Archive for octobre 2020

Vieux-Port de Marseille : le grand ménage en direct

31 octobre 2020

Comme tous les bassins nautiques situés en centre-ville, le Vieux-Port de Marseille, édifié en lieu et place de l’ancienne calanque du Lacydon, est le réceptacle de tous les déchets qu’y jettent négligemment les passants depuis les quais où qui y sont poussés par le vent lorsque celui-ci balaie les rues de la cité et renverse les poubelles. Pas étonnant, dès lors, qu’on y retrouve, dans la vase du fond, des tonnes de déchets : canettes de bière et papiers gras, vélos et trottinettes, barrières de chantier et plots de signalisation, mais aussi parfois vieux canapé, lave-linge usagé et épave de voiture ou de moto…

Le Vieux-Port de Marseille, vu d’en haut et… du fond (source © Made in Marseille)

En 2016, la Fédération des sociétés nautiques des Bouches-du-Rhône (FSN 13) avait ainsi pris l’initiative de lancer une opération annuelle de nettoyage du Vieux-Port, ce qui à l’époque n’avait pas été fait depuis 2004. L’idée était bien sûr d’insister sur l’aspect pédagogique en médiatisant l’opération pour inciter les plaisanciers qui fréquentent régulièrement le site à prendre soin de leurs déchets de toute sorte pour éviter qu’ils ne finissent à la baille, même les jours de fort mistral.

Affiche de la première opération du genre, initiée en 2016 (source © FSN 13)

Organisée le 8 octobre 2016 avec l’appui de nombreuses personnalités locales et le renfort de plusieurs institutions et associations sportives et environnementales, l’opération avait connu un beau succès médiatique et est, depuis, renouvelée chaque année. Ainsi, l’an dernier, le 19 octobre 2019, des centaines de citoyens et responsables associatifs, dont environ 200 plongeurs s’étaient mobilisés selon Made in Marseille qui couvre régulièrement l’évènement.

Vers 16 h, un premier bilan dressé par l’association MerTerre qui anime également d’autres opérations du même type dont celle intitulée Calanques propres, faisait état de 45 m³ de déchets de toutes sortes sortis du Vieux-Port par cette armada de bénévoles. L’année précédente, en 2018, le volume de déchets était encore plus impressionnant et il avait fallu 21 bennes mises à disposition par la Métropole Aix-Marseille-Provence pour les évacuer en décharge.

Une trottinette sauvée des eaux lors d’une opération de nettoyage du Vieux-Port (photo © Georges Robert / La Provence)

Pas moins de 4 333 objets divers et variés avaient ainsi été extraits de la vase du Vieux-Port, parmi lesquels beaucoup de canettes et bouteilles en verre, mais aussi un chevalet de peintre, 42 vélos, 15 skate et trottinettes, 7 poussettes, un brancard (vide), plusieurs bidets et cuvettes de wc, une amphore antique (comme quoi l’habitude de jeter ses déchets dans le Vieux-Port ne date pas d’hier), et même un obus de la dernière guerre, qui n’est pas à proprement parler un vulgaire détritus mais qui a obligé à faire appel aux démineurs…

Pour 2020, crise sanitaire oblige, il n’était pas question de rassembler sur le Vieux-Port des centaines de volontaires pour aller à la quête des déchets immergés. Place donc à la technologie high tech. Et bien entendu, c’est à la start-up marseillaise Notilo Plus qu’il a été fait appel. Créée en 2016 par Benjamin Valtin et Nicolas Gambini, cette société a en effet développé des drones sous-marin autonomes déclinés en version loisirs sous le nom de IBubbles, et en version professionnelle sous l’appellation Seasam.

Le drone aquatique, un outil pour accompagner fidèlement le plongeur et assurer les prises de vue sous-marine (photo © Notilo Plus / Marcelle média)

Fruit d’un partenariat avec la compagnie maritime CMA CGM, ces drones qui sont dotés d’un dispositif de propulsion autonome sans fil et d’un système de mémorisation et de géolocalisation, sont en effet parfaitement adaptés pour effectuer un parcours pré-programmé en repérant les endroits où ils sont déjà passés et en localisant avec précision ce qu’ils observent, ce qui en fait des auxiliaires très précieux pour inspecter la coque des navires, identifier les défauts éventuels et vérifier l’état des peintures en vue de décider et d’orienter les opérations de maintenance.

Les drones aquatiques de Notilo Plus utilisés pour l’opération (source © Marcelle média)

C’est donc à un robot sous-marin de ce type, équipé de différentes caméras, qu’a été confié le soin de cartographier au préalable l’ensemble des déchets visibles au fond du port, puis de guider un plongeur afin d’aller les récupérer directement sans perdre de temps à les rechercher. Jeudi 15 octobre 2020, une opération médiatique a ainsi été organisée dans les locaux de l’Union nautique marseillaise au pied du Pharo. Deux drones de Notilo Plus filmaient dans le bassin le plongeur en train de récupérer les déchets dans son filet et les images étaient retransmises en direct sur écran géant et sur la chaîne Youtube afin que les enfants des écoles puissent suivre l’opération.

C’est la maire de Marseille, Michèle Rubirola, qui a insisté pour que les écoliers puissent ainsi suivre en direct les opérations afin de prendre conscience de tous les déchets qui finissent ainsi leur course dans le fond du port. Présente sur place, ainsi que la maire de secteur Sophie Camard qui raconte sa plongée dans le Vieux-Port à l’occasion d’une édition précédente de l’opération, elle assiste au dialogue qui s’instaure entre une dizaine de collégiens de Team 13, une association de jeunes bénévoles qui organise des opérations de protection de l’environnement, et quelques spécialistes.

Présentation en direct par Nicolas Gambini, président de Notilo plus, des images du nettoyage (source © Marcelle média)

Parmi eux, un membre de l’ONG Planète mer, qui s’est donné pour mission de préserver les milieux marins en lien avec les activités humaines associées, mais aussi une représentante de Citeo, une entreprise privée chargée par l’État d’organiser, piloter et développer le recyclage des emballages ménagers et des papiers dans le cadre de la responsabilité élargie du producteur. Une autre start-up marseillaise, au nom typiquement provençal de Green City Organisation était également présente pour vanter les mérites de son dispositif de filet D’Rain qui récupère les micro-déchets à la sortie des collecteurs d’eau pluviale pour éviter leur rejet direct en mer.

Après quelques déboires techniques liés à une transmission médiocre par wi-fi, les images filmées en direct par les drones ont permis d’assurer un incontestable succès à cette nouvelle action de nettoyage du Vieux-Port. Pas moins de 124 classes étaient connectées en direct pour suivre le déroulement des opérations et profiter des commentaires, de nombreuses autres se connectant ultérieurement pour profiter de cette séquence un peu exceptionnelle et dont la portée pédagogique est incontestable. Un jour peut être, les fonds du Vieux-Port ne ressembleront plus à un vaste dépotoir…

L. V.

La plume de l’aigle de Bonelli

29 octobre 2020

L’aigle de Bonelli doit son nom à l’ornithologue italien Franco Andrea Bonelli qui a découvert l’espèce en 1815, l’année même où une grande partie de l’Europe coalisée réglait son compte aux rêves de grandeurs de l’aigle napoléonien. Présente sur le pourtour de la Méditerranée et jusqu’en Chine méridionale, cette espèce d’aigle de taille modeste qui niche dans les secteurs montagneux à faible altitude, est considérée en France comme une espèce relique, quasi en voie de disparition.

Aigle de Bonelli en vol (photo © Peter Arras / eBird)

Alors qu’on a retrouvé des traces fossiles qui attestent de sa présence dans les falaises calcaires du sud de la France depuis au moins 200 000 ans, il ne restait plus en France que 30 couples de cette espèce, recensés en 2012, alors qu’on en comptait encore 80 dans les années 1960. Si cette espèce est aussi menacée, c’est certes parce son taux de reproduction naturel est faible et parce que ce rapace a besoin d’aires de nidification très spécifiques, typiquement des falaises avec replats à moins de 700 m d’altitude, et des zones de chasse en milieu ouvert de type garrigues et vignes. Mais les causes de sa disparition sont aussi liées à l’artificialisation des milieux où il vit, au dérangement lié à la chasse et autres activités de pleine nature, et en partie aux lignes à haute tension qui sont la principale cause de mortalité des jeunes qui ne maîtrisent pas encore bien leur environnement…

Un aigle de Bonelli, ambassadeur des Calanques (photo © J. Uriarte / Getty / France Inter)

Toujours est-il que l’aigle de Bonelli fait partie des espèces emblématiques du Parc national des Calanques, même si on ne connaît qu’un seul couple qui y réside, sur les hauteurs de Vaufrèges, tandis qu’un autre a élu domicile dans le massif de la Sainte-Baume et qu’on en recense désormais deux du côté de la Sainte-Victoire. Un bel emblème qui justifie à lui seul les efforts de conservation de ce milieu naturel fragile, entrepris bien avant la création du parc national et qui se poursuivent, même si la tâche est immense au vu de l’importance des activités humaines de toute nature qui se pratiquent sur ce territoire dont la fréquentation, cet été, a battu tous les records !

C’est en tout cas ce rapace rare que le Parc national des Calanques a choisi comme ambassadeur pour mieux faire connaître son territoire aux plus jeunes en confiant à un auteur le soin d’écrire un conte polyphonique pour y dévoiler les différentes facettes du parc. L’ouvrage, intitulé Calanques, les entretiens de l’Aigle, est paru aux éditions Glénat en juin 2020 et c’est un petit bijou. Au travers du regard de l’Aigle, personnage aussi naïf que curieux, se dévoilent tour à tour différents usagers du Parc des Calanques : randonneur, grimpeur, pêcheur, chasseur, botaniste, plaisancier mais aussi pompier, garde, écologue ou urbaniste. Chacun a sa propre vision de ce territoire où les usages se croisent, interfèrent et parfois se heurtent, reflétant la complexité à concilier autant d’intérêts différents et parfois opposés.

Somptueusement illustré par les pastels minutieux et un peu naïf d’Amandine Maria, une artiste-paysagiste de Vitrolles, sous forme de paysages vus du ciel par l’œil perçant de l’aigle, le livre se veut un message d’espoir en vue de restaurer un jour l’équilibre de ce milieu vulnérable et permettre à chacun de cohabiter, un conte moderne et pédagogique qui allie magie de la fiction et rigueur scientifique, un bel outil pour apprendre à découvrir le massif des Calanques.

La plume à qui le Parc national des Calanques a confié le soin de se faire le porte-parole de l’aigle de Bonnelli, est Karine Huet, une intrépide voyageuse qui a passé son enfance à bourlinguer d’île en île, aux côté de son père, médecin militaire en Polynésie française, et qui embarque à 18 ans à Marseille avec le peintre Yvon le Corre pour un périple en voilier qu’elle retrace dans son premier livre intitulé Heureux qui comme Iris, publié en 1978. Depuis, elle a enchaîné les voyages autour du Monde avec son compagnon, Titouan Lamazou et a publié une bonne quinzaine d’ouvrages, récits de voyage, poèmes et romans.

