Archive for septembre 2020

Port-Miou, le château restauré à neuf

29 septembre 2020

Entrée de la calanque de Port-Miou le long de la Presqu’île (source © JCF Boat)

La calanque de Port-Miou, la plus à l’Est du massif des Calanques, est en fait la seule calanque du massif qui se situe non pas sur le territoire marseillais mais sur celui de sa voisine Cassis. Formant un abri naturel idéal sous forme d’un long bassin étroit de 1,4 km de longueur dont l’entrée est largement protégée par le promontoire que constitue la Presqu’île, cette calanque a servi de tout temps de port. D’où son nom d’ailleurs, qui viendrait, paraît-il du latin Portum Melior, autrement dit le meilleur port, bien meilleur en tout cas que celui de Cassis même, qui, au XVIIe siècle, était tellement mal entretenu que les navires préféraient aller se charger dans la calanque voisine où les galères royales avaient aussi habitude de faire escale.

La calanque de Port-Miou et ses rangées de bateaux de plaisance (source © Sun plaisance Location)

Vers 1630 y est installée une madrague, autrement dit un filet fixe de grandes dimensions, qui servait alors pour la pêche côtière au thon. A partir de 1720, l’exploitation des carrières destinées à extraire la pierre de Cassis commence à se développer dans le secteur. Ce calcaire urgonien dur et compact, renfermant de nombreux moules de rudistes et qui forme une bonne partie des falaises du massif est alors très prisé pour la construction en pièce de taille. Ce matériau servira notamment pour l’édification du phare de Cassis ou celui du Planier à Marseille, mais aussi pour une partie des quais d’Alexandrie et la voûte du tunnel du Rove. En revanche, la légende selon laquelle le socle de la statue de la Liberté à New-York serait en pierre de Cassis est bien entendu une pure galéjade…

Vestige des trémies de chargement à la Pointe de Cacau, Cassis (source © Mapio)

A Port-Miou toutefois, l’exploitation de pierres de tailles est restée assez modeste. Des trémies de chargement de blocs de pierre y ont bien été construits vers 1850 mais c’est à partir de 1895 que le site connaît un début d’exploitation industrielle majeure avec l’arrivée du groupe belge Solvay qui se porte acquéreur de toute la rive nord de la calanque. Alors en pleine guerre économique avec les soudières locales fonctionnant selon le procédé inventé en 1791 par le chimiste français Nicolas Leblanc, le Belge Ernest Solvay, inventeur en 1860 d’un procédé concurrent de fabrication de la soude à l’ammoniac visait le marché florissant des savonneries de Marseille, mais aussi l’exportation vers les savonneries espagnoles et italiennes. Il construit une usine à Salin-de-Giraud, à proximité de celle de son concurrent Péchiney et il démarre à Port-Miou, à partir de 1907, l’exploitation du calcaire.

Manifestation contre la carrière Solvay de Port-Miou en 1910 (source © Cassis Forum)

A l’époque, le carbonate de calcium extrait à Cassis était concassé sur place puis chargé via une trémie dans des chalands qui transportaient les blocs jusqu’à l’usine de Salin-de-Giraud. Après mélange, en présence d’ammoniac, au chlorure de sodium extrait localement dans les salines de Camargue, le procédé permet d’obtenir du bicarbonate de sodium puis, après chauffage, de la soude. Cette technique, qui est toujours utilisée de nos jours, est moins polluante que le procédé Leblanc, d’autant qu’elle permet de recycler l’ammoniac et d’obtenir comme sous-produit du chlorure de calcium utilisé comme sel de déneigement.

Malgré son avantage technique, le baron Solvay se heurte néanmoins à une forte opposition locale avec même, le 13 mars 1910, une manifestation rassemblant 3000 personnes, défenseurs de l’environnement avant l’heure, l’accusant de venir saccager la beauté de ce site naturel préservé. Cela n’empêcha pas Solvay d’extraire bon an mal an, de l’ordre de 80 000 puis, mécanisation aidant, 100 000 tonnes de calcaire par an et ceci jusqu’en fin 1982. A partir de 1975 en effet, la municipalité alors dirigée par Gilbert Rastoin, fait pression pour que cesse l’exploitation jugée gênante pour les activités touristiques en plein essor.

Photo d’archive du château de Port Miou (source © Fondation du Patrimoine)

La rive nord de la calanque, qui sert de passage à des centaines de milliers de randonneurs chaque année, se rendant vers la calanque voisine de Port Pin ou vers celle d’En Vau, appartient toujours à Solvay. Mais, l’issue de longues batailles juridiques et d’une expropriation, la Ville de Cassis a finalement racheté en 2010 la vieille bâtisse qui s’y trouve et que l’on appelle localement « château » du fait de sa tour carrée arrogante. Édifié en 1810 par un ancien marquis cassidain, paraît-il dans le but d’y loger sa maîtresse, le bâtiment a longtemps servi à abriter la douzaine d’ouvriers en charge de l’exploitation de la carrière. Fortement dégradé au fil du temps, le bâtiment menaçait ruine, même s’il servait encore d’annexe à la capitainerie du port de plaisance qu’est devenue la calanque de Port-Miou avec ses 455 anneaux.

Le château avant les travaux de restauration (source © Fondation du Patrimoine)

En mai 2017, des travaux de restauration de cet étrange édifice ont donc été engagé, pilotés par Acta Vista, une association qui développe depuis 2002 des chantiers d’insertion et de formation qualifiante aux métiers du patrimoine, dédiés aux personnes les plus éloignées de l’emploi. Le projet de restauration a duré 3 ans et vient tout juste de s’achever, permettant à l’ancien château de Port-Miou de retrouver tout son éclat.

Le rez-de-chaussée du bâtiment continuera à être utilisé comme annexe de la capitainerie tandis que le premier étage entre les bureau administratifs de la capitainerie et des locaux pour différentes associations environnementales œuvrant sur place. Le deuxième étage quant à lui constituera la première maison du parc car le Parc National des Calanques, pourtant créé en 2012, n’en est toujours pas pourvu.

Travaux de rénovation du toit de la tour (source © Acta Vista)

Le coût global du chantier s’est élevé à 2, 3 millions d’euros selon TPBM, financé largement par de multiples fondations d’entreprises ainsi que la Fondation du Patrimoine qui a royalement apporté 9 000 €. Une quarantaine de salariés en formation s’est investi sur le chantier dans le cadre d’une formation qualifiante. Les deux premières années, le groupe encadré par un maçon tailleurs de pierre et un accompagnateur socio-professionnel, s’est chargé de la maçonnerie et du gros œuvre avant de s’attaquer en troisième année aux aménagement intérieur tandis que d’autres groupes se formaient sur la menuiserie et la métallerie.

Vue du château de Port Miou restauré (source © Acta Vista)

Les deux niveaux inférieurs ont été entièrement rénovés ainsi que les façades, la maçonnerie extérieure, la toiture, les portes et fenêtres, mais aussi les planchers et les ouvrages annexes. Un vrai coup de neuf donc pour le château de Port-Miou, et un beau coup de pouce pour ces stagiaires devenus de vrais professionnels à l’issue de ce chantier mené qui plus est dans un cadre idyllique !

L. V.

Les maquereaux de la pêche industrielle

27 septembre 2020

Ce vendredi 25 septembre 2020, ce sont deux visions radicalement différentes de la pêche qui se sont affrontées dans le port de Concarneau, dans le Finistère. Ce jour-là en effet avait lieu l’inauguration en grandes pompes d’un chalutier géant de 81 m de longueur et 17,50 m de largeur, un véritable mastodonte capable de traîner un chalut de 350 m de long et de 100 m d’ouverture. Un navire ultra moderne à propulsion mixte diesel et électrique, avec pont arrière semi fermé et salle de sport à bord pour l’équipage de 35 marins, équipé de la technologie dernier cri et destiné à aller aspirer les bancs de poisson pour les stocker dans ses immenses cales de congélation à -25 °C.

Le Scombrus dans le port de Concarneau en septembre 2020 (photo © Le Télégramme de Brest)

Le Scombrus, ce navire-usine tout frais sorti des chantiers navals norvégiens, tire d’ailleurs son nom de celui du maquereau commun Scomber scombrus selon son appellation scientifique. Un maquereau géant donc qui est destiné à aller écumer les bancs de maquereaux, mais aussi de sardines, harengs, merlans bleus et chinchards, dans les eaux communautaires de l’ouest de l’Écosse au golfe de Gascogne, ce que n’autorisent pas les licences des pêcheurs côtiers. Un bateau de pêche qui bat pavillon français, justement pour pouvoir se servir sur les quotas de pêche nationaux, mais d’un gabarit assez exceptionnel puisque la flotte de pêche française, composée à plus de 85 % de bateau de moins de 12 m, ne comporte qu’une petite douzaine de tels monstres des mers.

L’immense chalut du Scombrus, le 24 septembre à Concarneau (photo © Fred Tanneau / AFP / Le Monde)

De quoi inquiéter les pêcheurs plus traditionnels qui voient d’un très mauvais œil débarquer dans le port de Concarneau ce fleuron de la pêche industrielle déjà à l’œuvre dans les eaux communautaires depuis le 1er août 2020 et qui prélève en moyenne 120 tonnes de poisson par jour, jusqu’à 200 tonnes les bons jours, alors qu’un chalutier local n’est autorisé à pêcher qu’une soixantaine de tonnes par an ! Le poisson ainsi pêché est ensuite vendu, à quelques centimes le kilo, en Afrique, Asie du Sud-Est et en Europe de l’Est.

Le chalutier Sandettie dans le Golfe de Gascogne (photo © Vincent Le Breton / Pleine Mer / Pêche en mer)

L’affrontement n’est certes pas nouveau. En mars 2016, les pêcheurs du Golfe de Gascogne avaient déjà eu la désagréable surprise de voir débarquer dans leur secteur de pêche un autre de ces navires-usines, le Sandettie, battant lui aussi pavillon français et immatriculé à Fécamp. Ce bateau avait même déjà eu maille à partir en mars 2013 avec des pêcheurs opérant au large de L’île d’Oléron, exaspérés de voir ce géant de 86 m de long et capable de congeler 100 tonnes de maquereau par jour, aspirant des bancs de poissons à moins de 30 km seulement des côtes.

