Archive for the ‘Energie’ Category

Changement climatique : la plongée dans l’inconnu…

14 Mai 2024

Chacun sait désormais que la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère terrestre, n’arrête pas d’augmenter, alimentant un réchauffement climatique global de plus en plus visible. Les bonnes résolutions prises, année après année, par les quelques responsables politiques qui font mine de s’intéresser au sujet le temps des COP, n’y changent malheureusement rien : malgré un court répit lié au ralentissement momentané de l’activité économique en 2020 pour cause de pandémie mondiale et malgré les efforts de certains pays, dont la France fait partie, qui ont réussi à diminuer progressivement (mais encore très timidement) leurs émissions de gaz à effet de serre, les rejets de ces gaz dans l’atmosphère terrestre, principalement le dioxyde de carbone et le méthane, continuent d’augmenter d’année en année !

Malgré toutes nos belles paroles, nos émissions de CO2 continuent d’augmenter : pas besoin de construire un mur, il existe déjà et se rapproche à grande vitesse… : un dessin signé Wingz

Mesurer la concentration de CO2 dans l’air ambiant ne pose pas de difficulté technique et il est donc assez facile de suivre ce paramètre. Mais ce dernier fluctue énormément dans le temps car directement influencé par l’activité biologique végétale et par les conditions météorologiques. En 2019, la Ville de Paris avait ainsi encouragé des chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à installer un réseau de mesures sur l’ensemble du territoire métropolitain avec notamment une station de mesures sur le toit de l’université de Jussieu, pour établir mensuellement une météo locale du carbone permettant de suivre les évolutions de ce paramètre dans le temps et aider à évaluer les politiques publiques engagées.

Toute la difficulté est en effet d’analyser ces fluctuations dans le temps et dans l’espace pour en tirer des conclusions globales sur des tendances à long terme. C’est notamment ce qui avait été fait dans une étude publiée en 2019 dans la revue scientifique Science Advances par une équipe de chercheurs allemands qui avaient estimé, sur la base d’une modélisation numérique alimentée par de nombreux points de mesures, que la concentration moyenne de CO2 dans l’atmosphère terrestre était alors de 412 ppm (partie par million, autrement dit, pour chaque million de molécule de gaz dans l’air ambiant, en moyenne 412 sont des molécules de dioxyde de carbone).

Prélèvement d’une carotte glaciaire en 1984 dans le cadre du programme Vostok (source © Fonds Lorius / CNRS)

En soi, ce chiffre n’est guère parlant. Il l’est davantage lorsqu’on le compare aux situations antérieures que notre planète a connues et que l’on peut reconstituer en analysant les bulles de gaz piégées dans certains sédiments marins enfouis ou dans des carottes glaciaires prélevées en profondeur. On constate dès lors qu’il faut remonter à la fin du Pléistocène, il y a 3 millions d’années pour retrouver de telles concentrations de CO2 dans l’atmosphère terrestre, supérieures à 400 ppm. A l’époque, notre lointain ancêtre, Australopithecus africanus, commençait tout juste à peupler les savanes africaines. La température moyenne à la surface du globe était supérieure de 3 à 4°C, les arbres poussaient dans l’Antarctique et le niveau des océans était plus haut de 15 à 20 m par rapport à ce que nous connaissons.

Évolution des concentrations de CO2 mesurées à la station de Mauna Loa depuis 1958 et comparées à des données issues de carottes glaciaires (source © The Economist)

Depuis cette lointaine période que l’homme n’a pas connue, la concentration moyenne de CO2 à la surface du globe est toujours restée à une moyenne très inférieure, ne dépassant jamais 280 ppm, du moins jusqu’au début du XXe siècle. Pour suivre ces fluctuations, la station de référence est celle du Mauna Loa, à Hawaï, car c’est la plus ancienne où ce paramètre est suivi en continu, en l’occurrence depuis 1958, ce qui correspond à une période où le développement industriel était déjà largement amorcé mais où ses impacts environnement mondiaux commençaient tout juste à être perceptibles.

La concentration en dioxyde de carbone suit une fluctuation saisonnière régulière avec un maximum en mars, juste avant le démarrage du cycle végétatif. Les enregistrements de la station d’Hawaï, connus sous le nom de « Keeling Curve » sont accessibles en temps réel et montrent une tendance très nette et ininterrompue à l’augmentation, avec un nouveau record battu le 9 mai 2024 à un niveau jamais atteint de 427,7 ppm. Mais ce qui inquiète surtout les scientifiques, c’est la vitesse à laquelle ces valeurs augmentent. Entre mars 2023 et mars 2024, l’augmentation est en effet de 4,1 ppm, ce qui représente la plus forte croissance annuelle jamais enregistrée depuis la mise en service de la station en 1958. Non seulement la concentration en CO2 de l’atmosphère terrestre atteint des records que la Terre n’a pas connus depuis plus de 3 millions d’années et que l’Homme n’a jamais vécu, mais surtout cette augmentation se fait à une vitesse inégalée et qui continue d’accélérer d’année en année, comme si la machine était en train de s’emballer.

Une accélération qui est d’ailleurs encore plus sensible pour les rejets de méthane. En effet, le service Copernicus de l’Union européenne sur le changement climatique révélait, dans sa dernière synthèse pour l’année 2022, que cette année-là les concentrations moyennes de gaz à effets de serre avaient augmenté par rapport à leur niveau de référence du XIXe siècle, de 50 % pour le dioxyde de carbone (passant de 278 à 417 ppm) mais de 162 % pour le méthane (passant de 0,72 à 1,9 ppm), sachant que l’impact de ce dernier gaz sur le réchauffement climatique à court terme est très supérieur à celui du CO2 (84 fois supérieur sur 20 ans, même si la durée de vie de ce gaz dans l’atmosphère est inférieur, ce qui en atténue l’impact sur le long terme).

Estimation de la température moyenne de l’atmosphère terrestre selon différentes sources et comparaison par rapport à la période de référence 1859-1900 (source © État du Globe 2022 / Copernicus)

Ces données factuelles n’ont donc rien de rassurant et se traduisent d’ores et déjà par un réchauffement climatique mondial supérieur à 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui laisse penser que le seuil fatidique de 1,5 °C qui servait de référence lors de la COP 21, sera très rapidement atteint. Un sondage effectué par le média britannique The Gardian auprès de nombreux scientifiques ayant participé aux travaux du GIEC et publié le 8 mai 2024, montre d’ailleurs que 80 % de ces chercheurs estiment que l’augmentation de température moyenne atteindra très vraisemblablement 2,5 °C d’ici 2100. Les trois-quarts d’entre eux se montrent désespérés par l’inertie de nos responsables politiques et par l’importance majeure du lobby économique, notamment issu de l’activité pétrolière.

L’actualité récente semble d’ailleurs plutôt leur donner raison à en croire les dernières révélations du Washington Post qui indiquait, le 11 mai 2024, que l’équipe de campagne de Donald Trump, possible nouveau Président des États-Unis à l’issue des prochaines élections de novembre 2024, aurait promis, à une vingtaine de dirigeants de grosses entreprises du secteur pétrolier de mettre fin aux réglementations à caractère environnemental qui gênent le développement de leur activité, s’il devait être réélu.

Donald Trump, champion du lobby pétrolier : un dessin signé Georges Chappatte, publié en juin 2017 par The New York Times, et toujours d’actualité

Alors que les entreprises du secteur auraient déjà versé 6,4 millions de dollars pour financer sa campagne, Donald Trump espère obtenir 1 milliard de dollars de leur part, leur assurant que le retour sur investissement leur sera favorable du fait des avantage fiscaux et réglementaires qu’il compte leur accorder en cas de réélection, s’engageant notamment à faciliter l’exportation de gaz naturel liquéfié, à accorder de nouvelles concessions de forages pétroliers dans le Golfe du Mexique et à alléger les restrictions de forage en Alaska. Certains sont restés dans l’histoire pour avoir promis leur trône contre un plat de lentilles ; nos responsables politiques le resteront sans doute pour avoir rendu la vie humaine impossible sur Terre en échange de leur réélection…

 L. V.

Le moulin de Barbegal à Fontvieille

27 avril 2024

Située entre Arles et Les Baux-de-Provence, au sud-ouest du massif des Alpilles, la commune de Fontvielle doit son nom à la Fons vetus, l’ancienne source, située à proximité du lavoir municipal toujours visible et autour duquel le village s’est regroupé, probablement aux alentours du XIIe siècle. Vivant désormais surtout de l’agriculture et du tourisme, la commune a connu un essor économique important grâce à l’exploitation, dès la Renaissance, de la pierre de taille, un calcaire coquiller tendre à grains grossiers, d’âge Burdigalien, extrait aussi aux Baux et commercialisé sous le nom de pierre de Fontvieille. En 1862, la production locale était évaluée à 55 000 m3 par an, exportée à travers tout le bassin méditerranéen, surtout à partir de 1875, après l’ouverture de la ligne de chemin de fer entre Fontvieille et Arles, qui servit aussi au transport de la bauxite, une autre production locale.

Vue aérienne de la carrière de Fontvieille (source © Carrières de Provence)

La commune est désormais surtout connue pour son fameux moulin à vent de Daudet, en réalité le moulin de Saint-Pierre, construit en 1814 et qui est sans doute l’un des derniers de la commune à avoir fonctionné, jusqu’à son arrêt définitif en 1915. Contrairement à la légende, qui permet d’attirer bien des cars de touristes sur le site, depuis sa restauration en 1935, puis en 2016, l’écrivain Alphonse Daudet n’y séjourna jamais, lui qui logeait plutôt au château de Montauban lors de ses passages à Fontvieille.

Le moulin Ribet ou moulin de Saint-Pierre à Fontvieille (source © Fréquence Sud)

Son évocation du bâtiment telle qu’elle apparaît dans Les lettres de mon moulin, publiées en 1869, est d’ailleurs éloquente : « Une ruine ce moulin ; un débris croulant de pierres et de vieilles planches, qu’on n’avait pas mis au vent depuis des années et qui gisait, inutile comme un poète, alors que tout autour sur la côte la meunerie prospérait et virait à toutes ailes »…

Mais il est à Fontvieille un autre vestige de moulin, sans doute moins évocateur pour les touristes asiatiques qui débarquent en force dans ce coin de Provence. Il s’agit d’une ancienne meunerie industrielle nettement plus ancienne puisqu’elle fut aménagée au temps de la colonisation romaine. Un premier aqueduc fut construit à cet endroit aux alentours de 50 après J.-C., sous le règne de l’empereur Claude pour alimenter la ville d’Arles. Fondée en 45 avant J.-C., la colonie d’Arelate est alors une ville en plein expansion, reliée à Lugdunum par la via Aggripa et à Rome par la navigation fluviale et maritime.

Vestiges des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Cet aqueduc romain destiné à garantir l’alimentation en eau de la ville romaine captait des sources situées sur le versant nord des Alpilles, dont la source vauclusienne de Mas Crema, à Mollèges, et d’autres sans doute, peut-être jusqu’à Eygalières, ainsi que des sources situées sur le versant sud des Alpilles, notamment à Entreconque et Manville, près des Baux, et la source de l’Arcoule au nord de Paradou. Ces deux canalisations principales traversaient le vallon des Arcs sur un double aqueduc de 325 m de long et se rejoignaient dans un bassin d’où partait une conduite bifurquant plein ouest pour alimenter Arles après avoir traversé la plaine de Barbegal sur un pont en bois aujourd’hui disparu.

Tracé connu des aqueducs romains desservant en eau la ville d’Arles (source © Patrimoine Ville d’Arles)

Au début du IIe siècle après J.-C. l’ouvrage hydraulique est profondément remanié et la branche orientale, probablement créée à cette date, est prolongée par une tranchée taillée dans le rocher du chaînon de la Pène pour alimenter un complexe industriel de grande ampleur, un des plus vastes connus datant de cette époque romaine. Les fouilles réalisées par Fernand Benoit, entre 1937 et 1939, ont permis de reconnaître que les vestiges de maçonnerie qui dessinent un immense quadrilatère de 61 m de longueur et 20 m de largeur, dans la pente rocheuse en contrebas du chaînon de le Pène, sont les traces d’une ancienne meunerie industrielle qui a fonctionné au moins jusqu’au IIIe siècle après J.-C., à en juger par la datation des dépôts calcaires que l’on a retrouvés.

Vestiges de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Structurae)

Cette usine, qui appartenait probablement au propriétaire d’une riche villa voisine, était organisée autour d’un escalier central séparant deux travées constituées chacune de 8 biefs étagés en cascade, chacun d’eux étant équipé d’une roue à aube, actionnée par la chute d’eau et entraînant une meule en basalte destinée à broyer le grain. Le débit maximum de l’aqueduc étant de l’ordre de 260 l/s et la hauteur totale du dénivelé de 18 m, la puissance hydraulique de l’installation est donc évaluée à environ 50 kW, ce qui est remarquable pour un ouvrage hydraulique de cette période, peut-être attribué au charpentier arlésien Candidus Begninus, dont le sarcophage s’orne de l’inscription suivante (traduite du latin) : « il n’en fut pas de plus savant et personne ne le surpassa dans l’art des ouvrages de mécanique et dans la conduite des cours d’eau ».

Maquette reconstituant l’aspect de l’ancienne meunerie romaine de Barbegal (source © Jean-Marie Borghino)

Certes, le débit aléatoire des sources des Alpilles ne permettait probablement pas au moulin de Barbegal de fonctionner toute l’année, d’autant qu’il devait sans doute ménager de longues périodes de maintenance pour assurer l’entretien d’une telle machinerie, sans compter les difficultés d’approvisionnement en céréales qui ne permettaient sans doute qu’un fonctionnement saisonnier. On considère néanmoins que la capacité de production de l’usine pouvait atteindre 5,5 tonnes par jour, ce qui est considérable et laisse penser que la farine ainsi produite ne servait pas seulement à alimenter les boulangeries d’Arles et de ses environs mais aussi à la fabrication de pain et de biscuits destinés aux nombreux navires transitant par le port fluvial d’Arelate.

Test de la roue à augets reconstituée du moulin de Barbegal (source © extrait vidéo YouTube)

Entre 2018 et 2020, une équipe de passionnés aidés de scientifiques s’était mis en tête de reconstituer une des roues à augets qui fonctionnaient sur le site de l’ancienne meunerie, sur la base des vestiges retrouvés sur place, notamment sous forme d’encroûtements calcaires déposés sur les pales de la roue. Une aventure extraordinaire, retracée dans un film et qui leur a permis de reconstruire minutieusement la roue et de la tester ensuite en vraie grandeur, avant de la mettre en exposition à l’office du tourisme de Fontvieille.

Arche dégradée des aqueducs de Barbegal, en avril 2024 (photo © CPC)

Exposés à l’air libre sans la moindre protection, les vestiges de l’usine romaine et des aqueducs en amont se dégradent et le mortier romain, malgré sa bonne réputation, commence à sérieusement se déliter. Heureusement, le site fait partie des 18 heureux vainqueurs du Loto du patrimoine organisé par Stéphane Bern pour le millésime 2024. De quoi permettre d’engager enfin une restauration pour stabiliser ces vestiges particulièrement spectaculaires mais fortement abîmés. Une étude de diagnostic sanitaire menée en 2021 a confirmé l’état alarmant des voûtes de l’aqueduc encore debout, pourtant inscrit à l’inventaire des monuments historiques depuis 1937.

Partie en tranchée du canal d’amenée d’eau de l’ancienne meunerie, creusé à travers le chaînon de la Pène (photo © CPC)

L’intervention se fera sous forme de tranches successives à partir de janvier 2025, en commençant par le tronçon principal des aqueducs et en se prolongeant par les vestiges de la meunerie, puis le tronçon nord des aqueducs et le bassin de répartition, pour s’achever en 2028 si tout va bien, le tout pour un budget prévisionnel de 1,2 million d’euros. Pas de quoi remettre en service les aqueducs et l’activité industrielle induite, mais suffisamment pour sauver de la destruction définitive cet ouvrage hydraulique remarquable, témoin d’un passé prestigieux.

L. V.

Projet Nestor : EDF vend son âme au diable…

11 mars 2024

C’est une enquête de Géraldine Hallot, de la cellule d’investigation de Radio France, qui a mis le doigt sur le malaise en train de se développer au sein des équipes d’EDF Hydro et d’EDF Renouvelables, une holding créée en 2004 et dénommée ainsi depuis 2018, filiale à 100 % d’EDF, et qui est axée surtout sur le développement de projets d’énergie éolienne, de solaire photovoltaïque et de stockage de l’électricité.

Cette filiale, forte de 3000 agents dans le monde, est implantée dans de nombreux pays dont l’Arabie Saoudite où elle exploite déjà, en consortium avec la société émiratie Masdar et le conglomérat saoudien Nesma Company, la centrale solaire de South Jeddah, d’une capacité de 300 MW, et le plus grand parc éolien en activité du Moyen-Orient, à Dumar Al Jandal. Elle vient aussi de remporter l’appel d’offre pour développer, construire et exploiter, à partir de 2025, la future centrale solaire d’Al Henakiyah, d’une capacité de 1,1 GW.

Maquette de la centrale solaire de 300 MW implantée au sud de Jeddah (photo © Masdar / PV Tech)

Des projets dont le groupe EDF peut légitimement tirer une certaine fierté, tout comme la mise en service, prévue cette année, de l’usine hydroélectrique de 420 MW sur le fleuve Sanaga, à Nachtigal, au Cameroun, et bien d’autres projets dans le monde et en France où EDF Hydro ambitionne d’augmenter de 2000 MW supplémentaires sa capacité de production hydroélectrique via l’optimisation de ses installations existantes et par le développement de stations de transfert de l’énergie par pompage (STEP), qui permettent de fait de stocker de l’énergie en remplissant des réservoirs en hauteur lorsque la production électrique est excédentaire, réservoirs dont l’eau peut ensuite être turbinée pour produire de l’électricité à la demande. Autant de projets qui contribuent à l’alimentation en électricité des populations et à la décarbonation de nos sources d’énergie.