L’auteur, Karine Huet, dans les calanques (photo © Zoé Lamazou / Marcelle)

Calanques, les entretiens de l’Aigle est son dernier opus en date, fruit de 39 entretiens avec différents usagers du Parc mais aussi de sa propre connaissance du secteur puisque l’auteur a elle-même vécu pendant 6 ans dans un cabanon à Morgiou. Mais ce livre s’inscrit dans une longue lignée où l’on peut citer notamment Les lucubrations de la cucurbite à Markus, Comment le corbeau perdit la parole et ce qui s’ensuit, Poèmes à l’encre de sèche et d’encornet, Le vieux qui gardait la mer ou encore Onze lunes au Maroc pour ne citer que quelques uns de ses titres. Une plume qui s’imposait donc pour l’Aigle des Calanques…

L. V.

Les États-Unis dans l’ère du pyrocène ?

27 octobre 2020

Les scientifiques, et plus encore les journalistes et autres vulgarisateurs, adorent parer de mots complexes les choses les plus simples. On évoque depuis des années la notion d’anthropocène pour caractériser notre période industrielle, dans laquelle nous vivons, en gros depuis le milieu du XIXe siècle, et au cours de laquelle l’empreinte humaine s’est mise progressivement à modeler notre milieu naturel dans des proportions jamais imaginées jusque-là.

Un dessin signé Cambon publié par Urtikan

Les facteurs naturels qui ont fait évoluer la Terre à l’échelle des temps géologiques sont de plus en plus influencés par l’action humaine. Les émissions de gaz à effets de serre issues de l’activité industrielle mais aussi de nos modes de vie quotidiens sont devenues, en quelques décennies, source de changements climatiques rapides, à un rythme probablement jamais connu jusqu’à présent. Les évolutions que connaît la biodiversité du fait de l’impact des actions humaines (déforestation, agriculture intensive, pollution atmosphérique, urbanisation galopante, etc.) se font de manière sans doute bien plus rapide que lors des grandes extinctions majeures que notre planète a déjà connu.

Et voilà qu’un autre vocable tend déjà à se juxtaposer à ce concept d’anthropocène : celui de « pyrocène ». Les amateurs d’apocalypse peuvent se réjouir: voilà que nous entrerions dans l’ère des grandes catastrophes et notamment des incendies dantesques capables de ravager, des mois durant, des milliers d’hectares, brûlant tout sur leur passage et ne laissant plus que cendres, ruines et désolation. La forêt amazonienne, les zones boisées de la zone tropicale africaine, le bush australien, et même la végétation clairsemée du Groenland ont connu ainsi récemment des incendies gigantesques. Mais l’opinion publique a surtout été frappée, ces dernières années par les incendies spectaculaires qui ont frappé l’Ouest américain et notamment l’État de Californie qui a payé un lourd tribut aux flammes.

Les pompiers impuissant face à la violence du feu le 9 décembre 2017 à l’Est de Santa Barbara, Californie (photo © Gene Blevins / Reuters / L’Express)

Dans cette région où l’urbanisation s’est développée de manière quelque peu anarchique, souvent à l’interface avec les zones boisées, et où les étés peuvent être brûlants, les incendies ne sont pas rares mais ceux de ces dernières années atteignent des records inimaginables. On se souvient de ceux de 2018 et notamment de celui dénommé Camp Fire qui avait dévasté 90 % du territoire de la commune de Paradise, au nord de la Californie, faisant 85 morts entre le 8 et le 26 novembre 2018 et détruisant pas moins de 13 500 maisons. Mais cette année là, l’équivalent local de l’ONF avait recensé pour le seul État de Californie 5 616 feux et ceci à la date du 8 août 2018, bien avant donc la fin de la période critique. On estimait alors à 4 346 km² la superficie ainsi partie en fumée, soit davantage que l’étendue d’un département comme celui des Alpes-Maritimes !

Pompier luttant contre les flammes à Paradise, Californie, le 9 novembre 2018
(photo © Josh Edelson / AFP / Science et Avenir)

Et voilà que l’année 2020 bat tous les records avec des incendies encore plus gigantesques dans tout l’Ouest américain… Entre le 16 et le 17 août 2020, à l’occasion d’une période de forte chaleur et de vents violents, de nombreux impacts de foudres ont provoqué des départs de feu dans la zone côtière nord de la Californie, alimentant de gigantesques incendies qui ont brûlé plus de 3500 km² dans la zone de vignobles au nord de San Francisco, près de la Silicon Valley et dans le secteur de Santa Cruz. Près de 240 000 personnes ont dû être évacuées et plus de 1000 bâtiments ont été détruits par les flammes même si le bilan humain se limite à 5 victimes.

Incendie en cours le long de la route de Butts Canyon en Californie, le 23 août 2020 (photo ©
Noah Berger / AP Photo / Calmatters)

Mais bien d’autres incendies se sont succédé depuis, y compris dans d’autres États dont celui de l’Oregon et celui de Washington . Au 14 septembre, un bilan provisoire faisait ainsi état de 35 morts péris dans les flammes et de 15 000 km² partis en fumée, soit l’équivalent de la totalité des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes réunis ! Dans le seul État de l’Oregon, ce sont près de 500 000 personnes qui ont ainsi reçu l’ordre d’évacuer, souvent dans des délais très brefs ne leur permettant d’emporter que le strict nécessaire avant de fuir sur des routes encombrées, dans un décor d’apocalypse, poursuivis par d’âcres fumées noires et sous un ciel rougeoyant.

Une habitante de l’Oregon face aux ruines de son habitation détruite par les flammes (photo © Robyn Beck / AFP / France Culture)

Dans le Colorado, les incendies qui ont aussi débuté depuis le mois d’août, ne sont pas terminés. Le 23 octobre 2020, un gigantesque brasier était encore à l’œuvre, ayant déjà consumé de l’ordre de 830 km² et ayant obligé à évacuer plus de 3000 personnes selon Reporterre. Plusieurs parcs nationaux proches de Denver ont ainsi été la proie des flammes.

Incendie en Alaska (DR / source : Journal de l’environnement)

Même l’Alaska est soumis ces dernières années à des incendies gigantesques qui dévastent ses forêts. En 2004, la surface brûlée avait ainsi été estimée à 2,7 millions de km², soit près de 5 fois la superficie totale de la France métropolitaine ! Et en 2015, selon le Journal de l’environnement, on avait également dépassé les 2 millions de km² partis en fumée dans ce seul État. Une situation d’autant plus préoccupante que les sols gelés en permanence à ces latitudes sont alors exposés directement au dégel lorsqu’ils ne sont plus protégés par un couvert forestier, ce qui risque d’aggraver encore l’émission de gaz à effets de serre du fait des grosses quantités de méthane piégé dans le pergélisol, lesquels s’ajoutent aux énormes volumes de CO2 qui sont dégagés dans l’atmosphère lors d’incendies de cette ampleur…

C’est donc à un véritablement emballement auquel on assiste, le réchauffement climatique étant lui-même accéléré par les incendies dont il est l’un des facteurs déclenchant ! Ce pyrocène dans lequel nous serons désormais entré a bien un petit côté apocalyptique : l’Homme serait-il à son corps défendant retourné à l’âge du feu ?

L.V.

La Métropole étrillée par la Chambre régionale des comptes

25 octobre 2020

C’est un véritable pavé dans la mare que vient de lancer la Chambre régionale des comptes (CRC) en rendant public le 15 octobre 2020 son rapport d’observation qui porte sur le fonctionnement de la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP) depuis sa création le 1er janvier 2016. Un pavé qui ne manquera pas d’éclabousser fortement Martine Vassal qui vient tout juste d’être réélue à la tête de l’institution et qui s’est empressée de rassurer les maires des communes périphériques en leur redonnant l’essentiel des pouvoirs décisionnels qui auraient dû progressivement être transférés à l’échelon métropolitain : exactement l’inverse de ce que prônent les magistrats de la CRC à l’issue de leur analyse !

Assemblée communautaire de la Métropole Aix-Marseille-Provence en 2019 (photo © Emilio Guzman / Marsactu)

Ces derniers rappellent en effet que la métropole avait été créée précisément pour permettre aux six intercommunalités préexistantes, dont la communauté urbaine Marseille Provence Métropole à laquelle était rattachée Carnoux, d’unir leurs forces et de mettre en commun leurs ressources pour agir enfin à la bonne échelle et mettre en place les projets structurants tant attendus en matière notamment de transports publics, d’habitat, de développement économique, de protection de l’environnement et de lutte contre la pollution de l’air. Mais les maires du périmètre étaient et sont toujours quasi unanimement opposés à cette construction métropolitaine de crainte qu’elle ne vienne empiéter sur leurs prérogatives. Ils ont donc tout fait pour en plomber la construction : le constat de la CRC vient confirmer qu’ils ont magistralement réussi…

Manifestation d’élus locaux contre la création de la métropole (source © Marsactu)

Les anciennes intercommunalités, devenues conseils de territoires auraient dû s’effacer progressivement en ne gardant qu’un rôle purement consultatif. Mais ils sortent encore renforcés des dernières élections municipales et ont conservé de fait l’essentiel de leurs prérogatives, via des conventions par lesquelles la métropole leur délègue la quasi totalité de ses compétences, à tel point que l’essentiel des crédits d’investissement continuent à être gérés au niveau de ces anciennes intercommunalités au lieu d’être utilisées pour la mise en œuvre de projets structurants à l’échelle métropolitaine.

Au moment de la création de la métropole, les intercommunalités se sont dépêchées de voter en masse toute une flopée de nouveaux projets, à charge pour la métropole, destinée à prendre le relai, d’en assumer le coût financier tant pour leur réalisation que pour leur exploitation future. Un tour de passe-passe qui a conduit la métropole, à peine née, à devoir assurer des engagements financiers colossaux, au risque de voir son taux d’endettement exploser et ses marges de manœuvre considérablement réduites pour mener à bien des projets d’intérêt véritablement communautaire.

Un dessin signé Red, réalisé en 2015 à l’initiative du Conseil de développement de l’ex Communauté urbaine MPM

Et ce n’est pas tout puisque les communes ont organisé délibérément une augmentation substantielle des attributions de compensation qui leur sont reversées par les intercommunalités pour compenser les transferts de compétence vers ces dernières. Une augmentation chiffrée à 220 millions d’euros entre 2012 et 2016, date de la création de la métropole, alors que la CRC considère que 80 % de cette augmentation artificielle ne correspond à aucun transfert de charge effectif. Mais une augmentation bien opportune pour les communes qui aspirent, par ce biais, l’essentiel des ressources de la métropole. Selon la CRC, celle-ci reverse ainsi aux communes plus des trois-quarts des impôts qu’elle perçoit, alors qu’une métropole comme celle du Grand-Lyon en conserve plus de la moitié, ce qui lui permet de mettre effectivement en œuvre des politiques publique efficaces à l’échelle du territoire, ce dont AMP est bien incapable.

