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L’Europe pour les nuls…et les jeunes

2 Mai 2024

Dans un peu plus d’un mois seulement aura lieu la prochaine élection au Parlement européen, le dimanche 9 juin 2024. Rappelons d’ailleurs au passage, pour ceux qui l’auraient oublié, bien qu’il s’agisse quand même de la dixième édition de ces élections qui se tiennent tous les 5 ans depuis 1979, que ce suffrage se fait à un seul tour à la proportionnelle.

Les modalités diffèrent d’ailleurs d’un pays à l’autre. En France, il a été choisi de fixer un seuil minimal de 5 % pour qu’une liste puisse disposer d’un représentant élu, ce qui n’est pas forcément le cas chez certaines de nos voisins. Ainsi, lors du dernier suffrage qui s’était tenu en 2019, et pour lequel pas moins de 34 listes avaient été constituées et validées, parfois in extremis après recours devant le Conseil d’État, seules 6 d’entre elles avaient pu obtenir au moins un représentant au Parlement européen. Les voix qui s’étaient portées sur les 27 autres listes en pure perte représentaient quand même 19,7 % des suffrages exprimées !

Pour les dernières élections européennes en 2019, un nombre record de listes en compétition : un dessin signé Chaunu, publié dans Ouest-France le 23 mai 2019

On ne sait pas encore combien de listes seront retenues pour concourir lors de la prochaine échéance du 9 juin puisque la date limite pour le dépôt des listes est fixée au 17 mai à 18h, mais il y a fort à parier qu’elles seront au moins aussi nombreuses qu’en 2019 ! A l’époque, le nombre de sièges d’eurodéputés avait été fixé à 705 dont 79 pour la France. Pour la prochaine échéance, inflation oblige et malgré le retrait devenu effectif de la Grande-Bretagne, il y aura 720 sièges en jeu, dont 81 pour notre pays.

La représentation nationale actuelle au Parlement européen compte 23 représentants du Front national, 23 de la République en marche, 13 écologistes, 8 LR, 6 socialistes et 6 représentants de la France insoumise. Au vu des nombreux sondages actuels déjà publiés et qui vont se multiplier dans les semaines à venir, tout laisse penser que la liste du Rassemblement national, menée par Jordan Bardella, arrivera largement en tête, donné actuellement autour de 30 %, ce qui pourrait l’amener à augmenter encore son nombre de représentants au Parlement européen. Viendrait ensuite, au vu des tendances observées jusqu’à présent, la liste macroniste dirigée par l’eurodéputée sortante, Valérie Hayer, qui peine à atteindre la barre des 20 % et pourrai perdre 6 à 7 sièges…

L’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg, cœur de la démocratie européenne (photo © Vincent Kessler / Reuters / La Tribune)

Le troisième homme de cette campagne est pour l’instant l’eurodéputé sortant Raphaël Glucksmann qui mène, comme en 2019, la liste du parti socialiste et que les sondages placent actuellement autour de 12 à 13 %, ce qui pourrait lui permettre de faire élire une douzaine de représentants. Quatre autres listes sont à ce jour données à plus de 5 % avec la perspective pour chacune d’elles de remporter 6 à 7 sièges chacune. C’est le cas de la liste écologiste, pilotée par Marie Toussaint, qui verrait ainsi sa représentation fortement amputée, tandis que la France insoumise, dont la tête de liste est, comme en 2019, Manon Aubry, paraît stable par rapport à 2019. A droite, la liste LR, menée par le très conservateur François-Xavier Bellamy, comme en 2019 également, est pour l’instant crédité d’un score assez comparable à celui obtenu alors, autour de 8 %. Pourrait aussi figurer dans ce dernier carré l’autre liste d’extrême-droite, menée par Marion Maréchal, sous l’étiquette Reconquête, et qui pourrait aussi peut-être se hisser au-dessus de la barre fatidique des 5 %.

Comme en 2019, la grosse inconnue de cette séquence électorale reste le taux de participation qui avait tout juste atteint 50 % lors de ce dernier suffrage. Tout laisse malheureusement à penser que cette année encore un Français sur deux ne prendra même pas la peine de se déplacer le 9 juin prochain pour aller exercer son droit de vote, alors même que l’Europe est au cœur de notre vie quotidienne et que la majorité de notre législation actuelle est directement dérivée des directives européennes. Jamais la France n’a été autant intégrée à l’Union européenne, dans un monde désormais multipolaire où même un bloc aussi important que l’Europe peine à exister face aux appétits de puissance des États-Unis, de la Chine, de la Russie mais aussi de nombreux pays émergents en pleine expansion. Et pourtant, les Français ont du mal à s’intéresser aux débats qui agitent le Parlement européen…

Peut-on encore croire à l’Europe ? Un dessin signé Plantu, publié dans Le Monde à l’occasion de la visite du pape au Parlement européen de Strasbourg le 25 novembre 2014…

Ce n’est pourtant pas faute d’efforts de communication et de pédagogie pour rendre accessibles à tous les arcanes de ce lieu de démocratie. Saluons à ce sujet la série remarquable intitulée sobrement Parlement, écrite par Noé Noblet et produite par Cinétévé, Artemis Productions et CineCentrum, dont les 20 épisodes des saisons 1 et 2 ont été diffusés sur France TV en avril 2020, suivi d’une saison 3 tournée en 2022 et diffusée en septembre 2023.

Samy, jeune attaché parlementaire au Parlement européen… (source © Parlement 2024)

On y voit les premiers pas au Parlement européen d’un jeune assistant parlementaire français, Samy, joué par le comédien Xavier Lacaille, qui débarque à Bruxelles au lendemain du vote du Brexit, et découvre les rouages de la démocratie européenne aux côté de son eurodéputé fainéant, Michel Specklin, de l’anglaise Rose, de l’italien Guido, de l’allemand Martin Kraft, ou encore du fonctionnaire européen ultra-compétent et incorruptible, l’impénétrable Eamon. Un bijou d’humour et d’autodérision, sans prétention mais plein d’esprit et qui a le mérite de faire pénétrer au cœur des arcanes complexes du Parlement européen mais aussi de la Commission européenne, où l’on découvre le fonctionnement au jour le jour de nos institutions européennes avec les enjeux auxquels est confrontée la construction européenne, les rivalités entre états membres, le rôle des lobbyistes et la manière dont s’élabore un consensus politique dans un tel bazar. De quoi donne au citoyen européen une vision plus humaine et terriblement incarnée de ces froides institutions qui paraissent si loin de nos préoccupations mais dont les décisions pèsent si fortement sur notre vie quotidienne.

Et voilà que Cinétévé, le producteur de cette série à succès, vient de s’allier avec l’Institut Jean Monet, une fondation attachée à promouvoir l’idéal d’union et de paix qui animait les pères fondateurs de l’Union européenne, pour produire une série de clips inspirés directement de la série télévisée Parlement et destinés à inciter les jeunes (notamment) à voter en masse lors de la prochaine échéance électorale du 9 juin 2024. Sur les 8 clips de campagne prévus, 2 sont déjà accessibles en ligne sur le site dédié. On y retrouve l’humour grinçant et décalé propre à la série télévisée, et ses messages pédagogiques qui font mouche…

Un des clips de campagne inspirés de la série télévisée Parlement (source © Parlement 2024)

Espérons que les Français, et notamment les plus jeunes d’entre eux qui s’étaient largement abstenus en 2019, seul un tiers des 18-39 ans ayant alors fait l’effort de glisser un bulletin dans l’urne, soient sensibles à cette campagne. D’autant qu’elle est loin d’être la seule, les initiatives se multipliant actuellement pour inciter le maximum de jeunes européens à aller voter et à s’intéresser de plus près au fonctionnement démocratique de nos institutions. C’est notamment le cas de la plateforme Ensemble, mais aussi du Parlement européen lui-même qui met à disposition une boîte à outils pédagogique dans ce but, tandis que la Commission européenne s’efforce, via son site Les décodeurs de l’Europe, de combattre certaines idées reçues sur les dysfonctionnements de l’Europe.

Visuels élaborés par l’agence de communication I&S pour inciter à se mobiliser lors des prochaines élections européennes (source © Image et Stratégie)

Même des agences de communication s’y mettent et lancent des campagnes d’affichage pour diffuser des messages incitant chacun à se mobiliser pour cette échéance électorale, à l’instar de l’agence Image & Stratégie, qui insiste sur l’idée que chaque citoyen est acteur du choix des politiques publiques, même celles décidées dans des institution qui nous paraissent trop souvent lointaines, opaques et éloignées de nos préoccupations quotidiennes. C’est l’esprit même de la démocratie dans laquelle chaque voix compte, sauf celles qui décident de ne pas participer au scrutin…

L. V.

Corée du Sud : des législatives aux petits oignons

12 avril 2024

On votait, ce mercredi 10 avril 2024, en Corée du Sud, pour renouveler les 300 membres de l’Assemblée nationale. Une élection dont les résultats ne font manifestement pas les affaires du Président de la République, l’ancien procureur et très conservateur Yoon Suk-yeol, qui avait été élu de justesse à ce poste, il y a tout juste 2 ans, en mai 2022, sort nettement affaiblie de ces élections. Alors que son parti « Pouvoir au Peuple » détenait 103 sièges dans le parlement sortant, il n’en détient plus que 90 tandis que le bloc progressiste, déjà largement majoritaire, se retrouve avec 176 députés, manquant de peu la majorité des deux-tiers qui lui aurait permis de concrétiser la menace de destitution qui pèse désormais sur le président.

Le président de la République de Corée du Sud, Yoon Suk-yeol (photo © Reuters / Firstpost)

Il faut dire que celui-ci est arrivé au pouvoir dans un contexte de crise économique et sociale, même si la Corée du Sud reste la quatrième puissance économique mondiale. L’accès au logement est notamment devenu un vrai souci pour les Sud-Coréens. Alors qu’en 2017 un jeune Coréen achetant un appartement arrivait à rembourser son emprunt immobilier en 20 ans, il lui faut désormais 40 ans pour y arriver !

