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Une ministre des Jeux olympiques et de l’enseignement privé ?

17 janvier 2024

Le changement de Premier ministre voulu par Emmanuel Macron et dont Élisabeth Borne a fait les frais, limogée sans beaucoup d’égards malgré sa loyauté indéniable, n’a pas vraiment passionné les Français. La nomination d’un Premier ministre aussi jeune aurait pourtant de quoi faire jaser : est-il bien raisonnable de confier les rênes du gouvernement à un homme de 34 ans qui n’a d’autre expérience de la vie que ses séjours en cabinet ministériel et ses quelques années passées sur les bancs de l’Assemblée nationale ? Tout le monde reconnait son intelligence et surtout son véritable talent de communicateur, mais gouverne-t-on un pays uniquement avec de belles paroles dans un contexte de crises multiples, y compris de crise de confiance de la part d’une bonne partie de nos concitoyens envers leurs élus et leurs responsables politiques ?

Gabriel Attal, nouveau chef du gouvernement français à 34 ans seulement (source © Service d’information du Gouvernement)

Au-delà du choix de ce nouveau premier ministre, c’est la composition toute entière du gouvernement, du moins des 15 ministres annoncés le 11 janvier 2024 qui interroge. Force est d’abord de constater que cette annonce traduit un basculement assumé à droite, très éloigné du positionnement initial d’Emmanuel Macron, lui-même issu des rangs du parti socialiste et ancien ministre de François Hollande. En dehors de Gabriel Attal, qui a débuté sa carrière comme conseiller ministériel de Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avant de rejoindre, dès 2016, les rangs de la Macronie, tous les ministres sortants issus des rangs de la gauche se sont fait éjecter.

Gabriel Attal à droite de son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, conforté à son poste (photo © Michel Euler / AFP / 20 minutes)

Tous les poids-lourds du gouvernement sortant, à l’instar de Bruno Le Maire, ancien candidat LR aux primaires en 2017, ou Gérald Darmanin, très proche de Nicolas Sarkozy, ont vu leurs prérogatives encore renforcées et élargies tandis que le nouveau gouvernement accueille des personnalités comme Rachida Dati, une autre sarkozyste pur jus, membre de l’équipe dirigeante du parti LR, ou encore Catherine Vautrin, ancienne ministre de Jacques Chirac et battue aux législatives de 2017 par une candidate En Marche, tout un symbole !

Catherine Vautrin, nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, à l’Élysée le 12 janvier 2024 (photo ©  Ludovic Marin / AFP / France TV info)

La nomination de cette dernière, ministre en même temps du Travail et de la Santé, n’a pas manqué de surprendre les commentateurs et le Français moyen, lequel découvre ainsi à quel point le gouvernement se moque comme d’une guigne de l’avenir des politiques nationales de santé publique, au point de ne même pas juger utile de désigner un ministre à part entière pour s’en préoccuper… Un raisonnement qui vaut aussi pour le ministère de l’Éducation nationale, pourtant le deuxième de l’État en termes de dépenses budgétaires et le mieux fourni en effectifs avec pas moins de 1,2 millions d’agents affectés, en charge de l’enseignement scolaire.

Seulement voilà, notre nouveau Premier ministre qui avait lui-même été nommé au poste de ministre de l’Éducation nationale le 20 juillet dernier, estime manifestement avoir déjà fait le tour du sujet en 6 mois et n’avoir pas vraiment besoin d’un remplaçant à temps plein pour lui succéder. La fonction échoit donc à la ministre sortante des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, qui ajoute simplement cette fonction supplémentaire à sa liste.

Amélie Oudéa-Castéra, nouvelle ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques (photo © AFP / Les Échos)

Un choix ressenti comme un mépris flagrant par la majorité du monde enseignant qui s’offusque, à l’instar de Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU : «On vit une crise sans précédent, on a du mal à recruter des profs, les profs démissionnent et on va avoir une ministre à mi-temps, qui ne va pas pouvoir s’occuper de l’Éducation nationale à temps plein »  et interroge : « Est-ce que ça veut dire que l’Éducation nationale va être coincée entre le beach volley et le lancer de marteau, entre deux séances des Jeux olympiques ? ».

On peut en effet se poser la question tant la situation paraît saugrenue, surtout à 6 mois de l’organisation des Jeux olympiques sur le territoire national, où l’on imagine que le travail ne manque pas pour la ministre en charge de ce dossier très lourd. D’autant que le ministère des Sports n’est pas non plus une mince affaire avec un budget de plus de 1,1 milliards d’euros en 2023, en hausse par rapport à l’exercice précédent et des sujets délicats à gérer comme ceux qui ont vu la ministre pousser au départ de Noël Le Graët à la tête de la Fédération française de football suite aux multiples polémiques liés à ses propos racistes et sexistes, puis à celui de Bernard Laporte qui a dû quitter la présidence de la Fédération française de rugby suite à différentes malversations.

Et voilà qu’à peine nommée à ses nouvelles fonctions, Amélie Oudéa-Castéra se retrouve interrogée, lors de son premier déplacement officiel le vendredi 12 janvier 2024, sur les raisons qui font qu’elle a retiré ses trois enfants de l’école publique pour les inscrire au collège-lycée parisien ultra élitiste Stanislas, géré par l’enseignement catholique. Une décision qu’elle justifie sans hésiter parce qu’elle et son mari, le banquier d’affaire Frédéric Oudéa, en « ont marre (.) au vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées ».

Un dessin signé Alain Goutal, publié le 14 janvier 2024 sur le Club de Médiapart

Une réponse cash mais n’est vraiment pas passée dans le milieu enseignant, lequel alerte justement depuis des années contre les politiques libérales menées notamment par le gouvernement Macron, et d’autres avant lui, qui visent précisément à supprimer les postes de remplaçants ! Les syndicats, à l’image de la CGT, ont jugé « hallucinant » cette prise de position qui vise à détruire méthodiquement l’école publique tout en extrayant ses propres enfants du système pour les préserver. Même Marine Le Pen s’en est indignée, en constatant : « Sept ans qu’ils sont au pouvoir, sept ans qu’ils n’ont rien fait pour redresser l’école de la République. Et ils s’offusquent aujourd’hui du délabrement de l’enseignement public, comme s’ils n’en étaient pas responsables »…

Assurément, la nouvelle ministre multicartes va devoir ramer pour acquérir un minimum de légitimité aux yeux du personnel enseignant après une telle prise de position. D’autant que rien dans son cursus personnel et professionnel ne la prédisposait à cette fonction. Ancienne élève de l’ENA, issue de la même promotion qu’Emmanuel Macron, devenue magistrate à la Cour des Comptes, elle a choisi de démissionner de la Fonction publique, 10 ans après l’avoir définitivement quitté pour embrasser une carrière plus lucrative au sein du groupe AXA avant de rejoindre Carrefour où elle percevait en 2018 un salaire confortable de 1,4 millions d’euros par an, ce qui a fait d’elle l’une des ministres les plus riches du gouvernement lorsqu’elle a intégré ce dernier en mai 2022 : pas vraiment le profil idéal pour instaurer un dialogue de confiance avec le personnel enseignant et s’attaquer enfin au redressement de notre système éducatif, bien mal en point dans le classement PISA

L. V.

Politique fiction : Marianne s’amuse…

29 juillet 2023

C’est l’été, chacun ne pense plus qu’à la plage et les journalistes politiques s’ennuient… Le gouvernement vient d’être (un peu) remanié, après avoir tant bien que mal tourné la page de la houleuse réforme des retraites, au terme de 100 jours qui ne resteront assurément pas dans l’Histoire de France. Élisabeth Borne a réussi à sauver de justesse son poste de Premier ministre, faute de mieux probablement, tandis que les principaux poids lourds du gouvernement restent indéboulonnables.

Le nouveau gouvernement dans les jardins de Matignon le 24 juillet 2023, en l’absence néanmoins de Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Catherine Colonna ou encore Sébastien Lecornu, tous en Nouvelle-Calédonie avec le Président de la République  (© compte Twitter Elisabeth Borne)

Bruno Le Maire a beau se distinguer par sa passion irrépressible pour la publication en rafales de romans dont les passages érotiques émoustillent la France entière, il reste fidèle à son poste depuis 6 ans maintenant, malgré un bilan économique plutôt calamiteux, ayant creusé la dette comme jamais, après avoir supprimé l’Impôt sur la fortune puis renoncé à la taxe carbone suite à la révolte des Gilets jaunes, avant d’ouvrir en grand les vannes pendant la crise du Covid sans pour autant amorcer la moindre réindustrialisation du pays.

Quant à son grand rival de droite, Gérald Darmanin, qui se serait bien vu à Matignon, il s’enfonce dans sa politique de soutien inconditionnel aux forces de l’ordre dont il pardonne toutes les bavures, renforçant jour après jour la défiance généralisée qui s’installe chez une part croissante de la population, vis-à-vis du pouvoir mais aussi de nos institutions républicaines elles-mêmes…

Bruno Le Maire, Emmanuel Macron et Gérald Darmanin (photo © AFP / RTL)

Alors, certains s’amusent à imaginer des scénarios de politique fiction qui, reconnaissons-le, ne manquent pas de sel et permettent, à défaut de suivre une actualité politique peu palpitante en cette période estivale, de faire sourire les citoyens en vacances.

Citons notamment dans cette veine, les excellentes chroniques d’été que publie depuis la mi-juillet l’écrivain David Desgouilles dans l’hebdomadaire Marianne. Tombé très jeune dans la marmite politique où il est attiré par la figure du gaulliste Philipe Séguin, il s’était fait connaître par son premier roman uchronique intitulé Le bruit de la douche, publié en 2015, dans lequel il imaginait que Dominique Strauss-Kahn n’avait pas croisé le chemin d’une certaine Nafissatou Diallo, femme de chambre du Sofitel de New-York, ce fameux 14 mai 2011, et qu’il avait donc entrepris dans la foulée la campagne électorale qui devait assez naturellement le conduire un an plus tard à l’Élysée, avec sa conseillère spéciale, une certaine Anne-Sophie Myotte, souverainiste franc-comtoise, véritable héroïne du roman et alter égo évident de l’auteur.

Car David Desgouilles est un souverainiste pur sucre. Son dernier ouvrage, paru en 2019 sous le titre Leurs guerres perdues, n’est autre que le récit des désillusions successives de trois militants, ballotés de meetings en universités d’été, entre deux élections et de multiples trahisons, sur cette période de 1988 à 2017 qui voit les souverainistes, de Philippe Seguin à Jean-Pierre Chevènement, se déchirer et perdre peu à peu pied face au rouleau compresseur de l’intégration européenne et de la mondialisation. Une analyse très fine de 30 ans de politique française racontée de manière romanesque par ce nouveau Balzac, très bon connaisseur des arcanes du pouvoir.

L’auteur et chroniqueur David Desgouilles (photo © Hannah Assouline / Causeur)

Un talent qu’il met à profit pour raconter, dans les numéros d’été de Marianne, de savoureuses nouvelles dans lesquelles il imagine comment Emmanuel Macron pourrait envisager de conserver le pouvoir au-delà de 2027 puisque chacun sait que la Constitution lui interdit de se représenter pour un troisième mandat consécutif. On ne dévoilera pas le détail des scénarios les plus rocambolesques concoctés par David Desgouilles, d’autant qu’à ce jour seuls les trois premiers épisodes ont été publiés, mais on ne résistera pas au plaisir d’évoquer au moins le premier, à titre d’amuse-gueule…

Intitulé Le Gendre, idéal, cette première nouvelle reprend à son compte l’idée de La Chèvre, le film de Francis Veber, qui met en scène un Pierre Richard d’apparence aussi stupide et maladroit que malchanceux, mais qui trompe son monde et s’avère plus efficace que l’expert affuté et compétent qui le chaperonne. Cherchant vainement quel candidat de son camp adouber pour poursuivre son œuvre en 2027, alors que tous les prétendants se poussent du col et s’entredéchirent, Emmanuel Macron choisit donc « le plus con »… Son fidèle secrétaire général, Alexis Kohler, entretient le suspens pendant des mois autour de ce « Monsieur ou Madame X », faisant monter sa cote auprès d’une opinion publique piquée par la curiosité, au grand désespoir des ténors de la Macronie.

Emmanuel Macron réélu grâce au leurre Gilles Le Gendre : fiction ou prémonition ? (illustration  © Hervé Bourhis pour Marianne)

Lorsque le nom du candidat est finalement dévoilé, les Français découvrent un Gilles Le Gendre, gaffeur et laborieux mais profondément humain, qui séduit les Français et désarçonne ses adversaires, au point de se faire élire contre toute attente. Trois mois plus tard, l’Élysée fait savoir qu’il a été victime d’un burn out et est empêché de gouverner, et en octobre, Emmanuel Macron est facilement réélu à sa place…

On n’en dira pas trop des épisodes suivants pour ne pas divulgâcher comme on dit de nos jours, mais les titres des nouvelles suivantes parlent d’eux-mêmes… Opération Madame est bâti autour de la candidature d’une certaine Brigitte Macron qui remplace son mari à l’Élysée grâce à un positionnement très identitaire, tandis que la chronique intitulée Le cœur fragile du Vétérinaire, imagine le Président sortant démissionner brutalement au cœur de l’été, laissant ainsi l’intérim au Président du Sénat comme le veut la Constitution, l’inamovible Gérard Larcher, ex vétérinaire de Rambouillet, qui profite de cette campagne éclair pour se faire élire à l’Élysée avec le soutien d’Emmanuel Macron, avant de disparaître brutalement, victime d’une crise cardiaque peu avant Noël, comme l’avait escompté son prédécesseur, informé de sa santé fragile et qui dispose alors d’un boulevard pour se faire réélire…

Bien évidemment, toute ressemblance de ces pures fictions avec la réalité des combines politiques que pourrait imaginer notre Président de la République ne pourrait être que fortuite. Chacun sait bien qu’en politique, la réalité est toujours bien plus tordue que la fiction !

L. V.

Transition écologique : 10 ans pour rattraper 30 ans d’inaction…

30 Mai 2023

Les scientifiques alertent maintenant depuis des décennies sur l’impact grandissant des gaz à effet de serre et sur les conséquences désormais irréversibles de ce phénomène sur le réchauffement climatique mondial, source de désordres multiples et dont on constate dès à présent les effets concrets : montée du niveau des océans et submersion des zones basses côtières souvent très urbanisées, aggravation des risques d’inondations et de feux de forêts, perte de la biodiversité, hausse des températures rendant certaines zones inhabitables, canicules et sécheresses agricoles, tensions pour l’eau et accentuation des migrations climatiques…

Changement climatique : on tarde à prendre les décisions drastiques qui s’imposent… un dessin signé Michel Cambon (source © Mr Mondialisation)

Autant de fléaux déjà à l’œuvre mais dont on pourrait encore atténuer les effets si la planète s’engageait dans une véritable transition écologique, tournant définitivement le dos aux énergies fossiles qui ont fait la prospérité de la majorité depuis 150 ans mais qui conduisent désormais l’humanité à sa perte. Tous les scientifiques sérieux le disent depuis maintenant des décennies, relayés par les excellents travaux de synthèse et de vulgarisation du GIEC, le Groupe international des experts pour le climat. L’opinion publique est de plus en plus sensible à leurs arguments, mais nos responsables politiques et économiques tardent à s’engager dans cette voie, obnubilés qu’ils sont par les impératifs de la rentabilité à court terme et du « business as usual ».

Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat passées à la trappe : l’effet des lobbies économiques ? Un dessin signé Ganaga (source © Médias Citoyens Diois)

C’est justement pour échapper à ce piège du pilotage à (courte) vue qu’a été créée en 2013 une instance comme France Stratégie, officiellement le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, un service du Premier ministre, chargé de « concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental, ainsi qu’à la préparation des réformes ».

Son premier commissaire général, le haut fonctionnaire Jean Pisani-Ferry, a laissé la place en janvier 2017 pour se consacrer à l’élaboration du programme présidentiel d’Emmanuel Macron, alors en campagne. Mais cet économiste de renom est toujours dans le circuit et Elisabeth Borne lui a confié, en septembre 2022, une mission ambitieuse visant ni plus ni moins qu’à identifier les conditions et les moyens pour mettre enfin en œuvre cette transition écologique dont tout le monde parle.

Le travail entrepris est colossal, mobilisant des dizaines de spécialistes et aboutissant à la rédaction de 11 rapports thématiques qui embrassent de multiples aspects du problème, des modélisations macro-économiques jusqu’aux impacts sur l’inflation, la productivité ou le marché du travail, en passant par les approches en matière de sobriété et d’adaptation au changement climatique, sans oublier les enjeux du financement et de la fiscalité, le tout conclu par un rapport de synthèse, cosignée avec l’inspectrice générale des finances, Selma Mahfouz, et qui a été remis officiellement le 22 mai 2023 à Élisabeth Borne.

Remise officielle du rapport de Jean Pisani-Ferry à Elisabeth Borne (source © France stratégie)

Le principal mérite de ce travail est peut-être d’écrire noir sur blanc et de manière officielle ce que tout le monde savait déjà, à savoir qu’il est plus que temps d’engager enfin concrètement cette transition écologique pour laquelle nous n’avons que trop tergiversé, que cela exigera une volonté politique sans faille de la part de l’État, et que le coût pour la société sera colossal…

Sur la nécessité d’agir, ce rapport ne fait que rappeler des évidences déjà largement démontrées, et notamment que ne rien faire coûterait infiniment plus cher que d’anticiper et de prendre enfin à bras le corps cette problématique devant laquelle chacun recule depuis des décennies… D’autant que la France s’est d’ores et déjà engagée à réduire d’ici 2030 de 47,5 % ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2050, un projet d’autant plus ambitieux que quasiment rien n’a été fait depuis 30 ans et qu’il va falloir désormais mettre les bouchées doubles pour rattraper en 10 ans le retard accumulé !