De surcroît, plusieurs des intercommunalité préexistantes se sont fortement endettées juste avant la création de la métropole, assurées qu’elles étaient de pouvoir transmettre à la future métropole le remboursement de cette dette, ou comment socialiser les pertes… C’est le cas notamment de l’ancienne communauté d’agglomération du Pays d’Aix, dont la dette a été multipliée par 2,5 entre 2013 et 2015, ou celle du Pays d’Aubagne et de l’Étoile qui a augmenté de 45 % sur la même période.

Fin 2018, la métropole s’est ainsi retrouvée avec une dette globale de 2,79 milliards d’euros, soit 1451 € par habitant. Un chiffre qui n’a rien d’inquiétant en soit, sauf lorsqu’on le traduit en termes de capacité de désendettement (8 ans pour AMP, soit deux fois plus qu’à Lyon et 4 fois plus qu’à Bordeaux!) ou qu’on le met en regard des recettes de fonctionnement de la métropole (2 fois plus qu’à Nantes ou Lille, 3 fois plus qu’à Lyon et 4 fois plus qu’à Bordeaux).

Et cette dette n’en finit pas d’augmenter puisqu’elle n’était que de 2,28 milliards en 2016 : la métropole emprunte en moyenne 40 % de plus que ne le faisaient les anciennes intercommunalités, creusant son déficit sans pour autant être en capacité de réaliser les investissements structurants, tant attendus pour répondre aux difficultés quotidiennes de ses habitants en matière de logement, d’emploi et de déplacement, sans même parler de préparer ce vaste territoire aux défis qui nous attendent en termes de transition écologique et d’adaptation au changement climatique.

Rééquilibrer et développer la construction de logements sociaux sur le territoire métropolitain, un enjeu majeur… (source © Agir pour la métropole)

Le regard porté par la CRC sur le fonctionnement de la métropole AMP est donc particulièrement sévère, d’autant qu’il ne se résume pas à ces quelques points. L’analyse portée sur l’évolution de la masse salariale qui continue à augmenter dans les communes alors même qu’elles ont transféré l’essentiel de leurs compétences à la métropole n’est pas des plus rassurantes. De même que l’examen de la politique métropolitaine en matière de logement, jusqu’à présent des plus embryonnaires, la métropole n’ayant même pas été en capacité de faire adopter son Plan local de l’habitat et se trouvant totalement dépourvue de la moindre vision programmatique globale face à une multitude de bailleurs sociaux plus ou moins coopératifs. Pa étonnant que dans ces conditions il soit si difficile de se loger sur le territoire métropolitaine où la production de logements sociaux et la lutte contre l’habitat indigne dans les centres-villes dégradés (dont celui de la ville-centre Marseille) sont à la peine…

L.V.

Le rapport complet de la CRC et une analyse plus complète de son contenu sont notamment accessibles sur le site carnouxcitoyenne, créé par les deux élus d’opposition de Carnoux : bonne lecture !

Liberté d’expression et fait religieux

23 octobre 2020

Les événements tragiques qui viennent de se dérouler récemment mettent en premier plan la remise en cause de la liberté d’expression. Celle-ci englobe de multiples champs permettant l’expression de nos conceptions tant politiques, que culturelles (sciences, arts, modes de vies..) ou spirituelles (croyances religieuses).

La contestation de cette liberté s’est immiscée dans la sphère de l’enseignement public, plus particulièrement dès lors que l’enseignement aborde le « fait religieux ». Car l’amalgame est très rapidement fait entre étude du « fait religieux » et « vérité religieuse ». Comment expliquer cette sensibilité de certains à faire prévaloir leurs convictions religieuses sur la tolérance que notre République laïque promeut?

Des pratiques rituelles de nos lointains ancêtres à la fondation des religions telles que nous les avons vu apparaître depuis l’Antiquité, il y a un lien commun. Le nom de religion porte en lui, de par son étymologie latine, sa définition de « relier », qui exprime un besoin de communiquer avec des forces qui dépassent l’ordre de l’univers. Les religions sont donc inhérentes aux préoccupations des hommes.

Le fait religieux ne relève pas uniquement du passé. Il est toujours présent. Il est donc indispensable que l’étude du fait religieux fasse partie du programme de l’enseignement public, laïque et obligatoire.

Enseigner les faits religieux en collège (photo © Jeff Pachoud / AFP / Le Point)

Mais qu’est-ce qui doit être enseigné ? Et à qui doit s’adresser cet enseignement qui peut être perçu différemment selon le niveau de compréhension de celui qui le reçoit et son niveau de maturité ?

Cet enseignement se doit d’être impartial, sachant qu’il existe des religions du Livre (christianisme, judaïsme, islam) et d’autres qui n’en ont pas (shinto japonais), des religions avec des fondateurs (Bouddha, Jésus, Mahomet) et des religions qui en sont dépourvues (taoïsme chinois), des religions avec des sacrements (christianisme) et la plupart qui n’en ont pas…

Alors pourquoi cette question alors que le fait religieux est déjà enseigné au sein de l’école de la République et que les principes d’application ont été abordés dans le rapport Debray en 2002 ? N’est-ce pas alors plutôt les difficultés que rencontrent les enseignants à aborder ce sujet dans une situation de remise en cause du contenu des programmes et donc de la laïcité par une partie de la population qui ne distingue pas le fait religieux de l’interprétation religieuse ?

L’enseignement du « fait religieux », en France, n’est pas un enseignement religieux comme dans d’autres pays. Il est, et doit être abordé, comme toute autre matière, avec un caractère scientifique prenant en compte tous les faits de civilisations. Ce sont les programmes d’histoire, de philosophie qui traitent principalement de ces faits dans un esprit de neutralité. Les faits religieux sont des conséquences de l’histoire, ce ne sont pas des éléments d’un « catéchisme ».

Un dessin signé Deligne (source © La Croix)

Or le système éducatif public, lorsqu’il aborde l’influence des religions, depuis leur émergence jusqu’à aujourd’hui dans différentes sociétés, en les traitant sur le même pied d’égalité, heurte certains qui voudraient faire prévaloir la supériorité de leurs interprétations religieuses. Soit le contraire du principe de laïcité qui veut que « les convictions religieuses n’ont pas à s’exprimer dans l’école publique ».

C’est avec rigueur scientifique et rationalité qu’est dispensé l’enseignement. Les croyances n’y ont pas leur place. Cependant, dispenser un enseignement en excluant toute référence au fait religieux serait contre productif, alors qu’il s’agit d’ouvrir l’esprit des élèves à une compréhension objective et diverse d’une vision du monde passé et présent.

En effet, confronter les élèves aux différentes cultures sans aborder l’influence des religions dans la création de ces cultures et les faits historiques qui en sont constitutifs, semble n’être pas objectif alors que dans le monde actuel chacun est confronté au quotidien à des influences et des interprétations partisanes, voire dogmatiques.

Régis Debray en 2017 (photo © Francesca Mantovani / Gallimard / Le Monde)

C’est ce que le rapport Debray aborde en proposant douze recommandations concernant l’évaluation et la cohérence des programmes dispensés durant la scolarité des élèves au collège et au lycée et insiste sur la formation des enseignants, dans les UIFM et au cours de stages abordant l’enseignement de la laïcité et l’histoire des religions.

Clarifier l’enseignement pour mieux comprendre le fait religieux nécessite l’apprentissage de l’histoire des religions car comment comprendre la crise du Proche-Orient si l’on ne connaît pas la rivalité qui oppose sunnites et chiites, l’histoire de l’islam, les origines de ce schisme. Les exemples abondent dans ce domaine : luttes contre les hérétiques, apparition du protestantisme avec la Réforme….

Comment ne pas évoquer la richesse historique de l’apport des religions dans la création artistique et les constructions architecturales inspirées par la foi ?

L’enseignement du fait religieux ne se justifie que s’il conduit à la tolérance, à la prise en compte de la diversité et à des attitudes pacifiques. Evidemment on ne peut pas aborder les événements historiques, politiques, économiques uniquement sous l’angle d’une interprétation religieuse. C’est donc un exercice difficile que de vouloir appliquer les principes de la laïcité dans l’approche des faits religieux à l’école dans un esprit de tolérance face à la spiritualité de chaque élève. C’est donc le plus tôt possible que doit être abordé cet enseignement afin de désamorcer toutes futures tensions autour de ce sujet.

C’est bien le respect de la liberté de conscience qui prévaut à l’école de la République, telle que le précise la charte de la laïcité en vigueur à l’école publique : « aucun sujet n’est à priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique. Aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme ».

Un dessin signé Rémi Malingrey (source © The Conversation)

Mais cela suppose aussi la formation des enseignants dans l’approche du fait religieux dans notre société où la pratique religieuse est en recul, où la majeure partie des élèves sont éduqués en dehors de toute option religieuse. Avant tout, le principe de laïcité doit dominer cet enseignement : la laïcité n’est pas l’ennemi des religions, elle garantit l’exercice des cultes mais de tous les cultes.

Aborder les faits religieux s’avère donc nécessaire, ne pas le faire serait laisser leur interprétation aux seuls tenants revendiquant le monopole de cet enseignement au domaine exclusif de la religion. Dans l’école républicaine l’épanouissement de l’élève, futur citoyen, passe par son éveil à l’universel où la dimension spirituelle de l’homme est un sujet de réflexion mais dans le respect de la paix scolaire et des principes républicains intransigeants face à l’obscurantisme.

CM

Sur les chemins de la Barasse

21 octobre 2020

C’est une initiative remarquable qu’ont prise trois associations marseillaises, Les clés de la Cité, Robins des Villes et Les amis de l’Huveaune, en animant, avec d’autres associations locales et des habitants des quartiers de Saint-Marcel et de la Barasse, une démarche participative destinée à mettre en valeur le patrimoine industriel et naturel de ce coin de Marseille qui gagne à être connu. Ce collectif a eu l’idée de créer un carnet de ballade pour faire découvrir à tout un chacun les richesses de ce massif de toute beauté qui s’étend en limite nord du cœur du Parc National des Calanques. S’inscrivant dans le programme pédagogique Éducalanque porté par le Parc National, ce carnet a pu ainsi être édité à 4000 exemplaires et est téléchargeable gratuitement sur le site du Parc.

Cet outil permet au randonneur seul, en groupe ou en famille, de se repérer sur ce sentier qui s’étend sur un domaine dont le Département des Bouches du Rhône est en grande partie propriétaire et qui permet plusieurs variantes sous forme de boucles plus ou moins longues. L’accès est très aisé : en venant de Carnoux, il suffit de prendre l’autoroute A50 jusqu’à la Valentine puis de traverser l’Huveaune au niveau du cinéma des trois Palmes : le départ de la ballade se fait depuis le petit parking qui se trouve au pied des anciens fours à chaux, à l’extrémité du chemin du vallon de la Barasse.

