Archive for avril 2020

Amundsen au pôle Sud : petite leçon de management…

28 avril 2020

Tirer parti de l’expérience des Grands Hommes de l’Histoire, la démarche n’est pas nouvelle. Les Anciens déjà avaient à cœur de relater les faits politiques des grands stratèges du passé en partant du principe que les leçons du passé pouvaient servir à se guider dans l’avenir ou tout du moins à ne pas renouveler les même erreurs. Et voilà que de nos jours, les coachs en management qui fleurissent sur la planète et se pressent pour proposer leurs services aux plus grandes entreprises, se plaisent à leur tour à faire resurgir du passé certains faits historiques illustres pour conseiller leurs clients.

L’un de ces épisodes dont les experts en management raffolent est celui qui vit s’affronter, peu avant la première guerre mondiale, deux équipages d’explorateurs déterminés à être les premiers à mettre le pied au pôle Sud. Une âpre compétition de vitesse entre deux équipes de nationalité différente cherchant à atteindre un même objectif que beaucoup jugeaient alors impossible, dans un milieu particulièrement hostile, sans aucune aide possible de l’extérieur et où chacun ne peut compter que sur ses propres forces.

Robert Falcon Scott en habit d’officier de la Royal Navy (source © J.R. Freeman & Co. Ltd / British Museum / Encyclopaedia Britannica)

En l’occurrence, les Britanniques emmenés par le capitaine Robert Falcon Scott, officier de la Royal Navy, sont les favoris lorsqu’ils embarquent à bord du Terra Nova, le 15 juillet 1910. L’expédition a tout pour réussir, composée d’une équipe pléthorique et expérimentée et dotée d’un équipement ultra-moderne et parfaitement étudié, bénéficiant en outre de l’expertise acquise deux ans auparavant par un compatriote, Ernest Shackleton qui avait réussi à reconnaître le parcours sur 80 % de l’itinéraire.

Ils sont d’autant plus convaincus de réussir l’exploit d’être les premiers hommes à fouler du pied ce lieu mythique qu’est le pôle Sud géographique, qu’ils ignorent même avoir un concurrent. C’est deux jours seulement après leur départ qu’ils apprennent par un télégramme qu’un autre équipage, norvégien celui-là, est également en route vers l’Antarctique, dans le même objectif qu’eux. A sa tête se trouve un fils d’armateur, Roald Amundsen, sportif accompli et skieur émérite, qui s’est fait connaître en parvenant, à l’issue de trois longues années d’exploration, à reconnaître le fameux passage du Nord-ouest, un tracé mythique recherché depuis des siècles par plus d’un navigateur et qui permet de relier à travers les glaces, au nord du continent américain, l’Océan Atlantique au Pacifique.

Roald Amundsen (source © Wikimedia Commons)

Fort de cette expérience, qui lui a permis d’apprendre, au contact des Inuits, les meilleurs techniques de survie en milieu polaire hostile, l’objectif d’Amundsen est d’atteindre le pôle Nord. Mais on apprend en 1909 que c’est déjà chose faite, même si la querelle entre les deux Américains qui s’en attribuent l’exploit, Robert Peary et Frederick Cook, est pour le moins confuse, chacun accusant l’autre de mensonge… Du coup, Amundsen change d’objectif à la dernière minute et fait cap vers l’Antarctique, à bord du Fram, sans même en avertir son propre gouvernement !

Arrivé le 14 janvier 1911 dans la Baie des Baleines, le Fram débarque son équipage qui y installe son camp de base. Il y est rejoint en février par le Terra Nova qui fait escale après avoir déposé l’expédition de Scott début janvier aux abords du détroit de Mc Murdo. Les navires repartent pour poursuivre leur programme d’exploration polaire et aller recherche du ravitaillement : rendez-vous est pris pour début 1912… Après des mois de préparation, visant notamment à installer les dépôts de vivres le long de l’itinéraire, suivi par un long hivernage éprouvant et un faux départ prématuré qui faillit être fatal, l’expédition menée par Amundsen s’ébranla finalement le 19 octobre 1911 et le 14 décembre 1911 elle atteignait son but, le pôle Sud où elle s’attarda plusieurs jours, le temps de faire les relevés nécessaires et y laisser les preuves irréfutables de son passage. Le retour se fait à bride abattue et le 25 janvier 1912 l’expédition est de retour au camp de base après avoir parcouru 3440 km en 99 jours !

Roald Amundsen et ses compagnons au pôle Sud le 16 décembre 1911 (photo © Olav Bjaaland / archives)

Le 30 janvier, Amundsen embarque immédiatement pour Hobart, en Tasmanie, où il arrive le 7 mars et envoie le télégramme qui annonce sa victoire, alors même que l’on n’a aucune nouvelle de l’expédition menée par Scott. C’est en février 1913 seulement, un an plus tard, qu’il apprit que Scott et quatre de ses compagnons avaient atteint à leur tour le pôle Sud le 17 janvier 1912 mais ils étaient morts le 29 mars lors du voyage de retour. Leurs corps avaient été retrouvés en novembre 1912 après la fin de l’hiver antarctique, avec, dans la poche du capitaine Scott, la lettre qu’Amundsen avait laissée au pôle pour certifier son exploit…

Si cette expédition a été si souvent décrite et analysée dans le détail, outre son caractère tragique à souhait, c’est qu’elle illustre deux approches assez radicalement différentes en matière l’organisation et de management. Le Norvégien avait délibérément fait le choix d’une équipe très réduite. L’équipage embarqué à bord du Fram était limité à 19 personnes, toutes choisies personnellement par Amundsen, dont 9 seulement restèrent sur place. Seuls 5 d’entre eux sont retenus pour s’élancer en octobre à l’assaut du pôle, accompagnés de 4 traîneaux et pas moins de 52 chiens, sur les 116 apportés sur place.

L’équipe britannique au pôle Sud le 18 janvier 1912 avec Robert Falcon Scott debut au centre (photo © Henry Robertson Bowers / Wikimedia Commons / Ça m’intéresse)

A l’inverse, le Britannique Scott a recruté un véritable bataillon de 65 hommes, choisis parmi 8 000 candidats, dont 50 militaires. Il a surtout misé sur du matériel plus moderne, dont 3 véhicules à chenilles, 45 traîneaux ainsi que 19 poneys de Sibérie, supposés bien résister au froid polaire, et seulement 34 chiens. Il avait également fait développer spécifiquement pour son expédition du matériel et des vêtements très innovants, à la pointe de la technologie, alors que les Norvégiens misaient eux sur des équipements beaucoup plus traditionnels en fourrure de phoque, nettement moins seyants mais parfaitement adaptés aux conditions locales car issus d’une très longue tradition transmise par les Inuits.

En réalité, ce sont surtout les choix stratégiques de Scott qui ont conduit à son échec. Les véhicules autotractés se sont vite révélés inutilisables alors qu’il avait tout misé sur leur forte capacité de transport et leur rapidité. Les poneys avaient semble-t-il été mal choisis et se sont révélés beaucoup trop fragiles, obligeant les hommes à s’épuiser en tirant eux-mêmes les lourds traîneaux. Au fur et et mesure de l’expédition, Scott s’est rendu compte par lui-même que les chiens étaient nettement plus efficaces et c’est sans conteste ce qui a assuré le succès d’Amundsen, lequel a pu, grâce à la meute de chiens qu’il avait prévus, assurer une utilisation optimale des traîneaux tout en fournissant des vivres puisque seuls 11 chiens ont été ramenés vivants, les autres ayant été tués et mangés en chemin.

Sur la route du pôle Sud, cliché de l’expédition Amundsen (source © The History Press)

Mais la méthode de management adoptée était aussi très différente. Pour Amundsen, l’objectif était pour les 9 hommes engagées dans l’expédition, de « revenir en Norvège après avoir planté notre drapeau au pôle », là où les Britanniques recevaient chacun des tâches plus morcelées et un objectif moins valorisant puisque la plupart d’entre eux devaient simplement patienter dans un camp en attendant que les 5 hommes finalement choisis puissent accomplir le trajet final vers le pôle. L’ennui, l’attente et la routine ont fragilisé le collectif chez les Britanniques, là où Amundsen avait réussi à créer des rituels pour renforcer le lien entre les hommes, n’ayant pas hésité à emporter des jeux, de l’alcool pour fêter les anniversaires et même un cigare à fumer le 24 décembre… D’un côté, une organisation très hiérarchisée, militaire et déresponsabilisante, et de l’autre un petit clan très soudé où chacun avait un rôle parfaitement identifié avec un chef très investi, même dans les tâches les plus ingrates.