Pour cela, les auteurs de ce rapport ont identifié 3 leviers d’action qui n’ont rien d’original et qui devront être actionnés simultanément pour espérer obtenir enfin le résultat visé : réorienter massivement le capital jusqu’à présent investi dans l’utilisation des énergies fossile, axer tous les développements technologiques vers les énergies vertes et engager un mouvement résolu de sobriété et d’économie d’énergie. Un programme qui ne pourra se mettre en place que via une impulsion forte de l’État, dans le cadre d’une planification écologique rigoureuse, et qui exigera des investissements publics majeurs, de l’ordre de 2 à 2,5 points de PIB.

Coût des investissements et des aides publiques nécessaires par secteur d’activité selon le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz (source © La finance pour tous)

Un gros effort que Jean Pisani-Ferry ne cherche pas à masquer et qui se traduira nécessairement, selon lui, au moins jusqu’en 2030 par des baisses de confort et de niveau de vie, avec un coût économique et social non négligeable. L’effort portant sur tous les Français mais pesant proportionnellement surtout sur les plus modestes, pour isoler leur logement et changer leur voiture, cela ne sera possible que moyennant des aides publiques massives, pour soutenir les ménages comme les entreprises. Un effort qui se traduira nécessairement par un endettement conséquent que le rapport chiffre à 10 points de PIB supplémentaire en 2030 et probablement 25 d’ici 2040, en tenant compte du ralentissement de la croissance qui en découlera.

Un effort significatif donc et que Jean Pisani-Ferry propose de répartir, pour le rendre plus acceptable socialement, en mettant fortement à contribution les classes les plus aisées via un prélèvement obligatoire exceptionnel ciblé à leur encontre. Une condition sine qua non selon lui pour rendre socialement acceptable une telle transition écologique sans se heurter aux mêmes protestations que lors des crises antérieures des « bonnets rouges » ou des « gilets jaunes » qui ont jusqu’à présent contribué à retarder la prise de telles mesures.

Elisabeth Borne, pilote énergique et persuasive de la planification écologique…, un dessin signé KAK, publié dans L’Opinion

Sauf que ce message courageux et réaliste n’a reçu aucun écho de la part du gouvernement. Élisabeth Borne s’est empressée de préciser qu’il n’y aura bien évidemment aucun prélèvement fiscal supplémentaire sur les Français les plus riches, le niveau de fiscalité étant déjà bien assez élevé, et qu’on se contentera, pour tenter de financer cette transition écologique, de faire des économies, à hauteur de 5 % dans les budgets des différents ministères. C’est donc encore une fois la détérioration du service public qui sera mise à contribution sans que cela puisse bien évidemment suffire, confirmant s’il en était encore besoin, qu’Emmanuel Macron n’est absolument pas à la hauteur de cet enjeu majeur de société auquel nous sommes collectivement confrontés, et qu’il reste, envers et contre tous, « le président des riches » !    

L. V.

Chine-Russie : un rapprochement inquiétant ?

12 avril 2023

Emmanuel Macron vient de passer 3 jours en Chine, du 5 au 8 avril 2023. De quoi oublier momentanément cette calamiteuse réforme des retraites, bien mal engagée, qui dresse une bonne partie du pays contre lui. Des manifestations relayées dans le monde entier mais sur lesquelles les autorités chinoises se montrent plutôt discrètes faute d’avoir elles-mêmes lancé une telle réforme, dans un pays où l’âge de départ en retraite est de 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, alors que l’espérance de vie y est désormais, depuis 2022, supérieure à celle des États-Unis…

Le Président de la République française se rendait en Chine surtout pour raisons économiques, cherchant à pousser les pions des entreprises françaises très présentes dans ce pays, par rapport à certains de nos voisins européens, à défaut d’arriver à réindustrialiser la France… Mais il ambitionnait aussi de relancer le dialogue de la Chine avec le bloc européen, espérant même convaincre son homologue chinois de ne pas soutenir trop ouvertement l’offensive russe en Ukraine, n’hésitant pas à lui dire publiquement : « je sais pouvoir compter sur vous afin de ramener la Russie à la raison et mettre tout le monde à la table des négociations ».

Dialogue franco-chinois entre Xi Jinping et Emanuel Macron à Canton le 7 avril 2023  (photo © Jean-Claude Coutausse / Le Monde)

Un vœu pieux qui a manifestement laissé son interlocuteur de marbre. La Chine reste en effet convaincue que les malheurs de l’Ukraine sont la conséquence inévitable de la propension de l’OTAN à vouloir s’étendre à l’Est de l’Europe, menaçant directement les intérêts de son ami russe. L’adhésion récente de la Finlande à l’OTAN, ajoutant d’un seul coup 1300 km de frontières communes entre les pays de l’OTAN et la Russie, ne peut que renforcer cette conviction…

La démonstration de force de la Chine qui a débuté depuis le 8 avril des manœuvres militaires d’envergure simulant un encerclement total de Taïwan avec tirs à balles réelles, vise d’ailleurs clairement à exprimer la volonté chinoise d’imposer sa loi dans tout ce secteur géographique, en réaction à la rencontre récente de la présidente de Taïwan avec des parlementaires américains. La position chinoise a d’ailleurs été exprimée sans ambages par un porte-parole de l’Armée populaire de libération, indiquant qu’il s’agit de donner « un sérieux avertissement contre la collusion entre les forces séparatistes qui recherchent l’indépendance de Taïwan et les forces étrangères ».

Vladimir Poutine et Xi Jinping à Pékin le 4 février 2022 (photo © Alexei Druzhinin / Sputnik / Euronews)

Une position de fermeté qui fait largement écho à la situation ukrainienne et explique que la Chine n’ait jamais esquissé la moindre critique envers l’agression russe contre son voisin ukrainien, n’excluant même pas de lui livrer des armes létales, dont des drones kamikazes pour compléter ceux déjà fournis en masse par l’Iran. Une position qui semble donc marquer un net rapprochement entre ces deux grandes puissances, dans un sentiment commun anti-américain et plus largement anti-occidental, pas forcément très rassurant quant à l’avenir des relations internationales…

Un tel rapprochement n’allait pourtant pas de soi quand on se souvient que les deux pays s’affrontaient militairement en 1969. L’épisode, pourtant pas si lointain, est certes passé un peu sous les radars car l’Occident avait alors bien d’autres chats à fouetter. La France se relevait tout juste (déjà…) d’une période de troubles sociaux et de manifestations tandis que les États-Unis étaient (encore) empêtrés dans la guerre du Vietnam. La Chine était en pleine révolution culturelle et le monde baignait dans la guerre froide si bien que les journalistes occidentaux étaient alors aussi rares à Moscou qu’à Pékin…

L’île Zhenbao sur le fleuve Oussour, enjeu symbolique d’une guerre de frontière (photo © Wang Jianwei / AFP / Xinhua / Courrier international)

Toujours est-il que dans la nuit du 1er au 2 mars 1969, un groupe de 300 soldats chinois a tendu une embuscade à une patrouille de garde-frontières russes sur une petite île, située au milieu du fleuve Oussouri qui délimite la frontière entre les deux pays. Cet incident intervient alors à l’issue d’une période de dégradation sévère des relations entre les deux pays dont les divergences s’accumulent depuis les années 1950 et qui aboutit en 1964 à la rupture des relations entre le parti communiste chinois et son homologue soviétique. Dans la foulée, la Chine de Mao Zedong se met à soutenir les revendications japonaises sur les îles Kouriles et évoque une remise en cause des traités qui, au XIXe siècle, avaient acté la main mise de la Russie tsariste sur certains territoires chinois de Mandchourie.

Patrouille de gardes-frontières chinois sur l’île de Zhenbao (source © Chinanews / Asie 21)

Depuis une convention de 1860, c’est donc le fleuve Oussouri qui marque la frontière orientale entre la Chine et la Russie et la petite île de 70 hectares, connue d’un côté sous le nom de Zhenbao, et de l’autre de Damanski, s’est donc retrouvée au cœur de ce conflit frontalier entre deux puissances alors toutes deux détentrices de l’arme nucléaire. Le 2 mars 1969, 31 soldats russes sont ainsi abattus par les forces chinoises offensives. Le 14 mars, les Russes ripostent en envoyant des chars mais doivent battre en retraite face à l’armée chinoise en surnombre. Et le 15 mars, l’armée soviétique sort l’artillerie lourde en mobilisant ses lance-roquettes multiples Grad pour bombarder les positions militaires chinoises installées sur la petite île. Mais quelques mois plus tard, la guerre frontalière se rallume dans le Xinjiang, Brejnev menaçant même de déclencher l’arme atomique pour réduire à néant les installations militaires chinoises…

Un cessez-le-feu sera finalement signé entre les deux puissances se septembre 1969 et le bilan de cette guerre de frontières qui aurait pu dégénérer en Armageddon nucléaire reste incertain. Les sources nationales évoquent une soixantaine de morts côté soviétique et plus de 800 côté chinois mais les estimations de la CIA penchent plutôt pour un bilan d’au moins 20 000 soldats tués des deux bords. Il fallu en tout cas attendre 1991 pour que Boris Eltsine finisse par reconnaître la souveraineté chinoise sur la petite île de Zhenbao et la rende définitivement à son voisin : tout ça pour ça…  

L. V.

Carnoux s’est donc choisi une députée d’extrême droite…

20 juin 2022

Bien sûr, c’était couru d’avance au vu des résultats locaux de la présidentielle qui s’était déroulée en avril dernier : à moins d’un miracle ou d’un sursaut des nombreux abstentionnistes, le Rassemblement national avait toutes les chances d’arriver en tête du second tour des législatives dans la neuvième circonscription des Bouches-du-Rhône qui regroupe, outre Carnoux, les deux grandes villes de l’Est marseillais, Aubagne et La Ciotat, ainsi que plusieurs communes de moindre importance, à savoir, Cassis, Gémenos, La Penne-sur-Huveaune, Roquefort-La Bédoule, Ceyreste et Cuges-les-Pins. Déjà au premier tour de la présidentielle, le 10 avril 2022, plus de 50 % des électeurs de la circonscription qui s’étaient déplacés au bureau de vote, avaient choisi un bulletin en faveur de Marine Le Pen, Eric Zemmour ou Nicolas Dupont-Aignan…


Joëlle Mélin, nouvelle députée de la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône (source © Europeen Union 2019 / Flickr)

Avec un peu plus de 14 000 voix exprimées en sa faveur, Jean-Luc Mélenchon finissait à une troisième place très honorable, sur la circonscription comme à l’échelle nationale, mais on se doutait bien que son score local de 23,8 % serait un peu court pour que son candidat, même estampillé Nouvelle union populaire écologique et sociale, puisse espérer finir en tête à l’issue de ce second tour des législatives. Déjà sa qualification à l’issue du premier tour, la semaine dernière, s’était faite sur le fil, le jeune candidat de la France insoumise, Lucas Trottmann engrangeant à peine 470 voix de plus que l’expérimenté référent départemental de la République en marche, le Cassiden Bertrand Mas-Fraissinet.

Lucas Trottmann (au centre), le candidat malheureux de la NUPES le 15 juin 2022 à Gémenos, entre les deux tours des législatives (photo © Marius Rivière / Marsactu)

Cette qualification inespérée pour le second tour était de bonne augure, dans une dynamique plutôt favorable aux idées de la gauche, pour une fois unie. Mais cela n’aura pas suffi pour battre la candidate du Rassemblement national, une Joëlle Mélin déjà député européen et pourtant usée par ses multiples candidatures à à peu près toutes les élections locales depuis une petite trentaine d’années… Mais les électeurs ont exprimé une certaine constance en la plaçant largement en tête de ce second tour des législatives, avec plus de 58,6 % des suffrages exprimés.

Même si la participation n’a pas été davantage au rendez-vous que lors de la présidentielle, moins d’un électeur sur deux ayant fait l’effort de se déplacer, encore moins qu’au premier tour de ces législatives, Joëlle Mélin a incontestablement fait un très bon score avec plus de 23 500 voix exprimées en sa faveur, moins que ce qu’avait recueilli Marine Le Pen au second tour de la présidentielle 2022 sur cette même circonscription, mais deux fois plus que son score du premier tour, ce qui traduit un très net report de voix en sa faveur de nombre d’électeurs de droite qui, pour rien au monde, n’accepteraient de glisser dans l’urne un bulletin de la France insoumise !

La victoire du RN dans notre circonscription est donc sans appel, Joëlle Mélin réussissant même l’exploit de l’emporter largement dans chacune des 9 communes de la circonscription. Un grand chelem qui en dit long sur l’influence désormais majoritaire des idées d’extrême droite sur notre secteur… Bien sûr, il subsiste des disparités d’une commune à l’autre, mais, pour une fois, c’est Cassis qui se distingue en donnant le meilleur score à la candidate RN qui l’emporte avec 72,4 % des suffrages exprimés, Joëlle Mélin faisant plus que tripler son nombre de voix entre les deux tours, une bonne partie des électeurs de Roland Giberti et de Bertrand Mas-Fraissinet la préférant manifestement à son challengeur de gauche.

C’est à peu près le même scénario qui s’est produit dans toutes les communes, y compris à Carnoux où Joëlle Mélin recueille 68,7 % des suffrages et double son nombre de voix par rapport au premier tour. Pourtant, le candidat de gauche, Lucas Trottmann est loin d’avoir démérité, lui qui est crédité à Carnoux de 31 % des suffrages exprimés et qui améliore nettement son score entre les deux tours.

Des législatives boudées par les électeurs, comme en 2017 (photo © Jacques Witt / SIPA / 20 minutes)

Ailleurs, les écarts sont plus serrés entre les deux candidats mais Joëlle Mélin dépasse quand même les 60 % à Gémenos, Ceyreste comme à Cuges et frôle cette barre à Roquefort-La Bédoule. Même dans les anciens bastions communistes d’Aubagne, La Ciotat ou La Penne-sur-Huveaune, elle dépasse largement les 54 % et augmente sensiblement son nombre de voix entre les deux tours.

Cette victoire d’un élu RN dans notre circonscription est loin d’être isolée puisque ce sont pas moins de 89 députés RN qui vont ainsi faire leur entrée à l’Assemblée nationale, là où ils n’étaient que 8 en 2017. Pour la première fois depuis 1986, date à laquelle le FN avait réussi à faire élire 35 députés grâce à l’instauration de la proportionnelle, le RN disposera ainsi d’un groupe parlementaire puissant, plus étoffé même que celui de la France insoumise qui a pourtant réalisé un très beau score en remportant pas moins de 75 sièges, tandis que le Parti socialiste, en sein de la NUPES en gagne 27, les écologistes 16 (juste assez pour former enfin un groupe parlementaire) et le PC 12.

Bien sûr, Jean-Luc Mélenchon perd son pari un peu fou d’obtenir la majorité qui lui aurait permis de briguer ce fameux poste de Premier ministre. Mais le revers est nettement plus sévère pour la coalition présidentielle qui, malgré ses 245 députés fraîchement élus, perd donc sa majorité absolue au Palais Bourbon. Le gouvernement d’Élisabeth Borne, qui a perdu au passage trois de ses ministres dans la bataille électorale, dont son poids lourd, Amélie de Montchalin, devra nécessairement s’appuyer sur une partie des 64 députés LR qui siégeront dans la nouvelle assemblée, ce qui augure a priori d’un durcissement des politiques déjà nettement néolibérales mises en œuvre par Emmanuel Macron.

Des élections désastreuses pour Emmanuel Macron : un dessin signé Oli

Ce dernier aura sans doute fort à faire avec ses deux oppositions majeures, celle de la gauche et celle de l’extrême-droite, avec lesquelles il lui sera sans doute bien difficile de trouver des compromis, vu leurs divergences d’idées. Les deux sortent fortement renforcées de cet épisode électoral, y compris dans notre région. Ainsi, dans les Alpes de Haute-Provence, les deux sièges reviennent au RN et à la France insoumise, dont le candidat, Léo Walter, élimine Christophe Castaner. Dans les Hautes-Alpes en revanche, les deux députés élus sont issus du parti présidentiel. Dans les Alpes-Maritimes, LR sauve les meubles en réussissant à faire élire 5 députés dont Eric Ciotti, tandis que le RN remporte 2 sièges, le dernier revenant à la coalition présidentielle. Dans le Var, le RN remporte haut la main 7 des 8 circonscriptions, la dernière échouant au camp présidentiel. Dans le Vaucluse, également, 4 des 5 sièges en lice reviennent au RN, le dernier étant remporté, de justesse par un candidat macroniste.

