Archive for janvier 2024

Du pain ou des jeux, il faut choisir

30 janvier 2024

Panem et circenses : c’est le poète latin Juvénal qui a employé l’expression dans ses Satires, qui datent du début du IIe siècle de notre ère et qui dépeignent une société romaine décadente et individualiste où chacun se préoccupe uniquement de ses intérêts propres et de son plaisir personnel, se désintéressant ostensiblement de la conduite des affaires publiques. Une analyse que l’on pourrait traduire ainsi en Français : « le peuple qui faisait autrefois les empereurs, les consuls, les tribuns, est trop heureux aujourd’hui d’avoir du pain, et il ne désire tout au plus que des jeux du cirque ». Un constat désabusé que bien des analystes sont tentés d’appliquer à notre société actuelle où beaucoup se détournent de leurs devoirs civiques, se désintéressant ouvertement de la vie démocratique locale comme nationale, et n’aspirent rien d’autre qu’à s’amuser et consommer, le foot, la presse people et le shopping ayant néanmoins pris la place du pain et des combats de gladiateurs, un peu datés…

Du pain et des jeux, une recette infaillible pour gouverner : un dessin signé Erix

A l’approche des Jeux olympiques qui se dérouleront à Paris (et à Marseille pour les épreuves de voile et certains matchs de foot), tout semble fait pour concentrer l’attention du public sur cet événement sportif majeur et le détourner des problèmes de société, au risque même d’en oublier l’approvisionnement en pain, pourtant vital. C’est en effet le constat que font certains céréaliers du Bassin parisien qui tentent en vain d’alerter, depuis des mois, les pouvoirs publics via leur référent logistique au sein de l’interprofession céréalière. La parade nautique qui marquera la cérémonie d’ouverture de ces jeux mais aussi certaines épreuves olympiques telles que la nage en eaux libres ou le triathlon sont prévues directement dans la Seine à Paris, ce qui suppose une interruption de toute circulation des bateaux pendant de larges périodes.

Présentation des mascottes des JO 2024 sur la Seine où se déroulera la cérémonie d’ouverture des jeux (photo © Bertrand Guay / AFP / Marianne)

Or la Seine représente 40 % du transport fluvial total en France. Véritable autoroute à péniches, navigable principalement à partir de Nogent-sur-Seine et jusqu’à son embouchure, la Seine dessert des ports fluviaux majeurs comme celui de Gennevilliers, de Rouen ou du Havre. Outre les 110 bateaux-mouches qui font visiter Paris à des centaines de milliers de visiteurs chaque année, ce sont pas moins de 21 millions de tonnes de marchandises qui transitent annuellement sur les eaux de la Seine, en légère croissance d’ailleurs, ce qui offre une alternative à la fois économique et écologique au transport ferroviaire et surtout routiers, largement saturés.

Une part importante, de l’ordre de 40 %, de ce trafic fluvial sur la Seine est lié au transport de matériaux de construction et notamment de granulats, mais les marchandises à haute valeur ajoutée y prennent une part grandissante, à l’exemple d’Ikéa qui réalise depuis fin 2022 une partie de ses livraisons parisiennes par bateau. A ceci s’ajoute de l’ordre de 3 millions de tonnes de céréales qui, chaque année, sont transportées par péniche depuis le bassin céréalier de la Brie jusqu’au port de Rouen pour y être exportées. En plein été, ce transit représente entre 600 et 700 000 tonnes qu’il convient d’évacuer rapidement, dès la moisson, faute de capacité de stockage, mobilisant une dizaine de péniches qui chaque jour transportent 12 à 15 000 tonnes de grains sous les ponts de Paris.

Péniche chargée de céréales sur la Seine à Paris (photo © Karen Hermann / Adobe Stock / Terre.net)

Un flux qui risque d’être fortement perturbé entre le 24 juillet et le 11 août 2024, date des JO de Paris et qui coïncide justement avec la date des moissons, ce que n’avaient manifestement pas anticipé les organisateurs. « Et on ne pourrait pas décaler la date des récoltes ? » a d’ailleurs suggéré candidement un énarque, dans le cadre de ces discussions, au bien nommé Jean-François Lépy, secrétaire général d’Intercéréales et directeur général de Soufflet Négoce. On sait déjà que des arrangements sont en passe d’être trouvés pour permettre aux péniches chargées de céréales de pouvoir faire transiter leur précieuse cargaison vers le port céréalier de Rouen où elles sont exportées dans le monde entier. En 2022, ce sont ainsi 8,6 millions de tonnes de céréales qui ont été exportées depuis Rouen, principalement vers le Maghreb, l’Afrique de l’Ouest, le Proche Orient et la Chine, et vers bien d’autres pays, surtout depuis le conflit en Ukraine qui fait les affaires ces céréaliers français, la Russie et l’Ukraine étant traditionnellement ces principaux concurrents sur le marché mondial.

Épreuves test de triathlon dans la Seine depuis le pied du pont Alexandre III en août 2023 (photo © Bertrand Guay / AFP / Huffington Post)

On n’est donc pas trop inquiet pour l’avenir des gros céréaliers du Bassin parisien et de l’énorme machine de guerre que constitue Soufflet Négoce, qui vient d’ailleurs de fusionner, début 2023, avec son principal concurrent In Vivo Trading, pour former un géant du commerce de céréales mais aussi oléagineux et protéagineux, avec un chiffre d’affaires qui atteignait 2,4 milliards d’euros en 2016 et encore près d’un milliard en 2021. Cette céréaliculture industrielle est d’ailleurs fortement tournée vers l’exportation puisque France AgriMer estimait en 2023 le potentiel d’exportation de blé tendre français à 17 millions de tonnes, soit grosso modo la moitié de sa production annuelle. La France est en effet le premier producteur européen de blé tendre et le cinquième mondial, même s’il lui arrive aussi d’importer, comme cela a été le cas en 2014 où la France a été forcée d’importer 34 000 tonnes de blé de Grande-Bretagne et de Lituanie, souvent pour des raisons de qualité.

Chargement d’un bateau de céréales au port de Rouen (photo © P. Boulen / HAROPA / 76 actu)

Curieusement, la filière céréalière française si performante à l’exportation est en effet toujours incapable de répondre aux propres besoins intérieurs du pays en matière de production biologique dont la demande ne cesse d’augmenter. La part des surfaces agricoles cultivées en agriculture biologique a atteint le chiffre de 10,7 % en 2022, alors qu’il était inférieur à 2 % en 2002, ce qui reflète une évolution très significative. Mais cette proportion place la France en 13e position des pays européens même si en 2022, pour la première fois, la France est devenue le pays d’Europe possédant la plus grande superficie agricole cultivée en bio, devant l’Espagne et l’Italie.

Champ de blé en agriculture biologique, une part en forte croissance mais encore insuffisante (source © Ingrebio / Natexbio)

Actuellement, 70 % des produits bio consommés en France (et même 83 % si l’on exclut les produits tropicaux) sont produits sur le sol national, ce qui prouve que les agriculteurs français ont déjà fait de gros efforts en vue d’une reconversion de leurs pratiques. Il reste encore beaucoup à faire pour que les gros céréaliers des riches terres à blé du Bassin parisien se convertissent à leur tour et se préoccupent un peu moins de la demande mondiale à l’exportation et des problèmes de logistique qui en découlent, et s’intéressent davantage à la durabilité de leur activité et de son impact sur la planète…

L. V.

La société Alteo mise en examen

28 janvier 2024

C’est le quotidien national Le Monde qui l’a révélé le 19 janvier 2024 : la société Alteo, propriétaire de l’usine de production d’alumine de Gardanne, a été mise en examen le 17 octobre 2023, près de 4 ans après l’ouverture d’une information judiciaire, pour « mise en danger de la vie d’autrui ».

Vue aérienne de l’usine d’alumine d’Alteo à Gardanne, ici en 2019 (source © Made in Marseille)

C’est le nouveau procureur de la République à Marseille, Nicolas Bessone, qui a confirmé l’information en précisant que l’usine Alteo de Gardanne est soupçonnée d’avoir à Gardanne et à Cassis, entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2021, « laissé s’écouler dans les eaux de la mer dans la limite de la mer territoriale, directement ou indirectement, une ou des substances dont l’action ou les réactions ont même provisoirement entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune ». Le parquet de Marseille estime donc, après 4 ans d’enquête, avoir rassemblé suffisamment d’éléments venant étayer les arguments avancés depuis des années par des riverains et des associations de défense de l’environnement qui s’époumonent en vain pour dénoncer les pollutions multiples occasionnées par cette usine.

Le sujet n’est pas nouveau puisque les résidus de traitement de l’usine, les fameuses « boues rouges », ont toujours été purement et simplement rejetées dans la nature depuis que le site a été mis en service, il y a plus d’un siècle en 1894. A l’époque, le procédé industriel utilisé, inventé par Karl Joseph Bayer en 1887, était fortement innovant et le site de Gardanne est le premier au monde à l’utiliser ainsi de manière industrielle, après quelques tâtonnements. Il consiste à dissoudre à chaud à l’aide de soude concentrée le minerai de bauxite, alors exploité dans les mines toutes proches du Var, pour en extraire l’alumine, cette poudre blanche qui donne ensuite l’aluminium par électrolyse.

Vue aérienne du site de Mange-Garri, à Bouc-Bel-Air, près de Gardanne, où sont entreposées les résidus solides de la fabrication d’alumine, les fameuses « boues rouges » (photo © Colin Matthieu / Hemis.fr / France TV info)

Mais ce procédé produit des quantités importantes de déchets, ces fameuses boues rouges, alors à raison de 1,5 tonne pour 1 tonne d’alumine produite, des résidus riches en oxydes de fer qui leur donnent cette couleur caractéristique, mais aussi en soude résiduelle, très caustique, et en métaux lourds de type plomb, mercure, cuivre, chrome ou cadmium, ainsi qu’en arsenic et en éléments radioactifs. Des boues toxiques qui ont été longtemps stockées dans tous les vallons situés autour de l’agglomération marseillaise. Jusqu’à ce que Péchiney, alors propriétaire de l’usine de Gardanne, ait la brillante idée de les rejeter directement en mer, au large de Cassis, via une conduite qui court sur plus de 50 km et se rejette en mer à quelques kilomètres du littoral, dans le canyon de la Cassidaigne.

Les canalisations d’effluents toxiques qui partent de l’usine de Gardanne et courent à travers bois jusqu’à Cassis, enterrées sur une partie de leur trajet comme dans la traversée de Carnoux (photo © Guillaume Origoni et Hans Lucas / AFP / Le Monde)

Mise en service en 1966 malgré la protestation des pêcheurs et des écologistes de l’époque, cette conduite, qui traverse toute la commune de Carnoux où elle est repérée en surface par de petites bornes orange, a rejeté plus de 30 millions de tonnes de boues rouges toxiques, directement en mer, en plein cœur du Parc national des Calanques, déposant des sédiments rougeâtres que l’on retrouve dans les fonds marins de Toulon jusqu’à Fos !

