si de rien n’était, confessant seulement un déficit de pédagogie… Un dessin signé Chapatte, publié dans le Canard enchaîné

Avril : Le 14 avril, le Conseil constitutionnel valide l’essentiel du texte de loi sur la réforme des retraites, sur lequel le gouvernement avait engagé sa responsabilité le 16 mars, via l’article 49-3 de la Constitution, pour éviter un risque de rejet à l’Assemblée nationale. Le texte est promulgué dans les heures qui suivent par Emmanuel Macron, soulagé et pressé de tourner la page … Un dessin signé Oli

Mai : Au 76e festival de Cannes, qui se déroule du 16 au 27 mai, avec l’actrice italienne Chiara Mastroianni en maîtresse de cérémonie, on fait officiellement attention à son empreinte carbone pour rester dans l’air du temps… Un dessin signé Tommy, publié par Reporterre

Juin : Le 6 juin, un article publié dans Ouest France dénonce la destruction volontaire, dans le cadre d’un chantier d’un supermarché M. Bricolage, de 39 menhirs situés chemin de Montauban à Carnac, considérés comme particulièrement anciens et répertoriés dans le cadre de la candidature pour l’inscription au patrimoine de l’UNESCO, le début d’une polémique nationale qui enflamme les médias et déclenche les passions… Un dessin signé Sié (source © Urtikan)

Juillet : Après les violentes émeutes urbaines et les scènes de pillage déclenchées suite à la mort du jeune Nahel, abattu par un policier le 27 juin 2023, le bilan matériel est très lourd et les personnes interpellées et jugées se révèlent souvent être des mineurs, sans réelle motivation politique… Un dessin signé Chaunu, publié le 7 juillet 2023 dans Ouest France

Août : Une vague de fortes chaleurs s’abat sur tout le sud et l’est de la France entre le 16 et le 24 août avec jusqu’à 19 départements placés en vigilance rouge canicule… Un dessin signé Bauer publié le 23 août 2023 dans Le Progrès

Septembre : Le 22 septembre, le pape François vient en visite officielle à Marseille et plaide, comme il le fait depuis le début de son pontificat, pour un accueil inconditionnel des immigrés alors que des vagues massives de migrants débarquent sur l’île de Lampedusa, en Sicile… Un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

Octobre : Le 7 octobre, des miliciens du Hamas lancent des intrusions et des frappes sanglantes sur Israël, déclenchant une réplique militaire massive et aveugle de la part de l’armée israélienne qui bombarde depuis sans discontinuer la bande de Gaza avec un bilan qui dépasse déjà les 20 000 morts côté palestinien… Un dessin signé Mykaia (source © Cartooning for peace)

Novembre : Le 14 novembre, le couple présidentiel, accompagné de plusieurs membres du gouvernement, se rend dans le Pas-de-Calais pour exprimer sa solidarité avec les habitants qui subissent depuis 15 jours une vague d’inondations sans précédents, alors qu’il s’est abstenu de participer à la manifestation contre l’antisémitisme qui a eu lieu le 12 novembre à Paris… Un dessin signé Glon (source © Blagues et dessins)

Décembre : Le projet de loi asile et immigration, finalement adopté le 19 décembre 2023 et en cours d’examen par le Conseil constitutionnel, durcit fortement les droits des migrants sur le sol français et a été adopté avec l’appui de la droite et de l’extrême-droite qui se réjouissent de l’adoption de mesures qu’ils réclament depuis des années. C’est en tout cas un signe fort en faveur des idées du Rassemblement national, même si officiellement, le gouvernement ne les partage pas… un dessin signé Kak publié le 22 décembre 2023 dans l’Opinion

2023 : Noël au balcon ?

24 décembre 2023

Chaque année, la fête de Noël cristallise bien des états d’âme. Célébration religieuse destinée à rappeler la naissance de Jésus, elle est surtout devenue le symbole du consumérisme, à mille lieues des préceptes chrétiens de sobriété et de partage. On s’empiffre en famille et on dépense des fortunes en cadeaux, pas toujours appréciés, et qui finiront de plus en plus revendus sur le Bon Coin ou e-Bay. A l’heure où l’on commence à prendre enfin conscience que les ressources terrestres sont limitées et qu’il convient d’arrêter le gaspillage, c’est l’esprit même de Noël qui en prend un coup…. Quant à la tradition des Noëls sous la neige, elle est de plus en plus mise à mal par les effets du réchauffement climatique…

La magie de Noël opère-t-elle encore ? Elle est en tout cas toujours source d’inspiration pour les dessinateurs de presse, bourrés de talent, et qui savent en tirer les paillettes et le sel pour nous faire rire ou au moins sourire : c’est toujours ça de pris !

Alors, joyeux Noël à tous et bonne lecture !

L. V.

Encore un Noël sous la pluie ?…Un dessin signé Ygreck (source © Le Journal du Québec)
Dernières angoisses à l’approche de Noël… Un dessin signé Deligne, publié dans Nice Matin
Le Père Noël n’a plus autant la cote auprès des enfants… Un dessin signé Alex
D’ailleurs, peut-on encore croire au Père Noël en 2023 ?… Un dessin signé Patrick Chapatte, publié dans Le Temps
Les états d’âme du consumériste à l’approche des fêtes… Un dessin signé Ganaga (source © Blaques et dessins)
La revente des cadeaux sur internet, une pratique en pleine expansion… Un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 18 décembre 2022
Le recyclage du sapin de Noël : un casse-tête permanent… Un dessin signé Geluck (source © Pinterest)

Martine Vassal s’attaque à un mur…

9 octobre 2023

La présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, en tee-shirt et les cheveux en bataille, s’attaquant devant les caméras à un mur en briques à grands coups de masse vengeurs, voilà une image qui interroge.

Martine Vassal s’attaquant à grands coups de masse à un mur en polystyrène lors de l’inauguration du tunnel Schloesing, le 3 octobre 2023 (source © Made in Marseille)

Un peu d’abord sur le degré de réflexion de ses conseillers en communication qui ont imaginé un tel scénario, d’autant plus déroutant que le mur en question, bâti en polystyrène et peint de fausses briques, s’est révélé nettement plus résistant que prévu, obligeant la présidente de la Métropole à s’y reprendre à plusieurs fois avant d’arriver à percer enfin la muraille. Il a fallu qu’elle y mette toute sa force et une hargne décuplée par l’échec de ses premiers coups pour arriver enfin à bout de ce décor clinquant, s’arrêtant à bout de souffle dès l’apparition d’un minuscule trou de souris dans lequel les automobilistes marseillais auraient bien du mal à s’engouffrer.

Les exploits de Martine Vassal, marteau de Thor en main, déversant toute sa hargne contre ce mur en briques qui empêche encore les automobilistes marseillais de verser leur obole aux Dieux de la Finance, Eiffage et Vinci (source © La Provence / You Tube)

La scène a beaucoup amusé sur les réseaux sociaux où certains y ont vu le symbole de la Métropole s’attaquant sans vergogne et avec une rage redoublée aux transports publics. Il faut dire que cette inauguration d’un nouvel aspirateur à voitures coïncide avec l’annonce de la fermeture pendant 2 ans des lignes de métro à 21h30, ce qui ne manque pas d’interroger sur le sens des priorités de la Métropole qui se gargarise en permanence de développer les modes doux de déplacement mais qui dépense en réalité l’essentiel de son énergie à développer des autoroutes urbaines plutôt que des pistes cyclables et des transports en commun.

Les deux lignes de métro marseillaise fermées à 21h30 en semaine à partir du 23 octobre 2023, une décision unilatérale de la Métropole qui passe mal… (photo © Nicolas Vallauri / MaxPPP / La Provence / Le Monde)

La mise en scène d’une responsable politique s’attaquant à grands coups de masse à une infrastructure publique n’était probablement pas du meilleur goût à quelques mois des plus terribles émeutes urbaines que la France ait connues depuis longtemps. Entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, ce sont pas moins de 12 000 voitures qui ont été incendiées sur la voie publique et plus de 2500 bâtiments qui ont été détruits ou endommagés dont 168 écoles et 105 mairies mais aussi des magasins, des bibliothèques et même des commissariats. Promouvoir ainsi, quelques semaines plus tard ces gestes d’une responsable politique défonçant un mur à grands coups de masse n’était donc peut-être pas des plus appropriés…

D’autant que la scène ne grandit pas la présidente de notre Métropole, chacun ne pouvant s’empêcher de penser, en voyant son marteau démesuré, à la gigantesque masse qui ne quitte jamais Cétautomatix, le personnage des Aventures d’Astérix le Gaulois, d’autant que tout dans l’accoutrement choisi ce jour-là par Martine Vassal, des larges braies jusqu’à la ceinture ventrale et même les chaussures, a un petit quelque chose du forgeron gaulois. A moins que la référence ne soit plutôt celle de son épouse qui sait parfois aussi se montrer hargneuse lorsqu’il s’agit de frapper ?

Cétautomatix, le forgeron du village d’Astérix, avec son énorme masse, et son épouse qui sait aussi se montrer hargneuse (source © Editions Albert & René)

Toujours est-il que cette séquence, qui a beaucoup fait rire sur le coup, vient clôturer un dossier qui a vu s’opposer deux visions stratégiques quant à la place de la voiture en ville. Cette nouvelle bretelle de 485 m de longueur, qui traverse en tranchée le parc du XXVIe centenaire et que vient d’inaugurer à grands fracas la présidente de la Métropole fait en effet partie de ces projets que l’actuelle municipalité de Marseille a toujours combattus. Les élus de la Ville n’étaient d’ailleurs pas présents lors de cette inauguration pour admirer le joli coup de marteau de Martine Vassal, l’adjointe au maire en charge de la mobilité, Audrey Gatian, se contentant de ce commentaire : « c’est malheureusement un coup parti qui pour nous ne correspond pas à la ville d’aujourd’hui ni de demain ».

Construction en cours de la tranchée couverte de la future bretelle Scloesing au travers du parc du XXVIe centenaire, ici en mars 2023 (photo © Jérôme Cabanel / Vinci construction)

Bien sûr, cela n’empêchera pas les automobilistes marseillais de s’engouffrer, à partir du samedi 7 octobre dans cette nouvelle voie qui part du boulevard Schloesing puis longe l’avenue Jules Cantini dans le parc du XXVIe centenaire avant de rejoindre, via un tronçon de 360 m du tunnel Prado sud, soit l’autoroute A50 vers Aubagne, soit le tunnel Prado Carénage pour traverser la ville vers le nord. Ce nouvel aménagement était de fait justifié par la démolition des passerelles qui permettaient jusque-là aux voitures de traverser au-dessus de la place du général Ferrié, surplombant les boulevards Rabatau et Schloesing. Ces passerelles empêchaient en effet le passage du tramway T3 en cours de prolongation depuis la place Castellane vers le pôle d’échange Sainte-Marguerite Dromel.