En région PACA, une forte poussée du RN (en bleu foncé), les candidats LR (bleu roi) ne résistant que dans le 06, ceux de la NUPES (rouge) et de LREM (violet) se partageant le reste (source © France 3 Régions / Flourish)

Quant aux Bouches-du-Rhône, sur les 16 circonscriptions en jeu, le RN en a quand même remportées 6, dont une à Marseille même, tandis que la République en Marche a réussi a faite élire 6 de ses candidats, dont le nouvellement rallié Lionel Royer-Perreaut. Enfin, la NUPES a obtenu 4 sièges dont celui du communiste Pierre Dharréville facilement réélu à Martigues tandis que Manuel Bompard récupérait, les doigts dans le nez, l’ancien fauteuil de Jean-Luc Mélenchon. Le candidat malheureux Lucas Trottmann, qui était son assistant au Parlement européen, arrivera peut-être à conserver son poste lorsqu’il rejoindra les bancs de l’Assemblée nationale : tout n’est pas perdu…

L. V.

RN : l’extrême droite qui inquiète…

15 juin 2022

On a déjà connu pareille situation au soir du 21 avril 2002, lorsque, à la surprise générale, le leader du Front national, Jean-Marie Le Pen, s’était qualifié pour le second tour des élections présidentielles, devançant le Premier ministre sortant, Lionel Jospin, pourtant porteur d’un bilan plus qu’honorable. A l’époque, de nombreux citoyens, y compris à Carnoux, étaient descendu dans la rue pour clamer leur indignation et marquer leur attachement à un régime républicain modéré dans lequel l’extrême droite, de sinistre mémoire, n’a pas sa place. Le 1er mai 2002, on dénombrait ainsi entre 1 et 2 millions de manifestants qui affichaient ouvertement leur refus de voir le Front National arriver au pouvoir.

Manifestation contre le Front national le 1er mai 2002, ici à Grenoble, rassemblant environ 60 000 personnes, soit un tiers des habitants de la ville ! (source © Le Dauphiné libéré)

Entre les deux tours des présidentielles de 2002, la quasi totalité des responsables politiques avaient affiché sans ambiguïté leur rejet de l’extrême droite et appelé à voter contre Jean-Marie Le Pen, à l’exception du dissident d’extrême droite d’alors, Bruno Megret, et, accessoirement, d’Arlette Laguiller, leader de Lutte ouvrière, qui renvoyait dos à dos les deux prétendants. En dehors de ces quelques extrémistes très éloignés des valeurs démocratiques, un consensus émerge alors clairement pour ne pas laisser la France s’embarquer dans une aventure à rebours de ses traditions républicaines, et Jacques Chirac avait été réélu dans un fauteuil le 5 mai 2002, avec 82,21 % des suffrages exprimés.

Vingt ans plus tard, le Front national a disparu et son héritière, Marine Le Pen, a tout fait pour banaliser l’image de son parti d’extrême droite, devenu le Rassemblement national, mais qui reste ouvertement attaché à la préférence nationale et à un pouvoir fort dans lequel les notions de liberté individuelle, d’égalité républicaine et de solidarité passent au second plan. Élection après élection, ce parti n’a cessé de recueillir des scores de plus en plus élevés, sa présidente se plaçant comme challenger au second tour des deux dernières élections présidentielles, en 2017 comme en 2022, avec un nombre de suffrages croissant, comme si de plus en plus de Français finissaient par être séduits par ce discours radical et xénophobe.

Emmanuel Macron et Marine Le Pen lors du débat des présidentielles de 2022 (photo © Jacques Witt / SIPA / DNA)

Depuis des années, les électeurs de gauche se sont toujours érigés en gardiens des valeurs républicaines pour voter contre les candidats RN, quitte à voter en se pinçant le nez pour des candidats de droite pour lesquels ils n’avaient guère d’affinités. On a ainsi vu à deux reprises, en 2015 comme en 2021, les candidats de gauche aux élections régionales en région PACA, pourtant dûment qualifiés pour le second tour, se retirer volontairement de la compétition électorale pour faire barrage au Front national, sous les remerciement polis et les ricanements retenus, de leurs adversaires de droite qui se frottaient les mains devant tant d’abnégation.

Et voila que pour ce deuxième tour des législatives 2022, on se retrouve pour une fois dans une situation un peu différente. Les partis de gauche, socialistes, écologistes, insoumis et communistes ayant réussi, une fois n’est pas coutume à mettre de côté leurs petites divergences pour présenter enfin des candidatures unies, comme la droite le fait depuis des années, voila que le paysage politique a subrepticement changé… On assiste ainsi, à l’échelle nationale, à pas moins de 63 duels au second tour prévu ce dimanche 19 juin qui opposeront un candidat d’extrême droite, généralement estampillé RN, à un candidat de gauche, pour l’essentiel porteur de l’étiquette NUPES (Nouvelle union populaire écologiste et solidaire).

Carte des circonscriptions avec mention des candidats arrivés en tête à l’issue du premier tour le 12 juin 2022 (infographie © Le Parisien)

Cela représente plus de 10 % des circonscriptions en jeu, et le phénomène est donc loin d’être négligeable, même s’il reste très minoritaire par rapport au cas de figure le plus répandu de ce second tour qui verra dans 276 circonscriptions, soit la moitié de celles qui restent en lice, s’affronter un candidat de l’alliance de gauche à un représentant du parti présidentiel Ensemble ! Même les duels entre Ensemble ! et le RN sont plus nombreux puisqu’on en dénombre plus d’une centaine sur l’ensemble du territoire national, tandis que 18 circonscriptions verront s’opposer un candidat Les Républicains à un candidat RN. Une situation assez inédite par rapport aux législatives précédentes de 2017 où les seuls candidats FN qui s’étaient maintenus au second tour avaient tous pour adversaire un candidat de La République en Marche, le parti d’Emmanuel Macron. Il y a six ans, ces candidats d’extrême droite qualifiés pour le second tour des législatives n’étaient qu’une centaine alors qu’ils sont plus du double cette année, ce qui confirme, s’il en était besoin, la progression incontestable des idées d’extrême droite dans notre pays !

Toujours est-il que cette confrontation attendue dans plus de 60 circonscriptions, au second tour des législatives 2022, entre la gauche et l’extrême droite interpelle directement les électeurs de droite et du centre-droit qui n’avaient quasiment jamais été confrontés à ce cas de figure jusqu’à présent. Une situation qui concerne notre territoire puisque c’est celle de la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône, qui opposera Joëlle Mélin à Lucas Trottmann, mais aussi celle de la 10° circonscription voisine, sur Gardanne et Allauch, où le RN est en tête face à la candidate NUPES Marina Mesure. Une configuration que l’on retrouve également à Martigues où le député communiste sortant, Pierre Dharréville est opposé à un candidat RN, de même qu’à Arles où le RN est en tête face au socialiste Christophe Caillault, de même que dans deux circonscriptions marseillaises où les candidats NUPES, Mohamed Bensaada et Sébastien Delogu, affronteront aussi un membre du RN dimanche prochain.

Joëlle Mélin et Lucas Trottmann lors d’un débat organisé par La Provence avant le premier tour des législatives 2022 (source © La Provence)

Et voila que brusquement les responsables politiques de droite comme du parti présidentiel se font bien silencieux pour conseiller leurs électeurs dans ce dilemme, oubliant toute notion de front républicain dont ils ont pourtant largement profité depuis des années. De crainte sans doute de froisser leurs ouailles qui penchent de plus en plus ouvertement vers les idées du Rassemblement national, la plupart d’entre eux se gardent bien de prendre parti, ne voulant pour rien au monde être taxés de sympathie pour des valeurs de gauche, quitte à laisser l’extrême droite investir en nombre les bancs de l’Assemblée nationale.

Même du côté d’Emmanuel Macron, pourtant lui-même issu des rangs du Parti socialiste (on finirait presque par l’oublier…) et qui s’est longtemps targué de vouloir être « en même temps » de gauche et de droite, le discours est pour le moins ambigu. « Aucune voix ne doit manquer à la République » a-t-il ainsi lancé de manière martiale mardi 14 juin, sur le tarmac de l’aéroport d’Orly avant de s’envoler pour une réunion de l’OTAN en Roumanie, comme si glisser dans l’urne un bulletin qui ne porterait pas la mention Ensemble ! serait une atteinte grave à nos valeurs républicaines…

Allocution d’Emmanuel Macron devant l’avion présidentiel, le 14 juin 2022 (photo © Reuters / JDD)

Élisabeth Borne elle-même avait largement entretenu la confusion au soir du premier tour en renvoyant dos à dos le RN et la NUPES, évoquant une « confusion inédite entre les extrêmes », avant de revenir sur ses déclarations à l’emporte-pièce et fixer comme ligne : « ne jamais donner une voix à l’extrême droite » tandis que son ministre Clément Beaune appelait encore plus clairement à privilégier les candidats de gauche à ceux du RN. Reste à savoir comment les électeurs qui ont voté au centre ou à droite lors du premier tour se positionneront dimanche prochain : préféreront-ils se faire représenter à l’Assemblée par un député d’extrême droite ou par un représentant de la gauche républicaine ? Réponse dimanche soir…

L. V.

Élisabeth Borne : quelle planification écologique ?

19 Mai 2022

Après sa réélection facile, le 24 avril dernier, à la Présidence de la République, Emmanuel Macron a fait durer le suspens… Plus de trois semaines pour nommer un Premier ministre, c’est du jamais vu ! Alors que le candidat malheureux de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, pourtant indiscutablement éliminé dès le premier tour distribuait ses tracts et collait partout ses affiches appelant les Français à l’« élire Premier ministre », le Président de la République consultait et prenait son temps. Tout juste consentait-il à distiller quelques indices, indiquant dès le 27 avril 2022 : « je nommerai quelqu’un qui est attaché à la question sociale, environnementale et productive » après avoir précisé, entre les deux tours de l’élection présidentielle, que son futur Premier ministre sera également « directement chargé de la planification écologique » si chère à Jean-Luc Mélenchon justement.

Une nomination qui s’est fait attendre… Un dessin signé Oli publié le 26 avril 2022

Mais le portrait esquissé était aussi a priori celui d’une femme, même si ce critère avait déjà été mis en avant en 2017, ce qui n’avait pas empêché Jean Castex d’être nommé à Matignon, sans avoir vraiment besoin de se travestir. Et c’est donc bien une femme qui a donc fini par être nommée, le 16 mai 2022, en l’occurrence Élisabeth Borne, celle dont le nom circulait depuis déjà plusieurs semaines, même si bien d’autres ont été évoqués par les journalistes en mal d’informations à sensation.

Élisabeth Borne à l’issue de la passation de pouvoirs avec Jean Castex, le 16 mai 2022 (photo © Ludovic Marin / France Inter)

En dehors du fait qu’elle est la première femme nommée à ce poste depuis l’expérience douloureuse d’Édith Cresson qui n’avait tenu que 10 mois à ce poste, il y a plus de 30 ans, dans un climat délétère de guerre ouverte entre Michel Rocard et François Mitterrand, se heurtant de front à l’hostilité d’une partie de sa majorité et au sexisme violent de toute la classe politique, certains députés n’hésitant pas à crier « à poil ! » lorsqu’elle montait à la tribune de l’Assemblée nationale pour parler au nom du gouvernement…

Comme celle qui l’avait précédé à ce poste, Élisabeth Borne est une femme d’expérience. Âgée de 61 ans et fille d’un déporté rescapé d’Auschwitz, elle a fait de brillantes études à l’École Polytechnique puis à celle des Ponts et Chaussées avant d’occuper plusieurs postes prestigieux dans les cabinets ministériels (dont celui de Jospin à l’Éducation Nationale puis à Matignon en 1997), comme directrice de l’urbanisme de la Mairie de Paris aux côtés de Bertrand Delanoë, dans plusieurs entreprises publiques ou privées et comme préfet de la Région Poitou-Charente en 2013. Directrice de cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie en 2014, elle a à gérer l’épineux dossier de la prolongation des concessions autoroutières et la négociation d’un protocole d’accord en 2015, avant de prendre la tête de la RATP.

Élisabeth Borne en 2014, alors directrice de cabinet de Ségolène Royal au Ministère de l’Ecologie (photo ©
MaxPPP / Wostok Press / France Inter)

Nommée ministre des Transports auprès de Nicolas Hulot lors de l’élection surprise d’Emmanuel Macron en 2017, elle est notamment chargée de mettre en œuvre l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire et doit gérer une grève particulièrement dure de la SNCF. En juillet 2019, elle remplace au pied levé François de Rugy, démissionné sans ménagement de son poste de ministre de l’Écologie, une fonction qu’elle n’occupe que pendant une année seulement, le temps quand même d’enterrer définitivement le projet délirant d’Europa City, porté par le groupe Auchan, mais aussi de défendre et de faire adopter la loi Énergie Climat qui prévoit d’atteindre la neutralité carbone en 2050, une baisse de 40 % de la consommation d’énergies fossiles d’ici à 2030 et la fermeture des 4 dernières centrales à charbon en 2022.

Passation de pouvoir au ministère de l’Écologie, le 17 juillet 2019, entre François de Rugy et Élisabeth Borne (photo © Alain Jocard / AFP / Le Dauphiné)

Nommée ministre du Travail en juillet 2020, elle se retrouve à gérer une réforme de l’assurance chômage et se targue d’avoir enregistré une baisse significative du nombre d’inscrits à Pôle Emploi malgré la forte crise économique liée au CoVid, ce qui s’explique en partie par la forte progression de l’apprentissage…

Après avoir donc occupé pas moins de trois portefeuilles ministériels d’affilée, son expérience gouvernementale est incontestable, de même que sa bonne connaissance des dossiers qui est unanimement reconnue à cette femme, pur produit de la haute administration française et souvent qualifiée de « bosseuse ». Son passage dans plusieurs ministères de gauche ne permet pas pour autant de lui donner une étiquette politique, même si elle a prévu de s’engager, pour la première fois de sa vie, dans une bataille électorale, à l’occasion des prochaines législatives, faisant ainsi, curieusement, le choix inverse de Jean-Luc Mélenchon, qui brigue son poste sans chercher à se faire réélire député !

Élisabeth Borne de passage jusqu’aux prochaines législatives, comme certains l’imaginent déjà ? Un dessin signé Kak, publié dans l’Opinion, le 17 mai 2022

Sera-t-elle pour autant la ministre de la planification écologique que nombre de Français appellent de leurs vœux ? L’avenir le dira, sachant que le bilan du premier quinquennat d’Emmanuel Macron n’est pas brillant dans ce domaine, marqué par le départ houleux de Nicolas Hulot, abattu en vol par les lobbyistes de la chasse, la condamnation de la France pour non respect de ses engagements climatiques, ou encore l’échec retentissant de la Convention citoyenne sur le climat…

Ce ne sont pourtant pas les chantiers qui manquent en la matière si vraiment Élisabeth Borne partage de réelles ambitions. C’est toute la politique énergétique de notre pays qui est à revoir, pour sortir enfin de la dépendance aux énergies fossiles, y compris d’ailleurs pour des raisons d’indépendance politique comme l’a mis en évidence la crise en Ukraine. Il faudrait arrêter enfin les deux dernières centrales à charbon toujours en activité, et multiplier d’ici 2050 par 10 la puissance solaire installée et par 2 celle de l’éolien terrestre, tout en déployant une cinquantaine de parcs éoliens flottants. En parallèle, il faudrait accélérer fortement les efforts de rénovation énergétique du parc immobilier français au rythme d’au mois 700 000 logements par an, pour réduire d’autant la consommation énergétique et donc les émissions de gaz à effet de serre. Mais il faudrait aussi se pencher enfin sérieusement sur la perte dramatique de biodiversité, ce qui passe notamment par un arrêt total de toute nouvelle bétonisation de l’espace et donc une révision drastique de nos modes d’urbanisation et surtout de transports, mais aussi par une réforme profonde de nos pratiques agricoles encore beaucoup trop consommatrices de pesticides et contribuant fortement à la dégradation des sols. De véritables travaux d’Hercule qui attendent donc Élisabeth Borne dans ses nouvelles fonctions…

L. V.

Législatives 2022 : ça se précise dans la 9ème…

12 Mai 2022

A un mois tout juste du premier tour des prochaines élections législatives, prévues les 12 et 19 juin 2022, dans la foulée des présidentielles qui ont vu la réélection facile d’Emmanuel Macron, voilà que les principaux partis en lice ont enfin désigné leurs candidats.

Pour la 9ème circonscription des Bouches-du-Rhône, celle qui englobe, outre Carnoux et ses voisines, Cassis, Aubagne et Roquefort-la Bedoule, les communes de La Ciotat, Ceyreste, La Penne-sur-Huveaune, Cuges-les-Pins et Gémenos, la grande nouveauté de ce scrutin est que, pour la première fois depuis 1999, il y a plus de 23 ans !, le député sortant UMP puis LR, Bernard Deflesselles, ne se représentera pas… C’est un autre notable local qui portera cette fois les couleurs du parti de droite, jusqu’ici solidement implanté dans cette circonscription mais qui a subi un incontestable revers avec moins de 5 % pour sa candidate, Valérie Pécresse, au premier tour de la présidentielle 2022.

Roland Giberti, maire de Gémenos et candidat aux législatives 2022 (photo © Frédéric Spech / La Provence)

Maire de la petite, mais ultra-riche, commune de Gémenos depuis 2001 (plus de 20 ans donc !), Roland Giberti fait parti de ces caciques qui n’hésitent pas à cumuler les postes pour disposer de tous les leviers du pouvoir. Élu sans discontinuer depuis 2004 au Conseil départemental, puis au Conseil Régional entre 2015 et 2021, il est même, depuis juillet 2020, Président du Conseil de Territoire Marseille Provence, une instance qui représente plus de 1 million d’habitants de la Métropole Aix-Marseille-Provence… Mais les Conseils de Territoire sont amenés à disparaître au 1er juillet 2022 dans le cadre de la loi 3DS, et il faut bien que nos élus locaux se recyclent : alors, pourquoi pas un siège de député comme lot de consolation ?