Et la politique menée par le président Yoon Suk-yeol depuis son arrivée au pouvoir ne fait qu’exacerber ces difficultés sociales. Se positionnant d’emblée du côté du patronat, il a ainsi affirmé que maintenir la semaine de travail à 52 heures lui paraissait intenable et plaidant pour le passage à 69 heures de travail hebdomadaire, bien loin des 35 heures en vigueur en France…

En juillet 2023, des syndicalistes sud-coréens protestent contre la répression syndicale du gouvernement (source © Industriall Global Union)

Faisant face en novembre 2022 à une grève des camionneurs, il a été jusqu’à menacé les grévistes de peines de prison ferme et d’amendes records de dizaines de milliers d’euros pour entrave à la vie économique du pays, tandis qu’il accordait sa grâce présidentielle à plusieurs hommes d’affaires condamnés pour corruption, dont le président du groupe Samsung. Yoon Suk-yeol n’avait pas hésité à déclarer publiquement que, selon lui, « les gens qui font grève sont aussi dangereux que les ogives nucléaires nord-coréennes ». Un discours tout en nuance que les syndicats n’avaient guère apprécié…

En quelques mois, sa cote de popularité s’était effondrée, d’autant qu’il faisait montre en parallèle d’une position extrêmement rigide et belliqueuse envers le voisin nord-coréen, se rapprochant des États-Unis et rompant tout dialogue, estimant même nécessaire d’envisager des frappes préventives en cas de menace, avivant ainsi la tension entre les deux Corées.

Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et son entourage faisant mine de découvrir des bottes d’oignons verts à un prix défiant toute concurrence (photo © AFP / Huffington post)

Et voila que le Président, alors en pleine campagne des législatives, le 18 mars dernier se rend dans un magasin de fruits et légumes à Séoul, pour y constater le prix des denrées alimentaires et tordre le cou à l’idée largement partagée que la population fait face à une forte inflation du coût des produits de base. Avisant une botte d’oignons verts, un légume particulièrement prisé dans la cuisine coréenne, le président fanfaronne devant les caméras en affirmant que pour 875 wons, le prix est très accessible. De fait, cette somme représente à peine 60 centimes d’euros… Sauf que les Coréens sont tombés des nues car eux paient quotidiennement trois à quatre fois plus cher leur botte d’oignons !

Après enquête, les journalistes se sont ainsi rendus compte que tout ceci n’était en réalité qu’une mise en scène, le commerçant, prévenu à l’avance, ayant volontairement affiché pour les besoins de la cause, des étiquettes avec des prix défiant toute concurrence… De quoi alimenter les sarcasmes envers un président totalement déconnecté des réalités et qui prend vraiment ses concitoyens pour des imbéciles. Il n’en fallait pas davantage pour doper l’opposition qui dès lors s’est mis à brandir des oignons verts à chacun de ses meetings. La cébette est ainsi devenue le symbole de l’opposition au président conservateur !

Des militants brandissant leur botte d’oignons en signe de protestation contre la morgue du président, Yoon Suk-yeol, à Sejong, le 25 mars 2024 (photo © Yonhap / AFP / BFMTV)

Au point que la commission nationale électorale s’en est inquiété et a décrété, deux jours avant les élections, l’interdiction de se promener avec des oignons verts à proximité des bureaux de vote, considérant gravement, dans un communiqué officiel, que « détourner une certaine chose de sa fonction initiale pour en faire un moyen d’expression est susceptible d’affecter le scrutin ». De quoi déclencher l’hilarité générale et mettre en verve tout ce que la Corée du sud compte d’esprits espiègles qui se sont dés lors mis à rivaliser d’imagination pour détourner cette loi anti-oignons. Et l’on a vu ainsi fleurir les bandeaux et les écharpes couleur vert oignon ainsi que les porte-clés en forme de ciboulette.

Une ambiance plutôt bon enfant mais qui a du coup suscité un fort engouement pour cette échéance électorale qui a fortement mobilisé, avec un taux de participation record de 67 % et un score peu amène pour les partisans de Yoon Suk-yeol qui, pour avoir mal évalué l’oignon, en a gros sur la patate : quand on raconte des salades, il arrive qu’on fasse chou blanc…

L. V.

Alfons MUCHA, notes biographiques

16 mars 2024

Organisée en collaboration avec la Fondation Mucha à Prague, l’Hôtel de Caumont, à Aix-en-Provence, consacre cette année et jusqu’au 24 mars 2024, son exposition d’hiver au grand maître de l’Art nouveau, Alphonse Mucha (1860-1939). Plusieurs membres du Cercle progressiste carnussien ont visité cette exposition exceptionnelle, sous la conduite de Michel Motré qui avait préparé pour cela quelques notes biographiques. Leur version complète illustrée de nombreuses œuvres de l’artiste est accessible ici.

En voici les principaux repères qui retracent le parcours de cet artiste prolifique et visionnaire qui s’est adonné à de multiples domaines comme les affiches, la publicité, la décoration intérieure ou encore le théâtre de la Belle Époque, avec un style très particulier où se mêlent Art nouveau, mysticisme, symbolisme et identité slave.

Détail de l’affiche de l’exposition Mucha à l’hôtel de Caumont – Les Arts « la danse », lithographie en couleur de 1898, 60 x 38 cm, Prague (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

Alphons MUCHA nait en Moravie en 1860 et meurt à Prague en 1939.

Les débuts

Son aptitude au chant lui permet de poursuivre son éducation à Brno, la capitale Morave. Il dessine et lors d’un voyage il rencontre le dernier représentant de la peinture sacrée baroque dont les fresques d’Utsi et de Prague le marquent profondément. En 1875, de retour dans sa ville natale, après des travaux de greffier, il tente le concours d’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts de Prague et échoue. En 1879, après avoir réalisé quelques travaux décoratifs pour le théâtre, il émigre à Vienne afin de travailler pour la plus grande entreprise de théâtre de la ville et continue sa formation artistique. Il voyage et gagne sa vie comme portraitiste. C’est en 1881 que le Comte Karl Khuen Belasi le charge de décorer son château d’Emmahof puis il travaille pour le frère du Comte, Egon. En 1885 Egon finance ses études à Munich puis à Paris.

Affiche créée par Mucha pour Gismonda, avec Sarah Bernardt en 1894, lithographie en couleurs, 216 x 74,2 cm (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

La période parisienne

Dès ses débuts à Paris, il photographie ses modèles qui serviront à réaliser ses illustrations. A Paris, Mucha continue ses études dans des Académies (dont Julian où il rencontre Paul Sérusier). Il produit une revue, dessine pour des journaux, illustre des catalogues et des livres. Le parrainage du Comte Egon ayant pris fin après son suicide, Mucha cherche et trouve du travail en qualité d’illustrateur par la maison Armand Colin. Il s’installe près de l’académie au-dessus d’un restaurant pour lequel, avec son ami Sleweski, il décore la façade.

Seul artiste disponible chez son imprimeur Lemercier, il est sollicité le 24 décembre 1894 par Sarah Bernardt pour réaliser l’affiche publicitaire pour Gismonda, la pièce qu’elle doit jouer au Théâtre de la Renaissance début janvier 1895 ! Défi relevé, le 1er janvier 1895, les murs de Paris se couvrant des affiches qui sont appréciées. Sarah Bernardt l’engage pour six ans. Il réalisera ainsi, dans son style si personnel, les affiches pour Lorenzaccio, La Dame aux Camélias (1896), Hamlet et Médée (1898).

Parallèlement, il dessine d’autres affiches pour le papier à cigarettes JOB (1897) et Nestlé (1898) ainsi que des boites à biscuits pour Lefèvre-Utile (LU). Il compose des panneaux décoratifs, des calendriers et des programmes en recourant à ses thèmes préférés : la femme, les fleurs, les saisons, les heures… Il crée beaucoup : des bijoux (bracelet au serpent) ; des illustrations dont celles pour Islée, princesse de Tripoli de Robert de Flers (1897).

Durant ces années, outre Sérusier, il côtoie Gauguin, Toulouse Lautrec et de nombreux peintres. Mucha est sollicité pour l’exposition universelle de Paris de 1900 où il est chargé de la décoration du Pavillon de la Bosnie-Herzégovine ainsi que de la création d’affiches et autres éléments de communication (menu) pour le pavillon autrichien. Pour cela, il reçoit la médaille d’argent. En 1901, il conçoit la bijouterie Fouquet à Paris qui a été démontée puis reconstituées au musée Carnavalet de Paris.

Publicité pour le champagne Moët et Chandon Grand Clément Impérial créée par Mucha en 1899, lithographie en couleurs, 60 x 20 cm (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

Alfons Mucha est un artiste majeur de l’Art nouveau. Multiforme et international, le mouvement Art nouveau est celui des courbes et des arabesques. Librement inspiré par la nature, privilégiant aussi le thème de la femme, il est un pur produit de la Belle Époque (1890–1914). En France, c’est surtout Hector Guimard qui l’incarne, au travers des bouches de métro dont il est l’architecte, et l’École de Nancy, autour d’Émile Gallé. Céramiques, meubles, objets d’art, verreries…

L’Art nouveau offre un véritable univers esthétique idéalement mis à la portée de tous. L’un de ses apports majeurs est d’avoir fait tomber la barrière traditionnelle entre arts majeurs et arts mineurs, en élevant par exemple l’affiche aux rangs des beaux-arts.

« La symétrie n’est nullement une condition de l’art, comme plusieurs personnes affectent de le croire ; c’est une habitude des yeux, pas autre chose. » Hector Guimard

Alfons Mucha, Slavia tempera sur toile, 154 x 92,5 cm, 1908, Musée de Prague (source © Arthive)

Le séjour aux États Unis 1904 – 1910

Mucha quitte la France avec sa femme et rejoint les USA. Son séjour dure 5 ans. Il enseigne à l’Art Institute de Chicago. Il peint à l’huile mais sans succès et produit des affiches et des illustrations ainsi que les décors du German Théâtre de New York 1908. En 1909, il réalise les affiches de Leslie Carter et de Maud Adams (Jeanne d’Arc) : forts dessins au fusain et finesse des dessins au pastel.

