Archive for août 2023

Une pluie de plastique sur Carnoux…

30 août 2023

Attention aux retombées de plastique quand il pleut : les chercheurs ont mis en évidence l’augmentation très significative des teneurs en micro fragments de plastique dans l’air ambiant en période de pluie. Du coup, la fondation australienne Minderoo a développé un outil de modélisation, accessible sur internet, qui permet d’annoncer, pour l’instant uniquement à Paris, la quantité totale de plastique que l’on peut s’attendre à voir se répandre sur l’ensemble de la ville en fonction de la météo du jour : de l’ordre de 40 jusqu’à plus de 400 kg par jour selon le type de précipitations et les conditions météorologiques !

Nos déchets en plastique envahissent toute la planète et se retrouvent dans toutes les chaînes alimentaires (source © Makigo)

Oui, nous sommes envahis de microplastiques. Ces minuscules particules plastiques de moins de 5 mm sont partout, dans l’atmosphère au fond des océans, de l’Arctique à l’Antarctique, dans les glaciers, dans notre nourriture… Nous en mangeons quotidiennement : près d’1 gramme par jour, soit l’équivalent d’une carte de crédit grignotée chaque semaine ! Entre 10 et 100 particules de microplastiques tombent dans notre assiette à tous les repas, et nous en buvons une dizaine dans une bouteille d’eau en plastique, mais aussi dans notre viande, dans le lait, dans le poisson, dans les moules : nous absorbons ainsi jusqu’à 1500 particules de microplastiques par kilogramme de produit de la mer, soit l’équivalent de 2 bouchons de bouteille…

Nombre de micro-particules de plastique ingérées dans un litre d’eau en bouteille selon leur provenance (source © Appenzeller/Hecher/Sack / Wikimedia commons)

Et cela, parce que tous ces micro-fragments sont issus de l’altération des plastiques que nous utilisons ou que nous n’utilisons qu’à peine : les emballages, les verres, les couverts autrefois si répandus, les pneus des voitures qui s’usent sur la route, le linge synthétique (2000 microplastiques sont relarguées à chaque lessive). Tous ses micro-déchets de plastiques sont disséminés dans notre environnement. On les retrouve dans les boues de nos stations d’épuration qu’on utilise en épandage sur les cultures, mais aussi dans les cours d’eau et ils finissent dans la mer…

Quantité de plastique épandue dans les champs chaque année dans différents pays européens (source © Atlas du plastique 2020 Nizetto / Heinrich Böll Stiftung)

Il y aurait 25 000 milliards de ces particules, soit entre 82 000 et 578 000 tonnes, dans l’océan… Et la Méditerranée est la mer la plus polluée au monde… Et dans ce schéma, la France est le plus grand pollueur sur le pourtour méditerranéen !!!

Depuis les années 70, on se doute que les plastiques ont un impact. Mais, c’est une science récente, les chercheurs n’ont pas encore prouvé l’impact direct sur l’homme. Par contre, l’impact environnemental est avéré. Indestructibles durant plusieurs dizaines voire centaines d’années, les microplastiques voyagent sur des milliers de kilomètres et servent de radeaux à de nombreuses espèces unicellulaire (bactérie et virus…) qui en profitent pour parcourir l’océan. Cela risque de déséquilibrer les écosystèmes et la biodiversité en participant à l’arrivée d’espèces invasives et de nouvelles pathologies, notamment chez les animaux tels que les oiseaux marins : un déséquilibre de la flore intestinale a déjà été observée pour certains oiseaux marins, par exemple.

Les oiseaux de mer, premières victimes des accumulations de plastique dans les océans (photo ©  Istock / Novethic)

Ces microplastiques tendent aussi à s’opposer à la pompe biologique si efficace pour absorber le carbone de l’air, au risque d’accentuer le changement climatique. Dans l’atmosphère, certaines de ces particules reflètent la lumière, mais d’autres l’absorbent, comme le noir de carbone et pourraient accentuer les effets du changement climatique. Elles pourraient aussi interagir avec les nuages et contribuer au changement climatique selon des mécanismes encore mal connus.

En laboratoire, les chercheurs ont mis en évidence que cette pollution entraîne une diminution de la fécondité des oursins et des bivalves, ainsi qu’un ralentissement du développement des larves des animaux marins, augmente les maladies auto-immunes, etc. Ils ont montré que cela entraîne le blanchiment du corail et la mortalité du zooplancton ou de juvéniles de poisson. La transposition à l’homme n’est pas immédiate, mais il est permis de s’interroger…

On estime en effet qu’un adulte absorberait entre 39 000 et 59 000 micro-particules de plastique par an et qu’un bébé en ingérerait jusqu’à 1 million par an, résultat de sa manie de tout mettre à la bouche, tétine comme jouet en plastique, et il respirerait environ la même quantité. Une part est rejetée mais le reste circule dans notre organisme : nous en trouvons dans le lait maternel, le placenta, le cerveau …

Ingestion de plastique : Alertez les bébés ! (photo © Dimarik / Istock / Pourquoi docteur ?)

Par mesure de précaution, il est donc important d’éviter d’en absorber plus que nécessaire et donc de réduire autant que possible l’utilisation de plastique lorsqu’on peut le remplacer par d’autres matériaux moins nocifs. C’est d’ailleurs un des arguments qui a guidé le choix de la Commission européenne qui a décidé d’interdire dans 5 ans les terrains de sport sur pelouse synthétique. Un message que la commune de Carnoux pourrait peut-être entendre, elle qui s’apprête à arracher le gazon naturel de son stade de foot pour le remplacer par des fibres en plastique dont les micro-débris finiront fatalement dans les poumons de nos jeunes sportifs et dans l’estomac des poissons de nos calanques…

C. Chevalier

Le Canal de Panama victime de la sécheresse

28 août 2023

Il n’y a pas qu’en France que l’on s’inquiète de la baisse des ressources en eau après des mois de déficit pluviométrique. Au Panama, ce petit pays d’Amérique centrale coincé entre le Costa Rica, à l’ouest, et la Colombie, à l’Est, dans la partie la plus étroite de l’isthme qui sépare l’Atlantique du Pacifique, la sécheresse sévit aussi. A la fin de la saison sèche, qui dure ici entre décembre et avril, les réserves en eau du pays étaient au plus bas. Mais depuis le mois de mai il ne pleut guère et, le 21 juin 2023, un communiqué du Ministère français des affaires étrangères alertait les touristes sur les risques de pénurie d’eau, y compris à l’hôtel, dans le secteur très prisé de Bocas del Toro avec ses plages paradisiaques sur la côte caraïbe.

Les plages paradisiaques de la région de Bocas del Toro, au nord-ouest de Panama (photo © Joly W. / Tripadvisor)

Conséquence de cette sécheresse qui dure et du niveau très bas des lacs de retenue, la société qui exploite le canal de Panama a dû restreindre, dès la fin du mois d’avril, la circulation sur cette voie d’eau. Une mesure qu’il a même fallu renforcer cet été : depuis le 30 juillet, et pour une durée d’au moins un an, sauf à ce que des pluies exceptionnelles s’abattent d’ici la fin de la saison, le nombre de navires autorisés chaque jour à emprunter le canal a été réduit de 40 à 32 et leur tirant d’eau est désormais limité à 44 pieds, soit 13,4 m, ce qui revient à en limiter fortement la charge pour les bateaux dimensionnés en fonction des nouvelles configurations de l’ouvrage, élargi en 2016 à l’issue de 9 années de chantier pharaonique, et surnommés New-Panamax.

La traversée du canal par de gros porte-containers, ici le 24 avril 2023, désormais entravée par le manque d’eau (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Si les mensurations du canal de Panama sont aussi importantes, au point de servir d’étalon pour la morphologie des porte-containers du monde entier, c’est que cet ouvrage de franchissement est devenu au fil du temps un site stratégique où transite pas moins de 6 % du trafic maritime mondial. En 2022, ce sont ainsi 518 millions de tonnes de marchandises qui sont passées par le canal de Panama, où les plus gros navires autorisés transportent 18 000 containers, contre 4000 seulement avant l’élargissement !

