Voici le résumé des derniers ouvrages abordés par les adhérents dans le numéro 34 de Katulu -septembre 2013-
La vérité sur l’affaire Harry Quebert
JOEL DICKER
L‘auteur : écrivain né en juin 1985, diplômé en droit en 2010, éclectique, joue de la batterie enfant, s’essaie au théâtre. Engrange des distinctions : Prix Bornéo, pour sa défense de la nature en 2005 ; primé dans le cadre des jeunes auteurs pour « Le Tigre » ; 1ère sélection au GONCOURT ; obtient finalement avec ce roman Le Goncourt des Lycéens, Grand Prix de l’Académie Française.
Un roman style POLAR
Le sujet : l’histoire d’HARRY QUEBERT – écrivain célèbre – accusé d’un meurtre sur Nola KELLERMAN, une jeune fille de 15ans et la volonté farouche de réhabilitation par le fils spirituel d’HARRY –écrivain, lui aussi, Markus GOLDMAN.
Polar : certes puisque crime, enquête, rebondissements
Le style : haletant comme il se doit avec une chronologie brouillée, le lecteur est tour à tour transporté en 1975, puis en 2008, 2009 ou encore en 1969,
La composition : originalité de la forme, constituée de pauses, 31 sentences qui éclairent ce roman initiatique. En effet on y apprend comment réussir un roman et peut-être au-delà le sens de toute vie, la complexité de la vérité.Premier avis aux lecteurs : les sentences sont en ordre décroissant, la première étant réservée pour la fin !!!
L’intérêt du roman
Derrière le « rideau » du polar, où la curiosité du lecteur est tenue en haleine jusqu’au bout des quelques 700 pages, au delà de la fiction, il y a le réel : on peut retenir de ce roman, le décor, les voitures « la MONTANA NOIRE », les villes, la Province d’Aurora, la petite ville de CONCORD (?), puis la grande New York. L’ancrage dans l’histoire : élection d’Obama, la guerre d’Irak.
La description du mode de vie Américain : les motels perdus, le goût des hot dog, la vie dans les universités, la place du sport – ici la boxe, la place d’une religion puissante, la violence omniprésente, les pulsions sexuelles, la folie meurtrière. Ce roman fait la peinture d’une société où triomphe l’argent, le pouvoir des médias, celui de la Publicité, la corruption de la Justice, de la Police, la force de la littérature,
L’intérêt Philosophique : le Narrateur pose quelques questions essentielles : Pourquoi ? Comment ? Sens de l’art ? sommes-nous libres ? « Écrire c’est être dépendants Personne n’est libre. Nous sommes prisonniers de nous-mêmes et des autres ». On retient une certaine misère du destin de l’homme. Les amours impossibles, les rêves inaboutis, les échecs amoureux, les quiproquos, les faux semblants, les pièges, les souffrances, les douleurs. Tous les personnages se révèlent dans leur vérité, sous une lumière crue. Aucun n’est un héros irréprochable, tous ont leurs faiblesses, leurs frustrations, leurs parts d’ombre. Tous les personnages sont doubles, bons et mauvais. Capable de grandeurs et de faiblesses, Markus, l’auteur se laisse manipuler par son éditeur, manque de rigueur dans son enquête policière malgré sa bonne volonté, demeure malgré tout sur une ligne de pureté et de fidélité à l’amitié. Sa solitude sentimentale est touchante. L’héroïne du livre « NOLA », tour à tour victime et perverse, reste le personnage le plus dense, le plus mystérieux, jamais tout à fait présente mais toujours vue à travers le regard des autres. Quebert nous représente avec nos failles, nos lâchetés, nos misères, nos douleurs. Ainsi la galerie de portraits est assez édifiante et ne nous laisse pas sans surprise. Le lecteur toujours prompt à juger, classer, sera pris au piège de la vérité tellement nuancée, complexe, obscure.
Conclusion :
On ne sort pas tout à fait indemne de cette lecture même si peut-être ou à cause, tout paraît rentrer dans l’ordre.Notre destin se joue donc sur des détails, des hasards. L’équilibre de notre vie tient bien du miracle ! Et il faudra bien apprendre le sens de la CHUTE. La morale du livre reste cependant dynamique : Vivre c’est se battre, se débattre, se relever, tomber, se servir de la peur, de la fatigue, pour toujours avancer. ELOGE de LA VIGUEUR. La liberté c’est un combat de chaque instant, se battre contre soi-même : « Qui ose, gagne ». Cette lecture est donc à plusieurs niveaux, plusieurs tiroirs, plusieurs facettes. Qui aime l’intrigue, le suspens sera conquis. Qui veut devenir écrivain trouvera quelques recettes et procédés littéraires. Qui veut connaître la province AMERIQUE sera éclairé. Qui veut méditer sur l’homme, sur le sens de l’existence y verra comme dans un miroir son image. C’est un bon livre « un livre que l’on regrette d’avoir terminé ».
