De quoi Neom est-il le nom ?

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Tapis volants, djinn malicieux et lampe magique d’Aladin : le Moyen-Orient a toujours fait rêver les Occidentaux, bercé par les Contes des mille et une nuits. C’est peut-être cette veine que cherche à exploiter le dirigeant tout puissant d’Arabie Saoudite, le prince héritier Mohamed ben Salmane, lorsqu’il fait connaître au monde entier le 24 octobre 2017, via une vidéo promotionnelle projetée à Ryad dans le cadre du « Davos du désert », devant un aréopage de personnalités parmi lesquelles Tony Blair, Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy, ce projet un peu fou qui consiste à créer une nouvelle mégapole dans le désert, sur une superficie équivalente à celle de la Bretagne, à l’extrémité nord-ouest de son pays, près de la Mer Rouge et de la frontière avec l’Égypte et la Jordanie.

Présentation du projet Neom à Ryad le 24 octobre 2017 (photo © Fayed Nureldine
/ AFP / France 24)

Le nom du projet lui-même annonce la couleur, amalgame du préfixe grec « neo » (nouveau) et de l’arabe « mostaqbal » (futur). C’est bien une ville on ne peut plus futuriste que veut concevoir le prince saoudien, à rebours de l’image médiévale de son pays, arc-bouté sur des pratiques sociales et religieuses d’un autre temps. Cette future mégapole sera alimentée exclusivement en énergie renouvelable avec panneaux solaires et éoliennes à tous les étages. On s’y déplacera uniquement en véhicules électriques et taxis volants. L’alimentation proviendra de fermes industrielles verticales totalement hors-sol. Une fausse lune et une plage illuminée la nuit viendront parfaire ce décor de rêve pour milliardaires avant-gardistes qui, pour se distraire, pourront se rendre dans un Jurassic park géant voir évoluer une myriade de robots dinosaures.

Neom, la ville qui devrait abriter plus de robots que d’humains selon son concepteur, le principe Mohamed ben Salman…

Dans cette ville du futur, tout sera connecté et robotisé. Le suivi médical de la population comme l’éducation se feront uniquement via l’intelligence artificielle et des robots spécialisés, tandis que les tâches ménagères seront confiées à des valets robotisés et les livraisons à des drones supersoniques. Même la météorologie y sera maîtrisée grâce à des dispositifs permettant d’ensemencer les nuages à volonté.

La reconnaissance faciale sera généralisée et un système automatisé de flicage permettra de surveiller en permanence les faits et gestes de chacun, pour la plus grande tranquillité de tous, avec l’intervention de robots gladiateurs pour assurer l’ordre en cas de besoin. Selon le bon prince héritier avant-gardiste, qui inscrit ce projet dans sa fameuse « Vision 2030 » pour préparer son pays à l’après-pétrole, « la ville doit supplanter la Silicon Valley en terme de technologie, Hollywood en terme de divertissement et la Riviera méditerranéenne en terme de tourisme », rien que ça…

Un projet futuriste qui laisse rêveur… (source © Pirate-972)

Le coût de ce projet est à la hauteur de sa démesure : 500 milliards de dollars… C’est beaucoup, même pour un pays richissime comme l’Arabie saoudite qui, grâce à la rente pétrolière, s’est constitué un fonds souverain doté de 2 000 milliards de dollars pour préparer l’avenir. D’autant que les cours du pétrole se sont effondrés et que l’Arabie saoudite est engagée, depuis 2015, à l’initiative justement de ce même Mohamed ben Salmane, par ailleurs ministre de la Défense, dans une guerre meurtrière au Yémen, qui a déjà fait plus de 100 000 morts et finit par coûter cher. Le déficit public du pays atteint d’ailleurs un niveau record de 50 milliards de dollars, financé principalement par des émissions de dette.

Et par ailleurs, le prince héritier, bien que courtisé par de nombreux dirigeants mondiaux, Donald Trump en tête, commence à inquiéter certains du fait de sa conception aussi personnelle qu’autoritaire du pouvoir. L’assassinat qu’il aurait lui-même commandité, du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dont le corps a été proprement découpé en morceaux dans les locaux du consulat saoudien à Istanbul en octobre 2018, a quelque peu terni la bonne réputation de ce jeune dirigeant aux idées larges, amateur de jeux vidéos mais aussi de décapitations dont le nombre s’est accru de manière très significative depuis son accession au pouvoir. On lui attribue l’enlèvement du premier ministre libanais Saad Hariri en novembre 2017, mais aussi l’arrestation musclée suivi d’un véritable racket d’un grand nombre de princes de la famille royale et de hautes personnalités. Même son père, le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud, qui l’a pourtant porté au pouvoir en juin 2017, s’en méfie dit-on et craint une révolution de palais à son encontre…

Le prince Mohamed ben Salmane (photo © Fayed Nureldine / AFP / Le Point)

Bref, le prince, tout visionnaire et puissant qu’il soit, a besoin, pour mettre en œuvre ce projet pharaonesque, de l’aide financière d’investisseurs étrangers. D’où ces images pour le moins surprenantes pour qui connaît un peu la réalité de l’Arabie saoudite actuelle, de femmes dévoilées et hyperactives trinquant en souriant dans la vidéo promotionnelles, analysée notamment par Le Monde : à Neom, l’alcool sera autorisé et les femmes libérées, du moins le temps de boucler le tour de table financier… La ville elle-même sera d’ailleurs organisée et gérée comme n’importe quel projet financier, chacun devant acheter des parts en bourse pour venir s’y installer et un conseil d’administration faisant office de gouvernement local.