L’avenir dira si la seule notoriété et la solidité du réseau d’appuis locaux suffiront à faire élire le maire de Gémenos à l’Assemblée nationale. Il trouvera en tout cas sur sa route une autre adepte du cumul des mandats qui a, elle aussi, pris l’habitude depuis des années de candidater à toutes les élections qui se présentent, mais sous l’étiquette du Front national.

Médecin de formation, spécialisée en gériatrie, Joëlle Mélin est depuis 2014 conseillère d’opposition, désormais sous l’étiquette du Rassemblement national, à la mairie d’Aubagne. Elle est également depuis cette date élue au Parlement européen, après avoir été candidate à la plupart des élections départementales et régionales de ces dernières années, siégeant d’ailleurs à la Région entre 2010 et 2015.

Joëlle Mélin, en mars 2020, alors tête de liste Rassemblement National aux élections municipales à Aubagne (photo © Rislène Achour / La Provence)

Vu le score de Marine Le Pen qui, sur cette circonscription, était arrivée largement en tête du premier tour de la présidentielle 2022, avec plus de 35 % des suffrages, sans oublier les 14 % d’Eric Zemmour et les 2,8 % de Nicolas Dupont-Aignan, ses chances de remporter cette élection législative ne sont a priori pas négligeables et il serait étonnant qu’elle ne se retrouve pas au second tour…

Dans le clan macroniste, qui se présente désormais sous l’étiquette plus sexy de « Renaissance », c’est un autre médecin qui tentera de se faire élire pour former cette majorité présidentielle, laquelle sera sans doute plus difficile à obtenir qu’en 2017 : chat échaudé craint l’eau froide… Anesthésiste à l’hôpital d’Aubagne depuis janvier 2018 et président du groupe Pasteur Mutualité, Bertrand Mas-Fraissinet, alors référent départemental de La République en marche, s’était présenté à la mairie de Cassis en mars 2020 où sa liste avait obtenu un peu plus de 38 % des voix face à celle de Danièle Milon, facilement réélue.

Bertrand Mas-Fraissinet, candidat pour le parti Renaissance (photo © Majorité présidentielle / La Provence)

Difficile de dire a priori quelles sont les chances de ce candidat assez peu connu localement, mais déjà élu au Conseil Régional. Dans cette circonscription, Emmanuel Macron avait obtenu plus de 28 % des suffrages au premier tour des Présidentielles et 48 % au second, ce qui crée malgré tout une réelle dynamique en sa faveur, comme cela avait déjà été le cas en 2017 où la candidate macroniste, Sylvie Brunet, avait échoué d’un rien face à un Bernard Deflesselles alors tout puissant…

Mais pour ces élections, la surprise pourrait peut-être venir de la gauche qui, pour la première fois depuis des années, devrait enfin se présenter avec un minimum d’unité, sauf si se multiplient, comme à l’accoutumée, les candidatures dissidentes et plus ou moins anecdotiques. Après une série ininterrompues de débâcles électorales où les candidats de la gauche dispersée se faisaient systématiquement balayés dès le premier tour, la bonne surprise de la nouvelle alliance électorale qu’est la NUPES (nouvelle union populaire écologiste et solidaire), accouchée au forceps, est qu’elle devrait permettre de présenter en juin prochain des candidats communs issus de la France insoumise, du Parti socialiste, du PCF et des écologistes d’EELV.

Lucas Trottmann, en avril 2017, alors en campagne pour la France insoumise dans les quartiers nord de Marseille (photo © Pierre Isnard-Dupuy / Reporterre)

Dans la 9ème circonscription des Bouches-du-Rhône, c’est un certain Lucas Trottmann qui a donc obtenu l’investiture de la NUPES. Tout jeune assistant parlementaire du député européen Manuel Bompard, lequel s’est illustré comme directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon, en 2022 comme en 2017, après avoir été, un temps, porte-parole de la France insoumise, Lucas Trottmann n’a pas d’attache locale, ce qui risque de l’handicaper quelque peu dans cette campagne. Passé par Science Po Paris, son expérience marseillaise se limite à un stage auprès de l’établissement public Euroméditerranée, mais nul doute que son expérience en matière de campagne électorale lui sera utile même si la partie est loin d’être gagnée dans une circonscription marquée aussi ouvertement à droite…

L. V.

NUPES : un jeu de dupes ?

8 Mai 2022

Pour une fois, lors des prochaines élections législatives qui auront lieu dans un mois, la gauche française présentera des listes d’union. Un véritable exploit qui n’était pas arrivé si souvent dans l’histoire récente de la démocratie de notre pays. Les médias ne se sont d’ailleurs pas privés de le souligner en rappelant ce fameux 3 mai 1936, date de la victoire du Front populaire aux législatives. Une date anniversaire qui n’a d’ailleurs pas pu être totalement respectée puisqu’il a fallu attendre le jeudi 5 mai au soir pour arriver à boucler cet accord électoral initié par la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.

L’affiche de campagne de l’Union populaire pour les législatives, dévoilée dès le 25 avril au lendemain de la réélection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République (source © France TV info)

Curieusement, c’est ce même Mélenchon qui avait tout fait pour éviter de participer à une primaire de la gauche, en 2022 comme d’ailleurs lors de la précédente présidentielle en 2017, qui s’est donc posé en champion d’une nouvelle union de la gauche, rassemblée autour de sa personne et de ses idées. Fort de son score de près de 22 % au premier tour de l’élection présidentielle, il ambitionne en effet désormais de virer en tête à l’issue des prochaines législatives pour que le président réélu Emmanuel Macron n’ait d’autre choix que de le nommer Premier ministre.

Un scénario bien entendu fortement improbable au vu de l’état de l’opinion tel qu’il se dessine à l’issue du dernier suffrage qui a quand même vu une très large majorité de Français se prononcer en faveur du Président sortant tandis qu’une forte minorité exprimait son penchant pour les idées populistes d’extrême-droite défendues par Marine Le Pen et Eric Zemmour. Certes, la gauche a plutôt fait bonne figure en réussissant à capter, toutes tendances confondues, un peu plus de 30 % des suffrages exprimés. Mais c’est pour l’instant bien loin de faire une majorité…

D’autant que l’état de désagrégation avancée dans lequel les deux principaux partis de gouvernement traditionnels se retrouve à l’issue de cette dernière séquence électorale, incitent bon nombre de figures politiques, du PS comme des LR, à rejoindre fissa le parti de la majorité présidentielle appelé a priori à gouverner le pays pour les 5 ans à venir.

Édouard Philippe, Richard Ferrand, François Bayrou, l’air accablé, et Stanislas Guerini annoncent la création d’une nouvelle confédération de soutien présidentiel le 5 mai 2022 (photo © Stéphane de Sakutin / AFP / Le Parisien)

Un parti qui fait d’ailleurs lui aussi sa mue au passage, comme l’a annoncé son porte-parole, Stanislas Guerini, ce même jour du 5 mai 2022, indiquant que la défunte République en Marche portera désormais le nom de Renaissance, un parti présidentiel dont l’objectif est « toujours de faire le choix des Lumières contre l’obscurantisme », rien de moins… Et avec, là aussi, une volonté de faire bloc, au sein d’une nouvelle confédération baptisée Ensemble, laquelle regroupera également le MODEM de François Bayrou, ainsi qu’Horizons, le parti de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, en attendant peut-être d’y agréger d’autres mouvements centriste de droite ou de gauche.

Comme pour la majorité présidentielle, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale créée à l’initiative de la France insoumise pour fédérer les forces de gauche est d’abord un accord électoral destiné à éviter que tous les candidats de gauche se fracassent une fois de plus sur le filtre redoutable du premier tour. Contrairement à l’accord précédent, celui de la gauche plurielle, qui remonte à 25 ans, suite à la dissolution anticipée de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac en 1997 et qui avait permis d’obtenir pas moins de 319 sièges de députés, il n’est plus question désormais de se désister au second tour pour le candidat le mieux placé car chacun sait bien que des candidats de gauche concurrents n’auraient que très peu de chance de parvenir au second tour en juin 2022.

Jean-Luc Mélenchon a fait le point sur l’avancée des négociations autour de la NUPES en marge de la manifestation du 1er mai 2022 (photo © Thomas Coex / AFP / RTL)

La seule stratégie possible est donc de se répartir les circonscriptions pour y présenter des candidats uniques, tout en faisant en sorte que chacun des partis alliés puisse espérer créer son propre groupe à l’Assemblée, ce qui suppose de disposer d’au moins 15 élus. Cette stratégie d’union qui se réduit donc au strict minimum, à savoir permettre à chacune de ses composantes, de survivre à la prochaine élection, comporte même une composante financière non négligeable. N’oublions-pas, en effet, que le financement public des partis politiques français dépend exclusivement de leurs résultats aux législatives, ce qui a permis notamment à l’ex LREM de toucher de l’ordre de 100 millions d’euros de fonds publics lors du dernier quinquennat. Ce financement dépend du nombre de parlementaires élus mais est réservé aux partis qui ont présenté des candidats ayant obtenu au moins 1 % des voix dans au moins 50 circonscriptions.

Le financement public des partis politiques, directement dépendant du résultat des législatives : un dessin signé Ranson (source © Le Parisien)

C’est la raison pour laquelle la France insoumise a accordé à son allié du Parti communiste français ces 50 circonscriptions sans lesquelles le PCF ne pouvait plus espérer toucher de financement public. Une bonne affaire pour le PCF qui devrait permettre à ses 11 députés sortant, dont le député de Martigues, Pierre Dharréville, de se représenter, tout en concourant dans 5 circonscriptions supplémentaires jugées gagnables par la gauche.

Pour les écologistes, qui obtiennent la possibilité de présenter un candidat dans une centaine de circonscriptions, dont 80 pour le parti EELV, l’affaire paraît plutôt positive également pour un parti qui, en 2017 n’avait réussi formellement à obtenir qu’un seul élu, lequel s’était empressé de rallier la majorité macroniste. Un groupe intitulé Écologie, démocratie, solidarité avait bien été créé en mai 2020, mais il était principalement constitué de députés élus sous l’étiquette LREM et il a d’ailleurs disparu quelques mois plus tard.

Meeting de la Nouvelle union populaire écologique et solidaire à Aubervilliers le 7 mai 2022 (photo © Julien de Rosa / AFP / France Culture)

Même s’ils ne seront présents que dans moins de 20 % des circonscriptions en juin 2022, les écologistes ne pourront donc guère faire pire qu’en 2017 et il se dit qu’une trentaine de ces circonscriptions seraient potentiellement gagnables, réparties entre EELV (dirigé par julien Bayou), Génération écologie (de Delphine Batho) et Générations (de Benoît Hamon), notamment à Bordeaux, Lyon et Strasbourg. Dans les Bouches-du-Rhône, en revanche, les 2 circonscriptions réservées à des candidats écologistes (Alexandre Rupnik dans le sud de Marseille et Stéphane Salord aux Pennes-Mirabeau) ne sont pas des cadeaux, ce qui fait quelque peu grincer les dents à certains élus locaux, dont l’écologiste marseillaise, Christine Juste, qui espérait bien se présenter…

En revanche, la pilule est un peu amère pour les socialistes qui obtiennent la possibilité de se présenter dans 69 circonscriptions seulement, alors qu’ils avaient obtenu 30 sièges en 2017, ce qui a d’ailleurs été l’objet de vertes critiques en interne lors du vote destiné à entériner cet accord, et laisse présager bien des candidatures dissidentes. Dans le meilleur des cas, le PS pourra donc simplement maintenir son nombre actuel d’élus, et ce n’est certainement pas dans notre département qu’il pourra espérer obtenir des élus, les 2 circonscriptions qui lui sont réservées, dans l’Est marseillais, ayant bien peu de chance de basculer à gauche !

Signature de l’accord NUPES par Olivier Faure malgré les mises en garde de certains ténors du PS, dont l’ancienne maire de Strasbourg, Catherine Trautmann : un dessin signé Yannick Lefrançois (source © Dernières Nouvelles d’Alsace)

En définitive et comme on pouvait s’y attendre, c’est évidement la France insoumise qui se taille la part du lion en obtenant le droit de présenter un candidat unique dans pas moins de 326 circonscriptions, sans compter les 32 encore en balance. Les 4 circonscriptions des Bouches-du-Rhône où la gauche a fait son meilleur score aux présidentielles, lui sont naturellement acquises. Jean-Luc Mélenchon lui-même ne devrait cependant pas se représenter à sa propre succession dans le centre ville où Kevin Vacher espère récupérer l’investiture. Ce dernier devra d’ailleurs peut-être laisser la place à Manuel Bompard, l’artisan des négociations de la Nouvelle union populaire écologique et sociale, cette NUPES qui reste en travers de la gorge de certains militants du parti socialiste où il se murmure que l’acronyme lui-même fait un peu trop penser à un « new PS » où Jean-Luc Mélenchon voudrait faire régner sa loi…

L. V.

Législatives 2022 : ça s’approche…

4 Mai 2022

Dans un peu plus de 5 semaines aura lieu le premier tour des élections législatives, le 12 juin 2022, et curieusement, personne n’a encore une très bonne visibilité sur ceux qui se porteront candidats à cette échéance électorale pourtant majeure dans notre régime de démocratie parlementaire…

Sur l’ensemble de la région PACA, c’est la candidate d’extrême droite, Marine Le Pen qui l’a emportée lors du second tour des présidentielles le 24 avril 2022, et son score national particulièrement élevé (41,5%) pourrait laisser prévoir l’arrivée massive de députés du Rassemblement national sur les bancs de l’Assemblée nationale à l’issue du second tour des législatives, prévu le 19 juin prochain.

Les bancs de l’Assemblée nationale au grand complet après la dernière élection en 2017… (source © Assemblée Nationale)

Mais n’oublions-pas qu’en 2017, seuls 8 députés apparentés à l’extrême droite avaient finalement réussi à se faire élire, même pas de quoi constituer un groupe politique ! Leurs chances seront sans doute plus grandes en 2022, notamment dans certaines circonscriptions du Var et du Vaucluse, mais plus aléatoires dans les Bouches-du-Rhône où Marine Le Pen est pourtant arrivée en tête dans 8 des 16 circonscriptions du département.

En 2017, sur ces 16 circonscriptions, la République en Marche, portée par la victoire d’Emmanuel Macron et malgré le déficit abyssal de notoriété de ses candidats, avait réussi à faire élire 7 députés auxquels il convient d’ajouter un élu du MODEM, Mohamed Laghila, et un OVNI politique, François-Michel Lambert, réélu alors avec l’étiquette LREM mais qui a, une fois de plus, changé de parti et sans doute même de circonscription puisqu’on l’annonce désormais candidat dans le Gers en lieu et place de Gardanne

Bernard Deflesselles, député sortant, préfère jeter l’éponge après un cinquième mandat aussi transparent que les précédents… (source © Twitter / Deflesselles)

Les Républicains avaient alors obtenu 4 députés parmi lesquels Bernard Deflesselles, réélu d’un cheveu dans la 9e circonscription, celle qui englobe Carnoux avec notamment Aubagne et La Ciotat, face à une parfaite inconnue, et uniquement grâce aux voix des électeurs carnussiens d’extrême droite. Un exploit qu’il pourrait difficilement rééditer en 2022 pour lequel il a d’ailleurs d’ores et déjà annoncé qu’il ne briguera pas un sixième mandat. C’est sans doute le maire de Gémenos, Roland Giberti qui portera donc le flambeau des Républicains mais qui risque de trouver sur sa route le Cassidain Bertrand Mas-Fraissinet, délégué départemental de LREM, dans une circonscription où Emmanuel Macron a obtenu plus de 28 % des suffrages au premier tour alors que la candidate LR était à moins de 5 % !