Démontage de la passerelle au-dessus de la place du général Ferrié (source © Tunnel Prado Schloesing)

Il n’en demeure pas moins que ce projet est surtout une excellente affaire pour les deux entreprises de BTP Eiffage et Vinci qui se partagent la majeure partie des bénéfices juteux de la Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage (SMTPC), mis en service en 1993. Pour l’année 2022, ces bénéfices se sont ainsi élevés à près de 13 millions d’euros dont 11 millions versés directement dans la poche des heureux actionnaires, le reste servant à grossir encore un report à nouveau colossal de 33,5 millions d’euros ! Une véritable poule aux œufs d’or que cette concession qui devait cependant être remise en concurrence à partir de 2025. Le but véritable de ce projet de nouvelle bretelle Schloesing était donc de permettre, moyennant quelques menus travaux de BTP, dont c’est justement la spécialité d’Eiffage et Vinci, de prolonger de quelques années la concession source de revenus confortables, et ceci tout en récupérant au passage la concession de la partie nord du tunnel Prado sud, déjà en réalité détenue par Eiffage et Vinci mais via une autre société…

Chantier de construction de la tranchée couverte de la future bretelle Schloesing au travers du parc du XXVIe centenaire, ici en mai 2023 (source © Tunnel Prado Schloesing)

Le projet, initié en 2016, prévoyait, pour un coût de travaux estimé à 47 M€, une rallonge de 11 ans de la concession, ce qui avait quelque peu interrogé les services de l’État, car le cadeau de la collectivité aux entreprises de BTP était quand même un peu excessif. Le Préfet avait donc demandé de limiter à 7 ans et 4 mois le report de la concession, ce qui reste très généreux. La Commission européenne ayant donné son blanc-seing à l’opération le 21 novembre 2019, les travaux ont démarré en mai 2020 et la SMTC se réjouit aujourd’hui de cette excellente opération, ses dirigeants affichant un grand sourire tandis que Martine Vassal s’acharnait à grands coups de masse contre ce mur de résistance qui avait quelque peu retardé l’opération…

L. V.

Pierre Dac, toujours d’actualité ?

1 septembre 2023

A Paris, le musée de l’art et de l’histoire du judaïsme, situé dans le Marais, organisait jusqu’au 27 août 2023, une exposition rétrospective intitulée « Le Parti d’en rire », en hommage à l’humoriste et homme de radio, Pierre Dac, décédé en 1975 d’un cancer du poumon après avoir fumé toute sa vie, lui qui considérait que « la mort n’est, en définitive, qu’un défaut d’éducation puisqu’elle résulte d’un manque de savoir-vivre ».

Pierre Dac en 1953 (photo © AGIP / BelgaImage / La Libre Belgique)

Une mort qu’il avait appelé de ses vœux à plusieurs reprises puisque celui qui est passé à la postérité (alors qu’il avait toujours estimé qu’il valait mieux « passer hériter à la Poste ») pour son humour pince-sans-rire, ses calembours loufoques et son goût immodéré pour les pitreries, a fait au moins quatre tentatives de suicide, suite à la mort de son frère, tué lors de la guerre de 1914-18, mais aussi plus tard, après la Libération, alors qu’il avait du mal à se faire une place dans le monde de la radio malgré son auréole de grand résistant pour avoir incarné la voix des Français de Londres.

Ce fils d’un boucher juif alsacien réfugié à Châlons-sur-Marne après la guerre de 1870, a été lui-même combattant et plusieurs fois blessé lors de la Première guerre mondiale. Renvoyé du lycée à 15 ans pour son goût immodéré des farces qui l’avait amené à accrocher un hareng saur à l’habit de son prof de maths, il fait de multiples petits boulots à Paris avant de se produire comme chansonnier d’actualité dans les années 1920 et d’adopter du coup le pseudonyme de Pierre Dac en lieu et place de son nom d’André Isaac. Il anime à partir de 1935 plusieurs émissions de radio à succès dont La société des Loufoques, avant de créer en 1938 le journal satirique, L’os à moelle, organe officiel des loufoques, bel exemple de parodie de presse. Francis Blanche y fait ses débuts en rédigeant des publicités pour des « porte-monnaie étanches pour argent liquide » ou de « la pâte à noircir les tunnels ».

Pierre Dac à Radio Londres pendant la Guerre (source © AFP / Radio France)

Il met près de 2 ans, après de longues périodes d’incarcération en Espagne, pour parvenir à rejoindre Londres où il participe à partir d’octobre 1943 aux émissions « Les Français parlent aux Français », et se lance, après la Libération, dans le cabaret et le théâtre avec des acteurs comme Robert Lamoureux puis Francis Blanche. C’est avec ce dernier qu’il crée en 1957 le sketch irrésistible Le Sâr Rabindranath Duval, une parodie de séance de divination en music hall, et qu’il lance les célèbres feuilletons radiodiffusés Malheur aux Barbus, Signé Furax, puis Bons baisers de partout.

Le fameux sketch du Sâr Rabindranath Duval, avec Francis Blanche (source © INA / YouTube)

Le 11 février 1965, Pierre Dac fait le buzz en présentant sa candidature à l’élection présidentielle face au général de Gaulle, entouré de son futur cabinet ministériel constitué notamment de Jacques Martin, Jean Yanne et René Gosciny, tous membres du MOU, le Mouvement ondulatoire unifié dont le slogan « Les temps sont durs, votez MOU ! » fait se gondoler la France entière. A tel point que l’Elysée s’inquiète de la popularité grandissante du candidat et lui demande discrètement de se retirer. Ce qu’il fait illico en se justifiant ainsi : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l’extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n’ai aucune chance et je préfère renoncer ». Un beau pied-de-nez de la part de ce fin analyste de la vie politique française qui avait ainsi théorisé la « Géométrie politique : le carré de l’hypoténuse parlementaire est égal à la somme de l’imbécillité construite sur ses deux côtés extrêmes »…

Pierre Dac et Francis Blanche en 1959 (photo © Philippe Bataillon / INA / RTL)

Un aphorisme comme Pierre Dac en a laissé des centaines, tous plus loufoques les uns que les autres, à l’instar de ses sketches désopilants dont celui où il se présente en scientifique austère et sûr de lui décrivant dans ses moindres détails le fonctionnement de sa dernière invention, le Biglotron, « dernier-né de la technique expérimentale d’expression scientifique d’avant-garde » : « Entièrement réalisé en matière agnostique, autrement dit, pour éclairer le profane, en roubélure de plastronium salygovalent, il se présente sous la forme néo-classique d’un tripode-solipède rectangle, c’est-à-dire d’un ictère octo-polygonal à incidence ipso-facto-verso-rectométrique ».

Et de détailler, de l’air blasé du spécialiste qui s’efforce d’expliquer l’évidence à des néophytes : « on distingue dans le premier circuit, le Clebstroïde qui, isolé du pi-aixe de l’intrudmon par une armature en fignabulose ignifuge, agit par capillarité médullaire, sur le fiduseur de télédéconométrie différée, lequel, en vertu du phénomène d’osmose ondulatoire érigé en principe par le célèbre physicien Jean-Marie Keske-Lavoulvoule, catalyse en quelque sorte, le Schpoutzmud de dérivation qui, par voie de conséquence, se trouve entraîné par le bugmuch michazérospiroïdal en direction de la zone d’influence de la boustife de relevailles dont le tuyau d’argougnaphonie spéculaire libère un certain volume de Laplaxmol, lequel, comme chacun le sait, n’est autre qu’un combiné de smitmuphre à l’état pur et de trouduckium flitrant sulsiforé ». La suite est à l’avenant, débité d’un ton monocorde avec un débit de mitraillette, et reste un morceau de bravoure du comique de l’absurde.

Le Biglotron présenté par Pierre Dac (source © INA / YouTube)

Près de 50 ans après sa mort, cette rétrospective récente confirme que Pierre Dac reste d’actualité, comme son nom de scène devenu patronyme officiel en 1950 le laisse entendre. Ses aphorismes, pour absurdes qu’ils soient peuvent toujours servir à l’instar de conseil de sagesse élémentaire : « Rien de sert de penser, il faut réfléchir avant ». Doté d’une grande imagination, il rendait évidents les concepts géométriques les plus abscons, expliquant ainsi que « le carré est un triangle qui a réussi, ou une circonférence qui a mal tourné », et rendant limpide le fonctionnement de la Justice en rappelant que « un accusé est cuit quand son avocat n’est pas cru ». Des références qui ont inspiré bien de ses successeurs, de Raymond Devos à Coluche en passant par Pierre Desproges…

L. V.

Quand la presse parodie la presse…

31 juillet 2023

Les pastiches littéraires ont longtemps eu bonne presse, bien des auteurs se délectant d’écrire, à la manière d’illustres écrivains reconnus, des textes qui n’ont rien à voir avec les œuvres initiales mais dont on retrouve la patte. Certains auteurs tels Paul Reboux s’en sont fait une spécialité, écrivant à la manière de Victor Hugo, de Guy de Maupassant ou de Marcel Proust (qui lui-même se délecta à parodier les frères Goncourt). Les Oulipiens s’en sont notamment régalés, tels Raymond Queneau dans ses Exercices de style, ou Hervé Le Tellier, avec son célèbre Joconde jusqu’à cent, suivi de Joconde sur votre indulgence… La pratique du pastiche littéraire est même devenue un exercice scolaire très prisé de nombreux enseignants tant elle incite à s’imprégner d’un style d’un auteur.

Bandeau d’annonce de l’exposition en cours à la bibliothèque François Mitterrand (source © BNF)

Mais une exposition actuellement en cours à la Bibliothèque de France et intitulée Pastiches de presse, ouverte jusqu’au 29 octobre 2023 en accès libre, montre que l’exercice est loin de se limiter au monde littéraire. La presse elle-même a fait l’objet d’innombrables pastiches souvent parodiques et généralement à usage humoristique, et ceci depuis bien longtemps déjà. Le Journal des refroidis, un magazine qui s’adresse aux morts, date de 1877, tandis que l’Anti-concierge, « l’organe officiel de la défense des locataires » est lancé en 1881, selon le format des journaux de l’époque, seul le contenu parodique voire satirique, indiquant la volonté de faire rire plutôt que d’informer.

