Lors de sa mise en service en 1912, le Titanic, comme son frère jumeau l’Olympic, achevé un an auparavant, était le plus long paquebot jamais construit avec 269 m de long pour un poids en déplacement de 66 000 tonnes. De véritables mastodontes, commandés par la White Star Line pour des traversées transatlantique, réalisés dans un chantier naval de Belfast et destinés à surpasser les deux fleurons de la compagnie concurrente, la Cunard Line, le Lusitania et le Mauretania, dont la longueur de 240 m était déjà assez impressionnante. A côté, la plus grosse baleine bleue jamais répertoriée, avec ses 190 tonnes et ses 30 m de long, est ridiculement petite !
Mais ce n’était alors que le début d’une véritable course au gigantisme des paquebots. En 1935, le Normandie, construit par les chantiers navals de Penhoët, à Saint-Nazaire, pour le compte de la Compagnie générale transatlantique, mesurait déjà 314 m de long, surpassé d’un cheveu par le Queen Elisabeth II lancé en 1940, puis par le France, achevé en 1962, toujours à Saint-Nazaire. Le développement du transport aérien a mis un frein sérieux à cette filière de transport maritime de passagers et il a fallu attendre ensuite les années 2000 pour que revienne la nécessité de construire des bateaux aussi gigantesques pour le transport de passagers, non plus pour desservir des lignes régulières mais pour les besoins de la croisière de tourisme qui connaît alors un nouvel engouement.
En 2004 est ainsi achevé, dans les chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaire alors en pleine renaissance, le Queen Mary 2, un paquebot de 345 m de longueur, commandé par la Cunard Line et destiné à assurer des liaisons transatlantiques d’avril à décembre et des croisières autour du monde le reste de l’année. Il restera le paquebot le plus grand jamais construit jusqu’en 2009, date à laquelle est mis en service l’Oasis of the Seas, un véritable immeuble flottant de 360 m de longueur, pesant 100 000 tonnes et capables de transporter 6296 passagers pour les besoins de la Royal Caribbean International.
Cette compagnie maritime américano-norvégienne, fondée en 1968 et désormais basée à Miami, détient actuellement 26 bateaux de croisière. L’Oasis of the Seas, comme son clone, l’Allure of the Seas, livré en 2010, a été construit par les chantiers naval de Turku en Finlande. Trois autres paquebots de la même catégorie ont ensuite été livrés par les chantiers de l’Atlantique : l’Harmony of the Seas, achevé en 2016 et devenu alors le plus long paquebot du monde avec 362 m de longueur, puis le Symphony of the Seas, livré en 2018 et enfin le Wonder of the Seas, lancé en 2020. Ce dernier est alors le navire de croisière au plus fort tonnage jamais construit, avec une jauge brute de 236 000 tonneaux, soit cinq fois le Titanic !
Mais cette course au gigantisme n’est pas finie car le secteur de la croisière de masse est en plein essor après un passage à vide lié à la pandémie de covid et à la forte médiatisation des déboires du Diamond Princess, bloqué en quarantaine au Japon en février 2020 avec 634 cas de Covid déclarés dont 7 décéderont. Depuis, les affaires ont repris de plus belle et les clients se pressent pour embarquer dans ces usines à touristes. La compagnie Royal Caribbean International dont les affaires sont florissantes lance donc en 2021 la construction d’un nouveau navire de croisière encore plus vaste et plus luxueux que les précédents, de la classe Oasis. Le moteur de cette course au gigantisme est de faire des économies d’échelle : plus le bateau est gros, plus on peut diversifier les activités à bord et plus on peut entasser de passagers avec un équipage qui n’augmente pas de manière proportionnelle. Autrement dit, on gagne sur les frais de personnel…
Le nouveau fleuron de la compagnie, baptisé Icon of the Seas, l’icône des mers en bon français, a été lui aussi réalisé dans les chantiers navals de Turku, au sud de la Finlande et il vient d’être lancé pour effectuer ses premiers essais en mer en juin 2023, pour une mise en service officielle prévue début 2024. C’est donc à ce jour le plus gros navire de croisière jamais construit, avec 365 m de long, soit 96 m de plus que le Titanic. Il pèse 250 000 tonnes et est équipé de 20 ponts avec plus de 2000 cabines, de quoi accueillir 7600 passagers pour 2350 membres d’équipage. On y trouve 7 piscines, un immense parc d’attractions aquatiques avec ses immenses toboggans en plastique multicolore du dernier chic, de nombreux restaurants, des salles de spectacle et même une patinoire.
Le navire suscite une telle curiosité que les réservations pour ses premières croisières prévues en janvier prochain dans les Caraïbes affichent déjà complet. Pour une semaine de croisière, le prix n’est pourtant pas donné à 1500 euros minimum la semaine par personne et même jusqu’à 75 000 € pour la suite avec balcon, machine à pop-corn, karaoké et toboggan pour se rendre directement au salon : quand on aime, on ne compte pas…
Pourtant, le lancement de navire de croisière d’un tel gabarit en fait tousser plus d’un. A l’heure où chacun se demande comment amorcer enfin cette transition écologique vitale pour la survie de l’humanité et comment se projeter dans un mode de vie plus sobre en énergie, on pourrait en effet imaginer que l’urgence n’est pas à développer ainsi de tels monstres des mers, surtout quand on sait à quel point les bateaux de croisière participent à la pollution de l’air à chacune de leurs escales. Certes, l’Icon of the Seas ne fonctionne pas au fuel lourd comme la plupart des navires actuellement en activité, mais au gaz naturel liquéfié dont il consommera quand même la bagatelle de 175 000 litres par jour, du méthane issu comme il se doit de l’exploitation de gaz de schistes, avec un impact environnemental non négligeable. Chaque passager émettra ainsi 106 kg de CO2 par jour, soit l’équivalent d’un trajet de 450 km avec une voiture à essence : on connait loisir plus écologique que la croisière de masse en mer à bord de tels mastodontes…
L. V.