Le prince Mohamed ben Salman faisant la promotion de son projet de ville futuriste « The Line » en 2021 (photo © Bandar al-Jaloud / Saudi Royal Palace / AFP / France TV Info)

Mais EDF s’est lancée en parallèle dans une aventure, toujours en Arabie Saoudite, qui est loin de susciter le même enthousiasme au sein de ses équipes. Il s’agit ni plus ni moins que de concevoir en plein désert une usine hydroélectrique et son réservoir de stockage, afin de garantir l’approvisionnement en électricité d’un projet urbain aussi farfelu que démesuré, tout droit sorti de l’imagination délirante du prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohamed ben Salman, qui s’est mis en tête de créer ex nihilo, dans la province désertique de Tabuk, au nord-ouest du pays, une mégapole du nom de Neom, dont la superficie devrait approcher celle de la Belgique toute entière…

Vue d’artiste du projet « The Line », un immense gratte-ciel horizontal sur 170 km de long en plein désert (source © Neom / Vert-eco)

Ce projet pharaonique, dont la promotion est assurée à grands coups de clips hollywoodiens, prévoit notamment l’aménagement d’une station de ski en plein désert, où le prince a prévu d’organiser les jeux asiatiques d’hiver en 2029, ainsi qu’une île pour séjours touristiques de luxe sur la mer Rouge et un port flottant, mais surtout une ville-immeuble totalement futuriste. Baptisée « The Line », cette immense barre de 170 km de long sur 200 m de largeur culminera à 500 m de hauteur, nettement plus haut donc que la tour Eiffel. Dans cette ville verticale du futur, destinée à accueillir pas moins de 9 millions d’habitants, tous richissimes, les déplacements se feront tout simplement en taxis volants, tout comme dans le film de Luc Besson, « Le cinquième élément ».

Esquisses de la ville futuriste « The Line », un immense gratte-ciel horizontal sur 170 km de long en plein désert (source © Gerson Cardosso / Neom / La Republica)

Et bien entendu, pour rester dans l’air du temps, cette cité utopique au pays de l’or noir, ne consommera que de l’énergie renouvelable, à base de solaire et d’éolien. Seul petit hic : ces sources d’énergie étant par nature intermittentes, il faudra bien prévoir un dispositif de stockage pour éclairer tout ce beau monde la nuit, d’où la présence d’EDF qui a offert son expertise au prince héritier et ceci dès le mois d’octobre 2018, alors que le monde entier s’émouvait d’apprendre qu’un journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, venait d’être assassiné et proprement démembré dans les locaux de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Istambul sur ordre de ce même Mohamed ben Salman, par moment un peu irascible.

En 2021, EDF remettait un premier inventaire des sites potentiellement favorable à l’implantation de la future STEP et engageait dans la foulée les études de faisabilité désormais bien avancées de ce qui est devenu le projet Nestor. Bien entendu, construire une centrale hydroélectrique en plein désert en l’absence d’eau présente quelques menues contraintes. Pas plus cependant que d’y aménager une station de ski… Le problème a d’ailleurs été vite réglé et il suffira de prélever l’eau acheminée par pipe line depuis une usine de dessalement, quitte à construire une nouvelle usine sur la mer Rouge si la première se montre insuffisante.

Maquette du futur lac artificiel de la station de ski Trojana, intégrée dans le projet Neom (source © Neom / AFP / Libération)

Car forcément, même si la future « Line » se veut à la pointe de l’innovation et devrait présenter un mode de fonctionnement exemplaire, sa construction n’est pas neutre en termes d’empreinte environnementale. Autant le reconnaître, c’est même une totale aberration. La seule construction de la future cité nécessitera des volumes inimaginables d’acier et de béton qu’il faudra acheminer en plein désert et devrait produire à elle-seule de l’ordre de 1,8 milliard de tonnes de CO2, soit l’équivalent de quatre fois les émissions annuelles d’un pays comme la Grande-Bretagne…

Maquette des futurs immeubles d’habitation de « The Line » (source © Neom / The Line)

Et ceci pour un bénéfice social très discutable, car forcément, jouer au golf et skier dans le désert tout en se déplaçant en taxi volant ne sera pas donné à tout le monde. Au-delà de flatter l’ego de l’ambitieux prince héritier, la future Neom, si elle voit effectivement le jour, sera naturellement réservée à une élite richissime, par ailleurs soigneusement triée sur le volet et fliquée en permanence. Car on ne rigole pas avec l’autorité au pays de Mohamed ben Salman. Plusieurs membres de la tribu des Howeitat, qui ont la malchance de vivre sur le territoire du futur projet et qui se montrent quelque peu récalcitrant à céder leurs terrains ont déjà été assassinés ou arrêtés et, pour cinq d’entre eux, jugés à huis clos et condamnés à la décapitation, officiellement pour « atteinte à la sûreté d’État ».

De quoi faire tousser certains agents d’EDF, embarqués malgré eux dans ce projet délirant et bien éloigné de l’idéal de service public qui anime cet organisme depuis sa création. Une majorité d’entre eux a exprimé ses réticences et une alerte éthique a même été lancée auprès de la direction d’EDF dès 2022, tant le projet paraît à l’antithèse des objectifs de responsabilité sociétale et environnementale prônés par EDF. Mais la direction ne veut pas entendre ces doutes et, selon l’enquête menée par Radio France, un climat malsain est en train de se développer au sein des équipes, mélange de pression amicale et de menaces voilées, histoire que chacun comprenne qu’il est bien entendu libre de ses opinions mais que s’il n’est pas en phase avec le projet, il vaudrait mieux qu’il aille voir ailleurs : ambiance, ambiance…

L. V.

Les bénéfices indécents de TotalEnergies

15 février 2024

La multinationale TotalEnergies vient d’annoncer, le 7 février 2024, de nouveaux bénéfices pharamineux pour l’exercice 2023, à hauteur de 21,4 milliards de dollars (soit 19,1 milliards d’euros, mais chez ces gens-là on compte plutôt en dollars…). Une augmentation de 4 % par rapport à 2022 où les bénéfices du géant pétrolier avaient déjà enregistré un record historique de 20,5 milliards de dollars, faisant suite à un autre exercice mirobolant en 2021 qui s’était soldé par un résultat net de plus de 16 milliards de dollars.

Chez TotalEnergies, comme d’ailleurs chez ses principaux concurrents, les majors du secteur pétrolier que sont ExxonMobil, Shell, BP et Chevron, les années se suivent et se ressemblent, avec des bénéfices toujours plus plantureux issus directement de l’exploitation des énergies fossiles, celle-là même qui est à l’origine du réchauffement climatique majeur auquel la planète est confrontée.

Un dessin signé Sié, publié le 19 février 2024 sur Urtikan.net

Des bénéfices qui servent pour l’essentiel à rémunérer grassement ses actionnaires avec des dividendes en hausse de 7,1 % par rapport à 2022, une augmentation annuelle à laquelle rêveraient bien des salariés ! En 2023, ce sont ainsi 15,4 milliards d’euros qui ont été versés par TotalEnergies directement dans la poche de ses actionnaires et pas moins de 9 milliards que la firme a utilisé pour racheter ses propres actions, histoire d’en faire monter artificiellement le cours en bourse, toujours pour la plus grande satisfaction de ses actionnaires, décidément chouchoutés.

Plateforme de forage Eglin, exploitée par Total en Mer du Nord, qui avait dû être évacuée en 2012 suite à une énorme fuite de gaz (source © Total / l’Usine nouvelle)

Dans le même temps, TotalEnergies prévoit d’investir en 2024 environ 17 à 18 milliards de dollars, soit sensiblement comme en 2022 où la part d’investissement du groupe s’était élevée à 16,8 Md$. Mais en 2023 comme en 2022, et contrairement aux discours lénifiants de la multinationale pétrolière, la part qui sera investie dans les énergies renouvelables, qui était de 4,9 Md$ en 2022 ne dépassera pas 5 Md$ cette année. L’essentiel des investissements du groupe continue donc à se focaliser sur l’exploitation pétrolière et gazière : on ne tourne pas le dos aussi facilement à ses bonnes habitudes, solidement ancrées dans l’ADN de la société depuis sa création en 1924 sous le nom de Compagnie Française des Pétroles, même si cela contribue à mettre le feu à la planète, surtout quand l’activité est aussi lucrative !

La tour Coupole à La Défense, siège du groupe TotalEnergies (photo © Sabrina Budon / Paris La Défense)

Forcément, des bénéfices aussi colossaux engrangés en poursuivant des activités industrielles qui mènent l’humanité à sa perte, voilà qui fait réagir certains. « Cette année encore, l’entreprise et ses actionnaires se régalent sur le dos du climat, de la planète et des droits humains » a ainsi twitté l’association 350.org, une ONG qui milite pour une accélération de la transition énergétique et la fin du recours aux énergies fossiles. « Laisser TotalEnergies engranger ces superprofits revient à attribuer un mégabonus aux activités économiques qui aggravent le réchauffement climatique » surenchérit de son côté l’économiste Maxime Combes, spécialisé dans le suivi des politiques financières et commerciales internationales.

Il avait certes été question, en 2022, de taxer les superprofits des compagnies pétrolières qui ont de fait profité de manière éhontée d’un contexte hyper favorable grâce au renchérissement des cours du gaz et du pétrole liés notamment à l’invasion russe en Ukraine. Une contribution temporaire de solidarité a ainsi été mise en place par l’Union européenne à compter du 31 décembre 2022, mais le coût pour TotalEnergies reste très limité, évalué à 150 millions d’euros tout au plus par son PDG, Patrick Pouyanné. Ce qui ne l’a pas empêché de mettre tout son poids dans la balance pour convaincre le gouvernement français de ne pas reconduire en 2024 cette taxe exceptionnelle…

Raffinerie TotalEnergie à La Mède, au bord de l’étang de Berre, face à Martigues (photo © Boris Horvat / AFP / La Provence)

En France, TotalEnergies fait en effet la pluie et le beau temps à Bercy et bénéficie d’un régime fiscal aux petits oignons grâce à l’efficacité de ses mesures d’optimisation fiscale. La multinationale s’acquitte de taxes principalement dans les pays où elle exploite le pétrole et le gaz, mais pour le reste, elle se débrouille pour en payer le moins possible. Ainsi, en 2013, son chiffre d’affaires mondial s’élevait à 190 milliards d’euros pour un bénéfice de 14,3 milliards et la firme a payé pour 11,1 milliards d’impôts en taxes mais pas un centime au titre de l’impôt sur les sociétés en France, comme en 2012 d’ailleurs, alors que le groupe y compte pourtant environ 200 filiales et y emploie près de 27 000 salariés. En revanche TotalEnergies a perçu cette même année de la part de l’État français 19 millions d’euros au titre du Crédit d’impôt compétitivité emploi et 60 millions via le Crédit d’impôt recherche : merci le contribuable !

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies depuis la disparition de Christophe de Margerie, le 20 octobre 2014 (source © Equonet)

En 2015, Total avait publié pour la première fois une liste (très incomplète) de 903 de ses filiales à travers le monde dont 19 situés dans les paradis fiscaux que sont les Bermudes, les Bahamas ou les îles Caïman. Il était alors apparu que nombre de ses filiales se situent en réalité dans des pays moins connotés mais tout aussi performants en matière d’optimisation fiscale. C’est le cas notamment de la Suisse où TotalEnergies a établi ses activités de négoce international et de transport de gaz et de pétrole, à Genève. La quasi-totalité des hydrocarbures qui sont importés en France par TotalEnergies pour y être raffinés et ensuite revendus à la pompe transite en réalité par cette filiale suisse qui engrange l’essentiel des bénéfices dans un pays où la fiscalité est douce, ce qui permet aux activités françaises de TotalEnergies en matière de raffinage et de distribution de carburant d’être structurellement déficitaire et donc de ne pas payer d’impôts sur les sociétés.

Salle de trading de TOTSA, filiale suisse de TotalEnergies en charge du négoce international (source © TotalEnergies)

En 2023, après encore deux années successives sans payer un centime d’impôt en France, tout en continuant à engranger les crédits d’impôt du CICE, Patrick Pouyanné avait concédé de régler un peu le curseur pour contribuer symboliquement à payer un chouïa d’impôt sur le sol national, histoire de faire baisser la pression, tout en menaçant : « maintenant, si à chaque fois que nos résultats sont positifs, on veut nous prendre tous nos profits, ça posera des questions sur l’investissement à long terme ». Il semblerait néanmoins qu’il reste encore un peu de marge…

L. V.

Rejets de méthane : une belle marge de progrès en perspective ?

21 janvier 2024

Quand on évoque les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique mondial, on pense en priorité au dioxyde de carbone (CO2), dont les rejets sont considérés effectivement comme expliquant grosso modo les deux-tiers du phénomène. Mais l’on oublie souvent le méthane (CH4), dont les rejets dans l’atmosphère seraient à l’origine de 30 % de ce réchauffement climatique que l’on observe et qui devrait, selon toutes les projections, s’accélérer et s’amplifier dans les années à venir.

De fait, le méthane présente un pouvoir de réchauffement global très supérieur à celui du CO2, environ 80 fois supérieur si l’on observe son impact cumulé sur 20 ans. Mais il présente l’avantage de ne pas rester dans l’atmosphère plus d’une douzaine d’années avant de se dégrader, contrairement au dioxyde de carbone qui reste actif pendant une centaine d’années et participe donc davantage à la dégradation du climat sur le temps long. Réduire nos émissions de méthane aurait donc un impact immédiat permettant peut-être d’éviter de franchir des seuils aux effets potentiellement catastrophiques que certains scientifiques redoutent, impliquant notamment une fonte massive des pergélisols, libérant de grosses quantités de méthane et provoquant un emballement du processus…

Comment lutter contre le réchauffement climatique sans tout débrancher ? Un dessin signé Dave Whamond (source © Linkedin / Hubert Serret)

L’élevage, bovin notamment, mais aussi l’agriculture sont des sources non négligeables de rejet de méthane, mais qui pourraient devenir minoritaires par rapport aux fuites liées à l’exploitation du charbon et des hydrocarbures, à savoir le pétrole et le gaz naturel, composé justement surtout de méthane. Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ces rejets de méthane liés au secteur de l’énergie ont été très largement sous-estimées jusqu’à présent et sont en croissance, atteignant 135 millions de tonnes en 2021.

Évolution des rejets mondiaux de méthane dans l’atmosphère depuis 2000 liée à l’exploitation du pétrole (orange), du gaz naturel (violet), du charbon (jaune) et des bioénergies (vert) (source © Agence internationale de l’énergie / Énergie plus)

Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la Chine est en tête avec 28 millions de tonnes de méthane issues notamment de l’exploitation de ses mines de charbon, suivie de près par la Russie et les États-Unis, qui sont au coude à coude, suivi par d’autres pays producteurs d’hydrocarbures comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Ce classement est intéressant car il met en évidence que certains pays producteurs sont nettement plus vertueux que d’autres. Ainsi, la Norvège, pourtant 8e producteur mondial de gaz et 12e pour le pétrole, n’émet que très peu de méthane, grâce à ses équipements performants et bien entretenus. Si tous les autres pays producteurs s’alignaient sur ses pratiques, c’est 90 % des émissions mondiales de méthane issu du secteur énergétique qui pourrait être supprimé ! Selon l’AIE, si tout le gaz perdu en 2021 avait été capté et valorisé, cela aurait permis de couvrir la totalité du gaz consommé cette année-là pour la production électrique de toute l’Europe

Plateforme de forage pétrolier sur le lac Maracaibo au Venezuela (photo ©  Jose Isaac Bula Urrutia / Getty images / Orinoco)

Inversement, certains pays producteurs tels l’Algérie et surtout le Venezuela rejettent une quantité invraisemblable de gaz en proportion de leur production énergétique. Pendant longtemps, ce gaz en surplus était brûlé dans d’immenses torchères, fortement émettrices de CO2. Pour éviter ces émissions facilement repérables, de nombreux industriels ont pris l’habitude de relarguer désormais le méthane en surplus directement dans l’atmosphère, ni vu ni connu, provoquant un impact sur l’effet de serre incomparablement supérieur, surtout à court terme comme on l’a vu…

Mais depuis quelques années, les satellites d’observation permettent de repérer directement ces émissions concentrées de méthane et même de les quantifier. La start-up française Kayrros s’en est même fait une spécialité et a analysé en 2022, avec l’aide de chercheurs du CNRS et du CEA, des milliers d’images prises pendant 2 ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Cela leur a permis d’identifier pas moins de 1800 panaches de méthane supérieurs à 25 tonnes par heure, dont la plupart liés à l’exploitation d’hydrocarbures.

Carte des principales fuites de méthane repérées par satellite (source © Kayrros / L’Usine nouvelle)

Ces fuites majeures, accidentelles ou récurrentes, dépendent directement des efforts de maintenance et de la réactivité des exploitants en cas de problème. Les observations montrent ainsi d’énormes lacunes le long des principaux gazoducs russes dont le tracé est parfaitement visible depuis l’espace en suivant les panaches de méthane qui s’en échappent en permanence. On y repère aussi certains champs pétrolier ou gaziers dont l’exploitation laisse à désirer. C’est en particulier le cas des gisements d’Hassi Messaoud et d’Hassi R’Mel, exploités par la société nationale algérienne Sonatrach, et dont les fuites de méthane dans l’atmosphère sont catastrophiques.

Champs d’exploitation gazière d’Hassi Messaoud en Algérie (source © Algérie patriotique)

Mais la palme revient dans ce domaine au Turkménistan, cette ancienne république soviétique d’Asie centrale, pays indépendant depuis 1991 et dirigé depuis cette date par une dynastie autoproclamée d’autocrates, le dernier en date étant le lieutenant-colonel Serdar Berdimuhamedow, élu président en mars 2022, suite à la démission de son propre père. Ce pays dispose de réserves de gaz colossales, en quatrième place mondiale derrière la Russie, l’Iran et le Qatar. Il s’est donc imposé comme un producteur majeur de gaz, bien qu’à la 11e place mondiale seulement, mais aussi de pétrole, exportés pour l’essentiel vers la Russie et surtout la Chine. Or les observations satellite, reportées notamment dans un article publié en 2022 dans la revue Environmental Science and Technology, indique que la côte ouest du Turkménistan, sur la mer Caspienne, est l’une des principales zones d’émission de méthane du monde, avec pas moins de 4,4 millions de tonnes de méthane émis dans l’atmosphère chaque année, du fait de la vétusté de ses pipelines fuyards et surtout des pratiques de la société étatique Turkmenoil qui rejette directement dans l’atmosphère le méthane issu de ses puits de pétrole.