En octobre 2019, selon La Voix du Nord, c’était un autre mastodonte de 6 200 tonnes, le Margiris, 142,80 m de long et 18,30 m de large, qui semait l’émoi en évoluant dans la Manche, près des côtes françaises après avoir écumé les zones de pêche britanniques. Battant pavillon lituanien, ce chalutier-usine qui peut pêcher jusqu’à 250 tonnes de poisson par jour, est armé par la société néerlandaise Parveliet & Van des Plas. Le poisson ramassé sans aucune distinction dans les filets est trié à bord et congelé immédiatement puis débarqué à Harringhaven, l’avant-port d’Amsterdam.

La pêche industrielle écume les océans (source © Le Journal de l’environnement)

Le Scombrus, quant à lui, tout comme d’ailleurs le Sandettie dont il prend désormais la place, fait partie du groupe Cornelis Vrolijk, l’autre géant néerlandais de la pêche industrielle, qui accapare l’essentiel des quotas européens. En réalité, c’est la société France Pélagique, une filiale de Cornelis Vrolijk, qui est propriétaire du Scombrus. L’Armement France Pélagique a été créé en 1988, à Concarneau justement, par Antoine Dhellemes, issu d’une dynastie de marins-pêcheurs locaux mais qui s’est associé avec les financiers hollandais de Cornelis Vrolijk pour pouvoir investir dans des chalutiers congélateurs gigantesques, dont le Sandettie et le Prins Bernhard. Toujours vice-président du Comité National des Pêches, mais aussi président de l’Organisation de Producteurs FROM Nord, et président de l’association nationale des OP, Antoine Dhellemes a passé en 2018 les rênes de l’entreprise à son fils Geoffroy pour limiter quelque peu les accusation de collusion auxquelles il s’exposait en participant à toutes les négociations sur la répartition des quotas de pêche

Pêche industrielle et pêche artisanale (dessin © Tom Morgan-Jones / Greenpeace

En ce 25 septembre 2020 en tout cas, tout le gratin de la pêche industrielle financiarisée était présent pour assister à la bénédiction religieuse du nouveau chalutier congélateur géant. Pour l’occasion, Cornelis Vrolijk avait même invité, outre plusieurs ministres et le Directeur des pêches, les dirigeants de son principal concurrent Parveliet & Van des Plas, confirmant s’il en était besoin qu’au paradis de la concurrence libre et non faussée, la courtoisie est de règle avec ses principaux rivaux économiques et néanmoins alliés.

Pour ne pas gâcher les festivités, la tempête qui sévissait la veille a eu le bon goût de s’apaiser juste à temps et la Préfecture du Finistère a même cru bon d’interdire la petite manifestation que les pécheurs locaux avaient tenté d’organiser avec le soutien, une fois n’est pas coutume, de plusieurs associations qui prêchent dans le désert depuis des années en faveur d’une pêche plus durable, parmi lesquelles Bloom et Pleine Mer, qui invitaient à se recueillir en hommage à ces «  Funérailles de la pêche artisanale (40 000 ans avant J.-C. – 25 septembre 2020) ».

Manifestation devant le Scombrus le 25 septembre 2020 (photo © Fred Tanneau / AFP / Sud Ouest)

Un logo bien peu discriminant, accordé à France Pélagique…

Une petite centaine de personnes dont plusieurs pêcheurs venus de Normandie, des Hauts-de-France, de Bretagne et même des Pyrénées-Atlantiques ou du Var, a quand même tenu à manifester son attachement à une pêche artisanale moins dévastatrice, ainsi que son inquiétude face à ce triomphe de la pêche industrielle. Ses tenants étalent désormais sans vergogne leur opulence financière et se soucient comme d’une guigne de son impact sur la biodiversité marine.

Ils se contentent, comme le Scombrus, de mettre en avant le petit bijou de technologie que constitue son système d’émission acoustique ou « pinger » qui permet, paraît-il d’éloigner les dauphins et autres cétacés pour éviter qu’ils ne se retrouvent piégés dans l’immense chalut qui ramasse tout ce qui se présente sans la moindre distinction. France Pélagique se gargarise d’ailleurs de disposer du label de « Pêche durable MSC », de quoi rassurer ses détracteurs, sans aucun doute…

L. V.

Ces banques française qui financent la déforestation

25 septembre 2020

On parle beaucoup actuellement de la déforestation à l’œuvre en Amazonie, largement encouragée ces dernières années par le président brésilien Jair Bolsonaro. Selon Le Monde qui s’appuie sur les observations satellitaires de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil, ce sont pas moins de 326 km² de forêt tropicale qui auraient ainsi été rasés au cours du seul mois de mars 2020, soit 30 % de plus que sur la même période en 2019, en profitant du fait que les patrouilles de surveillance de la police environnementale se sont relâchées du fait de la crise sanitaire de Covid-19 !

Déforestation de la forêt amazonienne au Brésil (photo © AFP / La Voix du Nord)

Durant l’année 2019, ce sont près de 10 000 km² de forêt tropicale brésilienne qui sont ainsi partis en fumée pour laisser la place à des friches agricoles, soit l’équivalent de près de deux fois la superficie des Bouches-du-Rhône. Cela représentait quasiment le double de la surface défrichée en 2018, ce qui montre bien une accélération très rapide du phénomène, sous l’effet de mesures nettement plus permissives mises en place par l’actuel gouvernement.

Élevage bovin dans le Mato Grosso au Brésil, extrait du film Alma de Patrick Rouxel (source © Une plume pour la Terre)

Dans le bassin amazonien, on considère que 80 % de cette déforestation qui détruit à grande vitesse ce qu’il reste du principal poumon vert de la planète est occasionné par des projets d’élevage extensif de viande bovine. Un secteur où les banques investissent massivement car le prix de la viande de bœuf a augmenté de 58 % ces deux dernières années, une aubaine pour les éleveurs brésiliens, alors même qu’en France la filière d’élevage bovin est à l’agonie. La banque semi publique Banco do Brasil aurait ainsi investi pas moins de 30 milliards de dollars entre janvier 2016 et avril 2020 pour des projets qui se traduisent directement par une extension de la déforestation en vue d’y implanter des fermes d’élevage bovin, mais aussi des cultures de soja, ou des plantations de palmiers à huile.

Ces chiffres proviennent d’une étude très fouillée menée par une coalition d’ONG et d’instituts de recherche regroupée sous le nom de Forests and Finance, une étude dont le magasine Marianne s’est notamment fait l’écho. Une étude d’autant plus inquiétante qu’elle a débuté au lendemain de l’accord de Paris, dans le sillage de la COP 21, alors que la planète entière s’était engagée à préserver les forêts pour tenter de lutter contre le réchauffement climatique global.

Concession de Karya Makmur Amadi à Kalimantan (Indonésie) en 2014 déboisée pour l’aménagement d’une plantation de palmiers à huile (photo © Abay Ismoyo / AFP / Asia Lyst)

Seulement voilà : depuis cette date, les grands établissements bancaires de la planète ont augmenté de 40 % le montant des crédits accordés à des sociétés qui exploitent directement la forêt tropicale ou la réduisent en cendre, et ceci dans les trois grands bassins forestiers encore existant, en Amazonie mais aussi en Afrique et en Asie du Sud-Est. Dans cette dernière région, c’est évidemment la culture du palmier à huile qui constitue la principale cause de disparition des derniers lambeaux de forêt primaire, en Indonésie mais aussi en Malaisie, en Thaïlande, au Cambodge, au Laos ou encore au Vietnam. En 20 ans, ce sont pas moins de 25 millions d’hectares de forêt tropicale qui ont ainsi été rasés dans la seule Indonésie, soit davantage que la superficie de tout le Royaume Uni !

BNP Paribs en tête des banques françaises qui continuent à financer la déforestation (photo © P Cruciatti / Shutterstock / Info Durable)

Et l’Afrique n’est pas en reste avec notamment une extension spectaculaire des plantations d’hévéas destinées à produire du caoutchouc en lieu et place de la forêt tropicale, grâce à des financement issus pour l’essentiel de banques chinoises. Mais les banques françaises sont loin d’être exemplaires en la matière puisque selon cette étude, le principal groupe bancaire français, BNP Paribas se classe à la sixième place mondiale des banques qui ont le plus investi des des activités industrielles et agricoles ayant un impact direct sur la déforestations de ces trois grands bassins forestiers menacés.

Sur la période étudiée, BNP aurait ainsi accordé pas moins de 4,9 milliards de dollars de crédits dans ces trois régions du globe et investi pour 36 millions de dollars dans des sociétés impliquées directement dans la déforestation. Cette même banque s’était d’ailleurs fait épinglé par une autre ONG, Global Witness, pour avoir coordonné en juillet 2019 une émission d’obligations à hauteur de 500 millions de dollars en faveur de Marfrig, le géant brésilien de la viande bovine.

Natixis, bien placé dans la course au financement de la déforestation… (photo © François Mori / AP / SIPA / 20 minutes)

Et les autres banques françaises ne sont pas en reste, à l’image du Crédit agricole qui a investi à hauteur de 127 millions de dollars principalement pour la production de pâte à papier et qui est également le principal soutien financier de la société Halcyon Agri, une entreprise qui exploite une plantation de caoutchouc au Cameroun sur des terres ayant fait l’objet de déforestation dans le passé. Quant au groupe BPCE (Banque populaire, Caisse d’épargne, Natixis…), il se distingue lui aussi puisque la banque d’investissement Natixis a apporté un montant considérable, à hauteur de 50 millions de dollars, pour une facilité de crédit renouvelable de trois ans destinée à Olam International, une entreprise qui, depuis 2012, a déboisé pas moins de 20 000 hectares de forêts au Gabon.

Plantations de palmiers à huile au Gabon en 2014 par le géant singapourien de l’agroalimentaire OLAM (photo © AFP / The Straits Times)

Ces pratiques bancaires sont d’autant plus inquiétantes qu’une loi française sur le devoir de vigilance a été adoptée le 27 mars 2017, obligeant les sociétés à identifier et à prévenir toute atteinte aux droits humains et à l’environnement résultant de leurs activités et de celles des sociétés qu’elles contrôlent, ainsi que des activités de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs. Une mesure que certains de nos grands établissements bancaires semblent avoir quelque peu oublié, sans doute emportés dans leur enthousiasme à participer ainsi au financement de cette grande activité lucrative du moment qui consiste à faire brûler les derniers arpents de forêt tropicale pour y implanter les champs de soja et les élevages bovins destinés à envahir les rayons boucherie de nos grandes surfaces, accélérant ainsi la disparition de la filière d’élevage française : une belle œuvre progressiste assurément et qui fait honneur au génie français de la finance…

L. V.

Tunnel Schloesing, nouvelle polémique ?