La conduite qui rejette en mer à 7 km des côtes de Cassis, les effluents liquides toxiques issus de l’usine d’alumine de Gardanne (photo © Boris Horvat / AFP / 20 minutes)

Il a fallu attendre le 1er janvier 2016 pour que cessent enfin ces déversements directs en mer des boues rouges toxiques, en application de la Convention de Barcelone signée 10 ans plus tôt en 1995 et fixait une date limite au 31 décembre 2015 pour de tels rejets. Une enquête publique mouvementée avait été lancée en août 2015, qui vit le ministre de l’écologie d’alors, Ségolène Royal, se faire désavouer publiquement par le Premier ministre de l’époque, un certain Manuel Vals, il a été accordé une nouvelle autorisation à l’usine de Gardanne, passée entre temps des mains de Péchiney à celle d’Alcan, puis de Rio Tinto, et rachetée en 2012 par un fonds d’investissement anglo-saxon HIG Capital qui l’a regroupé au sein de son nouveau pôle baptisé Alteo.

Les envols de poussières toxiques autour du site de stockage de Mange-Garri empoisonnement la vie des riverains et de l’environnement proche (photo © Boris Horvat / AFP / Géo)

Grâce à la générosité de l’Agence de l’Eau, financée pour l’essentiel par les redevances des usagers sur leur consommation d’eau potable, le fonds d’investissement HIG a pu équiper l’usine de Gardanne de filtres-presses destinés à extraire la phase solide des boues rouges, stockée depuis à l’air libre dans les immenses bassins de Mange-Garri à Bouc-Bel-Air, à raison de 350 000 tonnes supplémentaires chaque année, au grand dam des riverains exposés, en période venteuse, aux envolées de poussières éminemment toxiques. Le reste des effluents liquides continue à être rejeté en mer par les mêmes canalisations, sans autre traitement, moyennant une autorisation préfectorale accordée pour 6 ans et fixant des teneur limites à ne pas dépasser pour certains paramètres de ces effluents, en dérogation avec les seuils réglementaires habituellement appliqués.

Les rejets en mer des boues rouges, désormais arrêtés, mais qui se poursuivent par des rejets d’effluents liquides peu ragoutants : un dessin du caricaturiste Z, publié dans Charlie Hebdo le 24 août 2020

Un montage qui s’apparente fort, comme de nombreux responsables politiques l’ont alors dénoncé, à une lâche concession faite à l’industriel pour lui permettre de continuer à polluer allègrement, moyennant le versement d’une redevance, elle-même minorée de manière totalement dérogatoire, ceci pour répondre à son habile chantage à l’emploi et en échange de vagues promesses de se doter un jour d’une véritable station d’épuration digne de ce nom. Un échéancier avait été alors accordé à l’entreprise pour se mettre progressivement en règle mais les échéances ont été repoussées à de multiples reprises, faute d’atteindre dans les délais les seuils fixés dans l’arrêté. Alteo avait même mis en avant cette pression environnementale pour placer l’usine en redressement judiciaire fin 2019 et organiser son rachat en 2021 par le groupe de logistique minière franco-guinéen United Mining Supply.

Et pourtant, malgré ce traitement de faveur totalement dérogatoire, les services de l’État en charge de contrôler cette installation industrielle ont enregistré, via les quelques analyses effectuées, que même les valeurs dérogatoires concédées n’étaient pas respectées, loin s’en faut. Un prélèvement inopiné réalisé en 2016 indiquait ainsi des dépassements colossaux par rapport aux seuils fixés dans l’arrêté préfectoral, et ceci s’est reproduit depuis malgré les multiples mises en demeure du Préfet et ceci même au-delà de septembre 2020, data à laquelle Alteo s’est vanté d’avoir enfin mis en service une unité de traitement biologique pour traiter ses effluents avant rejet dans le milieu naturel.

Modélisation de l’extension des dépôts de boues rouges au large de Cassis (source © Wild Legal)

Ce sont ces multiples et répétées infractions aux différents arrêtés préfectoraux pourtant largement dérogatoires, qui valent aujourd’hui cette mise en examen suite aux plaintes déposées dès 2018 par huit plaignants représentant des riverains, des pêcheurs et des associations de défense de l’environnement dont ZEA, plaintes qui avaient débouché sur l’ouverture d’une enquête en mars 2019 par le pôle santé du Tribunal judiciaire.

Après des années d’errements, la Justice semble enfin se donner les moyens d’agir sur ce type de pollution industrielle à grande échelle, effectuée au vu et au su de tous, avec la complicité active et revendiquée de nombre de responsables politiques voire scientifiques, et au mépris de toutes les législations et réglementations pourtant plutôt laxistes mises en place. Une belle victoire pour ceux qui se battent depuis des années voire des décennies contre ce type d’impunité !

L. V.

Covoiturage : la Métropole s’y met (enfin)

25 janvier 2024

Plus encore que les navettes et la bouillabaisse, la spécialité qui fait la renommée de Marseille et de sa métropole, ce sont les bouchons sur les voies de circulation ! Le dernier classement diffusé en octobre 2023 par le magazine Auto Plus et établi avec le vendeur de GPS Tom Tom, place une fois de plus l’agglomération marseillaise largement en tête des grandes villes française où l’on perd le plus de temps dans les bouchons, bien avant Paris, Lyon ou même Nice, pourtant bien placée dans ce palmarès.

Les bouchons, une spécialité marseillaise, ici sur l’autoroute du Littoral (photo © P. Magnien / 20 minutes)

Les temps de trajet domicile-travail aux heures de pointe y ont été enregistrés sur plus de trois semaines consécutives à la rentrée 2023 et comparés aux temps nécessaires pour faire les mêmes trajets quand la route est dégagée. Le résultat est effrayant puisque dans l’agglomération marseillaise les temps de trajet sont en moyenne allongés de 81 %, c’est-à-dire que la congestion du trafic double pratiquement le temps passé au volant de sa voiture à s’énerver. Pour quelqu’un qui habite à 30 mn en voiture de son lieu de travail et qui est donc supposé passer une vingtaine d’heures chaque mois dans ses transports quotidiens, il lui en faudra en réalité le double, soit une semaine entière de travail en sus, à raison de 39 heures ouvrés par semaine…

Les raisons de cette situation sont bien connues et sont liées à l’insuffisance des transports en commun, à l’étalement urbain qui rend justement difficile leur organisation, et aux habitudes locales de covoiturage encore peu développées. En septembre 2023, les comptages effectués par Vinci entre 7h et 10h du matin sur les autoroutes A7, A50, A51 et A55 aux abords de Marseille, avaient montré que plus de 95 % des conducteurs de véhicules individuels sont seuls dans leur voiture, un record national selon La Provence puisque ces taux sont plutôt de l’ordre de 75 % en Ile de France ou près de Nantes. C’est précisément pour tenter d’améliorer ce dernier point que la métropole Aix-Marseille-Provence vient d’annoncer un nouveau dispositif incitatif dont la presse locale s’est largement fait l’écho suite à sa présentation officielle à Luminy, le 17 janvier 2024, par Martine Vassal en personne.

Séance inaugurale du dispositif métropolitain de covoiturage à Luminy le 17 janvier 2024, par Martine Vassale, entourée d’Éric Berton (à gauche, président de l’université Aix-Marseille), d’Olivier Binet (cofondateur de Karos) et de Catherine Pila (présidente de la RTM) (photo © Quentin Guéroult / La Provence)

La Métropole s’est alliée pour cela à Karos, une entreprise privée fondée en 2014 et dont l’application de covoiturage est désormais la plus utilisée en France pour les trajets domicile-travail. Depuis juillet 2016, un service de covoiturage intégré aux transports en commun a ainsi été mis en place, en Ile-de-France, permettant les échanges financiers de covoiturage sur la carte Navigo. C’est sur la base de ce retour d’expérience que la Métropole marseillaise a développé son offre locale en s’appuyant sur le principe de la prime de covoiturage de 100 €, créée par l’État en 2023 et reconduite en 2024, focalisée désormais justement sur les déplacements de courte durée (inférieurs à 80 km), entre le domicile et le lieu de travail, mais aussi l’école ou les sites de loisir.

Les joies (et les risques) du covoiturage : un dessin signé Ysope

Avec le nouveau dispositif ajusté en 2024 et doté d’un budget national de 150 millions d’euros, ceux qui s’inscrivent sur la plateforme peuvent bénéficier d’un premier versement de 25 €, dans les trois mois qui suivent le premier trajet effectué. Le solde de 75 € leur sera versé par l’État au plus tard 3 mois après la réalisation du 10e trajet effectivement réalisé. Ces modalités s’appliquent à une vingtaine de plateformes de covoiturage actuellement opérationnelles, mais Karos a légèrement adapté le dispositif à Marseille en s’engageant à créditer chaque utilisateur d’un premier versement de 50 € dès le premier trajet, puis d’un second du même montant après le 10e parcours, à condition que ceux-ci aient été effectués dans un délai maximum de 3 mois.

Le covoiturage désormais à la portée de tous les habitants de la Métropole (photo © Cyril Solier / La Provence)

De surcroît, la collectivité métropolitaine abonde le dispositif, comme la loi l’y incite. Les conducteurs qui offrent leur service de covoiturage recevront désormais 2 € par passager transporté pour des distances allant de 5 à 20 km, puis 10 centimes pour chaque kilomètre parcouru supplémentaire. De quoi faire naître des vocations de partageurs, même si l’objectif n’est évidemment pas de concurrencer les taxis en favorisant le covoiturage professionnel. Quant aux usagers qui comptent bénéficier de la voiture d’un autre pour se rendre à leur travail, il leur en coûtera 50 centimes pour un trajet ne dépassant pas 30 km et 10 centimes le km au-delà de cette distance. Ceux qui possèdent un abonnement aux transports en commun, n’auront même rien à débourser pour tout trajet qui ne dépasse pas ces 30 km.

Le dispositif sera subventionné par la Métropole qui s’appuie sur le Fonds Vert de l’État et qui s’engage à verser jusqu’à 3 € par trajet et par passager transporté. Pour les passagers, les 10 premiers covoiturages seront offerts, histoire de faire découvrir le dispositif et inciter à y adhérer. Tout l’enjeu sera néanmoins de faciliter les déplacements en covoiturage, ce qui passe aussi par la création de parkings relais et de voies réservées au covoiturage sur les grands axes. Les services de l’État planchent justement sur ce dernier point pour concevoir les futures voies de covoiturage sur l’A7 et l’A50, à l’image de celles qui sont déjà opérationnelles notamment dans l’agglomération lyonnaise.

Voie signalée par un losange, réservée au covoiturage, ainsi qu’aux taxis et aux bus, ici à Lyon le long du Rhône (photo © Maxime Jegat / Le Progrès)

Quant aux parkings, c’est l’enjeu principal pour permettre le développement du covoiturage et notamment la bonne liaison avec le réseau de transports en commun, infiniment plus adapté pour les déplacements en centre urbain dense. Des places sont d’ores et déjà réservées dans les parkings relais de la RTM pour les usagers du covoiturage afin qu’ils puissent basculer ensuite sur les autres modes de transport en commun. Reste néanmoins à faire de même sur les lieux de départ, dans les zones d’habitat plus diffus où les covoitureurs peuvent se fixer rendez-vous. Dans des communes comme Carnoux, pourtant idéalement placée à proximité des accès vers l’autoroute comme vers la Gineste, les seuls parkings disponibles portent encore aujourd’hui des panneaux rappelant que le covoiturage y est strictement interdit : pas très encourageant pour développer la pratique !