Deux navires dans les écluses de Gatún en 2011 (photo © Michel Lecumberry / Saga in Panama)

Cette réduction de trafic va donc se traduire par une forte baisse des rentrées d’argent pour le Panama, estimée à au moins 200 millions de dollars sur un an, sachant que le chiffre d’affaires du canal avait dépassé les 3 milliards de dollars en 2022 selon l’Autorité du Canal de Panama. Depuis l’annonce de cette nouvelle restriction, des embouteillages se sont formés à l’entée du canal où l’on a compté en août jusqu’à 160 navires en attente. Ils étaient encore 130 la semaine dernière à patienter, sachant que la durée d’attente, qui atteint généralement de 3 à 5 jours, est montée jusqu’à 19 jours… De quoi perturber fortement le trafic, en particulier entre la Chine et les États-Unis, principaux utilisateurs de cet ouvrage qui permet, moyennant un trajet de 80 km, parcouru en 9 h seulement, de raccourcir de plus de la moitié le trajet d’un navire reliant New York à San Francisco (9 500 km via le canal de Panama contre 22 500 en passant par le Cap Horn !).

Des bateaux de croisière sont aussi nombreux à emprunter le canal (source © Société de géographie)

Si l’on en est arrivé à une telle situation, c’est que le transit des navires par le canal de Panama exige énormément d’eau : il fait en effet près de 200 millions de litres d’eau pour remplir les écluses permettant le passage d’un seul navire d’un océan à l’autre ! Non pas de l’eau de mer, mais de l’eau douce qui provient de deux lacs de retenue, Gatún et Alajuela, lesquels servent par ailleurs à alimenter en électricité et en eau potable la moitié des 4,2 millions d’habitants du pays ! Il faut ainsi chaque année de l’ordre de 5,2 milliards de m3 d’eau douce pour permettre au canal de fonctionner et déjà en 2019, lors d’une vague de sécheresse précédente, il n’avait pu disposer que de 3 milliards, un déficit qui ne cesse de se creuser, d’autant que les prévisions météorologiques ne sont pas très optimistes pour la poursuite de la saison des pluies 2023 à cause du phénomène El Niňo prévu pour la fin de l’année.

Une situation jugée alarmante par l’Autorité du Canal de Panama dont un des administrateurs déclarait en avril dernier : « nous ne voulons pas en arriver à un conflit philosophique entre l’eau pour les Panaméens et l’eau pour le commerce international »… C’est pourtant bien ainsi que la question se présente et le conflit risque de ne pas rester indéfiniment « philosophique » si des restrictions d’alimentation en eau potable devaient être instaurées pour permettre aux porte-containers chinois de continuer à déverser leur cargaison de tee-shirts en direction de la côte Est des États-Unis…

Vue aérienne du lac Alajuala à Panama, le 21 avril 2023 (photo © Luis Acosta / AFP / Libération)

Un cas de figure qui, bien sûr n’avait pas été anticipé mais que le changement climatique met en lumière cruellement. A l’origine, lorsque Ferdinand de Lesseps, auréolé par la réussite du percement récent du Canal de Suez, lance le chantier de Panama, le 1er janvier 1882, il n’était pas question d’écluses pour rejoindre les côtes Caraïbe et Pacifique. L’opposition farouche des États-Unis et les déboires liés aux éléments naturels, d’abord un fort séisme, puis les crues dévastatrices du rio Chagres et enfin les effets de la malaria qui déciment les équipes, douchent l’enthousiasme de l’entrepreneur français et font chuter les actions en bourse de sa société.

Travaux de percement du canal de Panama en 1907 (source © La 1ère France TV info)

C’est son ami, l’ingénieur Gustave Eiffel qui vient alors à sa rescousse et conçoit un système de 10 écluses pour faire traverser l’isthme panaméen par le canal, avec un point haut situé à 26 m au-dessus du niveau de la mer. La faillite de la Compagnie universelle du canal transocéanique de Panama, en 1889, ne permettra pas au projet d’aboutir, mais les Américains reprennent le projet à partir de 1902, s’arrogent par la force un droit de protectorat sur le Panama qu’ils détachent de la Colombie, et imaginent la création d’un lac artificiel pour alimenter 3 jeux d’écluses, sur la base d’un projet imaginé initialement par l’ingénieur français Adolphe Godin de l’Épinay. A partir de 1907, un gigantesque barrage est édifié sur le rio Chagres et en 1913 est ainsi créé le lac Gatún, à l’époque le plus grand lac artificiel du monde et dont le plan d’eau constitue un tronçon majeur du canal lui-même, emprunté sur plus de 32 km par les navires qui traversent.

Un vraquier de 255 m de long franchit le 9 juin 2016 la nouvelle écluse d’Agua Clara qui vient d’être achevée, côté Atlantique (photo © ACP / Mer et marine)

Inauguré le 15 août 1914, alors que le chantier a coûté la vie à environ 22 000 ouvriers, le canal de Panama reste aux mains des Américains jusqu’en 1999, date à laquelle Jimmy Carter accepte enfin de le rétrocéder aux Panaméens, ce qui conduit ces derniers à entreprendre, à partir de 2007, d’ambitieux travaux d’élargissement et la construction de deux jeux d’écluses supplémentaires. Face aux difficultés d’approvisionnement en eau, déjà mis en évidence lors de la vague de sécheresse de 2019, il est désormais question d’envisager la création d’un troisième lac de retenue, au détriment bien évidemment de l’environnement encore préservé de cette zone riche en biodiversité : une logique de fuite en avant qui consiste à engager des travaux de plus en plus pharaoniques pour tenter de capter toujours davantage de ces ressources naturelles déjà surexploitées, plutôt que d’adapter nos besoins à ce qui est raisonnable, éternel débat…

L. V.

Espagne : une situation politique ambiguë

26 août 2023

Nos voisins espagnols étaient appelés aux urnes cet été pour leurs « élections générales » destinées à renouveler tous les 4 ans les 350 sièges de la chambre basse, le Congrès des députés, et les 264 du Sénat dont 56 désignés non pas directement par les électeurs mais par les régions. Normalement, cette élection aurait dû se dérouler début novembre 2023 seulement. Mais la procédure exige la dissolution préalable des Cortes plusieurs semaines avant et cela aurait perturbé la prestation de serment de la princesse Leonor, fille ainée du roi actuel Felipe VI et héritière du trône, prévue selon la constitution espagnole le jour de ses 18 ans, soit le 31 octobre prochain, devant les deux chambres réunies, les Cortes Generales.

La princesse Leonor avec son père, le roi d’Espagne Felipe VI le 29 octobre 2022 (photo © PPE / News Pictures / Paris Match)

Une tradition décriée par certains mais qui a eu finalement raison du calendrier politique. Le 29 mai 2023, le Président du gouvernement, le socialiste Pedro Sánchez, nommé à ce poste en mai 2018, suite à une motion de censure qui renverse le gouvernement de Mariano Rajoy, puis confirmé suite aux élections générales anticipées d’avril 2019, annonçait la dissolution des Cortes Generales et l’organisation d’élections pour le 23 juillet. Une décision qui intervient le lendemain même de la défaite nette du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et de son allié d’Unidas Podemos aux élections municipales et régionales, marquées par une forte poussée du Parti populaire (PP), de droite, mais aussi de Vox, le parti espagnol d’extrême-droite.

Le Président sortant du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez (photo © pool Moncloa)

Chacun s’attendait donc à un résultat comparable lors des élections générales de cet été et les sondages annonçaient d’ailleurs une victoire éclatante du PP, dirigé depuis mai 2021 par le président de la Junte de Galice, Alberto Núñez Feijóo, après une période de crise interne mais désormais en pleine dynamique de reconquête. De fait, le Parti populaire vire en tête au Sénat, avec 120 sièges, et est le parti le mieux représenté au Congrès des députés, avec 137 élus, soit 40 de plus que dans la législature sortante. Quant à son allié potentiel, le parti d’extrême-droite Vox, il subit un sérieux désaveu avec la perte de 19 sièges, ne conservant que 33 députés. L’alliance que certains appellent de leurs vœux à droite ne permet donc pas d’atteindre la majorité absolue qui est de 176 sièges…

En face, le PSOE fait contre toute attente un score honorable, gagnant même un siège au Congrès avec 121 députés. En revanche, son allié de gauche, la nouvelle coalition dénommée SUMAR, perd 7 sièges par rapport à Unidas Podemos et ne se retrouve qu’avec 31 députés. Formée en mai 2022 et dirigée par la ministre sortante du Travail et de l’économie sociale, Yolanda Diaz, cette nouvelle plateforme qui se définit comme progressiste et sociale, rassemble pas moins de 20 partis politiques nationaux et régionaux dont Podemos et les écologistes d’Alienza Verde. Pédro Sanchez revendique par ailleurs parmi ses alliés potentiels la Gauche républicaine de Catalogne et le parti indépendantiste Junts per Catalunya, de Carles de Puygdemont, désormais réfugié en Belgique après la tentative avortée de référendum indépendantiste en 2017. Mais tout cela ne fait que 171 députés, exactement le même nombre que ceux que revendique la droite dans ses efforts de coalition avec les petits partis…

Yolanda Diaz, président de la nouvelle plateforme SUMAR (photo © La Moncloa / LVSL)

Une situation de blocage donc, comme celles que le pays avait déjà connues lors des deux dernières élections générales, en 2016 et 2019, obligeant les électeurs à retourner aux urnes en fin d’année ! Une  situation délicate néanmoins alors que l’Espagne assure, jusqu’à la fin de l’année, la présidence du Conseil de l’Union européenne…

Après un mois d’intenses tergiversations, le roi Felipe VI a finalement désigné, le 22 août, le chef de la droite, Alberto Núñez Feijóo, pour tenter d’obtenir un vote d’investiture en vue de former un gouvernement. Un pari risqué car le leader du PP ne peut a priori se prévaloir, au mieux, que de 172 voix acquises à sa cause, les 137 de ses propres troupes, les 33 de Vox et 2 issues de petits partis régionalistes.