Installation de raffinage sur le site de Turkmenbachy au Turkménistan (source © Turkmenbashy Oil Processing Complex)

Outre ces méthodes déplorables et d’un autre âge, le Turkménistan est aussi connu pour son chaudron du Diable, surnommé « la porte de l’Enfer » à l’instar de son homologue de la taïga russe. Ce cratère de Darvaza, situé dans le désert du Karakoum, est même devenu la principale attraction touristique du pays. Les Russes y avaient installé une plateforme de forage et d’exploitation de gaz naturel en 1971 après y avoir découvert de fabuleuses réserves. Malheureusement, le forage s’est éboulé, créant en surface un vaste cratère de 70 m de diamètre qui a englouti toutes les installations minières et par où d’énormes quantités de méthane s’échappent directement à l’air libre.

Le cratère de Darvaza, « la Porte de l’Enfer », dans le désert du Karakoum, au Turkménistan (photo © Getty images / BBC)

Craignant pour la sécurité des habitants les plus proches, les Russes ont finalement préféré y mettre le feu dans les années 1980, pensant que l’incendie s’éteindrait de lui-même au bout de quelques semaines. Quarante ans plus tard, il brûle toujours et personne ne sait plus très bien quoi en faire, sinon exploiter les revenus touristiques que cette attraction mondiale procure… Les Américains ont même proposé en 2023 leur aide au président turkmène pour combler le cratère, éteindre le feu qui couve et reprendre l’exploitation du gisement toujours présent, de manière totalement désintéressée naturellement et pour le seul bien de la planète, cela va de soi !

L. V.

Krafla : quand la fiction devient réalité

13 janvier 2024

« Crack in the World », traduit en français par « Quand la Terre s’entrouvrira » fait partie de ces films de science-fiction catastrophistes dont le cinéma américain est friand. Sorti en 1965 et réalisé par Andrew Marton, celui-là même à qui l’on doit le tournage du morceau de bravoure qu’est la course de chars de « Ben-Hur », ce film est évidemment à replacer dans le contexte de la guerre froide de l’époque où l’on craignait à tout moment le déclenchement d’une guerre thermonucléaire marquant la fin du monde.

Affiche du DVD tiré du film d’Andrew Marton, Crack in the World (source © Toile et moi)

Le film relate les exploits du professeur Sorenson dont le projet scientifique, sur le point d’aboutir, vise, rien de moins qu’à offrir à l’humanité une source d’énergie inépuisable en utilisant le magma en fusion situé sous l’écorce terrestre. Un forage profond a été réalisé mais il se heurte à une barrière infranchissable. Pas découragé pour autant et pressé d’arriver à ses fins car atteint d’un cancer qui ne lui laisse plus beaucoup de temps à vivre, le professeur n’hésite pas une seconde à employer la manière forte en envoyant une bombe nucléaire au fond du forage, malgré les réticences de son adjoint géologue. Forcément, les effets sont catastrophiques, provoquant l’ouverture d’une fissure qui se propage inexorablement à la surface de la Terre. On n’en dira pas davantage pour préserver le suspens car le film est sorti en DVD en 2010…

Mais voilà que soixante ans plus tard, la fiction imaginée dans ce scénario un peu improbable, est en train de devenir réalité. On apprend en effet que 38 équipes de recherche issues de 12 pays dont la France, le Canada, l’Allemagne et les États-Unis se sont associés autour du projet dénommé Krafla Magma Testbed, doté d’un budget de 90 millions d’euros, qui vise à réaliser à partir de 2024 des forages profonds pour atteindre une poche de magma située à 2 km de profondeur sous le volcan Krafla, situé au nord-est de l’Islande.

Image de synthèse illustrant la chambre magmatique sous le site de Krafla (source © KMT)

Située sur la dorsale médio-atlantique, l’Islande connait une activité volcanique très soutenue et a encore fait parler d’elle récemment à ce sujet, à l’occasion des mouvements telluriques qui ont entraîné l’évacuation de la ville de Grindavik, en novembre dernier, après avoir perturbé tout le trafic aérien européen à l’occasion de l’éruption de l’Eyjafjallajökull en 2010, puis à nouveau fait planer une menace similaire en 2014 quand l’un de ses volcans majeurs, le Bardabunga, s’est réveillé à son tour.

Le magnifique maar de Helviti de couleur turquoise (source © Itinari)

Le Krafla, quant à lui, situé au nord de l’Islande, se caractérise par une immense caldeira d’effondrement d’une dizaine de kilomètres de largeur, qui se serait produite il y a environ 100 000 ans, à la suite d’énormes éruptions explosives. L’activité volcanique y est restée très intense dans tout le secteur où s’ouvrent de multiples fissures. En 1724 en particulier, un nouveau cycle éruptif a débuté, avec notamment une explosion phréato-magmatique qui a permis la création d’un autre lac de cratère, le maar de Helviti, dont les eaux présentent une couleur turquoise d’un très bel effet esthétique, liée à la présence d’algues siliceuses. Entre 1975 et 1984, le Krafla a aussi connu plusieurs phases éruptives assez intenses et la région présente de nombreux solfatare et mares de boue bouillante qui témoignent de cette activité volcanique.

Éruption du Krafla en septembre 1984 (photo © Katia et Maurice Kraft / Global Volcanism Program / Smithsonian Institution)

Deux centrales géothermiques ont été installées dans le secteur, dont celle de Bjarnaflag, la première du pays, opérationnelle dès 1969 pour produire de l’électricité à partir de vapeur d’eau bouillante. Désassemblée en 1980 à cause de l’activité volcanique devenue trop intense, elle fut modernisée et a continué à fonctionner jusqu’en 2001. La seconde, celle de Kröflustöð, construite à proximité entre 1974 et 1977, subit de plein fouet la période d’éruption volcanique qui entraîna une rapide corrosion des puits. La première turbine, finalement installée en 1978, ne commença à tourner à plein régime qu’en 1982 et le seconde ne fut installée qu’en 1997.

Vue aérienne de la centrale géothermique de Krafla (photo © Shutterstock / Neozone)

En 2009, alors que les géologues poursuivaient les forages pour développer le champ géothermique, ils sont tombés par hasard, à une profondeur de 2,1 km, sur une poche de magma. La nature de cette lave, proche d’une rhyolite, donc plus riche en silice que les coulées basaltiques qui s’épanchent en surface sur le Krafla a fortement interrogé les scientifiques qui en ont conclu, dans une étude parue en 2011 dans la revue Geology, qu’il s’agirait d’un mélange entre du magma basaltique issu classiquement du manteau et la fusion de basaltes altérés par des processus hydrothermaux.

Toujours est-il que cette découverte inédite et totalement fortuite qui a permis d’accéder directement dans la chambre magmatique du volcan, ouvre des perspectives enthousiasmantes pour les scientifiques. C’est de là qu’est né en 2017 le projet Krafla Magma Testbed, dont l’objectif est avant tout d’explorer ainsi, via de nouveaux forages, le contenu de cette chambre magmatique pour mieux comprendre son fonctionnement alors que les volcanologues n’ont habituellement accès qu’à la lave qui s’écoule en surface mais qui a subi de nombreuses transformations depuis sa sortie de la chambre magmatique, au contact des roches dans lesquelles elles se fraye un chemin.

La centrale géothermique de Krafla et son champ de forage en arrière-plan du maar de Helviti (photo ©  G.O. Fridleifsson et W. Elders / UC Riverside / Futura sciences)

Mais les ingénieurs ne sont pas loin et ils s’intéressent eux aussi à cet accès direct à la chambre magmatique qui pourrait constituer une source d’énergie 10 fois plus puissante que la simple exploitation classique du gradient géothermique. Deux forages sont donc prévus en parallèles, dont la réalisation devrait débuter dès cette année, le premier destiné aux observations scientifiques, et le second pour amorcer une exploitation géothermique innovante.

Une aurore boréale en arrière-plan de la centrale géothermique de Krafla (photo © Landsvirkjun / AFP / Daily Sabah)

La tâche ne s’annonce pas des plus simples car la température de la lave dans la chambre magmatique atteint les 900 °C, ce qui rend les opérations de forage pour le moins périlleuses, surtout à une telle profondeur… En 2009, lorsque les tiges de forage ont percé le toit de la chambre magmatique, la lave s’est engouffrée dans le train de tige et en refroidissant s’est transformé en obsidienne, un verre qui a tout bloqué et empêché miraculeusement la lave de jaillir en surface. A l’époque la chaleur ainsi émise avait permis de produire de l’électricité pendant 9 mois avant que la tête de puits en surface finisse par atteindre une température de 450 °C, obligeant à abandonner le chantier et la foreuse totalement calcinée. Espérons que l’opération qui va débuter et pourrait se concrétiser d’ici 2026 se déroulera sans incident majeur car elle rappelle étrangement les tentatives maladroites et lourdes de conséquence du professeur Sorenson dans le film d’anticipation de 1965…

L. V.

COP 28 à Dubaï : quel bilan ?

17 décembre 2023

Organisée par les Émirats Arabes Unis à Dubaï du 30 novembre au 13 décembre 2023, la 28e Conférence des parties, 8 ans après la COP 21 de Paris, s’est donc terminée et beaucoup s’interrogent sur le bilan de cette nouvelle grand-messe planétaire qui se réunissait, comble du paradoxe, dans un pays qui doit toute sa prospérité à l’exploitation de ses réserves en hydrocarbures fossiles, gaz et pétrole, dont il détient les 7e réserves les plus importantes de la planète.

Derniers préparatifs avant la COP 28… Un dessin de Georges Chapatte, publié dans le Temps (source © X)

Celui qui présidait aux destinées de la COP 28, Sultan al-Jaber, est d’ailleurs un acteur incontournable et iconique de l’exploitation pétrolière à l’origine du réchauffement climatique planétaire qu’il s’agit désormais de contenir pour que l’humanité ait encore une chance de survivre. Président de l’Adnoc, la toute-puissante compagnie pétrolière nationale émiratie, il a étudié le génie chimique et pétrolier et le droit des affaires aux États-Unis, ce qui ne le prédisposait guère à piloter cette réunion de la dernière chance dont les scientifiques attendaient beaucoup… La société civile était d’ailleurs très sceptique quant à la capacité de Sultan al-Jaber de conduire cette nouvelle COP vers de réelles avancées malgré ses grandes ambitions en matière de développement des énergies renouvelable et de décarbonation de l’exploitation pétrolière elle-même.

Avant de commencer, autant se poser les bonnes questions… Un dessin signé Hermann, publié dans la Tribune de Genève (source © Cartooning for Peace)

Elle avait probablement raison d’être inquiète car, objectivement, à l’heure du bilan, celui de la COP 28 qui vient de s’achever est plutôt mitigé… La présence sur place de pas moins de 2500 lobbyistes de l’industrie pétrolière n’était certes pas de nature à rassurer ceux qui comptaient sur ce grand raout mondial pour acter une sortie de la dépendance aux énergies fossiles à l’origine de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre, surtout quand le secrétaire général de l’OPEP, le Koweitien Haithman al-Ghais, profite de l’événement pour inviter solennellement ses membres et leur représentants à la COP 28 à rejeter toute proposition qui viendrait gêner l’exploitation des hydrocarbures : on ne saurait être plus clair !

Offre spéciale COP 28… Un dessin signé Adene (source © X)

Le président de la COP 28, Sultan al-Jaber lui-même, s’est d’ailleurs distingué dès la première semaine en affirmant qu’il n’existait aucune preuve de l’impact des énergies fossiles sur le réchauffement climatique global, puis en indiquant que sortir de l’ère du pétrole impliquerait de revenir à l’âge des cavernes : une appréciation tout en nuances qui n’a pas dû faire beaucoup rire les scientifiques du GIEC…

Et pourtant, tous les observateurs ont salué une avancée réelle, dès le premier jour de la COP 28, sur le dossier du Fonds pour les pertes et dommages, dont la création avait été décidée lors de la COP 27, l’an dernier à Charm el-Cheikh. Depuis 1 an, les 24 pays en charge de sa préfiguration n’avaient jamais réussi à tomber d’accord quant à la manière de le rendre opérationnel et surtout de l’abonder pour aider financièrement les pays les pauvres à faire face aux dommages irréversibles causés par les sécheresses, inondations et autres cyclones devenus de plus en plus fréquents et dévastateurs.

Après les inondations en Inde près de Darrang, en août 2023, des dommages en lien direct avec le réchauffement climatique global (photo © AFP / Les Echos)

Voilà donc ce fonds doté d’engagements financiers à hauteur de 700 millions de dollars, dont 100 millions d’euros annoncés de la part de la France qui fait donc plutôt figure de bon élève en la matière… Et en parallèle, le Bureau des Nations-Unies pour la réduction des risques de catastrophes a décidé d’héberger le secrétariat du Réseau de Santiago, destiné justement à éviter les pertes et dommages consécutives aux risques naturels conséquences du changement climatique. Comme quoi, il est toujours plus facile de se mettre d’accord pour aider les victimes des catastrophes naturelles que de lutter contre l’origine même de ces risques, surtout si cela va à l’encontre des intérêts économiques majeurs…

L’heure du bilan… Un dessin signé Gobi (source © Facebook / Noirs Dessins)

De ce point de vue, les avancées issues de la COP 28 sont plutôt d’ordre sémantique que réellement engageantes. Il y a été rappelé, comme lors de la COP 26 à Glasgow, qu’il serait bien de sortir progressivement du charbon, mais sans réelle engagement. Et pour la première fois depuis que les COP se réunissent, il a été évoqué la question d’une sortie progressive du recours aux énergies fossiles. Les mots de l’accord final ont été soigneusement choisis pour éviter de froisser ceux qui tirent leurs ressources de l’exploitation des hydrocarbures, se contentant d’affirmer des objectifs finaux tels que la neutralité carbone d’ici 2050, qui reste la finalité de la COP 21, mais sans trop préciser comment y parvenir.

Sous l’influence de Sultan al-Jaber, il est évoqué un scénario qui continue de tirer le meilleur profit des hydrocarbures tout en supposant que les avancées technologiques permettront de développer rapidement des procédés de séquestration du CO2, de telle sorte que l’impact carbone de l’industrie extractive pétrolière sera considéré comme neutre pour la planète. Une utopie qui n’est guère étayée par l’état actuel des avancées scientifiques, mais qui a le mérite de permettre la poursuite du busines as usual

La climatisation contre le réchauffement climatique… Un dessin de Georges Chapatte, publié dans The Boston Globe (source © Chatillonnais en Bourgogne)

La COP 28 a aussi annoncé son ambition de tripler d’ici 2023 le recours aux énergies renouvelables, même si cette démarche reste ambiguë car l’expérience montre que ces énergies ne font que s’ajouter à celle issues des hydrocarbures et du charbon, sans s’y substituer, si bien que les émissions mondiales de gaz à effet de serre, loin de diminuer, continuent à augmenter d’année en année ! Quant à la France, elle s’enorgueillit d’avoir réussi, avec une vingtaine d’autres pays dont les USA et les Émirats Arabes Unis, à promouvoir l’énergie nucléaire comme la panacée universelle en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre sans pour autant renoncer au gaspillage énergétique auquel on s’est si bien habitué. On sent que l’humanité a fait incontestablement un grand pas en avant à l’occasion de cette COP 28 au pays de l’or noir…

L. V.

Un four à déchets à l’usine Arkema de Saint-Menet

16 novembre 2023

L’usine Arkema, basée dans la vallée de l’Huveaune à Saint-Menet, boulevard de la Millière, sur le territoire de Marseille mais en limite de La Penne-sur-Huveaune, fait partie de ces grands sites industriels qui ont désormais quasiment disparu du paysage national, l’essentiel de notre production industrielle, surtout celle qui relève d’activités polluantes voire dangereuses, ayant été progressivement délocalisé dans d’autres contrées, souvent à l’autre bout du monde. Un choix qui réjouit élus locaux et riverains, ravis de se débarrasser ainsi des nuisances liées à ces usines fumantes, mais qui n’est pas forcément un bon calcul en termes d’impact environnemental global…

Les installations industrielles d’Arkema à Saint-Menet (photo © Salva pictures / Facebook / Découvrir Marseille)

Délocaliser une usine, surtout dans un pays où les réglementations sont moins contraignantes, ne diminuera pas ses rejets atmosphériques ! En revanche, cela induit automatiquement une baisse des emplois qualifiés locaux, génère des nuisances supplémentaires du fait de l’augmentation des transports de matières sur de longues distances, et induit parfois des ruptures d’approvisionnement difficiles à gérer, comme on le voit fréquemment, notamment dans le secteur du médicament…

L’usine Arkema à Saint-Menet (photo © La Provence)

Toujours est-il que cette usine de Saint-Menet, qui s’étend sur près de 10 hectares en pleine zone urbanisée et que l’on ne peut pas rater lorsqu’on emprunte l’autoroute entre Aubagne et Marseille, avec ses multitudes de cheminées fumantes et son entrelacs de tuyaux en tous sens, généreusement éclairés en pleine nuit, est toujours bien active, et ceci depuis 1954, date de son implantation. Elle s’appelait à l’époque Organico et produisait 2400 tonnes par an de monomère AMINO 11, à partir d’huile de ricin, ce matériau étant ensuite polymérisé sur un autre site industriel basé à Serguigny, dans l’Eure, pour produire une fibre textile, le rilsan.

Le rilsan est un polyamide d’origine naturelle (on dit désormais « biosourcé » !) découvert en France peu avant la dernière guerre et qui concurrence parfaitement le nylon, un autre polymère inventé peu avant mais sui, lui, est un dérivé pétrolier. A l’époque, les graines de ricin, dont les propriétés laxatives et cosmétiques sont connues depuis l’Antiquité, servait pour la production de produits lubrifiants. Dès 1955, Organico produisit une centaine de tonnes de Rilsan utilisé comme fibre textile pour des vêtements légers, imperméables et résistants, mais cet usage fut stoppé dans les années 1970, du fait du prix de revient moindre du nylon. Depuis, l’usine a changé 7 fois de raison sociale, devenant Atochem puis désormais Arkema depuis 2004.

