Le changement de Premier ministre voulu par Emmanuel Macron et dont Élisabeth Borne a fait les frais, limogée sans beaucoup d’égards malgré sa loyauté indéniable, n’a pas vraiment passionné les Français. La nomination d’un Premier ministre aussi jeune aurait pourtant de quoi faire jaser : est-il bien raisonnable de confier les rênes du gouvernement à un homme de 34 ans qui n’a d’autre expérience de la vie que ses séjours en cabinet ministériel et ses quelques années passées sur les bancs de l’Assemblée nationale ? Tout le monde reconnait son intelligence et surtout son véritable talent de communicateur, mais gouverne-t-on un pays uniquement avec de belles paroles dans un contexte de crises multiples, y compris de crise de confiance de la part d’une bonne partie de nos concitoyens envers leurs élus et leurs responsables politiques ?
Au-delà du choix de ce nouveau premier ministre, c’est la composition toute entière du gouvernement, du moins des 15 ministres annoncés le 11 janvier 2024 qui interroge. Force est d’abord de constater que cette annonce traduit un basculement assumé à droite, très éloigné du positionnement initial d’Emmanuel Macron, lui-même issu des rangs du parti socialiste et ancien ministre de François Hollande. En dehors de Gabriel Attal, qui a débuté sa carrière comme conseiller ministériel de Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avant de rejoindre, dès 2016, les rangs de la Macronie, tous les ministres sortants issus des rangs de la gauche se sont fait éjecter.
Tous les poids-lourds du gouvernement sortant, à l’instar de Bruno Le Maire, ancien candidat LR aux primaires en 2017, ou Gérald Darmanin, très proche de Nicolas Sarkozy, ont vu leurs prérogatives encore renforcées et élargies tandis que le nouveau gouvernement accueille des personnalités comme Rachida Dati, une autre sarkozyste pur jus, membre de l’équipe dirigeante du parti LR, ou encore Catherine Vautrin, ancienne ministre de Jacques Chirac et battue aux législatives de 2017 par une candidate En Marche, tout un symbole !
La nomination de cette dernière, ministre en même temps du Travail et de la Santé, n’a pas manqué de surprendre les commentateurs et le Français moyen, lequel découvre ainsi à quel point le gouvernement se moque comme d’une guigne de l’avenir des politiques nationales de santé publique, au point de ne même pas juger utile de désigner un ministre à part entière pour s’en préoccuper… Un raisonnement qui vaut aussi pour le ministère de l’Éducation nationale, pourtant le deuxième de l’État en termes de dépenses budgétaires et le mieux fourni en effectifs avec pas moins de 1,2 millions d’agents affectés, en charge de l’enseignement scolaire.
Seulement voilà, notre nouveau Premier ministre qui avait lui-même été nommé au poste de ministre de l’Éducation nationale le 20 juillet dernier, estime manifestement avoir déjà fait le tour du sujet en 6 mois et n’avoir pas vraiment besoin d’un remplaçant à temps plein pour lui succéder. La fonction échoit donc à la ministre sortante des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, qui ajoute simplement cette fonction supplémentaire à sa liste.
Un choix ressenti comme un mépris flagrant par la majorité du monde enseignant qui s’offusque, à l’instar de Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU : «On vit une crise sans précédent, on a du mal à recruter des profs, les profs démissionnent et on va avoir une ministre à mi-temps, qui ne va pas pouvoir s’occuper de l’Éducation nationale à temps plein » et interroge : « Est-ce que ça veut dire que l’Éducation nationale va être coincée entre le beach volley et le lancer de marteau, entre deux séances des Jeux olympiques ? ».
On peut en effet se poser la question tant la situation paraît saugrenue, surtout à 6 mois de l’organisation des Jeux olympiques sur le territoire national, où l’on imagine que le travail ne manque pas pour la ministre en charge de ce dossier très lourd. D’autant que le ministère des Sports n’est pas non plus une mince affaire avec un budget de plus de 1,1 milliards d’euros en 2023, en hausse par rapport à l’exercice précédent et des sujets délicats à gérer comme ceux qui ont vu la ministre pousser au départ de Noël Le Graët à la tête de la Fédération française de football suite aux multiples polémiques liés à ses propos racistes et sexistes, puis à celui de Bernard Laporte qui a dû quitter la présidence de la Fédération française de rugby suite à différentes malversations.
Et voilà qu’à peine nommée à ses nouvelles fonctions, Amélie Oudéa-Castéra se retrouve interrogée, lors de son premier déplacement officiel le vendredi 12 janvier 2024, sur les raisons qui font qu’elle a retiré ses trois enfants de l’école publique pour les inscrire au collège-lycée parisien ultra élitiste Stanislas, géré par l’enseignement catholique. Une décision qu’elle justifie sans hésiter parce qu’elle et son mari, le banquier d’affaire Frédéric Oudéa, en « ont marre (.) au vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées ».
Une réponse cash mais n’est vraiment pas passée dans le milieu enseignant, lequel alerte justement depuis des années contre les politiques libérales menées notamment par le gouvernement Macron, et d’autres avant lui, qui visent précisément à supprimer les postes de remplaçants ! Les syndicats, à l’image de la CGT, ont jugé « hallucinant » cette prise de position qui vise à détruire méthodiquement l’école publique tout en extrayant ses propres enfants du système pour les préserver. Même Marine Le Pen s’en est indignée, en constatant : « Sept ans qu’ils sont au pouvoir, sept ans qu’ils n’ont rien fait pour redresser l’école de la République. Et ils s’offusquent aujourd’hui du délabrement de l’enseignement public, comme s’ils n’en étaient pas responsables »…
Assurément, la nouvelle ministre multicartes va devoir ramer pour acquérir un minimum de légitimité aux yeux du personnel enseignant après une telle prise de position. D’autant que rien dans son cursus personnel et professionnel ne la prédisposait à cette fonction. Ancienne élève de l’ENA, issue de la même promotion qu’Emmanuel Macron, devenue magistrate à la Cour des Comptes, elle a choisi de démissionner de la Fonction publique, 10 ans après l’avoir définitivement quitté pour embrasser une carrière plus lucrative au sein du groupe AXA avant de rejoindre Carrefour où elle percevait en 2018 un salaire confortable de 1,4 millions d’euros par an, ce qui a fait d’elle l’une des ministres les plus riches du gouvernement lorsqu’elle a intégré ce dernier en mai 2022 : pas vraiment le profil idéal pour instaurer un dialogue de confiance avec le personnel enseignant et s’attaquer enfin au redressement de notre système éducatif, bien mal en point dans le classement PISA…
L. V.