Le roi Felipe VI proposant le 22 août 2023 au chef de la droite, Alberto Núñez Feijóo, de tenter d’obtenir l’investiture pour former un gouvernement (photo © Sebastian Mariscal / AFP / L’Express)

Pedro Sánchez s’est bien gardé de critiquer la royale décision mais il est persuadé que la tentative est vouée à l’échec, estimant avoir plus de chance que son rival de droite de former une coalition élargie majoritaire. Il en veut pour preuve le fait que lors de l’installation du Congrès, jeudi 17 août, c’est la socialiste Francina Armengol qui a été élue à la Présidence de l’institution avec 178 voix, soit deux de plus que la majorité absolue requise. Un succès dû au soutien du parti indépendantiste catalan Junts qui détient donc les clés de la constitution du futur gouvernement espagnol, lui qui considère son propre pays comme un « État étranger oppresseur ».

La socialiste Francina Armengol, élue le 17 août 2023 à la Présidence du Congrès des députés (photo © Nuno Rodrigues / Comité européen des Régions / Toute l’Europe)

De quoi lui donner la possibilité de négocier ses deux principales revendications, à savoir la tenue d’un référendum d’autodétermination et l’amnistie générale de toutes les personnes condamnées, comme lui, suite à la tentative avortée de 2017. Pas sûr néanmoins que la gauche espagnole n’accède à de telles exigences, se contentant plus probablement de lui promettre de profiter de la présidence espagnole pour exiger que le Catalan, comme le Basque et le Galicien, soient désormais utilisées au même titre que le Castillan comme langues officielles européennes…

Pedro Sánchez avec l’indépendantiste catalan Carles Puigdemont, en mars 2016 (photo © Inès Baucells / ABC)

L’avenir dira qui, de la droite ou de la gauche espagnole, arrivera à former un gouvernement dans une situation aussi complexe, en espérant que nos voisins n’aient pas une nouvelle fois à retourner aux urnes dans les mois qui viennent. Une chose est sûre : le fait que le gouvernement d’un grand pays comme l’Espagne dépende de telles tractations avec de minuscules partis régionalistes sans vision globale autre sur la défense d’intérêts locaux très spécifiques, ne laisse pas d’inquiéter sur les dérives de nos différentes démocraties européennes…

L. V.

Les portes de l’Enfer s’ouvrent au Batagaika

24 août 2023

Vu d’avion, on dirait une immense raie échouée au beau milieu de la taïga russe, à 660 km au nord-est de Yakoutsk, cette ville de Sibérie centrale où se concentrent plus de 340 000 habitants sur les bords de la Léna, à près de 5000 km de Moscou. A Yakoutsk, le thermomètre descend facilement à -40 °C en janvier mais, en plein été, il peut indiquer +30 °C !

Vue aérienne du Batagaika (photo © Gokturk-06 / Adobe stock / Futura science)

Une belle amplitude thermique qui met les organismes à rude épreuve et qui oblige à construire les bâtiments sur pieux ancrés en profondeur, dans le permafrost ou pergélisol, qui recouvre près de la moitié de la Russie et est quasi omniprésent au-delà du 60° degré de latitude nord. Seule la couche la plus superficielle, sur les 2 à 3 premiers mètres dégèle au cœur de l’été. En dessous et jusque vers 10 à 15 m de profondeur, le sol reste sensible aux fluctuations saisonnières mais reste toute l’année en dessous du point de congélation. Au-delà, en jusqu’à près de 1000 m de profondeur en Iakoutie, le sol reste à une température constate toute l’année, gelé en permanence, même si sa température augmente progressivement avec le gradient géothermique.

Inondations de la Léna près de la ville de Yakoutsk le 23 mai 2001, sous l’effet du dégel (photo © Reuters / Le Temps)

Ces sols quasi gelés en permanence et donc totalement imperméables, ne sont évidemment guère favorable à l’enracinement en profondeur de la végétation, le couvert végétal naturel étant la taïga, une forêt clairsemée de conifères, principalement des mélèzes, qui parfois prennent un air penché lorsque le sol dégèle trop rapidement et se ramollit, conduisant au phénomène de « forêt ivre »…

Forêt ivre dont les arbres sont emportés par l’instabilité du permafrost en cours de dégel (photo © NOAA / Claude Grandpey)

Avec le réchauffement climatique global, particulièrement sensible à ces hautes latitudes, la tendance au dégel du pergélisol s’accentue d’année en année et c’est ainsi que dans les années 1960, les habitants de la petite ville minière de Batagaï, située après du fleuve Iana, ont pu apparaître les premiers effondrements à 7 km plus au sud, dans une région entièrement déboisée dans les années 1960, au pied de la montagne Kirgilyakh. Un cratère s’est peu à peu formé avec une nette accélération du phénomène à partir des années 2000. En 2017, la fosse naturelle ainsi apparue, s’étendait ains sur plus d’1 km de long et 800 m de largeur, avec une profondeur qui atteignait jusqu’à 100 m.

Vue aérienne du cratère du Batagaika au pied de la montagne Kirgilyakh (photo © Kate Orlinsky / Science et vie junior)

Dénommé Batagaika, ce cratère thermokarstique est un pur produit du réchauffement climatique conduisant au dégel du permafrost. Un phénomène qui prend de l’ampleur d’année en année, la dépression de cessant de progresser, s’agrandissant parfois de 30 m par an, dans un concert de craquements inquiétants qui ont conduit les habitants du cru à surnommer le lieu « les portes de l’Enfer ». D’autant que, au fur et à mesure que le cratère se creuse, il régurgite à la surface de vieux ossements de mammouths ou de bœufs musqués, enfouis depuis des millénaires, et qui sont ainsi recrachés des entrailles de la Terre.

Parois du cratère du Batagaika avec les zones dégelées et érodées (photo © Julian Murton / Jack35)

Une belle opportunité pour nombre de paléontologues et autres chercheurs qui se pressent sur ses bords pour venir observer ce phénomène inhabituel et si riche d’enseignements, d’autant que d’autres manifestations de ce type commencent à être observées ailleurs, laissant craindre une généralisation de la fonte du pergélisol sous l’effet du réchauffement climatique. L’affaire inquiète d’autant plus que cette fonte peut ramener à la vie active bien des virus congelés depuis des siècles voire des millénaires. Le phénomène a déjà été mis en évidence en 2014 par le professeur Jean-Michel Claverie qui a réussi à ramener à la vis 2 virus géants conservés depuis 30 000 ans dans le permafrost et heureusement inoffensifs pour l’homme. Mais ce n’était pas le cas des spores d’anthrax, apparues en 2016 suite au dégel d’un vieux cadavre de renne en saison estivale, provoquant la mort d’un enfant et de nombreux troupeaux de rennes dans la région reculée de Yamalo-Nenets dans le Grand Nord sibérien.   