Extrait d’un numéro du Journal des refroidis, pour les amateurs d’humour macabre (source © Gallica / BNF)

Les grands titres de la presse ont presque tous fait ainsi l’objet d’un détournement de sens. Dès 1923, le journal La Croix voit fleurir un concurrent au nom de La Croax, tandis que le Figaro inspire en 1974 la sortie du Livaro et que Libération incite en 1985 à la sortie de Laberration… Ce dernier est d’ailleurs toujours consultable en ligne et propose « un regard parodique sur l’économie et le management, mais pas que… ». Les lecteurs de la région PACA y apprendront ainsi avec intérêt que « une réunion extraordinaire du conseil régional de Provence Côte d’Azur a permis de voter à l’unanimité la possibilité, pour les habitants de la région, d’acheter des véhicules dépourvus de clignotants. En effet, d’après les statistiques officielles établies par le CONAR (Centre Opérationnel National d’Analyse Routière), le clignotant n’est plus utilisé que par 0,45986 % des automobilistes de la région PACA »…

Un exemple d’information décalée de Corse Machin (source © Facebook / Corse Machin)

Citons aussi l’Os à moelle, le journal satirique lancé en 1938 par Pierre Dac, avec ses brèves déjantées et ses fausses publicités, dont s’inspirera plus tard Hara-Kiri notamment. Lancé en 1960, ce dernier a intégré dans certains de ses numéros une rubrique intitulée « L’atelier du faux », rassemblant des parodies de journaux connus de l’époque, se moquant allégrement de la presse à scandale comme des actualités politiques, de la presse féminine ou de l’actualité sportive.

Dans les années 1980, le groupe humoristique des Jalons, fondé par Bruno Tellenne (alias Basile de Koch) et ses frères Marc (alias Karl Zéro) et Éric (Raoul Rabut), ainsi que sa femme Virginie (Frigide Barjot) et sa belle-sœur (dite Daisy D’Errata), lance à son tour la publication de pastiches de titres célèbre, dont Le Monstre, qui parodie à s’y méprendre un numéro du Monde et qui est vendu en kiosque comme bien d’autres numéros parodiques du groupe. Même l’hebdomadaire satirique bien connu, le Canard enchaîné a été parodié par un pastiche titré le Cafard acharné.

La une du Cafard acharné de février-mars 1994, parodie du célèbre Canard enchaîné, à l’époque d’un certain Édouard Balladur… (source © BNF)
Le Gorafi, un support parodique dont il ne faut pas prendre toutes les informations au pied de la lettre… (source © Gorafi)

Et la veine est bien loin de se tarir avec le développement d’internet et des outils numériques qui permettent désormais très facilement de produire rapidement et de diffuser très largement des pastiches de qualité, d’où l’explosion du genre. On ne compte plus les sites parodiques de pseudo information qui se sont ainsi créés, à l’image du Gorafi qui se fait ainsi l’écho, en date du 25 juillet 2023, d’un projet audacieux de la Région PACA (encore elle !) qui envisage d’équiper de dispositifs d’auto-tune près de 400 000 cigales munies de micros reliés à des enceintes et des projecteurs full-LED, une initiative  « qui fait aujourd’hui polémique chez les riverains et les défenseurs de la cause animale » mais que le député Jean-Marc Zulesi défend ainsi : « Depuis toujours, les cigales empêchent les gens de dormir. Là, ce sera toujours le cas, mais en attirant des gens qui ne voudront pas se coucher » : un beau projet artistique en perspective en effet !

Du coup, on assiste désormais à un véritable foisonnement en matière de pastiche de presse. Le monde sportif n’en est pas exempt avec la création de la Fédération Française de la Lose qui met en valeur le rapport particulier de notre nation à la défaite, suivie en 2021 par l’Iquipe, pastiche du célèbre journal sportif de référence.

A la une de l’Iquipe du 7 avril 2023 : avant le départ du Tour de France, le peloton testé négatif … au Covid (copie d’écran © L’Iquipe)

Mais la presse régionale n’est pas en reste avec des titres comme Le Courrier Briard, centré sur l’actualité de Seine-et-Marne, présentée sous un angle aussi décalé que satirique et dans lequel le fameux Brie de Meaux prend une importance toute particulière…

Quelques unes de Corse Machin (source © Corse Machin / Tipee)

Mention spéciale aussi pour le titre Corse Machin, lancé en 2015 et rapidement devenu le site régional le plus suivi de l’île malgré (ou grâce à ?) ses titres à l’emporte-pièce, ses publicités détournées et ses analyses totalement loufoques. Un succès qui démontre au moins que les Français ont de l’humour et sont capables d’autodérision même si les témoignages recueillis à l’occasion de cette exposition très fouillée en cours à la Bibliothèque Nationale de France indiquent que nombre de lecteurs de cette presse parodique se font facilement prendre au piège et réagissent vigoureusement pour avoir pris au premier degré les « informations » qui y figurent. Distraire et informer tout en développant l’esprit critique, un noble objectif, tout compte fait, pour ces multiples initiatives de pastiches de presse…

L. V.

Politique fiction : Marianne s’amuse…

29 juillet 2023

C’est l’été, chacun ne pense plus qu’à la plage et les journalistes politiques s’ennuient… Le gouvernement vient d’être (un peu) remanié, après avoir tant bien que mal tourné la page de la houleuse réforme des retraites, au terme de 100 jours qui ne resteront assurément pas dans l’Histoire de France. Élisabeth Borne a réussi à sauver de justesse son poste de Premier ministre, faute de mieux probablement, tandis que les principaux poids lourds du gouvernement restent indéboulonnables.

Le nouveau gouvernement dans les jardins de Matignon le 24 juillet 2023, en l’absence néanmoins de Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Catherine Colonna ou encore Sébastien Lecornu, tous en Nouvelle-Calédonie avec le Président de la République  (© compte Twitter Elisabeth Borne)

Bruno Le Maire a beau se distinguer par sa passion irrépressible pour la publication en rafales de romans dont les passages érotiques émoustillent la France entière, il reste fidèle à son poste depuis 6 ans maintenant, malgré un bilan économique plutôt calamiteux, ayant creusé la dette comme jamais, après avoir supprimé l’Impôt sur la fortune puis renoncé à la taxe carbone suite à la révolte des Gilets jaunes, avant d’ouvrir en grand les vannes pendant la crise du Covid sans pour autant amorcer la moindre réindustrialisation du pays.

Quant à son grand rival de droite, Gérald Darmanin, qui se serait bien vu à Matignon, il s’enfonce dans sa politique de soutien inconditionnel aux forces de l’ordre dont il pardonne toutes les bavures, renforçant jour après jour la défiance généralisée qui s’installe chez une part croissante de la population, vis-à-vis du pouvoir mais aussi de nos institutions républicaines elles-mêmes…

Bruno Le Maire, Emmanuel Macron et Gérald Darmanin (photo © AFP / RTL)

Alors, certains s’amusent à imaginer des scénarios de politique fiction qui, reconnaissons-le, ne manquent pas de sel et permettent, à défaut de suivre une actualité politique peu palpitante en cette période estivale, de faire sourire les citoyens en vacances.

Citons notamment dans cette veine, les excellentes chroniques d’été que publie depuis la mi-juillet l’écrivain David Desgouilles dans l’hebdomadaire Marianne. Tombé très jeune dans la marmite politique où il est attiré par la figure du gaulliste Philipe Séguin, il s’était fait connaître par son premier roman uchronique intitulé Le bruit de la douche, publié en 2015, dans lequel il imaginait que Dominique Strauss-Kahn n’avait pas croisé le chemin d’une certaine Nafissatou Diallo, femme de chambre du Sofitel de New-York, ce fameux 14 mai 2011, et qu’il avait donc entrepris dans la foulée la campagne électorale qui devait assez naturellement le conduire un an plus tard à l’Élysée, avec sa conseillère spéciale, une certaine Anne-Sophie Myotte, souverainiste franc-comtoise, véritable héroïne du roman et alter égo évident de l’auteur.

Car David Desgouilles est un souverainiste pur sucre. Son dernier ouvrage, paru en 2019 sous le titre Leurs guerres perdues, n’est autre que le récit des désillusions successives de trois militants, ballotés de meetings en universités d’été, entre deux élections et de multiples trahisons, sur cette période de 1988 à 2017 qui voit les souverainistes, de Philippe Seguin à Jean-Pierre Chevènement, se déchirer et perdre peu à peu pied face au rouleau compresseur de l’intégration européenne et de la mondialisation. Une analyse très fine de 30 ans de politique française racontée de manière romanesque par ce nouveau Balzac, très bon connaisseur des arcanes du pouvoir.

L’auteur et chroniqueur David Desgouilles (photo © Hannah Assouline / Causeur)

Un talent qu’il met à profit pour raconter, dans les numéros d’été de Marianne, de savoureuses nouvelles dans lesquelles il imagine comment Emmanuel Macron pourrait envisager de conserver le pouvoir au-delà de 2027 puisque chacun sait que la Constitution lui interdit de se représenter pour un troisième mandat consécutif. On ne dévoilera pas le détail des scénarios les plus rocambolesques concoctés par David Desgouilles, d’autant qu’à ce jour seuls les trois premiers épisodes ont été publiés, mais on ne résistera pas au plaisir d’évoquer au moins le premier, à titre d’amuse-gueule…

Intitulé Le Gendre, idéal, cette première nouvelle reprend à son compte l’idée de La Chèvre, le film de Francis Veber, qui met en scène un Pierre Richard d’apparence aussi stupide et maladroit que malchanceux, mais qui trompe son monde et s’avère plus efficace que l’expert affuté et compétent qui le chaperonne. Cherchant vainement quel candidat de son camp adouber pour poursuivre son œuvre en 2027, alors que tous les prétendants se poussent du col et s’entredéchirent, Emmanuel Macron choisit donc « le plus con »… Son fidèle secrétaire général, Alexis Kohler, entretient le suspens pendant des mois autour de ce « Monsieur ou Madame X », faisant monter sa cote auprès d’une opinion publique piquée par la curiosité, au grand désespoir des ténors de la Macronie.

Emmanuel Macron réélu grâce au leurre Gilles Le Gendre : fiction ou prémonition ? (illustration  © Hervé Bourhis pour Marianne)

Lorsque le nom du candidat est finalement dévoilé, les Français découvrent un Gilles Le Gendre, gaffeur et laborieux mais profondément humain, qui séduit les Français et désarçonne ses adversaires, au point de se faire élire contre toute attente. Trois mois plus tard, l’Élysée fait savoir qu’il a été victime d’un burn out et est empêché de gouverner, et en octobre, Emmanuel Macron est facilement réélu à sa place…

On n’en dira pas trop des épisodes suivants pour ne pas divulgâcher comme on dit de nos jours, mais les titres des nouvelles suivantes parlent d’eux-mêmes… Opération Madame est bâti autour de la candidature d’une certaine Brigitte Macron qui remplace son mari à l’Élysée grâce à un positionnement très identitaire, tandis que la chronique intitulée Le cœur fragile du Vétérinaire, imagine le Président sortant démissionner brutalement au cœur de l’été, laissant ainsi l’intérim au Président du Sénat comme le veut la Constitution, l’inamovible Gérard Larcher, ex vétérinaire de Rambouillet, qui profite de cette campagne éclair pour se faire élire à l’Élysée avec le soutien d’Emmanuel Macron, avant de disparaître brutalement, victime d’une crise cardiaque peu avant Noël, comme l’avait escompté son prédécesseur, informé de sa santé fragile et qui dispose alors d’un boulevard pour se faire réélire…

Bien évidemment, toute ressemblance de ces pures fictions avec la réalité des combines politiques que pourrait imaginer notre Président de la République ne pourrait être que fortuite. Chacun sait bien qu’en politique, la réalité est toujours bien plus tordue que la fiction !