Comme quoi, il ne suffit pas de bien planifier un projet pour le réussir. Tous les facteurs sont à prendre en compte pour le mener, non seulement les méthodes et les outils, mais aussi la manière de constituer l’équipe et de se comporter au sein de celle-ci : des évidences qui ne sont pas seulement utiles pour aller au pôle Sud mais qui peuvent aussi servir dans bien des circonstances…

L. V.

Les hommes malades du Covid

26 avril 2020

En cette période sombre de confinement forcé, il est temps de relire ses classiques, qui donnent parfois l’illusion d’une troublante actualité. Après Le Cid, de Corneille, Les Fables de La Fontaine, inspiré de la fable Les animaux malades de la peste

Un mal qui libère sa fureur

Gravure de Jean-Baptiste Oudry illustrant les animaux malades de la peste (source © BNF / Utpictora 18)

Plonge le monde dans la terreur.

Issu de Chine, il s’est partout répandu

Sous le nom de Covid-19, un sacré tordu,

Donnant aux hommes la fièvre et une toux carabinée.

Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient confinés.

L’activité s’était brutalement arrêtée,

Chacun craignant désormais pour sa santé.

On ne les voyait guère préoccupés

Qu’à tout faire pour ne pas l’attraper

Ne sortant qu’avec un masque et des gants

Et fuyant leur semblable comme s’il était un brigand.

Les hôpitaux étaient engorgés et chaque soir

On comptait les morts par arrêt respiratoire.

Emmanuel Macron s’exprime sur le Coronavirus COVID-19 (source © Élysée)

Macron tint conseil, et dit : Mes chers amis,

Je crois que le libre-échange a permis

Pour notre malheur cette pandémie affreuse.

Il nous faut désormais, de manière rigoureuse,

Pour permettre demain le retour des jours heureux,

Reconnaître nos erreurs et être plus généreux.

Ne nous flattons donc point ; voyons sans indulgence
L’état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mon goût de la finance,

Des économies budgétaires et de la bonne gouvernance,

J’ai saigné l’hôpital, pressuré les soignants.

Que m’avaient-ils fait ? Pas plus que les enseignants…

Il m’est arrivé aussi de vendre à la découpe

Quelques usines, ce n’est pas un scoop.

Je me dévouerai donc, s’il le faut ; mais je pense
Qu’il est bon que chacun s’accuse ainsi que moi :
Car on doit tout évaluer sans dispense
Pour pouvoir juger sans émoi.

– Président, dit le journaliste des Échos,

Manifestation des employés de Luxfer à Gerzat (photo © Franck Boileau / La Montagne)

Là n’est pas la source de nos ennuis médicaux.

Certes, nous devons désormais tout importer

Les masques, les tests et les bouteilles d’oxygène.

Pour autant, il n’y a pas à s’inquiéter

C’est la loi de la mondialisation !

Il n’y a bien que les Aborigènes

Qui la rejettent sans hésitation.

A ces mots, chacun d’applaudir

Sans trop chercher à approfondir…

Le patron de clinique, le banquier,

Et tous les grands boutiquiers,

Les plus gros spéculateurs

Comme le plus petit boursicoteur,

Chacun habilement se défaussa.

Pangolin à courte queue (source © Wikipedia)

Jusqu’à ce qu’on s’intéressât

A un être méconnu et pas très malin

un cuirassé sur pattes, dénommé pangolin,

Dont on fait, parait-il, commerce en Chine

Et qui aurait donc grippé la machine

En permettant la transmission

A l’Homme du coronavirus.

Chacun dès lors approuve la condamnation

Trump, l’Europe et même les Russes…

Qu’un tel animal ait pu ainsi mettre à mal

Toute l’économie mondiale

Et faire trembler la planète entière

Voilà qui mérite châtiment exemplaire !

L. V. 

Le pétrole vaut moins que rien…

24 avril 2020

Un dessin signé Lounis

L’information, largement relayée par tous les médias a frappé les esprits : le baril de pétrole ne vaut plus rien ! Et même moins que rien puisque sur certains contrats spécifiques, les cotations lundi 20 avril 2020 se sont faites à un prix négatif : – 37,60 $ le baril, du jamais vu ! Les producteurs doivent payer pour arriver à trouver preneur afin qu’on les débarrasse de leurs stocks d’or noir… Même de vulgaires déchets ont désormais plus de valeur qu’un baril qui contient quand même près de 159 litres de pétrole brut !

En réalité, ce record historique négatif qui a été atteint cette semaine ne concerne qu’un seul indice, le WTI (West Texas Intermediate), une référence mondiale mais qui concerne surtout les USA puisque correspondant à la cotation d’un pétrole brut américain, un peu plus léger que le Brent, issu lui des gisements de la Mer du Nord et qui est resté la référence classique.

Un dessin signé Na!

Si des taux aussi caricaturaux ont été atteints, ce 20 avril, c’est que les contrats à échéance arrivaient à leur terme le lendemain et que les acheteurs devaient donc choisir soit de conserver leurs stocks dont personne n’avait besoin, soit de les céder à n’importe quel prix, ce que de nombreux spéculateurs ont préféré faire… Dès le lendemain, mardi 21 avril, le prix du brut WTI est d’ailleurs remonté à 4 $ le baril, ce qui reste néanmoins un niveau exceptionnellement faible pour un pétrole qui se vendait traditionnellement plus cher que le Brent. Sachant que le coût de production du pétrole de schiste aux États-Unis avoisine les 25 $ le baril, on se doute bien que de nombreuses compagnies pétrolières américaines doivent commencer à se faire du souci…

Le cours du Brent, justement, atteint lui aussi des niveaux qui ont rarement été aussi bas. Alors que le baril de Brent était encore coté à près de 70 $ le baril début janvier 2020, après avoir atteint des sommets à plus de 125 $ début 2012, il a clôturé la séance de cotation du 21 avril 2020 à moins de 20 $ le baril ! On se rapproche dangereusement du minimum historique qui avait été observé en 1998 à 9,55 $…

Réservoirs pétroliers à perte de vue à Cushing dans l’Oklahoma (photo © Daniel Acker / Bloomberg News / Arkansas online)

Si l’on assiste à une baisse aussi spectaculaire du cours du pétrole, c’est que la demande s’est effondrée et que l’on ne sait plus où le stocker en attendant une hypothétique reprise économique. C’est en tout cas ce qui explique pourquoi les cours américains sont tombés aussi bas ce 20 avril, lors de cette fameuse cotation du WTI qui se passe dans une ville minuscule de l’Oklahoma, du nom de Cushing, un bourg de 8000 habitants, perdu dans le désert mais situé au terminus d’un gigantesque pipeline venant du Texas. Ce nœud pétrolier, est aussi un gigantesque site de stockage de pétrole brut.

Le trafic aérien fortement ralenti pendant la crise sanitaire… (photo © Nick Oxford / Reuters / Radio Canada)

Sauf que, du fait de la crise sanitaire du Covid-19, l’économie mondiale est à l’arrêt. La consommation mondiale de pétrole a baissé de plus de 30 % en quelques semaines. Aux États-Unis, la consommation de carburant pour les véhicules a chuté de 48 % du fait des effets du confinement ! La semaine dernière on estimait à environ 21 millions de barils la capacité de stockage encore disponible dans les réservoirs de Cushing et dans le même temps, l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) a fait état d’une hausse de 19,2 millions de barils de brut sur une seule semaine, la plus forte hausse hebdomadaire depuis que ces statistiques sont publiées. Les réserves sont donc pleines et jamais autant de supertankers remplis à ras bord de pétrole brut n’ont été mobilisés pour stocker l’or noir en mer en attendant que les cours remontent…ou qu’une marée noire se produise !