Alfons Mucha travaillant sur l’une des peintures murales du salon du maire de la Maison municipale de Prague en 1910-1911 (source © Fondation Mucha / Alfons Mucha / Caumont – centre d’art)

Retour au pays

En 1910, il retourne dans son pays qui deviendra la Tchécoslovaquie en 1919. Il crée des timbres postaux et des billets de banque pour le nouveau pays et réalise de grandes peintures décoratives critiquées par les artistes modernes (contemporains). Humaniste, il est sensible aux misères du monde et des hommes.

Alfons Mucha, La célébration quand les dieux sont en guerre, le salut est dans les arts, huile sur toile, 610 x 810 cm, 1912, Musée de Prague (source © Institut Illiade)

Il travaille alors à un grand ensemble, « l’Épopée Slave ». Ce sont de grades toiles historiques qui conjuguent tradition, folklore et symbolisme. Ces œuvres sont exposées à l’étranger et sont maintenant conservées au musée de Prague.

Depuis 1938 il souffre de la pneumonie. Il est arrêté par les allemands qui ont envahi la Tchécoslovaquie pour son appartenance à la franc-maçonnerie. Il meurt en juillet 1939.

M. Motré

Russie : Poutine réécrit l’Histoire et tend les frontières

26 février 2024

Le président russe Vladimir Poutine, ancien officier du KGB au pouvoir depuis le 31 décembre 1999, il y a donc bientôt un quart de siècle, s’apprête à se faire réélire pour un nouveau mandat présidentiel lors des prochaines élections prévues du 15 au 17 mars 2024. Une simple formalité, jouée d’avance, surtout après le décès suspect au goulag, de son seul opposant politique déclaré, Alexei Navalny, déclaré mort par les autorités russes le 16 février 2024, un mois avant l’échéance électorale.

Pour la première fois depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, il y a tout juste 2 ans, Vladimir Poutine vient de se livrer à un exercice peu fréquent en acceptant de se faire interviewer, au Kremlin, le 6 février dernier, par un journaliste occidental, en l’occurrence l’Américain Tucker Carlson, ex-animateur de Fox News et proche de Donald Trump. Une interview qui a en réalité tourné au monologue, le journaliste laissant le président russe déployer sa propagande, avec notamment un argumentaire de 23 minutes sans interruptions, au cours duquel Poutine a largement réécrit l’histoire de l’Ukraine, présentée comme le berceau de l’empire russe et un État totalement artificiel, manipulé par les volontés expansionnistes de l’OTAN et que la Russie s’emploie actuellement à dénazifier.

Le président russe Vladimir Poutine face au journaliste américain Tucker Carlson, au Kremlin, le 6 février 2024 (photo © President of Russia Office / Apaimages / SIPA / 20 minutes)

Vladimir Poutine n’a pas hésité pour cela à remonter jusqu’au IXe siècle, à l’époque où se met en place l’État de la Rus’, qui englobe le nord de l’Ukraine actuelle, la Biélorussie, et une petite partie occidentale de la Russie. Sa démonstration pseudo historique lui a d’ailleurs attiré un petit rappel à l’ordre de la part de l’ancien président de la Mongolie, Tsakhia Elbegdorj, qui s’est permis de lui rappeler, cartes à l’appui, que ses ancêtres Mongols, à la suite d’ailleurs des Tatars, envahirent au XIIIe siècle l’essentiel de ce territoire et fondèrent un des plus vastes empires du monde.

L’expansion de l’empire russe et son extension maximale en 1914 (source © L’Histoire)

Il fallut alors aux Russes attendre 1462 pour reconquérir Moscou et sa région, et finalement l’avènement de Pierre-le-Grand, au XVIIIe siècle pour que l’empire russe débute son expansion territoriale qui a marqué son apogée à la veille de la Première guerre mondiale. Le fait que la Russie ait alors fortement perdu de son emprise territoriale à la suite de la révolution bolchévique de 1917 et de la guerre civile qui s’en est suivie, est de fait soigneusement occultée par le pouvoir actuel qui a une fâcheuse tendance à vouloir réécrire l’Histoire.

Une scène de la guerre du Caucase, peinte par Franz Roubaud, une guerre coloniale menée par l’Empire russe entre 1775 et 1864 (source © Areion24)

La démarche n’est pas nouvelle et Staline avant Poutine l’a pratiqué à grande échelle. Mais elle est désormais institutionnalisée depuis la réforme constitutionnelle de 2020 qui a permis, outre le maintien au pouvoir de Vladimir Poutine jusqu’en 2036, d’acter le devoir impérieux de « défendre la vérité historique » et de « protéger la mémoire de la Grande Guerre Patriotique » qui désigne pour les Russes la Seconde guerre mondiale. Selon le discours officiel, ceux qui s’écartent du narratif officiel sont « les équivalents modernes des collaborateurs nazis ». Sous le régime de Poutine, on ne fait pas dans la dentelle et on ne s’encombre guère des nuances qui font toute la richesse de l’analyse historique… Pour le Kremlin évoquer le pacte germano-soviétique de 1939, le massacre de Katyn auquel se sont livrés les Russes contre des officiers polonais en avril-mai 1940, ou encore la présence de hauts dignitaires nazis sur la place Rouge pour le défilé militaire du 1er mai 1941, et surtout l’occupation brutale des pays d’Europe de l’Est par les forces armées soviétiques après 1945, relève de la provocation et du révisionnisme antipatriotique.

Parade militaire sur la place Rouge à Moscou le 7 novembre 2019, en souvenir du départ des troupes russes en novembre 1941 pour contrer l’invasion allemande suite à la rupture du pacte germano-soviétique (photo © Dimitar Dilkoff / AFP / L’Express)

Une position qui répond manifestement à l’attente d’une majorité de la population qui cherche à renouer avec la grandeur passée de l’Empire Russe, et que le pouvoir de Vladimir Poutine entretient consciencieusement. En 2009 a ainsi été créée la Commission présidentielle de la Fédération de Russie de lutte contre les tentatives de falsifier l’histoire, puis en 2012 la Société historique militaire russe, destinées à entretenir au sein de la population une vision historique glorieuse et quelque peu biaisée de l’histoire du pays, dans l’optique d’accréditer l’idée que les Russes ont besoin d’un pouvoir fort, héritier d’une tradition militaire conquérante.

De nouvelles lois mémorielles ont été promulguées qui pénalisent non seulement l’apologie du nazisme mais simplement « l’irrévérence envers les symboles de la gloire militaire russe, le fait de répandre des informations qui manquent de respect envers les jours fériés liés à la défense du pays, ou le fait de diffuser consciemment des fausses informations sur les activités de l’URSS pendant la Seconde Guerre mondiale ». Un arsenal législatif qui a été notamment utilisé pour condamner des internautes qui s’émouvaient des interventions militaires russes en Syrie ou en Crimée.

Soldats russes en répétition avant le défilé militaire prévu le 9 mai 2022 sur la place Rouge à Moscou (photo © Maxim Shipenkof / EPA-EFE / Ouest France)

La guerre de conquête et d’annexion que mène actuellement la Russie en Ukraine s’inscrit assez clairement dans cette volonté expansionniste que Catherine II elle-même avait exprimée dès la fin du XVIIIe siècle, déclarant alors « je n’ai d’autres moyens de défendre mes frontières que de les étendre ». Une analyse qui s’appuie sur une réalité géographique, faute de frontières naturelles à l’ancien Empire Russe, mais que ne renierait pas Vladimir Poutine, lui qui, en 2016, alors qu’il remettait des prix dans les locaux de la Société russe de géographie, reprenait un écolier qui énumérait avec brio les frontières actuelles du pays, le reprenait en ces termes : « Non, non les frontières de la Russie ne s’arrêtent nulle part ! ».

Etat actuel des relations frontalières de la Russie avec ses 14 voisins (source © Le Monde)

De fait, une infographie publiée récemment dans Le Monde et analysée notamment sur France Culture, met en évidence que sur les 20 000 km de frontières de la Russie actuelle, avec pas moins de 14 pays, une bonne partie fait l’objet de relations tendues. Seules la Chine, la Corée du Nord, l’Azerbaïdjan et la Biélorussie (par où les troupes russes ont pénétré en Ukraine) entretiennent de bonnes relations stratégiques avec leur voisin russe. A l’ouest en revanche, et sans même parler de l’Ukraine en guerre, la frontière est désormais totalement fermée avec les pays baltes mais aussi avec la Pologne et même avec la Finlande depuis que cette dernière a pris peur et cherche la protection de l’OTAN. Même la Géorgie, qui dispose pourtant depuis 2022 d’un gouvernement ouvertement prorusse, s’inquiète du bellicisme de son voisin qui a purement et simplement annexé les deux enclaves d’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Il ne fait pas bon vivre trop près de la tanière de l’ours russe quand il sort de sa torpeur…

L. V.

Un pigeon voyageur accusé d’espionnage…

6 février 2024

En ces temps troublés de tensions internationales et de conflits armés, les accusations d’espionnage ne sont pas à prendre à la légère. Un modeste pigeon voyageur vient d’en faire les frais. Capturé en mai 2023 à proximité des installations portuaires de Bombay, il avait été trouvé en possession d’un anneau à chaque patte, auquel était attaché un message écrit en chinois. Un comportement jugé éminemment suspect par les autorités indiennes, très chatouilleuses quant à la souveraineté de leur espace aérien national, et pas en très bons termes avec son voisin chinois avec qui les escarmouches ne sont pas rares. Le cas avait été jugé suffisamment sérieux par la police de Bombay pour qu’une enquête soit diligentée et le volatile placé en détention provisoire dans une clinique vétérinaire locale.

Incarcéré pendant 8 mois pour une accusation d’espionnage, les risques du métier de pigeon voyageur (source © Shutterstock / Peuple animal)

Après 8 mois d’enquête approfondie, il a néanmoins pu être établi que le pigeon en question participait en réalité à une compétition à Taïwan et qu’il s’était malencontreusement égaré sur le sol indien, comme l’a rapporté le Times of India. Même chez les sportifs de haut niveau, connus pour leur sens légendaire de l’orientation, une défaillance est toujours possible. Blanchi de toute accusation d’espionnage, le pigeon voyageur a donc été officiellement relâché par les autorités indiennes le 30 janvier 2024, au grand soulagement de l’association de défense des animaux Péta.

