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Inondation en Ile-de-France : la Cour des Comptes s’alarme

1 décembre 2022

Que se passerait-il si la Seine devait subir une nouvelle crue comparable à celle qui avait totalement paralysé la capitale en janvier 1910 ? A l’époque, Paris et sa banlieue étaient restées sous les eaux pendant plus de 2 mois et il avait fallu attendre le mois de juillet pour un quasi retour à la normale. Cette crue, bien qu’importante, qui avait vu le niveau de la Seine monter à 8,62 m au pont d’Austerlitz, n’avait pourtant rien d’exceptionnel, et était plus faible même que celle de février 1658, la plus forte crue historique documentée, et du même ordre de grandeur que celles de celles de janvier 1651 ou de décembre 1740. La période de retour d’environ 100 ans qui lui est statistiquement accordée n’est donc pas usurpée.

Une rue de Paris pendant les inondations de janvier-mars 1910 (source © Agence Rol / Gallica BNF / Retronews)

Pour autant, la région parisienne avait alors montré une extrême vulnérabilité face à un événement naturel de ce type. Dès le 20 janvier 1910, la navigation avait été mise en l’arrêt et tous les transports fluviaux sont restés paralysés pendant plus de 2 mois, tandis que l’on observait les premières infiltrations d’eau dans les tunnels de métro, notamment via le chantier de la ligne 12, jusqu’à former un immense lac devant la gare Saint-Lazare, à plus d’1 km des berges de la Seine !

Station de métro Cour de Rome sous les eaux en 1910 (source © Agence Rol / Gallica BNF / Retronews)

Nombre des usines électriques alimentant la capitale ont rapidement été hors d’usage et il a fallu en revenir à la bougie et à la lampe à pétrole pendant plusieurs mois tandis que l’on ressortait les fiacres pour parcourir les rues inondées où l’armée dut construire en hâte des passerelles en bois et mettre des canots à disposition. Les réfugiés affluent de banlieue, où la situation est bien pire encore. Les usines de traitement des ordures ménagères n’étant plus opérationnelles, le préfet n’a d’autre solution que d’ordonner qu’on les jette directement dans la Seine depuis les ponts, au grand dam des riverains de l’aval… Même le nettoyage des rues et des caves nauséabondes, après la décrue, s’avère complexe faute d’anticipation !

Déversement des ordures dans la Seine pendant la crue de 1910 depuis le pont de Tolbiac (Carte postale source © Fortunapost)

Un siècle plus tard, quelques aménagements supplémentaires ont certes été entrepris. Des obstacles à l’écoulement des eaux ont été supprimés et 4 grands lacs réservoirs ont été construits en amont du bassin, sur la Seine et ses principaux affluents, non seulement pour limiter l’impact des crues, mais surtout pour soutenir les débits d’étiage de la Seine qui, en période de sécheresse, serait bien incapable sans cela d’assurer le refroidissement de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine ou la dilution des rejets de la station d’épuration d’Achères. Ils sont d’ailleurs parfaitement joué leur rôle lors de la dernière crue en date, en janvier 2018 et ont permis, à quelques centimètres près, d’empêcher l’inondation total du RER C, ligne de métro particulièrement vulnérable. Mais ils seraient insuffisants face à une montée des eaux comparable à celle de 1910 et n’ont pas pu faire grand-chose face à un épisode pluvieux concentré en aval, comme celui qui s’est produit en juin 2016 avec des débordements des affluents franciliens dont le Loing.

Évacuation des habitants de Souppes-sur-Loing durant la crue de juin 2016 (source © AFP / Episeine)

D’où la question récurrente de savoir comment la région Ile-de-France se comporterait en cas de nouvel épisode comparable. On connait malheureusement la réponse et elle n’est pas très encourageante, comme vient de le rappeler tout récemment la Cour des Comptes dans un rapport très documenté, rendu public le 18 novembre 2022. Elle confirme notamment que le coût des dommages directs attendus dans ce cas atteindrait la somme colossale d’environ 30 milliards d’euros, dont 19 milliards pour les seuls biens assurés (ce qui n’est pas le cas d’une grande partie des infrastructures publiques, réseaux et voiries notamment). La somme n’est pas négligeable comparée aux 1,4 milliards d’euros causés par les inondations de 2016 et nécessiterait un appel en garantie de l’État pour permettre à la Caisse centrale de réassurance de faire face.