Or cette chute brutale et totalement inédite de la consommation mondiale de pétrole survient en plein milieu d’un contexte de guerre des prix. Il faut dire que les Américains ont longtemps joué avec le feu en voulant à tout prix devenir le premier producteur mondial de pétrole, ce qui est le cas depuis 2018 avec plus de 12 millions de barils produits chaque jour, grâce à des investissements colossaux effectués pour extraire le pétrole de schiste, dont l’exploitation est pourtant nettement plus coûteuse que celle des grands champs du Moyen-Orient ou même de la Mer du Nord.

La Russie et l’Arabie Saoudite ont bien essayé de s’entendre en réduisant toujours davantage leur production pour tenter de préserver les prix du brut. Mais peine perdue ! Plus ils réduisaient leur production, plus les Américains en profitaient pour augmenter la leur afin de leur piquer des parts de marché… Mi-mars, Riyad a tenté de négocier un nouvel accord de réduction de la production au sein des pays de l’OPEP, mais la Russie a brusquement claqué la porte. Du coup, l’Arabie Saoudite a décidé de jouer la politique du pire en ouvrant grand les vannes, au moment même où l’économie mondiale était à l’arrêt, ce qui a provoqué cette chute inédite des cours mondiaux du brut.

Exploitation pétrolière en Californie (photo © Saral Leen / National Geographic)

Depuis, les principaux protagonistes ont essayé de revenir à des positions plus raisonnables, sous la pression des Américains qui craignent désormais de devoir fermer certains de leurs puits puisqu’ils ne savent plus quoi faire du pétrole qu’ils extraient et dont personne ne veut. Un accord a été conclu pour réduire de 10 millions de barils par jour la production de brut, ce qui est énorme puisque cela représente de l’ordre de 10 % de la production mondiale, mais sera néanmoins très insuffisant pour compenser la baisse de consommation qu’on estime à environ trois fois plus !

Assurément, ce n’est pas encore la fin de la civilisation de l’or noir mais nombre de producteurs pétroliers vont y laisser des plumes et cette crise majeure du secteur va peut-être aider les investisseurs mondiaux à réorienter leurs placements dans des domaines plus prometteurs : de là à en déduire que l’on progresse un peu vers la mise en œuvre de la transition énergétique et la réorientation vers des sources d’énergies renouvelables et décarbonées, c’est sans doute un peu optimiste, mais on peut toujours rêver…

L. V.

Tchernobyl : un nouveau nuage…

20 avril 2020

Le réacteur 4 de la centrale de Tchernobyl quelques jours après l’explosion du 26 avril 1986 (photo © STR Associated Press / La Croix)

C’était le 26 avril 1986, il y a tout juste 34 ans. En pleine nuit, à 1h du matin, le réacteur nucléaire n°4 de la centrale Vladimir Ilitch Lénine, construite au bord d’un affluent du Dniepr, dans ce qui était alors la République socialiste soviétique d’Ukraine, explosait brutalement, provoquant la plus grande catastrophe nucléaire du XXe siècle. Mis en service en 1983, ce quatrième réacteur de la centrale de Tchernobyl, faisait ce jour-là l’objet d’un essai destiné à tester l’alimentation électrique de secours en cas de panne du réacteur. Prévu la veille, ce test, qui nécessitait de réduire fortement la puissance du réacteur, avait dû être reporté et s’est donc produit en pleine nuit, avec des équipes peu préparées.

Une série d’erreurs humaines successives, alliées à des défauts manifestes de conception du réacteur, s’enchaînent pour conduite à la catastrophe. Quand l’essai débute, à 1h23, le réacteur devient totalement instable et la procédure d’arrêt d’urgence enclenchée peu après ne permet pas aux barres de contrôle de se mettre en place correctement. En moins d’une minute, la puissance du réacteur augmente de manière vertigineuse, provoquant la radiolyse de l’eau des circuits de refroidissement, ce qui conduit à une formidable explosion : les 1200 tonnes de béton armé du toit sont projetés en l’air et retombent en fissurant le cœur même du réacteur qui prend feu.

Extrait de la série Chernobyl diffusée en France sur OCS (source Mediacritik)

A partir de là s’engage une lutte effrénée pour tenter de limiter les conséquences de la catastrophe. Un combat acharné, dans lequel se mêlent bien des actes d’héroïsme et de sacrifices individuels, magistralement retranscrit dans les 5 épisodes de Chernobyl, une mini-série filmée écrite par Craig Mazin, particulièrement pédagogique bien qu’effrayante de réalisme. Mais l’inconscience de certains, la difficulté de tous à mesurer les risques induits par une catastrophe nucléaire de cette ampleur et à lutter contre une radioactivité invisible, ainsi que la volonté des responsables politiques à minimiser voire à masquer les faits, font des ravages.

Le bilan humain est difficile à évaluer mais l’Ukraine a reconnu en 2016 au moins 35 000 décès directs. Environ 250 000 personnes sont évacuées dans un rayon de 30 km autour de la centrale, dont la totalité de ceux qui vivaient à Prypiat, la ville située à 3 km seulement de Tchernobyl. Tous les animaux sauvages et domestiques vivant à proximité doivent être abattus et le bilan écologique est sévère également.

Extrait d’une animation vidéo réalisée par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire montrant les mouvements du panache radioactif issu de Tchernobyl entre 0 et 10 m au-dessus du sol le 1er mai 1986 (source © IRSN / Le Monde)

Le nuage radioactif issu de la centrale et chargé notamment en particules radioactives de Césium 137, se répand rapidement sur le nord de l’Europe et recouvre largement la France entre le 30 avril et les premiers jours de mai 1986, malgré les discours lénifiants des autorités sanitaires de l’époque.

Incendie près de Tchernobyl le 10 avril 2020 (photo © Volodymyr Shuvayev / AFP / Ouest France)

Et voilà que le site de cet accident majeur de l’industrie nucléaire se rappelle de nouveau à notre bon souvenir. Le 4 avril 2020, un gigantesque incendie s’est déclaré dans la zone d’exclusion délimitée autour du site de Tchernobyl, dans le secteur très contaminé de Polesskoye, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de la centrale nucléaire accidentée en 1986. Bien que les feux de forêts soient fréquents dans la région à cette période de l’année, celui-ci, qui aurait été allumé par un jeune inconscient s’amusant à mettre le feu à des herbes sèches, a rapidement pris une ampleur inhabituelle du fait de la sécheresse et des vents violents qui sévissaient à cette période.

Le lendemain, le feu a déjà grignoté une bonne centaine d’hectares de parcelles forestières situées à proximité de la centrale. Avions et hélicoptères sont sur place, ainsi qu’une bonne centaine de pompiers mais Egor Firsov, chef par intérim de l’inspection écologique gouvernementale, publie une vidéo sur Facebook où il déclare que les nouvelles sont mauvaises. La radioactivité est 16 fois supérieure à la normale au cœur de l’incendie… Le lundi 6 avril, pourtant les autorités se veulent rassurantes et Egor Firsov lui-même revient sur ses propos alarmistes de la veille tandis que le feu continue à se propager toute la semaine durant.

Incendie près de Tchernobyl le 12 avril 2020 (photo © Volodymyr Shuvayev / AFP / Ouest France)

Le 13 avril, plus de 400 pompiers ukrainiens sont appelés en renfort et ce sont pas moins de 540 tonnes d’eau qui sont déversées pour tenter de maîtriser les incendies toujours hors contrôle. Un haut responsable gouvernemental assure que « la centrale nucléaire de Tchernobyl, les lieux de stockage de déchets radioactifs et les autres infrastructures cruciales de la zone d’exclusion ne sont pas menacés », alors que Greenpeace affirme en s’appuyant sur les photos satellite qui montrent la progression des zones brûlées, que les flammes ne sont plus qu’à 1,5 km du réacteur qui a explosé en 1986. Selon les analyses, le feu aurait alors parcouru plus de 35 000 ha et serait aux limites de la ville fantôme de Prypiat.