Soldats et vétérinaires russes dépêchés en 2016 pour stopper la propagation du virus de l’anthrax suite au dégel du permafrost dans le Grand Nord sibérien (photo © Maria Antonova / AFP / Radio France)

Outre ce risque sanitaire, les chercheurs redoutent surtout la libération de grandes quantités de gaz à effet de serre du fait de la fonte programmée d’une partie du permafrost, lequel contiendrait de l’ordre de 1500 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, sous forme de CO2 issue de la métabolisation du bois et surtout de méthane lié à la fermentation bactérienne lors du dégel, soit deux fois plus que dans l’atmosphère terrestre. Les scénarios les plus optimistes estiment qu’au moins 30 % du permafrost pourrait disparaître d’ici 2100, ce qui laisse craindre que ces sols, qui déjà posent d’énormes problèmes de stabilité des constructions et des infrastructures, routes comme pipe-line, ne constituent une véritable bombe à retardement dans le contexte de réchauffement climatique qui ne fait que s’accentuer d’année en année : les portes de l’Enfer portent finalement bien leur nom…

L. V.

Aiguiers du Luberon : une gestion ancestrale de l’eau

22 août 2023

S’étendant dans les départements de Vaucluse et des Alpes de Haute-Provence, les massifs montagneux du Luberon (au sud) et des Monts de Vaucluse (au nord) font partie de ces massifs calcaires en milieu méditerranéen, couverts de garrigues et de forêts, où la gestion de l’eau a longtemps posé problème à l’homme. En dehors des cours d’eau comme le Calavon-Coulon qui s’écoule dans la plaine d’Apt entre ces deux massifs et qui, lui-même, est parfois à sec au cœur de l’été, les ressources en eau sont rares, surtout sur les hauteurs de ces reliefs calcaires où l’eau de pluie s’infiltre à travers les fissures de la roche, forme des réseaux karstiques souterrains et ressort parfois à des kilomètres de là, comme c’est le cas à la Fontaine de Vaucluse notamment.

Barrage de Saint-Saturnin lès Apt, avec ses deux voûtes successives, lors de la vidange en août 2023 (photo © CPC)

Du coup, l’implantation humaine sur les hauteurs reste rare et regroupée dans quelques villages souvent perchés, dont certains ont dû même faire de gros travaux pour assurer leur alimentation en eau. C’est le cas par exemple du petit village de Saint-Saturnin-lès-Apt, implanté sur les contreforts des Monts de Vaucluse et dont le château est répertorié au moins depuis l’an mil. Le bourg a construit dès 1763 un barrage juste au-dessus du village, pour stocker les eaux qui coulent dans le petit thalweg au pied de l’éperon rocheux fortifié. Réhaussé en 1835, ce barrage a été doublé en 1902 par un second ouvrage juste en aval du précédent et l’ensemble a assuré les besoins en eau du village jusqu’en 1954, date à laquelle l’alimentation du village a enfin pu être sécurisée grâce au raccordement au Canal de Provence qui irrigue désormais une bonne partie du département.

Aiguier à l’air libre avec la rigole permettant son alimentation, près de Travignon (photo © CPC)

Mais sur les hauteurs, constituées de crêtes boisées, on peut marcher des heures sans rencontrer âme qui vive, en dehors des chevreuils et des sangliers. Plusieurs anciens hameaux ont été abandonnés et les fermes isolées restent rares, en partie du fait de ces difficultés d’alimentation en eau. Pourtant, les hommes ont fait de tout temps preuve d’une grande ingéniosité pour tenter d’y remédier en retenant et en stockant l’eau pour pallier les périodes de sécheresse estivale, lorsque hommes et troupeaux tirent la langue en attendant un hypothétique orage.

Réservoir de l’aiguier de Travignon, avec son toit voûté (photo © CPC)

On voit ainsi, un peu partout, près des petits hameaux d’altitude et des bergeries, des aiguiers qui sont des citernes creusées dans la roche et souvent recouvertes de constructions en pierres sèches voûtées à la manière des bories. Ces citernes sont parfois alimentées par l’eau qui ruisselle des toitures et qui était alors recueillie précieusement. Mais on voit aussi nombre d’aiguiers situés en contrebas d’une grande dalle calcaire naturelle, souvent creusée de sillons qui canalisent l’eau de ruissellement jusque dans la citerne creusée à même le rocher.

Impluvium de l’aiguier de Jairon, à Saint-Saturnin lès Apt, avec les rigoles creusées dans le rocher (photo © CPC)

Un bassin de décantation est souvent aménagé en amont pour permettre de filtrer les gros éléments en cas de forte pluie et les ouvrages les plus sophistiqués qui datent pourtant généralement de plusieurs siècles, disposent même de plusieurs citernes en cascade, séparées par des murets en pierre sèche qui assurent une certaine filtration de l’eau recueillie.

Aiguier de Baralié avec sa double coupelle en encorbellement et ses deux citernes en cascade (photo © CPC)

La citerne elle-même est creusée dans le massif calcaire sain pour éviter les pertes par infiltration mais la partie inférieure de la cavité était parfois enduite à la chaux pour en parfaire l’étanchéité. Les parties en élévation, en revanche, étaient systématiquement édifiées en pierres sèches, selon un appareillage très soigné qui assurait la pérennité de l’édifice mais restaient perméable aux infiltrations. Ces voûtes en pierre protégeaient l’eau stockée de l’évaporation et des pollutions aériennes tout en garantissant à l’eau ainsi stockée une extrême fraicheur pendant les mois d’été.

Réservoir de l’aiguier des Tavannes, à Saint-Saturnin lès Apt, taillé dans le rocher avec sa couverture en pierres sèches (photo © CPC)

Lorsqu’on se promène dans les Monts de Vaucluse, on découvre ainsi des centaines de ces aiguiers, dont la tradition remonte au moins au XVIIe siècle selon les traces laissées dans les chroniques locales et dont plusieurs sont encore en usage, en complément de l’alimentation du réseau pour les fermes encore habitées et désormais reliées. Ces ouvrages hydrauliques sont parfois d’une extrême sophistication et leur construction particulièrement soignée atteste de l’importance vitale que revêtait dans ces contrées arides une gestion durable des ressources en eau, bien rare tombé du ciel selon un calendrier capricieux et qu’il faut impérativement conserver pour tenir jusqu’aux prochaines pluies. Ils ne servaient pas nécessairement pour l’eau potable mais constituaient des réserves précieuses pour certains usages comme l’abreuvement des troupeaux ou l’arrosage du potager voire la lessive.

Abreuvoirs taillés dans la pierre près de l’aiguier des Tavannes, à Saint-Saturnin lès Apt (photo © CPC)

Ces réserves servaient ainsi à abreuver chèvres et moutons, qui constituaient la principale richesse des populations rurales implantées sur ces crêtes boisées battues par les vents, au moins jusqu’à la Première guerre mondiale. On y trouve donc généralement à proximité de multiples abreuvoirs, souvent taillés directement dans le rocher et alimentés gravitairement par le surplus des aiguiers ou que les hommes remplissaient en puisant dans le réservoir souterrain juste en amont.

Trop plein de l’aiguier de Travignon, permettant d’alimenter une autre citerne en aval (photo © CPC)

Ces ouvrages hydrauliques du passé, encore largement utilisés de nos jours, témoignent sans conteste de l’importance vitale accordée dans ces contrées rurales à une gestion parcimonieuse des ressources en eau. Une pratique ancestrale de développement durable que l’on peine à retrouver lorsqu’on constate comment certaines activités modernes sont capables de gaspiller de manière éhontée ce don du ciel, à l’instar du festival Insane de musique techno, capable d’attirer près de 50 000 spectateurs en plein mois d’août dans la petite ville d’Apt et qui n’hésite pas, une fois les installations repliées, à vider purement et simplement sur le sol les immenses cuves d’eau disposées autour du site pour la prévention du risque incendie, au nez et à la barbe des agriculteurs locaux interdits d’arroser leurs cultures pour cause d’arrêté sécheresse préfectoral : la gestion de l’eau comme celle des autres ressources naturelles obéit désormais à une logique parfois déroutante…

L. V.

Hawaï, sous les feux de l’apocalypse

17 août 2023

L’archipel d’Hawaï, cinquantième État fédéré des États-Unis, ne se situe pas en Amérique du Nord, comme le reste du pays, mais bien en Océanie, en plein milieu du Pacifique, à près de 4000 km des côtes de Californie, grosso modo à la latitude du Mexique, et bénéficie à ce titre d’un climat tropical, avec une saison sèche qui dure généralement de mai à septembre.

Constitué de 137 îles, la plupart minuscules, l’archipel est surtout connu pour la principale d’entre elle, dénommée justement Hawaï, surmontée par de multiples volcans dont le Mauna Kea, qui s’élève à 4200 m d’altitude mais est désormais considéré comme endormi, contrairement à certains de ses voisins dont le Mauna Lea, presque aussi élevé mais très actif et dont la dernière éruption majeure date de novembre 2022. Le Kilauea, quant à lui, situé au sud-est de l’île, est l’un des volcans les plus actifs du monde avec pas moins de 52 éruptions recensées au cours du dernier siècle, la dernière en date ayant eu lieu en janvier 2023.