La Seine en crue à Paris le 3 juin 2016 (photo © Caroline Paux / Citizenside / AFP / France 3 Régions)

Les projections d’une telle crue montrent que plus de 830 000 habitants auraient les pieds dans l’eau, principalement d’ailleurs dans les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne, mais 2,7 millions seraient privés de distribution d’eau potable et près de 5 millions d’électricité… Du fait de l’urbanisation qui s’est développée de manière accélérée ces dernières décennies, ainsi d’ailleurs que les aménagements d’infrastructures en souterrain, l’Île-de-France s’avère en réalité bien plus vulnérable qu’elle ne l’était en 1910 ! On y compte ainsi désormais plus de 200 sites industriels à fort risque de pollution dont 30 classés Seveso, situés en zone inondable. D’où les inquiétudes de la Cour des Comptes qui constate que les mesures mises en œuvre pour se prémunir contre des événements naturels de cette ampleur ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Le RER C, particulièrement vulnérable aux inondations, ici le 26 janvier 2018 (photo © Anas Saidi / Crowdspark / AFP / France TV info)

La ville de Paris elle-même est relativement bien protégée par les parapets qui ont été rehaussés en se calant sur la crue de 1910, mais c’est loin d’être la même chose en banlieue où les premiers débordements se produisent même pour des événements très modestes et donc plus fréquents. Alors que certains quartiers de Francfort sont protégés contre des crues de période de retour 200 ans et que Londres s’est prémunie contre des événements de période de retour 1000 ans, et bientôt 10.000 ans, le niveau de protection à Paris entre les ponts d’Iéna et d’Issy-les-Moulineaux ne dépasse pas une période de retour de 10 à 30 ans…

Des plans de prévention des risques ont bien été établis par les services de l’État pour tenter d’adapter l’urbanisation à ce risque naturel, mais la quasi-totalité d’entre eux ne prend pas en compte les risques d’inondation par remontée de nappe et surtout par ruissellement urbain, pourtant souvent prépondérant. Même la gestion de risque est en retard, faute de volonté politique des élus locaux, seuls 60 % d’entre eux ayant engagé la rédaction d’un plan communal de sauvegarde dans les communes ou il est pourtant obligatoire, et très peu se préoccupant de l’actualiser et de le tester via des exercices périodiques.

Le lit majeur de la Seine, désormais totalement urbanisé en région parisienne, ici à Vitry-sur-Seine (source © Deveco)

La Cour des Comptes pointe un effort financier très insuffisant de la part des collectivités territoriales pour mettre en œuvre des plans d’action de prévention des inondations et un frein de la part des élus locaux à rendre publiques les données existantes, pour ne pas affoler les populations et réduire l’attractivité de leur territoire. Le Conseil régional d’Île-de-France en particulier, dirigé par Valérie Pécresse, est pointé du doigt pour son refus de s’impliquer dans la prévention du risque inondation et de n’en tenir aucun compte dans sa politique d’aménagement du territoire ni dans ses actions d’accompagnement des acteurs économiques.

Le quartier Belleplace-Blandin à Villeneuve-Saint-Georges (Val de Marne), inondé en janvier 2018 (photo © Charlotte Follana / Le Parisien)

Certes, de nombreuses initiatives sont entreprises pour tenter de mieux prendre en compte ce risque, avec quelques projets emblématiques dont le réaménagement d’une partie des berges de l’Yerres à Villeneuve-Saint-Georges, qui avaient été ravagées en 2016 comme en 2018 et où la rivière a besoin de retrouver un peu d’espace, ou comme le projet d’aménagement de zones d’écrêtement des crues dans la vallée de la Bassée, en amont de la confluence avec l’Yonne, sur lequel travaille depuis des années l’établissement publique territorial de bassin, Seine Grands Lacs. Mais globalement, la Cour des Comptes se montre particulièrement sévère sur l’insuffisance des actions mises en œuvre collectivement pour se prémunir contre cette grande crue que chacun redoute mais qui peut se produire à tout moment : nous voilà au moins prévenus…

L. V.

Nucléaire : l’effet Fukushima s’estompe

25 mars 2021

C’était il y a tout juste 10 ans : le vendredi 11 mars 2011, à 14 h 46 heure locale, un séisme majeur, de magnitude 9,1 se produit se situe à 300 km au nord-est de Tokyo, au large de l’île de Honshu. Une fois de plus, l’excellente qualité des constructions parasismiques japonaise est démontrée et ce tremblement de terre ne fait que peu de dégâts malgré son intensité particulièrement élevée. En revanche, le tsunami qu’il déclenche crée des vagues atteignant localement près de 30 m de hauteur. Celles-ci, qui font des ravages sur près de 600 km de côtes, se propageant jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres. On compte ainsi plus de 18 000 morts et disparus et les destructions sont considérables.