Colliers de serrage en rilsan (source © Amazon)

Le rilsan a trouvé bien d’autres débouchés, notamment dans l’industrie automobile, pour des colliers de serrage de type Serflex, des tuyaux, des selles de vélo, des semelles de chaussure, du matériel médical ou les crosses de fusils Famas, entre autres. Le site de Saint-Menet, unique en son genre en France, produit désormais 26 000 tonnes d’Amino 11 par an mais aussi 25 000 tonnes d’autres co-produits tels que la glycérine (utilisée en pharmacie ou pour les peintures), l’heptaldéhyde (destiné aux caoutchoucs et à la fabrication d’arômes artificiels) ou encore des esters méthyliques (servant de solvants et d’huiles). Le site fonctionne en continu, 24 heures sur 24, avec pas moins de 300 salariés et un arrêt programmé de temps en temps, comme cela a été le cas récemment, entre mars et mai 2023, le temps de réviser tout le matériel et de procéder aux gros travaux nécessaires.

L’approvisionnement du site Arkema de Saint-Menet par des wagons-citernes de chlore, un des risques majeurs lié au site… (source © La Provence)

Forcément, la cohabitation avec un site industriel d’une telle ampleur, le seul du territoire marseillais à être classé Seveso seuil haut, suscite quelques craintes auprès des riverains. Le Plan de prévention des risques technologiques, adopté en novembre 2013, évoque des risques de combustions, d’explosion mais aussi liés à des fuites de gaz toxiques du fait de l’emploi d’ammoniac, de brome et surtout de chlore. Le Plan particulier d’intervention de l’usine, révisé en 2019, a d’ailleurs considérablement élargi le périmètre potentiellement concerné en cas de fuite de chlore lors des opérations d’approvisionnement par rail, ce périmètre englobant désormais la ville de Carnoux en cas de mistral…

Mais voilà qu’un autre projet est en train de voir le jour sur ce site d’Arkema, qui a fait l’objet d’une concertation publique du 8 septembre au 11 octobre 2023, et qui inquiète fortement les riverains. Il s’agit de construire, sur le site d’Arkema, une nouvelle chaufferie qui serait alimentée par la combustion de CSR, un terme abscons qui désigne des « combustibles solides de récupération », autrement dit tout ce qui se retrouve non valorisé à la sortie des centres de tri sélectif de nos déchets et qui est destiné aux centres d’enfouissement ou à l’incinérateur. Les engagements législatifs récents encouragent cette valorisation pour éviter d’engorger les décharges qui débordent déjà.

Un four rotatif Rock destiné à la combustion de CSR (photo © DWE / Dalkia Wastenergy / Bioénergie)

Le porteur de ce projet est la société Dalkia, une filiale d’EDF spécialisée dans les chaufferies, et le projet a été primé par l’ADEME en 2021, ce qui lui permet de bénéficier d’une aide pour son développement. Mais c’est Dalkia qui portera l’essentiel du financement de ce projet particulièrement ambitieux puisqu’il représente un investissement de 41 millions d’euros. L’objectif est de brûler chaque année 45 000 tonnes de déchets, issus des refus de tri et qui, jusqu’à présent ne sont donc pas valorisés. Ces déchets seront apportés sur site par une dizaines de rotations de camions chaque jour. Leur combustion devrait produite 200 000 tonnes de vapeur par an, qui serviront exclusivement pour les besoins du site industriel d’Arkema, jusqu’à présent alimenté par deux chaufferies dont l’une vient tout juste d’être transformée pour passer du fuel au gaz.

Implantation de la future centrale à combustion de CSR, à l’Est du site industriel d’Arkema (source © Dossier concertation Huveaune énergie circulaire)

La combustion des déchets, telle qu’elle est envisagée, permettra donc non seulement de réduire la part de nos ordures ménagères actuellement destinée à l’enfouissement, mais contribuera aussi à la décarbonation de ce site industriel majeur. Un bel exemple d’économie circulaire à en croire ses partisans, d’autant que le gisement de déchets susceptibles de servir ainsi de combustibles est évalué à 124 000 tonnes, dans un proche environnement. Les fumées issues de la combustion seront filtrées et les cendres comme les mâchefers seront récupérées, ces derniers pouvant être valorisés comme matériaux de construction et de terrassement par le BTP. Tout est donc prévu pour que ce futur four à déchets, de surcroît source d’une quinzaine de créations d’’emplois directs, contribue de manière vertueuse à une économie circulaire que chacun appelle de ses vœux. Mais ce n’est pas pour autant que le projet déclenche l’enthousiasme parmi les riverains qui s’inquiètent surtout des futurs rejets de fumées dans le voisinage…

L. V.

Approvisionnement en eau : un chantier souterrain…

10 novembre 2023

La plupart des habitants des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes de Haute-Provence, dont l’alimentation en eau potable, en eau industrielle et en eau d’irrigation, provient pour une large part, et même en totalité pour l’agglomération marseillaise, des prises effectuées sur la Durance et le Verdon, se moquent bien de la manière dont l’eau est acheminée jusque dans leur cuisine et leur salle de bain. Chacun est tellement habitué à ce geste banal qui consiste à ouvrir un robinet et à y voir couler une eau limpide et de qualité, que l’on a tendance à oublier toute la technicité et les investissements, ainsi que les efforts de maintenance au quotidien, qui sont nécessaires pour que chacun dispose ainsi, aussi aisément et à moindre coût, d’une ressource vitale mais à laquelle 30 % de la population mondiale n’a toujours pas accès…

L’accès à l’eau potable, un luxe dont on n’a pas toujours conscience… Puisage de l’eau dans le village de Mwamanongu en Tanzanie (source © Bob Metcalf / Wikimedia Commons / BPI)

Dans bien des régions, les populations, et surtout les femmes, consacrent une partie non négligeable de leur temps et de leur énergie à parcourir de grandes distances pour aller s’approvisionner chaque jour à une source, un puits ou un simple marigot, y puiser une eau parfois peu ragoûtante, et la transporter ensuite jusqu’à leur domicile. Dans nombre de grandes villes, les populations les plus pauvres n’ont pas accès à un réseau de distribution d’eau potable à domicile et doivent dépenser des sommes importantes pour acheter à des revendeurs cette eau indispensable aux usages quotidiens, pour se laver comme pour boire et faire la cuisine.

Le conflit actuel autour de la bande de Gaza, totalement assiégée par l’armée israélienne dont le premier geste a été de couper l’approvisionnement en eau pour affaiblir les populations, est une illustration de ce pouvoir que détient celui qui dispose des ressources en eau. Les populations méditerranéennes ont été, de tout temps, très soucieuses de cette question de l’accès à l’eau. Sauf que depuis que la Provence s’est équipée d’un réseau efficace d’approvisionnement à partir des prélèvements effectués dans le Verdon, chacun a tendance à oublier à quel point nous sommes dépendants de cette source d’alimentation en eau.

Voilà pourtant qu’un chantier colossal s’est ouvert depuis un an, justement pour sécuriser l’alimentation en eau potable des Provençaux, par le réseau désormais interconnecté avec l’ancien canal de Marseille mais alimenté principalement par le canal de Provence depuis le Verdon. La Société du Canal de Provence (SCP), créée en 1957, avait précisément pour objet d’assurer ce nouvel approvisionnement en eau potable de la Provence, même si la ville d’Aix-en-Provence, à l’époque, puisait déjà l’essentiel de son eau dans le Verdon, acheminée par le vieux canal du Verdon, creusé par une armada de bagnards sous Napoléon III, entre 1857 et 1875.

Entrée du tunnel de Malaurie sur l’ancien canal du Verdon (photo © André M. Winter / Carto.net)

Dès le départ, l’objectif des gigantesques aménagements effectués sur le Verdon était multiple, visant non seulement l’alimentation en eau potable et l’irrigation, voire le tourisme, mais aussi la production hydro-électrique. En 1967, un barrage est édifié sur le Verdon, en amont de la ville de Gréoux-les-Bains, créant la cinquième et dernière retenue de l’aménagement global du bas Verdon, le lac d’Esparron. Une prise d’eau y est installée, alimentant un nouveau canal qui conduit l’eau jusqu’à la retenue de Bimont, achevée elle en 1952 pour sécuriser l’approvisionnement en eau de l’agglomération aixoise, et d’où part la branche du canal qui alimente l’agglomération marseillaise depuis le réservoir du vallon Dol, mis en service en 1973.

Le partiteur de Boutre, tête de réseau du canal de Provence (source © g-eau / SCP)

Dès la prise d’eau dans le lac d’Esparron, l’eau circule en souterrain via la galerie des Maurras, un ouvrage de 5,4 km de longueur et 6 m de diamètre, creusé directement dans le rocher. L’eau débouche ensuite dans un ouvrage à l’air libre, le canal de Malaurie jusqu’au partiteur de Boutre, point de départ du canal de Provence, géré par la SCP et d’où provient l’essentiel de notre eau potable, avec un prélèvement annuel moyen de l’ordre de 240 millions de m3. L’autre partie de l’eau est déviée via cet ouvrage vers une conduite forcée qui alimente l’usine hydroélectrique EDF de Vinon-sur-Verdon.

Schéma de principe des installations de prise d’eau amont depuis le lac d’Esparron jusqu’à l’usine hydroélectrique de Vinon-sur-Verdon (source © EDF Hydro Méditerranée / Biotope / SCP – Dossier de demande de dérogation)

En 2019, lors d’une visite de contrôle menée par les équipes d’EDF Hydro Méditerranée, des infiltrations d’eau sont observées sur le trajet de la galerie des Maurras, à 1 km de son extrémité amont. En 2020, des investigations effectuées dans la galerie, par robot plongeur équipé d’un sonar, détectent d’énormes cavités de 20 m de hauteur et sur 80 m de longueur, qui se sont formées par érosion de la galerie, sans doute du fait de la dissolution du gypse présent dans le massif rocheux, sous l’effet de l’eau sous pression qui circule en permanence dans l’ouvrage à un débit colossal de 55 m3/s. Si cette galerie devait finir par s’effondrer sous l’effet de cette érosion régressive, c’est l’alimentation en eau de plus de 2 millions d’habitants de 3 départements, dont tous ceux de l’agglomération marseillaise, qui serait directement menacée, ainsi que l’irrigation de plus de 50 000 ha mais aussi le refroidissement de l’usine du CEA à Cadarache !

Chantier de réhabilitation et d’étanchéification de l’ancien canal du Verdon en aval de la galerie des Maurras (source © SCP/ Var Matin)

Depuis lors, EDF et la SCP s’activent pour tenter de remédier à ce risque majeur. Dès septembre 2022, la SCP a engagé un gros chantier de réhabilitation de l’ancien canal du Verdon, désormais abandonné et qui a été rénové sur 1,8 km de longueur tandis qu’on été restaurés les 4,1 km de l’ancien souterrain des Maurras et les 175 m de l’ancien tunnel des Marlines. L’objectif de ces travaux, qui ont aussi nécessité l’installation d’une nouvelle station de pompage sur le lac d’Esparron, est de remédier à l’impossibilité de faire transiter l’eau dans la galerie EDF des Maurras pendant les 3 hivers successifs qui seront nécessaires pour shunter cette galerie dans la partie endommagée.

État de la voûte du souterrain des Maurras par où transitait l’ancien canal du Verdon, avant sa réhabilitation par la SCP pour servir d’alimentation de secours pendant les travaux de by-pass de la galerie des Maurras (source © Biotope / SCP – Dossier de demande de dérogation)

Les dégâts causés par la dissolution du gypse sont en effet tels qu’il a été préférable de dévier carrément la galerie pour contourner la zone de désordres en construisant une dérivation, sous forme d’une nouvelle galerie de 200 m de long et 7 m de diamètre, qui sera, quant à elle, entièrement chemisée par un revêtement intérieur en béton projeté avec géomembrane. Les travaux préparatoires ont débuté en juin 2023 avec la mise en place d’une nouvelle porte étanche pour faciliter l’accès des engins à la galerie. Celle-ci a été entièrement vidangée fin octobre et les travaux de creusement du by-pass commenceront en janvier 2024. Ils seront interrompus entre avril et septembre, période estivale pendant laquelle les besoins d’alimentation en eau potable sont tels que la galerie des Maurras devra être remise en service pour assurer un débit suffisant qui doit atteindre 12 m3/s en période de pointe. A ce rythme, il faudra 3 périodes hivernales successives pour achever le chantier, si tout va bien, en avril 2026, une fois la nouvelle galerie entièrement creusée et revêtue.

Installations de chantier à l’entrée amont de la galerie des Maurras, pour l’équipement d’une nouvelle porte étanche (source © SCP/ Var Matin)

Pendant les phases de chantier, c’est en principe une pompe dite Bergeron, de très grosse capacité, capable de débiter 6 m3/s, conçue et mise en place lors du chantier de construction de la centrale hydroélectrique de Vinon-sur-Verdon, qui alimentera le canal SCP en aval, pour maintenir l’alimentation en eau potable des populations, bien qu’à un niveau très inférieur au pic nécessaire en période estivale. Mais comme on n’est jamais à l’abri d’une panne, la SCP a préféré prendre ses précautions et disposer d’un plan B, lequel pourrait aussi être mobilisé en complément de la pompe Bergeron si les travaux sur la galerie de Maurras devaient, suite à un aléa de chantier, se poursuivre au-delà du mois d’avril.

Station flottante de pompage installée par la SCP sur le lac d’Esparron en secours (source © SCP / EDF Hydro Méditerranée)

D’où la station de pompage flottante d’une capacité de 4 m3/s, installée sur le lac d’Esparron, alimentant une conduite enterrée de 1,5 m de diamètre qui se déverse ensuite dans l’ancien souterrain des Maurras, plus ou moins parallèle à la galerie EDF du même nom avant d’alimenter l’ancien canal du Verdon ponctuellement remis en état. Des travaux de grande ampleur qui ont coûté 10 millions d’euros à SCP et qui coûteront au total plus de 40 millions d’euros à EDF. Mais c’est le prix à payer pour que chacun ait de l’eau en tournant son robinet, sans trop se poser de question sur tous les efforts nécessaires pour y parvenir…

L. V.

Fos : l’industrie en voie de décarbonation ?

2 novembre 2023

La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer n’est pas jusqu’à présent connue pour être un modèle en matière de respect de l’environnement. Idéalement située entre l’étang de Berre, à l’Est, et le delta du Rhône à l’Ouest, la commune a été amputée en 1866 d’une partie de son vaste territoire pour donner naissance à Port-de-Bouc et à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Mais elle contrôle encore l’essentiel du golfe de Fos où se sont développés, à partir des années 1970, les bassins ouest du Grand Port maritime de Marseille qui couvrent désormais plus de 10 000 hectares, accessibles aux plus grands navires méthaniers comme porte-containers.

Terminaux pétroliers du Grand Port maritime de Marseille à Fos et Lavéra (source © GPMM / Mer et marine)

L’étang de Berre lui-même, est devenu un écosystème en perdition du fait des rejets massifs d’eau douce, tandis que ses berges sont le réceptacle de tout ce que l’industrie pétrochimique a pu créer depuis les années 1960. Toute la zone n’est qu’un entrelacs d’usines, dont 15 classées Seveso, de torchères, de hauts fourneaux, de pylônes électriques, de pipelines et de cuves, d’où émergent l’aciérie gigantesque d’Arcelor Mittal, les raffineries d’Esso et de LyondellBasel ou encore les cuves de chlore de Kem One, sans compter l’incinérateur que la communauté urbaine de Marseille y a implanté en 2010, à plus de 50 km de Marseille, dans un lieu où la qualité de l’air et des sols est déjà tellement dégradée qu’on est plus à une nuisance près…

Activité pétrochimique et sidérurgique sur le Grand Port maritime de Marseille autour de Fos, Martigues et Port-de-Bouc (photo © P. Magnein / 20 minutes)

Mais cette image de grand pôle de l’industrie sidérurgique et pétrochimique, alliée à celle d’un complexe portuaire de premier ordre, par où transitent hydrocarbures et containers, est peut-être en train d’évoluer sous l’effet de plusieurs projets qui s’inscrivent dans une logique plus vertueuse de tentative de décarbonation.

Usine sidérurgique d’Arcelor Mittal à Fos-sur-Mer (source © La Tribune)

L’un de ces projets, qui fait l’objet depuis le 30 octobre 2023, d’une vaste concertation sous l’égide de la Commission nationale du débat public, vise l’implantation, dans la zone de Caban-Tonkin, en plein cœur du complexe industrialo-portuaire de Fos, d’une immense usine de production d’hydrogène vert sur 41 ha. Le projet correspond à un investissement ambitieux de 900 millions d’euros porté par RTE et surtout H2V, une filiale de la société d’investissement française Samfi-Invest. Cette holding familiale, basée en Normandie, est issue du groupe Malherbe, un des leaders français du transport de marchandises. Cette société s’est diversifiée dans l’immobilier et, depuis 2004, dans les énergies renouvelables, avec désormais un parc éolien de 134 MW, implanté en France et en Belgique, mais aussi dans le photovoltaïque, et désormais dans la production d’hydrogène vert, via sa filiale H2V.

Maquette de l’implantation des futures installations d’H2V à Fos-sur-Mer (source © Les Nouvelles publications)

En 2016, cette dernière s’est lancée dans un ambitieux projet de fabrication d’hydrogène à grande échelle par électrolyse de l’eau, en partenariat avec RTE, le gestionnaire du réseau français de distribution de l’électricité. L’usine, implantée en Normandie, à 30 km du Havre, a obtenu son autorisation d’exploitation en 2021 et est en cours de construction. Un autre site est à l’étude près de Toulouse, ainsi donc que celui de Fos-sur-Mer dont une première tranche constituée de 2 unités de production de 100 MW chacune pourrait être opérationnelle à partir de 2028, sachant que l’objectif est d’installer ensuite 4 autres unités, soit une capacité totale visée de 600 MW.

Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) est entré au capital de H2V pour participer à ce projet qui devrait permettre de produire chaque année 84 000 tonnes d’hydrogène à faible empreinte carbonée, destiné à alimenter en énergie les industries pétrochimiques et sidérurgiques les plus émettrices de gaz à effet de serre de la zone industrialo-portuaire de Fos. La première tranche du projet prévoit également d’implanter une usine de production de méthanol de synthèse, à raison de 130 000 tonnes par an, pour servir de carburant vert au trafic maritime du port. Le prix de revient de l’hydrogène vert ainsi produit est évalué entre 4,5 et 6 € le kg, soit 2 à 3 fois plus cher que l’hydrogène produit classiquement par vaporeformage du méthane, plus économique mais fort émetteur de CO2… Contrairement à d’autres projets comparables, il ne s’agira d’ailleurs pas vraiment d’hydrogène vert puisque l’électricité utilisée, qui nécessité la construction par RTE d’un nouveau poste d’alimentation électrique, viendra directement du réseau.

Dessin d’architecte de la future implantation de l’usine Carbon à Fos-sur-Mer (photo © Q5Q / Marsactu)

Mais un autre projet ambitieux est également en cours de concertation à Fos. Il s’agit du projet Carbon, une immense usine employant 3000 personnes et s’étalant sur 62 hectares destinée à construire des cellules et des panneaux photovoltaïques, pour un investissement colossal de 1,5 milliards d’euros. La capacité de production de cette usine serait de 5 GWc et son alimentation exigera un raccordement électrique de 240 MW en continu tandis que l’activité créera un flux annuel de marchandise évalué à 490 000 tonnes, soit 20 000 containers, ce qui explique que l’entreprise CMA-CGM, se soit associée au projet !

Maquette de la future usine GravitHy sur un site du Grand Port maritime de Marseille à Fos (source © GravitHy / Usine nouvelle)

Et ce n’est pas tout car bien d’autres projets sont dans les cartons ou en voie de concrétisation qui devraient contribuer à tenter de faire évoluer cette zone industrielle à impact environnemental catastrophique sur une voie plus vertueuse. Citons notamment GravitHy, qui veut tout simplement révolutionner la production d’acier en procédant à une réduction directe du fer par l’hydrogène. Le projet, porté par un consortium industriel composé de EIT InnoEnergy, Engie New Ventures, Plug, Forvia, Primetals Technologies et le groupe Idec, envisage un investissement colossal de 2,2 milliards d’euros pour implanter une usine sur 70 ha, faisant travailler 3000 personnes dont 500 emplois directs sur site et capable de produire, à partir de 2027 si tout va bien, 2 millions de tonnes de minerai de fer pré-réduit à très bas taux de carbone, grâce à la production locale, toujours par électrolyse de l’eau, de 120 000 tonnes d’hydrogène vert par an.

Emmanuel Macron, en visite à Marseille, en juin 2023, évoquait déjà la possibilité d’implanter un réacteur nucléaire sur le site du Grand Port maritime de Marseille (photo © R. B. / Marsactu)

Des projets particulièrement ambitieux et innovants qui vont peut-être changer à terme la physionomie de cette immense zone industrielle et portuaire en faisant un pas vers cette transition écologique tant espérée. Des projets néanmoins qui ont quand même en commun de nécessiter une énergie électrique colossale, dans une région qui jusque-là ne brille pas par ses capacités de production excédentaires, un petit détail que nos responsables politiques locaux semblent tous oublier, eux qui se gargarisent à l’unisson de ce saut technologique à venir, en masquant pudiquement le fait que de tels projets ne sont probablement viables que moyennant l’implantation d’un réacteur nucléaire sur le site même de Fos, comme l’a récemment suggéré le Président de la République qui reconnaissait que la consommation électrique du GPMM nécessite la production de 4 EPR…

L. V.

Nachtigal : EDF investit au Cameroun

1 octobre 2023

Depuis sa création en 1946, fruit de la volonté du Conseil national de la Résistance, de reprendre le contrôle par l’État des 1450 compagnies privées qui se partageait alors, dans un esprit purement mercantile et à courte vue, le marché juteux de la production et de la distribution locale de l’énergie électrique, EDF s’est transformée en société anonyme, même si l’État français en reste le principal actionnaire. Ce qui ne l’a pas empêché de se développer considérablement à l’international. En novembre 2015, un rapport de la Cour des Comptes précisait ainsi que 40 % du chiffre d’affaires de l’entreprise se faisait à l’étranger, pour l’essentiel au Royaume-Uni et en Italie. EDF a ainsi racheté l’Américain Constellation dans l’objectif de construire des EPR aux États-Unis, puis British Energy pour exploiter le parc nucléaire britannique et construire deux nouveaux réacteurs à Hinkley Point. Une opération qui s’est soldée par un endettement inquiétant en 2009, au point de l’obliger à se désengager progressivement de ses investissements les plus hasardeux.

Chantier de construction du réacteur nucléaire d’Hinkley Point (photo © EDF Energy / Framatome)

Le bilan de cette tentative de développement à l’international reste mitigé. L’expérience chinoise avec une participation d’EDF à hauteur de 30 % dans la joint-venture chargée de construire les deux réacteurs nucléaires chinois de Taishan, s’est surtout traduite par un transfert de technologie qui a permis à la Chine de mettre en service dès 2018 le premier EPR opérationnel alors qu’Areva patinait avec celui d’Olkiluoto en Finlande et accusait une dérive lamentable sur celui de Flamanville. Un autre rapport de la Cour des Comptes, publié en 2020 laisse néanmoins planer des doutes quant à la rentabilité financière de l’opération pour EDF, tout en pointant les très gros risques financiers pris par EDF sur le chantier d’Hinkley Point qui affiche lui aussi de fortes dérives de calendrier et de coûts.

Les deux réacteurs EPR chinois de Taishan mis en service en 2018 et 2019 (photo © EDF / Société française d’énergie nucléaire)

Cela n’empêche cependant pas EDF de tenter désormais de s’implanter sur le marché indien pour y participer à la construction des 6 réacteurs de ce qui pourrait devenir la plus grande centrale nucléaire du Monde que l’Inde envisage de construire sur le site de Jaitapur, dans l’État du Maharashtra. Les ambitions d’EDF à l’international restent néanmoins limitées par sa situation financière peu florissante avec un résultat négatif record de 12,7 milliards d’euros en 2022 et une dette qui est passée de 43 milliards fin 2021 à 64,5 milliards un an plus tard, alors même qu’EDF doit faire face à des investissements colossaux pour l’entretien et la remise à niveau de son parc électronucléaire vieillissant en France, qui a montré de lourdes défaillances durant le dernier hiver…

Maquette de la future centrale nucléaire indienne de Jaitapur avec ses 6 réacteurs EPR, pour lesquels EDF a remis son offre en 2021 pour les études d’ingénierie et la fourniture de la technologie EPR (photo © EDF / SFEN)

Saluons donc, dans ce contexte plutôt morose, une des rares réussites d’EDF à l’international avec la mise en service prochaine, prévue en 2024, du barrage hydroélectrique de Nachtigal, au Cameroun, dont la centrale hydroélectrique, de 420 MW (soit davantage que celle de Serre-Ponçon, pourtant la plus puissante de la région PACA), devrait fournir 30 % des besoins en électricité du pays.

Vue depuis l’aval de l’usine hydroélectrique de Nachtigal avec ses conduites forcées alimentée par le canal d’amenée, et le lit naturel de la Sanaga à gauche (photo © NGE / Le Moniteur)

Nachtigal est un petit village de 800 habitants, situé à 65 km au nord-est de Yaoundé, la capitale du Cameroun, au bord du fleuve Sanaga. Son nom, à consonance germanique est celui d’un explorateur allemand, Gustav Nachtigal, parti en 1969 de Tripoli et qui a gagné la ville de Khartoum en 1874, avant d’être nommé en 1884 par Bismarck comme envoyé spécial en Afrique centrale où il négocie les annexions territoriales du Togo et du Cameroun au nez et à la barbe des Britanniques dont l’envoyé, dépêché en hâte du Nigeria, recevra à cette occasion le sobriquet de « Too late consul »…

A l’issue de la défaite militaire des Allemands en 1918, le Cameroun est placé par la Société des Nations sous protectorat français à l’Est et anglais à l’Ouest. Une situation qui se renouvellera en 1946, sous l’égide des Nations-Unies, jusqu’à l’indépendance de la zone française qui intervient dès le 1er janvier 1960. La même année, la partie britannique est scindée : le Nord est rattaché au Nigeria voisin tandis que la partie méridionale, où se trouve le mont Cameroun, un volcan qui culmine à 4100 m d’altitude, se réunifie en 1961 au nouveau Cameroun. C’est un ancien fonctionnaire des PTT, Ahmadou Ahidjo, que la France place à la tête du pays et dont elle aide à assoir le pouvoir via une répression féroce contre les forces indépendantistes de l’Armée nationale de libération du Kamerun.

A gauche, Paul Biya, alors premier ministre depuis 1975, aux côtés de son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, premier Président de la République du Cameroun (source © Actu Cameroun)

En 1982, c’est son Premier ministre, Paul Biya, qui le remplace comme Président à la suite de sa démission surprise. Plus de 40 ans après, Paul Biya est toujours à la tête du pays, après avoir remporté pas moins de 7 élections présidentielles, toutes largement entachées d’irrégularités. A 90 ans, il est le dirigeant au monde le plus âgé et le plus ancien en poste, en dehors de quelques monarques au pouvoir symbolique, le Cameroun étant souvent décrit comme une « démocrature », autrement dit une démocratie officielle mais aux allures de dictature officieuse.

Emmanuel Macron en visite officielle à Yaoundé le 26 juillet 2022, aux côtés de l’inamovible Paul Biya (photo © Ludovic Marin / AFP / RFI)

Le règne de Paul Biya avait commencé par une répression impitoyable dans le nord du pays suite à une tentative avortée de coup d’État en 1984. Il se poursuit par une cure d’ajustement structurel à la fin des années 1980 avec privatisations à outrance et coupe drastique des salaires des fonctionnaires amputés de 60 %. Paul Biya brade l’exploitation des richesses minières de son pays aux compagnies canadiennes tandis qu’il achète de l’armement en France pour mater les émeutes de la faim et tentatives séparatistes successives auxquelles il doit faire face. Pays producteur de pétrole depuis 1977, les revenus de cette exploitation sont placés hors budget et alimentent des circuits opaques dans un pays où la corruption est élevée au rang de culture nationale. 75 % de l’économie y est informelle et le taux officiel de chômage a atteint jusqu’à 30 % de la population active en 2003.

Le Cameroun possède des ressources en eau plus que satisfaisantes avec 5 bassins hydrographiques dont celui de la Sanaga et trois grands réservoirs aquifères souterrains, mais 43 % de la population rurale n’a pas accès à l’eau potable et le pays ne compte toujours aucune station de traitement des eaux usées. Dans la capitale politique, Yaoundé, la Camwater, société nationale de distribution d’eau, reconnait de grosses difficultés dans le traitement de la potabilisation de l’eau distribuée qui est de qualité très médiocre, tandis qu’à Douala, l’essentiel des eaux usées se déverse directement dans la rivière et qu’une part importante de la population s’approvisionne directement dans des puits et forage sans aucun dispositif de potabilisation.

Difficultés quotidiennes d’approvisionnement en eau potable dans le quartier d’Ekounou, à Yaoundé, où la Camwater peine à délivrer plus de 2 fois par semaines une eau, souvent impropre à la consommation (source © Actu Cameroun)

Quant à la production électrique, elle est également très insuffisante pour satisfaire les besoins, la consommation par habitant y étant de 3,6 % de celle d’un Français ! En 1974, la Société nationale d’électricité du Cameroun (SONEL) est créée par fusion d’entités préexistantes, dont ENELCAM qui gérait l’usine hydroélectrique d’Edéa, déjà implantée depuis les années 1950 sur la Sanaga. En 1981 est mis en service le barrage hydroélectrique de Song Loulou, toujours sur la Sanaga, avec son usine de 388 MW désormais vieillissante car mal entretenue.

La mise en service de la nouvelle centrale de Nachtigal est donc attendue avec impatience par la population camerounaise, d’autant que le projet, qui date des années 1970 a été maintes fois reporté. Le chantier lui-même a duré 4 ans, EDF intervenant comme assistant au maître d’ouvrage, la Nachtigal Hydro Power Company, dont EDF détient 40 % du capital, avec jusqu’à 4000 personnes présentes sur le chantier, le génie civil étant assuré par l’entreprise française NGE, créée en 2002 par association de Guintoli, EHTP et GTS.

Mise en eau du barrage de Nachtigal en juillet 2023, vue depuis l’amont avec le canal de fuite à gauche et le lit de la Sanaga à droite où ne transite plus que 10 % du débit naturel (photo © NGE / Le Moniteur)

Le barrage lui-même a été construit au fil de l’eau sous forme d’une digue de 1,5 km de long et 14 m de haut en rive droite, constituée de 120 000 m3 de béton compacté au rouleau et surmontée en tête d’une lame mince serpentiforme. En rive gauche, le barrage de fermeture mesure 500 m de long, l’ensemble délimitant une retenue de 28 millions de m3. Entre les deux, l’ouvrage hydraulique est constitué de 2 évacuateurs de crue qui ne laissent passer, en dehors des périodes de crue, que 10 % du débit de la Sanaga, le reste s’engouffrant via 3 pertuis dans le canal d’amenée de 3,3 km de long qui alimente lui-même la centrale hydroélectrique située en aval. Sept conduites forcées en acier de 6 m de diamètre y sont installées, avec une hauteur de chute de 50 m, permettant d’alimenter les turbines qui produiront l’électricité tant attendue par les Camerounais !

L. V.

Icon of the Seas : le nouveau monstre des mers !

29 septembre 2023

Lors de sa mise en service en 1912, le Titanic, comme son frère jumeau l’Olympic, achevé un an auparavant, était le plus long paquebot jamais construit avec 269 m de long pour un poids en déplacement de 66 000 tonnes. De véritables mastodontes, commandés par la White Star Line pour des traversées transatlantique, réalisés dans un chantier naval de Belfast et destinés à surpasser les deux fleurons de la compagnie concurrente, la Cunard Line, le Lusitania et le Mauretania, dont la longueur de 240 m était déjà assez impressionnante. A côté, la plus grosse baleine bleue jamais répertoriée, avec ses 190 tonnes et ses 30 m de long, est ridiculement petite !

Le Titanic en avril 1912 (source © Southampton City Council / AFP / RTL)

Mais ce n’était alors que le début d’une véritable course au gigantisme des paquebots. En 1935, le Normandie, construit par les chantiers navals de Penhoët, à Saint-Nazaire, pour le compte de la Compagnie générale transatlantique, mesurait déjà 314 m de long, surpassé d’un cheveu par le Queen Elisabeth II lancé en 1940, puis par le France, achevé en 1962, toujours à Saint-Nazaire. Le développement du transport aérien a mis un frein sérieux à cette filière de transport maritime de passagers et il a fallu attendre ensuite les années 2000 pour que revienne la nécessité de construire des bateaux aussi gigantesques pour le transport de passagers, non plus pour desservir des lignes régulières mais pour les besoins de la croisière de tourisme qui connaît alors un nouvel engouement.

Le paquebot France construit dans les chantiers navals de Saint-Nazaire, baptisé le 11 mai 1960 par Yvonne De Gaulle (source © Presse Océan / Ouest France)

En 2004 est ainsi achevé, dans les chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire alors en pleine renaissance, le Queen Mary 2, un paquebot de 345 m de longueur, commandé par la Cunard Line et destiné à assurer des liaisons transatlantiques d’avril à décembre et des croisières autour du monde le reste de l’année. Il restera le paquebot le plus grand jamais construit jusqu’en 2009, date à laquelle est mis en service l’Oasis of the Seas, un véritable immeuble flottant de 360 m de longueur, pesant 100 000 tonnes et capables de transporter 6296 passagers pour les besoins de la Royal Caribbean International.

L’Oasis of the Seas en croisière (photo © Royal Caribbean / Cruise Hive)

Cette compagnie maritime américano-norvégienne, fondée en 1968 et désormais basée à Miami, détient actuellement 26 bateaux de croisière. L’Oasis of the Seas, comme son clone, l’Allure of the Seas, livré en 2010, a été construit par les chantiers naval de Turku en Finlande. Trois autres paquebots de la même catégorie ont ensuite été livrés par les chantiers de l’Atlantique : l’Harmony of the Seas, achevé en 2016 et devenu alors le plus long paquebot du monde avec 362 m de longueur, puis le Symphony of the Seas, livré en 2018 et enfin le Wonder of the Seas, lancé en 2020. Ce dernier est alors le navire de croisière au plus fort tonnage jamais construit, avec une jauge brute de 236 000 tonneaux, soit cinq fois le Titanic !

A bord du Wonder of the Seas (photo © Royal Caribbean / United Cruise)

Mais cette course au gigantisme n’est pas finie car le secteur de la croisière de masse est en plein essor après un passage à vide lié à la pandémie de covid et à la forte médiatisation des déboires du Diamond Princess, bloqué en quarantaine au Japon en février 2020 avec 634 cas de Covid déclarés dont 7 décéderont. Depuis, les affaires ont repris de plus belle et les clients se pressent pour embarquer dans ces usines à touristes. La compagnie Royal Caribbean International dont les affaires sont florissantes lance donc en 2021 la construction d’un nouveau navire de croisière encore plus vaste et plus luxueux que les précédents, de la classe Oasis. Le moteur de cette course au gigantisme est de faire des économies d’échelle : plus le bateau est gros, plus on peut diversifier les activités à bord et plus on peut entasser de passagers avec un équipage qui n’augmente pas de manière proportionnelle. Autrement dit, on gagne sur les frais de personnel…

L’Icon of the Seas en vie d’achèvement dans les chantiers navals de Meyer Turku en Finlande avec son immense dôme à l’avant surplombant la salle de spectacle (photo © Royal Caribbean / Mer et Marine)

Le nouveau fleuron de la compagnie, baptisé Icon of the Seas, l’icône des mers en bon français, a été lui aussi réalisé dans les chantiers navals de Turku, au sud de la Finlande et il vient d’être lancé pour effectuer ses premiers essais en mer en juin 2023, pour une mise en service officielle prévue début 2024. C’est donc à ce jour le plus gros navire de croisière jamais construit, avec 365 m de long, soit 96 m de plus que le Titanic. Il pèse 250 000 tonnes et est équipé de 20 ponts avec plus de 2000 cabines, de quoi accueillir 7600 passagers pour 2350 membres d’équipage. On y trouve 7 piscines, un immense parc d’attractions aquatiques avec ses immenses toboggans en plastique multicolore du dernier chic, de nombreux restaurants, des salles de spectacle et même une patinoire.