Lever de soleil sur l’île d’Hawaï (photo © Vince Lim / Les vols d’Alexi)

La capitale actuelle d’Hawaï, Honolulu, se situe sur une autre île, celle de Oahu, qui abrite d’ailleurs la majeure partie de la population de l’archipel et où se trouve également la base navale de Perl Harbor, dont le bombardement surprise, par les Japonais, le 7 décembre 1941, déclencha l’entrée en guerre des États-Unis. La seconde île la plus étendue de l’archipel, celle de Maui, située entre les deux précédentes, compte un peu plus de 140 000 habitants, soit environ 10 % de la population totale de l’archipel. On y trouve notamment la ville de Lahaina, peuplée d’environ 13 000 habitants, et qui fut la capitale de l’archipel entre 1820 et 1845.

Marina de la petite ville balnéaire de Lahaina, sur l’île de Maui (photo © Joe West / Shutterstock / Travel Awaits)

A l’époque, l’archipel, sans doute découvert par les Espagnols dès le XVIe siècle, étaient connu des Européens sous le nom d’îles Sandwich, appellation que leur avait donnée le Britannique James Cook en 1778. Le Français La Pérouse fit d’ailleurs escale sur l’île de Maui en 1786 mais c’est une figure locale, passée à la postérité sous le nom de Kamehamena 1er qui réussit en 1810, avec l’aide de commerçants britanniques et américains, à unifier l’archipel et à y fonder un royaume, qui perdurera sous cette forme jusqu’en 1894, date à laquelle les Américains y proclament la République avant d’annexer purement et simplement le territoire en 1898, puis de le transformer en État fédéré en 1959.

La localité de Lahaina, qui fut, au milieu du XIXe siècle et jusqu’en 1865, un centre important de la pêche baleinière française, doit paraît-il son nom à l’intensité des périodes de sécheresse qui y sévissent puisque ce mot signifie en langue hawaïenne « soleil cruel ». Et c’est justement l’une de ces périodes de sécheresse qui vient de la placer au centre de l’actualité mondiale avec ce terrible incendie qui a ravagé la ville du 8 au 10 août 2023, faisant, selon un bilan provisoire en date du 14 août, au moins 99 morts et peut-être 1300 disparus. La ville a été détruite à 80 % et l’on se demande encore comment un tel événement a pu se produire…

Incendie en cours à Lahaina, mardi 8 août 2023 (photo © Nigel Tierney / Yahoo news)

Les périodes sèches y sont certes récurrentes mais les scientifiques s’accordent pour considérer que la vague de chaleur exceptionnelle qui a frappé l’île ces derniers mois est le principal facteur de prédisposition de cette catastrophe, comme pour les incendies qui viennent de ravager plusieurs contrées du Canada ou qui sévissent régulièrement en Californie ou en région méditerranéenne. L’île de Maui avait d’ailleurs déjà connu des incendies importants en 2018 et 2022 et, cette année, plusieurs foyers s’étaient déjà déclarés à l’ouest de l’île, dès le mois de juillet.

Une autre circonstance aggravante qui explique la propagation de ces feux de broussaille dans ce milieu tropical plutôt humide, serait lié au développement de plantes invasives hautement inflammables, un quart de l’île étant désormais recouvert par de l’herbe de Guinée et du Pennisetum, de hautes graminées résistant bien à la sécheresse mais à fort pouvoir calorifique…

Église historique de Waiola et mission de Hongwanji en proie aux flammes le 8 août 2023 à Lahaina  (photo © Matthew Thayer / AP / SIPA / 20 minutes)

On ignore à ce jour ce qui a déclenché l’incendie dévastateur qui a réduit en cendres la ville de Lahaina, tandis que d’autres foyers étaient également en cours sur l’île voisine d’Hawaï. Un premier feu de broussailles s’était déclaré mardi 8 août aux aurores, considéré comme maîtrisé dans la matinée mais qui a repris ensuite, fortement attisé par un vent très fort soufflant à plus de 100 km/h depuis les reliefs de l’île et lié au passage d’une grosse dépression tropicale, le cyclone Dora, de niveau 4, parti des côtes du Honduras et qui se trouvait alors à une distance d’environ 1000 miles au sud de l’archipel.

Vue aérienne des maisons détruites par l’incendie en bord de mer le 10 août 2023 (photo © Patrick T. Fallon / AFP / 20 minutes)

Ces conditions climatiques extrêmes ont transformé très rapidement les foyers d’incendie en un embrasement généralisé impossible à maîtriser. Les dispositifs de prévention mis en place n’ont manifestement pas été très performants puisque les premiers témoignages recueillis indiquent que les sirènes d’alarme n’ont pas retenti et que les appels automatiques en masse ne se sont pas déclenchés, du fait de la défaillance globale du réseau téléphonique. Les habitants se sont donc très rapidement retrouvés piégés par les flammes et ont dû fuir en catastrophe. Paniqués, une centaine d’entre eux s’est jeté à la mer pour échapper aux flammes.

Voitures et immeubles incendiés sur le front de mer de Lahaina le 10 août 2023 (photo © Paula ramon / AFP / Courrier International)

Le bilan d’une telle catastrophe reste à tirer mais il est très lourd, pire encore que celui de Californie qui avait fait 85 victimes en novembre 2018 dans la ville bien mal nommée de Paradise. De très nombreux bâtiments sont irrémédiablement détruits, dont le musée historique qui est totalement parti en fumée. La recherche des corps est encore en cours mais leur identification est extrêmement difficile du fait des hautes températures du brasier qui a parfois même fait fondre des objets métalliques. Le 13 août, il était toujours interdit à la population de pénétrer dans la zone sinistrée. Les premières estimations font état d’au moins 2200 bâtiments détruits, principalement des maisons d’habitation, et des dommage évalués à ce jour à au moins 5 milliards d’euros !

Assurément, l’ancienne capitale du royaume d’Hawaï mettra des années avant de se relever et le traumatisme de cette catastrophe n’est pas près de disparaître des mémoires de ceux qui l’ont vécue. Ses conséquences apocalyptiques sont très probablement liées à un contexte local spécifique mais il ne fait aucun doute que ce cataclysme a probablement été en grande partie déclenché par les conditions météorologiques extrêmes liés au dérèglement climatique, ce qui lui donne un caractère d’avertissement qu’il serait prudent de prendre en compte…

L. V.

A quand une sécurité sociale de l’alimentation ?

15 août 2023

L’agriculture française est en crise. Les agriculteurs, qui représentaient les deux tiers de la population active lors de la Révolution française, n’en constituaient plus qu’un peu plus de 40 % au début du XXe siècle et ce taux ne cesse de décroître : tombé à 15 % environ en 1968, il est de l’ordre de 7 % au début des années 1980 et désormais inférieur à 2 % : moins de 400 000 personnes en France sont désormais exploitants agricoles et ce chiffre devrait encore diminuer de 10 % dans les 10 ans à venir.

Exploitation maraîchère bio du Pas de Calais (photo © Sandrine Mulas / Terre de Liens / Le Figaro)

La France reste un gros pays exportateur de produits agricoles, principalement pour les vins et les spiritueux, mais aussi pour les pommes de terre, les eaux minérales en bouteilles et les céréales. Mais ses importations de produits agricoles n’arrêtent pas d’augmenter, ayant plus que doublé au cours des 20 dernières années : la France importe désormais massivement non seulement le soja brésilien, mais aussi les tomates, les fraises, les bananes, les olives, le café, le cacao ou les fruits de mer, et de plus en plus des produits transformés comme le beurre, les pâtisseries, la bière, le fromage, ou la volaille, autant de produits qui pourraient être davantage produits sur le sol français moyennant un mode d’organisation différent de notre système agricole. La France importe désormais en masse son alimentation d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie, autant de pays européens où les conditions de production devraient pourtant être proches des nôtres !

Augmentation des importations de volaille en France : elles représentent désormais près de la moitié de la consommation intérieure !  (source © Plein Champ)

Parallèlement à cette crise de l’agriculture française, dominée par le productivisme et le triomphe de l’agrobusiness, qui ne répond plus aux besoins, tout en détruisant irrémédiablement la biodiversité, les sols et nos ressources en eau, à coup d’engrais chimiques et de pesticides, se pose chaque jour davantage le défi de permettre à chacun de se nourrir correctement. En France aujourd’hui, 8,5 millions d’adultes soufrent d’obésité du fait de la malbouffe, et plus de 5 millions de personnes ont recours à l’aide alimentaire.

Distribution d’aide alimentaire par les Restos du Cœur à Marseille en mars 2021 (photo © Nicolas Turcat / AFP / Reporterre)

Depuis le lancement des Restos du Cœur dans les années 1980, le montant de l’aide alimentaire en France n’a cessé d’augmenter et atteint désormais 1,5 milliard d’euros par an (en comptant la valorisation du travail des bénévoles associatifs qui en assurent la distribution). Une part importante de ce coût est en réalité apporté sous forme de défiscalisation des entreprises de la grande distribution pour leur permettre d’écouler ainsi à bon compte leur stock d’invendus et de produits proches de la péremption. Si bien que ce système profite en réalité surtout à l’industrie agro-alimentaire et à la grande distribution en lui servant de variable d’ajustement pour gérer sa surproduction.