Extrait d’une animation vidéo montrant les mouvements du panache radioactif issu des feux de forêt près de Tchernobyl au 14 avril 2020 (source © IRSN / Huffington Post)

En brûlant, le feu libère dans l’atmosphère les particules radioactives de Césium 137 et sans doute aussi de Plutonium et de Strontium contenu dans les sols et dans la végétation. Des simulations ont été faites qui montrent, qu’en fonction du déplacement observé des masses d’air atmosphériques, ces éléments radioactifs ont dû arriver au dessus du territoire français autour du 14 avril, mais avec des concentrations suffisamment faibles pour ne pas représenter de risque sanitaire. Même à Kiev, pourtant distant d’une centaine de kilomètres seulement, il ne semble pas y avoir été observé d’augmentation trop inquiétante de la radioactivité de l’air ambiant.

Toujours est-il que le mardi 14 avril 2020, il a plu abondamment sur Tchernobyl. Des précipitations bienvenues qui, jumelées aux efforts des pompiers, ont permis de venir enfin à bout de ces gigantesques incendies, même s’il a fallu encore quelques jours supplémentaires pour sécuriser totalement la zone et juguler les derniers foyers couvant encore. On imagine le soulagement des pompiers locaux, eux qui avaient déjà payé un lourd tribut lorsqu’ils étaient intervenus en catastrophe le 26 avril 1986 alors que le ciel rougeoyait autour du réacteur n°4 de Tchernobyl dont il émanait une étrange lueur bleutée, alors même que personne n’avait encore compris que la centrale nucléaire venait d’exploser et que des matériaux hautement radioactifs issus du cœur s’étaient répandus autour du sinistre…

L. V.

Pandémie : la Suède fait cavalier seul…

18 avril 2020

Alors que l’épidémie mondiale de Covid-19 bat encore son plein, ce sont selon un article du Monde en date du 17 avril 2020, pas moins de 4,5 milliards de personnes dans 110 pays qui sont actuellement soumis à un confinement généralisé, malgré les dramatiques conséquences économiques et sans doute sociales qui en résultent. Du jamais vu à une telle échelle. Partout dans le monde, avec de légères variantes selon les gouvernements, les cultures locales et surtout le niveau d’acceptation de la population, les consignes sont les mêmes : « Restez chez vous ! ».

Un dessin signé Yelch (source © Pinterest)

Partout désormais les frontières sont fermées, les avions cloués au sol, le trafic routier fortement ralenti, les écoles et les restaurants fermées, les travailleurs confinés à domicile et même les bateaux de croisière sont à l’arrêt. Quelques pays ont bien essayé de passer outre cette politique d’immobilisation générale, cette règle de confinement générale qui nous vient de Chine, la seule réputée de nature à « s’en sortir sans sortir »…

Le premier ministre britannique Boris Johnson, lors d’un point presse sur le Convid-19 le 18 mars 2020 (photo © Eddie Mulholland/ Reuters / Courrier international)

La Grande-Bretagne en particulier a longtemps résisté, visant une stratégie d’immunité collective : plutôt que de protéger la population contre le virus, l’idée était de le laisser faire son œuvre jusqu’à ce que plus de la moitié des Britanniques aient été infestés et aient donc développé des anticorps permettant de faire barrière à la propagation de l’épidémie. Sauf que le 24 mars 2020, face à la propagation rapide de la maladie, le pays s’est finalement résolu à battre en retraite et à annoncer un confinement généralisé. Après avoir longtemps adopté une attitude de déni face au risque sanitaire, le premier ministre, Boris Johnson, annonçait trois jours plus tard être lui-même atteint du Covid-19, avant d’être hospitalisé quelques jours plus tard et même placé en soins intensif le 6 avril.

Tous les pays d’Europe sont donc désormais confinés, tous sauf un : ce dernier pays qui résiste envers et contre tout n’est pourtant pas constitué d’irréductibles Gaulois mais plutôt de descendants des Vikings puisqu’il s’agit de la Suède. Alors que tous ses voisins norvégiens, danois et finlandais se sont progressivement claquemurés depuis maintenant plus d’un mois, les Suédois continuent à n’en faire qu’à leur tête et à refuser tout confinement imposé.

Dans ce pays, le premier cas a été détecté le 31 janvier 2020 et le 22 mars, le bilan faisait état d’un peu moins de 2000 personnes infectées et de 21 morts. A la même date, on en était en France à près de 20 000 cas avérés et de l’ordre de 860 morts déclarés. Il faut dire que le pays est 6 fois moins peuplé que la France, avec un peu plus de 10 millions d’habitants contre 67 en France, et surtout une densité de population sensiblement plus faible.

Nombre de nouveaux cas avérés de Covid-19 identifiés par jour depuis le début de l’épidémie en France et en Suède (source © Wikipédia)

Un mois plus tard, au 17 avril 2020, on dénombre désormais près de 110 000 cas de Covid-19 en France (et désormais près de 19 000 décès en comptant ceux survenus dans les EHPAD). A cette même date, le nombre total de cas enregistrés en Suède est d’un peu moins de 14 000 pour environ 1500 morts constatés. Ramenés à la population respective des deux pays, force est donc de constater que les Suédois ne s’en sortent pas si mal, malgré tous les oiseaux de mauvais augures, et notamment ceux des pays limitrophes, qui ne se sont pas privés de dénigrer une inconscience collective et criaient à la catastrophe annoncée faute de respecter les règles de confinement devenues la norme mondiale depuis le début de cette pandémie…

Et pourtant, ce n’est pas la fameuse hydrochloroquine du bon professeur Raoult qui peut expliquer ce bilan plus qu’honorable puisque le gouvernement suédois a décidé début avril de ne plus y recourir, en dehors des essais cliniques, à cause des effets secondaires jugés excessifs.

Mais si les Suédois n’ont pas cédé à l’injonction du confinement général, ils n’ont pas pris pour autant à la légère cette épidémie, d’autant que le système hospitalier suédois est loin d’être pléthorique puisqu’on n’y compte que 2,2 lits d’hôpital pour 1000 habitants contre 6 en France.

A Stockholm le 27 mars 2020 (photo © TT News Agency / Reuters / Le Monde)

Dès le 12 mars, les rassemblements de plus de 500 personnes étaient interdits, une mesure étendue le 27 mars à tous les groupes de plus de 50 personnes, et le 18 mars, quasiment en même temps qu’en France, les lycées et les universités ont fermé leurs portes. Les stations de ski ont été fermées à leur tour et les visites dans les maisons de retraite sont désormais interdites, comme en France. Le 1er avril, les recommandations à la population ont été rappelées avec force pour inciter chacun à maintenir une distance de sécurité dans les transports en commun, les restaurants ou les commerces.

Le premier ministre suédois Stefan Löfven (photo © Petras Malukas / AFP / La Croix)

Mais pour autant, les écoles et les collèges continuent à fonctionner normalement. Cafés, restaurants, cinémas et jardins publics restent ouverts et rien n’empêche de les fréquenter. En fait, le gouvernement suédois, dirigé par le social-démocrate et ex-syndicaliste Stefan Löfven, part du principe que les citoyens sont informés et responsables, et sont donc en capacité de comprendre et d’appliquer les mesures de santé publique sans que la contrainte soit nécessaire. Comme l’exprime la ministre des Affaires étrangères, « Notre modèle est basé sur la responsabilité personnelle et la confiance dans les décisions prises par les agences gouvernementales. C’est valable en temps de crise comme en temps normal ».

De fait, force est de constater qu’à Stockholm il y a désormais 70 % de gens en moins dans les rues du centre-ville et 50 % en moins dans les transports en commun, ce qui confirme que les citoyens ont bien adapté leurs comportements à la situation. Un tiers des Suédois sont d’ailleurs actuellement en télétravail. Un résultat qui explique sans doute la relative retenue constatée dans la propagation du virus et qui repose donc largement sur la responsabilité collective et le sens des responsabilités de chacun. Des qualités qui expliquent par exemple que le taux de vaccination atteigne 98 % en Suède, alors que la vaccination n’y est pas obligatoire : de quoi faire rêver les épidémiologistes français qui se plaignent sans cesse de la mauvaise volonté de nos compatriotes à suivre les directives sanitaires nationales…

L. V.

La complainte du coronastressé

16 avril 2020

Ô rage ! ô désespoir ! ô virus ennemi !

N’ai-je donc tant vécu que pour un tel tsunami ?