Le 11 mars 2011, des vagues géantes frappent la côte nord-est du Japon suite à un violent séisme (photo © Sadatsugu Tomizawa / AFP / Sud Ouest)

A Fukushima Daiichi, la centrale nucléaire, exploitée par l’opérateur Tepco est de type réacteur à eau bouillante : les turbo-alternateurs sont actionnés par la vapeur d’eau issue de l’ébullition d’eau déminéralisée au contact des barres de combustible dans le cœur. A cette date, 3 des 6 réacteurs sont arrêtés pour raison de maintenance. Les réacteurs 1 à 3, qui tournent à pleine puissance, se mettent automatiquement à l’arrêt du fait des secousses sismiques et la coupure du réseau électrique qui en résulte déclenche la mise en route des groupes électrogènes de secours. Le tsunami, qui se produit 50 mn plus tard, provoque une vague qui, à cet endroit atteint 15 m de hauteur et submerge allégrement la digue de protection qui ce fait que 7 m de haut.

La centrale nucléaire de Fukushima Daiichi envahie par les eaux le 11 mars 2011 (photo © Reuters / Ça m’intéresse)

Cette vagues et celles qui la suivent endommagent les prises d’eau en mer, destinées au refroidissement de la centrales, et noient les groupes électrogènes des réacteurs 1 à 4, les deux autres, plus récents, ayant été construits sur une plateforme surélevée. Le refroidissement de la centrale n’est dés lors plus possible que par un ultime dispositif de secours qui s’arrête dès que les batteries électriques se déchargent. Le cœur des 3 réacteurs se met à fondre et le samedi 12 mars à 15h36 le toit du réacteur 1 explose violemment sous l’effet de la pression d’hydrogène accumulée, suivie le 14 mars par l’explosion du réacteur 3, et le 15 mars par celle du réacteur 2 et l’incendie partie du réacteur 4. Dès lors, d’énormes quantités de produits radioactifs sont relâchés dans l’atmosphère tandis que l’exploitant arrose le site avec 200 m³ d’eau de mer par jour, eau qui se charge en produits radioactifs et qu’il faut ensuite stocker.

Vue aérienne de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi endommagée le 20 mars 2011 (photo © Ho New / Reuters / Radio Canada)

Face à l’émoi international, dès le 11 mars au soir, les autorités japonaises décident l’évacuation des populations environnantes, dans un rayon qui sera porté progressivement à 30 km. Ce sont au total environ 160 000 personnes qui ont dû fuir dans l’urgence, tandis que tout le bétail et les animaux de compagnie sont abandonnés sur place et partiellement abattus. Toute consommation d’aliment produit localement est rigoureusement interdite.

En janvier 2019, il restait encore près de 60 000 personnes relogés temporairement sans avoir pu regagner leur domicile. Une opération drastique qui a permis d’éviter a priori tout risque de contamination létale mais qui s’est soldée par un traumatisme fort puisque environ 2200 personnes, souvent âgées ou malades ont perdu la vie dans le feu de l’action effectuée dans la panique et avec des conditions sanitaires nécessairement dégradées.

Dix ans après l’accident, un rapport très documenté établi par l’UNSCEAR, un comité scientifique indépendant créé en 1955 par l’ONU, confirme que ces effets indirects, y compris les dépressions et les suicides sont les principales causes de mortalité induites par l’explosion des réacteurs de Fukushima. Aucune augmentation significative des cancers n’aurait été observée à ce jour parmi les populations les plus exposées, y compris d’ailleurs au sein des 24 832 travailleurs qui ont été amenés à intervenir sur le site même de la catastrophe : six d’entre eux seulement ont à ce jour développé un cancer reconnu comme maladie professionnelle et un est mort d’un crise cardiaque pendant les opérations de crise.

Dépistage sanitaire des enfants de la province de Fukushima (photo © Wally Santana / AP / NouvelsObs)

Les habitants qui sont revenus sur zone seraient désormais exposés à une dose de radioactivité inférieure à celle à laquelle un Français est exposé en moyenne du fait de la seule radioactivité naturelle. Il faut dire que les autorités n’ont pas lésiné sur les moyens en ordinant la décontamination des terres soumises aux retombées de Césium 137 en particulier. Toutes les surfaces exposées ont été nettoyées au jet haute pression. D’énormes travaux de terrassement ont été entrepris entre 2013 et 2019, pour décaper plus de 20 millions de m³ de terre qui devront être stockés pendant des dizaines d’années, tandis qu’une couche de granite concassé était répandue localement pour remplacer les terres arables excavées.