C’est ce double constat de dysfonctionnement de notre système agricole et de nos politiques publiques d’aide alimentaire qui a conduit en 2017 un groupe d’étudiants d’Ingénieurs sans frontières, réunis dans le cercle de réflexion AgriSTA (Agriculture et souveraineté alimentaire), à élaborer la notion de sécurité sociale alimentaire (SSA) au point de lancer en 2019 un Collectif national en se regroupant avec une dizaine de partenaires associatif dont la Confédération paysanne, le réseau CIVAM pour des campagnes vivantes, l’Atelier paysan, le collectif Les pieds dans le Plat, ou encore l’association VRAC.

Extrait de la bande dessinée élaborée par ISF-Agrista et illustrée par Claire Robert, publiée en 2021 (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le confinement lié à la pandémie de Covid19, à partir de mars 2020, a mis en lumière le besoin criant d’aide alimentaire pour de nombreuses catégories de travailleurs précaires et d’étudiants privés de cantine, tandis que s’aggravait la crise du monde paysan. Face à ce constat, l’idée est de reconnecter les politiques agricoles et d’aide alimentaire en instaurant un système démocratique et participatif basé, non pas sur la croyance aveugle dans les vertus du marché libre et non faussé, mais sur des valeurs proches de celles qui ont conduit après-guerre le Conseil national de la résistance à instaurer la Sécurité sociale, toujours en œuvre malgré les attaques incessantes du libéralisme débridé.

L’objectif est de favoriser l’accès à tous à une alimentation saine et de qualité, produite par des paysans dans le respect de l’environnement, un peu à la manière des AMAP ou autres dispositifs de circuits courts, mais à grande échelle sans aucune exclusion. Ce principe d’universalité reposerait donc sur la base d’une cotisation obligatoire et se traduirait par une sorte de carte Vitale bis permettant d’allouer à chacun une allocation alimentaire d’un montant identique, utilisable uniquement pour acheter les produits conventionnés issus de l’agriculture équitable française.

Une nouvelle carte Vitale qui porterait bien son nom ? (source © Sécurité sociale de l’alimentation)

Le montant reste à fixer, mais on évoque une somme de l’ordre de 150 € par mois, ce qui correspond plus ou moins à la médiane des dépenses alimentaires par personne (hors boisson et produits extérieurs), sachant que cette somme est plutôt de l’ordre de 100 € pour les ménages pauvres. Le coût global d’une mesure aussi ambitieuse atteint près de 130 milliards par an, financé par un système de cotisations qui reste à imaginer, l’idée étant d’instaurer des caisses locales au fonctionnement démocratique pour récolter les cotisations et choisir les produits et exploitations conventionnées.

D’autres alternatives sont aussi envisageables, comme celle proposée en 2022 par le collectif Hémisphère gauche qui consiste à distribuer des chèques services aux ménages les plus modestes pour acheter des produits issus de l’agroécologie. Moyennant une aide de 100 € par mois pour les 10 % les plus nécessiteux, de 60 € pour les 10 % suivants et de 50 € pour la tranche suivante de 10 %, le coût se réduit à 7,5 milliards par an. Une somme qui peut être entièrement couverte par l’instauration d’une taxe de 1,5 % sur le chiffre d’affaires de la grande distribution, une taxe additionnelle sur les ventes d’alcool et la suppression partielle de la niche fiscale sur la restauration.

Distribution des Paniers marseillais, ici en 2019 (photo © Marion Esnault / Reporterre)

Les idées ne manquent donc pas pour tenter de remettre sur les rails de la raison notre agriculture en pleine dérive tout en améliorant les conditions d’alimentation de la population française mise à mal par des décennies de malbouffe et de triomphe d’une industrie agro-alimentaire dépourvue d’éthique. Une vingtaine d’expérimentations locales de cette démarche de sécurité sociale de l’alimentation ont déjà vu le jour, dont le Marché du lavoir, à Dieulefit dans la Drôme, ou encore les Paniers marseillais, un regroupement local d’AMAP qui distribue depuis mai 2021 des paniers solidaires à 3 € dans certains quartiers nord de Marseille, grâce à des subventions de collectivités publiques : des pistes qui méritent d’être creusées pour un projet qui ne manque pas d’ambition…

L. V.

Niger : un coup de force des gradés militaires…

13 août 2023

Depuis son indépendance en 1960, le Niger, ce vaste pays africain de près de 1,3 million de km2 (plus de deux fois la France !) s’étendant principalement en zone sahélienne et saharienne, peuplé d’environ 23 millions d’habitants, a déjà connu 5 coups d’État militaires. Il avait fallu attendre 1993 pour que le pays se dote d’un président démocratiquement élu, en l’occurrence Mahamane Ousmane, dont l’action a néanmoins été rapidement paralysée, moins de 2 ans plus tard, par une cohabitation forcée, suivie d’un nouveau putsch militaire en 1996… Son instigateur, Ibrahim Baré Maïnassara, qui se maintient au pouvoir à la suite d’une élection présidentielle truquée, est lui-même tué en 1999 à l’occasion d’un nouveau coup d’État militaire, juste retour des choses…

La ville de Niamey, sur les bords du fleuve Niger (photo © Adrien Barbier / AFP / Africanews)

En 2010, un nouveau coup de force de l’armée destitue le président Mamadou Tandja et proclame peu après la Septième République avant d’organiser des élections considérées comme relativement libres et pluralistes, qui permettent l’arrivée à la Présidence de Mahamadou Issoufou, largement réélu en 2016, suite à un boycott de l’opposition… Ne pouvant postuler à un troisième mandat, il soutient en 2020 son ministre de l’Intérieur, Mohamed Bazoum, qui est facilement élu au 2e tour le 21 février 2021, malgré son origine arabe, étant issu de la tribu libyenne des Oulad Souleymane, un groupe ultra minoritaire dans ce pays où près de la moitié de la population est Haoussa, les autres groupes ethniques importants étant les Songhaï, les Peuls et les Tamacheqs.

Scène de rue à Niamey, dans le quartier Nouveau Marché, en 2018 (source © TZai / RFI)

Considéré comme intègre, cet ancien syndicaliste et professeur de philosophie, est cofondateur du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme, fondé en 1990. Réélu député à 4 reprises, il a été plusieurs fois ministre, mais il est victime, 2 jours seulement avant son investiture, en mars 2021, d’une tentative de putsch, probablement soutenue par son adversaire défait, Mahamane Ousmane, mais déjoué par sa garde présidentielle. Il s’était depuis attiré les foudres de la junte militaire alors au pouvoir au Mali voisin depuis 2020 et qu’il accusait de complaisance envers les rebelles djihadistes, très présents dans toute la région.

Le Président du Niger, Mohamed Bazoum, ici au palais présidentiel le 2 mai 2022 (photo © Issouf Sanogo / AFP / France 24)

Les raisons du nouveau coup d’État militaire qui a renversé le président Mohamed Bazoum le 26 juillet 2023 et a conduit à l’arrestation de ce dernier toujours assigné à résidence avec sa famille, ne sont pas très claires à ce stade. Une chose est sûre : c’est le chef de sa garde présidentielle, Abdourahamane Tchiani, celui-là même qui avait déjoué la tentative précédente de putsch en mars 2021, qui est le principal instigateur de ce coup de force, très probablement parce qu’il se sentait menacé par la tentative de réorganisation de ses services que souhaitait mener le Président. C’est le problème de tout gouvernement civil qui tente de réformer l’armée et qui s’expose ainsi au risque de déclencher le mécontentement de la Troupe et d’en faire les frais…

Après 2 jours de tractations intenses avec les autres composantes des forces armées nigériennes, Tchiani parvient à rallier à sa cause le chef d’état-major en personne, le général Abdou Sidikou Issa. Le 28 juillet, un colonel de l’armée de l’air entouré de 9 gradés en treillis, annonce alors officiellement à la télévision de Niamey la prise de pouvoir de la junte militaire, sous le nom de Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, précisant au passage que le Président est destitué, la Constitution suspendue, les frontières fermées jusqu’à nouvel ordre, et le couvre-feu instauré, tout en mettant en garde contre toute tentative d’intervention étrangère.