Ce fléau venu de Chine et qui nous effraie

Qui sème la mort comme tombe le couperet.

Mon masque, qu’avec effroi j’enfile pour sortir,

Mon masque, que sans arrêt je dois revêtir,

Sans oublier mon autorisation à signer

Pour tenter dans la rue de pointer mon nez.

Ô cruel rappel de ma liberté passée !

Mon travail, mes amis, pour l’instant effacés

Qui jusque-là avaient pourtant tant d’importance

Et qu’il faut désormais bien tenir à distance.

Jusqu’où faudra-t-il donc tous rester confiner ?

S’abstenir de sortir, rester à lambiner ?

Suivre les courbes, attendre que passe le pic

De cette pandémie virale vraiment atypique ?

Pendant que Raoult peaufine sa chloroquine,

Et que tous les Français confinés s’enquiquinent,

L’activité s’est arrêtée, la crise nous guette,

Et tout le monde stocke des coquillettes.

Faut-il poursuivre ce gel de nos activités,

Et sombrer dans la crise ou vivre dans la crainte ?

Nous sommes en guerre, Macron l’a assez répété,

Tout est à recréer : il faut tout faire péter !

Il est temps de relocaliser, de produire

Tout ce dont on aura besoin pour rebâtir

Quand l’épidémie sera terminée, demain

Pourra-t-on reprendre notre destin en main ?

 

Toute ressemblance même très vague et néanmoins flatteuse avec certains extraits de l’acte I, scène 4 du Cid de Corneille, serait bien entendu totalement fortuite : vous voyez bien que cela n’a rien à voir…

L. V.

Faut-il vraiment désinfecter les rues ?

13 avril 2020

Après Nice, Cannes, Menton, Istres, c’est la maire d’Aix-en-Provence qui a annoncé dès le vendredi 27 mars 2020 le lancement d’une campagne de désinfection systématique des rues de la ville pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Une mesure prise en accord avec Martine Vassal, présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, qui a donc demandé à ses équipes de débuter immédiatement la désinfection des rues à Aix-en-Provence, Marseille et même Cassis.

Désinfection dans les rues d’Aix-en-Provence (photo © P. Biolatto / Ville d’Aix / Radio France)

Elle-même atteinte par le Covid-19 mais rapidement soignée grâce aux bons soins du docteur Raoult, la présidente de la Métropole ne pouvait pas rester les bras croisés face à cette pandémie survenue, qui plus est, en même temps qu’un revers électoral sévère au premier tour des élections municipales de Marseille où sa liste, pourtant donnée grande gagnante, n’était arrivée qu’en deuxième position.

Martine Vassal annonçant, depuis son domicile le 25 mars 2020 la gratuité des transports pendant 2 mois (source Facebook / site Martine Vassal)

Dès le 25 mars 2020, elle annonçait donc dans La Provence, outre deux mois d’abonnement gratuit aux transports publics de la RTM, le versement d’une prime exceptionnelle de 1000 € aux agents du Conseil Départemental et de la Métropole, et donc le lancement d’une campagne massive de désinfection des rues de l’agglomération, autant de mesures dans lesquelles seuls les esprits les plus retords pourraient déceler de potentielles visées électoralistes.

Dès le 27 mars donc, les équipes techniques de la Métropole, habillés comme des experts après un essai nucléaire qui aurait mal tourné, bottés, casqués et gantés, avec leur combinaison spatiale blanche, et leurs visières de sécurité, se sont répandus dans les rues d’Aix-en-Provence pour pulvériser à grand coup de Kärcher, les chaussées, trottoirs, bancs publics et même les lampadaires et le parvis des églises, le tout devant les caméras des services de communication de la ville qui relaye largement l’information sur son site municipal.

Désinfection en cours place Estrangin, à Marseille (source : Facebook / Made in Marseille)

Le même jour, les opérations de désinfection ont commencé à Marseille, devant l’hôpital de la Timone, à l’entrée du CHU devenu un lieu ultra-médiatique de la ville, mais aussi aux alentours des stations de métro les plus proches, ainsi que sur le boulevard Baille, la place Castellane, le cours Pierre Puget ou encore la rue de Rome et la rue Paradis. Des opérations qui se sont poursuivies samedi 28 mars dans le centre ville de Marseille, aux alentours de la gare Saint-Charles et sur la Canebière notamment, ainsi que dans le secteur de Belsunce.

Contrairement à la métropole de Toulouse ou à celle de Nice qui ont lancé une opération similaire en utilisant de l’eau de Javel diluée, les services de communication de la Métropole Aix-Marseille-Provence assurent que « la désinfection est assurée avec un produit virucide conforme aux normes européennes présentant une biodégradabilité primaire d’au moins 80 % ». Lequel ? Selon le site toujours bien informé, Made in Marseille, il s’agirait d’un détergent désinfectant et désodorisant, parfumé à la lavande comme il se doit, commercialisé sous le nom de Sanogerme, à base de chlorure de didécyldiméthylammonium, un sel antibactérien utilisé notamment en milieu hospitalier, et de chlorure de benzalkonium, un antiseptique utilisé dans certains produits pharmaceutiques et lingettes.

Désinfection dans les rues de Cannes : un impact environnemental manifestement sous-estimé… (photo © Clement Tiberghien / MaxPPP / Nice Matin)

Toujours est-il que le Ministère de la Santé s’est interrogé sur le bénéfice, non pas seulement électoraliste, mais aussi sanitaire d’une telle opération et a saisi dès le 26 mars le Haut Conseil pour la Santé Publique (HCSP), lequel vient de remettre son avis scientifique sur le sujet, le 4 avril 2020. Cet avis, rendu public le 7 avril, confirme en tout cas ce que tous les responsables politiques, surtout les plus démagogiques d’entre eux, avaient perçu d’instinct : « c’est un outil de communication majeur montrant que les collectivités locales, les responsables politiques, voire les industriels, sont mobilisés pour protéger la population », « l’effet psychologique pour le public est réel » et, cerise sur le gâteau, « le coût de la mesure parait faible ». Pourquoi s’en priver alors ?

Pour tenter de répondre à cette question et comme pour toute question de santé publique, les experts du HCSP ont comparé les bénéfices attendus (autres que purement électoraux) par rapport aux risques potentiels encourus. Leur avis est d’une grande clarté et pour le moins tranché…

Les bénéfices d’une désinfection des rues sont jugés plus qu’incertains par le HCSP. Ce dernier rappelle à ce sujet que le principal mode de transmission avéré du virus se fait par l’émission de gouttelettes en cas de toux ou d’éternuement, lorsque les distances de sécurité ne sont pas respectées. Les effets de transmission indirecte par toucher de surface contaminées n’ont pas été prouvés à ce jour, même si on a pu constater que le virus restait actif pendant quelques heures voire quelques jours sur certaines surface selon la nature du matériau support et les conditions atmosphériques, sans pour autant qu’on sache si un simple contact avec ces surfaces est réellement de nature à permettre une infection. Le HCSP rappelle quand même que le réservoir qui permet au virus de se développer est l’homme et pas son environnement, une évidence que l’on aurait presque tendance à oublier !

Désinfection dans une salle de classe à Rmeileh (Liban) (photo © Mahmoud Zayyat / AFP / France Culture)

En revanche, les risques liés à la pulvérisation sous pression de produits désinfectant dans l’espace public sont parfaitement connus et incontestables. L’eau de Javel, hypochlorite de sodium pour les intimes, le désinfectant le plus utilisé car le moins coûteux et le plus facile à se procurer, même si des tensions apparaissent alors que les ventes de ce produit ont augmenté de plus de 80 % ces dernières semaines, est un produit éminemment nocif, à l’origine de très nombreuses intoxications et son impact environnemental sur les organismes aquatiques et la végétation est loin d’être négligeable, la toxicité de certains des sous-produits issus de sa dégradation étant jugée préoccupante. Toute pulvérisation massive du produit à proximité d’un milieu aquatique, lorsque le ruissellement direct ou via le réseau pluvial le met en contact rapide avec une rivière ou la mer est donc fortement déconseillée.