Nicole BONARDO
Ladivine
Marie Ndiaye
L’auteur : née le 4 juin 1967 à Pithiviers (Loiret), d’un père sénégalais et d’une mère française – son père quitte la France lorsqu’elle a un an ; elle ne le connaîtra pas– elle grandit dans la région parisienne avec sa mère et son frère, Pap Ndiaye (aujourd’hui agrégé d’histoire, spécialiste de États Unis, maître de conférence à l’EHESS). Elle n’a que 17 ans lors de la publication de son premier ouvrage. Elle obtient une bourse pour étudier pendant un an à la Villa Médicis à Rome. Mariée à l’écrivain Jean-Yves Cendrey, mère de 3 enfants. Le couple vit à Berlin depuis 2007 ; l’élément déclencheur de ce départ a été l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir. A ce jour elle a publié 26 livres, romans, pièces de théâtre, livres pour enfants. Prix Fémina 2001 pour « Rosie Carpe », prix Goncourt 2009 pour « Trois femmes puissantes ». 2003 : inscription au répertoire de la Comédie Française de sa pièce « Papa doit manger ».
Le roman
L’histoire de trois femmes, mère, fille , petite fille, « entravées par les liens du sang. Peut-on se défaire de ses origines ? ».
La mère, Ladivine Sylla, une femme noire qui enceinte d’un homme blanc a quitté son pays pour la banlieue parisienne espérant le retrouver, le voir réapparaître un jour sur le seuil de son modeste 2 pièces. Elle ne vit que pour sa fille devenue l’amour de sa vie.
La fille Malinka, blanche de peau, qui devenue adolescente, ne supporte plus la vie de sa mère, son amour étouffant…elle l’appelle « la servante » ou « la négresse ». Elle décide de partir pour Bordeaux, elle change de prénom, devient « Clarisse », serveuse dans un restaurant et épouse Richard Rivière, commercial vendeur d’automobile. Couple petit bourgeois, bien installé dans une maison individuelle.
La petite fille, Ladivine, enfant du couple, nommée du prénom de cette grand-mère reniée, qui épousera un allemand avec qui elle aura 2 enfants.
Tout le livre repose sur le mensonge de Malinka/Clarisse : elle a renié sa mère mais cette dernière la rejointe à Bordeaux dès sa fuite de Paris. Alors Clarisse mène une double vie : jamais son mari, ses beaux-parents, sa fille ne connaîtront sa mère (elle se dit orpheline) mais elle va voir sa mère une fois par mois, et jamais cette femme ne saura qu’elle est grand-mère.
Cependant ce secret agit de façon insidieuse. Aux yeux des siens Clarisse est un visage sans expression, « une femme impersonnelle, irréprochable et candide » fuyante et insaisissable, personne ne semblait « pouvoir l’atteindre au cœur de ses sentiments ».
Le destin de Clarisse sera tragique, conséquence de ce redoutable mensonge…
Après la mère et la fille, l’auteur nous fait vivre le destin non moins tragique de la petite fille…partie avec mari et enfants pour des vacances en Afrique (?) elle disparaîtra…dans quel monde ? Personne ne le saura jamais.
Et puis il y a ce chien, aux aguets qui semble veiller, tour à tour, sur les trois femmes…ou qui devient l’incarnation de l’une ou de l’autre ?
« elle noya son regard dans le regard calmement éploré, calmement suppliant, et toute l’humanité et l’inconditionnelle bonté de l’animal docile lui remplirent les yeux de larmes, elle désira ardemment être lui et sut alors que le passage viendrait naturellement à son heure ».
Une histoire bouleversante, déchirante, une écriture « somptueuse », la puissance de l’imaginaire, les éléments de merveilleux, la singularité de la langue….« un théâtre de la cruauté mystique et mystérieux, sensuel et souverain…c’est une ronde maléfique qui étourdit et laisse par terre…un chant narratif épuisant qui concentre et recèle l’or très noir » de l’écriture de l’auteur.
