Voici un bref aperçu des livres que les lecteurs de Katulu ont évoqués lors de leur dernière réunion d’avril-mai 2014. Le texte plus détaillé des lecteurs de Katulu est téléchargeable Katulu_Mai2014. Si vous aussi avez envie d’échanger autour de vos dernières lectures et de faire partager vos coups de cœur littéraires, n’hésitez pas à rejoindre le groupe de lecture Katulu qui se réunit à Carnoux le deuxième jeudi de chaque mois.
En finir avec Eddy Bellegueule
Edouard Louis
Il s’agit de la description de l’enfance et de la jeunesse d’un homosexuel dans une famille déshéritée, tant sur le plan des moyens financiers que sur le plan social et culturel. La télé, l’alcool et le foot sont les trois seuls centres d’intérêt. La description du milieu ambiant est particulièrement crue et réaliste : il y a de la violence dans toutes les relations…
Toute la souffrance de cet enfant vient de ce qu’il a des manières efféminées et que, dans ce milieu-là, l’homosexualité est rejetée comme une tare profonde, une honte. Il va donc passer son enfance et sa jeunesse à souffrir de ce rejet, autant dans sa famille qu’à l’école ou au village et à essayer de « devenir un dur ».
L’écriture est précise, incisive, rapide, violente ; pas de doute que cet écrivain en herbe (il a 21 ans) devrait continuer à écrire. Il ne s’agit pas d’un témoignage mais d’un roman où l’auteur a noirci ou inventé certains épisodes de sa vie pour en faire une œuvre littéraire et c’en est une !
Cécile Tonnelle
Il faut beaucoup aimer les hommes
Marie Darieussecq
C’est l’histoire d’une actrice française à Hollywood, Solange, de second rôle, mais qui gagne bien sa vie. Elle tombe amoureuse d’un acteur (de second rôle aussi), noir, né au Cameroun anglophone, qui a pris la nationalité canadienne, Kouhouesso. Il partage aussi ce coup de foudre, mais à sa façon. C’est l’histoire d’une passion amoureuse mais inégale.
Il a le projet de faire un film sur l’histoire du Congo adaptation du « cœur des ténèbres » de Conrad : « Il était temps qu’un africain s’empare d’Hollywood. Il était temps de reprendre à l’Amérique l’histoire des peuples ».
Lui a ce projet qui prend toute sa vie alors qu’elle n’a que lui en projet. Le livre va être celui de l’attente de cette femme, attendre qu’il arrive, attente du prochain SMS, mais ils n’ont pas de projet commun. La fin est cruelle quand elle va découvrir, après qu’il l’ait abandonnée, qu’il a au montage enlevé toutes les scènes où elle apparaissait : son nom n’apparaît plus nulle part, elle n’existe plus pour lui.
Un livre bien écrit très agréable à lire, qui aborde l’inégalité de la passion amoureuse. La différence de couleur de peau ne pose pas de problème dans ce livre, c’est le regard des autres sur le couple qui en pose.
Cécile Tonnelle
La démesure
Céline Raphaël
Cette autobiographie est un livre sur la maltraitance d’un enfant en milieu aisé : chose assez exceptionnelle car souvent on pense que cela n’arrive que dans les milieux défavorisés..
Céline est une jeune fille de bonne famille : son père, cadre supérieur d’une grande société, souhaitait que sa fille pratique le piano et de façon excellente ! Il avait rêvé d’être pianiste mais faute de moyens il n’avait pu faire que de l’accordéon. Il en avait gardé une grande frustration et avait reporté cette folle ambition sur sa fille. C’est un paranoïaque qui n’a jamais voulu reconnaître ses torts.
C’est dès 2 ans et demi que son père lui offre un piano et l’astreint d’abord à 30 mn par jour puis rapidement à une heure et peu à peu elle pourra dire « bientôt je ne serai plus rien uniquement focalisée sur ma survie ». En plus de cet autoritarisme, elle subit la violence de son père : coups de ceinture, privation de nourriture, de sommeil. Elle devint anorexique ! En classe de seconde elle pesait 38 kgs !
La mère et sa sœur aussi angoissées qu’elles, s’enfoncent dans la faiblesse et la lâcheté devant lui. Enfin elle ose se confier à une infirmière scolaire. Placée en famille d’accueil, grâce à une volonté, un courage et une abnégation hors du commun, par un travail acharné, elle poursuivit des études (médecine et piano). Alors qu’elle était épuisée, anorexique et malheureuse, elle réussit à ses examens !