Dans ces conditions, l’avis du HCSP est donc sans équivoque et indique qu’il n’est pas « recommandé de mettre en œuvre une politique de nettoyage spécifique ou de désinfection de la voirie », tout en formulant au passage une autre évidence, à savoir qu’il ne faut surtout pas remettre en suspension la poussière du sol en utilisant des appareils de type souffleurs de feuilles. Cela va sans dire mais il n’est parfois pas inutile de rappeler certaines évidences dans un monde où la panique à tendance à prendre le pas sur une rationalité minimale...

L. V.

Marseille : les baleines se rapprochent

11 avril 2020

A quelque chose, malheur est bon. La pandémie de Covid-19 qui a mis la moitié de la planète en léthargie et est en train de créer la plus forte crise économique que l’on ait observé depuis 1929, génère en même temps des conditions écologiques nettement plus favorables un peu partout dans le monde.

Dès le mois de février, une étude publiée par le site Carbon Brief, faisait état d’une baisse de 25 % des émissions de CO2 en Chine après 4 semaines de confinement dans la province de Hubei. Les suivis par satellites effectués par la NASA et par l’Agence spatiale européennes (ESA) montraient également, début mars, une très nette diminution des teneurs en dioxyde d’azote (NO2) et en particules fines sur tout le nord de la Chine du fait de cette baisse d’activité économique très inhabituelle.

Concentrations en NO2 au dessus de la Chine en janvier (avant le confinement) et février 2020 (pendant le confinement) mesurées par le satellite Sentinel 5 de l’ESA (source © Notre Planète)

Des observations similaires ont été faite au dessus de l’espace européen et particulièrement dans le nord de l’Italie, où les concentrations en NO2 ont connu une baisse spectaculaire au dessus de la plaine du Pô. A Milan, selon les chiffres rendus publics par le Service pour la surveillance atmosphérique de Copernicus, les concentrations moyennes de NO2 (intégrées sur toute la colonne d’air depuis le sol) étaient d’environ 65 µg/m3 en janvier, 45 µg/m3 en février et seulement 35 µg/m3 pour la première moitié de mars.

Concentrations en NO2 au dessus de l’Europe mesurées par le satellite Sentinel 5 de l’ESA : le suivi entre janvier et mars montre une forte baisse de la concentration élevée qui apparaît clairement dans le plaine du Pô au nord de l’Italie (source © Notre Planète)

Cette chute spectaculaire est une bonne nouvelle pour la qualité de l’air car le dioxyde d’azote, en réagissant avec d’autres substances contribue largement à la pollution atmosphérique urbaine. C’est aussi un gaz oxydant puissant qui pénètre facilement dans les poumons et provoque des inflammations de l’appareil respiratoires, un peu comme le coronavirus en fait….

Une chose est sûre, les teneurs en NO2 atmosphérique constituent un bon indicateur de pollution. Le dioxyde d’azote est en effet considéré comme un polluant caractéristique du trafic automobile et maritime, ce qui explique sa forte concentration le long des principaux axes de communication. Il est aussi émis par les centrales électriques et nombre d’installations industrielles. Le ralentissement de l’activité économique et celui du trafic routier et marin qui en résulte sont donc les principales causes de ces concentrations anormalement basses mais dont on ne peut que se réjouir, brièvement néanmoins car fin mars les études montrent que les taux de pollution au dessus de la Chine ont déjà retrouvé leurs valeurs normales, gages d’un retour réconfortant au « business as usual » : on respire ! Façon de parler bien entendu…

Certains en tout cas bénéficient à fond de la baisse du trafic maritime : ce sont les cétacés. L’Agence de presse italienne ANSA a ainsi rapporté le 14 mars dernier que les dauphins profitent de l’arrêt des rotations de ferries pour venir batifoler en toute liberté dans le port de Cagliari en Sardaigne, n’hésitant pas à venir se frotter au bord des quais, pour la plus grande joie des observateurs.

Dauphins dans le port de Cagliari en mars 2020 (source © Positivr)

Et à Marseille, ce sont des rorqual qui sont venus cette semaine, mardi 7 avril 2020, se promener tout près des côtes, dans une mer d’huile, se laissant filmer tout à loisir. Les observateurs sont deux agents de l’Unité littorale des Affaires maritimes (ULAM), un service de l’État rattaché à la Direction départementale des territoires et de la mer et leurs images, diffusées par le Parc national des Calanques, ont fait le régal des médias.

Rorqual observé dans le Parc national des Calanques le 7 avril 2020 (photo © ULAM 13 / France Bleu)

Le couple de cétacés en question, qui nageait ainsi paisiblement à quelques encablures des côtes marseillaises, dans le Parc national des Calanques, était constitué de rorquals communs. Des grosses baleines en réalité, difficiles à rater puisqu’elles pèsent 50 à 70 tonnes et mesurent de 15 à 20 m de longueur, moins cependant que leur cousine, la baleine bleue qui dépasse aisément les 30 m, ce qui en fait quand même le deuxième plus gros animal vivant sur Terre.

En tout cas des rorquals communs qui ne sont pas si communs que cela. C’est même, de l’avis des spécialistes, la première fois qu’on arrive à en filmer ainsi en toute quiétude aussi près des côtes marseillaises.

Une baleine dans le port de Marseille le 18 octobre 2017 (photo © BMPM / France 3 Régions)

Pourtant, chacun se souvient que le 18 octobre 2017, un rorqual d’une dizaine de mètres de long était venu plus près encore puisqu’il était carrément entré dans les eaux du Vieux-Port, avant de se retrouve, quelque peu désorienté, à buter contre les quais au pied du fort Saint-Nicolas. Dépêchés sur les lieux, les plongeurs du bataillon des Marins pompiers de Marseille avaient eu bien du mal à faire manœuvrer l’imposant animal et avaient du batailler pendant près d’une heure avant de parvenir à le remettre dans la bonne direction et le pousser vers la sortie du port.

Si le confinement se poursuit trop longtemps, bloquant à quai la plupart des bateaux et libérant ainsi la rade de Marseille du trafic maritime intense et bruyant qui habituellement fait fuir au large ces cétacés curieux, le risque est qu’un troupeau de baleines finisse par venir réellement boucher le port de Marseille : de quoi faire parler dans tous les bistrots de la ville, quand ils rouvriront leurs portes…

L. V.

Municipales : à quand le deuxième tour ?

7 avril 2020

Allocution télévisée du Président de la République le 16 mars 2020

Depuis le 15 mars 2020, date du premier tour des élections municipales, le gouvernement est confronté à un véritable casse-tête. Vues les circonstances et l’organisation d’un confinement généralisé de la population, Emmanuel Macron n’avait eu d’autre choix que d’annoncer dès le lundi 16 mars au soir le report du second tour et son Premier Ministre, Édouard Philippe, avait précisé jeudi 19 mars que les conseils municipaux renouvelés dès le premier tour ne pourraient pas se réunir jusqu’à nouvel ordre.

La France se trouve donc dans une situation pour le moins inédite. D’un côté, plus de 30 000 communes, dont celle de Carnoux-en-Provence ont pu se doter d’un conseil municipal renouvelé, mais qui ne peut pas se réunir pour élire son nouveau maire. C’est donc l’ancienne équipe, même si elle a été battue, qui continue à gérer les affaires courantes, sachant que parfois le nouveau budget n’a même pas pu être voté et ne pourra sans doute pas l’être avant plusieurs semaines…

Un dessin signé Olivero

D’un autre côté, il reste 4 816 communes pour lesquels le premier tour n’a pas permis de conclure. La grosse majorité d’entre elles (3 253 au total) sont des communes de moins de 1000 habitants, pour lesquelles il convient, pour être élu de réunir non seulement la moitié au moins des suffrages exprimés mais aussi le vote d’au moins 25 % des inscrits, ce qui n’est pas si facile lorsque le taux d’abstention atteint des records comme cela a été le cas lors de ce scrutin atypique organisé en pleine pandémie virale…

Les autres communes sont plutôt des grandes villes, en tout cas supérieures à 1000 habitants et pour lesquelles aucune liste n’a réussi à recueillir la majorité absolue à l’issue du premier tour. Il faudra donc un second tour, que le gouvernement espérait bien pouvoir l’organiser avant la fin juin, ce qui constituait déjà une entorse majeure à la loi électorale qui prévoit explicitement que le second tour doit avoir lieu le dimanche suivant le premier tour. C’est du moins ce que prévoit la loi adoptée en urgence le 23 mars 2020 et qui indique que le second tour est « reporté au plus tard en juin 2020 », la date restant à fixer à l’issue du Conseil des ministres du 27 mai, sur la base des recommandations des scientifiques et en fonction de l’évolution de l’épidémie.