Le pigeon voyageur détenu depuis 8 mois pour accusation d’espionnage a enfin été relaxé et relâché, mardi 30 janvier 2024 (photo © Anshuman Poyrekar / AP / SIPA / 20 minutes)

Mais ce n’est pas la première fois qu’un pigeon se retrouve ainsi incarcéré dans les geôles indiennes pour un tel motif. En 2020 déjà, un pigeon voyageur appartenant à un pêcheur pakistanais avait été capturé par la police du Cachemire sous contrôle indien après avoir illégalement traversé la frontière fortement militarisée qui sépare les deux pays. Lui aussi avait pu être blanchi après enquête qui avait révélé que les inscriptions éminemment suspectes portées sur le message qui lui était attaché étaient en réalité le numéro de téléphone de son propriétaire, pour le cas où l’animal perdrait son chemin. Une sage précaution mais il faut dire que la police indienne est sur les dents et fait preuve d’une extrême méfiance envers les pigeons voyageurs.

Déjà en octobre 2016, la police des frontières indienne avait attrapé et incarcéré plusieurs volatiles de ce type dans la région de Pathankot, au Penjab. L’un d’eux portait accroché à la patte un message clairement menaçant, rédigé en ourdou et adressé au Premier Ministre : « Modi, nous ne sommes plus les mêmes qu’en 1971. Désormais, chaque enfant est prêt à combattre l’Inde ». Une allusion transparente au dernier conflit armé en date entre l’Inde et le Pakistan, qui avait abouti à la sécession du Bangladesh. Considéré comme un dangereux terroriste djihadiste, le pauvre volatile avait immédiatement placé sous les barreaux, de même qu’un autre de ses congénères dont les ailes portaient des inscriptions en ourdou. Chacune des plumes de ce dernier avait été passée aux rayons X par la police scientifique indienne et le suspect enfermé dans une cage surveillée par trois agents selon Le Monde qui rapportait l’incident, mais il semble finalement que le pigeon ait pu être relâché à l’issue de ces investigations.

De telles suspicions paraissent quelques peu démesurées mais les autorités indiennes rappellent à qui veut l’entendre que les pigeons voyageurs, placés entre les mains de terroristes déterminés, constituent une arme redoutable et que les Moghols, qui régnèrent sur une partie du sous-continent indien jusqu’au milieu du XIXe siècle, avaient experts dans l’art de dresser ces oiseaux. Ce n’était d’ailleurs pas les premiers puisque les pigeons voyageurs étaient déjà utilisés par les navigateurs égyptiens, 3000 ans avant notre ère, pour avertir de leur arrivée prochaine au port. Les Grecs en étaient également très friands et les employaient pour communiquer les résultats des Jeux Olympiques, bien avant que les médias internationaux ne se disputent leurs droits de diffusion mondiale.

Lâcher de pigeons (photo © Le Républicain Lorrain)

Les pigeons voyageurs possèdent de fait un sens de l’orientation aiguisé, lié peut-être à la présence de minuscules cristaux de magnétite dans leur cerveau qui leur permettraient de se guider sur le champ magnétique terrestre pour retrouver à coup sûr (ou presque) le chemin de leur colombier. Capables de parcourir rapidement des distances considérables, jusqu’à 1 200 km en 16 heures, avec des pointes à 120 km/h par vent favorable, certains sont restés célèbres pour leurs exploits comme celui qui a parcouru 11 590 km en 24 heures entre Saïgon et le nord de la France. Tout repose sur le fait que quelque soit l’endroit où on les lâche, leur principale préoccupation est de revenir au plus vite au bercail, auquel ils sont particulièrement attachés. Les mâles sont mus, paraît-il par le désir de retrouver leur conjointe et les femelles plutôt par celui de retrouver leurs petits, chacun ses motivations…

Un pigeon équipé avec ses bagues et les numéros de téléphone de contact (photo © Bernard Moiroud / Le Progrès)

Un pigeon peut ainsi aisément transmettre un message, attaché à sa patte, mais aussi un mini appareil de prise de vue, ce qui en fait des auxiliaires précieux pour aller discrètement survoler les lignes ennemies et rapporter quelques clichés stratégiques. Le limite du système est que le voyage ne fonctionne que dans un sens, toujours vers le colombier d’origine, ce qui suppose au préalable de transporter les précieux auxiliaires vers le point de départ des messages, et de ne pas l’y laisser trop longtemps de peur qu’il ne finisse par s’habituer à sa nouvelle demeure ! Les pigeons voyageurs ont ainsi servi à plusieurs reprises pour expédier des messages depuis les villes assiégées, depuis celle de Modène en 43 avant J.-C. jusqu’à celle de Paris en 1870.

Soldats lâchant des pigeons voyageurs munis de messages pendant la Première guerre mondiale (source © Rue des archives / PVDE / 1 jour 1 actu)

Pendant la Première guerre mondiale, l’armée française utilisa ainsi plus de 30 000 pigeons voyageurs pour assurer le service de messagerie aérienne en cas de défaillance (fréquente) des lignes téléphoniques. L’un d’entre eux fut même cité à l’Ordre de la Nation pour avoir vaillamment transporté l’ultime message du commandant Raynal, défenseur du Fort de Vaux à Douaumont en juin 1916. Pendant la Seconde guerre mondiale, ce sont pas moins de 16 500 pigeons qui sont parachutés sur le sol français par les alliés britanniques pour faciliter les transmissions avec la Résistance. L’armée française continue d’ailleurs d’entretenir une petite escouade de pigeons voyageurs au colombier militaire du Mont Valérien et il se murmure que la Chine entretient des dizaines de milliers de pigeons solidement entraînés pour assurer ses transmissions militaires en cas de défaillance technique : on n’est jamais trop prudent…

L. V.

Martine Vassal s’attaque à un mur…

9 octobre 2023

La présidente de la Métropole Aix-Marseille-Provence, en tee-shirt et les cheveux en bataille, s’attaquant devant les caméras à un mur en briques à grands coups de masse vengeurs, voilà une image qui interroge.

Martine Vassal s’attaquant à grands coups de masse à un mur en polystyrène lors de l’inauguration du tunnel Schloesing, le 3 octobre 2023 (source © Made in Marseille)

Un peu d’abord sur le degré de réflexion de ses conseillers en communication qui ont imaginé un tel scénario, d’autant plus déroutant que le mur en question, bâti en polystyrène et peint de fausses briques, s’est révélé nettement plus résistant que prévu, obligeant la présidente de la Métropole à s’y reprendre à plusieurs fois avant d’arriver à percer enfin la muraille. Il a fallu qu’elle y mette toute sa force et une hargne décuplée par l’échec de ses premiers coups pour arriver enfin à bout de ce décor clinquant, s’arrêtant à bout de souffle dès l’apparition d’un minuscule trou de souris dans lequel les automobilistes marseillais auraient bien du mal à s’engouffrer.

Les exploits de Martine Vassal, marteau de Thor en main, déversant toute sa hargne contre ce mur en briques qui empêche encore les automobilistes marseillais de verser leur obole aux Dieux de la Finance, Eiffage et Vinci (source © La Provence / You Tube)

La scène a beaucoup amusé sur les réseaux sociaux où certains y ont vu le symbole de la Métropole s’attaquant sans vergogne et avec une rage redoublée aux transports publics. Il faut dire que cette inauguration d’un nouvel aspirateur à voitures coïncide avec l’annonce de la fermeture pendant 2 ans des lignes de métro à 21h30, ce qui ne manque pas d’interroger sur le sens des priorités de la Métropole qui se gargarise en permanence de développer les modes doux de déplacement mais qui dépense en réalité l’essentiel de son énergie à développer des autoroutes urbaines plutôt que des pistes cyclables et des transports en commun.

Les deux lignes de métro marseillaise fermées à 21h30 en semaine à partir du 23 octobre 2023, une décision unilatérale de la Métropole qui passe mal… (photo © Nicolas Vallauri / MaxPPP / La Provence / Le Monde)

La mise en scène d’une responsable politique s’attaquant à grands coups de masse à une infrastructure publique n’était probablement pas du meilleur goût à quelques mois des plus terribles émeutes urbaines que la France ait connues depuis longtemps. Entre le 27 juin et le 5 juillet 2023, ce sont pas moins de 12 000 voitures qui ont été incendiées sur la voie publique et plus de 2500 bâtiments qui ont été détruits ou endommagés dont 168 écoles et 105 mairies mais aussi des magasins, des bibliothèques et même des commissariats. Promouvoir ainsi, quelques semaines plus tard ces gestes d’une responsable politique défonçant un mur à grands coups de masse n’était donc peut-être pas des plus appropriés…

D’autant que la scène ne grandit pas la présidente de notre Métropole, chacun ne pouvant s’empêcher de penser, en voyant son marteau démesuré, à la gigantesque masse qui ne quitte jamais Cétautomatix, le personnage des Aventures d’Astérix le Gaulois, d’autant que tout dans l’accoutrement choisi ce jour-là par Martine Vassal, des larges braies jusqu’à la ceinture ventrale et même les chaussures, a un petit quelque chose du forgeron gaulois. A moins que la référence ne soit plutôt celle de son épouse qui sait parfois aussi se montrer hargneuse lorsqu’il s’agit de frapper ?

Cétautomatix, le forgeron du village d’Astérix, avec son énorme masse, et son épouse qui sait aussi se montrer hargneuse (source © Editions Albert & René)

Toujours est-il que cette séquence, qui a beaucoup fait rire sur le coup, vient clôturer un dossier qui a vu s’opposer deux visions stratégiques quant à la place de la voiture en ville. Cette nouvelle bretelle de 485 m de longueur, qui traverse en tranchée le parc du XXVIe centenaire et que vient d’inaugurer à grands fracas la présidente de la Métropole fait en effet partie de ces projets que l’actuelle municipalité de Marseille a toujours combattus. Les élus de la Ville n’étaient d’ailleurs pas présents lors de cette inauguration pour admirer le joli coup de marteau de Martine Vassal, l’adjointe au maire en charge de la mobilité, Audrey Gatian, se contentant de ce commentaire : « c’est malheureusement un coup parti qui pour nous ne correspond pas à la ville d’aujourd’hui ni de demain ».