L. V.

Le rire est le propre de l’Homme, quoique…

23 janvier 2024

La formule est bien connue de tous les bacheliers depuis que le médecin François Rabelais l’a affirmé dans le prologue de Gargantua, publié dans le mitant du XVIe siècle sous son pseudonyme transparent d’Alcofribas Nasier : « le rire est le propre de l’homme ». Une manière pour lui de bien préciser que son histoire de « la vie très honorifique du grand Gargantua, père de Pantagruel » est avant tout un roman comique, plein de verve et de truculence, digne de l’esprit potache d’un ancien carabin, mais dont le ton débridé et souvent outrancier des « propos torcheculatifs » cache bien des réflexions plus profondes par exemple sur les principes d’écoute, d’ouverture et d’équilibre dans les approches éducatives, ou sur les vertus de la diplomatie et d’une certaine bienveillance pour venir à bout des « guerres picrocholines ».

Rire en famille, quoi de plus humain ? (source © Hominidés)

Le rire, même gras, sert donc le propos de l’humaniste qu’est Rabelais et lui permet de faire passer, sous un travestissement de roman picaresque et quelque peu déjanté, bien des idées iconoclastes, y compris sur la fondation de sa fameuse « abbaye de Thélème » dont la devise est « Fay ce que tu vouldras ». De là à prétendre que seuls les hommes savent s’amuser, même Rabelais ne s’y serait sans doute pas risqué. Il suffit de voir comment un chiot ou un chaton est capable de facéties. Les primatologues ont tous observés chez les grands singes, et notamment parmi les sujets les plus jeunes, à quel point leurs mimiques faciales, dans certaines circonstances, ressemblent à s’y méprendre à un bel éclat de rire.

Un chimpanzé hilare (source © Muséum national d’histoire naturelle)

Pour ceux qui auraient du mal à s’en convaincre, on ne peut que conseiller de visionner une très brève séquence vidéo tournée par un couple de visiteurs en 2015 au zoo de Barcelone et qui a fait le buzz sur les réseaux en 2015. On y voit un homme assis devant la vitre qui sépare le public de l’enclos des singes. Derrière la vitre, une jeune femelle orang outang le surveille d’un œil. Le visiteur lui montre un gobelet dans lequel il plonge un objet, probablement un fruit de platane ramassé à terre.

Il ferme le gobelet et le secoue ostensiblement devant le singe qui le suit avec un intérêt croissant et en ouvrant de grands yeux. Le visiteur cache le gobelet et enlève discrètement l’objet avant de remettre le verre fermé sous le nez de l’orang outang qui se demande manifestement où il veut en venir avec ses grands gestes théâtraux. L’homme ouvre le couvercle et montre au singe le gobelet désormais vide : un tour de magie un peu frustre mais indéniablement réussi. Le singe regarde le gobelet perplexe puis éclate de rire et tombe à la renverse en se tapant sur les cuisses.

Bien sûr, aucun son ne sort de la bouche de l’orang outang isolée derrière sa vitre, mais ses mimiques ressemblent tellement à celles d’un humain confronté à une situation des plus comiques, qu’il paraît bien difficile de prétendre que nos cousins les orangs outangs n’ont pas le sens de la plaisanterie au moins aussi développé que bien de nos congénères.

Certes, un singe enfermé dans un zoo vit au contact des hommes et peut acquérir par mimétisme certaines de nos attitudes mais force est de constater, en regardant en boucle cette vidéo devenue virale, et d’autres montrant qu’un singe ne reste pas indifférent à un tour de magie bien fait et qu’il peut très bien apprécier le comique de situation qui provient du décalage inattendu entre le déroulement d’une action et son dénouement imprévu. De quoi renforcer encore le sentiment de familiarité voire de connivence que l’on peut ressentir face certains de nos animaux de compagnie et, peut-être plus encore, en présence de ces singes qui nous ressemblent tant…

L. V.

Rejets de méthane : une belle marge de progrès en perspective ?

21 janvier 2024

Quand on évoque les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique mondial, on pense en priorité au dioxyde de carbone (CO2), dont les rejets sont considérés effectivement comme expliquant grosso modo les deux-tiers du phénomène. Mais l’on oublie souvent le méthane (CH4), dont les rejets dans l’atmosphère seraient à l’origine de 30 % de ce réchauffement climatique que l’on observe et qui devrait, selon toutes les projections, s’accélérer et s’amplifier dans les années à venir.

De fait, le méthane présente un pouvoir de réchauffement global très supérieur à celui du CO2, environ 80 fois supérieur si l’on observe son impact cumulé sur 20 ans. Mais il présente l’avantage de ne pas rester dans l’atmosphère plus d’une douzaine d’années avant de se dégrader, contrairement au dioxyde de carbone qui reste actif pendant une centaine d’années et participe donc davantage à la dégradation du climat sur le temps long. Réduire nos émissions de méthane aurait donc un impact immédiat permettant peut-être d’éviter de franchir des seuils aux effets potentiellement catastrophiques que certains scientifiques redoutent, impliquant notamment une fonte massive des pergélisols, libérant de grosses quantités de méthane et provoquant un emballement du processus…

Comment lutter contre le réchauffement climatique sans tout débrancher ? Un dessin signé Dave Whamond (source © Linkedin / Hubert Serret)

L’élevage, bovin notamment, mais aussi l’agriculture sont des sources non négligeables de rejet de méthane, mais qui pourraient devenir minoritaires par rapport aux fuites liées à l’exploitation du charbon et des hydrocarbures, à savoir le pétrole et le gaz naturel, composé justement surtout de méthane. Selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ces rejets de méthane liés au secteur de l’énergie ont été très largement sous-estimées jusqu’à présent et sont en croissance, atteignant 135 millions de tonnes en 2021.

Évolution des rejets mondiaux de méthane dans l’atmosphère depuis 2000 liée à l’exploitation du pétrole (orange), du gaz naturel (violet), du charbon (jaune) et des bioénergies (vert) (source © Agence internationale de l’énergie / Énergie plus)

Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la Chine est en tête avec 28 millions de tonnes de méthane issues notamment de l’exploitation de ses mines de charbon, suivie de près par la Russie et les États-Unis, qui sont au coude à coude, suivi par d’autres pays producteurs d’hydrocarbures comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou l’Irak. Ce classement est intéressant car il met en évidence que certains pays producteurs sont nettement plus vertueux que d’autres. Ainsi, la Norvège, pourtant 8e producteur mondial de gaz et 12e pour le pétrole, n’émet que très peu de méthane, grâce à ses équipements performants et bien entretenus. Si tous les autres pays producteurs s’alignaient sur ses pratiques, c’est 90 % des émissions mondiales de méthane issu du secteur énergétique qui pourrait être supprimé ! Selon l’AIE, si tout le gaz perdu en 2021 avait été capté et valorisé, cela aurait permis de couvrir la totalité du gaz consommé cette année-là pour la production électrique de toute l’Europe

Plateforme de forage pétrolier sur le lac Maracaibo au Venezuela (photo ©  Jose Isaac Bula Urrutia / Getty images / Orinoco)

Inversement, certains pays producteurs tels l’Algérie et surtout le Venezuela rejettent une quantité invraisemblable de gaz en proportion de leur production énergétique. Pendant longtemps, ce gaz en surplus était brûlé dans d’immenses torchères, fortement émettrices de CO2. Pour éviter ces émissions facilement repérables, de nombreux industriels ont pris l’habitude de relarguer désormais le méthane en surplus directement dans l’atmosphère, ni vu ni connu, provoquant un impact sur l’effet de serre incomparablement supérieur, surtout à court terme comme on l’a vu…

Mais depuis quelques années, les satellites d’observation permettent de repérer directement ces émissions concentrées de méthane et même de les quantifier. La start-up française Kayrros s’en est même fait une spécialité et a analysé en 2022, avec l’aide de chercheurs du CNRS et du CEA, des milliers d’images prises pendant 2 ans par le satellite Sentinel-5P de l’ESA. Cela leur a permis d’identifier pas moins de 1800 panaches de méthane supérieurs à 25 tonnes par heure, dont la plupart liés à l’exploitation d’hydrocarbures.

Carte des principales fuites de méthane repérées par satellite (source © Kayrros / L’Usine nouvelle)

Ces fuites majeures, accidentelles ou récurrentes, dépendent directement des efforts de maintenance et de la réactivité des exploitants en cas de problème. Les observations montrent ainsi d’énormes lacunes le long des principaux gazoducs russes dont le tracé est parfaitement visible depuis l’espace en suivant les panaches de méthane qui s’en échappent en permanence. On y repère aussi certains champs pétrolier ou gaziers dont l’exploitation laisse à désirer. C’est en particulier le cas des gisements d’Hassi Messaoud et d’Hassi R’Mel, exploités par la société nationale algérienne Sonatrach, et dont les fuites de méthane dans l’atmosphère sont catastrophiques.

Champs d’exploitation gazière d’Hassi Messaoud en Algérie (source © Algérie patriotique)

Mais la palme revient dans ce domaine au Turkménistan, cette ancienne république soviétique d’Asie centrale, pays indépendant depuis 1991 et dirigé depuis cette date par une dynastie autoproclamée d’autocrates, le dernier en date étant le lieutenant-colonel Serdar Berdimuhamedow, élu président en mars 2022, suite à la démission de son propre père. Ce pays dispose de réserves de gaz colossales, en quatrième place mondiale derrière la Russie, l’Iran et le Qatar. Il s’est donc imposé comme un producteur majeur de gaz, bien qu’à la 11e place mondiale seulement, mais aussi de pétrole, exportés pour l’essentiel vers la Russie et surtout la Chine. Or les observations satellite, reportées notamment dans un article publié en 2022 dans la revue Environmental Science and Technology, indique que la côte ouest du Turkménistan, sur la mer Caspienne, est l’une des principales zones d’émission de méthane du monde, avec pas moins de 4,4 millions de tonnes de méthane émis dans l’atmosphère chaque année, du fait de la vétusté de ses pipelines fuyards et surtout des pratiques de la société étatique Turkmenoil qui rejette directement dans l’atmosphère le méthane issu de ses puits de pétrole.

Installation de raffinage sur le site de Turkmenbachy au Turkménistan (source © Turkmenbashy Oil Processing Complex)

Outre ces méthodes déplorables et d’un autre âge, le Turkménistan est aussi connu pour son chaudron du Diable, surnommé « la porte de l’Enfer » à l’instar de son homologue de la taïga russe. Ce cratère de Darvaza, situé dans le désert du Karakoum, est même devenu la principale attraction touristique du pays. Les Russes y avaient installé une plateforme de forage et d’exploitation de gaz naturel en 1971 après y avoir découvert de fabuleuses réserves. Malheureusement, le forage s’est éboulé, créant en surface un vaste cratère de 70 m de diamètre qui a englouti toutes les installations minières et par où d’énormes quantités de méthane s’échappent directement à l’air libre.

Le cratère de Darvaza, « la Porte de l’Enfer », dans le désert du Karakoum, au Turkménistan (photo © Getty images / BBC)

Craignant pour la sécurité des habitants les plus proches, les Russes ont finalement préféré y mettre le feu dans les années 1980, pensant que l’incendie s’éteindrait de lui-même au bout de quelques semaines. Quarante ans plus tard, il brûle toujours et personne ne sait plus très bien quoi en faire, sinon exploiter les revenus touristiques que cette attraction mondiale procure… Les Américains ont même proposé en 2023 leur aide au président turkmène pour combler le cratère, éteindre le feu qui couve et reprendre l’exploitation du gisement toujours présent, de manière totalement désintéressée naturellement et pour le seul bien de la planète, cela va de soi !