Un dessin signé Placide

Mais voilà que la dure réalité est en train de faire voler en éclat ce scénario optimiste. On ignore pour l’instant quand et surtout selon quelles modalités pourra être organisé le déconfinement de la population une fois passé le gros de la crise sanitaire. Sauf que tout laisse penser que cette opération sera probablement progressive et que les populations les plus fragiles, notamment les plus âgées, devront sans doute patienter davantage que les autres avant de pouvoir revenir à une vie normale. Prévoir une élection en juin qui mobilisera encore autour de 16 millions d’électeurs, paraît donc de moins en moins réaliste car cela signifierait repartir pour une nouvelle campagne électorale dès le mois de mai alors que certains devront peut-être encore rester confinés.

Bref, tout indique qu’il faudra sans doute attendre après les vacances d’été pour organiser ce second tour des municipales et que, du coup, il faudra aussi refaire le premier tour, du moins dans les communes pour lesquelles il n’avait pas permis d’élire un nouveau conseil municipal au complet. Les Carnussiens n’auront donc a priori pas à revoter, mais dans bien des communes et pas seulement à Paris ou Marseille, les conditions risquent d’être complètement différentes, six mois après le premier tour de chauffe et au vu des résultats observés le 15 mars. De nouvelles alliances pourraient se former pour essayer de tenir compte de ce sondage grandeur nature totalement inédit, et les résultats du scrutin pourraient être bien différents, surtout si le taux de participation retrouve des valeurs plus classiques…

Un bureau de vote à Strasbourg, lors du premier tour des municipales, le 15 mars 2020 (photo Frédérick Florin / AFP / 20 minutes)

Ceci dit, l’organisation de ces élections en septembre, voire début octobre, constitue un nouveau casse-tête pour le gouvernement car elles se télescoperaient alors avec les sénatoriales prévues justement en septembre mais pour lesquelles on ne peut décemment pas faire voter des élus municipaux dont le mandat aurait été anormalement prolongé et qui seraient sur le point de remettre leur mandat en jeu. Il faudrait donc décaler d’autant ces élections sénatoriales alors même que se profilent en mars 2021 à la fois les élections départementales et les régionales

On se doute bien qu’une telle situation d’incertitude est la porte ouverte pour les pressions de toute nature et les récriminations de tous ceux qui s’estiment avoir été injustement battus à l’issue du premier tour. Rarement autant de recours n’ont été formés contre des élections municipales. Entre les électeurs ou les assesseurs qui reprochent au gouvernement d’avoir mis leur vie en danger en les appelants aux urnes malgré les risques sanitaires encourus, et les mauvais perdants qui jugent que sans un taux d’abstention aussi anormalement bas ils auraient été élus dans un fauteuil, les tribunaux vont assurément avoir bien du travail dans les prochains mois !

Renaud Georges, maire sortant battu de Saint-Germain au Mont d’Or (source mairie / Le Progrès)

Ainsi, le maire sortant LREM de Saint-Germain au Mont d’Or, commune aisée des Monts du Lyonnais, battu de 76 voix à l’issue du premier tour a déposé au tribunal administratif un dossier de 150 pages dès le 20 mars pour contester la régularité de ce scrutin marqué par un taux d’abstention de 60 % dans sa commune. Et de très nombreux autres l’ont suivi ou vont le faire car exceptionnellement, les recours pourront être déposés jusqu’à 5 jours après la prise de fonction des conseillers municipaux. Tant que le confinement empêche les conseils municipaux de se réunir, il est donc encore temps de peaufiner son recours. Nul doute donc que cela va donner des idées à tous ceux qui n’ont pas digéré leur score du 15 mars et qui chercheront à le contester en justice. Quant les élections se jouent devant les juges et non pas devant les électeurs, c’est que la démocratie est souffrante, et pas seulement du fait du coronavirus

 L. V.

Criquets : chronique d’une catastrophe annoncée

5 avril 2020

En ces temps de pandémie mondiale de coronavirus, les apôtres de malheur connaissent un beau regain d’activité, certains n’hésitant pas à inventer de toutes pièces des prédictions qu’aurait écrit Nostradamus, le célèbre apothicaire de Salon-de-Provence et auteur à ses heures perdues de prédictions astrologiques qui enflamment toujours l’imagination près de 500 ans après sa mort.

Mais la pandémie de Covid-19 qui défraye les chroniques et occupe tous nos esprits au point de mettre à l’arrêt toute l’économie mondiale après que la moitié de l’humanité se retrouve en confinement forcé, cache peut-être une autre catastrophe qui, elle-aussi, fait échos à des peurs ancestrales : une invasion de criquets fait actuellement des ravages en Afrique de l’Est, rappelant furieusement les passages les plus sombres des textes bibliques, entre la 8ème plaie d’Égypte, dont Moïse menace Pharaon, et les nuées de sauterelles qui sortent du puits au signal de trompette du 5ème ange de l’Apocalypse…

Vol de criquets pélerins (photo © Ben Curtis / AP / National Geographic)

Sauf que, en l’occurrence, cette nouvelle invasion de criquets pèlerins n’est pas qu’une simple vision, même biblique, mais une réalité qui risque de faire encore davantage de victimes que l’épidémie de coronavirus. Arrivés lundi 16 mars 2020 au Soudan du Sud, à l’heure où se mettaient en place les mesures de confinement sur notre sol, d’immenses nuées de criquets ont commencer à grignoter la végétation de ce pays, dans une région où, selon la FAO, pas moins de 12 millions de personnes sont déjà chroniquement sous-alimentées et ne survivent que grâce aux récoltes vivrières désormais menacées.

Chacun de ces criquets dévore quotidiennement l’équivalent de son poids en grignotant les feuilles qui l’entourent, soit environ 2 g. Cela paraît peu, mais on a observé tout récemment, au Kenya, un essaim dont la superficie s’étendait sur 2 400 km2, soit quasiment la surface du Luxembourg. Une telle nuée d’insecte comprendrait, selon les scientifiques, environ 200 milliards d’individus, qui prélèveront donc une masse de 400 000 tonnes de végétation chaque jour, soit l’équivalent de ce qui est nécessaire pour nourrir de l’ordre de 85 millions de personnes !

Un criquet pèlerin, Locusta migratoria (source Wikipédia)

Face à un tel fléau, on comprend donc l’inquiétude des autorités locales… En Ouganda, c’est actuellement l’armée qui s’est déployée dans les champs et aux alentours pour asperger toute la végétation d’insecticide. Seules les branches basses des arbres sont touchées et l’action a surtout pour effet de faire fuir les nuées d’insectes vers d’autres cieux, d’autant que la crainte vient surtout de ce qui se passera dans deux mois lorsque vont éclore les œufs pondus par ces nuages de criquets, au moment même où les récoltes arriveront à maturité… Un criquet pèlerin vit 3 mois en moyenne et, lorsque les conditions sont réunies, une génération de criquets peut donner naissance à l’âge adulte à un groupe de criquets 20 fois plus nombreux que le précédent, ce qui explique que la croissance de ces populations d’insectes sont aussi spectaculaire !

A la chasse aux criquets pour protéger les récoltes à Samburu, au Kenya (photo © AP / Le Monde)

Pas moins de 9 pays de l’Est africain sont désormais menacés par ces nuées de ravageurs, de Djibouti jusqu’au Soudan et de l’Érythrée jusqu’en Tanzanie, avec un risque que la propagation se poursuive à travers le Sahel jusqu’en Afrique de l’Ouest, tandis que, plus à l’Est, le Pakistan est subit également sa plus grave invasion de criquets depuis plus de 30 ans.