Bertrand Mas-Fraissinet, référent de la République en Marche dans les Bouches-du-Rhône et élu d’opposition à Cassis (source © GoMet)

Cette circonscription fait d’ailleurs partie de celles où Marine Le Pen est arrivée largement en tête à l’issue du deuxième tour, contrairement à 2017, ce qui risque de perturber largement le jeu électoral, même si le Rassemblement national semble encore avoir du mal à traduire ses bon scores lors des scrutins locaux nécessitant un fort ancrage territorial…

Rappelons au passage que pour cette élection comme en 2017, il faut, pour se qualifier au second tour, soit arriver dans le binôme de tête soit recueillir au moins 12,5 % des suffrages par rapport au nombre d’inscrits. Si le taux de participation ne dépasse pas celui de 2017, qui était dans notre circonscription, de 46,8 %, il faut donc obtenir pas moins de 27 % des suffrages exprimés pour se maintenir au second tour, sauf à finir dans les deux premiers. Autant dire que la gauche, même unie, a bien peu d’espoir de se maintenir au second tour dans cette circonscription au vu des résultats récents de la présidentielle, a fortiori naturellement si elle persiste à présenter comme en 2017 pléthore de candidats qui s’affrontent dans un duel suicidaire…

Manuel Bompard avec Jean-Luc Mélenchon à Marseille le 27 mars 2022 (photo © Clément Mahoudeau / AFP / L’Express)

En revanche, la gauche a toutes ses chances dans les deux circonscriptions qu’elle avait conservée en 2017. C’est le cas bien sûr de la 4e, dans le centre ville de Marseille, où Jean-Luc Mélenchon avait été facilement élu en 2017, même s’il pourrait cette fois laisser la place à son directeur de campagne, le député européen Manuel Bompard. Ce devrait être le cas aussi dans la 1ère circonscription, du côté de Martigues, où le communiste Pierre Dharréville compte bien rempiler avec de bonnes chances de succès. Trois autres circonscriptions marseillaises, toutes détenues par des députées macronistes sortants, sont aussi dans le viseur de la gauche, mais avec des chances de victoire assez limitées…

Du côté de la droite, Eric Diard, élu député de Marignane sans discontinuer depuis 2002, a toutes ses chances de maintenir son poste malgré les scores vertigineux de l’extrême droite dans son secteur. Ce sera sans doute plus disputé pour les 2 autres circonscriptions remportées par un candidat LR en 2017. Dans la 6e, le sortant Guy Tessier, élu député pour la première fois en 1988 et qui a achevé 6 mandats successifs complets, devrait enfin jeter l’éponge à 77 ans, ce qui aiguise les appétits pour sa succession. Didier Réault, qui a obtenu l’investiture LR risque fort de se retrouver face à l’ex LR Lionel Royer-Perreaut, déjà maire de secteur tout en étant élu au département et à la Métropole et qui vise désormais l’étiquette En Marche.

Eric Diard, député des Bouches-du-Rhône sur les bancs de l’Assemblée nationale (photo © Vincent Isore / MaxPPP / France Bleu)

Quant à la 1er circonscription, où la candidate LR Valérie Boyer, réélue en 2017 puis devenue sénatrice, avait cédé son poste de député à Julien Ravier, lequel est désormais inéligible après avoir été condamné dans l’affaire des procurations usurpées, c’est la grande incertitude. Bruno Gilles, ex LR lui aussi, y dispute l’investiture LREM face notamment à Pascal Chamassian et à quelques autres. Si les élections législatives risquent de bien peu passionner la plupart des Français, que l’on se rassure au moins en sachant que certains sont prêts à tout pour obtenir la possibilité d’y être candidats : voilà qui devrait nous rassurer, sinon sur la bonne santé de notre démocratie représentative, du moins sur l’enthousiasme et l’envie de gagner qui habite nos élus locaux !

L. V.

Présidentielle 2022 : un résultat sans réelle surprise

25 avril 2022

Emmanuel Macron vient donc d’être réélu pour 5 ans avec un peu plus de 58,5 % des suffrages exprimés, très largement devant Marine Le Pen, même si cette dernière réalise un score particulièrement élevé, très supérieur à celui qu’elle avait obtenu en 2017 ou que son père avait enregistré en 2002 face à Jacques Chirac. Elle finit d’ailleurs en tête à l’issue de ces présidentielles dans plus de la moitié des communes françaises, dont Carnoux-en-Provence, bien évidemment. Et le taux d’abstention, bien que parmi les plus forts observés au second tour d’une élection présidentielle, avec 28 %, n’est pas si différent de celui noté en 2017…

Emmanuel Macron fêtant sa victoire avec ses partisans sur le Champ de Mars le 24 avril 2022 au soir (photo © Thomas Coex / L’Express)

Un résultat du président sortant que l’on n’aurait pas forcément attendu après les précédents de Nicolas Sarkozy en 2012 et de François Hollande en 2017, tous les deux balayés par le vent de l’Histoire, au point que le second n’a même pas osé se représenter devant le suffrage universel tandis que le premier a subi en 2017 une nouvelle et humiliante défaite dès la primaire, avant d’être sévèrement rattrapé par la Justice pour une partie de ses multiples arrangements avec la Loi…

Pour être honnête, c’est un véritable exploit que d’arriver à se faire réélire dans un tel contexte de grand dégagement et de zapping quotidien ! Une ambiance qui incite une part importante de nos concitoyens à détester aujourd’hui ce qu’ils ont adoré hier, et à se comporter avec nos représentants élus comme avec n’importe quel fournisseur de prestation. Chacun exige un service irréprochable, au plus prêt de ses propres intérêts, et refuse de pardonner la moindre erreur de jugement ou de comportement, au prétexte que l’électeur-client est roi et que nos responsables seraient tous des incapables !

Un second tour qui a placé bien des électeurs dans l’embarras… Un dessin signé Deligne (source © Urtikan)

Gouverner un pays où chacun se croit expert et est persuadé d’avoir toujours raison n’est pas une sinécure. D’autant que si tous se rejoignent assez naturellement pour critiquer le pouvoir en général et nos élus en particulier, chacun a son idée de la manière dont il faudrait gouverner autrement, et rares sont ceux qui n’en changent pas au fil du temps et au gré des événements… Certes, Emmanuel Macron avait suscité en 2017 un incontestable engouement majoritaire, mais les tempêtes qu’il a dû affrontées n’étaient pas forcément de nature à laisser penser que les Français décideraient malgré tout de le reconduire dans ses fonctions.

La situation de guerre en Ukraine crée certes un climat plutôt consensuel qui incite la Nation à se regrouper autour de ses dirigeants, mais on pourrait difficilement en dire autant pour la pandémie de CoVid-19 qui a marqué ce quinquennat et qui a été à l’origine de critiques et de débats passionnés au cours desquels nos responsables politiques aux commandes ont plus d’une fois été traînés plus bas que terre par des Français déchaînés et les nerfs à fleur de peau. On pourrait en dire autant de la révolte des Gilets jaunes qui a bien failli dégénérer en guérilla urbaine et qui a mis en avant la difficulté à tenter de concilier qualité de vie, pouvoir d’achat et préservation de notre environnement : un débat qui ne fait que commencer !

Émeutes sur les Champs-Élysées en pleine crise des Gilets jaunes en novembre 2018 (source © France TV Info)

Et pourtant, malgré ces écueils de taille, le président sortant a été, tout au long de cette campagne, en tête des sondages. Certains ont critiqué notre mode même de scrutin uninominal majoritaire qui biaiserait les résultats. A cet égard, Flint et l’association Mieux Voter font état d’un sondage très instructif établi à plusieurs reprises avant le premier tour par l’institut Opinionway et qui compare les résultats selon trois manières différentes de voter. La première, telle que prévue dans notre Constitution donnait, dans sa dernière version peu avant le premier tour, donnait Emmanuel Macron en tête avec 27 % des intentions de vote (il en a finalement obtenu 27,84%) devant Marine Le Pen à 21 % (alors qu’elle a fini à 23,15%) et Jean-Luc Mélenchon à 15 % (contre 21,95 % lors du scrutin). Des estimations que l’on peut critiquer mais qui donnaient néanmoins une bonne image du tiercé gagnant de ce premier tour.

La seconde méthode d’analyse effectuée en parallèle consiste à demander aux sondés de juger, pour chacun des 12 candidats en lice comment ils les jugent aptes à gouverner la France pour les 5 ans à venir, selon un jugement gradué avec 7 niveaux allant de « à rejeter » jusqu’à « excellent ». Une méthode plus subtile qui permet de mettre en évidence les véritables votes d’adhésion inconditionnelle comme les sentiments de rejet viscéral, mais dont l’analyse permet de mettre en exergue les candidats qui suscitent globalement le plus d’adhésion (même tiède) et le moins de rejet.

Résultat du sondage Opinonway selon une approche majoritaire avant le premier tour des présidentielles 2022 (source © Flint)

Et la (bonne) surprise est que cette approche, pourtant radicalement différente, aboutit au même résultat avec Emmanuel Macron toujours en tête devant une Marine Le Pen qui a un taux de rejet très supérieur. La principale différence est que, selon cette méthode, Jean-Luc Mélenchon, cède une place avec un taux élevé (50 %) de rejet total ou de de jugement « insuffisant », au profit de Valérie Pécresse jugée plus consensuelle. La principale victime d’un tel classement est Eric Zemmour qui se place bon dernier du fait d’un taux de rejet particulièrement élevé…

Une troisième approche a aussi été testée, à savoir le vote par approbation, qui permet au sondé de lister les différents candidats qu’il serait prêt à soutenir s’il pouvait voter pour plusieurs d’entre eux. Une méthode originale mais qui aboutit exactement au même résultat, avec toujours Emmanuel Macron en tête devant Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, avec naturellement des scores légèrement supérieurs, mais de peu…

Cette démarche a en tout cas le mérite de montrer qu’aucun des 12 candidats qui s’étaient présenté aux suffrages des Français ne remporte leur adhésion majoritaire. Même Emmanuel Macron, pourtant le mieux placé et que les Français viennent donc de reconduire pour 5 ans à la tête du pays est rejeté par près de 30 % des électeurs et n’est réellement soutenu que par une proportion quasi identique du corps électoral.

Répartition des votes par tranche d’âge au premier tour des présidentielles 2022, à partir de sondages sortis des urnes (source © Statista)

Une ligne de fracture qui s’accentue encore quand on regarde la répartition des votes en fonction de l’âge des électeurs. Sur la base des déclarations des électeurs, il apparaît ainsi clairement que les plus jeunes (18-24 ans) ont plébiscité Jean-Luc Mélenchon avec près de 35 % des votes en sa faveur (et près de 7 % pour Yannick Jadot), confirmant sans conteste leurs préoccupations pour l’environnement et la justice sociale, avec néanmoins un taux d’abstention plutôt élevé. La tranche d’âge des jeunes actifs de 25 à 34 ans, celle où les taux d’abstention explosent, a en revanche placé Marine Le Pen en tête avec 30 % des suffrages contre 27 % à Jean-Luc Mélenchon. C’est seulement parmi les plus de 50 ans qu’Emmanuel Macron devient majoritaire tandis que l’adhésion à Jean-Luc Mélenchon passe en dessous des 20 % chez les plus de 35 ans.

Quant à la dernière tranche d’âge, à savoir les plus de 65 ans, souvent les plus assidus dans les bureaux de vote, ils ont voté en masse pour le président sortant, à plus de 37 % et sont les plus réticents à soutenir les candidats jugés plus radicaux comme Marine Le Pen (18 %) et Jean-Luc Mélenchon (11 %). La sagesse du grand âge ou le reflet d’une indifférence croissante pour l’avenir de la planète et du sort des plus défavorisés ?…

L. V.

Augmentation des retraites : un cadeau empoisonné ?

19 avril 2022

Au 1er janvier 2022, le montant des pensions de retraite a été revalorisé de 1,1 %. A l’approche des élections présidentielles, c’est le moment ou jamais de faire ce genre de petit cadeau qui peut mettre l’électeur de bonne humeur… D’autant que le geste n’est pas isolé puisque s’y ajoute le fameux bonus de 100 €, dénommé « indemnité inflation » que les retraités ont perçu le 1er février 2022 pour les aider à faire face à la hausse du prix de l’énergie et des carburants, au même titre que 38 millions de Français de plus de 16 ans qui ont gagné moins de 2000 € net par mois en octobre 2021, période de référence.

Emmanuel Macron en quête de voix chez les retraités ? Ici en visite dans un EHPAD en janvier 2019 (photo © Clément Mahoudeau / REA/ Les Echos)

Certes, on pourrait considérer que la mesure n’est pas excessivement généreuse au vu du montant de l’inflation qui est en train de repartir à la hausse. Sur l’ensemble de l’année 2021, la hausse des prix en France est évaluée à 1,6 %, mais sur les 12 derniers mois, depuis mars 2021 donc, elle atteint désormais 4,5 % ! La raison principale en est bien sûr l’envolée des prix du gaz et du pétrole, en lien direct avec l’invasion de l’Ukraine mais pour lequel bien d’autres facteurs contribuent. Cette hausse des carburants et de l’énergie atteignait déjà 10,5 % sur l’année 2021, avant donc que Poutine ne déclenche son « opération militaire spéciale », et n’en finit pas de s’envoler depuis. Par comparaison, les prix des denrées alimentaires n’avaient augmenté que de 0,6 % en 2021 et ceux des produits manufacturés étaient restés quasiment stables avec une hausse limitée à 0,3 %.

Évolution du taux d’inflation en France depuis 2012 en moyenne annuel sur 12 mois glissant (source © France inflation)

Dans ce contexte, l’augmentation de 1,1 % des pensions de retraite du régime général n’était donc pas un luxe même si elle fleure bon le petit coup de pouce d’un gouvernement désireux de se monter sous un jour favorable à quelques mois d’une échéance électorale majeure.

Sauf que certains retraités modestes ont eu la désagréable surprise de constater, comme cet ancien postier de Seine Maritime cité par France TV info, que malgré cette revalorisation modeste mais toujours bienvenue, sa pension de retraite avait en réalité baissé de 43 € ! Un comble pour ce qui était supposée être, sinon une opération de séduction d’un électorat souvent acquis au gouvernement, du moins une aide en ces temps de forte hausse des prix…

Sans commentaire… (source © Anti K)

Mais cette mauvaise surprise qu’ont constaté plusieurs milliers de retraités modestes et qui n’a rien de machiavélique, s’explique tout simplement par un effet de seuil de la CSG, cette contribution sociale généralisée, qui est prélevée sur l’ensemble des revenus, y compris ceux des pensions de retraite, de même d’ailleurs que la CRDS (contribution au remboursement de la dette sociale). Le taux de la CRDS est relativement modeste puisqu’il est fixé à 0,5 %. Celui de la CSG est déjà plus conséquent et il est progressif avec trois tranches croissantes : un taux réduit de 3,8 %, un taux normal de 8,3 % et un taux intermédiaire de 6,6 %.

Les retraités les plus modestes, qui perçoivent un revenu fiscal annuel inférieur à 11 431 € pour une personne seule (ou 17 535 € pour un couple) sont totalement exonérés de la CRDS comme de la CSG. C’était le cas de notre postier à la retraite qui touchait, jusqu’à fin 2021, 1341 € par mois de retraite. Début 2022, le montant de sa pension a donc été revalorisée pour atteindre la somme royale de 1356 € par mois. Mais ce simple petit coup de pouce, pourtant bien modeste, a propulsé notre retraité juste au dessus du seuil de 11 431 € de revenu annuel fiscal, si bien qu’il voit désormais sa pension de retraite amputée de 3,8 % de CSG et 0,5 % de CRDS, ce qui l’a ramène de fait à 1298 € par mois : soit une perte de 43 € tous les mois du fait de cette petite augmentation qui partait pourtant d’un bon sentiment !

Un dessin signé Deligne, pour Libération (source © Urtikan)

Bien évidemment, cette mauvaise surprise ne concerne qu’une infime minorité des retraités, la plupart d’entre eux voyant bel et bien les effets positifs de cette revalorisation de leur pension sous forme d’une augmentation faible mais palpable de leur revenu mensuel. Il n’en reste pas moins que pour les malchanceux qui voient leur revenu baisser du fait de cette augmentation de leur pension, la pilule est un peu amère à avaler et il n’est pas sûr du tout que cela les mette dans les meilleures dispositions pour voter Emmanuel Macron lors du second tour des présidentielles !

Ils devraient pourtant se réjouir de pouvoir enfin, grâce à ce coup de pouce bienvenu, contribuer comme d’autres au grand effort national de redressement des comptes de notre système de Sécurité sociale. Participer à un tel élan de solidarité nationale n’a pas de prix et mérite bien un petit sacrifice, assurément…

L. V.

Présidentielle : on prend les mêmes et on recommence !

12 avril 2022

Tout ça pour ça ! Des mois et des mois de campagnes, des milliers de militants mobilisés, des pages et des pages de programme, des meetings aux quatre coins de la France, 12 candidats mobilisés… Et au bout du bout, on se retrouve à l’issue du premier tour de cette présidentielle 2022 avec les deux mêmes finalistes qu’en 2017 ! C’est à désespérer de l’imagination politique des Français…

Un premier tour finalement plein de surprises… (source infographie © L’Humanité)

Le second tour de la présidentielle, le 24 avril prochain, opposera donc le président sortant de la République, Emmanuel Macron, à la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, qui se présente comme « femme d’État » et ne se fait plus appeler que par son prénom sur ses professions de foi, histoire de montrer à tous sa grande proximité avec l’électeur lambda, comme si elle faisait partie de la famille après trois campagnes présidentielles consécutives…

Le chef de l’État est incontestablement arrivé en tête de ce premier tour et il améliore sensiblement son score de 2017, avec près de 28 % des suffrages exprimés, ce qui relève de l’exploit après cinq années au pouvoir et malgré les épreuves traversées, de la crise des Gilets jaunes à la guerre en Ukraine en passant par la pandémie de Covid-19 et la crise économique majeure qui s’en est suivie. François Hollande, qui avait dû jeté lamentablement l’éponge après un quinquennat dont il était sorti lessivé, doit en pâlir de jalousie…

Marine Le Pen et Emmanuel Macron avant le débat de l’entre-deux tours le 3 mai 2017 (photo ©
Eric Feferberf / AFP / France TV Info)

Pour autant, Marine Le Pen réussit elle aussi l’exploit d’augmenter son score du premier tour par rapport au scrutin de 2017 avec un peu plus de 23 % des suffrages exprimés, sachant qu’elle a dû pour cela faire face à la concurrence frontale d’un Eric Zemmour venu chasser directement sur ses terres et qui à un moment donné faisait largement jeu égal avec la patronne du Rassemblement national. Marine Le Pen est d’ailleurs arrivée en tête de ce premier tour dans pas moins de 20 000 communes française, là où Macron n’en a remporté que 11 000, ce qui est quand même révélateur d’un profond ancrage du Rassemblement national dans le paysage politique français, surtout en milieu rural…

Carte des communes française avec le candidat arrivé en tête du premier tour (source © Ministère de l’Intérieur / Le Télégramme)

Mais la grande particularité de ce scrutin de 2022 par rapport à celui de 2017, est que les suffrages des Français se sont concentrés sur trois candidats principaux seulement. Certes, comme en 2017 et désormais à chaque élection, un électeur sur quatre n’a pas jugé utile de se déplacer, ce qui est pour le moins regrettable, surtout parmi les plus jeunes générations où ce taux d’abstention atteint des sommets. Mais pour ceux qui ont glissé un bulletin dans l’urne, plus de 70 % d’entre eux se sont portés sur les trois candidats arrivés en tête, ce qui était loin d’être évident avec 12 candidats sur la ligne de départ et confirme, s’il en était besoin, la grande cohérence de l’électorat, nettement plus raisonnable que ne le sont les responsables politiques qui aspirent à le représenter…

Le troisième homme de cette campagne, Jean-Luc Mélenchon, qui frôle les 22 % de suffrages exprimés a brillamment réussi sa troisième et sans doute dernière campagne présidentielle, ratant de peu (450 000 voix quand même…) l’accession au second tour, handicapé par son obstination à avoir refusé toute participation à une éventuelle primaire et toute alliance, y compris avec le Pari communiste, pourtant son allié traditionnel, qui a siphonné à son profit les électeurs dont il aurait eu besoin pour se qualifier.