L. V.

Égypte : Alexandrie sous les eaux ?

19 janvier 2024

Avec le réchauffement climatique en cours, le niveau des océans monte, principalement sous l’effet d’un phénomène physique de base : un liquide qui s’échauffe se dilate. A cela s’ajoutent bien d’autres phénomènes dont une modification de régime des précipitations ou encore la fonte des glaciers et des calottes polaires qui rendent les choses plus complexes et risquent d’amplifier le mouvement. Toujours est-il que depuis 1880, toutes les observations confirment que le niveau des mers s’élève, et même de plus en plus vite. Entre 1901 et 2015, cette élévation moyenne avait été estimée autour de 1,7 mm par an. Sur la période 2006-2018, elle serait plutôt de l’ordre de 3,7 mm/ an, donc plus du double. Et les projections du GIEC annoncent une augmentation comprise, selon les scénarios, entre 5,2 et 12,1 mm/an pour la période 2080-2100.

L’élévation du niveau de la mer, un phénomène inéluctable déjà bien engagé (photo © Bruno Marty / INRAE)

Une étude récente publiée le 18 décembre 2023 par trois chercheurs de l’Institut national de géophysique et de volcanologie, basés à Bologne et à Rome, s’attache à suivre les mouvements du niveau de la Méditerranée à partir des données satellite qui enregistrent ces données en continu par visée radar et sont disponibles depuis 1996. Or ces données révèlent une hausse du niveau relatif de la mer Méditerranée localement très supérieure car se cumulent non seulement l’élévation du niveau de la mer mais aussi l’enfoncement du sol sous l’effet des mouvements tectoniques toujours en cours.

L’effet de ces mouvements géologiques de subsidence varie fortement d’un point à un autre mais leur prise en compte modifie fortement l’impact de cette élévation du niveau de la mer : lorsque celle-ci monte en même temps que le sol s’enfonce, les effets en termes d’érosion du littoral ou de salinisation des terres, déjà bien visibles dans certaines régions comme la Camargue ou la presqu’île de Gien dans le Var, en sont décuplés ! Sur certaines stations de mesure, notamment dans le nord de l’Adriatique, on observe ainsi, dès à présent, des vitesses d’élévation relative de la mer par rapport au littoral qui atteignent 17 mm par an ! Inversement, à certains endroits, la côte se soulève comme c’est le cas des Champs Phlégréens près de Naples avec une élévation relative de 39 mm par rapport au niveau de la mer, malgré la hausse de ce dernier.

Principales plaines côtières du pourtour méditerranéen, directement menacées par l’élévation en cours du niveau des eaux (source © A. Vecchio et al., Environmental Research Letters)

Selon cette étude, les 19 000 km de côte méditerranéenne risquent néanmoins de subir une élévation relative moyenne du niveau de la mer plus importante que celle imaginée par le GIEC dont les projections ne tiennent pas compte de ces mouvements tectoniques. Un phénomène qui sera particulièrement marqué dans les grands deltas alluviaux, dont ceux du Rhône (Camargue), du Pô (côte vénitienne) et surtout du Nil, dans la région d’Alexandrie, de loin la plus exposée.

Vue aérienne de l’entrée du port d’Alexandrie avec la citadelle mamelouke de Qaitbay, édifiée au XVe siècle avec les pierres de l’ancien phare antique (photo © Getty Image / Norwegian Cruise Line)

Sur ce dernier point, l’information n’est pas nouvelle et l’on mesure déjà depuis des années un enfoncement de la grande cité égyptienne de 6 millions d’habitants, qui dépasse allègrement les 3 mm/an, ce phénomène étant en l’occurrence renforcé depuis la construction des barrages sur le Nil qui empêchent le transit sédimentaire permettant de recharger, année après année, le cône alluvial menacé par les intrusions marines. Le GIEC avait déjà annoncé dans un de ses rapport qu’on s’attend ici à une augmentation du niveau de la mer de 1 m d’ici 2050 et que « un tiers des terres ultra-fertiles du delta du Nil et des villes historiques comme Alexandrie seront inondées ».

Pluies sur Le Caire, ici le 12 mars 2020 : durant cet hiver, les inondations ont fait une vingtaine de morts en Égypte (photo ©  Mohamed el-Shahed / AFP / Arabnews)

Dans le delta du Nil, la mer a déjà avancé de 3 km depuis les années 1960. Le phare de Rosette, construit à la fin du XIXe siècle par le khédive Ismaël Pacha a d’ores et déjà été englouti dans les années 1980. Selon les projections de l’ONU, une simple élévation de la mer de 50 cm se traduirait par l’inondation de 30 % de la ville d’Alexandrie et le déplacement d’au moins 1,5 millions d’habitants, lesquels ont déjà dû évacuer en 2015 et en 2020 des dizaines d’immeubles fragilisés par les inondations récurrentes. Dans son discours d’ouverture de la COP 26, à Glasgow, en novembre 2021, l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson, toujours provocateur, n’avait d’ailleurs pas hésité à prononcer ses « adieux » à la ville d’Alexandrie, invitant chacun à s’y rendre s’en tarder pour la visiter avant qu’il ne soit trop tard…

Reconstitution par l’équipe de Franck Goddio de la cité antique de Thônis-Hérakléion dans la baie d’Aboukir (source © Bilan)

Il faut dire que la région connait déjà au moins un précédent avec la disparition de l’ancien port antique de Thônis-Hérakléion, érigé sur une île à l’embouchure du Nil, et qui repose désormais sous plusieurs mètres de fond dans les eaux de la Méditerranée où ses vestiges, ainsi que ceux de la ville voisine de Canope, ont été découverts en 1999-2000 par l’archéologue sous-marin français, Franck Goddio, dans la baie d’Aboukir, à plusieurs kilomètres des côtes égyptiennes actuelles. L’ancien port grec d’Hérakléion jouait pourtant un rôle majeur dans le commerce naval antique et était même le principal port de toute la Méditerranée jusqu’à la fondation d’Alexandrie en 331 avant J.-C.

Les ruines de la cité antique engloutie de Thônis-Hérakléion, par 6 m de fond (source © Arkeonews)

Au milieu du IIe siècle avant notre ère, un violent tremblement de terre détruisit le temple du dieu Amon. D’autres cataclysmes ont suivi, avec des phénomènes de liquéfaction des sols liés aux séismes, emportant sous les eaux la totalité de la ville engloutie définitivement au VIIe siècle de notre ère et dont les plongeurs continuent à fouiller les vestiges, confirmant, s’il en était besoin, que lorsque les forces telluriques s’allient à l’élévation du niveau de la mer sous l’effet du réchauffement climatique, il ne fait pas bon habiter trop près du littoral…

L. V.

Une ministre des Jeux olympiques et de l’enseignement privé ?

17 janvier 2024

Le changement de Premier ministre voulu par Emmanuel Macron et dont Élisabeth Borne a fait les frais, limogée sans beaucoup d’égards malgré sa loyauté indéniable, n’a pas vraiment passionné les Français. La nomination d’un Premier ministre aussi jeune aurait pourtant de quoi faire jaser : est-il bien raisonnable de confier les rênes du gouvernement à un homme de 34 ans qui n’a d’autre expérience de la vie que ses séjours en cabinet ministériel et ses quelques années passées sur les bancs de l’Assemblée nationale ? Tout le monde reconnait son intelligence et surtout son véritable talent de communicateur, mais gouverne-t-on un pays uniquement avec de belles paroles dans un contexte de crises multiples, y compris de crise de confiance de la part d’une bonne partie de nos concitoyens envers leurs élus et leurs responsables politiques ?

Gabriel Attal, nouveau chef du gouvernement français à 34 ans seulement (source © Service d’information du Gouvernement)

Au-delà du choix de ce nouveau premier ministre, c’est la composition toute entière du gouvernement, du moins des 15 ministres annoncés le 11 janvier 2024 qui interroge. Force est d’abord de constater que cette annonce traduit un basculement assumé à droite, très éloigné du positionnement initial d’Emmanuel Macron, lui-même issu des rangs du parti socialiste et ancien ministre de François Hollande. En dehors de Gabriel Attal, qui a débuté sa carrière comme conseiller ministériel de Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, avant de rejoindre, dès 2016, les rangs de la Macronie, tous les ministres sortants issus des rangs de la gauche se sont fait éjecter.

Gabriel Attal à droite de son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, conforté à son poste (photo © Michel Euler / AFP / 20 minutes)

Tous les poids-lourds du gouvernement sortant, à l’instar de Bruno Le Maire, ancien candidat LR aux primaires en 2017, ou Gérald Darmanin, très proche de Nicolas Sarkozy, ont vu leurs prérogatives encore renforcées et élargies tandis que le nouveau gouvernement accueille des personnalités comme Rachida Dati, une autre sarkozyste pur jus, membre de l’équipe dirigeante du parti LR, ou encore Catherine Vautrin, ancienne ministre de Jacques Chirac et battue aux législatives de 2017 par une candidate En Marche, tout un symbole !

Catherine Vautrin, nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, à l’Élysée le 12 janvier 2024 (photo ©  Ludovic Marin / AFP / France TV info)

La nomination de cette dernière, ministre en même temps du Travail et de la Santé, n’a pas manqué de surprendre les commentateurs et le Français moyen, lequel découvre ainsi à quel point le gouvernement se moque comme d’une guigne de l’avenir des politiques nationales de santé publique, au point de ne même pas juger utile de désigner un ministre à part entière pour s’en préoccuper… Un raisonnement qui vaut aussi pour le ministère de l’Éducation nationale, pourtant le deuxième de l’État en termes de dépenses budgétaires et le mieux fourni en effectifs avec pas moins de 1,2 millions d’agents affectés, en charge de l’enseignement scolaire.

Seulement voilà, notre nouveau Premier ministre qui avait lui-même été nommé au poste de ministre de l’Éducation nationale le 20 juillet dernier, estime manifestement avoir déjà fait le tour du sujet en 6 mois et n’avoir pas vraiment besoin d’un remplaçant à temps plein pour lui succéder. La fonction échoit donc à la ministre sortante des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, qui ajoute simplement cette fonction supplémentaire à sa liste.

Amélie Oudéa-Castéra, nouvelle ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques (photo © AFP / Les Échos)

Un choix ressenti comme un mépris flagrant par la majorité du monde enseignant qui s’offusque, à l’instar de Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU : «On vit une crise sans précédent, on a du mal à recruter des profs, les profs démissionnent et on va avoir une ministre à mi-temps, qui ne va pas pouvoir s’occuper de l’Éducation nationale à temps plein »  et interroge : « Est-ce que ça veut dire que l’Éducation nationale va être coincée entre le beach volley et le lancer de marteau, entre deux séances des Jeux olympiques ? ».

On peut en effet se poser la question tant la situation paraît saugrenue, surtout à 6 mois de l’organisation des Jeux olympiques sur le territoire national, où l’on imagine que le travail ne manque pas pour la ministre en charge de ce dossier très lourd. D’autant que le ministère des Sports n’est pas non plus une mince affaire avec un budget de plus de 1,1 milliards d’euros en 2023, en hausse par rapport à l’exercice précédent et des sujets délicats à gérer comme ceux qui ont vu la ministre pousser au départ de Noël Le Graët à la tête de la Fédération française de football suite aux multiples polémiques liés à ses propos racistes et sexistes, puis à celui de Bernard Laporte qui a dû quitter la présidence de la Fédération française de rugby suite à différentes malversations.