En suivant le carnet de ballade dans le vallon de la Barasse (photo © CPC)

Dès le début du circuit, on se retrouve plongé dans le passé industriel de ce quartier périphérique de l’Est marseillais où s’était implanté en 1903, l’une des trois grandes usines de production d’alumine, avec celle de Saint-Louis des Aygalades et celle de Gardanne, alimentée par les mines de bauxite d’Allauch puis du Var. Les vestiges des immenses fours à chaux dont il ne reste plus que le soubassement à côté du terrain de pétanque, servaient au traitement industriel de l’alumine et étaient eux-mêmes alimentés par le calcaire extrait d’une carrière située en tête du vallon et dont on ne voit plus que les fronts de taille et les gradins enherbés.

L’usine elle-même, qui appartenait au groupe Péchiney, comme celle de Gardanne, et qui se situait en contrebas, dans la vallée de l’Huveaune, a été démantelée en 1988. Elle a notamment laissé la place au domaine de la Vallée Verte mais il subsiste toujours l’ancien site de stockage des boues rouges sous forme d’un vaste talus végétalisé coincé entre la route départementale et l’Huveaune. Jusqu’en 1948, c’est là qu’étaient mis en décharge les résidus de l’activité industrielle de l’usine, jusqu’à ce qu’une crue de l’Huveaune en 1943 ne vienne remobiliser ces déchets riches en oxydes de fer et d’aluminium, mais aussi en métaux lourds divers et en résidus de soude, provoquant une grave pollution en aval.

Vue du bassin de stockage des boues rouges dans le vallon de la Barasse avec l’usine d’alumine en contrebas (photo © Louis Scarli / Tourisme Marseille)

L’industriel a alors transféré l’entreposage de ses résidus pollués dans le vallon de la Barasse, en plein cœur du massif de Saint-Cyr, en arrière d’une digue édifiée à l’aide de scories issues des fours à charbon de l’usine et qui étaient acheminées jusqu’en haut du vallon, juste au dessus de la carrière de calcaire, à l’aide d’un téléphérique. Un tunnel avait été creusé entre l’usine et le bas du vallon. Les scories y étaient acheminées par wagonnets, lesquels étaient ensuite hissés jusqu’en haut du vallon par un téléphérique dont on repère encore quelques vestiges, puis déversés pour barrer le vallon, formant une digue qui atteint 60 m de hauteur. Les boues rouges étaient apportées sur place par une canalisation qui empruntait sensiblement le même chemin et venait se déverser en tête du vallon, venant remplir progressivement la totalité du cirque rocheux, sur 60 m d’épaisseur donc.

Vue actuelle du crassier de boues rouges de l’ancienne usine d’alumine après végétalisation (photo © CPC)

Ce n’est qu’en 1966 que ce site a finalement été abandonné lorsque Péchiney a obtenu l’autorisation de relarguer ses boues rouges directement en mer, après avoir construit sa fameuse canalisation qui part de Gardanne et rejoint la mer à Port-Miou avant de se déverser en amont du canyon de la Cassidaigne. Une branche spécifique avait été réalisée pour permettre aux rejets de la Barasse d’emprunter le même chemin, et ceci jusqu’à la fermeture de l’usine. Au début des années 1990, Péchiney a épandu 2 à 3 m de terre végétale par dessus le remblai de boues rouges et a missionné l’ONF pour y replanter différentes espèces arborées avant de revendre le terrain au Département afin de dégager sa responsabilité quant à l’entretien de ce site définitivement pollué. En 2004, de forts ravinements ont commencé à affouiller une partie du terril et il a fallu réaliser de gros travaux pour canaliser les eaux de ruissellement en amont du vallon afin d’éviter qu’elles ne viennent mettre en péril la stabilité de la digue et risquer de remobiliser les 2,5 millions de m³ de boues rouges entassées. Le site est toujours suivi via un dispositif d’auscultation et sa revégétalisation permet une intégration paysagère plutôt réussie.

Cette ballade qui nous replonge dans le passé industriel et agricole de ce quartier périphérique de Marseille, permet de repérer les traces d’autres pollutions, dont celle de l’usine Nestlé de Saint-Menet qui venait déverser dans ce même vallon ses camions chargés de marc de café, jusqu’à ce qu’un orage violent ne vienne déstabiliser tout le remblai, entraînant là aussi une grave pollution en aval… Mais ces collines du massif de Saint-Cyr ne servaient pas que de dépotoir. On y trouve aussi, au fil de la ballade les vestiges d’une ancienne bergerie, des restanques autrefois cultivées et dont certaines sont encore ensemencées par les chasseurs, mais aussi une flore méditerranéenne particulièrement riche et bien préservée.

Vue sur la vallée de l’Huveaune depuis la croix de Saint-Marcel (photo © CPC)

La vue sur la vallée de l’Huveaune et sur toute la ville de Marseille est à couper le souffle (surtout par vent violent…). Mais le passionné d’histoire y traversera aussi avec émotion le mur d’enceinte de l’ancienne propriété de la célèbre famille de Forbin dont plusieurs membres ont présidé le Parlement de Provence au XVIIe siècle et dont l’un des représentants, Claude de Forbin, officier de marine de Louis XIV, parvint à s’échapper en 1699 des geôles anglaises en compagnie de Jean Bart, avant de finir sa vie dans son château de Saint-Marcel bien visible en contrebas.

Vue du castrum de Saint-Marcel avec les tours des Néréides en contrebas (photo © CPC)

De même d’ailleurs que le castrum de Saint-Marcel sur lequel la vue est imprenable. C’est un ouvrage défensif initialement édifié par les Romains pour surveiller l’arrivée d’envahisseurs depuis la mer comme depuis la vallée de l’Huveaune. Il est resté un enjeu stratégique majeur jusqu’au XVe siècle, tout comme son vis-à-vis, bien visible également depuis la croix de Saint-Marcel, édifié sur l’autre rive de l’Huveaune, à l’emplacement d’un ancien oppidum celto-ligure. Détruit par les Sarasins en 723, le château a été reconstruit en 1059 par l’évêque de Marseille, puis de nouveau détruit, probablement en 1423 lors du sac des Catalans. On voit encore néanmoins les vestiges des trois tours d’origine, qui voisinent avec les villas modernes édifiées à la va-vite le long de l’ancien rempart et les tours des Néréides juste en contrebas. A Marseille, vestiges historiques, friches industrielles, espaces naturels et barres d’immeubles coexistent et s’entremêlent : c’est peut-être ce qui fait le charme de cette ville, tout compte fait…

L. V.

L’obscurantisme a encore frappé…

18 octobre 2020

On pensait révolus ces temps-là où le fanatisme religieux poussait certains à massacrer leur prochain. On alors, réservé à des contrées lointaines où l’éducation populaire peine encore à se généraliser et où le poids de la coutume exerce encore une emprise sociale dont il reste bien difficile de se dégager. En France, au pays de Descartes et de Voltaire, on espérait que la Raison avait fini par triompher définitivement de l’obscurantisme et du fanatisme religieux. On n’est plus à la fin du XIXe siècle, alors que les instituteurs de la République ferraillaient pour imposer une éducation laïque face au catholicisme encore solidement ancré dans les têtes, surtout en milieu rural.

Voltaire, en pointe contre le fanatisme religieux, il y a plus de 250 ans
déjà… (source © Culture access)

Jamais sans doute les Français dans leur ensemble n’ont bénéficié d’un niveau de formation et d’éducation aussi élevé. Même si beaucoup critiquent, souvent avec raison, la baisse du niveau d’exigence scolaire dans notre système éducatif, force est de constater que nous avons connu, en quelques générations, une démocratisation et un élargissement inimaginable du niveau global d’éducation. Près de 80 % d’une classe d’âge arrive désormais à décrocher le baccalauréat, alors qu’au sortir de la dernière guerre, au début des années 1950, cette proportion ne dépassait pas 5 % ! Et que dans les années 1980, elle stagnait encore autour des 30 %, avant la création des bac professionnels qui ont permis une très sensible amélioration.

L’école laïque, un combat permanent ? (source GDB blog)

Au-delà de ce niveau d’éducation qui s’est diffusé rapidement dans toute la population, jamais l’accès à l’information n’a été aussi facile. Il suffit désormais d’un clic sur son smartphone, dont les trois-quarts des Français et la quasi totalité des jeunes générations sont désormais équipés, pour avoir accès à une masse d’informations que les Encyclopédistes du Siècle des Lumières auraient été bien en peine de rassembler. Pour qui se montre un peu curieux, le savoir est à la portée de tous, ce qui devrait être un gage d’ouverture d’esprit dans un monde où chacun sait comment vit son prochain, même à l’autre bout de la planète.

Comment dès lors peut-on expliquer que l’on assiste encore en France, à des comportements aussi irrationnels et qui relèvent d’une intolérance fanatique digne de l’Inquisition, que cet acte insensé qui vient de se dérouler ce vendredi 16 octobre 2020, quand un jeune de 18 ans, réfugié russe d’origine tchétchène mais ayant grandi en France vient attendre un professeur d’histoire-géographie à la sortie de son collège pour le décapiter froidement, avant de diffuser sur son compte Twitter la photo de son forfait accompagné, selon Le Monde, d’un message dans lequel il écrit notamment : « Au nom d’Allah, le très miséricordieux, (…) à Macron, le dirigeant des infidèles, j’ai exécuté un de tes chiens de l’enfer qui a osé rabaissé Muhammad, calme ses semblables avant qu’on ne vous inflige un dur châtiment ».


En classe, certains enseignants s’inquiètent pour leur sécurité… Un dessin signé Emmanuel Chaunu (source © Instagram)

Une telle violence et un tel déferlement de haine envers un représentant du corps professoral que ce jeune ne connaissait même pas, justifié qui plus est au nom d’une religion, quelle qu’elle soit, voilà qui qui rappelle les heures les plus sombres de nos guerres de religion, sans remonter jusqu’aux croisades et à leur déchaînement fanatique. Un tel comportement paraît totalement anachronique dans une société comme la notre, largement sécularisée et où la liberté de pensée comme d’ailleurs la liberté de culte est totale. Quel degré d’embrigadement et de frustration peuvent ainsi pousser un jeune de 18 ans, à l’aube de sa vie d’adulte, à commettre un geste aussi absurde et aussi violent, au point d’ailleurs que les policiers venus l’arrêter ont été obligés de l’abattre ?

Couverture de Charlie Hebdo, illustrée par Cabu, le 8 février 2006 (source © L’Express)

Au delà de ce geste individuel, l’affaire, qui émeut la France entière, est d’autant plus inquiétante qu’elle s’inscrit dans une suite de forfaits qui montrent tous une poussée de radicalisation religieuse d’une partie de la jeunesse, certes souvent issue de l’immigration, mais qui pour l’essentiel a grandi et a été scolarisée en France. Elle illustre comment certains ressortissants français s’emparent de la religion, en l’occurrence islamique, comme une arme de revendication identitaire pour refuser la loi commune et imposer leur propre vision de la société.