La vie à Neom : un bonheur de contes de fées : extrait de la vidéo promotionnelle (source © Connaissance des énergies)

Le calendrier du projet prévoyait que l’essentiel de la ville du futur serait opérationnel d’ici 2025 et pour cela, Mohamed ben Salmane en a confié les rênes à l’Allemand Klaus Kleinfield, ancien directeur général de Siemens et d’Alcoa (groupe américain, troisième producteur mondial d’aluminium), une valeur sûre de l’establishment mondialisé. On retrouve dans le conseil scientifique de Neom, des stars mondiales comme l’architecte Norman Forster, le designer d’Apple, Jonathan Ive, le fondateur d’Uber, Travis Kalanick, un ancien vice-président de la Commission européenne ou encore un ex secrétaire d’État américain à l’énergie. Que du beau monde donc et qui dispose d’un carnet d’adresse bien fourni et d’un incontestable pouvoir de persuasion auprès de la sphère financière internationale.

Un aéroport a déjà été aménagé et quelques palaces sont effectivement en cours de construction, mais le contexte économique et politique actuel risque bien de retarder quelque peu la naissance de cette ville du futur. Les critiques mondiales auxquelles doit faire face le prince Mohamed ben Salmane du fait de sa gestion assez brutale de la guerre au Yémen et de sa vision quelque peu expéditive du droit de l’opposition l’ont malgré tout fragilisé, d’autant que son pays fait désormais face à une baisse sans précédent des revenus pétroliers, suite à l’arrêt brutale des activités économiques, lié au Covid-19, mais aussi du fait de prises de positions assez hasardeuses de l’Arabie saoudite elle-même.

Pas facile dans ces conditions de continuer à attirer pour un projet aussi farfelu les investisseurs étrangers, même avec de belles histoires de tapis volants et de dinosaures high-tech. D’autant qu’un petit grain de sable vient encore de s’insinuer dans la belle machine bien huilée de propagande saoudienne. Il se trouve en effet que la région où doit être édifiée cette ville du futur, bien que désertique, abrite néanmoins de nombreux village de pêcheurs sur les côtes de la Mer Rouge et pas moins de 20 000 Bédouins de la tribu des Howeitat, installée sur ces terres depuis des temps immémoriaux.

Abdel Rahim Al-Huwaïti, abattu pour avoir exprimé sur Twitter son opposition au projet Neom (source © Twitter)

Le régime saoudien n’allait évidemment pas s’embarrasser d’un tel obstacle et a lancé, début 2020, l’expulsion de ces gêneurs. Sauf qu’une vidéo apparue le 12 avril 2020 sur Twitter, montre un de ces habitants, originaire du village d’Al-Khurayba en bordure du golfe d’Aqaba, et dénommé Abdel Rahim Al-Huwaïti, qui explique posément, le front soucieux et les yeux mi-clos, dans quelles conditions se fait le déplacement forcé de ces populations invitées à quitter les lieux pour faire place nette au futur enchanteur. « Je suis contre le déplacement forcé des gens. Je veux juste rester dans ma maison » affirme l’homme d’une voix fatiguée, tout en ajoutant : « Je ne serais pas surpris qu’ils viennent me tuer, dans ma maison, qu’ils y jettent des armes et qu’ils me qualifient de terroriste ». C’est d’ailleurs exactement ce qu’il s’est produit, l’homme en question ayant été abattu dès le lendemain par les forces de sécurité venues l’arrêter.

C’est en effet la force des régimes autoritaires qui ne laissent pas de place au doute ni à l’hésitation. Le message est clair et devrait sans doute accélérer le déménagement forcé des quelques récalcitrants qui ne seraient pas encore convaincus par cette vision futuriste et quasi prophétique que le bon prince Mohamed ben Salmane nourrit pour son pays, engagé à grands pas dans une marche accélérée vers un Progrès radieux qui ne peut que faire rêver…

L. V.

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3 Réponses to “De quoi Neom est-il le nom ?”

  1. COP 28 : peut-on encore espérer ? | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] international, futur laboratoire du développement des énergies renouvelables, à l’instar de la ville de Neom projetée en Arabie Saoudite. Mais 17 ans plus tard, le projet, mis en sommeil durant la crise […]

  2. La guerre actuelle entre Israël et le Hamas selon l’érudit musulman et philosophe spécialisé en eschatologie islamique, Sheikh Imran Hosein – Profession Gendarme Says:

    […] vague de répression contre les Howeitat réfractaires au projet. Shadli al-Huwaiti a vu son frère tué en avril 2020 par les forces de l’ordre alors qu’il manifestait contre […]

  3. Projet Nestor : EDF vend son âme au diable… | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] de créer ex nihilo, dans la province désertique de Tabuk, au nord-ouest du pays, une mégapole du nom de Neom, dont la superficie devrait approcher celle de la Belgique toute […]

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