Construction en cours de la tranchée couverte de la future bretelle Scloesing au travers du parc du XXVIe centenaire, ici en mars 2023 (photo © Jérôme Cabanel / Vinci construction)

Bien sûr, cela n’empêchera pas les automobilistes marseillais de s’engouffrer, à partir du samedi 7 octobre dans cette nouvelle voie qui part du boulevard Schloesing puis longe l’avenue Jules Cantini dans le parc du XXVIe centenaire avant de rejoindre, via un tronçon de 360 m du tunnel Prado sud, soit l’autoroute A50 vers Aubagne, soit le tunnel Prado Carénage pour traverser la ville vers le nord. Ce nouvel aménagement était de fait justifié par la démolition des passerelles qui permettaient jusque-là aux voitures de traverser au-dessus de la place du général Ferrié, surplombant les boulevards Rabatau et Schloesing. Ces passerelles empêchaient en effet le passage du tramway T3 en cours de prolongation depuis la place Castellane vers le pôle d’échange Sainte-Marguerite Dromel.

Démontage de la passerelle au-dessus de la place du général Ferrié (source © Tunnel Prado Schloesing)

Il n’en demeure pas moins que ce projet est surtout une excellente affaire pour les deux entreprises de BTP Eiffage et Vinci qui se partagent la majeure partie des bénéfices juteux de la Société marseillaise du tunnel Prado-Carénage (SMTPC), mis en service en 1993. Pour l’année 2022, ces bénéfices se sont ainsi élevés à près de 13 millions d’euros dont 11 millions versés directement dans la poche des heureux actionnaires, le reste servant à grossir encore un report à nouveau colossal de 33,5 millions d’euros ! Une véritable poule aux œufs d’or que cette concession qui devait cependant être remise en concurrence à partir de 2025. Le but véritable de ce projet de nouvelle bretelle Schloesing était donc de permettre, moyennant quelques menus travaux de BTP, dont c’est justement la spécialité d’Eiffage et Vinci, de prolonger de quelques années la concession source de revenus confortables, et ceci tout en récupérant au passage la concession de la partie nord du tunnel Prado sud, déjà en réalité détenue par Eiffage et Vinci mais via une autre société…

Chantier de construction de la tranchée couverte de la future bretelle Schloesing au travers du parc du XXVIe centenaire, ici en mai 2023 (source © Tunnel Prado Schloesing)

Le projet, initié en 2016, prévoyait, pour un coût de travaux estimé à 47 M€, une rallonge de 11 ans de la concession, ce qui avait quelque peu interrogé les services de l’État, car le cadeau de la collectivité aux entreprises de BTP était quand même un peu excessif. Le Préfet avait donc demandé de limiter à 7 ans et 4 mois le report de la concession, ce qui reste très généreux. La Commission européenne ayant donné son blanc-seing à l’opération le 21 novembre 2019, les travaux ont démarré en mai 2020 et la SMTC se réjouit aujourd’hui de cette excellente opération, ses dirigeants affichant un grand sourire tandis que Martine Vassal s’acharnait à grands coups de masse contre ce mur de résistance qui avait quelque peu retardé l’opération…

L. V.

Tickets de caisse : de qui se moque-t-on ?

7 août 2023

La mesure avait été décidée un peu en catimini dans le cadre de l’adoption de la loi du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, qui prévoyait dans son article 49 qu’à compter du 1er janvier 2023, l’impression systématique des tickets de caisse mais aussi des reçus de carte bancaire et des tickets d’automate serait supprimée. Un décret publié le 31 mars 2023 a reporté l’entrée en vigueur de cette mesure au 1er août 2023, mais voilà donc qui est fait : depuis quelques jours déjà, le consommateur qui fait ses courses ou qui procède à un paiement sur un automate voire à une opération bancaire sur distributeur automatique de billets, n’a plus aucune preuve écrite lui permettant d’en conserver trace et donc de la contester en cas d’erreur matérielle toujours possible, sauf à exiger expressément son reçu.

Les tickets de caisse, bientôt un lointain souvenir… (photo © SIPA / Le Progrès)

Bien entendu, la démarche est justifiée par de louables intentions tant sanitaires qu’environnementales. Comme le précisent les attendus de la loi, cette dématérialisation va dans le sens de l’Histoire et ne fait qu’emboîter le pas à ce que font la plupart de nos voisins européens, rappelant que l’on imprime en France chaque année 30 milliards de tickets de caisse et de facturettes qui finissent toutes à la poubelle alors même que certains de ces documents contiennent, quelle horreur !, des substances nocives dont du bisphénol A qui est un perturbateur endocrinien.

Supprimer ces tickets va donc dans le sens de la modernisation de notre société, permet de faire des économies, allège notre empreinte carbone et est même une véritable mesure de santé publique. A se demander même qui a eu cette idée folle un jour d’inventer les tickets de caisse, véritable fléau des temps modernes ?

Un dessin signé Chaunu publié dans Ouest France le 1er août 2023

On notera au passage que l’identification des dangers sanitaires du bisphénol A ne date pas d’hier et que l’utilisation de ce produit est interdite en France depuis 2010 dans les biberons et depuis 2015 dans les récipients à usage alimentaire. Classé comme « substance extrêmement préoccupante » par le règlement européen REACh en 2016, la Commission européenne en a définitivement interdit l’usage dans les papiers thermiques, destinés justement à l’impression des tickets de caisse, et ceci depuis le 2 janvier 2020. L’argument selon lequel ces bouts de papier seraient dangereux pour la santé humaine au prétexte qu’ils pourraient contenir une substance illicite est donc quelque peu fallacieux, sauf à imaginer que l’État français ne se donne pas les moyens de faire appliquer les réglementations européennes en vigueur…

Quant à l’impact environnemental de ces tickets de caisse, il mérite, lui aussi, d’être quelque peu proportionné. Le papier est en effet, avec le verre, la substance qui se recycle le plus facilement. Sa fabrication elle-même, pour peu que l’on se préoccupe un minimum d’en adapter les procédés techniques, se fait pour l’essentiel à partir de matière première renouvelable (le bois) ou recyclée (vieux papiers et chiffons). Rien ne prouve donc a priori, que le bilan carbone d’un reçu de carte bancaire soit plus élevé lorsque ce reçu est imprimé sur un petit bout de papier que lorsqu’il est envoyé de manière numérique et stocké sur un serveur. Le contraire est même le plus probable…

Une mesure écologique, vraiment ? Un dessin signé Soph’, publié dans l’Est Républicain

A qui donc profite une telle décision, puisque les arguments mis en avant sont de toute évidence des plus fallacieux ? Aux commerçants et aux banquiers, bien évidemment, qui, non seulement économisent ainsi l’approvisionnement en rouleaux de papier et en toner, voire en imprimantes, mais surtout s’évitent bien bien des discussions avec les clients habitués à vérifier sur leur ticket de caisse si le prix promotionnel si alléchant a bien été pris en compte lors du passage en caisse…

Il faudra désormais être particulièrement vigilant et vérifier en temps réel si le prix scanné par la caissière et brièvement affiché sur l’écran digital est bien le bon : une porte ouverte à toutes les « erreurs » possibles, surtout en grande surface où les distributeurs se sont fait une spécialité d’oublier d’appliquer les promotions pourtant affichées de manière ostentatoire pour attirer le chaland.

Même les oiseaux s’inquiètent… (source © Birds dessinés)

Car la loi est claire : le commerçant n’a aucune obligation de justifier désormais le détail de la transaction. Il peut le faire de manière dématérialisée, par envoi de SMS ou par courriel via un compte fidélité du client ou via l’application bancaire de ce dernier, sous réserve que celui-ci lui ait donné son accord, dans le strict respect des règles de protection des données individuelles. Mais rien ne l’y oblige, sauf à ce que le client en question le demande, ou exige d’obtenir son ticket de caisse (du moins pour l’instant, le temps que tous les commerçant finissent d’user leurs imprimantes encore fonctionnelles). Le commerçant n’a même pas l’obligation de le proposer aux clients, sinon par une simple affichette plus ou moins discrète : si l’on veut malgré tout son ticket de caisse, c’est au consommateur de le réclamer !

Les personnes âgées, parfois éloignées des outils numériques, et celles à faibles ressources, dont le budget familial doit être ajusté à l’euro près, pour espérer tenir jusqu’à la fin du mois, seront bien évidemment les premières victimes de cette nouvelle offrande que le gouvernement fait au secteur bancaire et à celui de la grande distribution.

Une mesure qui ne va pas faciliter la vie des personnes aux revenus modestes : un dessin signé Dawid, publié dans La Nouvelle République

Il y avait pourtant nettement plus urgent et plus efficace comme mesure à prendre si l’objectif était véritablement de se préoccuper de l’état de notre environnement et de la santé publique. Plutôt que de supprimer les tickets de caisse et les reçus bancaires, le vrai enjeu est bien de réduire de manière significative les emballages plastiques qui continuent d’englober la majeure partie de ce qui est vendu en grande surface et qui viennent encombrer nos poubelles jaunes ou sont emportées par le vent jusque dans la mer où ils rendent nos écosystèmes durablement invivables pour la faune résiduelle.

Rappelons au passage que seule une toute petite partie de nos déchets plastiques est actuellement recyclable, grosso modo celui qui sert à fabriquer les flacons et les bouteilles. Certaines collectivités, dont la Métropole Aix-Marseille-Provence, acceptent de récupérer tous les emballages plastiques dans les poubelles jaunes, par souci de facilité, mais l’essentiel de cette collecte finit dans l’incinérateur ou enfoui en décharge ! L’objectif est officiellement de recycler 100 % de nos déchets plastiques d’ici 2025 (demain donc…) mais on en est très loin avec un taux qui ne dépasse pas 26 % des déchets plastiques récoltés, selon les chiffres (optimistes) de PAPREC.