22 septembre 2020

Les têtes de liste du Printemps marseillais alors en campagne le 22 février 2020 : Michèle Rubirola entourée d’Olivia Fortin et Benoît Payan (photo © Gérard Julien / AFP / Libération)

A Marseille, décidément, l’achèvement de la période électorale n’a pas marqué la fin des tensions politiques. Les grands débats engagés lors de la campagne entre la municipalité sortante et ses challengers du Printemps marseillais au sujet de plusieurs projets structurants n’en finissent pas de jouer les prolongations. Ils opposent désormais les nouveaux élus de la Ville à ceux de la Métropole, toujours dirigée par Martine Vassal et ses affidés.

De nombreux sujets sont concernés, depuis les projets de lutte contre l’habitat indigne et de rénovation urbaine du centre ville jusqu’au Boulevard urbain sud, le fameux BUS, dont l’avenir fait l’objet de sérieuses controverses, en passant par les projets de valorisation du patrimoine municipal dont la Villa Valmer. Mais bien d’autres dossiers sont sur le tapis, parmi lesquels celui du tunnel Schloesing, un vieux serpent de mer qui n’en finit pas de venir pointer sa tête et d’empoisonner les discussions entre partenaires locaux.

Emplacement du futur tunnel sous le parc du XXVIe centenaire (en vert), à partir du tunnel Prado sud (TPS), lui-même dans le prolongement du tunnel Prado-Carénage (TPC) (source © Made in Marseille)

L’idée de ce petit tunnel urbain de 495 m de longueur, réservé aux seules voitures et qui relierait le tunnel actuel du Prado sud au boulevard Schloesing en passant sous le Parc du XXVIe centenaire et la place du Général Ferrié, paraît pourtant assez séduisante de prime abord. Cela permettrait de fluidifier de manière significative la circulation vers les quartiers sud de Marseille en diminuant le trafic sur la partie nord du boulevard Rabatau ainsi que sur le chemin de l’Argile qui longe le parc dans un secteur qui s’est désormais transformé en zone résidentielle.

Cela permettrait surtout de désengorger ce nœud routier cauchemardesque qu’est devenue la place Ferrié et de supprimer enfin ces passerelles routières hideuses qui surmontent la place et dominent une partie des boulevards Schloesing et Rabatau. Or ce démontage des passerelles est une condition préalable indispensable pour permettre au futur tramway T3 de se frayer enfin un chemin entre le parc du XXVIe centenaire et le pôle d’échange de Dromel / Sainte-Marguerite.

La place du général Ferrié avec ses passerelles routières (source © La Provence)

Un projet mirifique donc et qui ne présente a priori que des avantages en termes d’aménagement urbain, y compris dans une optique de revégétalisation partielle de ces grands boulevards, à ce jour dédiés exclusivement à la circulation automobile. Les plus optimistes pourraient même rêver à une renaturation du Jarret, ce cours d’eau totalement canalisé dans un corset de béton et qui se fraye difficilement un chemin au milieu de cet entrelacs d’immeubles, de murs en béton, de chaussées bitumées et d’autoponts.

Le futur tramway T3 au passage de la place du général Ferrié après réaménagement, d’après les esquisses d’EGIS et Carta associés (source © Made in Marseille)

Le projet est d’autant mieux parti qu’il est très largement soutenu par la Métropole et les services de l’État, sa réalisation ayant fait l’objet d’un deal avec la Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage (SMTPC), une société privée dont les deux-tiers de l’actionnariat sont partagés entre les deux géants du BTP, Eiffage et Vinci. C’est cette société qui gère en concession le tunnel Prado-Carénage depuis sa mise en service en 1993 et encaisse les juteux bénéfices de ce qui a été longtemps considéré comme le péage le plus cher de France, à raison de 2,90 € le droit de passage pour moins de 2,5 km !

En 2018, la société SMTPC a ainsi engrangé pas moins de 17,2 millions d’euros de recettes, ce qui permet de verser de très confortables dividendes aux heureux actionnaires de cette véritable poule aux œufs d’or. Comme pour les autoroutes, dont Eiffage et Vinci sont également des concessionnaires comblés, tout l’enjeu est de faire en sorte que cette situation de rente se prolonge le plus longtemps possible, pour le plus grand bonheur de ceux qui s’en mettent ainsi plein les poches. D’où les tractations engagées depuis des années par Eiffage et Vinci pour prolonger la concession en échange de quelques menus travaux de BTP qui sont justement leur spécialité.

En 2016, la SMTPC réclamait une rallonge de 11 ans au-delà de 2025, date à laquelle la concession était sensée prendre fin et le tunnel revenir dans le giron de la collectivité. Le Préfet a un peu toussé car le coût des travaux, estimé à 47,2 millions d’euros, selon Made in Marseille, représente moins de 3 ans de recette de la SMTPC. Après ajustement, on s’est finalement entendu sur une prolongation de la concession jusqu’en 2033, soit un peu moins de 8 ans, ce qui reste une très belle affaire pour les deux géants du BTP, d’autant que la SMTPC va, par la même occasion, récupérer, moyennant le versement d’une somme de 49,8 millions d’euros, la concession de la partie nord du tunnel Prado sud, soit 360 m jusqu’à l’embranchement avec la nouvelle portion à réaliser.

Le parc du XXVIe centenaire aménagé en 2005 sur le site de l’ancienne gare désaffectée du Prado (source © Marseille 13)

Un tour de passe-passe un peu curieux en apparence, mais tout cela se fait en famille puisque la société Prado sud, créée en 2008 pour bénéficier pendant 47 ans de la concession de ce nouveau tunnel (dont le droit de péage est désormais de 2,20 € pour parcourir à peine 1500 m !) est détenue à 58,5 % par Eiffage et à 41,5 % par Vinci…

Toujours est-il que ces petits arrangements entre amis finissent par agacer quelque peu certains contribuables locaux, sans compter les riverains qui s’inquiètent de voir cette future autoroute urbaine qui, en réalité, passera non pas en tunnel sous le parc du XXVIe centenaire mais en tranchée, éventrant complètement ce jardin public déjà peu reluisant. Un choix évidemment dicté par l’économie et la facilité, y compris pour le rejet dans l’atmosphère des gaz d’échappement…

Arbres coupés en bordure du parc le long de l’avenue Jules Cantini, en mai 2020, en prévision des travaux du futur tunnel Schloesing (photo © Alexande Desoutter / GoMet)

La nouvelle municipalité, frontalement opposée à ce projet, et les associations de riverains, comptaient bien faire entendre leurs observations à l’occasion de l’enquête publique associée au projet. Pour éviter toute discussion, le Préfet a donc préféré décider, dès 2018, de ne pas exiger d’étude d’impact. Une décision pour le moins étonnante concernant un projet urbain d’une telle ampleur. Décision qui a donc été fort logiquement attaquée devant le tribunal administratif. Le jugement est encore en délibéré mais l’audience qui vient d’avoir lieu, mi septembre 2020, ne laisse guère de doute sur son issue, d’autant que les travaux ont déjà commencé, en pleine période de confinement, par l’abattage des arbres d’alignement sur le boulevard Jules Cantini.

Les riverains devront sans doute s’y résoudre : le tunnel passera coûte que coûte. Il en faut bien davantage pour empêcher Eiffage et Vinci de continuer à s’enrichir sur le dos des citoyens et avec la complicité de la Métropole…

L. V.

Pluies d’automne : vigilance requise

20 septembre 2020

C’est la fin de l’été et comme chaque année, c’est la période des grosses pluies qui revient dans tout l’espace méditerranéen. En ce samedi 19 septembre 2020, ce sont des trombes d’eau qui se sont abattues sur les Cévennes gardoises, sur la moitié ouest du département. On a enregistré des cumuls de précipitation de 718 mm en 24 heures sur la commune de Valleraugue, avec une pointe horaire de 138 mm entre 10 h et 11 h, selon le site Keraunos, et un cumul de 360 mm en 3 heures.

Fortes précipitations à Valleraugue dans le Gard le 19 septembre 2020 (photo © David Trial / MétéoLanguedoc / France3 Régions)

Un épisode cévenole particulièrement intense comme cette région a l’habitude d’en connaître périodiquement et qui n’est pas sans rappeler les gros orages qui s’étaient abattus sur cette même commune située au pied du Mont Aygoual dans la nuit du 28 au 29 septembre 1900. A l’époque, l’instituteur de la commune avait enregistré un cumul de 950 mm tombé là aussi pour l’essentiel en une dizaine d’heures, un record à ce jour pour la région et qui avait occasionné de très gros dommages, y compris très en aval, à Remoulins qui a vu surgir une crue subite du Gardon.

Ce week-end, les dégâts ont aussi été intenses même si les dispositifs de prévision et d’alerte ont fait de gros progrès depuis le début du siècle dernier. L’Hérault, qui passe à Valleraugue, est monté de plus de 5 m en l’espace de quelques heures seulement, tandis que le Gardon à Saint-Jean du Gard est monté de près de 4 m en 30 mn ! Tous les cours d’eau ont réagi très rapidement et de nombreuses routes ont été rapidement coupées à la circulation. Dans l’après-midi, une centaine de maisons situées dans la partie basse d’Anduze ont dû être évacuées. Des dizaines de sauvetages ont été organisés par quelques 650 pompiers et secouristes mobilisés, dont au moins 6 hélitreuillages par hélicoptère. Deux personnes étaient encore portées disparues le lendemain, dont une personne vraisemblablement emportée alors qu’elle circulait en voiture dans le secteur de Pont-d’Hérault.

Après la décrue le nettoyage des maisons, ici à Anduze le 19 septembre 2020 (photo © Nicolas Tucat / AFP / Le Parisien)

Ce premier épisode cévenole de la saison n’est pas fini et on annonce encore des précipitations potentiellement importantes dans les jours à venir, non seulement dans les Cévennes mais aussi dans les Bouches-du-Rhône, le Var ou les Alpes-Maritimes. Comme chaque année à cette époque de l’année, les conditions météorologiques sont réunies, avec une mer encore très chaude à cette saison, pour que de gros épisodes pluvieux stationnaires se développent sur tout l’arc méditerranéen.