L. V.

Alex Chinneck, le roi de la fermeture éclair…

12 juillet 2023

Celui que le Guardian a désigné comme « un maître en illusion architecturale », l’artiste sculpteur britannique Alex Chinneck, a acquis une renommée internationale en créant en 2019, à l’occasion de la semaine du design dans la ville de Milan, ville branchée par excellence où l’architecture originale sait se faire apprécier, une œuvre d’une grande originalité qui a connu un succès phénoménal de par son côté spectaculaire et photogénique, surtout de nuit. L’artiste a donné l’illusion d’avoir ouvert la façade d’un bâtiment du centre ancien de Milan, en tirant sur la fermeture éclair monumentale formée par les pierres d’angle : une façade en brique qui s’enroule sur elle-même à la façon d’un couvercle de boîte de sardine, et qui dévoile l’intérieur totalement vide de l’immeuble…

Dézippage de la façade d’une maison traditionnelle du centre de Milan : une œuvre originale d’Alex Chinneck à l’occasion de la Design Week de 2019 (photo © Marc Wilmot / Creapills)

Mais ce n’était pas son coup d’essai, loin s’en faut ! Il s’était déjà fait la main en 2018 sur un ancien petit immeuble de bureau du Kent des années 1960. Une énorme fermeture éclair avait été fixée sur la façade de l’immeuble abandonné et passablement décrépi, donnant là aussi l’illusion que la façade avait été ouverte en deux, laissant visible l’intérieur vide du bâtiment. Une installation judicieusement dénommée « Open to the public »…

« Open to the public » un bâtiment industriel abandonné du Kent à la façade largement ouverte part l’artiste (source © Alex Chinnek)

Car Alex Chinneck ne manque jamais de donner des noms, souvent originaux, à ses œuvres monumentales et spectaculaires. C’est le cas par exemple d’une de ses premières œuvres, créée en 2013 dans la ville balnéaire de Margate, toujours dans le Kent, et poétiquement intitulée : « From the Knees of my Nose to the Belly of my Toes », qu’on pourrait traduire approximativement par « depuis les genoux de mon nez jusqu’au ventre de mes orteils »… L’artiste n’a pas hésité à démolir la partie supérieure de la façade de cette maison abandonnée de Godwin Road entourée de belles demeures victoriennes, et a reconstituée une nouvelle façade en briques avec ses portes et ses fenêtres, en donnant l’impression que cette façade a glissé en s’affaissant jusqu’à la rue.

Un immeuble de Margate (Kent) dont la façade a malencontreusement glissé…  (source © Alex Chinnek)

En 2015, il n’a pas hésité à faire appel à de gros moyens techniques pour implanter la tête en bas un immense pylône électrique de ligne à haute tension et en 2017 il s’est attaqué à la façade d’un bel immeuble en briques dans un quartier d’affaire de Londres, ancien siège d’un éditeur, ce qui a donné l’idée à Alex Chinneck de déchirer en deux une partie de la façade en briques, comme s’il s’agissait d’une feuille de papier. Une installation technique extrêmement spectaculaire, à 12 m de hauteur, et qui a nécessité de véritables prouesses architecturales pour arriver à reconstituer ainsi cette façade en briques en train de s’ouvrir.

« Six pins and half a dozen needles », façade en brique déchirée en deux (source © Alex Chinneck / Le journal du design)

On a vu aussi Alex Chinneck construire une maison en briques de paraffine qui ont progressivement fondu au soleil, provoquant le lent affaissement inexorable du bâtiment. En 2014, il a aussi fait sensation en construisant à Covent Garden un bâtiment dont les fondations semblent solidement ancrées dans le sol tandis que sa partie supérieure (réalisée en polystyrène) se balade en lévitation dans les airs. Là encore, un véritable exploit architectural nécessitant une structure calculée au millimètre et solidement retenue par des contrepoids.

Alex Chinneck devant le marché de Covent Garden suspendu dans les airs grâce à ses soins (source © Maison monde)

En 2015, il avait carrément soulevé le goudron d’une rue de Southbank Centre, un quartier d’artistes londonien, le retournant comme après un séisme d’une grande violence, et y accrochant une petite Vauxhall Corsa rouge, les pneus fermement agrippés au bitume et roulant ainsi sens dessus dessous…

Quand le goudron se gondole, une voiture en mauvaise posture…  (source © Alex Chinnek)

Et ce n’est pas fini car l’artiste se met désormais à faire des nœuds. On l’a vu exposer en 2019 sous le nom d’Alphabetti Spaghetti des boîtes aux lettres traditionnelles britanniques tordues et nouées sur elles-mêmes comme si elles étaient passées entre les mains d’un athlète de foire.

Une boîte aux lettres britannique qui se fait des nœuds au cerveau (photo © Alex Chinnek / Nouvel Obs)
Une horloge nouée par Alex Chinnek, exposée au Liberty London (source © statue-art-déco)

Des nœuds que l’on retrouve sur un manche à balai comme sur un extincteur, ou encore sur de vieux poteaux en bois de la Städtische galerie Kornhaus de Kirchheim, en Allemagne, où il a exposé en 2022. On y voit aussi des horloges en bois anciennes mais parfaitement fonctionnelles, dont la caisse élancée en bois de noyer bien patiné, se noue sur elles même, selon une technique dont Alex Chinneck garde le secret mais qui exige une technicité toute spécifique, confirmant s’il en était besoin, que pour réaliser de telles œuvres d’art aussi spectaculaires, l’imagination seule ne suffit pas…

L. V.

Stockage de l’énergie : une idée de Shadok ?

22 Mai 2023

L’inventivité sans limite des Shadok, ces petits personnages improbables inventés par le génial Jacques Rouxel et qui font irruption à la télévision française en 1968, animés par la voix éraillée de Claude Piéplu, nous ont laissé d’innombrables maximes empreintes d’une philosophie toute particulière dont on trouve des applications quotidiennes. « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » Telle est l’une de ces réflexions frappées au coin du bon sens, ou presque, et dont on constate chaque jour à quel point elle inspire nos décideurs, toujours à la pointe du management moderne.

Une devise Shadok, qui a fait son chemin… (source © Jacques Rouxel / Vision Déco)

Mais la maxime semble aussi avoir été adoptée par nos plus grands ingénieurs. En témoigne cette invention proprement époustouflante qui a été imaginée et mise en œuvre par une start-up suisse, Energy Vault, désormais cotée en bourse, distinguée en 2020 par le Forum économique mondial comme l’une des 100 entreprises pionnières du futur et qui a levé en juillet 2021 pour 100 millions de dollars afin de passer à la vitesse supérieure après avoir construit un premier démonstrateur constitué d’une grue de 6 bras et 110 m de hauteur. La seule fonction de cet engin étrange est d’élever des blocs de béton de 35 tonnes chacun, puis de les faire retomber en chute contrôlée en utilisant l’énergie gravitaire ainsi libérée pour la transformer en courant électrique, qui servira à remonter le bloc !

Le système de grue imaginé par la start-up suisse Energy Vault pour stocker de l’énergie en manipulant des blocs de béton (photo © SDA / Watson)
Maquette du prototype de grue d’Energy Vault (source © Swissinfo)

Bien évidemment, il ne s’agit pas de (ré)inventer le mouvement perpétuel d’autant qu’il y a malgré tout des pertes, une part importante de l’énergie utilisée disparaissant en cours de route. Mais c’est quand même un dispositif astucieux, bien que légèrement encombrant, pour résoudre la question toujours délicate du stockage de l’électricité lorsque celle-ci est produite de façon intermittente, notamment par certaines sources d’énergie renouvelables comme le solaire et l’éolien, et pour faire face aux pics de besoin car la demande est toujours en dents de scie.

Utiliser une grue géante et s’amuser à monter et descendre d’énormes blocs de béton pour remplacer une simple batterie à accumulation, voilà qui ne manque pas de panache et l’idée peut paraître séduisante car bien sûr les blocs de béton en question ne nécessitent ni lithium ni terre rare pour leur fabrication. Sauf que les tours géantes que promet Energy Vault et qui pour l’instant n’existent que sur le papier, nécessitent quant même pas moins de 6500 blocs par installation pour une capacité de stockage de 35 kW. Or une telle quantité de béton représente une fois et demi le poids de la tour Montparnasse à Paris, ce qui donne une idée du gigantisme de l’opération…

Et pour un résultat finalement modeste si on le compare à la capacité de stockage qu’on peut obtenir avec un procédé bien plus simple et qui, lui, est éprouvé de longue date, consistant simplement à utiliser l’énergie excédentaire pour pomper de l’eau et la stocker dans un bassin en altitude d’où on peut ensuite la faire redescendre via des conduites forcée équipées de turbines et de générateurs, ce qui permet de produire quasi instantanément l’électricité dont on a besoin pour répondre à la demande. De telles installations, dénommées STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) existent déjà en France au nombre de six et leur capacité de stockage est de 5 GW, 170 fois supérieure donc à celle de la tour en béton de la start-up suisse…

Les deux lacs d’Emosson formant la STEP du Nant de Drance dans le Valais Suisse, mis en service le 1er juillet 2022 (photo © Sébastien Moret / Swisstopo)

La Suisse elle-même d’ailleurs est en pointe dans ce domaine et vient de raccorder au réseau, fin 2021, une installation spectaculaire effectuée sur le complexe hydroélectrique d’Emosson, à la frontière franco-suisse. Les 2 lacs d’Emosson ont été reliés par 17 km de galeries souterraines et l’eau du lac supérieur peut désormais être relâchée dans le lac inférieur via deux conduites forcées de 7 m de diamètre sur une hauteur de chute de 425 m de haut, ce qui permet d’injecter sur le réseau une puissance de 900 MW, équivalent à celui d’une centrale nucléaire et mobilisable en moins de 5 mn !