Le coût de l’opération est évalué à 24 milliards d’euros et les impacts agricoles notamment risquent d’être durables. Une enceinte en sol congelé a même dû être édifiée tout autour du site pour tenter de limiter la contamination des eaux souterraines et limiter les échanges avec le milieu marin où la décontamination des sédiments reste encore un vaste chantier, de même d’ailleurs que le démantèlement des 4 réacteurs accidentés qui recèlent encore de l’ordre de 900 tonnes de corium hautement radioactif dont nul ne sait encore très bien comment le retirer, tandis que l’on commence à envisager le rejets en mer de toute l’eau radioactive accumulée depuis 2011 dans des installations de stockage qui arrivent à saturation.

Près de 10 millions de sacs géants contenant de la terre contaminés entreposés près de Fukushima (source © Japanization)

Une telle opération de démantèlement va durer probablement encore 30 ou 40 ans et personne ne se hasarde encore à en chiffrer le coût. Celui des conséquences directes de l’accident, y compris les frais de prise en charge et d’indemnisation des victimes mais aussi de gestion de la crise et de décontamination, était évalué à 193 milliards en 2017 par le gouvernement japonais, mais l’addition ne cesse d’augmenter. Qui a dit que le nucléaire était une source d’énergie sûre et peu coûteuse ?

D’autant que l’accident de Fukushima a eu des conséquences économique fortes sur tout le pays, se traduisant par une baisse de fréquentation de 30 % des touristes en 2011 et une chute des exportation de produits alimentaires, mais aussi une forte augmentation du ressentiment contre l’industrie nucléaire elle-même. En 2011, Le Japon comptait 54 réacteurs nucléaires dont 42 étaient en activité, assurant plus de 30 % de la production électrique du pays. Tous ont été mis à l’arrêt suite à la catastrophe, le temps de renforcer drastiquement les mesures de sécurité, et seuls 9 d’entre eux ont redémarré depuis. En 2019, la part du nucléaire dans la production électrique japonaise était remontée péniblement à 6,2 % mais le gouvernement envisageait, dès juillet 2018, d’atteindre 20 à 22 % d’ici 2030, tandis que Tepco se voyait déjà lancer la construction d’une nouvelle centrale.

Manifestation contre le nucléaire à Tokyo le 5 mai 2012 (photo © AFP / CNews)

Mais comme en France, le nucléaire ne fait plus l’unanimité. Certes, le 25 mars 2021, c’est de Fukushima que la flamme olympique des Jeux de Tokyo, a débuté son parcours, pour symboliser la renaissance de cette région dévastée en mars 2011, mais même Tepco commence à annoncer qu’il compte investir pas moins de 16 milliards d’euros sur 10 ans dans les énergies renouvelables : la page du nucléaire serait-elle en train de se tourner discrètement au Pays du soleil levant ?

L. V.

Le déluge : mythe ou réalité ?

11 décembre 2017

Chacun a en mémoire le fameux récit biblique du déluge dans lequel il est écrit en substance que Dieu, mécontent de la conduite des hommes, déclencha une formidable inondation qui dura 40 jours et 40 nuits, et noya toute trace de vie sur terre à l’exception du brave Noé et de toute sa famille. Celui-ci avait été chargé de construire une solide arche, aux planches soigneusement calfatées de goudron et dans laquelle il avait mis à l’abri un couple de chacune des espèces animales, ce qui lui permit finalement de repartir sur de nouvelles bases, une fois l’inondation achevée et l’arche échouée.

L’arche de Noé sur le Mont Ararat (tableau de Simon de Myle, peint vers 1570)

Ce récit fondateur qui marque les esprits a longtemps servi de fil conducteur, y compris aux yeux de certains scientifiques qui s’appuyaient sur lui pour expliquer la présence de nombreux coquillages fossiles retrouvés jusque sur les sommets des montagnes alpines. On sait désormais, grâce à la compréhension des mouvements tectoniques et à une meilleure connaissance de la datation des couches sédimentaires, qu’il n’est nul besoin de faire appel à ce récit biblique pour expliquer de telles observations.

Onzième tablette racontant l’épopée de Gilgamesh et le récit du déluge (source © British Museum)

Et pourtant, paradoxalement, les connaissances historiques et géologiques récentes donnent du crédit à ce récit de l’Ancien Testament. L’affaire ne date pas d’hier puisque c’est en 1872 que George Smith, un des premiers à découvrir et à traduire les tablettes d’argile recouvertes d’écritures cunéiformes de Mésopotamie, gravées il y a plus de deux mille ans avant J.-C., a fait connaître au monde entier l’épopée de Gilgamesh.

