Les posidonies, ce sont ces accumulations de rubans brunâtres qui s’entassent sur les plages de Bandol ou de Cassis à la suite des grandes tempêtes d’hiver, ces « largades », qui poussent dans les moindre crique de nombreux débris flottants ou arrachés aux fonds marins par les courants violents. Ces masses peu ragoutantes qui s’entassent sur les plages et dans lesquelles on s’enfonce et on se prend les pieds, ne font pas bon effet pour les touristes qui se pressent sur les rivages méditerranéens dès les beaux jours revenus, faisant même craindre à certains un risque d’intoxication.
Et pourtant, rien à voir avec les algues vertes qui se décomposent sur les rivages bretons ou ceux de l’étang de Berre, dont la croissance est stimulée par les afflux de nitrate issus de l’agriculture intensive et des rejets d’eaux usées, et dont la décomposition à l’air libre provoque des accumulations d’hydrogène sulfuré potentiellement mortel. Rien à voir non plus avec les algues bleues, ces cyanobactéries, capables de se développer soudainement dans certains plans d’eau douce lorsque les conditions climatiques et les apports de nutriments sont favorables, mais qui peuvent contenir des cyanotoxines très dangereuses également.
D’ailleurs ces longs rubans verts qui ondulent au fond de l’eau le long des rivages méditerranéens et qui brunissent lorsqu’ils sont rejetés sur les plages, ne sont pas des algues mais bien des plantes à fleurs aquatiques ! La Posidonie de Méditerranée (Posidonia oceanica de son petit nom latin) est en réalité une angiosperme monocotylédone (tout comme les orchidées ou les graminées) mais sous-marine. A ce titre, elle présente une racine, une tige sous forme de rhizome et de longues feuilles rubanées pouvant mesurer jusqu’à 1 m de long et disposées en touffes de 6 ou 7. Cette plante verte, endémique des bords de la Méditerranée fleurit à l’automne et donne au printemps des fruits qui flottent et que les Italiens nomment joliment olive di mare…
Formant de vastes herbiers qui peuvent s’étendre jusqu’à 40 m de fond, les posidonies constituent de fait l’écosystème majeur des côtes méditerranéennes. C’est en leur sein que s’abritent et se nourrissent la plupart des organismes marins qui font la richesse des rivages de Méditerranée. L’enchevêtrement des racines et des rhizomes peu putrescibles forme un épais matelas dénomme « matte », plus ou moins colmaté par les sédiments piégés et dont l’accumulation au fil des ans peut atteindre plusieurs mètres d’épaisseur.
Ces accumulations protègent les rivages de l’érosion, y compris sur les plages et dans les criques. C’est pourquoi, les communes qui, comme Bandol, nettoient consciencieusement leurs plages de tout fragment à l’approche de l’été pour que les touristes puissent trouver un sable nickel, conforme à leur fantasme, stockent ces amas et les remettent en place à l’automne afin d’éviter l’érosion marine.
Mais l’on sait désormais que ces herbiers à posidonies jouent aussi un rôle majeur dans l’oxygénation de l’eau de mer et dans la fixation du gaz carbonique. Des études scientifiques, menées notamment depuis plusieurs années par l’équipe Écosystèmes littoraux de l’université de Corse, ont bien mis en évidence cette importante capacité de stockage du carbone au sein des mattes de posidonies. Selon Gérard Pergent, l’un des responsables de ce programme scientifique, « les herbiers fixent 10 à 15 % du carbone océanique. Les mattes de Méditerranée fixent 4 à 5 fois plus de carbone que les autres espèces d’herbiers ». Sachant que le littoral corse est entouré de 53 000 ha d’herbiers à posidonies, certains estiment même que le bilan carbone de l’île serait positif, du seul fait de l’existence de ces herbiers !
C’est peut-être aller un peu vite en besogne, d’autant que ces herbiers sont particulièrement menacés, non seulement pas l’élévation de la température, la pollution, l’augmentation de la turbidité de l’eau, la compétition avec certaines espèces invasives, mais aussi par les ravages que font les ancres des bateaux de plaisance et surtout la pratique du chalutage. Dès les années 1970, le pêcheur Georges Cooper avait mis en point une technique pour tenter de reconstituer, par bouturage, des herbiers menacés entre Hyères et Gien, dans le Var.
Dans le Parc national des Calanques, on estime à plus de 100 000 ha la superficie de fonds marins recouverts d’herbiers de posidonies. Mais, depuis 1960, on considère que entre 13 et 38 % de leur surface aurait disparu sous l’effet de différents facteurs, dont le développement de la navigation côtière. Le 18 mars 2021, le Parc a donc lancé un nouveau programme de protection des herbiers de posidonies, financé dans le cadre d’un projet pilote de compensation carbone. Intitulé Prométhée-Med, et mené en partenariat avec la société EcoAct, ce programme est principalement financé par le groupe Schneider Electric et la société néerlandaise Interxion, tous deux gros émetteurs de gaz à effets de serre du fait de leurs activités industrielles, et qui trouvent ainsi un moyen de se racheter une conscience écologique.
Ces fonds vont permettre de positionner des bouées d’amarrage permettant de limiter le dégât des ancres de bateaux, ainsi que des balises pour délimiter des zones où le mouillage est strictement interdit. Cette démarche pilote, qui s’inscrit dans le cadre du Label bas-carbone créé par le Ministère de la transition écologique, pourra peut-être servir d’exemple sur d’autres territoires impactés. Sachant qu’un hectare d’herbier à posidonies est capable de stocker pas moins de 1500 tonnes de CO2, soit 7 fois plus qu’une forêt de feuillus française et 3 à 5 fois davantage qu’une forêt tropicale, voilà en effet une piste à suivre pour lutter contre les émissions toujours croissantes de gaz à effet de serre. Parmi toutes les options à l’étude pour tenter de séquestrer de grandes quantités de gaz carbonique, celle du développement des herbiers à Posidonies de Méditerranée paraît prometteuse : de quoi donner des idées au milliardaire Elon Musk qui promet 100 millions de dollars à qui trouvera le moyen de stocker 10 milliards de tonnes de dioxyde de carbone d’ici 2050…
L. V.