Le barrage de Grand’Maison connecté par des galeries souterraines à l’usine hydroélectrique de Verney située 930 m plus bas (source © EDF / L’Express)

En France, le modèle du genre est la centrale hydroélectrique de Vaujany dans l’Oisan, dont le lac supérieur est constitué par le barrage de Grand’Maison, mis en service en 1985 à 1790 m d’altitude sur l’Eau d’Olle, complété en aval par la centrale du Verney, située 930 m plus bas. En deux minutes, ce complexe hydroélectrique peut fournir une puissance équivalente à deux centrales nucléaires ! L’alimentation des pompes se fait d’ailleurs principalement à partir de l’électricité d’origine nucléaire en heures creuses, lorsque la production est surabondante.

Et le procédé n’est pas nouveau puisqu’il a été mis en œuvre en France dès 1938, sur le lac Noir dans les Vosges, dont la capacité de stockage a été augmentée par une digue équipée d’une usine hydroélectrique tandis que ce lac naturel était relié à son voisin, le lac Blanc, situé 1 km en amont et une cinquantaine de mètres plus haut. La centrale a été mise à l’arrêt en 2002 et même détruite en 2014 mais plusieurs autres STEP sont toujours fonctionnelles, dont celle de Montézic, dans l’Aveyron, celle de Revin, dans les Ardennes, ainsi que 3 autres dans les Alpes (Super-Bissorte, Le Cheylas et La Coche).

Le barrage de Montézic, dans l’Aveyron, mis en service en 1986, lac supérieur alimentant la centrale hydroélectrique de Montézic en rive gauche de la Truyère (source © Centre presse)

Certes, les sites naturels qui se prêtent à ce type d’activité ne sont pas si fréquents mais il existe néanmoins de belles possibilités d’extension de tels dispositifs dont l’impact environnemental est bien moindre que celui des batteries de stockage, même si le rendement en est un peu inférieur, et qui rendent de grands services pour réguler l’adéquation entre rythme de production et de consommation de l’électricité.

Une autre devise Shadok, empreinte d’une grande sagesse… (source © Jacques Rouxel / La Croix)

Leur mode de fonctionnement, basé sur le pompage, ne présente pas le côté spectaculaires des grues en train de monter et descendre leurs blocs de béton, mais, comme ont coutume de le dire les Shadoks dans leur grande sagesse et leur prudence légendaire : « Il vaut mieux pomper même s’il ne se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas ». On ne saurait mieux dire en effet…

L. V.

Le bruit qui court… après Total

29 avril 2023

Les activistes écologistes sont parfois un peu lourds avec leur manie de jeter du ketchup sur les toiles de maîtres dans les plus grands musées du monde ou, comme l’ont encore fait récemment des militants du collectif britannique Just Stop Oil, en recouvrant d’un pastiche un célèbre tableau de John Constable, conservé à la National Gallery de Londres et intitulé la Charrette de foin. Le paysage champêtre du XIXe siècle s’est ainsi retrouvé orné de routes goudronnées et d’avions vrombissant tandis que deux activistes revêtus de teeshirts au logo de l’association se collaient la main au cadre du tableau, avant de se faire proprement jeter par les vigiles du musée.

Deux militants de l’association britannique Just Stop Oil la main collée au cadre d’un tableau de John Constable recouvert d’un pastiche, en juillet 2022 à la National Gallery de Londres (photo © Carlos Jasso / AFP / Le Figaro)

Des actions militantes certes spectaculaires et qui ont pour but d’alerter l’opinion publique sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et l’arrêt de l’exploitation des énergies fossiles, mais qui ont aussi pour revers d’indisposer voire de choquer certains, en s’en prenant ainsi à des œuvres d’art universellement reconnues.

Rien de tel dans le savoureux canular dont TotalEnergies vient de faire les frais, de la part d’un collectif d’activistes français au nom bien inspiré Le Bruit qui court… Dimanche 23 avril au soir, des centaines de militants bien organisés ont placardé d’immenses panneaux de chantiers en différents points de Paris, Rouen, Grenoble, Lyon ou encore Marseille, annonçant la construction d’un gigantesque pipeline de plus de 1000 km de long, destiné à acheminer le pétrole de la Mer du Nord jusqu’au sud de l’Europe en passant par les Pays-Bas, la Belgique et la France, ainsi traversée de part en part.

Panneau d’information sur le projet WeCop accroché sur les grilles du jardin de ville à Grenoble (source © France TV)

En parallèle, plus de 3000 propriétaires de maisons situées sur le tracé de ce projet, surtout dans les beaux quartiers de ces grandes métropoles, ont reçu un courrier, d’apparence on ne peut plus officielle, les informant que, du fait du passage de ce vaste projet d’ampleur international sur leur propriété, ils allaient faire l’objet d’une mesure d’expropriation pour raison d’utilité publique.

Le courrier comme les affiches renvoyait au site internet d’une entreprise fictive du nom de WeCop détaillant les objectifs et le calendrier du projet, tout en argumentant sur les vertus d’un tel pipeline d’envergure pour assurer une meilleure distribution. Une pétition avait même été mise en ligne pour permettre à chacun d’exprimer son désaccord éventuel avec le projet et un standard téléphonique dédié a été ouvert, animé par des militants qui ont donc dû recevoir les appels des riverains furieux : «Mais vous ne pouvez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là, c’est pas possible» ont-ils ainsi entendu, parmi d’autres réactions de la part de propriétaires hors d’eux à l’idée qu’un pipeline pourrait venir ainsi traverser leur terrain pour améliorer les bénéfices de l’industrie pétrolière…

Faux permis de démolir de WeCop installé par les activistes du Bruit qui court à Marseille dans la nuit du 23 au 24 avril 2023 (source © Place GreNet)

Le projet avait été préparé depuis des mois et les militants mobilisés avaient su parfaitement tenir leur longue, de telle sorte que l’effet de surprise a joué à plein, semant un véritable trouble parmi les personnes confrontées à ce projet et à ces méthodes parfaitement vraisemblables de la part d’une multinationale. Dès le mardi 25 avril, l’association a donc dû communiquer un démenti formel et dévoiler le pot aux roses, tout en incitant les médias à divulguer l’affaire, ce dont ils ne se sont pas privés.

Bandeau du site internet WeCop développé pour assurer la crédibilité du projet… (source © WeCop)

Bien évidemment, ce projet de pipeline géant à travers la France n’existe que dans l’imagination de ces activistes, mais leur objectif est en réalité d’attirer l’attention des médias et de l’opinion publique sur un autre projet d’oléoduc géant, bien réel celui-là et porté par l’entreprise TotalEnergie à travers l’Ouganda et la Tanzanie sous le nom de Eacop pour East African crudle oil pipeline. La multinationale française cherche en effet à développer l’exploitation de ressources pétrolières gigantesques, estimées à plus de 1 milliard de barils, découvertes en 2006 sous le lac Albert en Ouganda.

Forage d’exploration de TotalEnergies dans la région du lac Albert en Ouganda (photo © Laurent Zylberman / Total)

Deux champs pétroliers devraient être mis en exploitation en parallèle. Celui de Tilenga, au nord du Lac Albert sera opéré par TotalEnergies et vise le creusement de 400 puits de pétrole dont la production sera acheminée vers une usine de traitement située à Kasenyi. Ces puits seront forés dans des zones rurales et, pour certains, au cœur du parc naturel des Murchison Falls. L’autre champ, dénommé Kingfisher, sera exploité plus au sud par l’entreprise chinoise CNOOC (China National Offshore Oil Corporation).

Le pétrole issu de l’ensemble des puits sera ensuite acheminé par un gigantesque oléoduc enterré de 1443 km reliant la ville de Kabaale en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie où un terminal pétrolier doit être construit. Du fait de ses caractéristiques propres, le pétrole extrait doit être maintenu à une température de plus de 50 °C pour permettre son acheminement par oléoduc sans risque de colmatage. Le pipeline sera donc chauffé en permanence, si bien que son empreinte carbone sera bien colossale, sans compter les impacts environnementaux de son tracé à travers des zones agricoles et naturelles, et surtout son impact social sur les milliers de petits propriétaires situés le long du tracé et qui devront être expropriés sans pour autant être certains d’être indemnisés.

Tracé du projet d’oléoduc géant programmé par TotalEnergies entre le lac Albert et l’océan Indien, à travers l’Ouganda et la Tanzanie (photo © TotalEnergies / Usine nouvelle)

Il est peu probable que le canular monté par les activistes du Bruit qui court ait le moindre impact sur la construction du futur oléoduc Eacop de TotalEnergie et de CNOOC. Mais incontestablement l’affaire a fait du bruit et a permis de mettre en lumière les impacts de ce projet pharaonique d’investissement pétrolier mené jusqu’à présent en toute discrétion par TotalEnergies et sur lequel les médias français s’étaient bien gardés de communiquer. Comme quoi, les actions des activistes écologistes, surtout menées avec intelligence et un brin d’humour, peuvent avoir des résultats positifs…

L. V.

Corrélations statistiques et conclusions hâtives…

19 mars 2023

L’humoriste Coluche, jamais avare de conseils frappés au coin du bon sens, nous avait bien mis en garde : « Quand on est malade, il ne faut surtout pas aller à l’hôpital : la probabilité de mourir dans un lit d’hôpital est 10 fois plus grande que dans son lit à la maison ». Une conclusion imparable : il suffit en effet de voir les chiffres pour s’en convaincre !

Coluche, toujours de bon conseil, même en matière de statistiques (source © Melody)

En France, on dénombrait en 2020, selon les données du Ministère de la Santé, 2 983 établissements hospitaliers (dont 1 342 hôpitaux publics, soit moins de la moitié) totalisant 387 000 lits d’hôpitaux. Un chiffre en baisse constante puisqu’il y a 10 ans on disposait encore de près de 415 000 lits d’hôpital. En supposant même qu’ils soient tous pleins, cela indique que, sur 1000 Français, seuls 6 sont hospitalisés, une infime minorité donc. Or 57 % des décès enregistrés en France ont lieu à l’hôpital…

Bien évidemment, et indépendamment du risque d’attraper une maladie nosocomiale, ce risque particulièrement élevé de mourir quand on est admis dans un hôpital ne signifie pas qu’il ne faut surtout pas y mettre les pieds quand on est malade ! Ce n’est pas l’hôpital en soi qui est dangereux, au contraire, mais si on y meurt davantage, c’est parce qu’on y entre quand on est malade, parfois gravement, et que c’est dans ce contexte qu’on a le plus de risque de décéder…

Attention donc aux conclusions hâtives quand on se mêle de parler statistiques… On peut faire dire ce qu’on veut aux chiffres : tout est question d’interprétation, et souvent même de simple présentation. Tyler Vigen, un jeune scientifique travaillant pour l’armée américaine s’est ainsi fait une spécialité de ces courbes montrant des corrélations étonnantes entre des séries de données pourtant sans aucune relation apparente entre elles. Il publie une courbe par jour sur son site, à l’instar de la suivante qui montre un taux de corrélation presque parfait sur la période 1999-2009 entre les dépenses annuelles américaines pour la recherche scientifique et le nombre de suicides par pendaison dans ce même pays.

