Travail dissimulé dans un zoo chinois ?

by

L’anecdote paraît insignifiante mais, par la grâce des réseaux sociaux, elle a quand même fait le tour du monde. A peu près tous les médias français, de BFMTV à Libération en passant par Nice Matin ou le Figaro l’ont reprise en chœur en ce début du mois d’août où l’actualité est aussi inexistante que déprimante. On ne peut pas toujours parler de ces pauvres Ukrainiens qui se font tuer en essayant de reprendre quelques kilomètres carrés à leur voisin russe un peu trop gourmand…

Évacuation de résidents par bateau sur l’autoroute inondée à Zhuozhou, dans la province de Hebei, au sud de Pékin, le 2 août 2023 (photo © Andy Wong / AP / Le Monde)

Même les inondations à Pékin et dans la province voisine du Hebei n’ont finalement guère fait parler d’elles malgré leur caractère aussi spectaculaire qu’inédit. Depuis 140 ans que les météorologues chinois enregistrent les précipitations, jamais ils n’avaient pourtant observé un tel cumul de pluie en si peu de temps : 744,8 mm entre samedi soir, 29 juillet 2023, et mercredi matin, 2 août, dans une des stations de la capitale alors que le précédent record, datant de 1891, ne dépassait pas 609 mm ! Des précipitations aussi intenses ont fait des dégât colossaux et on compte au moins 20 morts et 19 disparus, tandis que de nombreux ponts et routes ont été coupés et quantité d’habitations inondées.

Mais c’est une autre nouvelle venue de Chine qui a fait le buzz sur la toile ces derniers jours : il a suffi pour cela que des visiteurs du zoo de Hangzou mettent en ligne une vidéo sur laquelle on voit un ours des cocotiers dressé sur ses pattes arrières faire le singe pour quémander quelques friandises aux badauds attroupés autour de son enclos. Il est vrai que les images en question donnent du plantigrade en question une allure particulièrement humaine : droit comme un i, fermement planté sur ses jambes arrières et faisant des gestes très explicites avec ses avant bras, il donne vraiment l’impression de converser avec les humains attroupés de l’autre côté de la barrière.

Extrait de la vidéo virale sur les réseaux sociaux montrant l’ours suspect du zoo de Hangzou (source ©
Twitter Shangai Daliy / Libération)

Une impression encore renforcée lorsqu’on le voit de dos avec sa fourrure qui fait des plis au niveau des reins comme s’il s’agissait d’un costume de scène un poil trop grand qui retombe un peu sur les jambes. Habitués à voir plutôt des ours bruns de grande taille, les visiteurs chinois du zoo se sont donc persuadés que cet ours noir aussi mal fagoté, d’à peine 1,40 m de hauteur et à la silhouette si typiquement humaine, n’était autre qu’un employé du zoo déguisé en ours pour amuser le public, comme on en voit dans tous les parcs d’attraction…

Vidéo réalisée par le Huffington Post et accessible sur YouTube

Une idée tellement ancrée dans l’esprit de tous les internautes qui ont visionné cette vidéo devenue virale, que la direction du zoo de Hangzou s’est cru obligée de publier un communiqué de mise au point, signé par Angela, l’ourse des cocotiers en question qui explique donc au grand public : « Le directeur du zoo m’a appelée hier soir après le travail, pour me demander si je ne flemmardais pas et si je n’avais pas trouvé une bête à deux pattes pour me remplacer ».

Eh bien non, contrairement à ce que croient nombre de ceux qui ont visionné la vidéo, il s’agissait donc bien d’une vraie ourse des cocotiers en chair et en os, issue des forêts d’Asie du Sud-Est notamment de Malaisie. Cette espèce de très petite taille, qui ne dépasse pas 1 m à 1,40 m, très caractéristique avec son pelage noir luisant et son large collier orangé autour du cou, y est d’ailleurs en grand danger du fait de la déforestation qui a cours dans ces contrées, mais ce n’est pas (encore) une raison pour la remplacer dans les zoos par un humain déguisé. D’autant que, comme l’a judicieusement précisé la direction du zoo de Hangzou, il faisait alors pas loin de 40 °C dans l’enclos rocheux du parc zoologique en question et qu’un homme aurait eu bien du mal à rester toute la journée en plein cagnard à faire ainsi le pitre recouvert d’une fourrure d’ours…

L’affaire laisse quand même songeur quand à la nécessité d’exhiber ainsi de pauvres animaux sauvages dans des conditions aussi inhumaines, au risque de tomber en dépression et de périr d’ennui, alors même que finalement la plupart des visiteurs restent persuadés avoir vu un simple employé plus ou moins habilement déguisé…

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des zoos chinois sont ainsi accusés de tromper le public en remplaçant une espèce par une autre. CNN s’en était fait l’écho en août 2013, relayant la surprise d’une maman chinoise visitant avec son fils le zoo de Louhe, dans la province centrale du Henan, et entendant le lion se mettre à aboyer : il avait été purement et simplement substitué par un dogue du Tibet, un gros chien roux à la fourrure particulièrement fournie mais qui, malgré ses bonnes dispositions, avait encore un peu de mal à passer pour un lion de l’Atlas accompli.

Faute de lion, un dogue du Tibet fait aussi bien l’affaire (source © Le site des toutous)

Une supercherie renouvelée dans l’enclos des loups, eux aussi remplacés par de simples chiens tandis qu’un renard blanc essayait maladroitement de remplacer au pied levé le léopard aux abonnés absents. La direction du zoo s’était défendue en prétextant des erreurs d’étiquetage et un concours de circonstances : la cage du lion était momentanément vide et le chien l’a trouvée à son goût… Le parc zoologique en question avait finalement fermé ses portes, le temps sans doute de faire un peu le ménage dans ses enclos et parmi ses pensionnaires, sous les lazzis du public qui conseillait (déjà) de remplacer les gorilles par un employé déguisé…

En Chine, le sort des kangourous de zoo n’est pas de tout repos… (source © RTL info)

Mais on ne saurait trop déconseiller aux employés en question de jouer ainsi les animaux de foire quand on voit le traitement que certains visiteurs font subir aux pauvres bestioles en cage. Une femelle kangourou avait ainsi trouvé la mort dans le zoo de la grande ville de Fuzhou, au sud-est de la Chine, après avoir essuyé, le 28 février 2018, plusieurs jets de pierres et de briques expédiés par le public pour l’obliger à sauter. Avec une patte écrasée et un choc fatal au niveau des reins, la pauvre bête était décédée quelques jours plus tard, ce qui n’avait pas empêché les visiteurs de recommencer et de blesser grièvement un jeune mâle quelques jours plus tard dans le même enclos…

En Chine, comme dans bien d’autres pays, où le respect des droits de l’homme ne va pas forcément de soi et où la notion de protection du monde animal est loin d’être acquise par tous, il ne fait pas bon être privé de liberté, que l’on soit un ours des cocotiers ou un pauvre type et quelle que soit la défroque que l’on a sur le dos…

L. V.

Étiquettes : , , , , , ,

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.