Et voilà qu’à peine nommée à ses nouvelles fonctions, Amélie Oudéa-Castéra se retrouve interrogée, lors de son premier déplacement officiel le vendredi 12 janvier 2024, sur les raisons qui font qu’elle a retiré ses trois enfants de l’école publique pour les inscrire au collège-lycée parisien ultra élitiste Stanislas, géré par l’enseignement catholique. Une décision qu’elle justifie sans hésiter parce qu’elle et son mari, le banquier d’affaire Frédéric Oudéa, en « ont marre (.) au vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées ».

Un dessin signé Alain Goutal, publié le 14 janvier 2024 sur le Club de Médiapart

Une réponse cash mais n’est vraiment pas passée dans le milieu enseignant, lequel alerte justement depuis des années contre les politiques libérales menées notamment par le gouvernement Macron, et d’autres avant lui, qui visent précisément à supprimer les postes de remplaçants ! Les syndicats, à l’image de la CGT, ont jugé « hallucinant » cette prise de position qui vise à détruire méthodiquement l’école publique tout en extrayant ses propres enfants du système pour les préserver. Même Marine Le Pen s’en est indignée, en constatant : « Sept ans qu’ils sont au pouvoir, sept ans qu’ils n’ont rien fait pour redresser l’école de la République. Et ils s’offusquent aujourd’hui du délabrement de l’enseignement public, comme s’ils n’en étaient pas responsables »…

Assurément, la nouvelle ministre multicartes va devoir ramer pour acquérir un minimum de légitimité aux yeux du personnel enseignant après une telle prise de position. D’autant que rien dans son cursus personnel et professionnel ne la prédisposait à cette fonction. Ancienne élève de l’ENA, issue de la même promotion qu’Emmanuel Macron, devenue magistrate à la Cour des Comptes, elle a choisi de démissionner de la Fonction publique, 10 ans après l’avoir définitivement quitté pour embrasser une carrière plus lucrative au sein du groupe AXA avant de rejoindre Carrefour où elle percevait en 2018 un salaire confortable de 1,4 millions d’euros par an, ce qui a fait d’elle l’une des ministres les plus riches du gouvernement lorsqu’elle a intégré ce dernier en mai 2022 : pas vraiment le profil idéal pour instaurer un dialogue de confiance avec le personnel enseignant et s’attaquer enfin au redressement de notre système éducatif, bien mal en point dans le classement PISA

L. V.

Rappel : le logement sur la sellette à Carnoux

15 janvier 2024

Comme nous l’avions déjà annoncé ici, la prochaine conférence-débat organisée à Carnoux la semaine prochaine, lundi 22 janvier 2024 à 18h30, dans la salle du Clos Blancheton, sera axée sur les difficultés d’accès au logement, une priorité pour de nombreux Français, et pas seulement à Carnoux, notamment pour les jeunes ménages qui ont de plus en plus de mal à trouver un logement adapté à leurs besoins, en location et encore moins en acquisition.

Un sujet d’actualité, même si le nouveau gouvernement formé par Gabriel Attal le 11 janvier 2024 supprime le poste de ministre du Logement, comme s’il voulait indiquer par là que cette préoccupation majeure de nos concitoyens n’était pas une priorité gouvernementale. Pourtant, les chiffres récents, publiés en toute fin d’année, montrent que sur les 12 derniers mois, le nombre de permis de construire accordés a diminué de plus de 25 % par rapport à l’année précédente et que celui des mises en chantier a baissé de près de 20 % en un an. Après les agences immobilières dont beaucoup ont fermé suite à la réduction des transactions, c’est maintenant le secteur du Bâtiment qui s’inquiète et envisage des licenciements…

Pourquoi une telle crise du logement alors que la croissance démographique naturelle et l’évolution des modes de vie créent un besoin incessant de logements, que beaucoup trop de nos compatriotes vivent dans des logements trop petits, vétustes, voire insalubres, et, pour certains d’entre eux, peinent à trouver un toit et se retrouvent parfois contraint à dormir dans la rue ou dans des hébergements d’urgence, eux-mêmes saturés ? Autant de questions qui justifient cet échange prévu lundi prochain à Carnoux pour identifier les ressorts de cette crise majeure, en comprendre les mécanismes et balayer les pistes qui pourraient permettre d’y répondre. Un rendez-vous organisé par le Cercle progressiste citoyen, ouvert à tous et d’accès libre.

Krafla : quand la fiction devient réalité

13 janvier 2024

« Crack in the World », traduit en français par « Quand la Terre s’entrouvrira » fait partie de ces films de science-fiction catastrophistes dont le cinéma américain est friand. Sorti en 1965 et réalisé par Andrew Marton, celui-là même à qui l’on doit le tournage du morceau de bravoure qu’est la course de chars de « Ben-Hur », ce film est évidemment à replacer dans le contexte de la guerre froide de l’époque où l’on craignait à tout moment le déclenchement d’une guerre thermonucléaire marquant la fin du monde.

Affiche du DVD tiré du film d’Andrew Marton, Crack in the World (source © Toile et moi)

Le film relate les exploits du professeur Sorenson dont le projet scientifique, sur le point d’aboutir, vise, rien de moins qu’à offrir à l’humanité une source d’énergie inépuisable en utilisant le magma en fusion situé sous l’écorce terrestre. Un forage profond a été réalisé mais il se heurte à une barrière infranchissable. Pas découragé pour autant et pressé d’arriver à ses fins car atteint d’un cancer qui ne lui laisse plus beaucoup de temps à vivre, le professeur n’hésite pas une seconde à employer la manière forte en envoyant une bombe nucléaire au fond du forage, malgré les réticences de son adjoint géologue. Forcément, les effets sont catastrophiques, provoquant l’ouverture d’une fissure qui se propage inexorablement à la surface de la Terre. On n’en dira pas davantage pour préserver le suspens car le film est sorti en DVD en 2010…

Mais voilà que soixante ans plus tard, la fiction imaginée dans ce scénario un peu improbable, est en train de devenir réalité. On apprend en effet que 38 équipes de recherche issues de 12 pays dont la France, le Canada, l’Allemagne et les États-Unis se sont associés autour du projet dénommé Krafla Magma Testbed, doté d’un budget de 90 millions d’euros, qui vise à réaliser à partir de 2024 des forages profonds pour atteindre une poche de magma située à 2 km de profondeur sous le volcan Krafla, situé au nord-est de l’Islande.

Image de synthèse illustrant la chambre magmatique sous le site de Krafla (source © KMT)

Située sur la dorsale médio-atlantique, l’Islande connait une activité volcanique très soutenue et a encore fait parler d’elle récemment à ce sujet, à l’occasion des mouvements telluriques qui ont entraîné l’évacuation de la ville de Grindavik, en novembre dernier, après avoir perturbé tout le trafic aérien européen à l’occasion de l’éruption de l’Eyjafjallajökull en 2010, puis à nouveau fait planer une menace similaire en 2014 quand l’un de ses volcans majeurs, le Bardabunga, s’est réveillé à son tour.

Le magnifique maar de Helviti de couleur turquoise (source © Itinari)

Le Krafla, quant à lui, situé au nord de l’Islande, se caractérise par une immense caldeira d’effondrement d’une dizaine de kilomètres de largeur, qui se serait produite il y a environ 100 000 ans, à la suite d’énormes éruptions explosives. L’activité volcanique y est restée très intense dans tout le secteur où s’ouvrent de multiples fissures. En 1724 en particulier, un nouveau cycle éruptif a débuté, avec notamment une explosion phréato-magmatique qui a permis la création d’un autre lac de cratère, le maar de Helviti, dont les eaux présentent une couleur turquoise d’un très bel effet esthétique, liée à la présence d’algues siliceuses. Entre 1975 et 1984, le Krafla a aussi connu plusieurs phases éruptives assez intenses et la région présente de nombreux solfatare et mares de boue bouillante qui témoignent de cette activité volcanique.

Éruption du Krafla en septembre 1984 (photo © Katia et Maurice Kraft / Global Volcanism Program / Smithsonian Institution)

Deux centrales géothermiques ont été installées dans le secteur, dont celle de Bjarnaflag, la première du pays, opérationnelle dès 1969 pour produire de l’électricité à partir de vapeur d’eau bouillante. Désassemblée en 1980 à cause de l’activité volcanique devenue trop intense, elle fut modernisée et a continué à fonctionner jusqu’en 2001. La seconde, celle de Kröflustöð, construite à proximité entre 1974 et 1977, subit de plein fouet la période d’éruption volcanique qui entraîna une rapide corrosion des puits. La première turbine, finalement installée en 1978, ne commença à tourner à plein régime qu’en 1982 et le seconde ne fut installée qu’en 1997.

Vue aérienne de la centrale géothermique de Krafla (photo © Shutterstock / Neozone)

En 2009, alors que les géologues poursuivaient les forages pour développer le champ géothermique, ils sont tombés par hasard, à une profondeur de 2,1 km, sur une poche de magma. La nature de cette lave, proche d’une rhyolite, donc plus riche en silice que les coulées basaltiques qui s’épanchent en surface sur le Krafla a fortement interrogé les scientifiques qui en ont conclu, dans une étude parue en 2011 dans la revue Geology, qu’il s’agirait d’un mélange entre du magma basaltique issu classiquement du manteau et la fusion de basaltes altérés par des processus hydrothermaux.

Toujours est-il que cette découverte inédite et totalement fortuite qui a permis d’accéder directement dans la chambre magmatique du volcan, ouvre des perspectives enthousiasmantes pour les scientifiques. C’est de là qu’est né en 2017 le projet Krafla Magma Testbed, dont l’objectif est avant tout d’explorer ainsi, via de nouveaux forages, le contenu de cette chambre magmatique pour mieux comprendre son fonctionnement alors que les volcanologues n’ont habituellement accès qu’à la lave qui s’écoule en surface mais qui a subi de nombreuses transformations depuis sa sortie de la chambre magmatique, au contact des roches dans lesquelles elles se fraye un chemin.

La centrale géothermique de Krafla et son champ de forage en arrière-plan du maar de Helviti (photo ©  G.O. Fridleifsson et W. Elders / UC Riverside / Futura sciences)

Mais les ingénieurs ne sont pas loin et ils s’intéressent eux aussi à cet accès direct à la chambre magmatique qui pourrait constituer une source d’énergie 10 fois plus puissante que la simple exploitation classique du gradient géothermique. Deux forages sont donc prévus en parallèles, dont la réalisation devrait débuter dès cette année, le premier destiné aux observations scientifiques, et le second pour amorcer une exploitation géothermique innovante.