Corrélation apparente mais sans aucun fondement entre les dépenses annuelles des USA en recherche scientifique entre 1999 et 2009 et le nombre de suicides par pendaison sur la même période (source © Tyler Vigen)

Bien évidemment, il n’y a aucun lien entre ces deux entités même si, représentées avec une échelle adéquate, elles semblent évoluer de manière étroitement corrélée d’une année à l’autre, ce qui incite à examiner avec la plus grande prudence ce type de graphiques où l’on compare des choux et des carottes en cherchant à tout prix à établir des relations de corrélation qui paraissent graphiquement évidentes alors qu’il ne s’agit que de pures coïncidences sans la moindre signification physique.

Le journal Le Monde met lui aussi en garde ses lecteurs, dans sa rubrique Les décodeurs, sur ce type d’analyses un peu hâtives donnant l’impression qu’il existe un lien de causalité entre certains paramètres qui semblent corrélés entre eux.  Il a ainsi créé un générateur de cartes qui met en évidence des corrélations spatiales entre des données qui n’ont pourtant aucun rapport entre elles.

Corrélation apparente (et sans aucun fondement) entre le taux de mortalité des cancers du sein et la production de pommes de terre par département (source © Le Monde)

Ce n’est pas parce que la Bretagne est la région où la densité de ronds-points est la plus nombreuse et en même temps celle où l’on consomme le plus de beurre salé qu’il faut forcément imaginer un lien de cause à effet entre ces deux paramètres… C’est pourtant ce que l’on a tendance à faire intuitivement et c’est même l’une des bases du déterminisme géographique très en vogue jusque dans les années 1930, qui tendait à expliquer les modes de vie voire de comportement humain par les caractéristiques physiques et climatiques du milieu naturel. L’historien romain Tacite expliquait ainsi déjà la rudesse de mœurs des Germains par la rigueur des hivers auxquels ils étaient soumis et la période coloniale a largement glosé sur les effets du climat tropical qui rendrait les hommes paresseux !

Toute corrélation apparente n’implique pas nécessairement un lien de cause à effet… (source © Geluck / Belin manuel d’économie)

En fait, ce type d’analyse met souvent en évidence des corrélations manifestes entre deux données et en déduit un lien de causalité entre elles, alors qu’en réalité cette corrélation apparente vient simplement du fait que ces données dépendent d’un facteur commun. Par exemple, si l’on représente le chiffre d’affaires quotidien d’un marchand de glaces dans une station balnéaire, on constate qu’il est étroitement corrélé avec celui des ventes de crèmes solaires de son voisin pharmacien. Quand le soleil tape en plein mois d’août, c’est là que les deux commerçants font leurs meilleures ventes. Pour autant, il n’y a aucun lien entre les deux : ce n’est pas parce qu’on a attrapé un coup de soleil qu’on va aller manger une glace à la pistache et ce n’est pas parce qu’on a dégusté une bonne crème glacée qu’on a aussi besoin de s’enduire de crème solaire…

Kenneth Rogoff, ancien directeur de recherche au FMI et professeur à Harvard, et Carmen Reinhart, professeur d’économie à l’université du Maryand, en 2010 (photo © Mary F. Calvert / The New York Times)

Ce biais classique dans le raisonnement statistique est tellement répandu qu’il a pu altérer le jugement même de grands économistes renommés. C’est ainsi que dans les années 2010, un article de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, deux économistes reconnus pour leurs travaux en macroéconomie internationale, faisait état d’une corrélation négative entre le niveau de la dette publique d’un pays et sa croissance économique. Selon leurs observations, la croissance était significativement plus faible dans les pays dont le taux d’endettement est supérieur à 90 % du PIB. Par conséquent et puisque ce niveau d’endettement était source de ralentissement de la croissance, ils préconisaient de mettre en œuvre des politiques d’austérité afin de contenir le niveau de dette en dessous de ce seuil fatidique.

Sauf que ces deux éminents économistes avaient allégrement confondu corrélation et lien de causalité ! De nouvelles études plus approfondies ont même démontré depuis que la relation de cause à effet est inverse : c’est lorsque la croissance ralentit que le taux d’endettement a tendance à augmenter, jusqu’à dépasser ce seuil… Appliquer des politiques d’austérité dans ce contexte ne fait donc qu’aggraver la situation ! Il serait grand temps que certains économistes révisent leurs bases en matière d’études statistiques élémentaires…

L. V.

Carnoux : une table d’orientation mal placée…

18 février 2023

Les amateurs de marche dans la colline sur le chemin qui mène de Carnoux à Roquefort la Bédoule via le passage par la croix, avaient constaté que la plaque de l’ancienne table d’orientation était fort dégradée et par conséquent illisible, l’émail étant écaillé par endroits.

Par ailleurs, et depuis l’érection de la nouvelle croix sur un haut socle pyramidal, après un acte de vandalisme qui avait affecté l’ancienne, la table d’orientation située à son pied ne permettait plus d’admirer la totalité du vaste panorama qui s’étend des collines de Carpiagne jusqu’au massif de la Sainte Baume.

L’ancienne table d’orientation de Carnoux avant intervention
(photo © CPC)

La page 4 du numéro 67 de la revue municipale Le Messager d’octobre 2022 a annoncé « la réhabilitation du panorama de la croix », information confirmée dans le numéro 68 de janvier 2023 qui évoque son installation par l’ONF ainsi que le réaménagement et le nettoyage des abords.

Les marcheurs ont pu suivre les différentes opérations de restauration et quelques-uns ont interrogé les ouvriers de l’ONF quand ils étaient occupés à sceller le cercle de métal destiné à recevoir la nouvelle plaque émaillée d’orientation. Ils leur ont suggéré que son socle soit déplacé de quelques mètres sur la droite de la croix aux abords du surplomb afin d’offrir une meilleure efficacité de la table d’orientation. Il leur a été répondu que seuls les ordres du responsable de l’ONF pouvaient les conduire à opérer le déplacement du socle de la table.

La nouvelle table d’orientation restaurée mais dont le panorama est masqué derrière un ouvrage en pierres : une incitation à imaginer le paysage, à défaut de pouvoir l’observer…(photo © CPC)

Quelques jours plus tard, ils constatèrent que leur requête de bon sens n’avait pas été suivie d’effets et que la nouvelle table était scellée avec pour conséquence l’impossibilité de situer, par exemple, le Garlaban cher à Marcel Pagnol.

Cette opération de réhabilitation, au coût non négligeable, financée par la commune de Carnoux et par le département des Bouches du Rhône, aurait mérité une étude préalable afin d’offrir aux promeneurs, une lecture du panorama plus complète. Notons aussi que le point de vue sur les collines qui surplombent Roquefort la Bédoule est occulté par des pins qui ont été préservés.

Table d’orientation de la Cadière d’Azur, avec sa vue dégagée à 360°

Il existe pourtant dans notre région des exemples d’aménagements qui offrent au large panorama sur le paysage environnant. Ainsi, à la Cadière d’Azur, dans le Var, c’est une vision à 360° qui est permise comme le montre la photographie. Dans d’autres régions, comme à Rosenwiller en Alsace, la table d’orientation est semi-circulaire et cible ainsi le seul panorama visible.

A Carnoux, il faut une vision surnaturelle pour observer le paysage depuis le panorama de la croix… (source © Tuxboard)

Les marcheurs qui visitent les collines de Carnoux ne possédant pas les yeux laser des super-héros comme ceux de Superman, il leur faudra attendre que la science les dote de lunettes capables de voir au travers de la matière pour repérer les différents massifs mentionnés sur la table d’orientation de Carnoux, mais cela relève encore de la science-fiction.

Maroiller

2022 : un bilan pas très drôle…

3 janvier 2023

Et voilà : l’année 2022 vient de se terminer et une nouvelle année commence ! C’est l’occasion de souhaiter à tous nos lecteurs de ces petites chroniques épisodiques sans prétention une excellente année 2023, avec un regard critique et parfois décalé sur l’actualité, traitée de préférence avec un peu de recul pour ne pas tomber dans le catastrophisme et la désespérance…

C’est l’occasion aussi de jeter un peut coup d’œil dans le rétroviseur, histoire de se remémorer quelques faits d’actualité qui ont défrayé la chronique ou sont passés totalement inaperçus, sous les radars des viseurs médiatiques parfois à bien courte vue. Et pour ne pas voir les choses que du côté pessimiste, rien de tel que d’emprunter les lunettes légèrement grossissantes des dessinateurs de presse qui ont l’art de faire se télescoper, pour notre grand plaisir, les actualités les plus insolites, histoire de relativiser un peu tout ça et de ne pas tomber dans la sinistrose.

L’année 2022 qui vient de se terminer ne nous a pas apporté que des bonnes nouvelles, loin s’en faut, mais quand on ne retient que quelques dessins d’actualité traités avec autant d’humour que d’ironie, tout compte fait, on a bien rigolé quand même…

Janvier : la bise de tous les dangers, un peu comme en 2023 finalement… un dessin signé Miss Lilou
Février : Vladimir Poutine lance les troupes russes à l’assaut de l’Ukraine, provoquant la stupeur en Europe… un dessin signé Oli
Mars : le prix de l’essence atteint des records… Un dessin signé Na !
Avril : pour le second tour des Présidentielles, comme un air de déjà vu… Un dessin signé Dilem (source © TV5 Monde)
Mai : en prévision des législatives, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon concocte la NUPES… Un dessin signé Deligne (source © La Montagne)
Juin : pénurie de main d’œuvre en France dans la restauration… Un dessin signé Bauer (source © Le Progrès)
Juillet 2022 : les effets de la canicule, encore accentués en milieu urbain… Un dessin signé Sanaga (source © Blagues et dessins)
Août 2022 : Eric Ciotti et son obsession pour la cravate… Un dessin signé Zaitchick (source © Blagues et dessins)
Septembre : après 70 ans de règne, la reine Elisabeth II laisse sa place à son fils Charles III… Un dessin signé Karim (source © Blagues et dessins)
Octobre : la nouvelle chef du gouvernement britannique jette l’éponge en un temps record : un dessin signé Chappatte (source © Le Temps)
Novembre : alors que l’émission Plus belle la vie tire définitivement le rideau, le mondial de foot focalise l’attention : un dessin signé Alex (source © L’Union)
Décembre : alors que le Mondial de foot se termine au Qatar, une affaire de corruption éclate au Parlement européen… un dessin signé Emmanuel Chaunu

Noël 2022 : mieux vaut en rire !

24 décembre 2022

Comme en 2020 et en 2021, beaucoup appréhendent ces fêtes de fin d’année avec un peu d’anxiété… Dans un monde en proie aux incertitudes économiques, aux affrontements armés y compris entre voisins européens et à une crise écologique sans précédent, il est bien difficile de rester optimiste et de garder l’esprit à la fête et à la magie de Noël.