Dans cette histoire, dont on a désormais retrouvé de nombreuses versions, les plus anciennes remontant à l’époque sumérienne, au 3ème millénaire avant J.-C., le héros Gilgamesh rencontre le supersage Atrahasis qui lui raconte que jadis les dieux en colère, lassés du vacarme incessant des humains, avaient décidé de s’en débarrasser en inondant la terre. Mais le dieu des eaux souterraines, un certain Ea, les trahit, avertit son ami Atrahasis du danger, et lui enjoint de fabriquer sans attendre un solide bateau aux planches calfatées de bitume, et d’y faire entrer un spécimen de chaque espèce animale (d’autres versions, plus futuristes, évoquent plutôt « la semence de toutes les créatures vivantes »).

Les tablettes d’argile relatent une inondation plus courte (7 jours seulement) mais l’épilogue, qui consiste à lâcher une colombe pour vérifier si elle aperçoit signe de terre rappelle furieusement l’idée de Noé, même s’il fallut, dans la version sumérienne, doubler la tentative avec le lâcher d’une hirondelle puis d’un corbeau…

Le déluge, frontispice de la bible illustrée par Gustave Doré (1866)

Bref, les nombreuses similitudes entre ces récits indiquent avec une quasi certitude que l’histoire de Noé, probablement écrite vers le VIIe siècle avant J.-C., soit plusieurs millénaires sans doute après les premières versions assyriennes, fixée sur les rouleaux manuscrits de la Mer Morte puis recopiée de génération en génération, s’est très vraisemblablement inspiré du précédent, d’autant que le peuple juif a été longtemps placé sous domination assyrienne.

De nombreux chercheurs ont cherché d’autres filiations de ce type, tant les récits fondateurs qui évoquent des inondations cataclysmiques du même type se retrouvent dans le monde entier, en Inde comme parmi certaines civilisations amérindiennes, et même chez les aborigènes d’Australie où il se raconte l’histoire d’une grenouille qui aurait bu toute l’eau de la Terre, au point que les autres animaux assoiffés n’ont eu d’autre choix que de la faire rire, provoquant de la sorte une formidable inondation…

Certains de ces récits retiennent néanmoins l’attention, dont celui retracé dans les écrits mythologiques du pseudo Apollodore, datés du 1er siècle et qui évoquent un déluge qui aurait mis fin à l’âge du bronze, les seuls survivants étant le fils de Prométhée, un certain Deucalion et son épouse Pyrrha, dont la barque s’échoue sur le sommet des montagnes. Là aussi, les convergences avec le récit biblique sont étonnantes, ce qui tend à affermir l’idée d’une inondation exceptionnelle survenue en des temps très reculés dans cette région et dont la mémoire collective se serait transmise de génération en génération.

Les Américains William Ryan et Walter Pitman, auteurs en 1998 de l’ouvrage Noah’s Flood

Curieusement, plusieurs scientifiques pensent désormais disposer d’hypothèses assez solides qui pourraient expliquer l’origine de tels événements. En 1993, une expédition géologique américano-russe a ainsi en évidence, en analysant des sédiments déposés au fond de la Mer Noire, des indices montrant un passage assez brutal d’eau douce à de l’eau salée. Selon leurs observations, au cours de la dernière glaciation, celle du Würm, qui s’est étalé de -110 000 à -10 000 ans environ, la Mer Noire s’est retrouvée totalement déconnectée de la Méditerranée. Du fait de la glaciation, le niveau des océans avait baissé de plus de 130 m et les détroits du Bosphore et des Dardanelles étaient alors émergés.

Avec le réchauffement progressif, la fonte des glaces sur les plaines ukrainiennes a alimenté en eau la vaste dépression de la Mer Noire qui se transforma en un lac d’eau douce, toujours isolé de la Méditerranée et autour duquel se sont installées de nombreuses populations. Vers 7500 avant J.-C., la brutale remontée du niveau de la Méditerranée se serait traduite par un déversement brutal des eaux de cette dernière dans la Mer Noire dont le niveau se situe 200 m plus bas, provoquant la fuite des populations vers le Mont Ararat, seul point culminant situé à 300 km du rivage mais visible de très loin.