Depuis 2017, une mission interrégionale pour la coordination de la prévention des inondations sur l’arc méditerranéen (MIAM) d’ailleurs été créée, précisément pour développer l’information préventive et les outils de protection contre ces phénomènes météorologiques qui peuvent être à l’origine de crues dévastatrices, surtout dans des secteurs désormais très urbanisés, où le ruissellement peut être très rapide. Cette structure a produit en quelques années un grand nombre d’outils pédagogiques, clip vidéo, plaquettes, concours photos et autres recueils des bonnes pratiques pour rappeler à tout un chacun les réflexes à mettre en œuvre lorsqu’on est pris dans ce type d’évènement, pour éviter toutes ces victimes noyées simplement parce qu’elles n’avaient pas conscience du risque qu’elles prenaient en voulant à tout prix s’engager en voiture sur une route inondée, aller chercher leur véhicule dans un parking souterrain, ou s’approcher trop près d’un cours d’eau en crue. Autant de comportements imprudents et inappropriés qui sont encore causes de décès simplement par méconnaissance des risques encourus.

Livret pédagogique sur 150 ans d’inondations dans l’arc méditerranéen

Pour tenter de rappeler à chacun la nature du risque lié à ces inondations, la MIAM vient ainsi d’éditer avec le cabinet Sud Aléa un ouvrage qui revient sur 150 ans d’inondations dans l’arc méditerranéen. Photos d’archives à l’appui, ce petit livret pédagogique accessible gratuitement sur le site de la MIAM et destiné à être diffusé largement se donne pour but de rappeler à tout un chacun que ces inondations méditerranéennes dont les conséquences peuvent être dramatiques de par leur violence et leur soudaineté, peuvent surgir à tout moment et qu’il vaut mieux en avoir conscience pour éviter de construire n’importe où et ne pas se mettre en danger en cas de crise par des comportements inadaptés.

Bien entendu, la sélection n’est pas exhaustive. On n’y retrouvera pas l’orage du 26 août 1986 qui avait vu un jeune homme se noyer à la sortie de Carnoux-en-Provence, sur la route de Roquefort-La Bédoule. On n’y évoque pas non plus les récents épisodes pluvieux qui font régulièrement déborder le Vieux Port à Marseille comme celui qui avait fait trois morts le 19 morts le 19 septembre 2000 et a été suivi de plusieurs autres évènements tragiques très comparables depuis.

On y retrouve en revanche des épisodes anciens largement oubliés comme cette crue du Vénazobre, un petit affluent de l’Orb, ce fleuve côtier qui traverse Béziers, dans l’Hérault. Le 12 septembre 1875, à la suite de violents orages, la rivière déborde brutalement et engloutit la petite cité médiévale de Saint-Chinian sour 1,50 m d’eau, entraînant la mort de 97 personnes, détruisant entièrement 149 maisons et faisant pourrir sur pied les récoltes.

Le Gardon en crue à Alès le 16 octobre 1907 (source © Archives départementales du Gard)

Il y est aussi question des crues à répétition de 1907, qui, entre septembre et novembre, ont fait au moins 25 victimes dans plusieurs départements de l’arc méditerranéen, avec, comme en septembre 2020, des flux particulièrement dévastateurs dans le Gard. Un bilan qui sera encore bien plus lourd, 50 ans plus tard, le 29 septembre 1958, à la suite d’un nouvel épisode cévenole au cours duquel on enregistra 429 mm de précipitation en 48 h à Saint-Jean-du-Gard. Quatre ponts seront détruits durant cette crue et on recensera pas moins de 35 morts, parmi lesquels, signe des temps, 21 automobilistes, emportés par les flots.

Le photographe de presse Hervé Collignon dans les rues inondées de Nîmes le 5 novembre 1963 (source © Archives municipales)

Début novembre 1963, c’est de nouveau le Gard qui est touché, avec notamment une forte inondation du centre-ville de Nîmes, du fait de la mise en charge des cadereaux, ces anciens thalwegs naturels par où s’écoule l’eau en crue et qui ont été imprudemment recouverts dans les années 1950 pour permettre le développement urbain. C’est comme une répétition de de qui adviendra 25 ans plus tard, le matin du 3 octobre 1988, lorsque des flots d’eau boueuse dévalent des collines et envahissent tout le centre-ville de Nîmes, poussant devant elles un enchevêtrement de voitures. Le bilan sera de 9 morts mais les dégâts matériels seront considérables, pris en charge pour la première fois par le régime d’assurance des catastrophes naturelles, récemment instauré, à l’initiative d’Haroun Tazieff.

Depuis, bien d’autres catastrophes ont endeuillé l’arc méditerranéen, avec quelques jalons bien connus dont celui des crues de l’Ouvèze qui, le 22 septembre 1992, dévaste le secteur de Vaison-la-Romaine et occasionne 38 morts, celui des 8 et 9 septembre 2002 qui est à l’origine de 23 décès et 800 millions d’euros de dégâts dans le Gard encore, ou encore celui du 10 juin 2010 dans le bassin varois de l’Argens, qui se solde par 26 morts et un milliards d’euros de dommages matériels.

Affouillement des berges de la Nartuby sur la commune de la Motte, dans le Var après la crue du 10 juin 2010 (source © DDTM du Var)

Depuis, les évènements s’enchaînent avec leur lot de victimes emportées, de lotissements ravagés et de routes détruites, en 2011 et 2014 dans le Var, le 3 octobre 2015 sur la Côte d’Azur, du côté de Cannes et Mandelieu, ou encore dans l’Aude, le 15 octobre 2018 où l’on déplore encore 14 victimes, 20 ans après la précédente catastrophe des 12 et 13 novembre 1999 qui avait déjà fait 35 morts. Année après année, on ne peut s’empêcher de se désoler d’un tel décompte aussi macabre, comme si l’homme avait du mal à se souvenir que dans ces régions méditerranéennes au climat habituellement si clément et où l’on a tendance à se préoccuper plus naturellement du manque d’eau et du risque d’incendie, les inondations peuvent causer des dégâts majeurs si l’on ne met pas un place des politiques de prévention adaptées…

L. V.

Alinéa : la famille Auchan sauve les meubles

18 septembre 2020

Un dessin signé du dessinateur JM (source © Actu en dessin)

C’est le quotidien régional La Provence qui a lâché l’information le vendredi 15 mai 2020 : l’enseigne Alinéa est en faillite ! Créée en 1989 à Avignon, pour tenter de concurrencer la toute puissance mondiale du géant suédois de l’ameublement Ikéa, cette enseigne se présente sur son site comme une marque française de décoration d’intérieur aux accents méditerranéen. Un positionnement stratégique qui mise donc sur la fibre patriotique des clients, lassés de commander des meubles en kit aux noms imprononçables et qui préfère acheter des assiettes ornées de feuilles d’olivier plutôt que de têtes de rennes.

Alexis Mulliez, le patron de l’enseigne Alinéa (photo © Gabriel Noé / Le Figaro)

L’affaire était plutôt bien partie puisque dès 1996, Alinéa ouvrait un second magasin à Montpellier et qu’en 2015, la firme pouvait enorgueillir d’un chiffre d’affaire de 520 millions d’euros avec 26 magasins répartis dans toute la France. En avril 2017 cependant, le rapport du groupe Auchan, fait état de 176 millions d’euros de pertes cumulées depuis 2012, ce qui n’est pas très rassurant pour une enseigne dont le directeur n’est autre qu’Alexis Mulliez et les actionnaires l’Association familiale Mulliez, celle-là même qui est aux manettes de la galaxie Auchan et ses innombrables marques commerciales qui envahissent toutes les entrées de villes françaises. Clasée 6e fortune de France en 2020 par le magazine Challenge, la famille Mulliez serait à la tête d’une fortune professionnelle estimée à 26 milliards d’euros, une paille…

En octobre 2017, une nouvelle société avait été créée, toujours dirigée par Alexis Mulliez et dont le siège social est désormais implanté à Aubagne, dans la zone des Paluds, à proximité des autres enseignes du groupe (Auchan, Norauto, Décathlon, Leroy-Merlin, Flunch, Jules, Kiabi, Boulanger, etc.) et sur des terrains détenus par la foncière Immochan : ici, le commerce se fait en famille… L’objectif de cette nouvelle société était d’ailleurs clairement de sortir Alinéa et ses pertes abyssales du groupe Auchan, même si l’association familiale reste actionnaire à 100 % d’Alinéa qui compte désormais 30 magasins (dont 4 en franchise) et près de 2000 salariés, dont 250 sur le site d’Aubagne.

Magasin Alinéa d’Aubagne (source © Alinéa)

Du coup, le chemin vers la faillite annoncée était tout tracé. Les raisons invoquées lors du dépôt de bilan étaient bien sûr conjoncturelles, liées à la crise des gilets jaunes, aux mouvements de grèves occasionnés par la réforme des retraites, et bien entendu à la crise sanitaire qui avait obligé l’enseigne à fermer momentanément ses magasins pour les transformer en drive.

C’est donc le tribunal de commerce de Marseille qui a placé Alinéa en redressement judiciaire, le 13 mai dernier. Une audience s’est tenue le 31 août dernier au cours de laquelle, selon les informations recueillies par Marsactu, ont été listées les quelques 80 sociétés qui tentent de se faire payer leur dû, parmi lesquelles de grosses entreprises comme Onet ou Véolia mais aussi la SACEM qui réclame le versement des droits pour la diffusion de musiques d’ambiance dans les magasins du groupe…

Toujours est-il que le tribunal n’a eu à examiner qu’une seule et unique offre de reprise, laquelle se propose de céder 17 des 26 magasins détenus en propre, n’en conservant donc que 9 et de licencier au moins 1000 salariés, soit plus de la moitié des effectifs. Une offre, validée par le jugement rendu le 14 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Marseille, qui ressemble donc beaucoup à une liquidation déguisée, et qui émane tout simplement des dirigeants actuels d’Alinéa, soit Alexis Mulliez en personne et son association familiale richissime. Un beau tour de passe-passe pour ces derniers qui, grâce à ce coup de maître, effacent la totalité de leurs dettes auprès de leurs fournisseurs mais aussi de l’État et des organismes sociaux, tout en virant une bonne partie de leur personnel et en fermant tous les sites peu rentables.