Heureusement, il nous reste l’humour pour relativiser ces difficultés à surmonter et ces nouveaux défis à relever. Le rire est le propre de l’homme disait Rabelais et les dessinateurs de presse sont de précieux auxiliaires, surtout en période de crise, pour redonner le sourire et permettre de voir les choses sous un autre angle, souvent décalé, parfois ironique mais toujours salutaire. C’est donc une manière de rendre hommage à leur talent indispensable que de leur emprunter certains de leurs dessins récents pour souhaiter malgré tout à nos lecteurs, assidus ou occasionnels, d’excellentes fêtes de fin d’année !

L’essence : un produit de luxe… Un dessin d’actualité signé Karim (source © Blagues et dessins)
L’électricité, un produit bientôt tout aussi convoité… Un dessin signé Biassu (source © Lyon entreprises)
Après les déconvenues du Mondial de foot… Un dessin signé Emmanuel Chaunu (source © L’Union)
Avant Noël, les menaces du père Fouettard… Un dessin signé Alain Goutal (source © Mediapart)
Attention aux sujets de conversation lors du repas de Noël… Un dessin signé Thibault Soulcié (source © Pinterest)
Malgré tout, les traditions de Noël ne se perdent pas … Un dessin signé Patrick Chappatte (source © Le Temps)
Soyons réalistes : attention aux jouets qui cumulent les vulnérabilités… Un dessin signé Frédéric Deligne (source © Twitter)

Poubelles de Marseille : une expérience ratée…

23 novembre 2022

La Ville de Marseille n’est pas spécialement réputée pour être en pointe en matière de ramassage des ordures ménagères. La cité est plutôt connue pour la brièveté légendaire des tournées de ses éboueurs, champions du fini-parti et dont les grèves à répétition rythment la vie des habitants, habitués à voir s’amonceler sur les trottoirs des monceaux de déchets qui attirent rats et gabians avant de finir sur les plages toutes proches, poussées par un Mistral taquin.

Les trottoirs de Marseille régulièrement submergés sous l’amoncellement d’immondices, ici le 23 septembre 2021 à La Plaine (photo © ML / GoMet)

Mais la Métropole Aix-Marseille-Provence, à qui incombe la responsabilité de collecter ces déchets que les habitants entassent consciencieusement devant le pas de leur porte, a voulu frapper un grand coup en lançant début 2021 l’installation de poubelles de rue dernier cri. De vrais bijoux de haute technologie qui sont en réalité des poubelles solaires connectées à compactage intégré, rien de moins !

Une vingtaine de ces bacs métalliques fermés ont ainsi été disposés à titre expérimental dans quelques sites très passants des quartiers sud de Marseille, de préférence dans des secteurs particulièrement fréquentés comme le rond-point du Prado ou la station de métro Castellane. Différents systèmes ont d’ailleurs été ainsi installés en parallèle par la Métropole, histoire d’en tester l’efficacité, dont celles de la société Mr Fill ou encore le dispositif Bigbelly, commercialisé en France par la société aixoise Connect Sytee.

Benne à ordures de rue à compactage solaire Mr Fill installée ici à Londres (source © Mr Fill)

Une innovation mise au point par la société américaine Big belly solar Inc, basée dans le Massachussetts et qui se présente sous forme de bornes parallélépipédiques d’une contenance d’environ 120 litres mais qui peut admettre 5 à 6 fois plus de déchets grâce à son système de compactage intelligent actionné par l’énergie solaire. Une puce électronique et des capteurs judicieusement placés permettent de suivre en direct le taux de remplissage du bac et d’alerter les équipes de surveillance chargées de déclencher le ramassage : on atteint là des sommets en matière d’intelligence adaptée à la collecte de nos ordures ménagères…

Des machines ultra sophistiquées qui équipent depuis 2004 l’espace publique de nombreuses métropoles mondiales, de Washington à Melbourne en passant par Londres, Boston, Hambourg ou Lausanne. La cité phocéenne ne pouvait évidemment pas passer à côté d’un tel prodige d’inventivité high-tech et Martine Vassal ne pouvait qu’être séduite par la modernité d’une poubelle connectée aussi fabuleuse.

Poubelle solaire compacteuse installée rue Saint-Ferréol à Marseille, déjà tagguée (photo © Caroline Delabroy / 20 minutes)

Mais avant d’en équiper toutes les rues, encore fallait-il tester le système. Il faut dire au passage que la poubelle en question n’est pas donnée, à raison de 5000 € l’unité quand une poubelle de rue plus classique, même un peu design, coûte moins de 500 €. Mais la haute technologie n’a pas de prix et la Métropole a tellement de mal à mobiliser ses agents pour venir vider les poubelles qu’elle a vu tout de suite l’intérêt d’un tel système de compactage qui permet de se déplacer 5 à 6 fois moins souvent. Il suffit en effet d’attendre que le bac soit plein de déchets, compactés au maximum, avant d’envoyer un agent pour le vider.

Une bien belle invention donc, installée aussi à Paris ou à Cannes. Sauf qu’à Marseille, bizarrement, le programme expérimental de poubelles connectées à compactage solaire semble avoir foiré lamentablement. Serait-ce que la technologie est trop complexe pour le pékin lambda ? Ou qu’un dispositif aussi sophistiqué nécessite trop de maintenance pour les équipes techniques de la Métropole ?

A la station de métro Castellane, les vestiges d’une poubelle connectée high-tech après quelques mois dans le biotope marseillais… (photo © CPC)

Toujours est-il que depuis quelques mois déjà, la belle poubelle high-tech qui trône fièrement en haut des escaliers de la station de métro place Castellane, fait un peu grise mine, bourrée jusqu’à la gueule de déchets immondes qui débordent de toutes parts, bien emmaillotée dans une rubalise comme celle que l’on déroule sur les scènes d’accident pour prévenir du danger. Relique posthume d’un accident technologique lié à un décalage excessif entre l’innovation technique de concepteurs inconscient de la réalité prosaïque du Marseillais pressé de se débarrasser de son paquet de cigarette vide, ou simple témoignage d’un crime de lèse majesté envers un modèle de perfection technologique venu d’Outre-Atlantique mais peu adapté au degré d’incivilité locale ? Toujours est-il que plus personne ne peut plus s’approcher de la bête bourrée d’électronique et chacun se contente donc de poser par-dessus son carton à pizza et sa canette de bière.

Une expérimentation qui a manifestement mal tourné… (photo © CPC)

Une bien triste fin pour ce concentré d’innovation technologique à l’Américaine qui arbore encore fièrement son étiquette qui précise pour les passants un peu distraits : « Ici on expérimente les poubelles de rue intelligentes ». Peut-être un peu trop intelligentes pour le Marseillais de base qui est manifestement passé à côté d’une belle invention, prête à révolutionner la collecte de nos déchets : Caramba, encore raté !

L. V.

Un CV qui fait le buzz

22 octobre 2022

Au Canada comme dans le monde anglo-saxon en général, il est fréquent de de commencer à travailler quand on est adolescent, et pas seulement pour des jobs d’été mais souvent pour de vrais boulots à temps partiel, le week-end et le soir après l’école. Chez nos amis québécois par exemple, la législation n’impose pas un âge minimum pour accéder au marché de l’emploi. Elle demande simplement l’autorisation parentale pour les enfants de moins de 14 ans et impose des charges horaires maximales jusqu’à 16 ans, mais pas au-delà. De très nombreux adolescents commencent donc à travailler régulièrement des 13-14 ans pour faire du gardiennage, de la vente en magasin, livrer les journaux ou faire la nounou.

Jeune adolescente canadienne au travail (source © RTL)

Au point que les services de l’État se croient obligés de rappeler régulièrement aux parents quelques conseils de base pour éviter que leur enfant ne s’adonne en totalité à une telle activité professionnelle, certes lucrative et gage d’autonomie personnelle, mais qui peut venir fâcheusement empiéter sur le temps scolaire et les périodes de repos nécessaires… En tout cas, dans un tel contexte, les médias regorgent de conseils en tous genre pour aider les parents angoissés à guider leur progéniture dans la rédaction de leur curriculum vitae, ce précieux sésame qui donne accès au monde du travail, même quand on n’a que 14 ans et aucune expérience professionnelle à faire valoir…

Mais évidemment, rien de tel en France où le travail des enfants est davantage réglementé. Sans remonter jusqu’au décret impérial de 1813 qui interdit le travail des enfants de moins de 10 ans dans les mines où ils faisaient pourtant merveille grâce à leur petite taille, il a quand même fallu attendre 1892 pour qu’une loi limite à 10 heures la durée maximum quotidienne de travail des enfants de moins de 13 ans, à une période où le travail était encore autorisé à partir de 12 ans… Il a ainsi fallu attendre 1936 pour que la scolarité devienne obligatoire jusqu’à 14 ans, puis 16 ans à partir de 1959.

Le jeune stagiaire, un auxiliaire devenu indispensable en entreprise : un dessin signé Schwartz pour le Rectorat de Rennes (source © CFTC)

Mais l’Éducation nationale, sous la pression ambiante, s’est mis en tête de pousser les enfants à s’imprégner du monde du travail qui les attend (ou pas) en rendant obligatoire des stages de découverte en entreprise au cours de la classe de 3ème et parfois dès la 4ème. Depuis 2019, ces séquences de découverte du monde professionnel sont en effet ouvertes avant même l’âge de 14 ans, comme si les enfants n’avaient rien de plus urgent à apprendre que la manière dont fonctionne le milieu professionnel.

Les nouvelles générations à la découverte du monde du travail : un dessin de Jiho, publié dans Marianne en 2015

Pour pouvoir trouver un tel stage d’observation, même limité à quelques jours, encore faut-il faire acte de candidature. Et voilà que les entreprises sollicitées se mettent à exiger des jeunes collégiens non seulement une lettre de motivation, mais même un véritable cv, comme s’ils étaient candidats pour un véritable recrutement ! Un curriculum vitae à 14 ans, quand on est encore au collège, quel sens cela peut-il bien y avoir ? C’est justement la question que s’est posée cette maman d’élève de Joué-les-Tours qui du coup s’est piquée au jeu et s’est chargée elle-même de rédiger le cv de son rejeton puis de la partager sur son propre réseau professionnel via l’application Linkedin.

Du coup, l’exercice, traité avec une bonne dose d’ironie et d’autodérision, a fait le buzz et le cv du petit Loulou a largement circulé, alors même qu’il n’a pas été rédigé par le principal intéressé comme sa mère le revendique haut et fort ! On y apprend ainsi que le jeune collégien, malgré son jeune âge, a déjà enchaîné 3 contrats à durée déterminée. Le premier était naturellement une « création de poste », de bébé cela va de soi, au cours de laquelle le jeune Loulou, outre de faire ses premières dents a « mis en place les processus internes au bon fonctionnement d’une famille et coaché [ses] parents sur l’optimisation de leur temps libre ».