Il est question de déchéance, de passion et de crime, d’origines cachées et de rêves candides, « de l’abandon cauchemardesque à l’inexorable vertu de la chute… ».
Il a été écrit des livres de Marie Ndiaye qu’ils étaient « empreints d’inquiétante étrangeté, profonds, agissants, laconiques, envoûtants, tissés d’incertitude et de fantaisie grave, d’ironie et d’effroi, où le réel et le merveilleux s’interpénètrent ».
Elle-même dit « les personnages principaux de mes livres ont toujours des vies très ancrées dans l’ordinaire, ils ne sont ni des artistes ni des intellectuels. Ce qui donne l’impression de décalage par rapport au réel, c’est la magie que j’introduis dans mes histoires. »
C’est bien tout cela que l’on retrouve dans « Ladivine » ! Un livre qui ne peut laisser indifférent… l’écriture vous transporte, l’histoire vous saisit… Un livre que l’on quitte à regret… A lire absolument…
Marie-Antoinette Ricard
Le Village de l’Allemand
Boualem Sansal
Ce livre fut présenté à Cassis au Printemps du livre ; immédiatement cet auteur m’intéressa fortement d’abord par son allure décontractée, les cheveux blancs très longs tenus par un catogan, il racontait avec vivacité son roman. Le point de départ a été pour lui l’histoire en Algérie, où il vit, d’un homme ayant servi pendant la dernière guerre mondiale dans l’Armée du Reich et ayant contribué au gazage de certains détenus dans les camps de concentration!
A partir de cela il imagina la vie de ses deux enfants dans une cité de banlieue prés de Paris : l’aîné Rachel plus intellectuel que le second, bien intégré, marié à une Française, un bon boulot dans le commercial. Le second Malrich, vivait dans la cité et il disait de son frère :« il avait sa vie, j’avais la mienne : il était cadre, dans une grosse boite américaine, il avait sa nana, son pavillon, sa bagnole, sa carte de crédit… moi je ramais H24 avec les sinistrés de la cité ». Un jour Rachel a découvert avec stupeur que son père l’Allemand vivant en Algérie avait été ce scientifique nazi. Tout le monde dans le village l’ignorait ; il était même devenu Moudjahid tant sa renommée n’était pas contestée et il était même estimé !
En fait le roman consiste en la vision du plus jeune des frères, Malrich, lisant le journal du frère aîné Rachel : celui-ci vient de suicider après une grave descente aux enfers lorsqu’il a abandonné sa vie tranquille pour aller à la rencontre de ce père aimé qui l’a tant déçu. Il part en Algérie dans son village d’Aîn Deb prés de Sétif : là les parents ont été assassinés par le GIA : Groupe Islamiste Armé .
Le roman de Sansal se situe à la croisée tragique de trois drames humains mais ayant malgré tout la même trame dramatique : le fanatisme. C’est d’abord le rappel odieux de la Shoah : « Des mots, des expressions que j’entendais pour la première fois revenaient fréquemment : solution finale, chambre à gaz, fours crématoires, Sonderkommandos, camps de concentration, Shoah, Holocauste ».
Cette évocation est difficile pour les deux frères car leur père y était impliqué. Cela leur est intolérable et ils ne peuvent éviter cette question lancinante : « Sommes nous comptables des crimes de nos pères, des crimes de nos frères et de nos enfants ? » Et comme cette interrogation évoque en eux, bien sûr, l’idée de la guerre violente que le GIA a perpétrée en Algérie dans les années 90 où Rachel et Malrich ont eu la douleur de perdre leurs parents !
Comment ne pas faire un parallèle entre ces exactions et ce sectarisme témoigné par des islamistes de certaines cités des grandes villes ?
Et l’auteur montre la montée de l’islamisme dans les cités de banlieues et fait en quelque sorte un parallèle entre cet extrémisme : « on ne parlait que de ça, le djihad, les vrais martyrs, les mécréants, l’enfer, la mort, les bombes, le déluge de sang, la fin du monde, le sacrifice de soi, l’extermination des autres, et dehors, après la mosquée, on recommençait en plus fort. » ou encore « l’école est un crime de ces chiens de chrétiens, l’avenir c’est la mosquée », ou encore « nous sommes sur une ligne continue, on ne peut en sortir sans la rompre et disparaître », « et par cette résolution que je me suis donnée : l’Imam de la 17 il faut lui couper le sifflet avant qu’il ne soit trop tard ! »
Ces thèmes se placent en droite ligne d’un Primo Lévi obsédé par la pensée du nazisme et de l’intolérance : cf pièce jointe : « Si c’est un homme » : poignant de vérité et nous permettant de réfléchir à la bêtise, au fanatisme et à la cruauté des hommes ! Il faut être vigilant : « la bête immonde » n’est pas morte !