Une aurore boréale en arrière-plan de la centrale géothermique de Krafla (photo © Landsvirkjun / AFP / Daily Sabah)

La tâche ne s’annonce pas des plus simples car la température de la lave dans la chambre magmatique atteint les 900 °C, ce qui rend les opérations de forage pour le moins périlleuses, surtout à une telle profondeur… En 2009, lorsque les tiges de forage ont percé le toit de la chambre magmatique, la lave s’est engouffrée dans le train de tige et en refroidissant s’est transformé en obsidienne, un verre qui a tout bloqué et empêché miraculeusement la lave de jaillir en surface. A l’époque la chaleur ainsi émise avait permis de produire de l’électricité pendant 9 mois avant que la tête de puits en surface finisse par atteindre une température de 450 °C, obligeant à abandonner le chantier et la foreuse totalement calcinée. Espérons que l’opération qui va débuter et pourrait se concrétiser d’ici 2026 se déroulera sans incident majeur car elle rappelle étrangement les tentatives maladroites et lourdes de conséquence du professeur Sorenson dans le film d’anticipation de 1965…

L. V.

La tension monte en Corée

11 janvier 2024

Décidément, ce début d’année 2024 est particulièrement belliqueux. En pleine trêve des confiseurs et alors que l’usage est de se souhaiter à tous plein de bonheur et une bonne santé, les armes grondent un peu partout à nos portes. En Ukraine, les combats violents se poursuivent depuis 2 ans maintenant et les contre-attaques meurtrières s’enchaînent de part et d’autre dans un conflit qui s’enlise. A Gaza, l’armée israélienne continue de bombarder les civils dans sa folie destructrice, en représailles aux attentats barbares menés par les militants fanatisés du Hamas, chaque camp ne voulant rien céder à l’autre dans sa haine guerrière qui aurait déjà fait de l’ordre de 23 000 morts, pour l’essentiel des civils palestiniens. Quant aux rebelles houthis, insurgés depuis 2014 et largement soutenus par l’Iran, ils s’attaquent de plus belle aux navires de commerce qui s’engagent en Mer Rouge par le détroit de Bab el-Mandeb, menaçant directement le trafic marchand international qui passe à 40 % par cette route.

Attaque des forces houthis contre le navire marchand Galaxy Leader le 19 novembre 2023 (photo © Houthi Media Center / AP / SIPA / 20 minutes)

Et voilà que par-dessus le marché la tension monte de nouveau d’un cran en Corée. Le 18 décembre dernier, la Corée du Nord avait tiré deux missiles balistiques dont l’un de longue portée, capable d’atteindre le sol des États-Unis. Il n’est pas allé jusque-là et s’est abîmé en mer après un peu plus d’une heure de vol, mais quand même ! D’autant que le régime de Pyongyang en est à son quatrième lancement de missile balistique depuis le début de l’année, en violation des résolutions des Nations-Unies dont le Conseil de Sécurité s’est d’ailleurs réuni en urgence suite à cette nouvelle provocation.

Mais la Chine a jugé utile de rappeler à tous, par la bouche du chef de sa diplomatie, son soutien indéfectible au régime nord-coréen tandis que les observateurs avisés faisaient remarquer que le lancement de ce missile balistique de longue portée coïncidait avec l’anniversaire de la mort en 2011 de l’ancien dirigeant nord-coréen Kim Jong-il, le père du président actuel Kim Jong-un : un cadeau d’anniversaire pour célébrer la mort de son papa, quoi de plus touchant en vérité ?

Restes d’un missile en cours d’identification, probablement d’origine nord-coréenne, tiré par l’armée russe sur le sol ukrainien (source © Boursorama)

La Corée du Nord se sent le vent en poupe avec le soutien appuyé de la Chine mais aussi de la Russie à qui elle livre des milliers d’obus pour alimenter sa guerre offensive en Ukraine. Deux porte-containers russes chargés d’armes à destination du front ukrainien multiplient les allers-retours depuis la dernière rencontre officielle qui a eu lieu en septembre 2023 entre Vladimir Poutine et Kim Jong-un. La Corée du Nord aurait ainsi fourni plus de 1000 containers d’armes et de munitions et aurait même fourni des missiles balistiques et des lanceurs de missile comme les Ukrainiens en ont désormais la preuve, l’un de ces missiles ayant été retrouvé dans un champ le 30 décembre dernier.

Lancement d’une fusée contenant le satellite espion nord-coréen Malligyong-1, lancée depuis la province de Gyeongsang du Nord, le 21 novembre 2023 (photo © KCNA / Reuters / Le Figaro)

Un échange de bons procédés puisque, à l’occasion de cette visite à Moscou, le dirigeant nord-coréen a demandé de l’aide pour perfectionner son lanceur de satellite espion, après avoir essuyé deux échecs successifs en mai et en août 2023. Les conseils de tonton Vladimir ont été manifestement judicieux puisque la Corée du Nord a finalement réussi en novembre à placer sur orbite son premier satellite militaire espion, Malligyong-1. Pas forcément très rassurant pour la détente des relations internationales…

Carte de la zone frontalière entre Corée du Nord et du Sud, dans le district insulaire d’Ongjin (source © Wikipedia)

Et voilà que le 5 janvier 2024, Pyongyang s’est mis en tête de bombarder soudainement deux îles proches de ses côtes mais situées de l’autre côté de la frontière maritime ouest qui sépare les deux États, la fameuse Northern Limit Line. Celle-ci avait été tracée lors de la conférence de Yalta en 1945 mais mise en pratique en 1953 seulement, à l’issue de l’armistice qui mit fin à la guerre de Corée. Sa partie maritime a été tracée par les Nations-Unies et les plans ont été adressés au régime de Pyongyang qui n’a jamais daigné répondre mais s’est mis en tête, en 1973, de les contester, souhaitant repousser cette frontière plus au sud car cet espace maritime parsemé de plusieurs îles s’est avéré riche en crustacés. Les deux pays rivaux se le sont âprement disputé depuis, notamment en 1999, à l’occasion de ce qui est resté dans les annales comme « la guerre du crabe »…

Tirs d’artillerie par l’armée nord-coréenne lors d’un exercice, le 6 octobre 2022 (photo © STR / KCNA VIA KNS / AFP / i24)

En novembre 2010, la tension est montée d’un cran lorsque l’armée nord-coréenne s’est mise à bombarder l’île sud-coréenne de Yeonpyeong, située à une dizaine de kilomètre seulement au sud de la frontière et à 115 km de Séoul, faisant 4 morts et 18 blessés parmi la population civile et militaire de l’île, et ceci en protestation contre les exercices militaires engagés par la Corée du Sud. Et voilà que la fièvre est de nouveau monté d’un cran en ce vendredi 5 janvier 2024, date à laquelle la Corée du Nord a tiré pas moins de 200 obus d’artillerie à proximité des deux îles de Yeonpyeong et Baengnyeon, de quoi alarmer les populations civiles qui ont été sommées par les autorités sud coréennes d’évacuer et de se mettre à l’abri, avant que l’armée nationale ne se mette à riposter à son tour en procédant à des tirs d’exercice à munitions réelles au moyen d’obusiers automoteur.

L’armée sud-coréenne prompte à la riposte avec ses tirs d’obusier automoteur (photo © AFP / La Nouvelle République)

Un véritable feu d’artifice donc sur cette malheureuse île de Yeonpyeong qui compte à peine 2000 habitants, le premier du genre depuis novembre 2018, lorsque les deux pays ennemis, dans un rare moment de sagesse, avaient décidé de retirer mutuellement leurs troupes de cette zone frontalière sensible et d’arrêter d’y faire des exercices militaires souvent considérés comme un geste de provocation par le voisin. La Chine toute proche a aussitôt appelé « toutes les parties au calme et à la retenue », tout en rappelant son soutien indéfectible à son allié nord-coréen. Ce qui n’a pas empêché Pyongyang de tirer de nouveau 60 obus supplémentaires, dès le lendemain 6 janvier, toujours à proximité immédiate de l’île de Yeonpyeong.

Kim Yo Jong, petite sœur du dictateur nord-coréen Kim Jong-un et membre du politburo depuis avril 2020, ici aux côtés de son frère (photo © Aflo / ABACA / Le Figaro)

Mais la propre sœur du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, Kim Yo Jong, s’est fendue le lendemain d’un communiqué officiel, laissant croire que les 60 obus tirés la veille n’étaient que des leurres, de simples charges explosives imitant le son du canon, destinés à mettre à vif les nerfs des militaires sud-coréens. Elle a ainsi ironisé sur leur manque de sang-froid et de discernement, en écrivant : « A l’avenir, ils prendront même le grondement du tonnerre dans le ciel du nord pour un tir d’artillerie de notre armée ». L’humour n’étant pas la caractéristique la plus répandue dans les États-majors, surtout en période de forte tension internationale, il n’est pas certains que les généraux sud-coréens aient vraiment goûté à la plaisanterie de leurs voisins un peu trop taquins…

L. V.

Tourbières du Congo : un équilibre en sursis

9 janvier 2024

Le fleuve Congo est considéré comme le deuxième du monde derrière l’Amazone, de par son débit moyen colossal de 41 000 m3/s à la station de Brazzaville, située à environ 700 km en amont de l’embouchure, et de par la superficie de son bassin versant qui s’étend sur 3,68 millions de km2, soit bien davantage que ceux du Mississippi ou du Nil.

La forêt tropicale de part et d’autre du fleuve Congo (source © Greenpeace / Euroactiv)

La majeure partie de cet immense bassin versant qui s’étend de part et d’autre de l’Équateur, se situe dans ce qui est actuellement la République démocratique du Congo, un immense pays, vaste comme quatre fois la France, le plus grand d’Afrique derrière l’Algérie. Propriété privée du roi des Belge à partir de 1885, le pays subi pendant des années une exploitation intensive de sa population soumise au travail forcé dans les plantations d’hévéa et accède à l’indépendance en 1960. Le général Mobutu Sese Seko y prend rapidement le pouvoir, avec l’aide américaine après avoir fait assassiner Patrice Lumumba, et gère d’une main de fer le pays, rebaptisé Zaïre, jusqu’à son éviction en 1997 par Laurent-Désiré Kabila. Assassiné en 2001, ce dernier est remplacé par son fils, Joseph Kabila qui cède le pouvoir en 2019 à Félix Tshisekedi, actuel président de cette république dont les immenses richesses minières en cuivre, cobalt et diamant notamment attirent bien des convoitises.

Exploitation minière de cuivre et de cobalt à Tenke Fungurume, au nord-ouest de Lubumbashi, dans le sud de la République démocratique du Congo, par la société minière China Molybdenum Co. Ltd. en 2013 (source © Amnesty International)

Sur l’aval du bassin versant et en rive droite du fleuve s’étend un autre pays, actuellement dénommé République du Congo et dont la capitale, Brazzaville, se situe juste en face de Kinshasa. Ancienne colonie française devenue indépendante en 1960, un temps appelée République populaire du Congo sous la première présidence de Denis Sassou-Nguesso jusqu’en 1992, cette jeune nation a déjà vécu, comme sa voisine, plusieurs guerres civiles et coups d’État, le dernier en date en 1997 ayant vu le retour au pouvoir du président Sassou-Nguesso toujours en place et encore réélu en mars 2021 avec un peu plus de 88 % des voix, face à un adversaire décédé le lendemain du scrutin…

Au-delà de ces péripéties politiques, le bassin du Congo est surtout caractérisé par l’immensité de sa forêt équatoriale et tropicale, la deuxième la plus vaste du monde derrière l’Amazonie. On y recense plus de 10 000 espèces végétales, 1000 espèces d’oiseaux, 700 de poissons et 400 de mammifères dont l’emblématique gorille des montagnes.