Le cv du jeune Loulou, rédigé par sa maman… (source © France Bleu)

S’en est suivi un deuxième CDD de « poseur de questions » couronné par un beau succès personnel de « meilleur déguisement de Spiderman au carnaval de l’école en février 2014 ». Et depuis 2019, notre impétrant bénéficie donc d’un nouveau contrat à durée déterminée (c’est du moins ce que sa mère espère) de « geek à capuche », « champion du monde de la coupe de cheveux improbable » qui « essaie de survivre à l’adolescence, au réchauffement climatique et à [ses] parents frappadingues ». Un cv qui ne dira pas grand-chose des compétences du candidats, sinon qu’il baragouine un peu le Chinois, se débrouille en programmation et est plus doué pour le « codage de trucs bizarres » que pour le « rangement de [sa] chambre » ou le « vidage du lave-vaisselle », mais on s’en serait évidemment douté…

Il n’y a pas de souci à se faire naturellement pour le jeune Loulou qui a déjà reçu plusieurs offres de stages selon les médias qui ont largement relayé l’exercice potache de sa mère pleine d’humour. Il y a d’ailleurs gros à parier que d’autres parents d’élèves vont se piquer au jeu et que les DRH des entreprises sollicitées pour accueillir des élèves de 3ème en stage de découverte du mode du travail n’ont pas fini de s’amuser et de se faire passer les cv les plus drôles. D’ici à ce que la rédaction de cv devienne une épreuve obligatoire du Bac, il n’y a sans doute pas beaucoup à attendre…

L. V.

Le Ravi, c’est fini…

18 septembre 2022

« La liberté de la presse ne s’use que quand on ne s’en sert pas » Tout le monde a en tête cet aphorisme qui figure en tête de la dernière page de chaque numéro du Canard enchaîné, même si personne ne sait trop bien à qui attribuer cette citation, sans doute trop belle pour être vraie… En revanche, on sait bien qui est l’auteur de cette autre maxime moins connue mais sans doute plus réaliste : « la liberté de la presse est entière : il suffit d’avoir les milliards nécessaires ». C’est le sociologue Alfred Sauvy qui faisait ce constat lucide en préface d’un ouvrage de Jean Boniface publié au début des années 1960 sous le titre Arts de masse et grand public. Une vision assez prémonitoire de la bataille à laquelle on vient d’assister entre les milliardaires Xavier Niel et Rodolphe Saadé pour prendre le contrôle du quotidien régional La Provence

La presse française très prisée des milliardaires, un dessin signé Miss Lilou (source © Blagues et dessins)

Rien qu’en France, 8 milliardaires contrôlent de fait une vingtaine de journaux, trustant à eux seuls 95 % des ventes d’hebdomadaires nationaux généralistes et plus de 80 % de la presse quotidienne nationale. Ainsi, Bernard Arnault, première fortune de France, détient des titres comme Le Parisien, Les Echos, Investir ou encore la chaine Radio Classique. Son alter ego Vincent Bolloré s’est forgé de son côté un véritable empire médiatique avec les chaînes CNews, Direct 8 et des titres aussi courus que Paris Match, Géo, Voici, Ça m’intéresse ou Capital. Patrick Drahi, qui a fait fortune dans le domaine des télécommunications, est désormais à la tête de Libération, l’Express ou encore BFM et RMC. Son collègue Xavier Niel, patron de Free, est actionnaire majoritaire du Monde, de Télérama, du Nouvel Observateur ou encore de Rue 89. On pourrait citer aussi le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, désormais patron de Marianne, Elle ou encore Télé 7 jours, mais aussi François Pinault, 24e fortune mondiale qui détient Le Point tandis que le Figaro est entre les mains de la famille Dassault.

Un dessin signé Loup sur les limites subtiles du dessin de presse… (source © The Conversation)

Curieusement, aucun de ces grands patrons tous milliardaires et grands philanthropes, défenseurs invétérés de la sacro-sainte liberté d’informer, n’est venu au secours du petit mensuel provençal satirique le Ravi qui vient de rendre l’âme et de jeter l’éponge après 18 ans de combat homérique pour tenter de faire entendre sa voix quelque peu gouailleuse d’une « presse pas pareille ». Lancé en 2003 par l’association marseillaise La Tchatche, ce journal était publié en kiosque tous les premiers vendredis du mois. Mais le n°208 daté de juillet-août 2022 sera donc le dernier de la liste, suivi néanmoins par un « numéro très spécial » publié post mortem sur le site du Ravi, encore accessible.

Couverture du numéro (très) spécial du Ravi, publié post mortem sur son site (source © le Ravi)

Il est vrai que ce dernier exemplaire du Ravi vendu en kiosque cet été contenait, outre une attaque frontale contre les fachos du RN, un portrait au vitriol de Rodolphe Saadé, le patron de la CMA CGM et, donc, désormais de La Provence, en train de se lâcher contre un autre grand prédateur, Michel-Edouard Leclerc, qui avait osé attaquer le transporteur maritime en l’accusant de profiter de la situation pour gonfler ses marges et encaisser des bénéfices mirobolant… Un dialogue savoureux et quelque peu viril, imaginaire bien entendu, mais qui donne bien le ton des journalistes du Ravi, jamais avares en bons mots et fins observateurs des petits travers du microcosme politico-économique régional.

Exemple de « contrôle technique de la démocratie » à Aix-en-Provence le 24 septembre 2021 : une caricature de Sophie Joissains signée Trax (source © le Ravi)

C’est d’ailleurs ce qui faisait le sel de ce média pas comme les autres qui sortait, mois après mois, ses enquêtes d’investigation sur les sujets qui fâchent, mais aussi ses portraits acides de personnalités « en surmoi médiatique » qui ont tellement pris la grosse tête qu’elles s’exposent à un rappel peu amène de certaines de leurs déclarations publiques à l’emporte-pièce. Sa rubrique mensuelle intitulée « contrôle technique de la démocratie » était un vrai bijou d’observation des mœurs locales de la démocratie au quotidien, observée en direct par un journaliste assistant incognito à un conseil municipal et relatant avec talent et humour le jeu de rôle des élus locaux jamais avares de postures et sans cesse rattrapés par leur vanité personnelle et leur ego surdimensionné.

Un dessin signé Yakana, à l’occasion de la disparition du Ravi (source © le Ravi)

Et pourtant, le journal se portait plutôt bien avec ses ventes en hausse, son site internet performant et très fréquenté, ses actions éducatives bien suivies et son taux d’autofinancement remarquable de 80 %. Mais ce n’était pas suffisant pour faire vivre durablement la petite équipe de journalistes particulièrement investie qui se dévouait corps et âmes pour ce projet atypique. Faute de subvention publique et malgré les nombreux soutiens populaires régulièrement sollicités, le journal, comme d’ailleurs toute la presse écrite, avait bien du mal à trouver son équilibre financier. Or en 2021, le Conseil départemental de Martine Vassal comme le Conseil régional de Renaud Muselier, ont brusquement fermé le robinet des subventions à ce journal satirique un peu trop critique à leur égard. La Ville de Marseille a bien tenté de lui venir en aide en votant in extremis une subvention à son bénéfice en juin dernier mais le journal a donc déposé le bilan avant même d’avoir pu en voir la couleur…

La Ravilution de juin 2022, vue par Na ! : en 3 mois, les donateurs se sont mobilisés pour recueillir 63.000 euros de dons et tenter de sauver le journal, en vain (source © le Ravi)

Malgré le tragique de la situation, l’équipe du Ravi a gardé son sens de l’humour et sa page d’adieu et de remerciement à tous ceux qui l’ont accompagné dans cette aventure vaut la lecture ! Petit extrait : « C’est donc la fin d’une histoire débutée en 2003 ! Pour les six salariés de la Tchatche, aucun problème : comme pour tous les chômeurs, il leur suffira de traverser la rue afin de trouver un travail. Pour l’offre médiatique régionale, déjà étriquée, c’est ballot : elle s’appauvrit encore un peu plus avec la disparition d’un des très rares journaux mêlant enquête et satire en France… ».

A l’occasion de la disparition du Ravi, les (fausses) condoléances des personnalités locales, ici le sénateur RN Stéphane Ravier… (source © le Ravi)

Quant aux personnalités locales, l’équipe du Ravi anticipe avec autant de perspicacité que d’ironie les larmes de crocodile qu’ils ne manqueront pas de verser sur la disparition de ce média indépendant qui leur a si souvent fait grincer les dents et lever les bras au ciel, un peu comme le fameux ravi de la crèche, auquel le journal en question tire son nom, l’air toujours un peu ahuri et naïf mais sans jamais baisser les bras, jusqu’à ce jour du moins… Un grand remerciement en tout cas à cette équipe de journalistes passionnés qui a œuvré avec autant de conviction, et souvent un brin de provocation, pour faire vivre cette démocratie locale si précieuse.

L. V.

Sécheresse et canicule : mieux vaut en rire…

25 août 2022

L’été 2022, tout comme celui de 2018 dernièrement, restera dans les annales pour ces périodes successives de canicule, ces incendies de forêts spectaculaires, y compris dans des régions de l’hexagone habituellement épargnées, ces fontes de glaciers et ces inondations brutales, de quoi convaincre les derniers sceptiques que les effets du changement climatique ne sont pas seulement une chimère de scientifique en mal de notoriété. Et encore, l’été est loin d’être terminé…

Canicule et sécheresse auront en tout cas bien alimenté nos médias ces derniers mois, et abondamment inspiré les dessinateurs de presse talentueux qui ont l’art de mettre en perspective les événements les plus dramatiques, partant du principe qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer : petit florilège…

L. V.

Canicule : une opportunité pour les affaires… Un dessin signé Ganaga (source © Blagues et dessins)
Sécheresse : le drame des agriculteurs… Un dessin signé Kavar (source © Pinterest)
Un été marqué par la canicule et des feux de forêts sur tout le territoire : un dessin signé Bauer (source © Le Progrès)
Et pendant ce temps, les glaciers alpins continuent à fondre… Un dessin signé Pitch (source © Twitter)
Attention aux personnes vulnérables : humour noir signé Chimulus (source © Urtikan)
Même l’actualité judiciaire est suspendue à la météorologie… Un dessin signe Alex (source © L’Union)
Les médias n’en font-ils pas un peu trop parfois ? Un dessin signé Tesson
Heureusement, le Chef de l’État est particulièrement investi… Un dessin signé Man (source © Fidjie Fidjie)
Le bon côté de la canicule, en attendant pire… Un dessin de Patrick Chapatte