Maintenant elle joue pour les malades, en particulier pour les malades en fin de vie (dont elle s’occupe en tant qu’interne d’hôpital), pour son conjoint, sa famille. Sa souffrance, elle a voulu la transcender et en tirer un bien qu’elle donne à l’autre : « je voudrais que la maltraitance faite aux enfants soit déclarée grande cause nationale car trop souvent les tortionnaires paraissent respectables et les victimes se taisent ».
Josette Jegouzo
Le soldeur
Michel Field
Ou l’art de vendre sa bibliothèque… « Un homme qui vient vendre ses livres, c’est un peu de sa vie qu’il livre ? ou dont il se délivre ». En deux pages d’introduction le constat est fait.
En dernière page du livre, en quelques lignes l’affaire est conclue : « Un homme…cherche sa vérité…sa vie se confondait avec ses livres ? Alors qu’est-elle sans eux ? Que va-t-il découvrir derrière sa bibliothèque, quand il l’aura vidée ? Lui ou rien ?… ».
Entre ces deux petits paragraphes, 348 pages… d’une belle écriture, alerte, agréable, écriture d’un érudit qui bombarde le lecteur de titres, d’auteurs, de citations… et le culpabilise ! Il émerge de ces pages avec le sentiment qu’il n’a rien lu, qu’il est d’une inculture crasse !
Le tout raconté sous forme d’une rencontre chez un soldeur entre un intellectuel replié sur lui-même, cloîtré dans sa bibliothèque, et une jeune femme achetant des livres d’occasion… Une histoire de séduction qui pourrait ne pas exister (l’auteur s’en explique en fin de livre) mais qui donne un peu de légèreté à l’ensemble. Le fil rouge de ces pages : l’impact du livre, le livre outil à double tranchant. Il forge la personnalité, il est une ouverture au monde mais il est aussi repliement sur soi, un enfermement.
Tout ce qui peut être dit sur le livre est abordé : le livre en tant qu’objet, la relation livre-lecteur, l’acte d’écrire, l’obsession de la publication, les livres d’autrefois, les thèmes abordés. L’autre sujet du « soldeur » : l’art de créer sa bibliothèque, matériellement, physiquement, intellectuellement.
Un livre où l’auteur propose ses réflexions sur de multiples sujets, d’une écriture alerte, agréable. De nombreuses réflexions que l’on peut apprécier, critiquer, approuver ou rejeter au gré de chacun.
Marie-Antoinette Ricard
N’oublie pas les oiseaux
Murielle Magellan
Une jeune artiste de 17 ans arrive à Paris, à l’école de variétés. Elle rencontre un professeur de 40 ans homme charismatique, charmeur, volage insaisissable et complexe. Autour de lui les femmes défilent attirées par « le Russe ». Comment peut-elle capter son attention ?
C’est une autobiographie. Cette vie amoureuse va s’étaler sur 20 ans, elle aura 34 ans lorsqu’il meurt. Cet homme slave s’appelle Francis Morane, pour qui Murielle va tout accepter, tout encaisser tromperies, mises à l’écart, mensonges, fugues.
Elle raconte cet amour, adolescente de 17 ans, mal dans sa peau, mais qui dégage déjà une détermination et une certitude de ne pouvoir se résoudre de passer à côté d’un tel homme. Non seulement c’est un pygmalion de l’amour mais artistiquement il l’encourage et lui donnera la force de croire en elle. Cet amour va la détruire mais aussi la faire grandir.
Elle raconte sans mélodrame ses hésitations, ces journées à attendre, des heures devant une porte close, cette dépendance à l’autre, les affres de l’infidélité et du mensonge.
Le personnage est très intéressant par sa fragilité et d’un autre côté sa force, et puis une douce mélancolie très touchante. Elle finit par dresser l’image d’une femme que l’amour et la souffrance ont rendu forte.
Suzanne Bastit
Poésie
Il n’est guère facile de commenter la poésie ; je souhaite seulement vous présenter trois recueils qui ont résonné pour moi et vous proposer de les ouvrir… et peut-être de les savourer comme je l’ai fait.
Michel Onfray : « Un requiem athée »
L’auteur a emprunté la structure du Requiem (liturgie catholique) en souvenir de sa compagne disparue. La mort est placée dans « le grand cycle naturel de la transformation et non de la disparition ».
« Il y eu le néant
Il y aura le néant.
Mais,
Entre les deux néants,
Il y eut aussi
Ta vie.