Chamelier sous la pluie en Arabie Saoudite début novembre 2018 (source RT France)

L’origine de ces nuées d’insectes vient des zones désertiques, du Balouchistan, près de la frontière iranienne pour ceux qui ravagent actuellement la péninsule indienne, et de l’Arabie Saoudite pour les nuées qui sévissent désormais en Afrique de l’Est. En mai 2018, la zone désertique de la péninsule arabique, le Rub al-Khali, autrement dit « le quart vide » était en effet arrosé de manière très inhabituelle sous l’effet du cyclone Mekunu, permettant l’éclosion de nombreux œufs de criquets.

Quelques mois plus tard, en octobre, c’est un autre cyclone, Luban, qui est à l’origine de pluies torrentielles entre le Yémen et le sultanat d’Oman. Sous l’effet de ces précipitations successives, peu courantes en ces contrées, trois générations successives de criquets ont ainsi connu des conditions particulièrement favorables pour se reproduire et se multiplier de manière exponentielle. Devenus grégaires, les criquets ont pu entamer leur migration à l’été 2019, s’élançant par nuées successives au dessus de la Mer Rouge et Golfe d’Aden pour s’abattre sur l’Éthiopie et la Somalie où, là encore ils ont pu trouver des conditions climatiques plutôt favorables.

Le désert a refleuri en décembre 2018 en Arabie Saoudite (source La Terre du Futur)

Et, fait exprès, les pluies anormalement intenses qui ont arrosé l’Afrique de l’Est durant l’automne 2019, suivies d’un cyclone exceptionnel survenu en décembre en Somalie, ont permis à ces populations de criquets de continuer à se multiplier de plus belles, leur permettant d’envahir le Kenya dès le mois de décembre 2019, avec un niveau d’infestation que le pays n’avait pas connu depuis 70 ans ! Depuis début février, c’est donc désormais l’Ouganda et le nord de la Tanzanie qui croulent sous les assauts de ces insectes voraces alors même que mars-avril est le début de la petite saison des pluies en Afrique de l’Est, la période où l’on sème et où les plantes commencent à pousser, autrement dit la période idéale pour que les criquets puissent se nourrir et continuer à se développer.

Pulvérisation d’insecticides par des soldats en Ouganda (photo © Sumy Sadurni / AFP / Futura Science)

Le cycle des invasions a dont toutes les chances de se poursuivre et de s’amplifier, ce qui explique l’inquiétude des agronomes et des responsables politiques locaux qui en appellent à l’aide internationale. D’autant que tout laisse penser que ces cyclones et ces précipitations inhabituelles qui sont à l’origine de ces invasions de criquets pourraient devenir encore plus fréquents et plus extrêmes au cours des années à venir, sous l’effet du réchauffement climatique global. Le phénomène est en effet largement gouverné par les écarts de températures de part et d’autre de l’Océan Indien. Lorsque les eaux s’échauffent à l’ouest, les vents d’ouest qui apportent la mousson et poussent les eaux chaudes et les précipitations vers les côtes australiennes, baissent d’intensité, ce qui se traduit par des sécheresses en Australie (avec les incendies que cette dernière a connu récemment) et de fortes pluies en Afrique de l’Est, ce qui favorise les criquets.

Un cercle infernal qui n’est pas nécessairement annonciateur de l’Apocalypse que certains redoutent mais qui risque d’aggraver fortement les difficultés économiques et sanitaires d’un continent déjà en mauvaise posture et qui devrait mobiliser notre vigilance, voire nous inciter à agir davantage pour lutter contre ce réchauffement climatique global dont on découvre chaque jour de nouveaux effets néfastes…

L. V.

Gaudin repêché ? Marsactu s’amuse

3 avril 2020

Dessin signé Na ! (source L’1dex)

Depuis quelques années déjà, la pêche aux poissons d’avril ne fait plus guère recette. De même que les fonds marins s’appauvrissent de jour en jour sous l’effet de la surpêche, le poisson d’avril, blague potache s’il en est, se fait de plus en plus rare. Les journalistes ont bien trop peur d’être accusés de colporter de fausses rumeurs, des « fake news », ou, pire encore, que leur information soit prise au pied de la lettre par des lecteurs qui auraient perdu leur sens critique en plus de leur sens de l’humour.

Et forcément, en cette période de pandémie mondiale et de confinement généralisé, alors que notre pays se dit en guerre et que certains voudraient instaurer le couvre-feu et empêcher toute sortie récréative, ce n’est pas le moment de rigoler.

Saluons donc les rares publications qui ont osé franchir le pas et se permettre un petit poisson d’avril, une toute petite friture innocente et qui ne prête pas à conséquence. Marsactu fait partie de ces poissons pilotes qui n’ont pas hésité à sortir la tête de l’eau en ce 1er avril 2020, fidèle à sa jeune tradition. Créé en 2010, ce magazine web spécialisé dans l’information locale et qui a publié de nombreuses enquêtes retentissantes sur les dysfonctionnements de certaines collectivités territoriales des Bouches-du-Rhône, est désormais dirigé par ses propres salariés qui ont repris le site, alors en faillite, en 2015. Une situation qui lui permet une grande liberté de ton, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs…

Jean-Claude Gaudin accroché à son fauteuil de maire de Marseille comme une moule à son rocher (source © France TV Info)

Le gros poisson que Marsactu a remonté dans ses filets en ce 1er avril 2020 n’est autre que Jean-Claude Gaudin, le maire de Marseille qui, contre toute attente, est toujours à la tête de la ville, et probablement encore pour plusieurs mois. Tout le monde avait pourtant répété depuis des mois que, quoi qu’il arrive, il aura cédé son fauteuil de maire au plus tard le 27 mars 2020 puisqu’il ne se représentait pas aux élections municipales, pour la première fois depuis 1965 !

Lui-même avait multiplié depuis le début de l’année ses séances larmoyantes d’adieu, à ses services, aux médias, aux syndicats, au monde économique, et à tout ce qui compte dans la bonne ville de Marseille, répétant à l’envie qu’il n’avait rien fait d’autre de sa vie que de la politique marseillaise, et qu’il se demandait bien comment il allait pouvoir survivre à sa mise en retraite sans sombrer dans la dépression.

Seulement voilà : la crise sanitaire du Covid19 n’a pas permis au second tour des municipales de se dérouler et Jean-Claude Gaudin est donc toujours maire de Marseille, alors même que c’est l’outsider du Printemps Marseillais, Michèle Rubirola qui est arrivée en tête du premier tour, devant la dauphine désignée, Martine Vassal. Une situation totalement inédite qui a donc inspiré à Marsactu cette information décapante selon laquelle, tout compte fait et au vu de l’état de son camp toujours scindé entre une Martine Vassal déterminée et un Bruno Gilles qui ne lâche rien, il n’y avait finalement que lui pour sauver la ville.

Jean-Claude Gaudin présidant son dernier conseil municipal de Marseille, le 26 janvier 2020 (photo © Christophe Simon / AFP / Le Point)

Selon Marsactu, « le vieux loup de mer aurait comme rajeuni d’un coup », préférant renoncer provisoirement à la rédaction de ses mémoires tant annoncées pour replonger dans le bain de la politique en se justifiant ainsi : « j’ai déjà dû repousser mon départ à la retraite de quelques semaines, alors pourquoi pas de quelques années ? ». Et l’octogénaire, dopé par les nombreux exemples de maires plus âgés que lui qui ont été facilement réélus dès le premier tour, serait donc reparti pour une nouvelle aventure au long cours, vers « un mandat de transition » avant de passer définitivement la main…

Marsactu pousse même l’audace jusqu’à dévoiler en avant-première la future affiche de campagne qui permettra au futur candidat Gaudin d’aller à la pêche aux voix et de draguer l’électeur. Une affiche qui rappelle furieusement le design de la candidate du Printemps Marseillais…

Une affiche de campagne imaginée par Marsactu

Le plus drôle c’est que nombre de Marseillais seraient sans aucun doute prêts à voter sans hésitation pour reconduire Jean-Claude Gaudin à la tête de la cité phocéenne si vraiment il devait se représenter, surtout en promettant, comme le suggère Marsactu, de nommer comme premier adjoint l’autre grand nom du moment à Marseille, le professeur Didier Raoult en personne. Un duo médiatiquement gagnant, c’est certain, et qui devrait faire des vagues…

L. V.