Activités nautiques à bord de l’Icon of the Seas (source © Twitter All Word Travel Amarillo / La Tribune)

Le navire suscite une telle curiosité que les réservations pour ses premières croisières prévues en janvier prochain dans les Caraïbes affichent déjà complet. Pour une semaine de croisière, le prix n’est pourtant pas donné à 1500 euros minimum la semaine par personne et même jusqu’à 75 000 € pour la suite avec balcon, machine à pop-corn, karaoké et toboggan pour se rendre directement au salon : quand on aime, on ne compte pas…

L’Icon of the Seas lors de ses premiers essais de navigation dans la baie de Turku en juin 2023 (photo © Royal Caribbean / Meyer Turku / Le Marin)

Pourtant, le lancement de navire de croisière d’un tel gabarit en fait tousser plus d’un. A l’heure où chacun se demande comment amorcer enfin cette transition écologique vitale pour la survie de l’humanité et comment se projeter dans un mode de vie plus sobre en énergie, on pourrait en effet imaginer que l’urgence n’est pas à développer ainsi de tels monstres des mers, surtout quand on sait à quel point les bateaux de croisière participent à la pollution de l’air à chacune de leurs escales. Certes, l’Icon of the Seas ne fonctionne pas au fuel lourd comme la plupart des navires actuellement en activité, mais au gaz naturel liquéfié dont il consommera quand même la bagatelle de 175 000 litres par jour, du méthane issu comme il se doit de l’exploitation de gaz de schistes, avec un impact environnemental non négligeable. Chaque passager émettra ainsi 106 kg de CO2 par jour, soit l’équivalent d’un trajet de 450 km avec une voiture à essence : on connait loisir plus écologique que la croisière de masse en mer à bord de tels mastodontes…

L. V.

COP 28 : peut-on encore espérer ?

21 septembre 2023

La prochaine Convention des parties sur le changement climatique ou COP 28 se tiendra avec un an de retard, comme les deux précédentes, puisque la COP 26, prévue à Glasgow en 2020 avait dû être reportée pour cause de Covid. Elle s’était terminée sur les images de son président, Alok Sharma, en larmes, obligé d’interrompre son discours de clôture, totalement désespéré de n’avoir pas pu obtenir la moindre avancée, même sur l’objectif pourtant vital de sortir enfin de l’utilisation du charbon comme source d’énergie.

Le président de la COP 26, Alak Sharma, en larmes lors de son discours de clôture à Glasgow, le 13 novembre 2021 (photo © Paul Ellis / AFP / Ouest France)

Cette prochaine COP 28, qui se tiendra bientôt, le 22 novembre 2023, est supposée dresser un bilan à mi-parcours, 8 ans après l’accord de Paris, premier traité international juridiquement contraignant sur le climat, arraché lors de la COP 21 et qui prévoyait, pour limiter la hausse des températures en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère industrielle, de diminuer nos émissions mondiales de gaz à effet de serre de 43 % d’ici 2030.

Mais 8 ans plus tard, les experts de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique viennent de publier, le 8 septembre dernier, leur rapport de synthèse qui rappelle sans détour que « Les émissions mondiales ne sont pas conformes aux trajectoires d’atténuation cohérentes avec l’objectif de température de l’accord de Paris ». Selon ces experts qui s’appuient sur les études du GIEC, « Il existe une fenêtre de plus en plus étroite pour relever les ambitions et mettre en œuvre les engagements existants afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels ». Sauf que l’on en est déjà à 1,2 °C d’augmentation de la température moyenne du globe par rapport à la période préindustrielle de la fin du XIXe siècle et que nos émissions mondiales de gaz à effet de serre ont encore augmenté d’environ 5 % depuis 2015, et même de 10 % si l’on extrapole la trajectoire qui aurait été suivie sans la baisse de régime ponctuelle imposée par la période de confinement mondial !

Évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis 1950 et trajectoire à respecter pour obéir aux engagements de l’accord de Paris (source © CCNUCC)

En avril 2023, le rapport annuel de l’Organisation météorologique mondiale rappelait que les années 2015-2022 ont été les plus chaudes jamais enregistrées sachant que de nouveaux records de température ont encore été battus cet été. Il soulignait le fait que jamais le niveau des glaces de l’Antarctique n’avait été aussi bas et que les glaciers alpins avaient désormais connu un recul historique jamais observé et très certainement irréversible. Il mentionnait aussi les innombrables catastrophes climatiques observées en 2022 avec notamment un épisode de sécheresse prolongé en Afrique de l’Est, des précipitations record au Pakistan ou en Australie et des vagues de chaleur sans précédent en Chine et en Europe. Une tendance qui s’est encore accentuée en 2023 avec ces incendies inédits au Canada ou en Grèce par exemple.

L’Atlas de de la mortalité et des pertes économiques dues à des phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes, publié par la même organisation internationale pour la période 1970-2019, fait ainsi état de pas moins de 11 000 catastrophes naturelles de ce type recensées au cours des 50 dernières années, faisant un total de dommages évalué à plus de 2 millions de morts et au moins 3,64 milliards de dollars de dégâts matériels : le coût de l’inaction ? Sans compter la pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles, au premier rang desquels l’eau, de plus en plus source de conflits et de restrictions.

Lutte contre un incendie de forêt en Grèce durant l’été 2023 : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs »… (photo © Angelos Tzortzinis / AFP / Courrier International)

Alors, peut-on encore être optimiste à l’approche de cette nouvelle COP qui se tiendra, comble de l’absurde, aux Émirats arabes unis et sera présidée par le ministre de l’industrie émirati, Sultan bin Ahmed al-Jaber, PDG depuis 2016 de la Abu Dhabi National Oil Company, la principale société pétrolière du pays, dotée des quatrièmes réserves mondiales de pétrole, une structure en pleine expansion dont la filière gazière, ADNOC Gas, a levé plus de 2,3 milliards d’euros lors de son introduction en bourse, début 2023 ?

Sultan bin Ahmed al-Jaber, futur président de la COP 28 (source © AFP / La Libre Belgique)

Certes, ce même Ahmed al-Jaber avait lancé en 2006 le projet de nouvelle ville écologique, Masdar City, édifiée en plein désert à 30 km d’Abu Dhabi et à proximité de son aéroport international, futur laboratoire du développement des énergies renouvelables, à l’instar de la ville de Neom projetée en Arabie Saoudite. Mais 17 ans plus tard, le projet, mis en sommeil durant la crise financière de 2008 n’est loin d’être abouti et a tout de la ville fantôme, n’abritant guère que les étudiants (rémunérés) de l‘Institut des sciences et des technologies, ainsi que le siège de l’IRENA, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables.

Maquette de la ville de Masdar, une ville écologique du futur en plein désert, pour l’instant toujours en chantier… (source © Urban attitude)

Bien sûr, les plus optimistes font valoir que le Moyen-Orient, malgré ses réserves colossales de gaz et de pétrole dont l’exploitation assure l’essentiel des revenus, a tout intérêt à se préoccuper du changement climatique global, non seulement parce qu’elle est en passe de devenir un des gros émetteurs de gaz à effets de serre (un habitant de Dubaï émet en moyenne 19,3 tonnes de gaz à effet de serre par an, en 4e position mondiale, derrière le Qatar, le Koweit et l’Arabie Saoudite !), mais surtout parce qu’elle risque d’en être une des premières victimes. On considère en effet qu’entre 1981 et 2019, cette région a subi un réchauffement climatique moyen de 0,45 °C tous les 10 ans, quasiment le double de celui observé en moyenne à l’échelle planétaire, estimé à 0,23 °C par décennie.

Le Jetcar, nouvelle aberration écologique à la mode de Dubaï (source © Jetcar / Natura sciences)

Le choix de tenir la prochaine COP à Dubaï pourrait donc avoir un sens si cela traduisait une réelle volonté des Émirats arabes unis de sortir enfin de leur dépendance extrême aux hydrocarbures et de prôner une plus grande sobriété énergétique. On peut néanmoins en douter quand on voir les gratte-ciel climatisés à outrance, les Hummer disproportionnés, les pistes de ski indoor dans les centres commerciaux, ou encore les jetcars, ces bolides vrombissants qui envahissent la rade de Dubaï et que l’on peut louer pour la modique somme de 600 € de l’heure : le symbole parfait du monde de demain, tel sans doute qu’il ressortira de la prochaine COP 28 ?

L. V.

Les géants du pétrole redressent la tête

24 juillet 2023

En 2020, au plus fort du confinement mondial lié à la pandémie de Covid 19, le prix des hydrocarbures était en pleine dégringolade, suite au brusque ralentissement de l’activité économique planétaire. A cette période pas si lointaine, il y a 3 ans seulement, les compagnies pétrolières elles-mêmes juraient, la main sur le cœur, que la transition énergétique était en marche, que la période faste du recours massif aux hydrocarbures fossiles était passée et que leur priorité était désormais de développer les énergies renouvelables.

Après la période Covid, la hausse des prix du pétrole, une manne pour les pays producteurs… un dessin de Dilem pour le journal Liberté, publié le 20 mai 2020 (source © Gagdz)

Le nouveau patron de BP l’affirmait sans ambages : « Le budget carbone du monde s’épuise rapidement ; nous avons besoin d’une transition rapide vers la neutralité », tandis que le français Total décidait en 2021 de changer de raison sociale et de s’appeler désormais TotalEnergies, pour bien montrer son ambition de diversification ou du moins de le faire croire à ses clients, à l’instar d’ailleurs de ses 2 concurrents européens Shell et ENI, qui promettent de leur côté d’atteindre la neutralité carbone dès 2050.

Fin 2020, le géant américain ExxonMobil se faisait carrément éjecter du Dow Jones après une spectaculaire dépréciation de sa valeur boursière et devait tailler dans ses investissements en matière d’exploration pétrolière. A l’époque, chacun lorgnait sur l’exemple du danois Orsted qui avait abandonné dès 2018 le marché du pétrole pour se consacrer exclusivement aux énergies renouvelables et qui a vu le prix de ses actions bondir de 60 % en 2020 !

Des supertankers pour transporter toujours plus de pétrole de par le monde (photo © G. Traschuetz / Pixabay / Futura Sciences)

Et puis la guerre en Ukraine est arrivée, début 2022, dans un contexte de redémarrage de l’activité économique. Les exportations massives de pétrole et de gaz russe qui inondaient l’Europe notamment, se sont progressivement réduites. Du coup, le cours des hydrocarbures s’est remis à flamber, et avec lui les bénéfices des compagnies pétrolières. En 2022, les cinq majors (ExxonMobil, Chevron, Shell, TotalEnergies et BP) ont enregistré un bénéfice net record de 151 milliards de dollars, et même de plus de 200 milliards si l’on en déduit les pertes conjoncturelles liées au retrait forcé du marché russe !

Les compagnies pétrolières ont profité de la conjoncture pour s’en mettre plein les poches : un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

En mars 2022, le baril de Brent frôlait le prix record de 140 dollars, près de 3 fois plus qu’en 2020, tandis que le gaz se négociait à l’été 2022 en Europe à 350 € le MWh, plus de 15 fois son tarif habituel… Du coup, TotalEnergies annonçait pour l’exercice 2022 un bénéfice record de 20,5 milliards de dollars, de quoi redonner un large sourire à ses actionnaires, grassement rémunérés. Et la période faste s’est poursuivie en 2023, ExxonMobile et Chevron, les deux géants américains, annonçant fin avril des bénéfices trimestriels très supérieurs à leurs prévisions, grâce notamment à une forte augmentation de l’extraction de pétrole et de gaz ! Quant à TotalEnergies, la compagnie annonçait à son tour un bénéfice record de 5,6 milliards de dollars pour le premier trimestre 2023, en hausse de 12 % par rapport à 2022.

Dans ce contexte d’euphorie généralisée, les compagnies pétrolières ont totalement oublié leurs belles promesses d’il y a 3 ans ! Mi-juin 2023, le nouveau patron de Shell, Wael Sawan, a ainsi annoncé sans vergogne qu’il n’avait plus la moindre intention de tenir ses engagements en matière de transition énergétique et que son objectif était désormais de concurrencer ExxonMobil dans sa course à l’exploitation massive d’hydrocarbures.

L’exploitation pétrolière en plein boom : oublié la lutte contre le réchauffement climatique… (source © Midi Libre)

De son côté, la firme BP a annoncé dès février 2023 qu’elle renonçait carrément à son objectif initial de neutralité carbone, préférant engranger des profits, et tant pis si l’humanité doit y passer, sous l’effet du changement climatique global qui s’accélère de jour en jour… Même TotalEnergies a annoncé la couleur lors de l’assemblée générale de ses actionnaires en mai 2023, confirmant qu’il n’était pas question de réduire la voilure en matière d’exploitation pétrolière et gazière alors même que la demande mondiale explose ! Une prise de position qui a valu à son PDG de voir son salaire augmenté de 10 % et d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur lors de la promotion du 14 juillet : félicitations !

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, ici en 2021 avec Emmanuel Macron, élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur : un petit geste pour la planète ? (photo © Ludovic Marin / AFP / La Voix du Nord)

Les dernières projections de l’Agence internationale de l’énergie estiment en effet que la demande mondiale de pétrole n’a jamais été aussi haute et devrait atteindre pour l’année 2023 un record historique évalué à 102,3 millions de barils par jour en moyenne annuelle, supérieure donc au précédent record qui datait de 2019, avant la crise du Covid, à une période où un consensus était en train d’émerger (difficilement) pour tenter de s’orienter vers une baisse globale du recours aux énergies fossiles pour tenter de se rapprocher des objectifs de la COP 21.

Quand l’offre peine à satisfaire la demande, c’est le jackpot pour les compagnies pétrolières : un dessin signé Delize (source © Atlantico)

Toutes ces belles intentions semblent désormais complètement oubliées. Les États-Unis notamment ont retrouvé dès 2022 leur niveau record de production de pétrole brut établi en 2019 et espèrent bien le dépasser en 2023, et plus encore en 2024. La reprise du trafic aérien après la période de confinement a fait repartir à la hausse la demande mondiale de kérosène qui n’a jamais été aussi élevée, sous l’effet d’une reprise économique. La planète peut bien se réchauffer à grande vitesse, il n’est plus du tout d’actualité que les compagnies pétrolières et gazières mondiales fassent le moindre effort pour freiner leur exploitation : advienne que pourra !

L. V.

Forage pétrolier : la Chine s’enfonce…

20 juillet 2023

Alors que le réchauffement climatique mondial est d’ores et déjà irréversible et que nos émissions qui en sont la cause ne sont pas près de diminuer malgré maints engagements, rarement suivis d’effets, la Chine est sans conteste le champion mondial en matière de pollution de notre environnement. Elle produit à elle seule un quart des émissions de gaz à effet de serre de la planète ! Rien d’étonnant à cela vu son nombre d’habitants, bien que dépassé depuis peu par l’Inde, et surtout parce que la Chine s’est imposée comme le principal producteur de tout ce que nous consommons quotidiennement et que nous faisons venir par porte-containers géants à travers les océans…

Le président chinois Xi Jinping intervenant lors de la 75e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2020 (photo © Eskinder Debebe / ONU)

Certes, en septembre 2020, le président chinois Xi Jinping en personne avait annoncé solennellement devant l’Assemblée générale de l’ONU que son pays avait pour objectif de de « commencer à faire baisser les émissions de CO2 avant 2030 » puis d’atteindre « la neutralité carbone d’ici 2060 », mais sans se hasarder à donner le moindre détail quant à la voie pour y parvenir.

Centrale solaire à concentration, la plus grande d’Asie, achevée en Chine, à Dunhuang, en décembre 2018, dans le désert de Gobi, pour une puissance installée de 100 MWc (photo © Stringer / Imagechina / Sciences et Avenir)

Certes, la Chine s’est depuis quelques années imposée comme un pays particulièrement dynamique en matière de développement des énergies renouvelables. Ainsi, les Chinois possèdent depuis 2010 le premier parc éolien mondial en termes de puissance installée, regroupant 47 % du parc éolien terrestre mondial et 57 % du parc maritime. En 2021, la Chine a produit plus de 35 % de toute l’électricité mondiale d’origine éolienne et est considérée depuis plus de 10 ans comme le premier producteur mondial d’éoliennes. Quant au solaire, la Chine peut s’enorgueillir de produire à elle seule 73 % de l’eau chaude solaire mondiale et 32 % de l’électricité d’origine photovoltaïque, avec une puissance installée représentant en 2022 44 % du parc mondial, très loin devant les autres pays !

Usine de traitement du charbon à Hejin (province du Shanxi) en novembre 2019 (photo © AP / TV5 monde)

Et pourtant, la Chine reste très dépendante des énergies fossiles et notamment du charbon dont la consommation annuelle a été multipliée par 4 entre 1990 et 2015 ! Premier producteur mondial de charbon en 2020, la Chine en retire encore 70 % de sa consommation énergétique… Quant au pétrole, la Chine en produit également mais est devenue importateur net depuis 1993 avec des besoins croissants, les hydrocarbures représentant 25 % de sa consommation en énergie primaire. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Chine a ainsi quasiment doublé ses importations de pétrole russe et est désormais considéré comme le premier importateur mondial avec près de 13 millions de barils par jour en 2021 alors que la production nationale était estimée en 2016 à environ 4 millions de barils par jour.

Forage d’exploration pétrolière dans le champ de Changqing en Mongolie intérieur (bassin d’Ordos), où a été découverte la principale réserve chinoise de pétrole de schiste (photo © CNPC / People Daily)

Le rapport annuel 2022 sur les ressources minérales de la Chine fait état de réserves pétrolières connues évaluées à 3,7 milliards de tonnes de pétrole et 6 340 milliards de m3 de gaz naturel, les sites pétroliers les plus prometteurs étant les bassins d’Ordos, de Junggar, du Sichuan, de la baie de Bohai et du Tarim. Ce dernier, situé à l’extrémité nord-ouest du pays, dans la région autonome Ouïgour du Xinjiang, correspond au plus vaste bassin endoréique du monde, celui du fleuve Tarim, alimenté par les glaciers du Pamir qui culmine à plus de 7000 m d’altitude et s’étend surtout au Tadjikistan voisin, les eaux du Tarim se perdant ensuite dans l’immensité désertique du Taklamakan.