La Mer Noire (source © Google Earth)

Le géologue américain Robert Ballard

En 1999 et 2000, le géologue Robert Ballard, celui-là même qui retrouva l’épave du Titanic, avait également entrepris des investigations dans ce secteur et retrouvé des traces de l’ancien rivage côtier de la Mer Noire avec des vestiges d’érosion qu’il attribue à des flots se déversant sous forme de cataractes depuis la Méditerranée. Autant d’éléments qui accréditeraient cette hypothèse d’une inondation brutale et rapide des rivages de la Mer Noire, provoquant chez les survivants un traumatisme de nature à se transcrire de génération en génération sur un temps long. De nombreux chercheurs attribuent d’ailleurs cette ouverture brutale du détroit du Bosphore à un mouvement sismique de l’extrémité de la faille nord-anatolienne, ce qui aurait en effet pu provoquer un déversement cataclysmique des eaux de la Méditerranée dont le niveau était fortement remonté sous l’effet du réchauffement climatique.

Le chercheur français Guillaume Soulet, auteur d’une thèse intitulée Changements hydrologiques de la mer Noire au cours des 30 derniers millénaires et la dernière déglaciation en Europe centrale, sous la direction d’Édouard Bard et Gilles Lericolais

L’équipe d’Édouard Bard basée au CEREGE s’est également intéressée de près à ce sujet et a montré que la réalité était sans doute beaucoup plus complexe que ne l’avaient imaginé en 1997 les Américains Bill Ryan et Walt Pitman, dont l’ouvrage paru en 1998 sous le nom de Noah’s Flood avait eu alors une énorme retentissement. D’après Guillaume Soulet, qui a soutenu en 2011 une thèse sur le sujet, la connexion de la Mer Noire via le Bosphore est plus ancienne et daterait plutôt de 8 300 avant J.-C. Et il s’agirait plus vraisemblablement d’un phénomène se produisant par a-coups, suite à des épisodes de réchauffement successifs, étalés sur de longues périodes, ce qui laisse penser que les mouvements de population des rives de la Mer Noire vers les plaines plus fertiles de la Mésopotamie, survenus vers 7500 avant J.-C., pourraient avoir été induites au moins davantage par une évolution démographique inéluctable que par un phénomène d’inondation brutale.

Un scénario qui demande sans doute à être confirmé et vraisemblablement affiné mais qui laisse songeur quand à ce qui peut nous attendre du fait du réchauffement climatique actuellement à l’œuvre et qui lui est d’une rapidité jamais rencontrée dans l’histoire de la Terre. Quand on sait que la fin de cette glaciation, qui s’est traduite par une élévation du niveau des mers d’environ 130 m, ne résulte finalement que d’une augmentation moyenne de 4 °C de la température du globe, soit une valeur tout à fait comparable à ce que prédisent les scénarios du GIEC pour les décennies à venir, voila qui ne devrait pas manquer de nous inquiéter…

L. V.  

Les inondations irriguent aussi la photographie

9 décembre 2017

Certains sujets semblent davantage que d’autres inspirer les artistes, à moins qu’il ne s’agisse d’effets de mode. Les peintres d’antan se délectaient de natures mortes et de batailles navales. Les photographes d’aujourd’hui s’inspirent beaucoup des inondations, certes devenues de plus en plus spectaculaires à force de construire toujours davantage en zone inondable…

Nous avions déjà cité ici le travail remarquable de Jérôme Knez qui avait eu l’idée de juxtaposer à des photos d’archives de la grande crue parisienne de janvier 1910 d’autres clichés pris exactement au même endroit pendant l’inondation de juin 2016. Il faut croire que ce dernier événement a frappé les imaginations. Bien que modeste par son impact sur Paris, il avait quand même occasionné pour environ 1,4 milliards d’euros de dommages selon les assureurs si on totalise l’ensemble des dégâts observés durant toute la durée de cet événement météorologique, plutôt rare pour la saison et qui s’était traduit sur certains cours d’eau dont le Loing par une crue au moins centennale. Un tel montant en fait d’ailleurs l’inondation la plus coûteuse depuis 35 ans qu’existe le dispositif d’indemnisation des catastrophes naturelles en France !

Le Grand Palais et le pont Alexandre III (photo © Benoît Lapray)

En tout cas, cet événement a inspiré d’autres artistes dont Benoit Lapray qui s’était déjà fait connaître notamment pour ces photos de superhéros « en quête d’absolu ». La série d’images intitulées « when te night falls » et qui est notamment consultable dans le magazine The Photo Academy, est constituée également de doublons de clichés, pris exactement au même endroit et selon un cadrage rigoureusement identique.