Josette Jegouzo
Biographie de Maximilien Robespierre
Jean Massin – 1956
Lecture ardue à base des discours prononcés à la Convention et aux Jacobins par Robespierre et par d’autres, rhétorique alambiquée parfois difficile à comprendre mais avec les envolées lyriques de ces temps là. On est bien sûr conforté dans le sentiment que l’assassinat de Robespierre sonna le glas de la Révolution ; le Directoire puis le Consulat n’ayant jamais été que des chambres d’enregistrement de la réaction. Toutefois, avant de s’attaquer à cet ouvrage, il n’est pas inutile de réviser son histoire de la Révolution Française, l’auteur se concentrant sur l’attitude de Robespierre sans toujours expliciter le contexte du moment.
Mais après avoir lu ce livre, je ne peux qu’imiter l’auteur et laisser Gracchus Babeuf (de son vrai nom François Noël Babeuf, guillotiné sous le Directoire le 27 mai 1797, suite à la « Conjuration des égaux » prônant l’abolition de la propriété privée) conclure :
« Je confesse de bonne foi que je m’en veux d’avoir autrefois vu en noir et le gouvernement révolutionnaire et Robespierre et Saint-Just. Je crois que ces hommes valaient mieux à eux seuls que tous les révolutionnaires ensemble et que leur gouvernement dictatorial était diablement bien imaginé. Tout ce qui s’est passé, depuis que ni les hommes ni le gouvernement ne sont plus, justifie peut être assez bien l’assertion. Je ne suis pas du tout d’accord qu’ils ont commis de grands crimes et fait périr bien des républicains. Pas tant ! je crois. Je n’entre pas dans l’examen si Hébert et Chaumette étaient innocents. Quand cela serait, je justifie encore Robespierre. Des brouillons, des hommes à demi moyens, avides de gloire et remplis de présomption, peuvent avoir été aperçus par notre Robespierre avec la volonté de lui disputer la direction du char. Alors il a dû voir que tous ces ridicules rivaux, même avec de bonnes intentions, entraveraient, gâteraient tout. Je suppose qu’il eût dit : « Jetons sous l’éteignoir ces farfadets importuns et leur bonnes intentions », mon opinion est qu’il fit bien.
Le salut de vingt-cinq millions d’hommes ne doit point être balancé contre le ménagement de quelques individus équivoques. Un régénérateur doit voir en grand, il doit faucher tout ce qui le gêne, tout ce qui obstrue son passage, tout ce qui peut nuire à sa propre arrivée au terme qu’il s’est prescrit. Fripon ou imbéciles ou présomptueux ou avides de gloire, c’est égal et tant pis pour eux ! Pourquoi s’y trouvent-ils ?
Robespierre savait tout cela et c’est en partie ce qui me le fait admirer, c’est ce qui me fait voir en lui le génie où résidaient de véritables idées régénératrices. Je ne crois point impolitique et superflu d’évoquer les cendres et les principes de Robespierre et de Saint-Just pour étayer notre doctrine. D’abord, nous ne faisons que rendre hommage à une grande vérité sans laquelle nous serions trop au dessous d’une équitable modestie. Cette vérité est que nous ne sommes que les seconds Gracques de la Révolution française.
N’est-il pas utile de montrer que nous n’innovons rien, que nous ne faisons que succéder à des premiers généraux défenseurs du peuple qui avant nous avaient marqué le même but de justice et de bonheur auquel le peuple doit atteindre ?
En second lieu, réveiller Robespierre c’est réveiller tous les patriotes énergiques de la République et avec eux le peuple qui autrefois n’écoutait et ne suivait qu’eux. Rendons à sa mémoire son tribut légitime ; tous ses disciples se relèvent et bientôt ils triomphent. Le robespierrisme atterre de nouveau toutes les factions. Le robespierrisme est dans toute la République, dans toute la classe judicieuse et clairvoyante, et naturellement dans le peuple. La raison en est simple ; c’est que le robespierrisme c’est la démocratie, ces deux mots sont parfaitement identiques. Donc en relevant le robespierrisme vous êtes sûrs de relever la démocratie. »
Yves Le Merre