Un magasin Alinéa en grève près de Troyes, fin juillet 2020, pour protester contre sa fermeture annoncée (source © L’Est éclair)

Mais que l’on se rassure, ceci n’a rien à voir avec une faillite frauduleuse comme certains mauvais esprits pourraient le laisser entendre. Tout ceci est en effet parfaitement légal, par la grâce d’un décret très opportuniste, publié le 20 mai 2020 dans le contexte de la crise économique consécutive à la période de confinement : ce texte autorise en effet explicitement les propriétaires d’une société à la reprendre eux-même après un dépôt de bilan qui leur permet d’effacer toutes les dettes non remboursées, une solution qui était jusque-là laissée à la discrétion du juge et pour des cas très particuliers.

La famille Mulliez réussit donc un coup de maître en se débarrassant ainsi à moindres frais d’une enseigne qui perdait structurellement de l’argent depuis des années, tout en restant aux manettes… Une situation qui suscite d’autant plus d’interrogations que fin 2017, alors que la situation commençait à se dégrader sérieusement, Alinéa avait fait le choix étrange de céder les murs de la plupart de ses magasins à une société immobilière ad hoc, Aline Immo, laquelle appartient bien entendu à 100 % à la famille Mulliez. Du coup, depuis cette date, les charges d’Alinéa ont augmenté dans des proportions conséquentes. L’enseigne verse désormais un loyer élevé, de l’ordre de 13 millions d’euros par an selon Libération, ce qui assèche sa trésorerie et plombe ses coûts fixes, tout en fragilisant la structure puisqu’elle ne bénéficie plus de ce patrimoine immobilier comme garantie potentielle, alors que sa valeur était tout de même estimée à 150 millions d’euros.

Un magasin Alinéa dans la banlieue de Rennes, le 18 août 2020 (photo © Damien Meyer / AFP / Le Monde)

Une situation assez inédite donc et pas très rassurante pour les employés d’Alinéa qui s’en sortent nettement moins bien que leurs patrons. Une mauvaise nouvelle aussi pour la collectivité qui va devoir payer près de 22 millions d’euros pour le licenciement des 1000 salariés, une somme qui sera à la charge de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS). Mais ni le maire d’Aubagne, Gérard Gazay, ni le député Bernard Deflesselles, ne semblent pour l’instant avoir réagi sur ce dossier qui concerne pourtant directement leur périmètre… Business as usual !

L. V. 

Marseille : des plongeurs qui comptent

16 septembre 2020

En ces temps de pandémie virale où certains rechignent à porter le masque alors qu’il est désormais obligatoire dans tous les espaces publics de Marseille, s’il est des Marseillais pour lequel le port du masque ne pose aucun problème, ce sont bien les plongeurs. Et tout particulièrement cette petite centaine de plongeurs bénévoles et passionnés qui viennent de participer à l’opération « Des espèces qui comptent ». Une action scientifique participative, organisée en lien avec la Fédération française d’études et de sports sous-marins, qui fait appel aux bonnes volontés et se déroule chaque année, depuis plus de 15 ans, sur le littoral marseillais, désormais dans le cœur du Parc national des Calanques.

Opération Des espèces qui comptent en 2018 (photo © Georges Robert / La Provence)

Pour cette 17e édition qui s’est déroulée samedi 5 septembre 2020 autour de l’archipel du Riou, mobilisant 95 participants répartis sur une dizaine de bateaux, les cibles visées étaient les trois espèces marqueurs, toutes protégées et emblématiques du littoral méditerranéen, à savoir le corb, le mérou brun et la grande nacre. Les deux premiers sont des poissons prédateurs emblématiques des eaux méditerranéennes.

Affiche pour la 13e édition de l‘opération en 2016 (source © Plongez)

Le corb est un poisson brun avec des reflets métalliques, de 30 à 40 cm, qu’on rencontre en petits bancs toujours près des rochers, et dont les populations ont diminué de 70 % en l’espace de 25 ans dans l’est de la Méditerranée, sous l’effet de la pêche commerciale. Le mérou brun est spectaculaire par sa tête massive et ses yeux proéminent mais surtout par sa taille qui peut atteindre jusqu’à 1,40 m et sa longévité puisque certains individus peuvent vivre jusqu’à 50 ans. Il fréquent plutôt les fonds rocheux accidentés avec de grottes ou des anfractuosité où il peut se camoufler.

Quant à la grande nacre, parfois appelée « jambonneau hérissé », c’est un coquillage bivalve de couleur rougeâtre, fiché verticalement dans les fonds sableux d’herbiers à posidonies et dont la taille peut atteindre 1 m de long. Protégée en France depuis 1992, cette espèce a été presque entièrement décimée par les effets combinés de la pollution des eaux, de la réduction des herbiers saccagés par le chalutage et les ancrages de bateaux, mais aussi par la pêche de plongeurs avides de rapporter une trouvaille originale.

Lors de la dernière édition de cette opération, en octobre 2019, seules deux grandes nacres dont une morte avaient pu être recensées, confirmant que cette espèce est en grand danger, soumise de plus aux attaques d’un parasite apparu sur les rivages espagnols en 2016 et qui fait des ravages depuis. Heureusement, selon le biologiste Nardo Vicente, il semblerait que les nacres présentes dans les étangs littoraux comme celui de Thau soient pour l’instant préservées de ces attaques parasitaires.

Grande nacre (source © FFESSM Corse)

Cette année, les enjeux de cette action d’observation scientifique participative étaient particuliers puisque les fonds marins prospectés, autour des îles du Frioul, avaient pu bénéficier d’une accalmie pendant toute la période de confinement généralisé entre mi-mars et début juillet, sans compter que le procès retentissant à l’encontre des braconniers qui pillaient ouvertement ces fonds marins à grande échelle et depuis des années, avait pu avoir aussi un effet dissuasif et calmé les ardeurs de certains plongeurs peu scrupuleux.

Les scientifiques espéraient que cette période de relative quiétude, assez inhabituelle dans un littoral aussi urbanisé et fréquenté, avait pu permettre à la faune marine de prospérer davantage. Mais ils redoutaient aussi les effets de la fréquentation exceptionnelle qu’a connue le littoral marseillais à l’occasion de cet été post-déconfinement. Entre le 15 juin et le 1er septembre, ce sont en effet pas moins de 3,5 millions de personnes qui se sont entassés sur les plages et les criques du secteur, un chiffre supérieur de 60 % à celui enregistré habituellement. Une bonne nouvelle pour les hôteliers et les restaurateurs marseillais, mais une catastrophe pour ceux qui ont eu à endiguer ce flot totalement inédit, en particulier sur les chemins du massif des calanques et dans les criques elles-mêmes, totalement prises d’assaut par une population venue faire la fête, bronzer et se baigner sans trop se soucier des impacts de sa présence dans un milieu naturel vulnérable.

Mais tout compte fait, les résultats des observations 2020 sont plutôt encourageants avec 217 mérous observés et 51 corbs. Les premiers sont en nombre comparable à ceux dénombrés en 2018, 2019 ayant été une année atypique avec un nombre de sites plus réduit. Les corbs eux semblent en nette augmentation et confirment une tendance déjà amorcée en 2019. Les plongeurs bénévoles ont aussi compté de l’ordre de 300 barracuda, une autre espèce endémique de Méditerranée et même 2 sars tambours, devenus extrêmement rares dans la zone.

Des observations précieuses qui alimenteront aussi les projets de recherche engagés pour mieux suivre les évolutions du milieu marin méditerranéen confronté au changement climatique global. C’est le cas en particulier du projet européen MPA Engage, lancé début 2020 pour 3 ans, qui vise l’adaptation des aires marines protégées, et auquel participe le Parc national des Calanques. Les enjeux sont particulièrement importants pour une mer fermée comme la Méditerranée dont les eaux se réchauffent 20 % plus vite que celles des autres océans. Une évolution aussi rapide des conditions du milieu naturel risque de se traduire par des bouleversement pour les espèces endémiques soumises notamment à des attaques parasitaires inédites ou à l’arrivée de populations invasives concurrentes.

Certaines espèces des eaux tropicales comme la rascasse volante ou le poisson-lapin, qui broute les prairies d’algues et de posidonies, sont déjà présentes en Méditerranée orientale après avoir franchi le Canal de Suez, et pourraient demain faire leur apparition sur nos côtes marseillaises. L’adaptation des colonies de corail rouge et de gorgones, est aussi un sujet d’étude et, là encore, des plongeurs citoyens sont mis à contribution pour observer ces populations et leur capacités d’adaptation en cas de transplantation, au sein cette fois de l’association Septentrion environnement.

La science participative a décidément de beaux jours devant elle et permettra peut-être de réconcilier les citoyens avec les chercheurs, pour le plus grand bien de la planète !

L. V.

Éthiopie : une Renaissance tumultueuse

14 septembre 2020

Palmeraies et champs dans la vallée du Nil (source © Voyages)

Dans l’antiquité égyptienne, le Nil, deuxième plus long fleuve du Monde après l’Amazone, était considéré comme une divinité nourricière, source d’eau et de vie. Ses crues annuelles déposaient un limon fertile, la fameuse « terre noire » qui a donné son nom de Kemet à l’Égypte antique, ce long ruban vert cultivé intensivement depuis des temps immémoriaux au cœur d’une région quasi désertique.

Depuis, les hommes ont appris à maîtriser les flots majestueux qui sont issus de la rencontre du Nil blanc et du Nil bleu, lesquels se rejoignent à Khartoum, au Soudan, avant d’entamer leur longue traversée du désert égyptien jusqu’à leur embouchure en mer Méditerranée via un immense delta. Le Nil Blanc prend sa source dans le lac Victoria, le plus grand lac d’Afrique, aux confins de l’Ouganda, du Kenya et de la Tanzanie, tandis que le Nil bleu est issu du lac Tana qui s’étend sur les hauts plateaux du nord de l’Éthiopie.