Jean-Luc Mélenchon en meeting à Reims pendant la campagne 2022 (photo © François Nascimbeni / AFP / Les Echos)

On me manquera pas d’observer que le candidat de la France insoumise fait un score remarquable dans les départements d’Outre-mer, remportant même la majorité absolue en Martinique (53,1%) et en Guadeloupe avec 56,2 %, du jamais vu ! Il vire également en tête à la Réunion avec un peu plus de 40 % des suffrages exprimés, mais aussi dans certaines communes de la banlieue parisienne avec plus de 60 % à Trappes notamment. Il finit d’ailleurs en tête dans 5 des 8 départements de la région Île-de-France, avec en particulier plus de 49 % en Seine-Saint-Denis ! Mais il est aussi en tête du premier tour dans plusieurs grandes villes dont Marseille, Lille, Strasbourg ou même Amiens, la ville natale d’Emmanuel Macron…

Du coup, pour les autres candidats qui, à l’exception d’Eric Zemmour, finissent tous sous la barre fatidique des 5 % qui donne droit au remboursement des frais de campagne, c’est la soupe à la grimace. Une véritable claque pour Valérie Pécresse qui conduit les Républicains à un niveau jamais atteint pour sa famille politique tandis que le parti socialiste, mal représenté par une Anne Hidalgo en perdition, produit l’exploit de finir en dessous des 2 %, derrière le représentant du parti communiste, Fabien Roussel : du jamais vu depuis bien longtemps ! Le Vert Yannick Jadot fait lui-aussi un score très décevant avec à peine plus de 4,6 % des suffrages, même s’il frôle la barre des 10 % dans certaines villes comme Rennes ou Nantes et fait de très bons scores à Lyon, Grenoble, Bordeaux ou La Rochelle.

Yannick Jadot en campagne à Lyon le 29 janvier 2022 (photo © Robert Derail / Getty / France Culture)

Ce n’est bien sûr pas le cas à Carnoux qui place, comme en 2017, Marine Le Pen largement en tête de ce premier tour, avec sensiblement le même pourcentage de près d’un tiers des suffrages exprimés. Si on y ajoute les voix qui se sont portées sur Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan, on est quasiment à un électeur sur deux en faveur de l’extrême-droite ! Pourtant, Emmanuel Macron fait un bon score avec 24 % des suffrages exprimés quand il n’était qu’à 17 % en 2017. Quant à la gauche, elle fait finalement plutôt un bon résultat en atteignant un total de 20 %, dont 13,4 % pour Jean-Luc Mélenchon, sensiblement comme en 2017, et 4 % pour Yannick Jadot. Des résultats qui viennent quand même confirmer, pour ceux qui en douteraient encore, que la ville de Carnoux reste largement une terre de mission pour la gauche !

L. V.

Et si Macron avait été gilet jaune ?

9 avril 2022

Distordre la réalité pour inventer des parcours insolites à ceux qui se présentent, dimanche 10 avril 2022, au premier tour des élections présidentielles, voilà l’obsession d’un jeune artiste de rue, adepte du collage et du pochoir, qui se fait appeler Jaëraymie. « Distorsion », tel est le nom qu’il a donné à cette série d’œuvres dont il recouvre depuis le 18 février 2022 les murs de plusieurs villes, un peu partout en France.

Une démarche qu’il a initiée il y a 18 mois déjà et qui est donc l’aboutissement d’une longue réflexion avec des œuvres originales réalisées à la peinture à l’huile et à l’acrylique, dont il fait ensuite des collages sur les murs, en les assortissant d’un texte qui évoque, pour chacun des personnages ainsi mis en scène, un parcours très différent de celui qui les conduit aujourd’hui à se présenter au suffrage des Français.

Portrait d’Emmanuel Macron par Jaëraymie collé le 18 février à Amiens (source © Instagram / France TV Info)

Le premier de ces collage, qui a beaucoup fait jaser et qui a suscité moult réactions plus ou moins hostiles, au point que la toile originale, collée le 18 février 2022 sur un mur de l’ancienne vinaigrerie de la friche Benoît, dans le quartier Saint-Leu, à Amiens, a été recouverte à de multiples reprises et vandalisée. Mais l’original est visible sur Instagram où l’artiste s’explique sur ce portrait du Chef de l’État, Emmanuel Macron, affublé d’un gilet jaune et d’un impressionnant coquard à l’œil.

Car l’artiste a imaginé pour le jeune Macron, originaire justement d’Amiens, un parcours de vie quelque peu différent. « Et si Emmanuel Macron avait raté l’ENS et était revenu à Amiens chez ses parents ? » s’interroge en effet Jaëraymie. Une éventualité qui implique de fait un changement de vie radical. « Des années plus tard on le retrouve comme militant Gilet jaune qui manifeste sur les Champs Élysées », imagine ainsi l’artiste, d’où cet impact malencontreux de LBD 40 qui a laissé au jeune militant déterminé un magnifique œil au beurre noir et l’éloigne définitivement de son parcours d’homme politique en marche…

Portrait de François Hollande par Jaëraymie collé le 25 février à Tulle (source © Instagram)

Un autre ancien Président de la République s’est aussi fait tiré le portrait par Jaëraymie qui a affiché son œuvre le 25 février sur un mur de Tulle, rue d’Alverge, sur les rives de la Corrèze. Il s’agit bien sûr de François Hollande, quelque peu méconnaissable avec son marcel défraîchi et ses nombreuses dents manquantes. Un « sans-dents » né dans la pauvreté et qui bien évidemment n’aurait jamais eu la moindre chance de se présenter à l’élection présidentielle, dans la version dystopique imaginée par le street artiste.

Citons aussi Marine Le Pen dont tous les sondages prédisent la présence au second tour face à Emmanuel Macron justement, comme un mauvais remake de 2017. Son portrait qui trône depuis le 25 mars 2022 sur le mur d’un ancien poste de secours sur la plage entre Sangatte et Calais, ne manquerait certainement pas de surprendre ses militants les plus fidèles. L’artiste de rue lui a en effet imaginé un destin alternatif bien différent de celui qui la conduit à se présenter une nouvelle fois à l’élection présidentielle.

Portrait de Marine Le Pen par Jaëraymie collé le 25 mars à Sangatte (source © Instagram)

Imaginons en effet que cette avocate de profession se soit prise de passion pour la défense du droit des migrants, qu’elle se soit installée à Calais au plus près des associations qui les accompagnent, qu’elle se soit convertie à l’Islam et qu’elle porte le voile ? Voilà qui n’a rien d’impensable mais cela aurait quand même quelque peu changé la donne…

Une affiche électorale imaginée par Jaëraymie pour Eric Zemmour (source © Instagram)

Quant à Eric Zemmour, l’artiste l’affuble d’un magnifique boubou brodé et d’une barbe très islamique également, tout en lui imaginant un programme électoral bien différent pour son parti intitulé Notre France : droit de vote à toutes personnes sur le territoire national depuis plus de 18 mois, instauration de l’inéligibilité à vie pour les personnes condamnés pour incitation à la haine, reconnaissance des crimes commis lors de la colonisation, instauration de repas casher, halal et végétarien dans toutes les cantines sur demande, etc. Des propositions quasi calquées sur celles du candidats, à quelques détails près…

Pas sûr que les électeurs se laissent séduire par ces tranches de vie alternatives imaginées par le jeune artiste et n’aillent comme lui se laisser aller à croire en une Valérie Pécresse militante LBGT. Le premier tour des élections présidentielles aurait pourtant une toute autre allure avec de telles distorsions…

L. V.

Martine Vassal, nouvelle réfugiée politique ?

20 mars 2022

Alors que l’invasion russe se poursuit en Ukraine et que femmes et enfants fuient en masse ce pays pour tenter de se mettre à l’abri, les collectivités territoriales rivalisent d’imagination, une fois n’est pas coutume, pour exprimer leur solidarité et faciliter l’aide à ces réfugiés. Des actions fleurissent un peu partout pour susciter la générosité du public et recueillir matériels et produits de première nécessité destiné à être acheminés au plus près des zones frontalières tandis que les initiatives se multiplient pour accueillir le plus dignement possible ces familles qui fuient la guerre.

La Ville de Marseille est en pointe dans ce combat, qui a organisé rapidement une collecte ouverte aux habitants et ouvert un gymnase pour faciliter l’accueil des réfugiés ukrainiens venant chercher refuge auprès de connaissances ou pris en charge par les services de l’État dans des établissements hôteliers ou des hébergements temporaires.

Gennadiy Trukhanov, le maire d’Odessa, dans une vidéo diffusée lors du Conseil municipal de Marseille le 4 septembre 2022 (source capture d’écran © Ville de Marseille)

Une solidarité qui s’est exprimée fortement en introduction du dernier conseil municipal en date, le 4 mars 2022. Le maire d’Odessa, Gennadiy Trukhanov, s’y est exprimé par vidéo auprès de l’assemblée, dans un discours émouvant rappelant que sa ville est jumelée depuis 50 ans à Marseille et remerciant les Marseillais pour leur élan de générosité et leur soutien infaillible, que son homologue, Benoît Payan a réaffirmé avec solennité après avoir fait copieusement applaudir le courage des Ukrainiens déterminés à résister à l’invasion russe.

Les différents ténors de l’assemblée municipale se sont tous exprimés dans une belle unanimité pour confirmer ce soutien partagé au peuple ukrainien assiégé, dont le drapeau flottait d’ailleurs dans l’hémicycle aux côtés de ceux de la France et de l’Europe. La présidente du Département et de la Métropole, Martine Vassal, arborant elle-même ce drapeau en pin’s au revers de sa veste, y est allé de son discours empreint de gravité sur cette « situation exceptionnelle qui s’impose à nous », cette « menace pour la stabilité européenne », appelant à « faire preuve d’unité au-delà de nos différences politiques » et à « faire corps » tout en se présentant comme une « résistante » déterminée.

Martine Vassal, annonçant son ralliement à Emmanuel Macron en plein conseil municipal, le 4 mars 2022 (source capture d’écran © Ville de Marseille)

Une belle envolée lyrique, destinée en réalité à introduire une annonce toute personnelle, puisqu’il s’agissait pour elle de profiter de cet instant solennel pour déclarer tout simplement qu’elle se rangeait aux côtés d’Emmanuel Macron dans la perspective des élections à venir ! Partant du principe que « le Président de la République a su faire preuve de lucidité et d’anticipation au travers de sa gestion de la crise », et reconnaissant que « le Président ne nous a pas oublié, avec le plan Marseille en grand », Martine Vassal annonce tout bonnement, sous les huées de ses pairs : « Alors, oui, j’ai donc décidé de soutenir Monsieur Emmanuel Macron à la Présidence de la République ».

Martine Vassal, à Marseille le 2 septembre 2022, déjà avec Emmanuel Macron mais masquée… (photo © Ludovic Marin / AFP / BFM TV)

Reconnaissant ainsi faire fi de ses « convictions politiques » et même de ses « amitiés personnelles », la présidente de la Métropole n’hésite donc pas à tourner publiquement sa veste dans un hémicycle où elle annonce avec fierté siéger « depuis 21 ans », toujours sous les mêmes couleurs politiques, tout simplement parce que « on ne change pas un capitaine pendant la tempête ». A se demander même d’ailleurs s’il est encore bien raisonnable, au vu de la gravité de la situation, d’oser encore envisager des élections présidentielles dans un tel contexte !

Les démocrates sincères reconnaîtront sans conteste dans cette déclaration spectaculaire et ce ralliement téléphoné, bien que quelque peu hors de propos dans une telle instance, un acte de résistance extraordinairement courageux à quelques semaines d’une élection jouée d’avance dans laquelle tous les sondages annoncent le président sortant réélu dans un fauteuil, tandis que la championne LR, Valérie Pécresse, est en perdition dans les sondages…

Martine Vassal, en mars 2019, avec Valérie Pécresse, en présence de Bruno Gilles et Sabine Bernasconi : des amitiés politiques fluctuantes… (photo © JY Delattre / GoMet)

Bien entendu, une telle annonce a quelque peu perturbé le déroulement de ce conseil municipal, en partie déserté par les élus LR absorbés par ce petit cataclysme dans le microcosme. Le positionnement de Martine Vassal est d’ailleurs ambigu puisqu’elle affirme : « je ne vois pas pourquoi je quitterai LR » tout en annonçant sa démission de ses fonctions de présidente de la fédération de ce parti dans les Bouches-du-Rhône, position qui lui a permis de peser sur les investitures LR aux prochaines législatives.

Les instances du parti Les Républicains voient bien sûr les choses d’un œil un peu différent et considèrent donc qu’elle s’est auto exclue, Christian Jacob désignant dans la foulée l’ancien maire de Rognac, le sénateur Stéphane Le Rudulier, un proche d’Eric Ciotti, pour reprendre en main la Fédération locale. Martine Vassal se débarrasse ainsi à bon compte de ses anciennes attaches un peu encombrantes avec un parti LR largement discrédité, pour rejoindre avec le même enthousiasme que ses anciens camarades Renaud Muselier, Christian Estrosi, Hubert Falco ou encore Lionel Royer-Perreaut, l’étoile Emmanuel Macron au firmament de sa gloire.

Martine Vassal chantant la Marseillaise aux côtés d’Hubert Falco et de Renaud Muselier, au meeting de soutien à Emmanuel Macron, le 12 mars 2022 (photo © Coralie Bonnefoy / Marsactu)

Un positionnement qui s’est concrétisé dès le samedi 12 mars 2022, à l’occasion du grand meeting organisé à Marseille par la majorité présidentielle, sans le grand homme lui-même, retenu par la gestion des menues affaires du Monde, mais en présence de son Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, de passage localement pour poser la première pierre d’un commissariat de quartier dans un terrain vague du 13e arrondissement. Les macronistes de la première heure se serrent pour faire une place à tous ces ralliés issus des rangs de la droite, il y a encore peu critiques inconditionnels et adversaires politiques d’Emmanuel Macron, mais désormais sous le charme du héros national. Un journaliste de Marsactu s’y amuse d’entendre une militante LREM s’écrier en voyant Martine Vassal fendre la foule pour aller chanter la Marseillaise, la main sur le cœur, derrière une banderole géante proclamant fièrement « Les Marseillais avec Emmanuel Macron » : « Oh ! Une réfugiée politique »… On ne saurait mieux dire !

L. V.

Nucléaire : au cœur du réacteur électoral ?

13 février 2022

Depuis des années en France, la question du recours à l’énergie nucléaire était un peu tombée aux oubliettes et avait quasiment disparu du paysage des préoccupations politiques. En dehors d’une poignée de militants dont ceux de l’association Greenpeace qui se mobilisaient périodiquement pour protester contre le relâchement des mesures de sécurité sur les sites des centrales nucléaires, contre les convois de déchets radioactifs ou contre les projets d’enfouissement de ces mêmes déchets, le sujet ne passionnait plus les foules, comme si un consensus national s’était peu à peu installé autour des bienfaits de cette énergie qui alimente, en France, l’essentiel de notre consommation électrique.

Manifestation en 2011 à Saint-Vulbas, réclamant la fermeture de la centrale nucléaire de Bugey (source © France 3 Rhône-Alpes)

Alors même que la catastrophe de Fukushima en mars 2011 avait amené le Japon à fermer brutalement toutes ses centrales nucléaires et l’Allemagne à prendre la décision historique d’abandonner totalement le nucléaire d’ici 2022 (les 3 derniers réacteurs encore en activité étant toujours amenés à cesser leur activité d’ici la fin de cette année…), la France avait fait comme si rien n’était et poursuivi la construction du fameux EPR de Flamanville, débuté en 2007 et toujours pas achevé malgré le gouffre financier et le fiasco industriel que représente cette opération peu glorieuse pour le génie industriel national…

L’EPR de Flamanville, toujours en chantier depuis 2007 (source © Eco CO2)

En 1986, lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl, dont les impacts sanitaires avaient touché directement le sol française, l’émoi avait été nettement plus important. Mais là encore, les débats politiques sur la place du nucléaire civil dans le mix énergétique national n’avaient guère agité au-delà de certains cercles militants, contrairement à l’Allemagne où l’événement avait conduit à l’abandon du projet d’une usine de traitement de combustible radioactif en Bavière, ou encore à l’Italie qui avait alors mis fin à son propre programme nucléaire.