Les emballages alimentaires en plastique : le vrai fléau à combattre ! (source © Zero waste)

L’urgence serait donc d’inciter (enfin) la grande distribution et les industriels de l’agro-alimentaire de développer des emballages sans plastique, de quoi relancer une filière industrielle innovante avec même des capacités d’exportation à la clé : un programme autrement plus ambitieux que cette idée parfaitement stupide de supprimer les tickets de caisse au motif que cela fait plus moderne et que certains de nos voisins européens l’ont fait avant nous !

L. V.

Les géants du pétrole redressent la tête

24 juillet 2023

En 2020, au plus fort du confinement mondial lié à la pandémie de Covid 19, le prix des hydrocarbures était en pleine dégringolade, suite au brusque ralentissement de l’activité économique planétaire. A cette période pas si lointaine, il y a 3 ans seulement, les compagnies pétrolières elles-mêmes juraient, la main sur le cœur, que la transition énergétique était en marche, que la période faste du recours massif aux hydrocarbures fossiles était passée et que leur priorité était désormais de développer les énergies renouvelables.

Après la période Covid, la hausse des prix du pétrole, une manne pour les pays producteurs… un dessin de Dilem pour le journal Liberté, publié le 20 mai 2020 (source © Gagdz)

Le nouveau patron de BP l’affirmait sans ambages : « Le budget carbone du monde s’épuise rapidement ; nous avons besoin d’une transition rapide vers la neutralité », tandis que le français Total décidait en 2021 de changer de raison sociale et de s’appeler désormais TotalEnergies, pour bien montrer son ambition de diversification ou du moins de le faire croire à ses clients, à l’instar d’ailleurs de ses 2 concurrents européens Shell et ENI, qui promettent de leur côté d’atteindre la neutralité carbone dès 2050.

Fin 2020, le géant américain ExxonMobil se faisait carrément éjecter du Dow Jones après une spectaculaire dépréciation de sa valeur boursière et devait tailler dans ses investissements en matière d’exploration pétrolière. A l’époque, chacun lorgnait sur l’exemple du danois Orsted qui avait abandonné dès 2018 le marché du pétrole pour se consacrer exclusivement aux énergies renouvelables et qui a vu le prix de ses actions bondir de 60 % en 2020 !

Des supertankers pour transporter toujours plus de pétrole de par le monde (photo © G. Traschuetz / Pixabay / Futura Sciences)

Et puis la guerre en Ukraine est arrivée, début 2022, dans un contexte de redémarrage de l’activité économique. Les exportations massives de pétrole et de gaz russe qui inondaient l’Europe notamment, se sont progressivement réduites. Du coup, le cours des hydrocarbures s’est remis à flamber, et avec lui les bénéfices des compagnies pétrolières. En 2022, les cinq majors (ExxonMobil, Chevron, Shell, TotalEnergies et BP) ont enregistré un bénéfice net record de 151 milliards de dollars, et même de plus de 200 milliards si l’on en déduit les pertes conjoncturelles liées au retrait forcé du marché russe !

Les compagnies pétrolières ont profité de la conjoncture pour s’en mettre plein les poches : un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

En mars 2022, le baril de Brent frôlait le prix record de 140 dollars, près de 3 fois plus qu’en 2020, tandis que le gaz se négociait à l’été 2022 en Europe à 350 € le MWh, plus de 15 fois son tarif habituel… Du coup, TotalEnergies annonçait pour l’exercice 2022 un bénéfice record de 20,5 milliards de dollars, de quoi redonner un large sourire à ses actionnaires, grassement rémunérés. Et la période faste s’est poursuivie en 2023, ExxonMobile et Chevron, les deux géants américains, annonçant fin avril des bénéfices trimestriels très supérieurs à leurs prévisions, grâce notamment à une forte augmentation de l’extraction de pétrole et de gaz ! Quant à TotalEnergies, la compagnie annonçait à son tour un bénéfice record de 5,6 milliards de dollars pour le premier trimestre 2023, en hausse de 12 % par rapport à 2022.

Dans ce contexte d’euphorie généralisée, les compagnies pétrolières ont totalement oublié leurs belles promesses d’il y a 3 ans ! Mi-juin 2023, le nouveau patron de Shell, Wael Sawan, a ainsi annoncé sans vergogne qu’il n’avait plus la moindre intention de tenir ses engagements en matière de transition énergétique et que son objectif était désormais de concurrencer ExxonMobil dans sa course à l’exploitation massive d’hydrocarbures.

L’exploitation pétrolière en plein boom : oublié la lutte contre le réchauffement climatique… (source © Midi Libre)

De son côté, la firme BP a annoncé dès février 2023 qu’elle renonçait carrément à son objectif initial de neutralité carbone, préférant engranger des profits, et tant pis si l’humanité doit y passer, sous l’effet du changement climatique global qui s’accélère de jour en jour… Même TotalEnergies a annoncé la couleur lors de l’assemblée générale de ses actionnaires en mai 2023, confirmant qu’il n’était pas question de réduire la voilure en matière d’exploitation pétrolière et gazière alors même que la demande mondiale explose ! Une prise de position qui a valu à son PDG de voir son salaire augmenté de 10 % et d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur lors de la promotion du 14 juillet : félicitations !

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, ici en 2021 avec Emmanuel Macron, élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur : un petit geste pour la planète ? (photo © Ludovic Marin / AFP / La Voix du Nord)

Les dernières projections de l’Agence internationale de l’énergie estiment en effet que la demande mondiale de pétrole n’a jamais été aussi haute et devrait atteindre pour l’année 2023 un record historique évalué à 102,3 millions de barils par jour en moyenne annuelle, supérieure donc au précédent record qui datait de 2019, avant la crise du Covid, à une période où un consensus était en train d’émerger (difficilement) pour tenter de s’orienter vers une baisse globale du recours aux énergies fossiles pour tenter de se rapprocher des objectifs de la COP 21.

Quand l’offre peine à satisfaire la demande, c’est le jackpot pour les compagnies pétrolières : un dessin signé Delize (source © Atlantico)

Toutes ces belles intentions semblent désormais complètement oubliées. Les États-Unis notamment ont retrouvé dès 2022 leur niveau record de production de pétrole brut établi en 2019 et espèrent bien le dépasser en 2023, et plus encore en 2024. La reprise du trafic aérien après la période de confinement a fait repartir à la hausse la demande mondiale de kérosène qui n’a jamais été aussi élevée, sous l’effet d’une reprise économique. La planète peut bien se réchauffer à grande vitesse, il n’est plus du tout d’actualité que les compagnies pétrolières et gazières mondiales fassent le moindre effort pour freiner leur exploitation : advienne que pourra !

L. V.

Forage pétrolier : la Chine s’enfonce…

20 juillet 2023

Alors que le réchauffement climatique mondial est d’ores et déjà irréversible et que nos émissions qui en sont la cause ne sont pas près de diminuer malgré maints engagements, rarement suivis d’effets, la Chine est sans conteste le champion mondial en matière de pollution de notre environnement. Elle produit à elle seule un quart des émissions de gaz à effet de serre de la planète ! Rien d’étonnant à cela vu son nombre d’habitants, bien que dépassé depuis peu par l’Inde, et surtout parce que la Chine s’est imposée comme le principal producteur de tout ce que nous consommons quotidiennement et que nous faisons venir par porte-containers géants à travers les océans…

Le président chinois Xi Jinping intervenant lors de la 75e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, en septembre 2020 (photo © Eskinder Debebe / ONU)

Certes, en septembre 2020, le président chinois Xi Jinping en personne avait annoncé solennellement devant l’Assemblée générale de l’ONU que son pays avait pour objectif de de « commencer à faire baisser les émissions de CO2 avant 2030 » puis d’atteindre « la neutralité carbone d’ici 2060 », mais sans se hasarder à donner le moindre détail quant à la voie pour y parvenir.

Centrale solaire à concentration, la plus grande d’Asie, achevée en Chine, à Dunhuang, en décembre 2018, dans le désert de Gobi, pour une puissance installée de 100 MWc (photo © Stringer / Imagechina / Sciences et Avenir)

Certes, la Chine s’est depuis quelques années imposée comme un pays particulièrement dynamique en matière de développement des énergies renouvelables. Ainsi, les Chinois possèdent depuis 2010 le premier parc éolien mondial en termes de puissance installée, regroupant 47 % du parc éolien terrestre mondial et 57 % du parc maritime. En 2021, la Chine a produit plus de 35 % de toute l’électricité mondiale d’origine éolienne et est considérée depuis plus de 10 ans comme le premier producteur mondial d’éoliennes. Quant au solaire, la Chine peut s’enorgueillir de produire à elle seule 73 % de l’eau chaude solaire mondiale et 32 % de l’électricité d’origine photovoltaïque, avec une puissance installée représentant en 2022 44 % du parc mondial, très loin devant les autres pays !

Usine de traitement du charbon à Hejin (province du Shanxi) en novembre 2019 (photo © AP / TV5 monde)

Et pourtant, la Chine reste très dépendante des énergies fossiles et notamment du charbon dont la consommation annuelle a été multipliée par 4 entre 1990 et 2015 ! Premier producteur mondial de charbon en 2020, la Chine en retire encore 70 % de sa consommation énergétique… Quant au pétrole, la Chine en produit également mais est devenue importateur net depuis 1993 avec des besoins croissants, les hydrocarbures représentant 25 % de sa consommation en énergie primaire. Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Chine a ainsi quasiment doublé ses importations de pétrole russe et est désormais considéré comme le premier importateur mondial avec près de 13 millions de barils par jour en 2021 alors que la production nationale était estimée en 2016 à environ 4 millions de barils par jour.