On y a vu en effet un parent d’élève, dont la fille n’avait même pas assisté au cours incriminé, qui portait précisément sur la liberté d’expression, déposer plainte contre l’enseignant, accompagné par un militant islamiste bien connu pour ses actes de provocation. Le professeur en question, avait pourtant jugé bon de s’excuser auprès des parents d’élèves mais il avait été rappelé à l’ordre la semaine suivante par un inspecteur de l’Éducation Nationale venu lui rappeler « les règles de laïcité et de neutralité ». Même si l’enseignant n’a pas été sanctionné et qu’il bénéficiait, semble-t-il du soutien de la principale du collège et des associations locales de parents d’élèves, on aurait pu espérer un soutien un peu plus ferme de la part de sa hiérarchie.

Samuel Paty, l’enseignant sauvagement assassiné à Conflans Sainte-Honorine le 16 octobre 2020 pour avoir enseigné à ses élèves la liberté d’expression (source © Twitter / Sud Info)

Certains évoquent désormais de faire entrer au Panthéon la dépouille de Samuel Paty, ce professeur décapité le 16 octobre 2020 pour avoir tenté d’expliquer à ses élèves ce qu’est la liberté d’expression. Le symbole serait fort en effet mais, au-delà des symboles, il serait peut-être temps que chacun à son niveau se mobilise au quotidien dans ce combat éternel de la raison contre l’obscurantisme et le fanatisme religieux qui continuent à tuer. Voltaire sans doute a dû se retourner dans sa tombe en ce sombre jour d’octobre 2020…

L. V.

Torrents de boue et de malversations dans les Alpes-Maritimes

17 octobre 2020

Chacun a vu dans les médias ces images spectaculaires de coulées d’eau boueuse chargées de troncs d’arbres et parfois de carcasses de voitures dévalant à vive allure des reliefs escarpés de l’arrière-pays niçois, dévastant tout sur leur passage à l’occasion des fortes intempéries qui se sont abattues sur le secteur, le 2 octobre 2020.

En se décalant vers l’Est, la tempête Alex qui avait déjà ravagé les côtes du Morbihan la veille, provoque ce jour-là un épisode méditerranéen d’une rare violence. On relève plus de 500 mm de précipitation en 24 h à Saint-Martin de Vésubie et les dégâts sont considérables, en particulier dans les vallées de la Tinée, de la Vésubie et de la Roya, près de la frontière italienne. Des centaines de maisons souvent construites trop près des cours d’eau ou sur de fortes pentes sont endommagées, emportées par les flots ou par des glissements de terrain. Plusieurs personnes sont portées disparues. Des ponts sont littéralement coupés en deux et de nombreuses routes deviennent impraticables, coupant du monde des villages entiers.

Glissement de terrain à Saint-Martin de Vésubie le 3 octobre 2020 (photo © Valéry Hache / AFP / La Provence)

Un véritable cataclysme pour les habitants de ces vallées où ne coule souvent qu’un mince filet d’eau mais où les flots boueux, grossis de manière très inhabituelle et charriant des tonnes de matériaux arrachés à la montagne, ont en quelques heures permis aux rivières d’occuper toute la largeur de leur lit majeur. Comme dans le haut bassin de l’Argens en juin 2010, ces cours d’eau habituellement très modestes, se sont brusquement métamorphosés en torrents de boue impétueux, arrachant tout sur leur passage, affouillant les berges et déracinant les arbres, quitte à grignoter bâtiments et infrastructures qui s’étaient imprudemment implantées dans la vallée au fil des ans.

Un rappel à l’ordre douloureux pour les riverains, peu habitués à de tels caprices de la nature qui n’interviennent statistiquement que rarement et que l’on a tôt fait d’oublier, la mémoire humaine étant par nature fort sélective… Espérons du moins que cette tempête spectaculaire et si dévastatrice aidera les responsables politiques et les promoteurs locaux à mieux prendre en compte à l’avenir le risque d’inondation et de mouvements de terrain, dans un secteur où les pentes sont fortes et les épisodes climatiques d’automne parfois violents.


La Vésubie a largement pris ses aises et confortablement élargi son cours, grignotant les infrastructures qui l’enserraient de trop près… (photo © Valéry Hache / AFP / France 3 Régions)

Un rappel à l’ordre qui survient curieusement juste après un autre, d’une toute autre nature, mais qui concerne également les Alpes-Maritimes. Il ne s’agit plus en l’occurrence de torrents de boues mais plus prosaïquement de pratiques frauduleuses qui touchent certains élus locaux, sévèrement épinglés par la Chambre régionale des comptes (CRC), comme le relate notamment Médiapart dans un article publié le 1er octobre 2020, juste avant que le ciel ne s’abatte sur la tête des habitants de l’arrière-pays niçois.

Selon le rapport d’observation rendu public le 28 septembre dernier par la CRC, certains élus locaux avaient eux aussi largement pris leurs aises dans leur pilotage du Centre départemental de gestion de la fonction publique territoriale des Alpes-Maritimes (CDG 06), un établissement public administratif investi de missions en matière de gestion des ressources humaines et auquel sont obligatoirement affiliés les collectivités et établissements publics territoriaux de moins de 350 agents.

Les conclusions du rapport ne sont pas tendres pour la gestion de cette structure dont le président, depuis mars 2015 et jusqu’à ce jour, n’est autre que Christian Estrosi, par ailleurs maire de Nice et président de la Métropole Nice Côte d’Azur, et qui à l’époque était en outre député et sur le point d’accéder au fauteuil de président de la Région PACA. Les magistrats de la CRC s’étonnent notamment de la structure de financement de cet organisme, alimenté principalement par les cotisations des petites communes alors qu’elle bénéficie très largement aux plus grosses collectivités de son périmètre. Ils s’interrogent aussi sur les généreuses rémunérations accordées en toute illégalité aux 4 vice-présidents, Christian Estrosi ne pouvant les toucher lui-même car il crève déjà le plafond autorisé, du fait de ses nombreux cumuls de fonctions.


Christian Estrosi réélu pour la troisième fois maire de Nice le vendredi 3 juillet 2020 (photo © Frantz Bouton / Nice Matin)

Une situation dont bénéficie largement le premier vice-président, Alain Frère, un notable local de 85 ans, qui touche ainsi 2 677 € par mois pour cette seule mission, tout en bénéficiant d’une voiture de fonction et d’un chauffeur mis à disposition par le Conseil départemental alors qu’il n’y est plus élu. Un chauffeur dont nul n’est en mesure de contrôler la réalité de son travail puisque son patron ne tient aucun agenda, mais qui émarge quand même à 3 400 € par mois grâce à de nombreuses heures supplémentaires accordées sans barguigner, même s’il a finalement été mis fin à cette situation en 2019.

La CRC s’est aussi quelque peu étranglée en découvrant que le CDG 06 rémunère certains proches de Christian Estrosi alors que la réalité de leur activité au sein de l’établissement semble bien difficile à caractériser. Cela concerne en particulier un certain Pierre-Paul Léonelli, qui était déjà directeur de cabinet du sulfureux Jacques Médecin, lorsque ce dernier a nommé Christian Estrosi adjoint aux sports en 1983. Léonelli fait partie de ces élus locaux qui cumulent les fonctions et a su se rendre indispensable. Adjoint au maire de Nice, en charge de la propreté, mais aussi conseiller métropolitain et président du groupe LR à la Région PACA, il est surtout le président de l’Association des amis du maire de Nice, la structure de financement politique de Christian Estrosi.


Pierre-Paul Léonelli, le 17 décembre 2018, à l’occasion de son élection à la tête de la Fédération des entreprises publiques locales de la Région PACA (photo © Fédération des EPL)

Un homme clé donc, qui en 2014 était à la fois conseiller métropolitain élu, et en même temps fonctionnaire territorial, directeur général des services de la commune de La Trinité, dans la métropole, deux fonctions rigoureusement incompatibles. Son exfiltration vers le CDG 06 lui a permis de jouer son rôle d’élu tout en étant généreusement rémunéré par le CDG à hauteur de 6 500 € par mois, comme directeur de cabinet du président. Titulaire d’une carte d’essence et de péage autoroutier, il n’hésitait pas à l’utiliser pour faire le plein pendant ses vacances en Corse, ce que les magistrats de la CRC n’ont, semble-t-il, guère apprécié…

Lauriano Azinheirinha, en avril 2015, alors en compagne pour les élections départementales (source : Facebook)

Un autre personnage pointé du doigt par ce rapport au vitriol est un autre haut fonctionnaire territorial, Lauriano Azinheirinha, actuel directeur général des services de la ville de Nice et de la métropole, et à ce titre patron d’une armée de près de 13 000 fonctionnaires. Avant d’être recruté à ce poste en juin 2017, il occupait les fonctions électives d’adjoint au maire, d’élu départemental et de conseiller métropolitain. Mais en juin 2015 et pendant 16 mois jusqu’à fin 2016, la CRC a eu la surprise de découvrir qu’il était aussi appointé comme chargé de mission auprès du directeur du CDG 06. Un poste où il ne semble guère avoir eu le temps de s’investir au vu des rares traces qu’a pu en identifier la CRC. Sans doute parce qu’il était accaparé à cette période par la campagne des élections régionales, comme responsable de l’action militante du candidat Christian Estrosi, une campagne brillamment menée d’ailleurs puisqu’elle a permis l’élection triomphale de ce dernier à la tête de la Région PACA en décembre 2015.

Jean-Christophe Picard, conseiller municipal d’opposition à Nice et chevalier blanc de la lutte contre la corruption (photo © Cyril Dodergny / Nice-matin)

Les traces des inondations du 2 octobre 2020 vont sans doute rapidement disparaître comme après chaque nouvelle catastrophe naturelle, chacun s’efforçant de nettoyer toute trace de boue et les médias braquant rapidement leurs projecteurs vers d’autres sujets. Gageons qu’il en sera de même pour cette ténébreuse histoire de petits arrangements entre amis sur le dos du contribuable, même si le 30 septembre 2020, un autre conseiller municipal de Nice, Jean-Christophe Picard, un ancien président de l’association Anticor, n’a pas hésité à faire un signalement auprès du Procureur de la République de Nice sur la base des observations du rapport de la CRC. Une affaire qui vient s’ajouter à celle des emplois familiaux de la ville de Nice, pour laquelle une enquête préliminaire est ouverte depuis le 8 octobre 2018. Décidément, le début du mois d’octobre est souvent pourri sur la Côte d’Azur…

L . V.

Quand les betteraviers se sucrent sur le dos des abeilles

12 octobre 2020

La date du 1er septembre 2018 était restée dans les mémoires de nombre de défenseurs de l’environnement comme celle d’une victoire importante contre les lobbies de l’agroalimentaire industriel. Depuis cette date en effet, les insecticides à base de néonicotinoïdes sont interdits en France. Selon Le Monde, celle qui était alors ministre de la santé du gouvernement d’Édouard Philippe, Agnès Buzyn, s’en félicitait chaudement en twittant : « Cette interdiction place notre pays en précurseur pour la protection des pollinisateurs, de l’environnement et de la santé ».