Dans les années 1970, le petit autocollant qu’on voyait partout…

Il faut en réalité remonter aux années 1970 pour retrouver une véritable mobilisation populaire contre le recours à l’énergie nucléaire. A l’époque, on voyait fleurir un peu partout les fameux autocollants jaunes avec ce soleil goguenard qui clamait, tout sourire, « Nucléaire ? Non merci ». Au tout début des années 1980, les projets de construction de centrales nucléaires mobilisaient encore des manifestations monstres d’opposants, comme à Plogoff où le 12 décembre 1981, le gouvernement socialiste de François Mitterrand avait finalement dû jeter l’éponge et abandonner le projet de construire une centrale nucléaire sur la lande bretonne, près de la Pointe du Raz.

Manifestation anti-nucléaire sur le site de Plogoff en 1980 (photo archives © Eugène Le Droff / Le Télégramme)

Ce projet, décidé en 1974 s’inscrivait alors dans un vaste programme piloté par EDF, alors tout puissant, qui prévoyait de couvrir la France de pas moins de 400 réacteurs nucléaires, avec en général l’appui enthousiaste des élus locaux qui voyaient s’amasser une véritable manne d’argent public, permettant de construire, à proximité des centrales nucléaires, lotissements neufs, équipements sportifs surdimensionnés, salles des fêtes, piscines et voiries éclairées à gogo. Une manne à laquelle le maire de Plogoff n’avait pas été sensible, préférant, en accord avec son conseil municipal, brûler spectaculairement le dossier d’enquête publique sur la place de la mairie, donnant ainsi le signal d’une véritable révolte populaire au cours de laquelle on a vu les grands-mères bigouden aux gendarmes mobiles puis aux parachutistes dépêchés en renfort de Paris…

Quelques années auparavant, en 1977, c’était le projet de surrégénérateur Superphénix qui mobilisait contre lui des foules de militants écologistes avec notamment une manifestation rassemblant plus de 60 000 personnes en juillet 1977 sur le site de Creys-Malville, avec de violents affrontements avec les forces armées, qui causeront d’ailleurs la mort d’un militant. Ces mouvements anti-nucléaires, qui s’étaient illustrés dès avril 1971 en organisant une marche contre le projet de construction de la centrale de Fessenheim, sont alors directement issus des milieux pacifistes qui luttent depuis plusieurs années déjà contre l’armement militaire nucléaire, avec des mouvements comme le Groupe d’action et de résistance à la militarisation, mené notamment par Théodore Monod.

Explosion d’une bombe atomique dans le désert du Nevada en 1957 (source © Getty / France Culture)

Né après la guerre, en réaction aux bombardements américains de Hiroshima et Nagasaki, sous la caution d’éminents scientifiques comme Frédéric Joliot-Curie qui lance dès 1950 l’Appel de Stockholm en vue d’interdire le recours à l’arme nucléaire, ces mouvements alimentent d’autant plus naturellement les rangs des opposants au nucléaire civil qu’à l’époque les deux programmes étaient très intimement liés et que le développement des centrales nucléaires à uranium appauvri favorisait en réalité le risque de prolifération nucléaire et de banalisation du recours à la bombe atomique. Des arguments renforcés ensuite par une réflexion sur le risque lié à la sécurité des installations nucléaires elles-mêmes et à la gestion dans le temps des déchets radioactifs, un processus toujours aussi mal maîtrisé.

Alors que de nombreux pays ont peu à peu abandonné le recours à l’énergie nucléaire comme source de production d’électricité, la France fait un peu figure d’exception avec, en 2020, encore plus de 67 % de l’électricité produite d’origine nucléaire, et 37 % de l’énergie primaire consommée issue de l’atome, un record mondial sachant que cette part est en moyenne de 4 % dans le monde !

Mais voilà qu’après des années de relative indifférence vis à vis de cette énergie nucléaire dont les Français ont largement profité, laissant peu à peu vieillir leur parc de 56 réacteurs nucléaires, répartis sur 18 sites, le fermeture en 2020 des deux réacteurs de Fessenheim, décidée par François Hollande, et les déboires du chantier de Flamanville avec ses retards et ses surcoûts accumulés, ont remis progressivement le sujet dans le débat, au point de venir s’inviter dans la campagne des présidentielles 2022. Le président sortant vient justement d’annoncer, à deux mois du scrutin, sa volonté de faire construire, d’ici 2050 six nouveaux réacteurs nucléaires EPR et en envisage même huit supplémentaires, complétés par de petits réacteurs modulables de plus faibles capacités, tout en voulant prolonger au delà de 50 ans la durée de vie des réacteurs actuellement en service.

Emmanuel Macron sur le site de General Electric à Belfort, annonçant le 10 février 2022 la relance du programme nucléaire français (photo © Jean-François Badias / Reuters / Courrier International)

Un tel positionnement en faveur de la relance d’un vaste programme d’investissement nucléaire, est d’ailleurs assez conforme à ce que prônent plusieurs autres candidats depuis le communiste Fabien Roussel jusqu’à la candidate frontiste Marine Le Pen en passant par la LR Valérie Pécresse. A l’extrême droite, on va même encore plus loin puisque le Rassemblement national veut carrément rouvrir la centrale de Fessenheim, tandis que Eric Zemmour souhaite prolonger la vie des réacteurs à 60 ans au moins et construire 14 réacteurs EPR d’ici 2050, exigeant l’abandon total de l’énergie éolienne.

Des positions qui vont complètement à rebours du scénario préconisé par l’association négaWatt qui vise à atteindre la neutralité carbone de la France d’ici 2050 avec un mix énergétique issu à 96 % de sources renouvelables. Une vision que l’on retrouve en grande partie dans les propositions du candidat écologiste Yannick Jadot, lequel prône également un abandon progressif du nucléaire couplé à une forte augmentation du recours aux énergie renouvelables. Une position largement partagée par les autres candidats de gauche, Jean-Luc Mélenchon, Anne Hidalgo et Christiane Taubira, qui tous visent une sortie complète du nucléaire d’ici 2045 à 2050. Contre toute attente, la question du nucléaire fait donc de nouveau partie des points de clivage de la nouvelle campagne électorale…

L. V.

Lionel Royer-Perreaut, l’anguille qui aime la soupe…

10 février 2022

L’affaire a fait grand bruit dans le Landerneau politique marseillais : ce mercredi 9 février 2022, Lionel Royer-Perreaut, maire LR des 9e et 10e arrondissements, annonce dans La Provence sa décision de quitter Les Républicains et de soutenir Emmanuel Macron pour les prochaines présidentielles. Lui qui déclarait fièrement il y a moins d’un mois dans les colonnes du même journal « Je soutiens Valérie Pécresse depuis le début », précisant même qu’elle était « la candidate de synthèse par excellence », a donc changé d’avis à deux mois seulement du premier tour de l’élection présidentielle, alors même que la candidate LR reste plutôt bien placée dans le trio de tête des challengers de ce scrutin.

Lionel Royer-Perreaut, annonce son départ du parti LR (photo © Nicolas Vallauri / La Provence)

Une telle annonce qui fait l’effet d’un coup de tonnerre dans la droite marseillaise est d’autant plus étonnante que Lionel Royer-Perreaut avait été en 2020 le maire de secteur le mieux élu de toute les listes LR, avec 45,5 % des suffrages exprimés au deuxième tour, loin devant la liste emmenée par Aïcha Sif pour le Printemps marseillais et celle du Rassemblement national menée par Éléonore Bez. Depuis, il avait tendance à se pousser du col et à se positionner en poids lourd de l’opposition LR au sein du Conseil municipal, monopolisant volontiers la parole avec ses discours sentencieux et moralisateurs, là où l’ancienne tête de liste LR, Martine Vassal, se montrait plutôt discrète lors des débats municipaux.

Élu à la Métropole Aix-Marseille-Provence, il s’y était arrogé le poste de deuxième vice-président du Conseil de Territoire Marseille Provence, délégué à l’habitat et au logement, laissant néanmoins la place de premier vice président au maire de Carnoux, Jean-Pierre Giorgi, par politesse sans doute. Réélu en 2021 au Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône, en tandem avec sa présidente sortante, Martine Vassal, il hérite, là aussi d’un poste de vice-président, délégué cette fois aux relations internationales et au rayonnement du territoire marseillais, un beau tremplin pour un responsable politique ambitieux qui commence à lorgner sérieusement sur la mairie de Marseille.

Lionel Royer-Perreaut, préside depuis 2020 la SOLEAM, dont l’action a été critiquée par la Chambre régionale des Comptes (source © Made in Marseille)

Et ce n’est pas tout car le maire de secteur a aussi été porté le 4 novembre 2020 à la présidence de la SOLEAM, alors qu’il présidait déjà, parmi de nombreuses autres institutions, l’office public de l’habitat départemental 3 Habitat. Pas forcément très connue du grand public, la Société publique locale d’aménagement de l’aire métropolitaine (SOLEAM) dont sont membres, outre la Métropole et la Ville de Marseille de nombreuses collectivités locales dont Cassis, Aubagne, La Ciotat ou encore Gémenos, compte une soixantaine de collaborateurs et pilote pour le compte de la Métropole de nombreux aménagements de ZAC et des opérations de renouvellement urbain, avec un bilan mitigé. Son intervention sur le projet de requalification de la place Jean Jaurès à Marseille avait notamment mis le feu à tout le quartier de La Plaine, déclenchant une véritable guerre de tranchée des riverains, au point qu’il avait fallu ériger un mur pour protéger le chantier…

Lionel Royer-Perreaut, qui jadis, en décembre 2009, était venu introduire une conférence organisée à Carnoux par le Cercle progressiste carnussien sur le projet de Parc national des Calanques, est donc unanimement considéré comme un pilier de la droite LR marseillaise, dans ses bastions du Département et de la Métropole, comme dans son rôle d’opposition municipale. D’où l’émoi causé par cette annonce fracassante de quitter brusquement les rangs des Républicains en pleine campagne électorale.

En 2020, l’entente cordiale entre Guy Tessier, Martine Vassal et Lionel Royer-Perreaut pour l’élection du maire de Marseille… (source © Made in Marseille)

En 2020 déjà, son positionnement avait surpris certains lorsqu’il avait joué des coudes pour obtenir l’investiture LR comme tête de liste dans le 5e secteur des municipales marseillaise, à l’issue d’un combat qualifié de « violent et douloureux » contre Guy Tessier qui était pourtant le candidat naturel à cette place. Une guerre fratricide d’autant plus âpre que Guy Tessier était le mentor de Lionel Royer-Perreaut. C’est lui qui l’avait pris sous son aile comme assistant parlementaire en 1995 alors que le jeune Royer-Perreaut, âgé de 21 ans seulement, venait de vivre l’assassinat de la député FN puis UDF, Yann Piat, dont il était attaché parlementaire. Réélue en mars 1993 et membre de la commission d’enquête contre la mafia à l’Assemblée Nationale, la députée envisageait de se présenter aux municipales à Hyères-les-Palmiers, dans le Var, lorsqu’elle avait été sauvagement assassinée par deux hommes à moto, le 24 février 1994.

Le 1er mars 1994, lors des obsèques de la député assassinée Yann Piat (photo © MaxPPP/ France TV info)

Pendant plus de 15 ans, Lionel Royer-Perreaut a fait toute sa carrière politique dans le sillage du député Guy Tessier dont il est devenu suppléant à l’Assemblée Nationale en 2007 et qu’il avait déjà remplacé comme maire de secteur en 2014, lorsque Guy Tessier était devenu président de la Communauté urbaine Marseille-Provence-Métropole.

En avril 2014, le député Guy Tessier laisse à son adjoint Lionel Royer-Perreaut le fauteuil de la mairie de secteur où il siégeait depuis 31 ans (source © La Provence)

Mais en 2020, Lionel Royer-Perreaut était carrément sorti de ses gonds lorsque, à l’occasion de l’élection du Maire de Marseille, Martine Vassal avait eu la lumineuse idée de proposer Guy Tessier comme candidat, espérant le faire élire au bénéfice de l’âge et avec l’appui discret des élus du Rassemblement national. Ce qui n’avait pas empêché Royer-Perreaut de se représenter quelques mois plus tard en tandem avec Martine Vassal pour se faire réélire, bras dessus, bras dessous, au Conseil départemental…

Affiche de campagne de Lionel Royer-Perreaut et Martine Vassal lors des élections départementales en 2021 (source © Comité femmes Marseille 9/10)

Qu’est-ce qui a donc bien pu pousser cet homme de droite aux convictions libérales solidement chevillées, à claquer ainsi la porte de sa famille politique en pleine bataille électorale ? Pour le comprendre, il ne faut pas oublier qu’une élection peut en cacher une autre : alors que toute l’attention des Français est braquée sur les présidentielles à venir, les responsables politiques, eux, ne pensent qu’aux législatives qui se profilent dans la foulée. Or, dans la sixième circonscription des Bouches-du-Rhône, un fief imperdable pour la droite qui comprend les 9e, 10e et 11e arrondissement de Marseille, c’est Didier Réault qui a été investi par le parti LR pour les prochaines législatives, avec l’inamovible Guy Tessier comme suppléant. Une véritable claque pour Lionel Royer-Perreaut qui est donc aussitôt aller frapper à la porte d’en face, celle de la République en marche, laquelle, ça tombe bien, a toutes les chances, au vu des sondages qui se succèdent depuis des mois, de faire réélire haut la main son champion, Emmanuel Macron. De surcroît, et là-encore ça tombe plutôt bien, le parti présidentiel a justement un peu de mal à trouver des candidats ancrés localement dans le paysage politique et connus des électeurs.

Lionel Royer-Perreaut entretient bien entendu encore un peu le suspens, pour la forme, mais nul ne doute désormais qu’il se présentera donc aux prochaine législatives sous l’étiquette de la future majorité présidentielle. Prudent, il préfère néanmoins laisser passer la présidentielle pour se dévoiler, sait-on jamais ? Quant à la cohérence de son positionnement politique qui risquerait de perturber légèrement certains de ses électeurs, cela ne semble pas trop l’inquiéter. Lui qui a tapé comme un sourd depuis 5 ans maintenant sur la politique menée par Emmanuel Macron, trouve désormais bien des qualités au Chef de l’État, jugeant qu’il a admirablement su gérer la crise sanitaire, sociale et économique qu’a traversé notre pays : une belle clairvoyance, certes un peu tardive, mais mieux vaut tard que jamais…

L. V.

Valérie Pécresse sur les pas de François Fillon ?

3 janvier 2022

Dans quatre mois seulement aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle française, le 10 avril prochain et l’on ne sait toujours pas avec certitude qui seront les prétendants. Ce ne sont pourtant pas les candidatures déclarées qui manquent, même si la principale d’entre elle, celle du Président de la République sortant, reste à venir, alors même que ce dernier est habituellement considéré comme le favori de ces élections. Ce serait même sans doute la première fois depuis le début de la Cinquième République, qu’un président en exercice aurait autant de chances d’être réélu, malgré l’absence de cohabitation qui avait permis, en leur temps, à François Mitterrand puis à Jacques Chirac, de se refaire une popularité suffisante pour enquiller un second mandat…

Présidentielle 2022 : la course est lancée, malgré le contexte sanitaire… un dessin de Fey, publié dans Le Progrès en août 2020

Face au président sortant, force est de reconnaître que les candidats de gauche risquent fort de ne faire que de la figuration. Les 7 candidats pour l’instant déclarés, hors candidature éventuelle de Christiane Taubira et hors hypothèse d’une nouvelle primaire permettant de départager certains d’entre eux, totalisent à eux tous à peine 25 % des intentions de vote, ce qui est bien peu pour construire une majorité, d’autant que celui qui fait le meilleur score, Jean-Luc Mélenchon, crédité de 8 à 12 % selon les sondages, est aussi l’une des personnalités politiques françaises qui suscite le plus de rejet dans l’opinion publique.

En 2017, un duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, largement remporté par le premier à l’issue d’un débat déséquilibré entre les deux tours (photo © Reuters / Huffington Post)

Tout le monde imaginait, jusqu’il y a peu, un nouveau duel au second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, comme en 2017, mais l’irruption dans l’arène du trublion Eric Zemmour a fortement rebattu les cartes. Alors que Marine Le Pen se positionnait clairement en outsider, créditée de plus de 20 % des intentions de vote jusqu’en septembre, elle se positionne désormais autour de 16 à 17 %, tandis qu’Eric Zemmour pointerait autour de 14 % même s’il est en baisse désormais, n’ayant pas réussi à rallier l’électorat populaire resté plus sensible au discours du Rassemblement national.