Le général putschiste Abdourahamane Tchiani (à gauche) le 28 juillet 2023, avec d’autres hauts gradés de l’armée nigérienne (photo © Anadolou Agency / AFP / L’Express)

Un message adressé tout spécialement à la France qui dispose encore de 1500 hommes dans le pays, et aux Etats-Unis qui en alignent également un millier, principalement basés sur leur base de drones à Agadez. Un message destiné aussi à certains pays de la Cédéao, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, qui voient d’un mauvais œil cette contagion de putschs militaires, après celui du 24 mai 2021 au Mali, suivi le 21 septembre 2021 par un autre qui a renversé le président de Guinée, Alpha Condé, puis par celui de janvier 2022 qui a conduit à la destitution du président du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Les juntes militaires au pouvoir dans ces 3 pays voisins se solidarisent bien évidemment totalement de leurs collègues putschistes du Niger, mais ce n’est pas le cas des pouvoirs civils en place, notamment au Nigéria et en Centrafrique.

C’est donc surtout à l’initiative de ces derniers que la Cédéao a lancé un ultimatum à la junte militaire de Niamey, avant de se réunir en urgence à Abuja, au Nigéria, le 10 août, après l’expiration de son propre ultimatum, pour réitérer sa menace de recourir, en dernier recours, à des mesures de rétorsion militaire. Une menace que personne ne semble d’ailleurs prendre vraiment au sérieux.

Sommet extraordinaire de la Cédéao à Abuja, le 10 août 2023 (source © Abidjan.net)

La France quant à elle, fait plutôt profil bas et s’active surtout à évacuer ses nombreux ressortissants. Elle était pourtant fortement impliquée dans ce pays qui constituait jusqu’à présent un de ses alliés les plus solides pour la lutte armée contre les groupes djihadistes qui menacent toute la bande sahélienne, même si son implication économique, autrefois très forte via les exploitations d’uranium d’Arlit, est en passe de s’estomper, Orano (ex AREVA) n’important plus du Niger que 20 % du combustible destiné aux centrales nucléaires françaises.

Manifestants à Niamey, le 30 juillet 2023, hostiles à la France et en faveur de la Russie de Poutine (photo © Sam Mednick / SIPA / Le Dauphiné libéré)

Mais le sentiment anti-français est fortement attisé par la junte militaire au pouvoir à Niamey, comme c’est également le cas par leurs collègues maliens et burkinabés. Des manifestations de jeunes casseurs largement manipulés sont ainsi organisées, conspuant l’ancien allié français, tentant même de mettre le feu à l’ambassade de France à Niamey, tout en appelant de leur vœux l’appui de la Russie et de ses troupes de mercenaires du groupe Wagner qui ont bonne presse dans certains pays africains malgré leur piteux échec en Ukraine.

Espérons que la passion de ces événements s’apaise rapidement et que ce vaste pays sahélien, en proie à bien des difficultés économiques et sociales, et à l’insécurité attisée par les mouvements rebelles tamacheqs et les groupes armés djihadistes, retrouve la voie de la stabilité politique et de la démocratie, assurément plus apte à permettre un développement harmonieux du Niger comme de ses voisins…

L. V.

Tickets de caisse : de qui se moque-t-on ?

7 août 2023

La mesure avait été décidée un peu en catimini dans le cadre de l’adoption de la loi du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, qui prévoyait dans son article 49 qu’à compter du 1er janvier 2023, l’impression systématique des tickets de caisse mais aussi des reçus de carte bancaire et des tickets d’automate serait supprimée. Un décret publié le 31 mars 2023 a reporté l’entrée en vigueur de cette mesure au 1er août 2023, mais voilà donc qui est fait : depuis quelques jours déjà, le consommateur qui fait ses courses ou qui procède à un paiement sur un automate voire à une opération bancaire sur distributeur automatique de billets, n’a plus aucune preuve écrite lui permettant d’en conserver trace et donc de la contester en cas d’erreur matérielle toujours possible, sauf à exiger expressément son reçu.

Les tickets de caisse, bientôt un lointain souvenir… (photo © SIPA / Le Progrès)

Bien entendu, la démarche est justifiée par de louables intentions tant sanitaires qu’environnementales. Comme le précisent les attendus de la loi, cette dématérialisation va dans le sens de l’Histoire et ne fait qu’emboîter le pas à ce que font la plupart de nos voisins européens, rappelant que l’on imprime en France chaque année 30 milliards de tickets de caisse et de facturettes qui finissent toutes à la poubelle alors même que certains de ces documents contiennent, quelle horreur !, des substances nocives dont du bisphénol A qui est un perturbateur endocrinien.

Supprimer ces tickets va donc dans le sens de la modernisation de notre société, permet de faire des économies, allège notre empreinte carbone et est même une véritable mesure de santé publique. A se demander même qui a eu cette idée folle un jour d’inventer les tickets de caisse, véritable fléau des temps modernes ?

Un dessin signé Chaunu publié dans Ouest France le 1er août 2023

On notera au passage que l’identification des dangers sanitaires du bisphénol A ne date pas d’hier et que l’utilisation de ce produit est interdite en France depuis 2010 dans les biberons et depuis 2015 dans les récipients à usage alimentaire. Classé comme « substance extrêmement préoccupante » par le règlement européen REACh en 2016, la Commission européenne en a définitivement interdit l’usage dans les papiers thermiques, destinés justement à l’impression des tickets de caisse, et ceci depuis le 2 janvier 2020. L’argument selon lequel ces bouts de papier seraient dangereux pour la santé humaine au prétexte qu’ils pourraient contenir une substance illicite est donc quelque peu fallacieux, sauf à imaginer que l’État français ne se donne pas les moyens de faire appliquer les réglementations européennes en vigueur…

Quant à l’impact environnemental de ces tickets de caisse, il mérite, lui aussi, d’être quelque peu proportionné. Le papier est en effet, avec le verre, la substance qui se recycle le plus facilement. Sa fabrication elle-même, pour peu que l’on se préoccupe un minimum d’en adapter les procédés techniques, se fait pour l’essentiel à partir de matière première renouvelable (le bois) ou recyclée (vieux papiers et chiffons). Rien ne prouve donc a priori, que le bilan carbone d’un reçu de carte bancaire soit plus élevé lorsque ce reçu est imprimé sur un petit bout de papier que lorsqu’il est envoyé de manière numérique et stocké sur un serveur. Le contraire est même le plus probable…

Une mesure écologique, vraiment ? Un dessin signé Soph’, publié dans l’Est Républicain

A qui donc profite une telle décision, puisque les arguments mis en avant sont de toute évidence des plus fallacieux ? Aux commerçants et aux banquiers, bien évidemment, qui, non seulement économisent ainsi l’approvisionnement en rouleaux de papier et en toner, voire en imprimantes, mais surtout s’évitent bien bien des discussions avec les clients habitués à vérifier sur leur ticket de caisse si le prix promotionnel si alléchant a bien été pris en compte lors du passage en caisse…

Il faudra désormais être particulièrement vigilant et vérifier en temps réel si le prix scanné par la caissière et brièvement affiché sur l’écran digital est bien le bon : une porte ouverte à toutes les « erreurs » possibles, surtout en grande surface où les distributeurs se sont fait une spécialité d’oublier d’appliquer les promotions pourtant affichées de manière ostentatoire pour attirer le chaland.

Même les oiseaux s’inquiètent… (source © Birds dessinés)

Car la loi est claire : le commerçant n’a aucune obligation de justifier désormais le détail de la transaction. Il peut le faire de manière dématérialisée, par envoi de SMS ou par courriel via un compte fidélité du client ou via l’application bancaire de ce dernier, sous réserve que celui-ci lui ait donné son accord, dans le strict respect des règles de protection des données individuelles. Mais rien ne l’y oblige, sauf à ce que le client en question le demande, ou exige d’obtenir son ticket de caisse (du moins pour l’instant, le temps que tous les commerçant finissent d’user leurs imprimantes encore fonctionnelles). Le commerçant n’a même pas l’obligation de le proposer aux clients, sinon par une simple affichette plus ou moins discrète : si l’on veut malgré tout son ticket de caisse, c’est au consommateur de le réclamer !

Les personnes âgées, parfois éloignées des outils numériques, et celles à faibles ressources, dont le budget familial doit être ajusté à l’euro près, pour espérer tenir jusqu’à la fin du mois, seront bien évidemment les premières victimes de cette nouvelle offrande que le gouvernement fait au secteur bancaire et à celui de la grande distribution.