Gorilles dans le Parc national de Bukima en République démocratique du Congo (source © WWF)

Mais cet écosystème particulièrement riche, domaine traditionnel des populations pygmées est fortement menacé. L’exploitation forestière y bat son plein, malgré un moratoire mis en place en 2002, et Greenpeace estime que la République démocratique du Congo pourrait avoir perdu 40 % de son couvert forestier d’ici 2050, sous l’effet des exploitations minières et forestières, aggravées par l’accroissement démographique qui amène les populations locales à défricher toujours davantage pour cultiver et cuisiner au charbon de bois.

Exploitation forestière au Congo (source © Reporterre)

En 2014, Simon Lewis, chercheur en écologie végétale à l’université britannique de Leeds, engage des investigations sur les sols marécageux qui s’étendent de part et d’autre du fleuve Congo, dans cet immense entrelacs forestier encore mal connu. Les conclusions auxquelles il arrive, publiées en 2107 dans la revue Nature, sont ébouriffantes. Il met en effet en évidence que l’on trouve dans ce secteur plus de 167 000 km3 de tourbières tropicales, de loin les plus étendues du monde et que ce territoire stocke à lui seul pas moins de 30,6 milliards de tonnes de carbone, soit autant que toute la forêt  du bassin et l’équivalent de 3 années complètes de nos émissions mondiales de gaz à effet de serre !

La tourbe, qui s’est accumulé sur une épaisseur qui atteint par endroit jusqu’à 6 m, s’est formée par dépôts successifs de bois et de feuilles mortes dans un environnement marécageux. Normalement, l’humus qui se dépose ainsi sous couvert forestier se décompose très rapidement, mais ce n’est pas le cas lorsqu’il est dans l’eau : faute d’oxygène, la décomposition est beaucoup plus lente et les dépôts ligneux, riches en carbone, peuvent alors se conserver, formant ces sols tourbeux bien connus en Écosse ou en Finlande où ils servent de combustibles depuis des millénaires.

Paysage de la forêt congolaise près du village de Lokolama où ont été prélevées des carottes de sols tourbeux pour analyse (photo © Gwenn Dubourgthoumieu / Reporterre)

Depuis cette découverte majeure, les équipes britanniques et congolaise poursuivent leurs investigations scientifiques en analysant, sur des carottes de sols tourbeux prélevés en divers endroits du bassin, l’âge des dépôts, leur degré de décomposition mais aussi la nature et les caractéristiques des pollens conservés pour reconstituer les climats du passé. Il en résulte que l’accumulation de dépôts ligneux dans ce bassin a débuté localement il y a plus de 17 500 ans, mais elle s’est fortement ralentie entre 7 500 et 2 000 ans avant nos jours, du fait probablement d’un assèchement relatif du climat qui s’est traduit par une accélération de la décomposition de l’humus. Au moins 2 m de tourbe auraient ainsi disparu durant cette période mais depuis 2000 ans, le cycle a repris et la zone est redevenue marécageuse, permettant de nouveau l’accumulation de dépôts tourbeux.

Un processus qui est donc éminemment fragile et qui peut s’interrompre dès lors que la zone évolue, sous l’effet de la déforestation et de la progression des plantations et aménagements de toute sorte qui se traduisent inéluctablement par des drainages et un assèchement des espaces marécageux. Un sol tourbeux qui n’est plus inondé et s’assèche à l’air libre, en climat tropical, non seulement subit des processus de décomposition rapide avec relargage de gaz à effet de serre, mais peut aussi prendre feu du fait des pratiques locales de cultures sur brûlis, et provoquer des incendies qui couvent ensuite pendant des années, se traduisant par des rejets massifs de CO2 dans l’atmosphère.

Répartition du couvert forestier et des zones de tourbières dans le bassin du Congo (source © ESA Climate Change Initiative / Reporterre)

Ce processus d’assèchement est justement à l’œuvre dans cet immense bassin forestier jusque-là relativement préservé mais où la population a doublé en 20 ans et continue sa progression démographique au même rythme. Malgré les efforts de régulation, les projets d’exploitation minière se multiplient, l’exploration pétrolière débute, et la déforestation s’accélère, avec de nombreuses concessions désormais accordées à des investisseurs asiatiques notamment. Le bassin du Congo prend le chemin de l’Indonésie où les plantations de palmier à huile ont depuis longtemps remplacé la forêt primaire, transformant ce massif forestier en zone émettrice de gaz à effet de serre.

On considère actuellement que le bassin du Congo est encore un des puits de carbone majeur de notre planète, un des rares endroits encore fonctionnels où la capacité naturelle d’absorption de gaz à effet de serre dépasse les émissions, absorbant chaque année de l’ordre de 1,5 milliards de tonnes de CO2. On considère, selon le dernier bilan du Global Carbon Project qu’en 2023, les émissions mondiales de CO2 ont atteint 40,9 milliards de tonnes de CO2, en hausse depuis 3 ans consécutifs après le petit coup de mou lié à la pandémie de Covid, bien loin des scénarios validés, COP après COP, qui visent tous une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre pour contenir le réchauffement climatique. Les tourbières du Congo ne suffiront pas éternellement à absorber un tel flux, surtout si on les laisse se dégrader au rythme actuel…

L. V.

Raphaël Glucksmann, député européen de l’année

7 janvier 2024

Comme chaque année, le magazine économique Challenges vient de sortir son palmarès des hommes politiques français qui auront marqué le millésime 2023. Vu l’orientation très libérale du journal, fondé en 1982 par des anciens de l’ESSEC et détenu depuis 2021 par le milliardaire Bernard Arnault, majoritaire, et par le groupe de Claude Perdriel, on ne sera pas étonné de constater que la rédaction met en avant le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, et sa collègue, ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Le magazine avait de fait affiché en 2017 un soutien fervent et peu discret à la candidature d’Emmanuel Macron et s’était distingué en 2022 par une couverture peu favorable à Jean-Luc Mélenchon et à l’union de la gauche dont le programme était considéré comme aussi dangereux que celui du Rassemblement national, épinglé de manière symétrique quelques semaines avant…

Les unes du magazine Challenges le 13 avril (à gauche) et le 9 juin 2022 (à droite) : un rapprochement peu flatteur pour le leader de la NUPES en pleines élections législatives (source © Libération)

La vérité oblige néanmoins à reconnaître que la rédaction de Challenges a aussi mis en avant l’inamovible député centriste de la Marne, Charles Amédée de Courson, réélu sans discontinuer depuis 1993 et qui avait donné du fil à retordre au gouvernement en prenant la tête des opposants à la réforme des retraites à l’Assemblée nationale, échouant de peu à faire tomber le gouvernement d’Élisabeth Borne en mars 2023. Le maire de Marseille, Benoît Payan, est également à l’honneur dans ce palmarès, lui qui remporte la palme de l’élu local de l’année pour avoir su s’imposer avec brio à la tête de la cité phocéenne et avoir mis la ville en lumière à l’occasion de plusieurs grands évènements de l’année, dont la visite du pape en septembre dernier.

L’eurodéputé Raphaël Glucksmann au Parlement européen (photo © M. Cugnot / RÉA / Challenges)

Quant au député européen de l’année, le choix de la rédaction de Challenges s’est porté sur une autre personnalité de gauche, l’ancien journaliste Raphaël Glucksmann, qui avait été élu au Parlement européen le 26 mai 2019 comme tête de la liste portée par le Parti socialiste et à laquelle participaient des candidats issus des mouvements Nouvelle donne et Place publique, qu’il avait contribué à fonder en 2018. Ce mouvement politique citoyen, dont il est toujours co-président, avec l’économiste Aurore Lalucq, également élue au Parlement européen, avait justement été créé pour tenter d’unifier la gauche en vue des élections européennes de 2019, avec un succès très mitigé puisque seuls le Parti socialiste et le Parti radical de Gauche avaient rejoint le navire, pour un score modeste de 6,2 % et 6 élus seulement à Strasbourg, soit autant que la France insoumise mais deux fois moins qu’Europe Écologie Les Verts, dont la liste était conduite par Yannick Jadot.

Très actif au Parlement européen où il a été désigné vice-président de la sous-commission des droits de l’homme et, depuis 2020, président de la Commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, Raphaël Glucksmann s’est distingué pour son soutien appuyé au peuple Ouïghour, persécuté en Chine, ainsi que pour ses critiques virulentes contre l’agression militaire de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh ou celle de la Russie en Ukraine ainsi qu’à l’occasion du dernier conflit entre Israël et le Hamas.

Raphaël Glucksmann conduisant une délégation du Parlement européen à Taïwan, le 4 novembre 2021, aux côtés de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen (photo © Taiwan Presidential Office / EPA / Euroactiv)

Mais objectivement, si la rédaction de Challenges a choisi de mettre ainsi en valeur cet eurodéputé, c’est aussi parce qu’il a d’ores et déjà annoncé, dès le mois de septembre 2023, son souhait de se porter de nouveau candidat à l’occasion des prochaines élections européennes qui se tiendront le 9 juin prochain, dans tout juste six mois donc, et qu’il espère bien conduire, comme en 2019, la liste soutenue par le Parti socialiste, même si ce dernier n’a pas encore officiellement choisi sa tête de liste. Un choix qui pourrait s’annoncer payant puisque les différents sondages d’opinion déjà publiés lui promettent un score oscillant entre 9 et 10 %, soit bien davantage qu’en 2019 et nettement au-dessus de celui de la France insoumise voire même de celui de la liste écologiste, laquelle devrait être conduite par Marie Toussaint qui s’était fait un nom via « l’Affaire du siècle ».

Ces mêmes sondages font néanmoins état d’un score deux fois plus élevé pour la liste qui se présentera au nom de la majorité présidentielle actuelle et qui pourrait être conduite par Stéphane Séjourné, secrétaire général du parti présidentiel Renaissance, et président depuis 2021 du groupe Renew Europe au Parlement européen.

Jordan Bardella, future tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes de juin 2024 comme en 2019, ici aux côtés de Marine Le Pen (photo © Reuters / Ouest France)

Ils confirment également ce que tout le monde pressent et qui s’était déjà produit en 2019, à savoir que la liste du Rassemblement national, dont la tête de liste sera comme en 2019, Jordan Bardella, devenu entre temps président du parti frontiste, en lieu et place de Marine Le Pen elle-même, devrait faire le meilleur score. En 2019, sa liste avait remporté plus de 23 % des suffrages exprimé et avait placé 23 députés à Strasbourg. En 2024, les sondages disponibles lui promettent un score au moins comparable mais qui pourrait allègrement dépasser 25 % voire atteindre 30 % selon les sources. Du souci à se faire pour ceux qui croient encore au rêve de la construction européenne, alors que l’on vient tout juste d’enterrer, en la personne de Jacques Delors, celui qui en avait incarné l’esprit pendant tant d’années…

L. V.

La crise du logement en débat à Carnoux

5 janvier 2024

Comment peut-on encore se loger dans les grandes agglomérations françaises en 2023 ? Depuis plusieurs mois, le sujet est dans tous les médias. Le 28 décembre, Le Monde explique comment des ménages, pourtant aisés, sont contraints de falsifier leurs fiches de paie pour décrocher une location en région parisienne… Le 8 décembre, c’était Les Echos qui alertaient sur la panne durable des chantiers de construction de logements neufs. Le 2 novembre, France 2 consacrait une émission d’Envoyé spécial sur la crise du logement et diffusait des interviews poignantes de salariés obligés de vivre durablement au camping faut de trouver à se loger convenablement, tandis que ceux qui cherchent à acquérir un bien immobilier se voient obligés d’y renoncer faute d’accès au crédit nécessaire. Le 19 octobre, c’était la Fondation Abbé Pierre qui présentait son éclairage régional sur l’état du mal logement en région PACA, dans la continuité de son 28e rapport annuel sur le mal logement publié en février et qui attire l’attention une fois de plus, sur les difficultés croissantes d’accès au logement social et à un toit décent notamment pour les plus précaires. La veille, BFM TV se faisait l’écho du ras le bol des certains habitants du Panier où tous les logements sont transformés en meublés de tourisme loués à la semaine sur internet, empêchant les habitants de ce quartier marseillais populaire de pouvoir encore se loger…

Même le dernier numéro du journal publié en novembre 2023 par le Cercle progressiste carnussien se faisait l’écho de ces difficultés réelles d’accéder à un logement, y compris à Carnoux où les files d’attentes pour le logement social s’allongent tandis que se multiplient les résidences secondaires et les meublés de tourisme en location sur Airbnb, Abritel, Booking ou TripAdvisor.