On connaissait l’effet de la nicotine comme protection des cultures contre certains insectes depuis les travaux de l’agronome français Jean-Baptiste de la Quintinie, vers 1690, mais il a fallu attendre le début des années 1990 pour voir la commercialisation massive par Bayer et Syngenta de molécules plus efficaces car plus stables et possédant un effet systémique sur les plantes. En quelques années, ces familles d’insecticides se sont imposées comme la panacée universelle pour débarrasser les agriculteurs de toutes les attaques de chenilles, pucerons, cochenilles et autres insectes capables de s’attaquer aux champs de blé comme aux cultures maraîchères ou même aux plants de vigne. Au point de devenir les insecticides les plus vendus dans le monde.

Quelques flacons d’insecticides à base de néonicotinoïdes (source © Environnement et énergie)

Sauf que les apiculteurs se sont très rapidement rendus compte que ces insecticides font des ravages en s’attaquant au système nerveux des insectes pollinisateurs dont les abeilles et les bourdons, provoquant, même à très faibles doses, une désorientation des abeilles, incapables de revenir vers leur ruche, mais aussi une baisse drastique de leur capacité de reproduction. Face à un véritable effondrement des colonies d’abeilles mellifères, les études scientifiques qui se sont succédé ont rapidement montré les effets nocifs de cette famille d’insecticides utilisés principalement pour enrober les semences mais dont les molécules actives se retrouvent ensuite dans le pollen qui les dissémine bien au-delà du champ, tandis que ces mêmes molécules se diffusent dans le sol et les nappes phréatiques, menaçant bien d’autres espèces vivantes qui participent à entretenir la richesse des sols.

La mortalité des abeilles au moins en partie due à l’usage immodéré des insecticides néonicotinoïdes (source © Les lignes bougent)

Cette catastrophe écologique est parfaitement documentée depuis des années par une multitude d’études scientifiques internationales qui détaillent de manière très claire les ravages que peut causer l’usage de ces insecticides sur la biodiversité déjà gravement menacée par de multiples autres facteurs. Dès 2012, l’INRA notamment avait parfaitement mis en évidence l’impact catastrophique de ces substances sur les insectes pollinisateurs, y compris les colonies d’abeilles sauvage, au point qu’en 2013, sur les recommandations de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’Union européenne restreint l’utilisation de certains néonicotinoïdes sur les cultures telles que colza, maïs ou tournesol, susceptibles d’attirer les abeilles. En avril 2018, l’Europe avait finalement consenti à décider la quasi-interdiction de trois de ces insecticides sauf dans les cultures sous serres. En France, c’est un décret du 30 juillet 2018, pris en application de la loi de 2016, dite de  « reconquête de la biodiversité », défendue par une certaine Barbara Pompili, qui fixe une liste de 5 insecticides néonicotinoïdes dont l’usage est donc totalement prohibé en plein champ à partir du 1er septembre 2018.

Barbara Pompili, actuel ministre de la transition écologique (photo © Tristan Reynaud / SIPA / L’Internaute)

Mais, comme souvent, la résistance est rude. Bayer, désormais fusionné avec Monsanto, a engagé de multiples recours en justice pour imposer à l’Europe de maintenir l’autorisation d’utiliser ses produits phares. Et maintenant, c’est le lobby de l’industrie agro-alimentaire qui monte au créneau. Confronté au printemps 2020 à une période de sécheresse, les gros agriculteurs betteraviers du nord de la France ont réussi à convaincre le gouvernement français que si leurs rendements étaient en baisse, c’était à cause de l’impossibilité qui leur était faite de recourir au traitement des semences par des néonicotinoïdes de nature à protéger leurs cultures contre la jaunisse de la betterave, un virus véhiculé par des pucerons et qui bloque la photosynthèse, freinant ainsi le développement de la plante.


Culture de betterave sucrière (source © Institut technique de la betterave)

La Confédération générale des planteurs de betterave, qui défend les intérêts des quelques 26 000 agriculteurs qui cultivent en 2020 pas moins de 423 000 hectares de betterave sucrière, a donc tiré la sonnette d’alarme, invoquant une perte de revenu de l’ordre de 10 % pour l’ensemble de la filière, avec des rendements qui seraient les plus faibles enregistrés depuis une quinzaine d’année. Un appel qui a été reçu cinq sur cinq par le gouvernement et même par l’actuelle ministre de l’écologie, Barbara Pompili, toujours elle !, par ailleurs député de la Somme, un des principaux départements de culture de la betterave, qui a donc fait une croix sur ses ambitions environnementales pour demander au Parlement d’adopter une dérogation autorisant aux betteraviers le recours aux néonicotinoïdes, au moins pour quelques années encore, et tant pis pour la biodiversité…

Une décision forte qui restera dans l’Histoire : un dessin signé Sanaga (source ©
Blagues et dessins)

Les néonicotinoïdes ? « Nous sommes tous contre » a déclaré lundi 5 octobre son collègue, Julien Denormandie, actuel ministre de l’agriculture, tout en encourageant les députés à voter comme un seul homme en faveur de leur réautorisation : ne cherchez pas la cohérence ! Officiellement, seuls les cultivateurs de betterave pourront, bien entendu, bénéficier de cette mesure d’exception qui est présentée comme une simple dérogation, un petit retour en arrière pour prendre de l’élan et tenter enfin le grand saut que réclament depuis des années tous ceux qui se préoccupent de la dégradation spectaculaire de la biodiversité. Sauf que le texte de loi ne le précise même pas, histoire d’éviter toute rupture d’égalité avec les céréaliers ou la filière oléagineuse qui risquent donc de s’engouffrer dans la brèche à leur tour…


Champ de betterave atteint de jaunisse (source ©
Institut technique pour la betterave / L’Oise agricole)

Pourtant, les quelques exploitants qui cultivent la betterave sucrière en agriculture biologique, une filière qui ne représente en France qu’à peine 0,5 % des surfaces ensemencées à cette fin et qui peine à se développer faute de débouchés adaptés, font remarquer que leurs champs n’ont pas été attaqués par la jaunisse. Un agriculteur bio du Nord, observe ainsi que son champ de betterave n’a jamais été aussi beau, même en l’absence totale d’insecticide, mettant l’absence de pucerons sur le compte de la présence de nombreux autres insectes prédateurs dont de multiples coccinelles.

Une observation évidemment battue en brèche par les porte-paroles officiels de la filière qui ne conçoivent pas qu’on puisse encore compter sur la nature pour se prémunir contre les attaques de nuisibles, ni bien sûr qu’on puisse encore tolérer, au XXIe siècle, qu’une filière agro-industrielle, soit à la merci, même a minima, des aléas climatiques ou du bon vouloir d’un simple puceron… Deux logiques qui s’affrontent, une fois encore. Heureusement, notre ministre de l’écologie, après avoir dit tout le bien qu’elle pensait du recours au néonicotinoïdes malgré leurs petits inconvénients, n’a pas hésité à signer le fameux « appel des coquelicots » dans lequel il est écrit : « Nous exigeons de nos gouvernements l’interdiction de tous les pesticides en France. Assez de discours, des actes ». Voilà qui est bien ambitieux…

L. V.

Haut-Karabagh, un conflit d’un autre âge ?

8 octobre 2020

En ces temps de pandémie mondiale, de crise économique généralisée et de menace majeure quant à la survie même de l’humanité du fait du changement climatique global et de la perte sévère de biodiversité, on ne peut que s’étonner de voir surgir, dans cette contrée lointaine et reculée du Haut-Karabagh, un conflit nationaliste qui paraît d’un autre âge…


Monastère arménien de Tatev, dans le Haut-Karabagh (source © Explo)

La Haut-Karabagh, c’est grosso-modo 4400 km², soit la taille d’un petit département français comme les Alpes-Maritimes, avec une population estimée à 146 000 habitants, soit moins que la Haute-Corse, c’est tout dire…Cette région de hauts-plateaux dont l’altitude moyenne est de 1100 m, soit probablement davantage que les Hautes-Alpes, avec des sommets culminant à plus de 3700 m d’altitude, ne fait pas partie des plus hospitalières du monde même si elle bénéficie d’un climat sensiblement plus tempéré que celui de l’Arménie voisine.

Carte de situation (source © Wikipédia)

Quant à son histoire, elle n’est pas des plus simples, d’autant que l’occupation humaine y est ancienne avec des vestiges d’hominidés datant du Pléistocène moyen, soit il y a environ 300 000 ans ! Les historiens s’accordent pour considérer que la région a été rattachée entre le 4e et le 2e siècle avant Jésus-Christ au royaume d’Arménie, au sein de la province historique d’Artsakh. Vers 450 ap. JC, alors que le christianisme est bien implanté localement, la région se trouve en butte aux attaques du royaume Perse avant de tomber sous la domination du Califat. Disputé au 18e siècle entre Russes et Iraniens, la région est finalement annexée en 1805 par l’Empire russe, puis disputée après la révolution russe de 1917, entre la République démocratique d’Arménie et celle voisine d’Azerbaïdjan.

Quartiers arméniens de Shusha totalement détruits par les soldats azerbaïdjanais en 1920 (photo archive source © Wikipédia)

A l’époque, les Britanniques qui sont maîtres du secteur, arbitrent en faveur de l’Azerbaïdjan, lequel déclenche des massacres d’Arméniens dès 1919, entraînant l’intervention armée de l’Arménie voisine et la création d’une brève République arménienne de la montagne. L’armée rouge de Staline vient y mettre bon ordre et décide en 1921 le rattachement du Nagorny Karabagh à la République socialiste soviétique de l’Azerbaïdjan, une situation qui gèlera le conflit pendant 65 ans, jusqu’à l’éclatement de l’URSS.

Dès 1988, profitant de la Pérestroika, la région s’autoproclame république à part entière, tandis que l’Azerbaïdjan réclame à Gorbatchev le retour dans le giron azerbaïdjanais bien que le recensement de 1989 montre que la région est peuplée de seulement de seulement 41 000 Azéris pour 141 000 Arméniens. Des progroms éclatent, y compris à Bakou, et depuis lors, la paix n’est jamais vraiment revenue. Le 2 septembre 1991, le Haut-Karabagh proclame de nouveau son indépendance et organise un référendum qui confirme très largement cette volonté d’autonomie. Mais les troupes d’Azerbaïdjan entrent en action et la guerre fait fureur avec les voisins arméniens venus au secours de la jeune république, faisant au moins 25 000 morts et plus d’un million de réfugiés, et se traduisant par une avancée significative de l’armée aménienne en territoire azéri.