Vue générale de la plateforme de forage, en plein désert (source © capture d’écran New China TV / Xinhua news)

Le 30 mai 2023, la société chinoise China Petroleum & Chemical Corporation (groupe Sinopec) a annoncé y avoir débuté le forage d’un nouveau puits dénommé Deep Earth 1-Yuejin 3-3XC, dans le comté de Shaya, à la lisière du vaste désert du Taklamakan. Réalisée par la société chinoise Sinopec Oilfield Service Corporation, cette opération de forage est particulièrement complexe et fait appel à une expertise technologique très sophistiquée. Une plateforme de forage gigantesque a été aménagée en pleine zone désertique, équipée d’un derrick monumental pesant plus de 2000 tonnes avec des installations de forage ultra-puissantes et des systèmes d’enregistrement en continu des paramètres de forages, capables de résister aux températures et aux pressions élevées régnant en profondeur.

L’opération, largement médiatisée, vise à atteindre la profondeur impressionnante de 9 472 m dont probablement plus de 3000 m en forage horizontal dirigé, ce qui nécessite des techniques de guidage particulièrement complexes. Cela devrait en faire le forage pétrolier le plus profond d’Asie, même si cela reste en-deçà du record atteint par les Russes sur la presqu’île de Kola à plus de 12 000 m de profondeur. Il avait cependant fallu près de 20 ans aux Russes pour atteindre difficilement un tel niveau et ils avaient finalement jeté l’éponge face aux difficultés techniques (et financières) rencontrées. Les Chinois eux espèrent achever leur forage en 457 jours seulement !

Plateforme de forage du puits avec son derrick monumental (source © Xinhua news)

La Chine a choisi de communiquer largement sur cette opération de forage, laissant entendre qu’il s’agit d’une expérimentation scientifique exceptionnelle qui permettra de mieux comprendre la constitution de la croûte terrestre. Mais il s’agit en réalité simplement d’étaler au monde entier la capacité technique remarquable de ses équipes dans ce qui n’est qu’un forage d’exploration pétrolière dans ce champ pétrolier du Shunbei, en bordure du bassin du Tarim, où Sinopec avait annoncé en août 2022 avoir déjà découvert des réserves pétrolières estimées à 1,7 milliard de tonnes de brut, à une profondeur moyenne de plus de 7 000 m. Une quinzaine de puits serait d’ailleurs déjà en production et cette même société annonce désormais y avoir déjà foré pas moins de 49 puits à plus de 8000 m de profondeur.

Ultimes réglages avant de débuter le forage… (source © Xinhua news)

Le lancement de ce nouveau forage est donc un message supplémentaire pour prouver au monde que la Chine détient des réserves pétrolières importantes, qui plus est en territoire ouïgour où sa politique colonisatrice assez brutale fait l’objet de nombreuses protestations occidentales, et qu’elle maîtrise parfaitement les technologies les plus complexes pour en assurer l’exploration et la mise en exploitation malgré les conditions extrêmes : fermez le ban !

L. V.

Pollution lumineuse : à quand le retour de la nuit ?

18 juillet 2023

Baisser la consommation d’énergie, qui constitue désormais le premier poste de dépense externe des communes, nécessite en particulier de diminuer l’éclairage public la nuit, car la pollution lumineuse qui en résulte « a un effet dévastateur sur la biodiversité, sur les animaux et en particulier les insectes ». Et ce n’est pas un militant écologique échevelé qui l’affirme, mais la ministre actuelle de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, invitée le 13 juillet 2023 sur Télématin, dans l’émission intitulée Les 4 vérités.

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique invitée le 13 juillet 2023 de l’émission de Télématin Les 4 vérités sur France 2 (source © capture d’écran France TV)

Nommée à ce poste en mai 2022, Agnès Pannier-Runacher n’est pourtant pas précisément connue pour ses prises de position en faveur de la défense de l’environnement en général et de la biodiversité en particulier. Formée à HEC puis à l’ENA, elle est la fille d’un ancien dirigeant de la société pétrolière Perenco et a été mariée pendant plus de 20 ans à un haut cadre d’Engie. Elle-même inspectrice générale des Finances, elle a travaillé quelques années chez un équipementier automobile avant d’être nommée en 2018 Secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire puis ministre déléguée chargée de l’Industrie. Un poste où elle s’est surtout illustrée par sa loi de simplification de l’action administrative qui a largement dénaturé les enquêtes publiques, dernier rempart permettant d’intégrer l’impact environnemental des grands projets d’infrastructures. Une action qui lui a valu de recevoir en 2021 la Casserole d’or décernée par l’association Anticor, saluant ses efforts pour dissuader l’opposition de saisir le Conseil constitutionnel à cette occasion…

Bref, si un tel personnage reconnaît que l’éclairage urbain nocturne est un véritable fléau pour la nature, c’est qu’il est vraiment difficile de prétendre le contraire… De fait, un tiers des vertébrés et deux-tiers des invertébrés vivent partiellement, et parfois exclusivement, la nuit. Le fait d’éclairer notre environnement, y compris souvent le long des axes routiers en dehors même de toute agglomération urbaine, a donc des effets catastrophiques sur de très nombreuses espèces animales, à tel point qu’il est désormais reconnu que la lumière artificielle serait la deuxième cause principale, après l’utilisation des pesticides, de la disparition brutale des insectes à laquelle nous assistons ces dernières années.

Ces impacts de l’éclairage public nocturne sont maintenant bien documentés, grâce notamment à l’action de l’ANPCEN, l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne, qui milite depuis plus de 20 ans pour un meilleur respect de la vie nocturne et a notamment participé aux animations intitulées « Le jour de la nuit », dont la prochaine édition est annoncée pour le 14 octobre 2023.

Partie du constat dénoncé par de nombreux astronomes que l’éclairage urbain rendait inaccessible à une majorité d’humains sur terre la simple observation d’un ciel étoilé, alors même que cette activité a été source d’inspiration universelle et à l’origine de bien des progrès scientifiques de l’humanité, l’ANPCN alerte aussi sur les impacts sanitaires de cet éclairage public nocturne, source de perturbation du sommeil mais aussi de troubles de la vue avec la généralisation des lumières blanches et bleues des fameuses LED, ou plutôt diodes électro-luminescentes en Français…

A Carnoux, un éclairage nocturne a giorno… (source © Ville de Carnoux-en-Provence)

Bien sûr, la raison principale qui justifie un meilleur contrôle de l’éclairage public urbain, celle à laquelle les élus locaux sont le plus sensibles, est d’abord économique : à quoi bon dépenser de l’énergie pour éclairer inutilement le ciel avec, comme corolaire, un gaspillage injustifié de l’énergie devenue rare et chère ? Mais cette approche exclusivement économique, si elle a permis d’améliorer l’efficacité et la sobriété des candélabres, comme c’est le cas à Carnoux depuis plusieurs années, est trop parcellaire et elle occulte un des arguments majeurs qui plaide non pas pour l’utilisation d’éclairages moins énergivores mais pour une approche plus mesurée de cet éclairage en le réservant aux seuls endroits et aux seuls moments où il est indispensable.

Le label Villes et villages étoilés, soutenu par l’Association des maires de France et le Ministère de la transition énergétique : à quand Carnoux sur la liste ? (source © ANPCN)

Laisser un lampadaire éclairé toute la nuit dans un quartier résidentiel, parfois en bordure de zone naturelle boisée, comme c’est le cas à Carnoux, non seulement ne procède pas d’une politique de bonne gestion des deniers publics comme de nos ressources énergétiques, mais c’est surtout un acte criminel qui contribue au réchauffement climatique et participe à la destruction de la biodiversité locale !

En France, ce sont ainsi des milliards d’insectes qui meurent chaque année à cause de ces lumières nocturnes qui les attirent inexorablement et contre lesquelles ils s’écrasent, se grillent les ailes ou finissent par mourir d’épuisement. On estime ainsi que dans une zone éclairée la nuit, l’activité des insectes pollinisateurs est réduite de 60 % !

Couverture d’une plaquette de sensibilisation réalisée par France Nature Environnement de Haute-Savoie (source © Communauté de communes du Haut-Chablais)

Les oiseaux font aussi partie des principales victimes de ces éclairages nocturnes qui les attirent et les désorientent. Nombre d’entre eux se dirigent en se guidant sur les étoiles comme le faisaient les navigateurs avant l’invention de techniques plus modernes. La présence d’autres lumières est donc source de désorientation et l’on voit des oiseaux tourner en rond jusqu’à épuisement autour d’un lampadaire quand ils ne viennent pas se fracasser contre un bâtiment éclairé a giorno… Quant aux espèces lucifuges, comme les chauves-souris, qui ne peuvent se déplacer correctement que dans l’obscurité, l’éclairage public généralisé (cumulée à quelques autres facteurs dont le développement des pesticides et la raréfaction de leur habitat) a conduit à leur quasi disparition en France, les conduisant à chasser en vain dans les zones restées sombres alors que leurs proies sont attirées par les halos de lumière autour des lampadaires…

Les chauves-souris (ici un Grand murin), en voie de disparition, notamment à cause d’un éclairage nocturne excessif (photo © Franck Descnadol & Philippe Sabine / BIOSPHOTO / Le Monde)

De très nombreuses communes ont désormais franchi le pas et procèdent à une gestion intelligente de l’éclairage public, le réservant aux seules zones où il est indispensable et l’éteignant pendant une partie de la nuit là où son impact est nocif pour la faune locale. La ville de Carnoux envisage d’équiper son réseau d’un dispositif permettant d’en faire varier l’intensité lumineuse, voire d’éteindre certains candélabres, première étape vers une telle gestion programmée et adaptée. Il reste à convaincre le Maire que cette approche doit aller jusqu’à éteindre les lampadaires au cœur de la nuit, au moins en dehors de l’axe principal du mail : ce n’est pas encore gagné, sauf si les Carnussiens sensibilisés à la préservation de la biodiversité locale se mobilisent et le font savoir…

L. V.

Fukushima : rejet d’eau radioactive dans le Pacifique

10 juillet 2023

Voilà qui ne va pas rassurer ceux qui craignent l’impact environnemental et sanitaire des centrales nucléaires, alors même que le monde entier observe avec effroi la guerre des nerfs que se livrent Ukrainiens et Russes autour des six réacteurs de la centrale de Zaporijia, la plus grande d’Europe, que certaines rumeurs annoncent minée par l’armée et prête à exploser à tout moment. On a en effet appris par ailleurs, le 4 juillet 2023, dans un rapport rendu public par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), que le projet du Japon de rejeter dans l’océan Pacifique les quelques 1,3 millions de tonnes d’eau radioactive, contaminée par l’accident nucléaire de Fukushima, était « conforme aux normes de sûreté internationales » et aurait « un impact radiologique négligeable sur les personnes et l’environnement » : ouf, on respire !

Vue aérienne du site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi (photo © Kyodo / Reuters / Le Parisien)

Cela fait maintenant 12 ans que les 6 réacteurs de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima Daiichi, exploitée par la société privée Tepco (Tokyo Electric Power Company), sont définitivement arrêtés, toujours en attente de leur démantèlement. C’est en effet le 11 mars 2011, en début d’après-midi qu’un fort séisme au large des côtes japonaises avait déclenché un gigantesque tsunami qui avait atteint, 50 minutes plus tard, cette zone côtière du nord-est de l’île de Honshu, provoquant des vagues dévastatrices de plus de 15 m de hauteur qui avait fait pas moins de 18 000 morts.

Ce jour-là, heureusement, 3 des 6 réacteurs de la centrale étaient à l’arrêt. Mais le tsunami a noyé les bâtiments abritant les groupes électrogènes de secours et a gravement endommagé les prises d’eau situées en mer, destinées au refroidissement des installations. Suite à l’arrêt de toute possibilité de refroidissement, le cœur des 3 réacteurs a progressivement fondu tandis que l’hydrogène produit par la fonte des gaines de combustible faisait exploser le toit de plusieurs des réacteurs avant de provoquer l’embrasement de la piscine du réacteur 4, conduisant le Japon à mettre temporairement à l’arrêt tout son programme nucléaire.

Cuves de stockage d’eau contaminée sur le site de Fukushima (photo © Philip Fong / AFP / Sud Ouest)

D’énormes quantités d’eau de mer ont été pompées et projetées sur le site pour tenter de faire baisser la température, l’eau contaminée étant initialement rejetée en mer puis progressivement recueillie pour être stockée sur place dans des cuves qui se remplissent rapidement. Dès 2013, 1000 réservoirs supplémentaires, de 1000 m3 chacun, sont construits pour stocker toute cette eau radioactive qui s’accumule tandis que des usines de retraitement sont mises en route et qu’une barrière souterraine étanche est édifiée pour limiter la contamination de la nappe.

Mais cela ne suffit plus et les capacités de stockage sont quasiment saturées sans aucune possibilité d’extension, sauf à transporter par camions-citernes l’eau radioactive sachant que chaque jour 140 000 litres d’effluents supplémentaires sont pompés dans les installations ou dans la nappe souterraine contaminée et doivent être stockés après retraitement ! A ce jour, ce ne sont pas moins de 1,34 millions de mètres cube d’eau radioactive qui sont ainsi entreposés sur le site de la centrale, de quoi remplir plus de 500 piscines olympiques…

Rafael Grossi, directeur général de l’AIEA présente au Premier ministre japonais, Fumio Kishida, le rapport de ses services autorisant le rejet en mer des eaux contaminées de Fukushima, le 4 juillet 2023 à Tokyo (photo © Eugène Hoshido / AFP / L’Express)

Depuis des années, les dirigeants de Tepco s’interrogent sur le devenir de cette eau qui continue à s’accumuler de jour en jour. Le traitement qui lui a été appliqué a permis de la débarrasser de 62 des 64 familles de radionucléides qui y sont présents, mais rien à faire pour en éliminer le Carbone 14 et surtout le Tritium qui est le composant radioactif de l’hydrogène présent dans les molécules d’eau elles-mêmes : filtrer l’eau ne permet pas d’obtenir autre chose que l’eau elle-même…

De nombreuses solutions techniques ont été envisagées pour se débarrasser de cette eau toujours radioactive. On a imaginé la faire bouillir pour la rejeter sous forme de vapeur mais qui restera elle-même radioactive et pourrait être encore plus dangereuse car disséminée au gré des vents qui peuvent être très changeants et finalement plus aléatoires que les courants marins eux-mêmes. On a aussi pensé l’injecter dans des couches géologiques profondes entre deux formations argileuses imperméables, comme on le fait pour le stockage de déchets radioactifs en fûts, mais avec un risque non négligeable de migration et de contamination des nappes phréatiques déjà bien mal en point. On a aussi suggéré d’utiliser cette eau pour faire du béton qui serait à son tour stocké en profondeur : c’est plus sûr mais nettement plus cher…

Des réservoirs d’eau contaminée radioactive à perte de vue qui vont tous finir dans la mer… (photo © Kota Endo / Kyodo News / AP / Le Monde)

Bref, après des années de réflexion, les ingénieurs de Tepco sont arrivés à la conclusion que la solution la plus simple et assurément la moins coûteuse consistait tout bonnement à rejeter cette eau dans l’océan Pacifique. Ils ont observé le comportement de poissons élevés dans des bacs d’eau radioactive puis replacés dans de l’eau de mer et qui semblent résister assez bien, ce qui leur a permis de convaincre les ingénieurs de l’AIEA que cette eau, une fois diluée en mer, ne sera finalement pas si toxique que cela.

Une canalisation d’un kilomètre a été construite pour permettre le rejet en mer de toute cette eau contaminée, après dilution préalable, de telle sorte que la radioactivité de l’eau rejetée ne dépasse pas, en principe, 1500 Béquerels par litre, nettement moins que les 4000 Bq/l mesurés à la sortie de l’usine française de La Hague, et encore moins que les normes imposées par l’OMS pour l’eau potable, à savoir 10 000 Bq/l. Toutes les installations ont été testées fin juin et les premiers rejets devraient commencer début août pour s’étaler sur plusieurs décennies.

Des milliers de sacs remplis de terre contaminée, entassés autour de la centrale de Fukushima sans que personne ne sache très bien quoi en faire… (photo © AFP / Est Républicain)

Il avait fallu 12 ans pour construire la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, entre 1967 et 1979. Il faudra sans doute un demi-siècle à partir de son arrêt en 2011 pour achever son démantèlement… Au lendemain de la catastrophe, un immense chantier avait déjà été entrepris pour décaper les sols contaminés sur une zone d’environ 9000 km2 et en extraire le Césium dont la radioactivité met 30 ans pour diminuer de moitié. Cette opération a coûté une petite fortune, estimée à 24 milliards de dollars et a généré une montagne de déchets, évaluée à 20 millions de m3, toujours entreposés sur place en attendant un éventuel transfert ultérieur. Toutes les zones résidentielles ont été traitées, les fossés curés, les toitures et les façades lavées, les jardins décapés et les zones boisées assainies dans un rayon de 20 m autour des habitations, mais pas au-delà. 75 % de la surface contaminée, occupée par des forêts, est donc restée à l’écart de ce traitement et laissée en l’état jusqu’à ce jour, conservant son potentiel de césium radioactif qui continue à se disperser au gré des événements climatiques.

Manifestation à Séoul en Corée du Sud, le 30 juin 2023, contre les rejets d’eau radioactive dans le Pacifique (photo © Ahn Young-Joon / AP / Le Monde)

La pêche est toujours interdite dans les cours d’eau de la région. Mais aucune mesure n’est envisagée pour restreindre les activités de pêche dans l’océan à proximité des zones de rejets de l’eau contaminée, les autorités étant persuadées que la dilution naturelle suffira à éviter tout impact dommageable sur l’environnement. Une appréciation qui est loin de convaincre tout le monde, y compris dans les pays limitrophes dont la Chine et la Corée du Sud où l’on assiste déjà à des manifestations bruyantes de marins-pêcheurs tandis qu’on observe une amorce de spéculation sur le prix du sel : les ingénieurs de Tepco, quelque peu décrédibilisés par leur gestion de la catastrophe de 2011, vont devoir faire preuve de pédagogie pour convaincre de la pertinence de leurs choix techniques simples et peu coûteux…

L. V.

Des panneaux solaires sur le bitume !