Les chutes du Nil bleu sur les hauts plateaux éthiopiens, à Tis Abay (photo © Pascal Maitre / Paris Match)

Un tel fleuve, dont les eaux constituent une ressource stratégique et vitale dans ces contrées, ne peut que faire l’objet de convoitises et de rivalités. Les puissances coloniales s’étaient déjà déchirées à son sujet à la fin du XIXe siècle et il s’en est fallu d’un cheveu que les Britanniques ne mettent en œuvre le plan diabolique qu’ils avaient conçu lors de la crise du canal de Suez, en représailles contre l’Égypte de Nasser, prévoyant ni plus ni moins que l’assèchement du fleuve à partir du barrage des chutes d’Owen en Ouganda.

Carte de localisation du barrage de la Renaissance sur le Nil bleu (source © Notre Planète Info)

Un accord signé en 1959 entre l’Égypte et le Soudan a permis à ces deux pays de se partager plus des trois-quart des ressources en eau disponibles, sans trop se préoccuper des besoins des huit autres pays riverains situés plus en amont du bassin versant. Une répartition basée sur des considérations historiques mais qui a été progressivement remise en cause à partir de 1999 au sein de la Nile Basin Initiative, aboutissant en 2010 et malgré l’opposition catégorique de l’Égypte et du Soudan, à un nouveau traité autorisant des projets d’irrigation et d’hydroélectricité, confirmant s’il en était besoin à quel point il est délicat de se partager une ressource lorsqu’elle est aussi rare que vitale.

Dès 2011, l’Éthiopie pose donc la première pierre d’un gigantesque barrage sur le Nil bleu, à 15 km seulement de la frontière avec le Soudan, dans la région de Benishangul-Gumuz, sur un site que les Américains avaient déjà repéré et étudié à la fin des années 1950. D’abord étudié sous le nom de « projet X », puis dénommé « Barrage du Millénaire », l’ouvrage est devenu depuis le « Grand barrage de la Renaissance éthiopienne » et n’a plus rien à voir avec le projet d’origine.

Il s’agit d’un barrage poids réalisé en béton compacté au rouleau, de 155 m de hauteur et 1780 m de longueur, délimitant une retenue de 74 millions de m³, soit presque l’équivalent du lac Léman et plus de la moitié du lac Nasser qui s’étend en amont du haut barrage d’Assouan. Conçu avant tout pour développer l’agriculture irriguée en Éthiopie qui en est quasi dépourvue, mais surtout pour produire de l’électricité, le projet a beaucoup évolué depuis ses débuts. La puissance électrique installée sera finalement de 6450 MW, trois fois plus que celui d’Assouan, ce qui en fait le plus gros barrage hydroélectrique d’Afrique et l’un des plus importants du monde.

Vue aérienne du chantier en avril 2017 (source capture écran video / studio Piatrangeli / Notre Planète Info)

La Banque mondiale ayant refusé de financer le projet, faute d’étude d’impact et d’entente préalable avec les pays riverains, le gouvernement éthiopien a décidé de faire cavalier seul. Il a appelé chaque citoyen à y contribuer financièrement via des souscriptions volontaires et une baisse généralisée des salaires de tous les fonctionnaires, transformant ce projet en un élément de fierté nationale. Ce sont néanmoins les banques chinoises qui financent les turbines et les équipements électriques, une bonne affaire pour Alstom qui doit fournir 8 des 16 turbines Francis de 350 MW chacune. Pour ce pays émergent, dont la moitié des habitants n’a pas accès à l’électricité alors que son taux de croissance est de l’ordre de 8 %, cet investissement considérable va coûter près de 15 % du PIB. Mais il va aussi permettre d’exporter des quantités importantes d’électricité vers les pays voisins, dont le Soudan et Djibouti, ce qui devrait générer des rentrées d’argent non négligeables pour ce pays déjà gros exportateur d’or et de café.

C’est sans doute la raison pour laquelle l’Éthiopie n’a pas hésité à financer seul cet énorme projet, chiffré à 4,8 milliards de dollars, et à en confier la réalisation à la société italienne Salini Impreglio, déjà maître d’œuvre des études de conception, sans même passer par un appel d’offre. L’ouvrage lui-même a été surdimensionné afin de produire le maximum d’électricité pendant les 3 mois de crue, au risque que la moitié des turbines installées ne servent à rien le reste de l’année lorsque le débit du fleuve est trop bas, ce qui est assez inhabituel dans le dimensionnement de ce type d’ouvrage.

En mai 2013, le cours du Nil bleu a été détourné pour permettre la poursuite des travaux alors que le chantier était déjà bien avancé avec déjà plus de 4 millions de m³ de béton coulé, soit 40 % du volume total à prévoir. Mais en 2018, les tensions avec le puissant voisin égyptien étaient devenues telles, avec des menaces de conflit armé à peine voilées, que le chantier a dû s’interrompre pour tenter de renouer le fil des négociations.

Tensions autour du partage des eaux du Nil, déjà du temps d’Hosni Moubarak, président de l’Égypte jusqu’en 2011 (dessin de Nayer, Soudan / Cartoon Movement / Courrier international)

En 2019, les discussions sont dans l’impasse car l’Égypte craint que le remplissage du barrage ne vienne assécher son approvisionnement en eau alors que plus de 80 % du flux du Nil en période de crue provient du Nil bleu. Après avoir tenté en vain de demander un arbitrage de la part de la Banque mondiale, les autorités égyptiennes proposent de se tourner vers les États-Unis comme médiateur, mais l’Éthiopie finit par calquer la porte, agacée par le positionnement très orienté des Américains.

Début juin 2020, alors que la saison des pluies s’installe, les Éthiopiens commencent à remplir le lac de retenue derrière le barrage, avec comme objectif de tester le fonctionnement des deux premières turbines les plus basses. Du coup, l’Égypte en appelle carrément au Conseil de sécurité de l’ONU. L’ Éthiopie de son côté propose la médiation de l’organisation de l’unité africaine (UA), dont le président est le Sud-Africain Cyril Ramaphosa et depuis, les négociations semblent aller grand train, ce qui représente un beau succès diplomatique pour cette organisation panafricaine souvent décriée.

Photographie aérienne prise le 21 juillet 2020 qui montre la mise en eau du Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne (source © AFP / Le Monde)

Les pluies ayant été abondantes, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a pu annoncer dès le 22 juillet 2020, que la cote de remplissage qui avait été fixée pour cette première phase de test était désormais atteinte, déclenchant aussitôt un tonnerre de protestations côté égyptien. Pour l’instant, seuls 4,9 milliards de m³ sont ainsi stockés en amont de l’ouvrage mais la cote atteinte est suffisante pour permettre de tester les deux premières turbines et commencer à produire de l’électricité avant la fin de l’année. Un beau succès pour l’Éthiopie qui espère remplir totalement la retenue en l’espace de 7 ans, même si les tensions diplomatiques avec les pays riverains sont loin d’être apaisées et si de nombreuses interrogations demeurent quant aux impacts écologiques mais aussi hydrologiques et socio-économique d’un ouvrage aussi gigantesque et réalisé avec aussi peu de concertation. L’avenir dira si cette ouvrage est bien celui de la Renaissance éthiopienne ou une nouvelle source de catastrophe…

L. V.

Ultracrepidarianiste toi-même !

12 septembre 2020

Bon, le terme n’est pas encore franchement entré dans la langue courante et fleure bon le pédantisme. Pas si facile de glisser dans la conversation courante ce mot à rallonge qu’est l’ultracrepidarianisme. Même les joueurs les plus avertis auront bien du mal à le caser sur une grille de scrabble avec leur sept malheureuses lettres. On entendra plus fréquemment une cagole marseillaise traiter son vis-à-vis de « bouffon », mais tout compte fait, l’esprit n’est pas si différent, et elle aura nettement plus de chance de se faire comprendre de son interlocuteur…

Portrait de l’essayiste britannique William Hazlitt (source © Wikipédia)

A en croire Wikipedia, la version anglaise du terme, ultracrepidarian, aurait été utilisée pour la première fois en 1819 par le critique littéraire britannique William Hazlitt, en référence à la locution latine quelque peu tombée en désuétude depuis : « Sutor, ne ultra crepidam », autrement dit : « Cordonnier, tiens-t’en à la sandale ». Une expression un peu énigmatique mais qui renvoie à une anecdote savoureuse rapportée par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle. Il y raconte comment le peintre grec Apelle de Cos s’est retrouvé interpellé par un cordonnier signalant qu’il avait fait une erreur dans la représentation d’une sandale, ce que le peintre corrigea aussitôt. Encouragé, le cordonnier se permit alors de critiquer d’autres éléments de la fresque, ce à quoi le peintre vexé répondit vertement « ne supra crepidam sutor judicaret », ce qu’on pourrait traduire par « un cordonnier ne devrait pas donner son avis au delà de la sandale », à l’origine de la locution latine que le bon sens paysan a transcrit de manière tout aussi imagé par : « chacun son métier et les vaches seront bien gardées ».

Alexandre le Grand et Campaspe dans l’atelier du peintre Apelle, tableau peint vers 1740 par Giambattista Tiepolo (source © Getty Center, Los Angeles)

Toujours est-il que l’actualité médiatique et le développement des réseaux sociaux n’arrêtent pas de remettre au goût du jour cette maxime antique. C’est ainsi que le physicien et philosophe des sciences Étienne Klein consacrait justement sa chronique, le 3 septembre dernier, sur le média en ligne Brut, à cette notion d’ultracrepidarianisme, qui, selon lui, se répand fortement grâce au développement des réseaux sociaux et encore plus à l’occasion des débats scientifiques comme ceux qui agitent la société depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19.