Forage d’exploration pétrolière dans le champ de Changqing en Mongolie intérieur (bassin d’Ordos), où a été découverte la principale réserve chinoise de pétrole de schiste (photo © CNPC / People Daily)

Le rapport annuel 2022 sur les ressources minérales de la Chine fait état de réserves pétrolières connues évaluées à 3,7 milliards de tonnes de pétrole et 6 340 milliards de m3 de gaz naturel, les sites pétroliers les plus prometteurs étant les bassins d’Ordos, de Junggar, du Sichuan, de la baie de Bohai et du Tarim. Ce dernier, situé à l’extrémité nord-ouest du pays, dans la région autonome Ouïgour du Xinjiang, correspond au plus vaste bassin endoréique du monde, celui du fleuve Tarim, alimenté par les glaciers du Pamir qui culmine à plus de 7000 m d’altitude et s’étend surtout au Tadjikistan voisin, les eaux du Tarim se perdant ensuite dans l’immensité désertique du Taklamakan.

Vue générale de la plateforme de forage, en plein désert (source © capture d’écran New China TV / Xinhua news)

Le 30 mai 2023, la société chinoise China Petroleum & Chemical Corporation (groupe Sinopec) a annoncé y avoir débuté le forage d’un nouveau puits dénommé Deep Earth 1-Yuejin 3-3XC, dans le comté de Shaya, à la lisière du vaste désert du Taklamakan. Réalisée par la société chinoise Sinopec Oilfield Service Corporation, cette opération de forage est particulièrement complexe et fait appel à une expertise technologique très sophistiquée. Une plateforme de forage gigantesque a été aménagée en pleine zone désertique, équipée d’un derrick monumental pesant plus de 2000 tonnes avec des installations de forage ultra-puissantes et des systèmes d’enregistrement en continu des paramètres de forages, capables de résister aux températures et aux pressions élevées régnant en profondeur.

L’opération, largement médiatisée, vise à atteindre la profondeur impressionnante de 9 472 m dont probablement plus de 3000 m en forage horizontal dirigé, ce qui nécessite des techniques de guidage particulièrement complexes. Cela devrait en faire le forage pétrolier le plus profond d’Asie, même si cela reste en-deçà du record atteint par les Russes sur la presqu’île de Kola à plus de 12 000 m de profondeur. Il avait cependant fallu près de 20 ans aux Russes pour atteindre difficilement un tel niveau et ils avaient finalement jeté l’éponge face aux difficultés techniques (et financières) rencontrées. Les Chinois eux espèrent achever leur forage en 457 jours seulement !

Plateforme de forage du puits avec son derrick monumental (source © Xinhua news)

La Chine a choisi de communiquer largement sur cette opération de forage, laissant entendre qu’il s’agit d’une expérimentation scientifique exceptionnelle qui permettra de mieux comprendre la constitution de la croûte terrestre. Mais il s’agit en réalité simplement d’étaler au monde entier la capacité technique remarquable de ses équipes dans ce qui n’est qu’un forage d’exploration pétrolière dans ce champ pétrolier du Shunbei, en bordure du bassin du Tarim, où Sinopec avait annoncé en août 2022 avoir déjà découvert des réserves pétrolières estimées à 1,7 milliard de tonnes de brut, à une profondeur moyenne de plus de 7 000 m. Une quinzaine de puits serait d’ailleurs déjà en production et cette même société annonce désormais y avoir déjà foré pas moins de 49 puits à plus de 8000 m de profondeur.

Ultimes réglages avant de débuter le forage… (source © Xinhua news)

Le lancement de ce nouveau forage est donc un message supplémentaire pour prouver au monde que la Chine détient des réserves pétrolières importantes, qui plus est en territoire ouïgour où sa politique colonisatrice assez brutale fait l’objet de nombreuses protestations occidentales, et qu’elle maîtrise parfaitement les technologies les plus complexes pour en assurer l’exploration et la mise en exploitation malgré les conditions extrêmes : fermez le ban !

L. V.

Sainte-Victoire : la chasse aux œufs… de dinosaures

5 juillet 2023

A Pâques, la traditionnelle chasse aux œufs était cette année organisée par le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône sur son site de Roques-Hautes, un vaste domaine départemental qui s’étend sur 800 hectares au pied de la montagne Sainte-Victoire, sur les communes d’Aix-en-Provence, de Beaurecueil, du Tholonet, de Saint-Antonin-sur-Bayon et de Saint-Marc Jaumegarde. Une chasse aux œufs en chocolats tout ce qu’il y a de plus classique pour amuser les plus petits, sauf que les œufs en question font référence aux œufs de dinosaures qui sont légions dans le secteur, au points que nombre de paléontologues anglophones ont surnommé le coin « Eggs en Provence »…

Affiche ludique du Conseil départemental pour la chasse aux œufs de Pâques (source © CD 13)

C’est en 1869 que le géologue Philippe Matheron a découvert et décrit les premiers restes fossilisés de dinosaures de Provence, découverts près de l’étang de Berre, tandis qu’Albert de Lapparent publiait en 1947 une première synthèse sur les dinosaures du sud de la France à partir de ses fouilles réalisées en 1939 sur le site varois de Fox-Amphoux. Dès 1935, des premiers œufs fossilisés de dinosaures sont découverts par Maurice Dérognat près de la Sainte-Victoire et c’est en 1952 que le conservateur du Musée d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence, Raymond Dughi, et son adjoint, François Sirugue, font état de leurs propres observations, sur le site dit de Roques-Hautes, à Beaurecueil.

Œufs de dinosaures de la Sainte-Victoire (source © Grand site Sainte-Victoire)

Bien d’autres ont été exhumés depuis, dans toute la vallée de l’Arc, de Trets jusqu’à l’étang de Berre, mais ce site de Roques-Hautes est l’un des mieux conservés car entièrement préservé de l’urbanisation. Une réserve naturelle, fermée au public et s’étendant sur 140 ha, y a été créée en 1994, à la suite du dernier grand incendie qui avait presque entièrement ravagé le massif de la Sainte-Victoire fin août 1989, réduisant en cendre près de 5000 ha. C’est d’ailleurs en 1994 qu’a été exhumé, par Edgar Lorenz, un premier squelette complet de Rhabdodon priscum, exposé au musée d’Aix-en-Provence.

Squelette de Rhabdodon priscum (source © Futura sciences)

Les terrains dans lesquels ont été conservés ces œufs de dinosaures sont des argiles rougeâtres qui datent du Crétacé supérieur, il y a environ 74 millions d’années. A l’époque, tout ce secteur, parfois appelé bombement durancien, sépare le golfe méditerranéen au sud et la mer qui s’étend alors sur l’emplacement des Alpes actuelles. De nombreux cours d’eau le parcourent et les dépôts argileux dans lesquels on retrouve les œufs fossilisés correspondent aux berges de ces anciens cours d’eau : les œufs une fois éclos s’y échouaient et se remplissaient de sédiments, ce qui a permis leur conservation.

Le lit des cours d’eau de l’époque charriait des galets qui ont donné les grès actuels dans lesquels on retrouve désormais des ossements fossilisés, provenant principalement de deux espèces bien identifiées, les Rhabdodons, de gros herbivores pouvant atteindre 4 m de long pour 1,80 m de hauteur et peser jusqu’à 3 tonnes, ainsi que des Arcovenator, de redoutables carnassiers de près de 5 m de longueur. Les Rhabdodons affectaient les zones de lac (caractérisés par des dépôts de calcaires lacustres) au bord desquels ils venaient pondre leurs œufs dans les herbiers périphériques. A l’époque, la zone, située beaucoup plus au sud qu’actuellement, jouissait d’un climat chaud, quasi tropical, qui avait permis, durant le Crétacé moyen la formation de bauxite sur ces mêmes terrains.

Site du parc départemental de Roques-Hautes au pied de la Sainte-Victoire (source © MyProvence)

A la fin du Crétacé, sous l’influence de la plaque africaine qui remonte vers le nord, mouvement à l’origine de la formation des Pyrénées, tout le secteur se creuse d’une vaste ride, formant le synclinal de l’Arc, tandis que son flanc nord se plisse et qu’apparait un premier relief à l’emplacement approximatif de l’actuelle montagne Sainte-Victoire. Ces mouvements tectoniques intenses se poursuivent durant tout l’Éocène, au début de l’ère tertiaire, conduisant notamment à la formation de brèches qui ont d’ailleurs été exploitées comme calcaires marbriers. Puis, au cours de l’Oligocène, les mouvements tectoniques s’accentuent, en lien avec la formation de la chaîne alpine : le nouveau pli anticlinal qui s’est formé finit par se rompre et les terrains formant l’actuelle montagne Sainte-Victoire s’avancent vers le nord de près de 2 km sous forme d’un chevauchement sur les terrains sous-jacents.

Malgré cette complexité géologique, on retrouve donc, dans la réserve de Roques-Hautes, de très nombreux vestiges fossilisés datant de cette époque de la fin du Crétacé où Rhabdodons et Arcovenator abondaient. Les fouilles se sont multipliées depuis 2010 et voila donc que le Département a lancé, en collaboration avec le Musée d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence et le ministère de la Défense (propriétaire d’un vaste terrain très convoité par la réserve naturelle car d’une grande richesse paléontologique), des campagnes faisant appel aux bonnes volontés pour venir fouiller le sol à la recherche des morceaux de coquilles d’œufs fossilisés.

Campagne Brossons des œufs sur les flancs de la Sainte-Victoire (source © page Facebook Réserve naturelle de Sainte-Victoire)

Intitulées « Brossons des œufs », ces campagnes, dont La Provence a rendu compte récemment, permettent d’associer aux fouilles de nombreux amateurs passionnés, ce qui contribue aussi à éviter les risques de pillage du site. Chacun peut en effet s’investir pour venir gratter la terre, mais en s’inscrivant à l’avance, comme c’était le cas lors de la dernière journée organisée, le 26 juin 2023 et en étant encadré par une équipe de spécialiste, qui profite de cette main d’œuvre bénévole et enthousiaste tout en prodiguant des conseils pédagogiques pour éviter que cet engouement ne se traduise en un saccage désordonné de vestiges miraculeusement conservés au fil des millénaires : une belle démarche de rapprochement entre scientifiques généreux et citoyens engagés !