12 juin 2023

L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on souvent, mais la route est parfois pavée de mauvaises innovations, pourrait-on ajouter, au vu du fiasco qu’a constitué le déploiement du premier tronçon de route avec revêtement solaire, inauguré en grandes pompes en décembre 2016 par Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement. L’idée paraissait pourtant séduisante et l’entreprise Colas se gargarisait alors de sa technologie hautement innovante, pompeusement baptisée Wattway, « premier revêtement photovoltaïque circulable au monde ». Constitué de dalles très minces de quelques mm d’épaisseur, ce revêtement était collé directement sur la chaussée, évitant ainsi les risques de vol.

Ségolène Royal, alors ministre de l’Environnement, lors de l’inauguration du premier tronçon de la route solaire à Tourouvre, en Normandie, le 22 décembre 2016 (photo © Charly Triballeau / AFP / Le Monde)

Un premier tronçon de 1 km de route départementale avait ainsi été équipé en 2016, dans la petite commune de Tourouvre-en-Perche, en partenariat avec le Département de l’Orne. Après ce premier test grandeur nature, l’industrialisation du procédé était programmée dès 2017, avant de couvrir tout le réseau routier français de millions de mètres carrés dès 2020. Peu après d’ailleurs, en 2018, les Chinois inauguraient à leur tour un tronçon de 1,6 km d’autoroute recouverte de cellules photovoltaïques à Jinan, dans la province du Shandong, un dispositif conçu par le fabricant local Pavenergy et mis en œuvre par une entreprise de construction routière.

A l’époque, chacun s’extasiait sur cette innovation technologique majeure promise à un avenir brillant, permettant de valoriser l’espace routier pour y produire de l’électricité pouvant servir aussi bien à déneiger les routes l’hiver qu’à alimenter la signalisation routière voire à recharger directement les quelques voitures électriques à induction circulant sur la chaussée. Mais force est de constater que l’on a vite déchanté. Dès 2019, un article du Monde dressait un bilan calamiteux de l’expérience normande où, en l’espace de 2 ans seulement, une bonne partie des cellules photovoltaïques s’étaient décollées ou avaient été arrachées sous l’effet de la friction des pneus tandis que le rendement énergétique était bien moindre qu’espéré, du simple fait des salissures et des feuilles tombant sur la chaussée. Celle-ci s’est également avérée très bruyante et peu adhérente, à tel point que la vitesse a dû y être limitée à 70 km/h et on a même vu le dispositif disjoncter en cas d’orages…

Côté chinois, le bilan est tout aussi calamiteux, dans ce pays pourtant en pointe en matière de développement des énergies renouvelables et premier producteur mondial d’électricité photovoltaïque. Sept des dix plus grosses entreprises mondiales fabricant des panneaux photovoltaïques sont chinoises, ce pays fournissant près de 70 % des modules photovoltaïques du monde et étant à l’origine de 44 % de l’électricité solaire produite dans le monde, très loin devant les États-Unis, le Japon, l’Inde ou même l’Allemagne, sans même parler de la France.

Travailleurs chinois installant des panneaux solaires sur un toit à Beijing en 2011 (photo © ChinaFotoPress / MaxPPP / La Croix)

Mais en Chine comme en France il a bien fallu se rendre à l’évidence et constater que recouvrir l’asphalte routier de panneaux solaires coûte très cher (la seule expérience de Tourouvre a nécessité d’injecter plus de 5 millions d’euros d’argent public) et n’est guère rentable, dans l’état actuel des choses. L’entreprise Wattways s’est d’ailleurs depuis reconvertie vers l’installation de petites surfaces de capteurs photovoltaïques, destinés à alimenter des dispositifs de signalisation routière, d’éclairage ou de vidéosurveillance, non raccordés au réseau.

Panneaux photovoltaïques Wattways sur une piste cyclable le long du canal de l’Ourcq à Bobigny, permettant d’éclairer un passage sous un pont SNCF (photo © C.G. / Le Parisien)

Pour autant, l’idée d’exploiter le réseau routier voire ferroviaire pour y produire de l’électricité solaire est loin d’être abandonnée. Le bureau d’étude Carbone 4 avait d’ailleurs réalisé en 2017 une étude visant à explorer la voie de l’électrification des autoroutes les plus fréquentées. Partant du principe que le transport routier consomme en France 30 % de l’énergie et émet une proportion comparable des émissions de gaz à effet de serre du pays, dont la moitié pour le seul transport de fret par camion, il y a une vraie nécessité à réfléchir à des solutions alternatives. Le fret ferroviaire ne cesse de perdre des parts de marché et est devenu marginal dans le transport de marchandise, n’étant rentable que pour des acheminements sur de longues distance, pour des produits pondéreux en vrac et non périssables.

Électrifier les camions ne paraît pas judicieux, du moins avec les technologies actuelles, à cause du poids excessif des batteries et de leur autonomie limitée. On pourrait en revanche imaginer des poids lourds hybrides utilisant leur moteur électrique sur les grands axes de circulation à condition d’équiper ces derniers de dispositifs d’alimentation électrique continue. Pour cela, plusieurs idées seraient à l’étude avec une alimentation des véhicules par caténaires, par rail central ou par induction notamment, au moins sur une voie, pour permettre la circulation des poids lourds à moindre impact écologique sur ces grands axes, avec des niveaux d’investissement financier qui ne paraissent pas démesurés. Un tronçon test de 5 km a d’ailleurs déjà été équipé de caténaires pour camions en Allemagne près de Francfort en 2019 pour évaluer l’intérêt du dispositif.

Camions avec pantographe sur le tronçon expérimental d’autoroute près de Francfort équipé de caténaires (photo © Silas Stein / AFP / DPA Pictures-Alliance / Europe camions)

En attendant, nombreux sont ceux qui lorgnent sur les espaces disponibles le long des grands axes routiers et autoroutiers, ainsi que sur les délaissés de voirie, voire les aires d’autoroutes que beaucoup rêvent de couvrir d’ombrières photovoltaïques. Certains élus de la Ville de Marseille imaginent ainsi couvrir la L2 de panneaux solaires dans ses traversées urbaines, mais le concessionnaire autoroutier APRR, du groupe Eiffage, a déjà installé plusieurs centrales photovoltaïques au sol sur ses délaissés fonciers, en Savoie ou en Bourgogne notamment.

Centrale photovoltaïque au sol inaugurée en juin 2022 par TotalEnergies, Altergie Développement et APRR sur un délaissé de l’autoroute A6 à Boyer et Jugy en Saône-et-Loire (photo © Erolf productions / L’écho du solaire)

Quant à son concurrent, Vinci autoroutes, il annonçait par la voie de son président en mars 2023, envisager de couvrir de panneaux solaires tout son patrimoine foncier disponible le long de ses 4443 km de réseau autoroutier concédé, soit 1000 hectares disponibles, auquel il rajouterait bien les 4000 hectares du réseau ferré de la SNCF, de quoi fournir autant d’électricité que 5 centrales nucléaires, le tout pour un investissement qu’il évalue à 5 milliards d’euros seulement, soit 5 fois moins cher que le coût de construction de la centrale EPR de Flamanville : à ce prix-là, pourquoi hésiter ?

L. V.

Au Nord, ce sera les batteries…

10 juin 2023

Le Nord de la France a longtemps été connu pour ses corons, ces cités ouvrières constituées d’un alignement de petites maisons mitoyennes en briques, si typiques des banlieues industrielles qui ont poussé comme des champignons dans la seconde moitié du XIXe siècle dans le Nord et le Pas-de-Calais, associés à l’essor local de l’exploitation minière du charbon, et de la sidérurgie. En 1906, la catastrophe de Courrières, liée à un coup de grison y a fait plus de 1000 morts dans un vaste réseau minier près de Lens, ce qui en dit long sur l’importance de la main d’œuvre alors occupée à l’exploitation de la houille.

Coron de la cité La Parisienne à Drocourt (photo © Hubert Bouvet / Région Nord Pas-de-Calais / Patrimoine mondial)

En 1947, on comptait plus de 200 000 mineurs en activité dans le bassin houiller du Nord Pas-de-Calais. Cinq ans plus tard, en 1952, sous l’effet de la mécanisation, ce nombre avait déjà été divisé par deux pour une production qui avait néanmoins augmenté, atteignant plus de 29 millions de tonnes par an !

Mais le déclin s’amorce dans les années 1960 et, en 1984, les Houillères du Nord ne comptent plus que 21 000 mineurs avant de stopper définitivement l’extraction fin 1990. En parallèle s’était développée une industrie sidérurgique florissante dans le Valenciennois et la vallée de la Sambre, alimentée par le charbon du Nord et le minerai de fer lorrain. Relancée dans les années 1960 avec du minerai de fer importé, la sidérurgie connait à son tour le déclin tandis qu’à partir des années 1980 ce sont les autres industries, textiles et automobiles notamment, qui commencent à leur tour à battre de l’aile. Depuis la fin des années 1980 la moitié des emplois d’ouvriers non qualifiés travaillant dans l’industrie du Nord et du Pas-de-Calais ont été supprimés, et il n’en restait plus que 185 000 en 2018.

Ancien carreau de mine et terrils de charbon à Loos-en-Gohelle, près de Hénin-Beaumont (source © French wanderers)

Mais voilà qu’une nouvelle filière est peut-être en train de se mettre en place avec l’implantation de pas moins de 4 gros projets de fabrication de batteries électriques, susceptibles d’équiper nos voitures de demain. Le plus avancé est celui de la société ACC (Automotive Cells Company), créée en 2020 en partenariat entre l’équipementier Saft, désormais filiale de TotalEnergies, et les groupes PSA et Mercedes-Benz. Plusieurs centres de production sont envisagés mais le premier est en train de voir le jour sur le site de Douvrin, dans la banlieue de Lens, à côté de l’usine automobile de PSA devenue Stellantis. Inaugurée le 30 mai 2023, cette première usine devrait permettre d’embaucher plus de 2000 salariés et fournira d’ici 2030 de quoi équiper en batterie de l’ordre de 500 000 véhicules électriques.

L’usine de batteries ACC implantée tout récemment sur les communes de Douvrin et de Billy-Berclau, près de Lens (photo © France 3 régions)

Le groupe sino-japonais Envision- AESC devrait lui emboîter le pas en développant à partir de 2024 sa propre usine de fabrication de batteries, près de Douai, pour le compte de Renault et à proximité de l’usine de ce dernier. Détenu à 80 % par le Chinois Envision et à 20 % par Nissan, ce groupe possède déjà 4 usines de ce type dans le monde et a déjà équipé plus de 600 000 véhicules électriques. Cette implantation s’inscrit comme la précédente dans la stratégie européenne de réindustrialisation pour fabriquer localement les batteries qui devront équiper nos véhicules de demain, les voitures à moteur thermique étant vouées à disparaître d’ici 2035.

La start-up grenobloise Verkor, développe de son côté un projet d’implantation d’une usine gigantesque près de Dunkerque, qui devrait employer à terme 2000 salariés et créer 5000 emplois indirects, moyennant un investissement colossal de 2,5 milliards d’euros, des batteries qui devraient aussi alimenter les véhicules Renault de demain. Les premiers coups de pioche sont prévus dès l’été 2023 et le site devrait être opérationnel à partir de 2025. De quoi donner du baume au cœur au Chef de l’État, Emmanuel Macron, qui se réjouissait avec emphase en février 2022 de cette implantation qui « permet de faire des Hauts-de-France la vallée de la batterie, un segment essentiel pour produire sur notre sol les voitures électriques de demain ».

Maquette de la future gigafactory de batteries imaginée par la société grenobloise Verkor près de Dunkerque (source © Verkor / La Tribune)

Et voilà qu’un quatrième site de production de batteries pour véhicules électriques est désormais annoncé, toujours dans ce même secteur géographique, cette fois par le groupe taïwanais ProLogium, lequel envisage d’implanter deux sites de production massive de batteries électriques solides, sur le grand port maritime de Dunkerque. Des dispositifs qui présentent, par rapport aux batteries plus classiques lithium-ion, l’avantage d’être plus légères et d’avoir une longévité supérieure, ce qui leur confère un bilan carbone global meilleur tout en acceptant des puissances de charge plus élevées, donc des vitesses de rechargement plus rapides.

Les batteries produites par la société taïwanaise ProLogium fondée en 2006 (source © ProLogium / L’Usine nouvelle)

Ce dernier projet de ProLogium, qui correspondrait à un investissement global de 5,2 milliards d’euros, n’a pas encore été confirmé, mais c’est néanmoins l’euphorie au pays des corons qui voit son avenir industriel s’éclaircir de nouveau avec cette manne d’investissement dans les batteries du futur : après le textile, les betteraves à sucre, le charbon et l’acier, cap sur les batteries !

L. V.

Un volant en béton pour stocker l’énergie solaire ?

3 juin 2023

En matière d’innovation, il ne suffit pas d’avoir de bonnes idées. Encore faut-il savoir les défendre avec conviction et persévérance pour espérer les voir se concrétiser. C’est peut-être le cas de cet ingénieur en mécanique, André Gennesseaux, ancien de chez Total, qui avait su captiver son auditoire, fin 2015, en expliquant de manière très pédagogique, son intuition révolutionnaire, à l’occasion d’une conférence organisée à Paris dans le cadre du programme TEDx, un cycle de conférences inspiré par une association américaine qui promeut des « idées qui méritent d’être diffusées » via ces conférences « Technology, Entertainement and Design »…

Conférence donnée par André Genesseaux fin 2015 dans le cadre du programme TEDx à Paris (source © YouTube)

Comme il l’explique très bien, tout l’enjeu est de rechercher une manière simple et économique de stocker l’énergie solaire dont la production est peu coûteuse mais intermittente. Produire de l’électricité par capteurs photovoltaïques coûte de moins en moins cher, de l’ordre de 2 centimes le kWh, moins que le charbon (autour de 4), que le nucléaire (5 à 10 selon les filières) ou encore que le gaz (autour de 6). Mais comme la production est intermittente, il faut la stocker et cela suppose d’utiliser des batteries dont la production coûte cher et est exigeante en matières premières rare, qu’il est difficile de recycler et dont la durée de vie est limitée, leur efficacité diminuant rapidement avec le temps.

André Gennesseaux devant l’un de ses volants d’inertie VOSS (photo © Thibault Quartier / Le Trois info)

D’où cette quête effrénée d’une solution alternative pour stocker l’électricité ainsi produite. Les adeptes des Shadoks ont déjà largement phosphoré pour imaginer des solutions plus ou moins adaptées. Celle que propose André Gennesseaux n’a d’ailleurs rien de révolutionnaire puisqu’elle s’appuie sur une technologie ancienne et largement éprouvée, celle du volant d’inertie. Une masse tournant autour d’un axe emmagasine de l’énergie cinétique qu’elle peut restituer sous forme d’électricité si on la couple avec un alternateur. L’électricité produite par un panneau photovoltaïque peut ainsi entrainer la rotation. Une fois le volant lancé à grande vitesse, l’inertie entretient cette rotation qui continue à produire de l’électricité pendant une dizaine d’heures, une fois le soleil couché.

Schéma de principe d’un volant de stockage solaire développé par la société Energiestro : le cynlindre en béton précontraint (1), reposant sur de simples roulements à billes (3) assistés par une butée magnétique passive (5), est relié à un moteur-alternateur (2) qui l’entraine en phase d’accélération et produit de l’électricité en phase de freinage, l’ensemble étant maintenu dans le vide par une enceinte en béton étanche (6) pour éviter les frottements. Un convertisseur électronique transforme le courant continu produit par les panneaux solaires en courant alternatif haute fréquence pour alimenter le moteur (source © Energiestro)

D’autres avaient déjà testé cette approche mais avec des volants en acier ou en carbone qui coûtent très cher car il faut une masse importante pour que le volant d’inertie puisse fonctionner toute une nuit, lorsque le soleil n’est pas au rendez-vous. L’innovation introduite par André Gennesseaux consiste donc à remplacer ces matériaux coûteux par un qui l’est 10 fois moins et est plus facile à produire : le béton. Mais comme le volant d’inertie est soumis en rotation à des contraintes de traction très élevées, il faut utiliser du béton précontraint. C’est toute l’astuce de l’innovation apportée par ce VOSS, un « volant de stockage solaire », mis au point et breveté par André Gennesseaux, et qui a été récompensé en 2015 par l’attribution du prix EDF Pulse.

Notre ingénieur a créé en 2001, avec son épouse Anne, sa société qu’il a baptisée Energiestro, ce qui signifie « énergie » en Esperanto. Il avait d’abord tenté de développer un groupe électrogène fonctionnant à l’huile végétale avant de se tourner vers son volant inertiel solaire, son ambition étant d’exporter cette technologie partout dans le monde, mais principalement dans les milieux insulaires et les pays en développement où elle est le plus adaptée, faute de possibilité de raccordement à un réseau maillé comme en métropole et du fait de la facilité à produire sur place et à moindre coût les gros cylindres en béton qui la constituent, robustes et capables de fonctionner pendant une trentaine d’années sans entretien, sur un million de cycles.

Le Préfet du Territoire de Belfort en visite dans les nouveaux locaux d’Energiestro, en présence d’Anne et André Gennesseaux (photo © Facebook / Préfecture du Territoire de Belfort)

Initialement installée à Châteaudun, en Eure-et-Loir, sa société a déménagé fin 2021 pour s’implanter à Essert, dans le Territoire de Belfort, attirée par les subventions du Conseil régional de Bourgogne-Franche Comté et par le riche tissu local de sous-traitants dans le domaine de la mécanique de précision. Des partenariats ont désormais été noués avec Voltalia, un fournisseur d’énergie renouvelable, et avec Engie. Et des perspectives commencent à se dessiner pour des premières mises en application notamment en Guyane et à Madagascar où la société malgache Filatex a pris une participation à hauteur de 41 % en injectant 10 millions d’euros dans le projet. Une centaine de VOSS devraient être produites dès cette année.

L’avenir dira si la brillante idée d’André Gennesseaux arrivera à se concrétiser et à contribuer efficacement au problème récurrent de stockage de l’énergie solaire. Une chose est sûre : il ne suffit pas d’innover pour réussir mais il faut aussi une bonne dose de patience et de persévérance pour passer du concept à l’opérationnel…

L. V.