« Alors que le confinement avait commencé depuis quelques jours », témoigne ainsi le philosophe, « je voyais des tweets écrits par des personnalités politiques, parfois de très haut rang, qui commençaient par : “Je ne suis pas médecin, mais je pense…” etc. Et, après cette déclaration honnête d’incompétence, s’ensuivaient des injonctions sur ce qu’il fallait faire ou penser à propos de tel ou tel traitement au tout début de l’épidémie. Et ça m’avait étonné qu’on puisse avoir autant d’assurance alors même qu’on vient de déclarer qu’on est incompétent »…

Le philosophe des sciences Étienne Klein (source © France Inter)

Affirmer une opinion sur un sujet auquel on ne connaît pas grand-chose relève de l’activité quotidienne et de l’art même de la conversation entre amis. Il n’en reste pas moins que quand cette affirmation provient de quelqu’un qui fait autorité et qui possède une grande notoriété du fait de ses engagements politiques, de ses exploits sportifs ou de ses succès artistiques ou littéraires, la parole n’a pas le même impact et ses répercussions peuvent même faire des ravages si la personne en question se permet de dire n’importe quoi. Les saillies d’un Jair Bolsonaro ou d’un Donald Trump à l’occasion de cette crise sanitaire en sont de bons exemple, mais de nombreuses personnalités françaises se sont aussi récemment illustrées dans cet exercice…

En poussant le raisonnement, Étienne Klein met justement en avant la prudence qui, par contraste, caractérise généralement la compétence véritable. Un expert scientifique qui connaît parfaitement son sujet mettra justement un point d’honneur à exprimer ses doutes et les lacunes de connaissances ou les points qui restent à établir, tout en sachant définir de manière très précise ce qui relève de la certitude et ce qui reste à démontrer ou à déterminer.

Et force est de constater que ce qui semble évident pour le commun des mortels n’est pas forcément aussi simple qu’il n’y paraît pour qui s’astreint à approfondir le sujet. On se heurte alors rapidement, surtout en matière de risque, qu’il soit sanitaire, naturel, technologique et de tout autre nature à la notion d’incertitude. Comment définir des politiques publiques adaptées, qui soient à la fois efficaces mais aussi acceptables par la société, lorsque l’on ne connaît pas avec certitude l’ampleur du risque et encore moins l’effet des mesures qui sont envisagées ?

Même les sommités scientifiques peuvent être tentées par un peu d’ultracrepidarianisme (dessin signé Antoine Chéreau / source © Urtikan)

Dans son dernier ouvrage publié en juillet 2020, Le goût du vrai, Étienne Klein cite l’exemple d’une vérité scientifique parfaitement contre-intuitive qui explique justement pourquoi le citoyen lambda mais aussi l’homme politique en vue se laisse parfois aller à des affirmations péremptoires qui lui paraissent être basées sur le bon sens même, alors qu’elles relèvent en réalité d’une erreur d’analyse.

Ainsi qu’il l’expose dans un texte accessible sur le site Les mardis de la philo, « Imaginons que dans une population donnée apparaisse une nouvelle maladie, qui affecte une personne sur mille. Les symptômes de cette pathologie n’étant ni visibles ni ressentis, nul ne sait dire qui est malade et qui ne l’est pas. Mais les chercheurs s’activent et finissent par mettre au point un test de dépistage dont l’efficacité est de 95 %. Cela signifie que sur cent personnes positives à ce test, en moyenne quatre-vingt-quinze sont effectivement malades et cinq sont ce qu’on appelle des «faux positifs» (c’est-à-dire sont positifs au test sans être malades). Soit maintenant une personne qui se révèle positive au test : quelle est la probabilité qu’elle soit malade? Si vous réalisez un sondage dans votre entourage, vous constaterez que la proportion de ceux qui répondent «95 %» à cette question est très élevée. Or, la bonne réponse est… seulement de 2 % ! 

Test de dépistage du Covi-19 à Provins : toute ressemblance avec la situation imaginée serait bien entendu purement fortuite… (photo © Arnaud Journois / Le Parisien)

Autrement dit, une personne positive au test a quatre-vingt-dix-huit chances sur cent de ne pas être malade ! Ce résultat violemment contre-intuitif s’obtient à l’issue d’un raisonnement qui est pourtant simple : si l’on applique le test de dépistage à mille personnes, en moyenne 5 % d’entre elles – c’est-à-dire cinquante – seront des faux positifs, alors qu’une seule parmi elles est vraiment malade. La proportion de malades parmi les personnes positives au test sera donc bien égale à un cinquantième, soit 2%. Conclusion : pour le cas de figure ici envisagé (qui ne correspond pas, je le précise, à la situation actuelle), il apparaît qu’un test efficace à 95 %, ce qui semble être un bon score, en réalité ne sert à rien, contrairement à ce que notre cerveau tend à croire spontanément. Preuve que ce dernier peut être victime, ici ou ailleurs, de biais cognitifs. Preuve également que la science ne se confond ni avec la déclinaison en roue libre de l’intuition, qu’elle prend souvent à contre-pied, ni avec le fameux « bon sens », qu’elle contredit presque toujours ».

Une réflexion à méditer et à garder en mémoire lorsque l’on assiste aux débats pseudo-scientifiques qui fleurissent de nos jours sur les médias de toutes sortes…

L. V.

En 1867 déjà, un effondrement rue d’Aubagne

7 septembre 2020

A Marseille, chacun se souvient avec effroi de cette date sinistre du 5 novembre 2018 au matin, lorsque deux immeubles anciens de la rue d’Aubagne, dans le quartier de Noailles, en plein centre-ville, se sont brusquement effondrés, ensevelissant sous leurs décombres huit des occupants du n°65. L’émoi engendré par cette catastrophe a été tel que tous les médias nationaux ont immédiatement braqué leurs projecteurs sur ces quartiers paupérisés du centre-ville de Marseille.

Après les effondrements de la rue d’Aubagne en novembre 2018 (photo © Loïc Aedo / Le Moniteur)

Là où des familles vulnérables et souvent désargentées louent à prix d’or des appartements dégradés dans des immeubles mal entretenus. Là où les eaux s’infiltrent à travers la toiture, où les planchers s’affaissent, où les murs s’auréolent du fait de canalisation fuyardes, où les fils électriques pendouillent dans la montée d’escalier, où les fissures s’ouvrent un peu partout, où l’air s’engouffre autour des fenêtres mal ajustées et où les balcons menacent parfois de se détacher…

Les n°63, 65 et 67 rue d’Aubagne avant leur effondrement, des « trois fenêtres marseillais » dégradés (source © Google Street View)

Ces immeubles traditionnels du centre-ville, ces fameux « trois fenêtres marseillais » qui représenteraient de l’ordre de 20 % du bâti dans certains quartiers, correspondent pourtant à un habitat particulièrement adapté au contexte local et qui date souvent de plusieurs siècles, généralisé à partir des années 1850 pour organiser l’urbanisation sous forme de parcelles équitables d’environ 7 m de largeur sur rue et une trentaine de mètres de profondeur, cour ou jardin compris. Les appartements sont traditionnellement traversant, orientés nord-sud, avec un seul appartement par niveau, les chambres disposées côté rue et la cuisine côté cour, ce qui facilite la ventilation naturelle de ces logements.

Les murs porteurs de ces immeubles sont perpendiculaires à la voirie et généralement mitoyens. Ils sont reliés par des poutres et des pannes de 7 m qui déterminent donc la largeur des façades, lesquelles ne sont pas porteuses et constituées d’un remplissage de matériaux hétéroclites. Les cages d’escalier sont accrochées à ces mêmes poutres de liaison et généralement éclairées par des puits de lumière sous forme de verrières. Les cloisons sont en simples briques minces et les planchers sont en bois d’enfustage recouvert de mortier et de tomettes tandis que les plafonds sont un conglomérat de plâtre fixé sur des canisses.

Force est de constater que cette architecture locale, parfaitement adaptée aux conditions climatiques et au mode de vie de l’époque, et qui a globalement bien résisté aux assauts du temps, présente néanmoins des faiblesses lorsque les bâtiments souffrent d’un manque d’entretien voire d’un mode d’occupation mal adapté. Les dégâts des eaux en particulier y font des ravages. Depuis qu’on y a installé des salles d’eau dans chaque logement, il suffit en effet d’une absence de joint autour d’une baignoire pour que l’eau qui s’infiltre fasse pourrir les planchers qui finissent par s’effondrer, surtout si on les a surchargé en ajoutant quelques couches de carrelage successifs pour masquer les tommettes d’origine… Les infiltrations d’eau au pied des immeubles, du fait de canalisations fuyardes ou de descentes de toitures endommagées, sont également redoutables pour la stabilité des murs porteurs mitoyens, surtout si la charge évolue différemment de part et d’autre, au gré de la vie des immeubles voisins.

Plafond endommagé dans un immeuble marseillais de la rue Thubaneau (source © Marsactu)

Pour ce qui est du 63 et du 65 de la rue d’Aubagne qui se sont effondrés brusquement le 5 novembre 2018, après bien des signes précurseurs dont les enquêtes en cours devront déterminer s’ils ont été suffisamment pris en compte par les différents protagonistes, tous ces éléments ont joué un rôle et les infiltrations d’eau dans le n°63 alors sous arrêté de péril et inoccupé ont très certainement contribué à sa fragilisation.

Mais l’Histoire nous rappelle que les trois fenêtres marseillais ne sont pas les seules structures qui présentent localement des faiblesses. En 1822, la municipalité marseillaise lançait dans ce secteur de Notre-Dame du Mont un projet ambitieux consistant à percer une nouvelle avenue pour relier le boulevard Baille à la Canebière. Une première voie avait été ouverte dès 1789 dans la partie sud, près de la place Castellane, sur des terrains appartenant à un certain Lieutaud, fils d’un riche mercier marseillais et qui s’était retrouvé à la tête de la Garde nationale de Marseille pendant la Révolution.

Vue du Cours Lieutaud en contrebas de la rue d’Aubagne (photo d’archives © La Provence)

C’est donc le nom de cet homme qui fut donné à cette nouvelle avenue de 19 m de largeur, qui, jusqu’en 1864 s’arrêtait au niveau du boulevard Louis Salvator. Il faut dire qu’à l’époque les normes en matière d’infrastructures routières étaient déjà draconiennes et que les ingénieurs des Ponts et Chaussées exigent que la nouvelle avenue ne présente pas une pente supérieure à 2 %, afin qu’elle puisse être empruntée aisément par les lourds chariots de marchandises tirés par des chevaux,. L’objectif était en effet que cette nouvelle voie permette de désengorger la circulation devenue infernale dans la rue de Rome parallèle. Il fallait donc raboter la butte de Notre-Dame du Mont et faire passer le nouveau boulevard en tranchée sous la rue d’Aubagne et la rue Estelle.