Extrait du journal n°46 du Cercle progressiste carnussien publié en 2023 avec un dossier spécial logement

Un sujet qui mérite un véritable débat car l’accès au logement fait partie des besoins fondamentaux : notre qualité de vie personnelle dépend fortement de notre capacité à disposer d’un logement décent et adapté, proche de nos lieux de vie, confortable et bien desservi en mode de transport, mais qui ne draine pas la totalité de notre pouvoir d’achat… Une véritable quadrature du cercle en cette période de pénurie croissante de logements à des prix abordables. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi construit-on aussi peu de logements neufs ? Pourquoi un ménage de salariés avec des revenus corrects a-t-il autant de mal à accéder à un logement et encore plus à en devenir propriétaire ? Pourquoi y a-t-il aussi peu de logements sociaux alors que les deux-tiers des Français y sont éligibles ? Pourquoi le droit au logement est-il aussi mal appliqué dans les faits ?

Autant de questions qui méritent un éclairage car le dossier n’est pas des plus simples. C’est à ces questions en tout cas que s’efforcera de répondre la prochaine conférence organisée par le CPC à Carnoux, le lundi 22 janvier 2024. Animée par Francis Vernède, directeur régional PACA de la Fondation Abbé Pierre, et par Aude Lévêque, chargée de mission pour le logement des plus défavorisés, ainsi que par Marc Vincent, directeur du pôle de lutte contre l’habitat indigne à la Ville de Marseille, cette présentation sera l’occasion d’échanger et de débattre en toute liberté sur ce sujet qui touche nécessairement chacun d’entre nous de manière très personnelle.

L’accès est gratuit et ouvert à tous et le rendez-vous est fixé dans la salle municipale du Clos Blancheton à 18h30 : venez nombreux !

Canal de Marseille : la Métropole boit la tasse

3 janvier 2024

Pour assurer une protection minimale des points de captage destinés à l’alimentation en eau potable pour la consommation humaine, la loi prévoit l’instauration de périmètre de protection délimités par un hydrogéologue agréé et inscrit dans les documents d’urbanisme après avoir fait l’objet d’une enquête publique en bonne et due forme.

L’agglomération marseillaise, comme une partie importante des Bouches-du-Rhône et même de certains départements voisins est alimentée en eau potable par le canal de Marseille et le canal de Provence qui acheminent sur de longues distance l’eau prélevée dans le Verdon et la Durance. Ces ouvrages ne datent pas d’hier. Le réseau du canal de Provence, désormais propriété de la Région PACA et géré par la Société du Canal de Provence (SCP), a été pour l’essentiel aménagé entre 1964 et 1986, à la suite de la construction des différents ouvrages de régulation hydraulique du Verdon et est alimenté à partir de la prise d’eau de Boutre, à Vinon-sur-Verdon.

Le canal de Marseille, au-dessus de Coudoux (photo © Alain Amblard)

Quant au Canal de Marseille, sa construction est bien plus ancienne puisqu’elle a débuté en 1839 et s’est achevée pour l’essentiel en novembre 1949, date de l’arrivée dans le nouveau bassin du palais Longchamps, de l’eau captée plus de 80 km en amont, dans la Durance sur la commune de Pertuis. Après la réalisation du barrage de Serre-Ponçon, mis en eau en 1961, un canal usinier a été aménagé par EDF en rive gauche de la Durance pour alimenter une série d’usines hydroélectriques jusqu’à la dernière d’entre elle, située à Saint-Chamas, où l’eau résiduelle se déverse dans l’étang de Berre, participant largement à la dégradation de la qualité biologique de cette lagune naturelle. C’est en tout cas désormais sur ce canal EDF que se fait l’alimentation en eau du Canal de Marseille, sur la commune de Saint-Estève-Janson. Les ouvrages de ce réseau sont concédés à la SEMM, une société du groupe Véolia, qui en est donc le gestionnaire, mais c’est désormais la Métropole Aix-Marseille-Provence qui en est la propriétaire.

Ces ouvrages de transport d’eau brute prélevée dans la Durance ou dans le Verdon sont en partie de simples canaux à ciel ouvert qui traversent parfois des milieux très urbanisés, notamment dans le nord de Marseille. La protection de cette ressource précieuse constitue donc un enjeu majeur et il est étonnant qu’il ait fallu si longtemps pour enfin initier la procédure visant à instaurer des périmètres de protection autour des ouvrages.

Vue aérienne du canal de Provence près de la Sainte-Victoire (photo © SCP / La Tribune)

Pour ce qui est du Canal de Provence, la SCP a lancé la démarche dès 2011 mais le Conseil Régional a attendu octobre 2020 pour enfin engager la procédure visant à la mise en place de périmètres de protection autour du canal et de ses ouvrages annexes. L’hydrogéologue agréé a rendu son avis fin 2021, proposant la mise en place de 76 périmètres de protection immédiate autour des ouvrages les plus sensibles, déjà globalement bien protégés mais où la SCP a encore besoin d’acquérir certaines parcelles supplémentaires, et des périmètres de protection rapprochée, de part et d’autre du canal. Ces derniers sont constitués d’une bande de protection renforcée de 8 à 10 m de large à partir des hauts de berge, et d’une bande plus distante, également de 8 à 10 m de largeur. Sur chacun de ces espaces, des interdictions sont prévues, pour limiter tout risque d’activité polluante.

Comme le prévoit la procédure, plusieurs enquêtes publiques ont été lancées conjointement, qui se sont déroulées du 13 mars au 14 avril, concernant pas moins de 36 communes des Bouches-du-Rhône, dont celles d’Aix-en-Provence et de Marseille, avec pour enjeu de permettre la poursuite de l’autorisation délivrée à la Société du Canal de Provence, d’alimenter plus de 2 millions d’habitants en eau potable à partir de ces ouvrages. Une enquête parcellaire concernant pas moins de 1678 propriétaires, tous consultés au préalable par courrier, fait partie intégrante de la procédure afin d’avertir chacun des propriétaires concernés des impacts potentiels sur sa parcelle, certaines de ces parcelles étant destinées à être rachetées par la collectivité pour les besoins des périmètres de protection immédiat, à l’amiable ou, au besoin, dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique (DUP). La SCP a indiqué avoir provisionné pas moins de 4 millions d’euros pour indemniser les propriétaires concernés.

Berges du canal de Provence (photo © SCP / Registre d’enquête publique)

L’avis donné par les commissaires enquêteurs à l’issue de ce gros travail de concertation est favorable, tant pour l’enquête parcellaire, que pour la DUP et pour la poursuite de l’autorisation d’exploitation pour la consommation humaine. Un avis motivé résumé dans un épais rapport de 95 pages, accessible sur le site de la Préfecture, et qui a permis au Préfet de signer, en date du 5 décembre 2023, un arrêté autorisant la poursuite de la procédure.

Le canal de Marseille, ici avenue d’Albret dans le 13e arrondissement de Marseille (photo © Valérie Vrel / La Provence)

Mais il n’en a pas été de même pour la Métropole qui avait à faire exactement le même exercice pour la mise en place des périmètres de protection du Canal de Marseille. Elle a elle-aussi adressé, à l’été 2023, un courrier aux multiples propriétaires des parcelles situées le long du tracé du canal et de ses différentes branches, dont celle qui part d’Aubagne et traverse Carnoux vers Cassis et La Ciotat. Mais le courrier était rédigé en termes abscons et n’a fait qu’attirer la méfiance des propriétaires concernés, qui se sont persuadés que la Métropole cherchait à les exproprier. L’enquête publique elle-même s’est déroulée du 4 septembre au 6 octobre 2023 et a porté, comme pour le Canal de Marseille à la fois sur l’enquête parcellaire proprement dite, sur la DUP et sur l’autorisation d’exploitation pour la consommation humaine, non seulement sur le réseau du canal, mais aussi sur le bassin du Réaltor, sur les hauteurs de Vitrolles.

Le bassin du Réaltor, réserve d’eau brute située sur le plateau de l’Arbois et alimentée par le Canal de Marseille (source © Voyagez chez nous)

Une enquête assez lourde également puisqu’elle portait sur 21 communes au total, dont celle de Carnoux-en-Provence, mais surtout qui a mis en lumière une impréparation évidente de la part de la Métropole, laquelle a notamment reconnu n’avoir strictement rien budgété pour procéder à l’indemnisation des plus de 7000 propriétaires concernés, comme la loi le prévoit pourtant ! Un amateurisme qui a conduit les commissaires enquêteurs à délivrer un avis défavorable. Seuls les maires de 7 des communes concernées se sont exprimés, généralement pour émettre de fortes réserves et les enquêteurs ont regretté l’absence d’implication des élus métropolitains qui n’ont même pas daigné les rencontrer dans ce cadre, ainsi que le déficit total de communication de la part de la Métropole qui n’a diffusé aucune information et n’a même pas organisé de réunion publique pour expliquer les tenants et aboutissants de la démarche ainsi que ses implications concrètes.

Un véritable fiasco démocratique donc pour la Métropole qui s’est finalement résolue, dans un communiqué piteux, diffusé en toute discrétion entre Noël et le Jour de l’An, à annoncer qu’elle renonçait à son projet et allait revoir sa copie, prenant acte du rapport accablant des commissaires enquêteurs qui pointent cruellement tous les manquements du dossier.  

La concertation publique, un exercice difficile, indispensable à l’exercice d’une démocratie vivante, un dessin signé Ucciani (source © Blog Noisy-le-Grand)

Promis, juré, la Métropole annonce qu’elle va revoir sa copie et qu’elle lancera une nouvelle procédure pour laquelle « une attention toute particulière sera portée à la possibilité d’adapter les mesures de protection fixées par les experts hydrogéologues, et à l’information du public, des institutions et des acteurs économiques, préalablement à l’ouverture d’une nouvelle enquête publique ». Le B-A-BA d’une démarche de concertation publique en somme, si l’on veut avoir une chance de recueillir l’assentiment général… Une approche que la Métropole semble avoir pour le moins négligé dans ce dossier, estimant sans doute que ces enquêtes publiques n’intéressent plus personne et que cela ne vaut vraiment pas le coup de faire des efforts pour communiquer sur un sujet aussi technique et peu médiatisé. Une petite erreur d’appréciation qui risque de coûter cher à la collectivité…

L. V.