Pendant la guerre du Haut-Karabagh entre 1991 et 1994 (photo © Armineh Johannes / Le Journal International)

Un cessez-le-feu est proclamé en 1994 grâce aux efforts diplomatiques du groupe de Minsk auquel participe la France aux côtés de la Russie et des États-Unis. En 2016, les hostilités reprennent suite à une initiative armée de l’Azerbaïdjan et le 27 septembre 2020 donc, tout recommence avec de nouveau bombardements azéris sur la capitale régionale Stepanakert. Le président d’Azerbaïdjan, Ilham Alyev, signe le même jour une déclaration de guerre, fort du soutien inconditionnel de l’armée turque de Recep Tayyip Erdogan, ravi d’en découdre sur tous les fronts, et renforcé par les investissements massifs d’armement effectués ces dernières années, grâce à la manne pétrolière dont dispose ce pays. Israël en particulier reconnaît être un gros pourvoyeur d’armes modernes à l’Azerbaïdjan, voyant en lui un allié contre l’ennemi iranien…

Une guerre meurtrière avec les armements les plus modernes engagés (source © Ministère de la défense de l’Azerbaïdjan / Reuters / RFI)

Les dirigeants du Haut-Karabagh, devenu en 2017 au détour d’une réforme constitutionnelle, la République d’Artsakh, un pays que personne n’a reconnu officiellement, décrètent à leur tour la loi martiale et la mobilisation générale, suivi dans la foulée par l’Arménie qui en fait autant. Depuis, c’est l’escalade et les combats font rage, attisés qui plus est par la présence de mercenaires syriens recrutés par Ankara. Selon Le Monde, des vols d’avions gros porteurs se sont succédé ces derniers jours pour approvisionner Bakou en matériel militaire depuis la Turquie et Israël qui se vante en particulier d’avoir fourni des drones kamikaze derniers cris qui font des ravages sur le terrain.

Des soldats azerbaidjanais en action le 28 septembre 2020 dans le Haut-Karabagh (source © Ministère de la défense de l’Azerbaïdjan / France TV Info)

L’avenir dira si la diplomatie et la raison arriveront de nouveau à calmer les esprits sur ce bout de confetti du Caucase qui vient de s’embraser pour la n-ième fois sous l’effet de pulsions nationalistes qui paraissent d’un autre âge mais sur lesquelles nombre de régimes continuent de s’appuyer fermement et avec succès pour asseoir leur pouvoir. Et pendant ce temps-là, « notre maison brûle » comme disait l’autre…

L. V.

Les Carnussiens, adeptes des déplacements en voiture

6 octobre 2020

L’INSEE PACA vient de publier en septembre 2020 des informations très intéressantes sur les déplacements domicile-travail, qui représentent 46 % de tous les déplacements dans la métropole Aix Marseille Provence.


Les principaux déplacements pendulaires dans la métropole AMP (source : Livre blanc des déplacements de la métropole / Transport Urbain)

800 Carnussiens se déplacent chaque jour à Marseille pour leur travail

Ces « navettes » domicile-travail concernent plus de 2000 Carnussiens sur les 2800 actifs répertoriés dans la commune. Environ 36 % des déplacements pour aller travailler se font à l’intérieur de la commune, 40 % avec Marseille, 18 % avec la zone d’Aubagne et 6 % avec d’autres bassins d’emplois qui ne sont pas détaillés.

Comme à Roquefort-la-Bédoule, seul un habitant sur trois exerce une activité professionnelle dans sa commune de résidence. Cassis semble bénéficier d’une économie locale plus active puisque 6 habitants actifs sur 10 y travaillent sur la commune.

Toujours selon l’INSEE, 85 % des déplacements domicile-travail se font en voiture et les déplacements Carnoux-Marseille ont augmenté en 12 ans de 10 %, que l’on retrouve bien évidemment sur les autoroutes et les transports ferroviaires.

Le PDU n’a pas fixé d’objectifs à l’inflexion de la croissance des déplacements

Le Plan de Déplacements Urbains (PDU) métropolitain ne s’est pas fixé d’objectifs pour diminuer le nombre global de déplacements, ce qui est regrettable. Il n’a établi qu’un scenario sur un rééquilibrage de la répartition des modes de transport, la voiture passant de 54 % à 45 % entre 2017 et 2030 et la pratique du vélo étant multipliée par 5 (c’est vrai que le vélo est encore peu répandu ici, si on compare aux agglomérations strasbourgeoise ou bordelaise). Ainsi la croissance de la circulation routière est estimée, sur la même période, à + 7 %, ce qui correspond à la croissance démographique attendue puisque le nombre de déplacements par personne restera stable (3,5 par jour).

Evolution prévisionnelle des modalités de déplacement dans le territoire métropolitain entre 2017 et 2030 selon le projet de PDU

 Limiter les déplacements subis et mutualiser ceux qui peuvent l’être

Il est pourtant indispensable de commencer à limiter les déplacements subis et mutualiser ceux qui peuvent l’être. L’espace et la durée des déplacements journaliers ne peuvent croître indéfiniment. Quelques pistes ont été souvent avancées :

  • offre de logements public ou privé en meilleure adéquation avec les zones d’activité
  • facilité de recrutement des conjoints sur une même zone économique
  • limitation de l’étalement urbain
  • recours plus important aux transmissions haut débit (consultations diverses, télétravail, …)
  • plans de mobilité d’entreprises
  • limitation par la règlementation du recours au travail fractionné (ex: 2h le matin, 3h le soir)
  • développement des services publics sur les lieux de travail
  • crèches et conciergeries sur les lieux de travail
  • covoiturage
  • pedibus pour se rendre à l’école
  • livraisons groupées à domicile
Les bouchons sur l’autoroute entre Aubagne et Marseille, le lot quotidien de nombreux Carnussiens allant travailler en voiture (photo © Philippe Laurenson / La Provence)

Car la rupture passe aussi bien par la diminution des déplacements subis journaliers que par la seule diminution du tout automobile. Nous plaidons pour un accompagnement du PDU par des politiques publiques et d’entreprises qui aillent bien au-delà du simple volet des déplacements et des transports. Dans la métropole Aix-Marseille, comme ailleurs, l’aménagement du territoire, les conditions de travail et l’aide à l’émergence de nouveaux comportements sociaux sont la clé d’une véritable mobilité durable.

Jacques Boulesteix – Conseiller municipal de Carnoux

Ce texte est extrait du site Carnoux Citoyenne qui permet à chaque habitant de dialoguer avec les deux élus de la liste Carnoux citoyenne, écologique et solidaire et de suivre leur action au sein du Conseil municipal de Carnoux-en-Provence

CEM : une écologie brute de décoffrage…

4 octobre 2020

Les blasés et les conservateurs vont s’en donner à cœur joie ! Tous les contempteurs viscéraux de l’écologiste chevelu, héritier du mouvement hippie et grand défenseur des petites fleurs et des oiseaux, ne manqueront sans doute pas de ricaner en découvrant la photo d’accueil qui orne le site des Chantiers écologistes massifs : on y voit un groupe de jeunes gens hilares et poing levé, brandissant vers le ciel leur pelle de camping au milieu de nulle part, perdus sur un talus herbeux et embrumé, le tout souligné d’un slogan à l’humour ravageur : « Prends ta pelle et viens on CEM »…

Il ne s’agit pas bien évidemment pas d’un appel à l’amour libre façon Woodstock même si l’image y fait inévitablement songer. Pas question de se rouler une pelle en toute liberté mais bien de se retrousser les manches et de travailler ensemble, au service, ni plus ni moins, « de la Sécurité alimentaire nationale » dans le cadre d’un chantier écologique massif, un CEM donc dans la novlangue adéquate, pour laquelle est fourni tout un lexique pour permettre au béotien de comprendre ce dont il s’agit.

On y découvre ainsi qu’un CEMeur est un « volontaire engagé sur un CEM » comme son nom l’indique, qu’une CEMence est « un collectif citoyen qui organise un CEM », il suffisait d’y penser, qu’une abeille est quelqu’un qui « fait connaître les CEM et mobilise les troupes », tandis qu’une fourmi est « pilote d’une équipe sur le CEM » et qu’un ambassadeur est le « référent territorial pour la dynamisation des CEM ». Et au passage qu’Etika Mondo est l’association porteuse du programme.

Chantier école sur l’écolieu d’Etika Mondo dans les Cévennes (source © Etika Mondo)

Un coup d’œil sur le site de cette structure et sur sa page Facebook permet d’apprendre que l’association a été créée par deux passionnés d’écologie et de permaculture, Boris Aubligine et Émilie Doom, qui ont acquis en 2018 un domaine agricole en déshérence de 56 ha, perdu dans les collines cévenoles, sur le territoire communal du Vigan (Gard) pour le transformer en « écolieu » et y instaurer un « Éco-hameau du futur ». Depuis 2019, ils y accueillent chaque été des stagiaires en grand nombre venus se ressourcer dans la nature sauvage du Parc National des Cévennes et s’adonner pendant 5 jours à des travaux manuels pour remonter les murets en pierres sèches des anciennes restanques, restaurer à l’ancienne les bâtiments en ruine du domaine, construire des toilettes sèches ou encore cultiver le potager en permaculture.

Une expérience qui attire manifestement de nombreux citadins en mal de lien avec la nature et désireux de retrouver, à l’occasion d’une petite semaine de vacances et dans une ambiance ultra conviviale, l’impression de sortir de la société de consommation et de retrouver un rythme et une ambiance plus rurale et plus en accord avec les valeurs de respect de l’environnement.

Un succès qui amène à voir les choses en grand et à engager ces fameux chantiers écologiques massifs dont le principe consiste à rassembler sur un même lieu plusieurs centaines de bénévoles afin d’utiliser cette énorme force de travail pour aménager en quelques jours une bonne partie de l’infrastructure nécessaire pour aménager une « ferme écologique de proximité ». Une idée d’autant plus lumineuse qu’elle s’est télescopée, lors de son lancement début 2020, avec la crise sanitaire du Covid-19, à l’occasion de laquelle les autorités ont elles-mêmes lancé un appel à toutes les bonnes volontés citadines et plus ou moins désœuvrées, confinement oblige, pour venir prêter main forte aux agriculteurs privés de main d’œuvre saisonnière.

On sait que cette initiative n’a pas rencontré le succès escompté et que la plupart des agriculteurs qui en ont bénéficié ont vite compris qu’il ne fallait pas trop compter sur cette main d’œuvre citadine et bénévole, pleine de bonne volonté mais vite lassée et fortement sujette aux ampoules et aux lumbagos, pour venir ramasser les fraises ou les haricots en plein champ. Mais les initiateurs d’Etika Mondo restent pourtant convaincus que c’est de là que viendra le salut de l’agriculture nationale et surtout la garantie de notre subsistance alimentaire.

Selon eux en effet, l’heure est grave et la « rupture alimentaire est imminente ». Persuadés que les prix du pétrole sont sur le point de s’envoler à plus de 200 dollars le baril, ils en déduisent que dans un futur très proche tous les tracteurs seront à l’arrêt, les magasins en rupture totale d’alimentation faute de transport et que seul une agriculture d’autosubsistance de proximité permettra de sauver le pays d’une famine inéluctable. Il faut donc sonner la mobilisation générale et envoyer tous les citadins travailler bénévolement dans les champs, un peu comme Mao Zedong l’avait instauré à partir de 1968 dans la Chine communiste, mais pour des raisons idéologiques très différentes.