Les travaux de terrassement nécessaires au percement de cette nouvelle avenue s’accompagnent donc de la réalisation d’un pont destiné à rétablir la continuité de la rue d’Aubagne au dessus du nouveau cours Lieutaud. En cette seconde moitié du XIXe siècle, la mode est au béton, matériau moderne par excellence et à l’origine d’une architecture qui passe du stade artisanal à l’échelle industrielle. Si la fabrication contrôlée de la chaux hydraulique date déjà de 1818, mise eu point par l’ingénieur Louis Vicat, l’utilisation du béton en architecture commence tout juste à s’imposer, sous l’influence notamment de l’industriel lyonnais François Coignet qui construit en 1853 sa maison de Saint-Denis en béton banché et dont le fils sera l’un des précurseur du béton armé et du béton précontraint. L’idée d’insérer des armatures et treillis métalliques dans du béton est à cette époque encore très innovante. C’est le jardinier Joseph-Louis Lambot qui le premier, se hasarda en 1845 à réaliser des pots de fleurs en renforçant le mortier de ciment avec du fil de fer. Brevetée en 1855 sous le nom de ferciment son invention était initialement destinée plutôt à la construction de caisses pour l’horticulture et de coques de navire mais c’est finalement en architecture que l’innovation connut ses plus grands succès.

Effondrement du pont de la rue d’Aubagne en 1867 (gravure d’archive source © Tourisme Marseille)

Un premier ponceau en béton (non armé) avait été édifié dès 1836 sur un ruisseau du Tarn-et-Garonne par l’architecte François-Martin Lebrun, lequel a finalement obtenu l’autorisation de tester sa technique (à ses frais) pour la réalisation d’un pont monolithe à Grisolles, sur le canal latéral à la Garonne. Achevée en septembre 1840, l’arche du pont, dont l’ouverture est de 12 m, reste supportée par son cintre en briques jusqu’en janvier 1841 mais reste intacte lorsque celle-ci est finalement démolie, ce qui vaudra à son concepteur les félicitations de l’Académie des Sciences.

C’est donc sur cette lancée qu’est construit à partir de 1865 le premier pont en béton armé pour permettre le franchissement du cours Lieutaud par la rue d’Aubagne désormais en surplomb. Mais sur ce chantier, les maîtres d’œuvre n’ont pas eu la patience d’attendre et lorsqu’ils procèdent au décoffrage de la voûte, le 5 juillet 1867, l’édifice s’effondre, entraînant la mort de cinq ouvriers.

Un poids-lourd renversé après avoir heurté le pont du cours Lieutaud le 24 juillet 2013 (photo © Patrick Nosetto / La Provence)

Après ce premier drame de la rue d’Aubagne, il est sagement décidé de s’en remettre à une technique plus éprouvée et de reconstruire l’ouvrage en charpente métallique. Ce sera fait dès 1869 sous forme de quatre arches métalliques jumelées de 37 m de portée. Un ouvrage qui est toujours en place mais qui ne compte plus le nombre de camions qui se sont encastrés sous son tablier, y compris un convoi de missiles nucléaires. Élargi en 1955 à 2 fois deux voies, après qu’on eut tronçonné les platanes qui le bordaient, le cours Lieutaud est en effet devenu un des principaux axes routiers de pénétration de la ville mais les travaux de requalification qui sont en cours vont peut-être enfin permettre de lui redonner un aspect urbain plus apaisé…

L. V.

Fréjus : un nouveau débarquement en Provence

5 septembre 2020

Timbre commémoratif (source © Histoire de)

Le débarquement de Provence fait d’ores et déjà parti de l’Histoire. Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, une armada de 2200 navires, dont 880 vaisseaux de guerre anglo-américains et 34 bateaux de la marine française, débarquent des troupes alliées sur les côtes varoises. Prévue initialement en même temps que le débarquement de Normandie, l’opération avait été retardée car Winston Churchill y était opposé, préférant une percée sur le front d’Italie vers les Balkans afin de prendre en tenailles l’armée allemande et arriver à Berlin avant l’Armée rouge.

Mais Charles de Gaulle, qui visait avant tout la libération du territoire national, avait réussi à convaincre les Américains de l’opportunité de ce débarquement en Provence, qui s’est donc déroulé un peu plus de deux mois après le déclenchement de l’opération Overlord sur les côtes normandes, alors que les alliés venaient de s’emparer d’Argentan et de parvenir à traverser la Loire mais se heurtaient encore à une farouche résistance allemande notamment à Saint-Malo.

Débarquement de Provence près de Fréjus en août 1944 (photo d’archive / source © TV 83)

Programmé sous le nom de code Anvil (enclume) puis rebaptisé Dragoon par Churchill qui assiste au lancement de l’opération à bord d’un destroyer, le débarquement des troupes se répartit sur trois secteurs de Cavalaire jusqu’à Saint-Raphaël. Des commandos français sont quant à eux débarqués sur les flancs est (à Miramar) et ouest (de part et d’autre du Cap Nègre) pour empêcher l’arrivée des renforts allemands, tandis qu’un parachutage massif a lieu entre Le Muy et La Motte.

Ce débarquement a connu un succès remarquable, aidé par le fait que l’armée allemande avait été bien dégarnie sur ce secteur, occupée qu’elle était à freiner l’avancée des troupes alliées en Normandie mais aussi en Italie où les Américains venaient de s’emparer de Florence, tandis que l’armée russe progressait rapidement dans les pays baltes. Dès le 19 août, les villes de Digne et de Sisteron sont libérées et les alliés poursuivent leur progression rapide à travers les Alpes, jusqu’à Grenoble qui est reprise dès le 22 août.

Défilé célébrant la libération de Marseille, sur le Vieux Port le 29 août 1944 (photo © Julia Pirotte / Réseau Canopé)

En Provence, l’avancée est rapide également et le 20 août, les premiers combattants alliés pénètrent dans Toulon qui sera entièrement reprise le 26 août. A Marseille où les FFI de la Résistance intérieure ont lancé l’insurrection dès le 21 août mais se retrouvent rapidement en grande difficulté, ce sont des régiments de tirailleurs algériens, de tabors marocains et de zouaves qui sauvent la situation en s’emparant d’Aubagne le 22 août puis en progressant vers Marseille où les combats seront acharnés jusqu’au 26 août, en particulier autour de la gare Saint-Charles et de Notre-Dame de la Garde.

La grande plage de sable qui s’étend à l’embouchure de l’Argens et du Reyran, juste en face de la base aéronautique de Fréjus, aménagé en aérodrome depuis 1911, a été l’un des théâtres du débarquement du 15 août 1944. C’est la force Camel, commandée par le général Dahlquist, à la tête de la 36ème division d’infanterie, qui avait pour mission de s’emparer de ce site stratégique.

Tortue caouanne regagnant l’eau après sa ponte sur la plage des Sablettes, dans la nuit du 11 au 12 juillet 2020 (source © Paris Match)

Mais cette même plage a été cette année le théâtre d’un tout autre débarquement, celui d’une tortue caouanne venue y pondre ses œufs… Dans la nuit du 11 au 12 juillet 2020, une tortue marine est en effet sortie des ondes pour débarquer sur la longue plage de sable fin des Esclamandes, qui s’étend entre Fréjus et Saint-Aygulf et y a pondu ses œufs. Un événement d’autant plus remarquable que la veille, vers 1 heure du matin, la même scène s’était déjà produite à moins de 2 km de là, sur la plage des Sablettes, située en plein centre ville de Fréjus, entre la marina de Port-Fréjus et le casino.

Ce sont des policiers municipaux en maraude qui ont assisté, ébahis, à la scène plutôt insolite sur cette plage particulièrement animée et où la vie nocturne n’est pas de tout repos. Nullement impressionnée, la tortue caouanne a lentement marché sur la sable, déblayé un trou avec ses fortes nageoires et a pondu ses œufs qu’elle a soigneusement recouverts avant de repartir vers le large. Des spécialistes ont immédiatement été appelés à la rescousse, parmi lesquels Sidonie Catteau, chef de projet tortue marine à l’association Marineland, également experte du Réseau tortues marines de Méditerranée française (RTMMF).

Site de ponte sur la plage des Sablettes, à Fréjus, protégé contre le vandalisme (photo © Philippe Arnassan / Var Matin)

Un enclos a aussitôt été mis en place autour du site de ponte pour éviter que les plaisanciers ne s’en approchent de trop près et ne viennent piétiner les œufs si fragiles, enfouis sous 20 cm de sable seulement. Aux Esclamandes en revanche, il n’a pas été repéré de ponte alors que cette même plage avait déjà été choisie il y a deux ans comme berceau par une autre tortue marine qui y avait pondu ses 78 œufs le 22 juillet 2016 sous les yeux d’une touriste. Il avait fallu alors attendre 70 jours pour observer les premières éclosions et les œufs avaient dû être sortis du sable et placés en couveuse les 10 derniers jours à cause de la baisse des températures. , 7 œufs avaient ainsi éclos, libérant de petites tortues pressées de regagner le rivage pour se mettre à l’abri des prédateurs.

Après 46 jours d’incubation, les premiers nouveaux nés ont regagné la mer ! (photo © Stéphane Jamme / Association Marineland / France3 Région)

Cette année, il a fallu attendre 46 jours, pendant lesquels les agents municipaux se sont relayés pour surveiller le précieux site de ponte. Mercredi 26 août aux aurores, les premières petites tortues ont pointé le bout de leur museau et se sont extraites du sable en gigotant avant de partir pour une course effrénée vers la mer où elles se sont rapidement coulées dans les flots. En fin de matinée, une dizaine d’autres petites tortues les ont suivies, mettant fin à cet épisode dé débarquement inédit.

Il est fréquent d’observer ce type de scène sur certaines plages de Grèce ou de Turquie mais l’événement reste assez rarissime sur les côtes méditerranéennes françaises et certains se demandent si ces débarquements inopinés de tortues marines ne sont pas une conséquence supplémentaire du réchauffement climatique. Des tortues marines qui n’auront en tout cas pas attendu pour regagner le large, le lancement de l’université d’été du Rassemblement national, prévue à Fréjus, comme ces deux dernières années, ce week-end des 5 et 6 septembre, dans la ville où David Rachline a été réélu dès le premier tour le 15 mars dernier. Marine Le Pen n’aura donc pas eu l’occasion de commenter en direct le comportement de ces tortues marines venues du Sud et surgies de la Méditerranée pour déposer sur le sol français leur progéniture innombrable, mais qui a le bon goût de repartir en courant dès sa naissance vers des contrées plus accueillantes…

L. V.