Les immeubles du quai André Citroën dans le 15e arrondissement (photo © Benoît Lapray)

Mais pour chacun des sites, les deux images sont le jour et la nuit. Tous les clichés nocturnes ont été pris de nuit, au plus fort de la crue de juin 2016. Quant à leurs équivalents diurnes, ils ont été pris sous un soleil radieux, un an plus tard, alors que la crue de 2016 n’était plus qu’un lointain souvenir.

Quai de la Rapée (photo © Benoît Lapray)

Du coup, le contraste est saisissant entre les clichés pris à la lueur des réverbères en juin 2016 alors que l’eau noire de la Seine submergeait les voies sur berges et venait lécher le tablier de certains ponts, et ceux pris en plein jour un an plus tard et pour lesquels on a bien du mal à imaginer que les promenades verdoyantes et les jardins publics en bordure de Seine puissent être recouverts par 1 m d’eau voire bien davantage.

Au pied du pont Alexandre III (photo © Benoît Lapray)

Une série de clichés en tout cas très pédagogique et qui incite les Parisiens à conserver en tête cette idée que le coeur de la capitale et notamment certains quartiers en bord de Seine sont particulièrement vulnérables en cas de crue majeur du fleuve qui les traverse.

Et ce photographe n’est pas le seul à mettre ainsi en scène l’impact des inondations sur notre quotidien. Citons aussi son collègue sud-africain Gideon Mendel dont les clichés ont fait le tour du monde et ont été repris par de très nombreux médias. Depuis 2007, cet artiste a sillonné le monde, de la Caroline du Sud au Pakistan, en passant par le Brésil, l’Allemagne ou le Nigéria, pour témoigner visuellement de la manière dont les habitants sont impactés dans leur intimité par des inondations.

Un cliché de la série Portraits submergés (photo © Gideon Mendel)

Il en a tiré quatre séries rassemblées sous le titre accrocheur « Un monde qui se noie » et qui ont été notamment exposées aux Rencontres d’Arles en septembre dernier. La première de ces séries, « Portraits submergés », peut-être la plus spectaculaire, met en scène de simples habitants, souvent des couples, qui posent sur le pas de leur porte ou dans leur salon envahi d’eau boueuse dans laquelle ils disparaissent parfois jusqu’à mi-corps voire jusqu’aux épaules.

Dans une maison inondée du Yorkshire (Royaume-Uni) en 2007 (photo © Gideon Mendel, extraite de la série Portaits submergés)

On lit dans le regard de ces victimes des intempéries un certain fatalisme, mais aussi beaucoup de désarroi et de désespoir devant la perte de leur propre habitat devenu totalement inutilisable du fait de l’eau boueuse qui s’est engouffrée partout. On repense au slogan choc qu’avait mis en avant l’établissement public Loire pour rappeler aux populations riveraines que le risque inondation est toujours présent même si les populations l’ont largement oublié depuis les fortes crues qui s’étaient succédé en 1846, 1856, 1866 et 1907 notamment : « parce que la Loire est mieux dans son lit que dans le vôtre… ».

Maison inondée au Royaume-Uni (photo © Gideon Mendel, extraite de la série Lignes de crue)

Sauf que pour ces victimes d’inondation, l’eau s’est bel et bien répandue dans leur salon et leur chambre à coucher, tranformant à jamais ce qui était leur cadre de vie quotidien en un milieu hostile dans lequel leurs effets personnels sont en train de pourrir lentement. La série de clichés intitulée « Ligne d’eau » insiste justement sur les marques laissées par l’eau dans un décor vide de ses habitants mais tout aussi poignant de désolation.

Photo délavée récupérée dans une maison au Bengladesh (photo © Gideon Mendel, extraite de la série Trace d’eau)

Quant à la série dénommée « Traces d’eau », le photographe Gideon Mendel montre des agrandissements des photos personnelles définitivement altérées par le séjour prolongé dans l’eau boueuse et que leurs propriétaires ont soigneusement repêchées pour tenter de conserver un peu des souvenirs de leur vie, gâchée à tout jamais par la catastrophe qui les a touchés. On y voit des visages à moitié effacés, révélateurs de la fragilité de tout ce qui fait notre vie quotidienne face à un risque naturel.

Un beau travail esthétique et pédagogique qui mérite d’être salué en espérant qu’il pourra aider certains à prendre conscience qu’il vaut mieux se préparer à toute éventualité quand on vit en zone inondable : le fait d’avoir conscience du risque permet en effet de réduire fortement sa propre vulnérabilité. Une crue n’est jamais qu’un événement naturel récurrent et il dépend largement de notre comportement et de notre niveau d’adaptation qu’il ne se transforme pas en un drame personnel. Une chose est sûre : faire l’autruche en se persuadant que cela n’arrive qu’aux autres n’est certainement pas la meilleure façon de s’y préparer…

L. V.  

Malaise dans le ciel malaisien…

30 décembre 2014

Et de trois ! C’est le troisième avion de ligne malaisien en un an qui vient à son tour de disparaître des écrans radar. A croire qu’une véritable malédiction s’est abattue sur la flotte aérienne de ce pays !