Volontaires travaillant sur le site du Champ de la Garde à Nanterre le 7 juin 2020 (photo © Florence Hubin / Le Parisien)

Le mouvement reconnaît certes qu’il faut compter quatre bénévoles citadins pour faire le travail d’un salarié agricole expérimenté mais passe quelque peu sous silence le fait que les travaux des champs, bien que fortement saisonniers, demandent malgré tout un investissement dans la durée et pas seulement un gros coup de collier pendant quelques jours par an. Il s’interroge au passage sur le fait que la législation française ne permet pas (encore) de recourir à la force de travail bénévole pour une activité de production dont le but lucratif ne peut être totalement ignoré, sans même aborder la question de la protection sociale de ces travailleurs bénévoles occasionnels exposé comme tout un chacun à des accidents du travail.


Travaux dans les champs dans une AMAP en région parisienne (source © AMAP des Volontaires)

La démarche est assurément fort sympathique et ne manquera pas de rencontrer un assentiment naturel au sein d’une partie de la population citadine, comme le montre le succès du concept de CEM plébiscité par un vote participatif organisé par la Région Occitanie. L’idée de développer sur l’ensemble du territoire national un maillage de fermes pratiquant l’agriculture biologique, la protection de la biodiversité et le respect de leur environnement, ne peut bien évidemment qu’être encouragée au vu de la crise dans laquelle se débat l’agriculture intensive et l’impact écologique très négatif de cette filière depuis les années 1960. Le fait même de rapprocher citadins et agriculteurs et de développer un lien plus court et plus direct « de la fourche à la fourchette » répond à un réel besoin comme en témoigne le succès récent des Associations de maintien de l’agriculture paysanne (AMAP) ou des jardins partagés comme à Carnoux.


Bénévoles en cours d’aménagement du jardin collectif de Carnoux en octobre 2017 (source © Un jardin se crée à Carnoux)

Pour autant, l’agriculture reste une activité qui exige un minimum de professionnalisme et les exploitations agricoles, pour être durables et même si elles s’inscrivent dans un mouvement vertueux de moindre impact écologique, doivent s’insérer dans un modèle économique dans lequel la force de travail mérite d’être justement récompensée par le fruit des récoltes. Si l’agriculture française connaît une telle crise actuelle, avec une diminution toujours croissante du nombre d’exploitations, des surfaces cultivées et du nombre d’actifs employés, ce n’est pas parce qu’elle manque de bras mais c’est avant tout parce que l’organisation des marchés, soumis à la mondialisation et au diktat de la grande distribution, ne permet plus à l’activité d’être rémunératrice tout en étant respectueuse de l’environnement. Les exploitations qui se développent en agriculture biologique ont sans doute davantage besoin de débouchés rémunérateurs et stables que d’une main d’œuvre bénévole volatile et inexpérimentée…

L. V.

Élection sénatoriale : surprise, surprise !

2 octobre 2020

En France, on se demande souvent à quoi peuvent bien servir les sénateurs, parlementaires élus au suffrage indirect et dont on n’entend rarement parler sinon à l’occasion de la publication épisodique d’un rapport de mission d’information sur les sujets les plus improbables ou parce qu’il a réussi à bloquer une réforme constitutionnelle, ce qui semble être, de fait, son pouvoir le plus manifeste.

Emmanuel Macron en a fait les frais, lui dont la réforme constitutionnelle annoncée lors de sa campagne présidentielle et visant à réduire le nombre de parlementaires et à introduire une dose de proportionnelle, n’a jamais pu être examinée. Tout comme d’ailleurs celles imaginées par son prédécesseur François Hollande concernant notamment l’indépendance du Parquet, le statut juridique du Chef de l’État ou la déchéance de nationalité. Même le Général de Gaulle qui avait vainement tenté en 1969 de réformer le Sénat par voie de référendum s’y est cassé les dents et a préféré claquer la porte de dépit…

Une caricature du dessinateur Chaunu, publiée le 22 mars 2019 dans Ouest-France (source ©
Pinterest)

Si le Sénat n’a pas très bonne presse dans l’opinion publique, c’est sans doute parce que, non seulement ses représentants sont grassement rétribués sans qu’on sache trop bien à quoi ils servent réellement en dehors de ce pouvoir de blocage qu’on leur reconnaît bien volontiers, mais aussi parce que cette institution vénérable, issue de la Convention de 1795, défraie régulièrement la chronique par les petits arrangements entre amis qui s’y produisent épisodiquement. La distribution généreuse de subventions via la réserve parlementaire sénatoriale s’y est longtemps apparentée à un clientélisme électoral à peine déguisé. La recherche de l’immunité parlementaire fait toujours partie des bonnes raisons pour se présenter à l’élection sénatoriale et chacun a encore en tête l’affaire croustillante du détournement par des sénateurs UMP, dont l’ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin, des enveloppes destinées à rémunérer leurs collaborateurs.

Tout ceci explique sans doute pourquoi les Français ne se sont guère passionnés pour les élections sénatoriales qui viennent tout juste de se tenir, dimanche 27 septembre 2020. Cette élection concernait pourtant 172 des 348 sièges de sénateurs, désormais élus pour 6 ans et renouvelés par moitié tous les 3 ans. Mais le déficit de notoriété de cette élection atypique vient aussi de son caractère indirect. Seules 87 000 personnes étaient habilitées à se prononcer pour cette élection, pour l’essentiel des élus municipaux, départementaux ou régionaux, à l’exception de certaines grandes villes où le conseil municipal a la faculté de choisir des électeurs supplémentaires pour rétablir un minimum d’équité avec les petites communes rurales évidemment surreprésentées dans ce corps électoral très particulier.

Répartition politique des sénateurs à l’issue des élections de 2020 (source © Le Monde)

Cette élection sénatoriale, comme les précédentes, s’est donc jouée bien à l’abri des regards du citoyen lambda et la campagne s’est faite de manière feutrée, par l’intermédiaire de repas au restaurant et de réunions à huis clos, entre élus locaux de connivence. C’est ce qui explique que les notables et les barons locaux finissent toujours par tirer leur épingle du jeu, en mettant en avant leur capacité à drainer les subventions dont les maires de petites communes ont bien besoin, quand ce n’est pas leur aptitude à débloquer telle ou telle investiture ou soutien politique.

C’est ainsi que, par la grâce du vote à bulletins secrets, on a pu assister à la réélection très confortable, dans le département des Bouches-du-Rhône, du sénateur sortant Jean-Noël Guérini, élu à ce poste pour la première fois en 1998, dans la foulée de son arrivée à la tête du Conseil départemental, et constamment réélu depuis. Et ceci malgré son absentéisme chronique, son exclusion du Parti socialiste et ses trois mises en examen successives depuis 2011, notamment pour prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, association de malfaiteurs, détournement de fonds publics et corruption passive. Des broutilles qui ne l’ont pas empêché d’obtenir 538 voix en sa faveur lors de ces récentes élections, soit près de 16 % des suffrages exprimés : un véritable exploit pour ce grand brûlé de la vie politique, en attente de son procès qui se profile en 2021 et dont le parti, La Force du 13, ne compte que très peu d’élus. Ceci prouve à quel point est éternelle la reconnaissance des élus locaux de tous bords qui ont profité de ses largesses financières lorsqu’il détenait encore les cordons de la bourse du Département, principal pourvoyeur de l’aide à l’investissement des communes.


Jean-Noël Guérini en 2015 (photo © Boris Horvat / AFP / 20 minutes)

Un levier dont n’a pourtant pas bénéficié l’un de ses challengers à cette élection, l’autre sénateur sortant des Bouches-du-Rhône, le frontiste Stéphane Ravier, élu maire d’arrondissement dans les quartiers nord de Marseille en 2014 mais battu aux municipales de 2020 et qui ne bénéficiait que d’un très maigre réservoir de voix issus du Rassemblement National. Mais cela ne l’a pas empêché d’être réélu malgré tout avec pas moins de 303 voix, là où le candidat de La République en Marche, Jean-Pierre Serrus, arrivait tout juste à rassembler 25 voix sur 3 441 suffrages exprimés ! A partir du moment où nos élus locaux n’ont pas à dévoiler le contenu de leur vote, la démocratie représentative peut réserver bien des surprises !

Pour ce qui est des Bouches du Rhône, les six autres sièges se répartissent plus traditionnellement et à parts égales entre gauche et droite. Du côté LR, le Sénat voit ainsi arriver Patrick Boré qui abandonne donc ses fonctions de maire de La Ciotat et profite de la place laissée vacante par Sophie Joissains, préférant elle s’investir à la mairie d’Aix-en-Provence et surtout à la métropole. Un petit arrangement entre collègues, de même que pour Valérie Boyer qui quitte son poste à l’Assemblée Nationale pour entrer au Sénat, non pas que la place y soit meilleure, mais parce qu’il fallait en urgence trouver un refuge avec immunité parlementaire à la clé pour le soldat Julien Ravier, ex maire des 11e et 12e arrondissement de Marseille et aux prises avec la Justice pour une affaire de fausses procurations lors des dernières municipales.

Un dessin signé Sanaga (source © Blagues et dessins)

Au delà de ces quelques péripéties, ces élections sénatoriales n’ont pas apporté de réel bouleversement politique dans une assemblée où tout mouvement semble d’ailleurs soigneusement amorti. La parité y progresse un peu puisque les femmes représentent désormais un tiers des sénateurs. Un petit jeune de 26 ans, Rémi Cardon, élu sur une liste d’union de la gauche dans la Somme, fait son entrée dans une assemblée où la moyenne d’âge reste néanmoins de 61 ans… Mais les grands équilibres restent inchangés avec une forte prédominance de la droite, notamment LR, qui engrange une dizaine de sièges supplémentaires, ce qui a permis à l’inamovible Gérard Larcher, d’être réélu sans difficulté Président du Sénat pour trois ans supplémentaires, le 1er octobre 2020.

Gérard Larcher, largement réélu à la présidence du Sénat le 1er octobre 2020 (photo © Thomas Coex / AFP / Vosges Matin)

Le parti présidentiel LREM, bien que faiblement implanté à l’échelle locale, sauve finalement les meubles avec 19 élus contre 23 dans l’assemblée sortante, mais n’en sort pas grandi. Les socialistes perdent quelques sièges malgré l’entrée au Sénat de l’ancienne ministre Marie-Arlette Carlotti, élue dans les Bouches du Rhône sur une liste d’union de la gauche, aux côtés du communiste Jérémy Bacchi et de l’écologiste Guy Benarroche. La bonne surprise vient d’ailleurs du côté écologiste où 6 nouveaux sénateurs font leur entrée, rejoignant leurs 5 collègues EELV déjà élus en 2017, ce qui permettra aux écologistes de reconstituer un groupe politique distinct à la Haute-Assemblée, en attendant une éventuelle scission ?

L. V.