Une mesure qui ne va pas faciliter la vie des personnes aux revenus modestes : un dessin signé Dawid, publié dans La Nouvelle République

Il y avait pourtant nettement plus urgent et plus efficace comme mesure à prendre si l’objectif était véritablement de se préoccuper de l’état de notre environnement et de la santé publique. Plutôt que de supprimer les tickets de caisse et les reçus bancaires, le vrai enjeu est bien de réduire de manière significative les emballages plastiques qui continuent d’englober la majeure partie de ce qui est vendu en grande surface et qui viennent encombrer nos poubelles jaunes ou sont emportées par le vent jusque dans la mer où ils rendent nos écosystèmes durablement invivables pour la faune résiduelle.

Rappelons au passage que seule une toute petite partie de nos déchets plastiques est actuellement recyclable, grosso modo celui qui sert à fabriquer les flacons et les bouteilles. Certaines collectivités, dont la Métropole Aix-Marseille-Provence, acceptent de récupérer tous les emballages plastiques dans les poubelles jaunes, par souci de facilité, mais l’essentiel de cette collecte finit dans l’incinérateur ou enfoui en décharge ! L’objectif est officiellement de recycler 100 % de nos déchets plastiques d’ici 2025 (demain donc…) mais on en est très loin avec un taux qui ne dépasse pas 26 % des déchets plastiques récoltés, selon les chiffres (optimistes) de PAPREC.

Les emballages alimentaires en plastique : le vrai fléau à combattre ! (source © Zero waste)

L’urgence serait donc d’inciter (enfin) la grande distribution et les industriels de l’agro-alimentaire de développer des emballages sans plastique, de quoi relancer une filière industrielle innovante avec même des capacités d’exportation à la clé : un programme autrement plus ambitieux que cette idée parfaitement stupide de supprimer les tickets de caisse au motif que cela fait plus moderne et que certains de nos voisins européens l’ont fait avant nous !

L. V.

Travail dissimulé dans un zoo chinois ?

4 août 2023

L’anecdote paraît insignifiante mais, par la grâce des réseaux sociaux, elle a quand même fait le tour du monde. A peu près tous les médias français, de BFMTV à Libération en passant par Nice Matin ou le Figaro l’ont reprise en chœur en ce début du mois d’août où l’actualité est aussi inexistante que déprimante. On ne peut pas toujours parler de ces pauvres Ukrainiens qui se font tuer en essayant de reprendre quelques kilomètres carrés à leur voisin russe un peu trop gourmand…

Évacuation de résidents par bateau sur l’autoroute inondée à Zhuozhou, dans la province de Hebei, au sud de Pékin, le 2 août 2023 (photo © Andy Wong / AP / Le Monde)

Même les inondations à Pékin et dans la province voisine du Hebei n’ont finalement guère fait parler d’elles malgré leur caractère aussi spectaculaire qu’inédit. Depuis 140 ans que les météorologues chinois enregistrent les précipitations, jamais ils n’avaient pourtant observé un tel cumul de pluie en si peu de temps : 744,8 mm entre samedi soir, 29 juillet 2023, et mercredi matin, 2 août, dans une des stations de la capitale alors que le précédent record, datant de 1891, ne dépassait pas 609 mm ! Des précipitations aussi intenses ont fait des dégât colossaux et on compte au moins 20 morts et 19 disparus, tandis que de nombreux ponts et routes ont été coupés et quantité d’habitations inondées.

Mais c’est une autre nouvelle venue de Chine qui a fait le buzz sur la toile ces derniers jours : il a suffi pour cela que des visiteurs du zoo de Hangzou mettent en ligne une vidéo sur laquelle on voit un ours des cocotiers dressé sur ses pattes arrières faire le singe pour quémander quelques friandises aux badauds attroupés autour de son enclos. Il est vrai que les images en question donnent du plantigrade en question une allure particulièrement humaine : droit comme un i, fermement planté sur ses jambes arrières et faisant des gestes très explicites avec ses avant bras, il donne vraiment l’impression de converser avec les humains attroupés de l’autre côté de la barrière.

Extrait de la vidéo virale sur les réseaux sociaux montrant l’ours suspect du zoo de Hangzou (source ©
Twitter Shangai Daliy / Libération)

Une impression encore renforcée lorsqu’on le voit de dos avec sa fourrure qui fait des plis au niveau des reins comme s’il s’agissait d’un costume de scène un poil trop grand qui retombe un peu sur les jambes. Habitués à voir plutôt des ours bruns de grande taille, les visiteurs chinois du zoo se sont donc persuadés que cet ours noir aussi mal fagoté, d’à peine 1,40 m de hauteur et à la silhouette si typiquement humaine, n’était autre qu’un employé du zoo déguisé en ours pour amuser le public, comme on en voit dans tous les parcs d’attraction…

Vidéo réalisée par le Huffington Post et accessible sur YouTube

Une idée tellement ancrée dans l’esprit de tous les internautes qui ont visionné cette vidéo devenue virale, que la direction du zoo de Hangzou s’est cru obligée de publier un communiqué de mise au point, signé par Angela, l’ourse des cocotiers en question qui explique donc au grand public : « Le directeur du zoo m’a appelée hier soir après le travail, pour me demander si je ne flemmardais pas et si je n’avais pas trouvé une bête à deux pattes pour me remplacer ».

Eh bien non, contrairement à ce que croient nombre de ceux qui ont visionné la vidéo, il s’agissait donc bien d’une vraie ourse des cocotiers en chair et en os, issue des forêts d’Asie du Sud-Est notamment de Malaisie. Cette espèce de très petite taille, qui ne dépasse pas 1 m à 1,40 m, très caractéristique avec son pelage noir luisant et son large collier orangé autour du cou, y est d’ailleurs en grand danger du fait de la déforestation qui a cours dans ces contrées, mais ce n’est pas (encore) une raison pour la remplacer dans les zoos par un humain déguisé. D’autant que, comme l’a judicieusement précisé la direction du zoo de Hangzou, il faisait alors pas loin de 40 °C dans l’enclos rocheux du parc zoologique en question et qu’un homme aurait eu bien du mal à rester toute la journée en plein cagnard à faire ainsi le pitre recouvert d’une fourrure d’ours…

L’affaire laisse quand même songeur quand à la nécessité d’exhiber ainsi de pauvres animaux sauvages dans des conditions aussi inhumaines, au risque de tomber en dépression et de périr d’ennui, alors même que finalement la plupart des visiteurs restent persuadés avoir vu un simple employé plus ou moins habilement déguisé…

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des zoos chinois sont ainsi accusés de tromper le public en remplaçant une espèce par une autre. CNN s’en était fait l’écho en août 2013, relayant la surprise d’une maman chinoise visitant avec son fils le zoo de Louhe, dans la province centrale du Henan, et entendant le lion se mettre à aboyer : il avait été purement et simplement substitué par un dogue du Tibet, un gros chien roux à la fourrure particulièrement fournie mais qui, malgré ses bonnes dispositions, avait encore un peu de mal à passer pour un lion de l’Atlas accompli.

Faute de lion, un dogue du Tibet fait aussi bien l’affaire (source © Le site des toutous)

Une supercherie renouvelée dans l’enclos des loups, eux aussi remplacés par de simples chiens tandis qu’un renard blanc essayait maladroitement de remplacer au pied levé le léopard aux abonnés absents. La direction du zoo s’était défendue en prétextant des erreurs d’étiquetage et un concours de circonstances : la cage du lion était momentanément vide et le chien l’a trouvée à son goût… Le parc zoologique en question avait finalement fermé ses portes, le temps sans doute de faire un peu le ménage dans ses enclos et parmi ses pensionnaires, sous les lazzis du public qui conseillait (déjà) de remplacer les gorilles par un employé déguisé…

En Chine, le sort des kangourous de zoo n’est pas de tout repos… (source © RTL info)

Mais on ne saurait trop déconseiller aux employés en question de jouer ainsi les animaux de foire quand on voit le traitement que certains visiteurs font subir aux pauvres bestioles en cage. Une femelle kangourou avait ainsi trouvé la mort dans le zoo de la grande ville de Fuzhou, au sud-est de la Chine, après avoir essuyé, le 28 février 2018, plusieurs jets de pierres et de briques expédiés par le public pour l’obliger à sauter. Avec une patte écrasée et un choc fatal au niveau des reins, la pauvre bête était décédée quelques jours plus tard, ce qui n’avait pas empêché les visiteurs de recommencer et de blesser grièvement un jeune mâle quelques jours plus tard dans le même enclos…

En Chine, comme dans bien d’autres pays, où le respect des droits de l’homme ne va pas forcément de soi et où la notion de protection du monde animal est loin d’être acquise par tous, il ne fait pas bon être privé de liberté, que l’on soit un ours des cocotiers ou un pauvre type et quelle que soit la défroque que l’on a sur le dos…

L. V.