Évolution des intentions de vote au 1er tour des présidentielles de 2022 entre septembre et début décembre 2021 selon un sondage ELABE pour BMFTV, l’Express et SFR (source © BFMTV)

Dans ce contexte et au vu des sondages actuels, à prendre bien entendu avec toutes les précautions d’usage, il est donc probable que le second tour de la présidentielle, le 24 avril 2022, opposera à Emmanuel Macron la candidate issue des primaires LR, à savoir la présidente de la Région Ile-de-France, Valérie Pécresse, un duel qui s’annonce d’ailleurs particulièrement serré et pas forcément en faveur du président sortant, lequel aura à assumer tous les inévitables mécontentements et frustrations accumulés au cours de son quinquennat.

Valérie Précresse, la candidate surprise, issue des primaires de la droite… un dessin signé Kak, publié dans l’Opinion le 6 décembre 2021

Il n’est donc pas sans intérêt de commencer à s’intéresser au programme de cette Valérie Roux, née en 1967 à Neuilly-sur-Seine, fille d’un ancien président de la société Bolloré Télécom. Pur produit de l’enseignement privé catholique, elle s’initia au russe à 15 ans dans un camp de jeunesse communiste à Yalta avant d’aller perfectionner son japonais en vendant des camescopes à Tokyo. Formée à HEC puis à l’ENA, elle devient maître des requêtes au Conseil d’État avant d’épouser en 1994 Jérôme Pécresse, actuel PDG de General Electric Renewable Energy où il vient de supprimer 800 emplois.

Ayant rejoint l’Elysée en 1998 comme chargée de mission auprès de Jacques Chirac, elle est élue députée des Yvelines dès 2002, puis nommée ministre de l’enseignement supérieur en 2007 dans le premier gouvernement de François Fillon. En 2011, elle devient ministre du budget et porte-parole du gouvernement, se vantant d’avoir réussi à supprimer 150 000 postes de fonctionnaires grâce à la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), permettant une économie de 9,5 milliards d’euros entre 2008 et 2011. Réélue députée en 2012, elle devient en décembre 2015 présidente de la Région Ile-de-France, mandat qu’elle a conservé lors des régionales de 2021.

Valérie Pécresse, probable finaliste de la prochaine élection présidentielle ? (photo © Delphine Goldsztejn / Le Parisien)

Fervente adapte du libéralisme économique, elle se définit elle-même « deux-tiers Merkel, un tiers Thatcher », tout un programme ! Dans la droite ligne de son ex mentor, l’ancien premier ministre François Fillon, elle promet, si elle est élue en 2022, de diminuer les dépenses publiques, de réduire encore les impôts sur les entreprises et les frais de succession, de supprimer les 35 heures, de faire passer l’âge de la retraite de 62 à 65 ans, de baisser les allocations chômage et de supprimer pas moins de 200 000 postes dans la fonction publique : exactement le programme que proposait Fillon en 2017…

Cette obsession de la droite à supprimer toujours davantage d’agents de la fonction publique ne laisse d’ailleurs pas d’interroger à l’heure où les Français réclament toujours plus de protection ainsi que des services publics plus proches et plus performants. La crise épidémique de Covid-19 a pourtant montré à quel point la population française attend de l’État un engagement total pour garantir sa sécurité sanitaire et économique via des investissements publics massifs, « quoi qu’il en coûte ».

Supprimer des fonctionnaires, mais lesquels ? … un dessin signé Deligne (source © La Montagne)

Toutes les enquêtes d’opinion indiquent que la population regrette, assez majoritairement, les politiques d’ajustement budgétaire qui se sont traduites, année après année, par une disparition des infrastructures hospitalières de proximité, une diminution drastique du nombre de lits en réanimation et une pénurie de personnel de santé, au point que les médecins sont désormais sollicités pour édicter des critères de tri des malades à sauver en cas de nouveau pic épidémique excédant nos capacités de prise en charge… Et pourtant, voilà que ces mêmes Français, à en croire les sondages, seraient séduits par ce discours ultralibéral un peu suranné qui vise avant tout à réduire le rôle de l’État en taillant dans les effectifs des services publics, au risque de détériorer encore davantage la qualité de nos écoles, de nos universités, de nos tribunaux, de nos transports publics, de nos commissariats de police ou de nos hôpitaux. Qui a dit que les Français étaient pétris de contradictions ?

L. V.

Nouvelle-Calédonie : les gros sabots de Macron

18 décembre 2021

Les Néocalédoniens ont donc décidé, le 12 décembre 2021, lors du troisième et dernier référendum prévu par l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998, de rester français, à ceci à une large majorité de 96,5 % des suffrages exprimés. Le Président de la République, Emmanuel Macron, s’en est immédiatement félicité, estimant, un brin lyrique, : « Ce soir, la France est plus belle car la Nouvelle-Calédonie a décidé d’y rester », tout en reconnaissant : « nous ne pouvons ignorer que le corps électoral est resté profondément divisé ».

Emmanuel Macron lors d’un déplacement en Nouvelle-Calédonie en mai 2018 (photo © Ludovic Marin / AFP / Les Echos)

De fait, les résultats de ce troisième référendum sont bien différents des deux précédents et laissent perplexe. Certains comme Jean-Luc Mélenchon considèrent d’ailleurs carrément ce vote comme « pas légitime » car entaché par une abstention massive, plus de 56 % des 185 000 électeurs appelés à y participer ne s’étant pas déplacés. Ce taux d’abstention n’a certes plus rien d’exceptionnel par les temps qui courent, celui observé en métropole lors du second tour des dernières municipales, en juin 2020, étant encore supérieur ! Pour autant, le contexte est ici bien différent. Lors du premier référendum qui s’était déroulé le 4 novembre 2018, le non à l’indépendance l’avait déjà emporté mais avec 56,7 % seulement des suffrages exprimé et un taux de participation supérieur à 81 %. Deux ans plus tard, le second référendum, organisé le 4 octobre 2020, voyait une mobilisation encore plus forte, de 85,7 % et une légère progression du vote indépendantiste, le non ne l’emportant plus qu’avec 53,3 % des suffrages exprimés et seulement 2000 voix d’avance.

Trois référendums sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie mais un dossier toujours en suspens… (photo © Charles Baudry / Outremer 360)

Pour cette troisième consultation, le scrutin s’annonçait donc particulièrement serré et nombre d’Européens vivant en Nouvelle-Calédonie s’inquiétaient sérieusement d’une victoire possible du oui, susceptible de déboucher sur une indépendance où ils n’auraient plus forcément les coudées aussi franches. Mais en septembre 2021, l’archipel, jusque-là totalement épargné par la pandémie mondiale de Covid grâce à des mesures de protection assez drastiques, se retrouve confronté à une vague brutale de cas de Covid avec près de 300 morts enregistrés en quelques mois. Les Kanak, particulièrement touchés, mettent en avant ce contexte sanitaire défavorable pour demander un report du référendum, estimant qu’il ne peut pas se tenir dans de telles conditions, alors que de nombreuses familles sont préoccupées par les cérémonies de deuil, très importantes dans la culture kanake.

Mais le gouvernement a préféré passer en force et est resté totalement sourd à cette demande de report de quelques mois qui aurait probablement permis d’organiser ce suffrage dans de meilleures conditions. Confronté à un tel bras de fer, les indépendantistes du FLNKS et d’autres mouvements ont donc appelé, dès le mois d’octobre, au boycott, lequel a été scrupuleusement respecté par leur électorat, ce qui a conduit à cette situation totalement surréaliste au soir du 12 décembre : seules ou presque les populations d’origine européenne se sont exprimées, aboutissant à ce véritable plébiscite du refus de l’indépendance. Mais que vaut un référendum binaire si seuls les partisans d’une des deux options s’expriment ?

Panneaux électoraux lors du référendum de Nouvelle-Calédonie (photo © MaxPPP / Midi Libre)

Certes, l’histoire n’est probablement pas définitive, même si nombre de représentants des Caldoches expriment désormais bruyamment leur satisfaction et considèrent que l’affaire est entendue. Pour autant, les négociations vont devoir reprendre durant la période de transition de 18 mois qui s’ouvre désormais et qui doit aider à définir les modalités de gouvernance à venir, via la rédaction d’un nouveau statut pour l’archipel, lequel devra faire l’objet d’une adoption via un nouveau référendum. Les indépendantistes ont d’ores et déjà annoncé qu’il préféraient attendre, pour reprendre les discussions, le futur gouvernement dont la France devrait se doter à l’issue de la présidentielle puis des législatives du printemps 2022.

On n’a donc pas fini d’entendre parler de l’avenir de la Nouvelle Calédonie, cet archipel situé dans le Pacifique sud, à plus de 16 000 km de la France et un peu plus de 1 400 km des côtes australiennes ou de celles de la Nouvelle-Zélande. Ce territoire ne couvre qu’un peu plus de 18 000 km², soit environ trois fois le département du Var, mais donne accès à 14 % de l’espace maritime national et abrite la plus grande base militaire française dans le Pacifique, sans compter ses richesses en nickel qui représenteraient près du quart des ressources mondiales connues alors que ce métal est très utilisé comme alliage et pour la fabrication de batteries électriques, un marché en plein essor. La Chine s’intéresse d’ailleurs de très près à ce territoire qui pourrait aussi renfermer des ressources minérales sous-marines stratégiques sous forme d’hydrocarbures (gaz naturel et hydrate de méthane) et de nodules polymétalliques.

Exploitation de nickel en Nouvelle-Calédonie (photo © AFP / Sud Ouest)

Pour autant, les conflits interethniques rendent la situation sociale fragile sur cet archipel qui compte un peu plus de 270 000 habitants dont les deux-tiers sont concentrés dans l’agglomération urbaine de Nouméa, à l’extrémité sud de l’île principale. La population autochtone kanak est issue de vagues successives de navigateurs austronésiens provenant des Philippines, d’Indonésie et de Nouvelle-Guinée, qui auraient commencé à peupler l’archipel il y a environ 3000 ans. Les premiers européens à avoir accosté sont les Britanniques de l’expédition de James Cook, en 1774, qui donne d’ailleurs ce nom de New Caledonia à l’archipel. Les premiers comptoirs y sont installés à partir des années 1820 pour les besoins de la chasse à la baleine et aux tortues, mais c’est en 1853, sous Napoléon III, que la France s’installe pour fonder une nouvelle colonie et y ouvrir un bagne où seront déportés de nombreux communards (dont Louise Michel) mais aussi plusieurs milliers d’Algériens résistants à l’occupation française.

Volontaires kanaks s’engageant en 1941 dans le Bataillon du Pacifique (carte postale © source Ville de Nouméa)

Le statut de l’indigénat, adopté en 1887, est à l’origine de la création de véritables réserves où sont parqués les autochtones tandis que les colons européens s’emparent des meilleures terres pour y développer l’agriculture. La pression accrue de la métropole qui exige de ses colonies un effort de guerre en hommes et en ressources, déclenche en 1917 une violente révolte, sévèrement réprimée et qui préfigure les affrontements des années 1980. Une embuscade tendue par des militants caldoches aboutit en 1984 au massacre de 10 indépendantistes à Hienghène, dont 2 frères du leader du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou. L’acquittement des assassins par un jury d’Européens provoque un sursaut de colère fin 1987, qui débouchera en avril 1988, en pleine élection présidentielle, à la prise d’otage d’Ouvéa. L’assaut, décidé par Jacques Chirac malgré les réticences du Président François Mitterrand, est mené au lance-flammes et aboutit à un véritable massacre. Michel Rocard lui-même, qui sera à l’origine des accords de Matignon signés en juin 1988, confirme que des blessés kanak ont été achevés à coups de bottes après l’assaut par des militaires français.

Funérailles des militants kanaks tués suite à l’assaut de la grotte d’Ouvéa le 5 mai 1988 (photo © Rémy Moyen / AFP / Le Figaro)

Un contexte qui explique largement les tensions manifestement toujours vives entre la communauté kanak, dont se revendiquent plus de 110 000 résidents, et les européens caldoches (descendants de colons) ou « Zoreilles » (d’origine métropolitaine) qui totalisent un peu plus de 65 000 personnes, le reste de la population étant constituée de métis mais aussi d’habitants issus de nombreux autres pays, dont Wallis et Futuna, l’Indonésie, le Vietnam, la Chine et la Polynésie notamment. Un melting pot qui est encore bien loin de former une communauté unie et apaisée…

L. V.

Présidence de l’AMF : un camouflet pour l’Elysée

23 novembre 2021

Le 103e congrès de l’Association des Maires de France (AMF) vient de se clôturer avec l’élection à sa Présidence du maire de Cannes, David Lisnard, qui remplace donc à ce poste, depuis le 17 novembre 2021, le maire de Troyes, François Baroin qui occupait ce poste depuis 7 ans, l’épidémie de Covid ayant empêché l’association de tenir en 2020 son rituel congrès annuel.

David Lisnard, nouveau président de l’Association des Maires de France, le 18 novembre 2021, à la tribune du congrès (photo © Ludovic Marin / AFP / Le Monde)

Créée en 1907 à l’initiative du maire de Nantes, l’association plus que centenaire avait fusionné en 1925 avec sa concurrente d’alors et est reconnue d’utilité publique depuis 1933. Se targuant de rassembler pas moins de 34 000 maires, même si seulement un peu plus de 11 000 d’entre eux ont participé au vote du dernier congrès, il s’agit d’un acteur incontournable du lobbying des élus locaux auprès du Parlement comme du gouvernement.

Mais, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, en 2017, le torchon brûle avec les maires de France en général, et avec le président de l’association en particulier. « Avec Emmanuel Macron, on avait trop de désaccords de fond pour que ça se passe bien sur la forme » a ainsi déclaré le maire de Troyes le 15 novembre dernier sur la chaîne Public Sénat, mettant notamment en avant leurs désaccords profonds sur la suppression de la taxe d’habitation et le contrôle des dotations de fonctionnement aux communes.

François Baroin, président sortant de l’AMF (photo © Michael Baucher / Panoramic / Bestimage / Closer)

Curieusement, on assiste, au travers de ces échanges souvent tendus entre l’exécutif et les élus locaux, à une crispation des positions non plus sur des questions liées aux idées politiques des uns et des autres mais plutôt en fonction du positionnement entre État central et pouvoirs locaux. Depuis la décentralisation, les élus locaux se sont sentis poussé des ailes et ils n’hésitent pas à tirer à boulets rouge sur le pouvoir en place, quel que soit sa couleur politique, comme s’ils étaient les seuls représentants légitimes de la population face à un État retranché dans sa tour d’ivoire, reprochant sans arrêt à ce dernier de ne pas leur donner assez de moyens pour mener leur propre politique, comme si l’argent public et les subventions allouées par le pouvoir central ne venaient pas directement de la poche de tout un chacun, via le consentement à l’impôt…

Le changement de bureau qui vient de se produire à la tête de l’AMF traduit cette crispation. François Baroin avait choisi lui-même son successeur en la personne du maire de Cannes, le LR David Lisnard, déjà vice-président de l’association et ancien collaborateur de Jacques Pélissard qui présida l’AMF jusqu’en 2014. Positionné très à droite de l’échiquier politique, au point d’avoir appelé à voter pour le candidat RN Thierry Mariani contre Renaud Muselier lors des dernières élections régionales en PACA, David Lisnard a pourtant fait campagne en tandem avec l’autre vice-président de l’AMF, le maire socialiste d’Issoudun, André Laignel, ancien ministre de Michel Rocard et de Pierre Bérégovoy et instigateur en 1986 du slogan « Au secours ! La droite revient ».

André Laignel (à gauche) aux côtés de David Lisnard, au congrès de l’AMF (photo © Ludovic Marin / AFP / France 3 Régions)

Un tel attelage paraît assez curieux vu de l’extérieur mais il traduit de fait le positionnement majoritaire au sein des maires qui visent toujours plus de décentralisation et toujours plus de pouvoir donné aux élus locaux, en lutte contre le pouvoir de l’État, des institutions et de la technocratie. Un positionnement qui a d’ailleurs fait toussé certains piliers de la gauche, dont Stéphane Le Foll ou François Rebsamen, qui s’étonnent d’un tel rapprochement d’André Laignel avec un représentant de ce qu’ils qualifient de « droite dure ».

En tout cas, la manœuvre a parfaitement fonctionné puisque le maire de Cannes a été élu à la tête de l’AMF avec plus de 62 % des suffrages exprimés, en face justement d’un autre candidat, Philippe Laurent, maire UDI de Sceaux et secrétaire général sortant de l’AMF, qui incarnait davantage le rapprochement avec le gouvernement actuel. Même si Philippe Laurent s’est toujours défendu de rouler pour Macron, il ne faisait aucun doute que son élection aurait permis de nouer des relations moins conflictuelles avec l’AMF où le Chef de l’État se fait régulièrement siffler lorsqu’il y prend la parole.

Les maires en guerre contre le pouvoir central : un dessin signé Keno (source © Le Télégramme)

Le message des maires est donc clair et celui de son nouveau président encore plus, qui se veut « le garant scrupuleux de l’indépendance de l’AMF », oubliant au passage que les maires n’ont pas seulement pour rôle de représenter leurs administrés mais qu’ils sont aussi, et même d’abord, les délégués de l’État dans leur commune, chargés notamment de remplir, au nom de l’État et sous l’autorité du Préfet ou du Procureur de la République, nombre de fonctions administratives et judiciaires. Un positionnement que certains élus locaux ont parfois tendance à oublier, aveuglés par leur toute puissance de barons locaux et désireux d’en découdre face à un État central qu’ils accablent de tous les maux. Qui donc a parlé de démocratie apaisée ?

L. V.