Anne Houdy : « La petite entomologiste »
« La terre vaut deux lunes »
Ces deux recueils de prose sont d’une intensité exceptionnelle. Un chant mélancolique qui laisse à penser la solitude et souvent la tristesse de l’auteur. Les jeux de mots de « La petite entomologiste », fruits d’une imagination débordante, sont enchanteurs : une leçon de poésie avec Colette, la poule, et son alphabet sous l’aile, la mante religieuse avec sa bible, le lombric accordant son luth, Hector le chien qui avait décidé d’être le pion… et le doryphore à court d’idées ! Et le rat de bibliothèque à qui les points de suspension donnent de l’aérophagie !
« je n’ai toujours pas compris le mode d’emploi de la vie… »
Il me reste encore une place pour écrire…
une place pour le chagrin…
une place vacante…
une place qui manque
une pour ce qui doit arriver… »
Dans « La terre vaut deux lunes », la musique se mêle à l’écriture . En introduction l’auteur explique son recueil :
En musique il y a une clef pour lire, pour accéder à la mélodie : « Pour ouvrir le livre, il faut ouvrir les yeux… Avoir la clef des mots, pour ouvrir les mots qui nous ouvrent les choses et les êtres. Ouvrir les mots pour voir dedans et pour comprendre le monde. Ouvrir les êtres et mettre des mots pour panser leurs blessures. »
Anne Houdy est comédienne et auteur dramatique. Née en France, elle a longtemps vécu au Québec puis à Paris . Aujourd’hui, elle anime des ateliers d’écriture à Marseille, et à Carnoux en 2014. Elle a publié, entre autre, en 1999 « Le milieu du silence » Théâtre, en 2010 « H et autres problèmes de lettres ».
Marie-Antoinette Ricard
Tempête – deux novellas
J.M.G. Le Clézio
Deux novellas, des nouvelles ainsi nommées parce qu’elles sont longues et ont un rapport entre elles. Terriblement sombres. Une magnifique écriture (comme toujours!) qui ne lasse jamais. Le thème de la tempête dans le cœur de l’homme. Le destin implacable qui brise les êtres, le destin de l’un qui transforme celui de l’autre. Le viol (celui que l’on a pas empêché et celui que l’on a subi) et le remords. Une note d’espoir en fin de chacun de ces textes cependant.
La première nouvelle, « Tempête », est celle de la rencontre d’une jeune fille de 12 ans avec un homme de 60 ans dans une île d’Extrême-Orient. La mer joue un rôle essentiel dans ce récit. L’homme qui revient dans ce lieu pour se donner la mort, repartira délivré après la rencontre avec l’enfant : « Il m’a donné son passé, il s’est libéré en moi, il m’a remplie de sa destinée ». Elle, aussi quittera l’île, sans regret, « libre » de s’inventer une nouvelle vie.
Le deuxième récit, « Une femme sans identité », est celui d’une jeune femme, née d’un viol, adoptée, rejetée par sa belle-mère. Une vie de « galère » à Paris avec la haine au fond du cœur, mais aussi l’amour qu’elle porte à sa petite sœur. Elle retrouvera l’espérance en partant pour l’Afrique où elle était née même si « c’est toujours angoissant de commencer une nouvelle histoire ».
Un livre dont on sort avec un profond malaise : l’ambiguïté de la première histoire, la noirceur de la seconde sont difficiles à supporter.
Marie-Antoinette Ricard
Réparer les vivants
Maylis de Kerangal
« Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps ». Réparer les vivants est le roman d’une transplantation cardiaque. Tout se passe en vingt-quatre heures exactement.
Entre l’accident de Simon, jeune surfeur de 20 ans, et la transplantation de son cœur dans le thorax d’une quinquagénaire, c’est le récit des angoisses, des questionnements d’un père, d’une mère, d’une fiancée, du receveur du don et de tout le personnel médical mobilisé pour la transplantation.
Avec une précision méticuleuse, que ce soit celle de la technique du surf ou celle de l’acte chirurgical, l’auteur dans une écriture qui envoûte, riche, foisonnante, poétique, tient son lecteur en haleine ; elle lui fait vivre ces 24 h, comme s’il était l’un des multiples acteurs de cette chaîne qu’est la transplantation.
« Roman de tension et de patience, d’accélérations paniques et de pauses méditatives, il trace une aventure métaphysique, à la fois collective et intime, où le cœur, au-delà de sa fonction organique, demeure le siège des affects et le symbole de l’amour ».
Marie-Antoinette Ricard