Parti le dimanche 28 décembre à 5h20 de Surabaya, à l’Est de l’île indonésienne de Java, le vol QZ 8501 de la compagnie malaisienne Air Asia n’est jamais parvenu à sa destination, Singapour, et s’est abîmé en mer. D’après Le Monde, cet Airbus A320, dont le co-pilote était un Français, transportait 162 personnes, équipage compris. Vers 6h, le pilote a demandé à se dérouter car il traversait une zone où les conditions climatiques étaient mauvaises, et cinq minutes plus tard il avait disparu des écrans radar… Les restes de l’appareil et plusieurs corps ont été rapidement retrouvés en mer.

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Pour la compagnie malaisienne low-cost Air Asia, créée en 2001 et en plein essor, il s’agit de son premier crash aérien. Mais l’affaire ne manque pas de rappeler que deux autres crash aériens ont impliqué en 2014 des appareils d’une autre compagnie malaisienne concurrente, la Malaysia Airlines. Le dernier en date, celui du vol MH 17, reliant Amsterdam à Kuala Lumpur, avait eu lieu au dessus de l’espace aérien ukrainien, le 17 juillet dernier. Abattu en plein vol par un missile tiré soit par des milices pro-russes soit par l’armée urkrainienne (les deux parties s’accusant mutuellement…), l’avion s’était écrasé avec ses 298 passagers sans aucun survivant.

Débris du crash du vol MH 17 en Ukraine (juillet 2014)

Débris du crash du vol MH 17 en Ukraine (juillet 2014)

Quant au premier de ces accident, il s’agit du vol MH 370, parti de Kuala Lumpur le 8 mars 2014 avec 239 passagers en direction de Pékin et dont on n’a jamais retrouvé la trace depuis. Malaise du pilote ou détournement volontaire par l’équipage, toutes les hypothèses ont été envisagées pour expliquer que l’avion ait amorcé un demi-tour avant de disparaître des écrans de contrôle. Toujours est-il que l’épave n’a jamais été retrouvée malgré l’importance des recherches menées, ce qui laisse la place à toutes les élucubrations, même les plus invraisemblables.

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Lorsque le Boeing 777 quitte l’espace aérien malaisien, ce 8 mars à 1h19, le pilote lance un dernier message « Good night Malaysia 370 » et coupe peu après tous les systèmes de communication, y compris automatiques. Dès lors, toutes les hypothèses sont envisageables. L’une de celle qui revient souvent et qui a été récemment détaillée par Robert Chaudenson, est celle du pilote kamikaze qui détourne volontairement son appareil pour tenter de l’écraser sur la base américaine de Diogo Garcia, dans le Pacifique, au large de l’île Maurice.

Porte-avions américain sur l'île de Diego Garcia

Porte-avions américain sur l’île de Diego Garcia

Ces trois petites îles minuscules appartiennent à l’archipel des Chagos, ancienne possession britannique, cédée par Maurice aux Américains qui en ont fait une énorme base aéro-navale stratégique après avoir expulsé sans ménagements les pêcheurs qui y habitaient par intermittence. Devenue depuis un centre majeur d’écoute et de renseignement, cette base militaire constitue sans doute un des lieux les mieux protégés au monde. Rien n’a pour l’instant filtré mais il ne paraît en effet pas invraisemblable que si l’avion s’est dirigé en direction de cette cible, il a été immédiatement repéré et abattu à distance pour éviter tout risque. Ce ne serait malheureusement pas le premier exemple d’un vol civil abattu et pour lequel les autorités militaires refusent d’admettre leur responsabilité, et cela expliquerait sans doute pourquoi aucun vestige n’a pu être officiellement retrouvé.

Toujours est-il que beaucoup se demandent, à la lumière de cette succession d’accidents invraisemblables, si le ciel de Malaisie ne porte pas la poisse. D’autant que le pays a été soumis ces dernières semaines à un véritable déluge qui s’est traduit par des inondations catastrophiques causant au moins cinq morts et provoquant de gros dommages. Comme le chantait déjà Alain Chamfort, il y a décidément un véritable malaise en Malaisie…

L. V. LutinVertPetit