L. V.

Titan et les migrants : le choix des médias

29 juin 2023

L’affaire a fait beaucoup de bruit et toute l’actualité internationale a vibré à l’unisson autour de cet évènement dramatique qui a tenu en haleine la planète entière à partir du 18 juin 2023. Ce jour-là en effet, le petit sous-marin de poche, dénommé Titan, appartenant à la société américaine OceanGate, avait plongé avec 5 hommes à bord pour aller visiter l’épave du Titanic, ce paquebot britannique présumé insubmersible qui avait coulé lors de sa première traversée transatlantique le 15 avril 1912 après avoir malencontreusement heurté un iceberg et dont l’épave git désormais à 650 km au sud-est de Terre-Neuve, par 3 851 m de fond.

Le Titan amorçant sa plongée vers les abysses (source © OceanGate / Reuters / Le Temps)

La plongée du Titan, largement médiatisée, devait durer 7 heures. C’était la première de l’année 2023 mais d’autres avaient déjà eu lieu en 2021 et 2022. Construit en 2017, le Titan est un cylindre de 6,70 m de long, en oxyde de titane recouvert de fibres de carbone, actionné par 4 moteurs électrique mais à autonomie très limitée. Il nécessite l’usage d’un navire pour l’amener sur site et le récupérer. La plongée vers l’épave dure 2 heures et autant pour la remontée vers la surface, laissant quelques heures pour vadrouiller autour de l’épave que les passagers peuvent observer au travers d’un vaste hublot.

C’est d’ailleurs probablement le point faible de l’engin car le hublot en question n’est homologué que jusqu’à 1300 m de profondeur. Un ancien dirigeant de la société Oceangate, David Lochridge, avait d’ailleurs démissionné en 2018, inquiet pour la sécurité des passagers de l’appareil du fait de l’absence de vérification du comportement de ce hublot à une telle profondeur. Des incidents avaient déjà été signalés et le scénariste américain Mike Reiss, qui avait plongé en 2022 à bord du même sous-marin, confirmait le 19 juin à la BBC : « On perd presque toujours la communication et on se retrouve à la merci des éléments et ce genre de trucs ».

Plateforme de mise à l’eau du Titan, ici en 2018 lors des premiers essais de plongée (photo © MacKenzie Funk / New York Times)

Il faut dire que le submersible en question ne dispose pas de système de géolocalisation et que les communications avec la surface sont très sommaires. Le confort est spartiate, chacun étant simplement assis à même le plancher avec des réserves en oxygène limitées donnant une autonomie maximale de 96 heures. Les passagers, qui payent pourtant la bagatelle de 250 000 dollars pour avoir ce privilège d’observer de visu à travers le fameux hublot les vestiges rouillés du Titanic, sont donc amplement prévenus des dangers de l’opération et doivent signer, avant de monter à bord, une décharge confirmant qu’ils sont bien conscients que tout cela peut très mal tourner…

Le bastingage du Titanic vu depuis le hublot du Titan (sans Leonardo DiCaprio ni Kate Winslet) par près de 4 000 m de fond (source © OceanGate)

Cinq passagers étaient à bord du submersible lors de cette fameuse plongée du 18 juin 2023. Le pilote de l’engin était le fondateur et PDG d’OceanGate en personne, Stockton Rush, accompagné par le Français Paul-Henri Nargeolet, un ancien officier de marine ayant servi comme plongeur-démineur, puis devenu responsable à l’IFREMER des programmes de submersibles Cyana et Nautile. Il avait plongé dès 1987 à bord d’un Nautile vers l’épave du Titanic. Chasseur d’épaves invétéré et passionné du Titanic, il avait rejoint la société RMS Titanic Inc comme responsable des opérations sous-marines, ce qui lui avait permis en 1993 de remonter les premiers objets de l’épave. Depuis 2018, il était consultant pour l’entreprise Caladan Oceanic qui organise également des plongées vers l’épave du Titanic mais avec un sous-marin homologué pour descendre jusqu’à 11 000 m. A 77 ans, il était sans conteste l’un des meilleurs spécialistes de l’épave du Titanic.

Paul-Henry Nargeolet, l’ancien officier de marine passionné par l’épave du Titanic (photo © Vincent Michel / Ouest-France / MaxPPP / L’Indépendant)

De quoi attirer de riches passionnés désireux de dépenser leur fortune pour participer à une expédition touristique hors du commun avec frissons garantis, de quoi agrémenter en savoureuses anecdotes leurs prochains dîners d’affaires. Ainsi, le Britannique Hamish Harding, qui faisait partie du voyage, est le PDG d’Action Aviation, une société de courtage d’avions, basée à Dubaï, après avoir notamment développé le tourisme d’affaire vers l’Antarctique. Il avait déjà plongé au plus profond de la fosse des Mariannes, à 11 000 m, et avait participé à un vol spatial en 2022 à bord de la fusée New Shepard. L’autre businessman qui l’accompagnait, Shahzada Dawood, un Britannique d’origine pakistanaise, était le richissime vice-président du conglomérat pakistanais Engro Corporation qui fait dans les engrais et l’industrie chimique. Ce dernier avait même traîné dans l’aventure son jeune fils de 19 ans, Suleman, étudiant à Gmasgow.

Ce 18 juin 2023, le navire de surface Polar Prince, un brise-glace canadien, perd le contact avec le petit sous-marin Titan après 1h45 de plongée. A l’heure prévue pour la fin de mission, il ne remonte pas et un dispositif de recherche s’enclenche alors. Deux avions équipés de sonar sont engagés sur zone tandis qu’un troisième largue des bouées acoustiques pour tenter de capter des sons provenant du submersible. L’IFREMER mobilise de son côté son navire l’Atalante avec à son bord un robot capable de plonger à 6 000 m de profondeur. Toute la presse mondiale se mobilise et le monde entier est tenu en haleine par les moindres péripéties des recherches en cours. Les meilleurs spécialistes mondiaux se perdent en conjecture sur tous les plateaux télé pour supputer les chances de retrouver vivant l’équipage dont on sait qu’il ne dispose que de réserves limitées en oxygène.

Bref, personne sur Terre ne peut ignorer que quelque part dans l’Atlantique nord, des moyens colossaux sont déployés pour tenter de retrouver ces 5 touristes intrépides alors même que tout indique que leur sous-marin de poche s’est désintégré sous l’effet de la pression dans les premières heures de plongée. Une hypothèse qui sera d’ailleurs confirmée le 28 juin par un communiqué des garde-côtes américaines, précisant que le submersible a bien implosé et que ses restes ont été repêchés à 500 m de l’épave du Titanic.

Fragment de l’épave du Titan repêchée en mer et rapportée à Saint-Jean de Terre-Neuve au Canada, le 28 juin 2023 (photo © Paul Daly / The Canadian Press / AP / Le Monde)

Il n’en reste pas moins que cette opération a mobilisé pendant plusieurs jours des moyens importants et capté l’essentiel de l’attention médiatique, alors que bien d’autres événements au moins aussi dramatiques étaient quasiment passés sous silence.

C’est le cas notamment de la catastrophe qui est survenue quelques jours plus tôt, dans la nuit du 13 au 14 juin 2023, près des côtes grecques du Péloponnèse. Un bateau de pêche vétuste, contenant sans doute entre 400 et 750 migrants, fait naufrage alors que des navires des garde-côtes grecques l’avaient repéré et approché mais l’empêchaient d’accoster. Les passeurs égyptiens dont le capitaine du navire qui l’avait abandonné avant l’entrée dans les eaux profondes du Péloponnèse ont été arrêtés depuis. Mais le bilan est lourd avec pas moins de 82 corps sans vie qui ont été repêchés tandis que 104 rescapés, principalement égyptiens, syriens et pakistanais, ont pu être secourus, les autres étant à jamais disparus en mer.

Un dessin de Daniel Glez (source © Jeune Afrique)

Un drame malheureusement devenu banal dans cette Méditerranée que des milliers de jeunes venus du Sud tentent de traverser au péril de leur vie, attirés par l’Eldorado européen, et que les médias ont finalement bien vite éclipsé, au profit des aventures plus croustillantes du petit sous-marin Titan. Même Barak Obama s’est ému de cette distorsion dans le traitement de l’actualité et le médiateur de Radio-France a largement relayé les innombrables réactions d’auditeurs indignés par une vision aussi biaisée.

Il n’en reste pas moins que les médias ne font que répondre à la demande et savent pertinemment que la curiosité humaine sera davantage captée par le sort de 5 riches explorateurs intrépides perdus près de l’épave emblématique du Titanic que par celui de centaines de pauvres gens qui sombrent jour après jour dans les eaux de la Méditerranée en espérant fuir la misère : toutes les vies se valent, mais certaines valent quand même manifestement plus que d’autres…

L. V.

L’industrie pétrolière se camoufle en vert

1 juin 2023

C’est le secrétaire général des Nations Unies en personne, Antonio Guterres, qui l’a affirmé le 18 janvier 2023 à l’occasion du Forum économique de Davos, devant le gratin de l’économie planétaire : « Certains producteurs d’énergies fossiles étaient parfaitement conscients dans les années 1970 que leur produit phare allait faire brûler la planète. Mais comme l’industrie du tabac, ils ont fait peu de cas de leur propre science. Certains géants pétroliers ont colporté le grand mensonge (…) Les responsables doivent être poursuivis ». Une menace directe pour les grandes entreprises pétrolières et gazières, faisant référence aux condamnations judiciaires qui ont frappé les industriels de l’amiante ou du tabac, ces derniers ayant notamment accepté de verser en 1998 la somme astronomique de 246 milliards de dollars en compensation des désastres sanitaires de leur activité économique.

Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, au Forum économique de Davos, fustigeant les mensonges de l’industrie pétrolière (photo © AFP / La Nouvelle République)

Une affirmation cinglante qui fait suite à la publication d’un article paru récemment dans la revue Science, qui analyse les recherches faites en interne par le premier groupe pétrolier mondial, ExxonMobil dont les chercheurs ont prédit depuis 1977 et avec une très grande précision, les impacts de l’activité humaine sur le réchauffement climatique planétaire. L’industrie pétrolière connaissait donc parfaitement depuis près de 50 ans les conséquences délétères de son activité, ce qui ne l’a pas empêché de lancer depuis les années 1990, lorsque la question du changement climatique a commencé à se vulgariser et à devenir un sujet de société, de vastes campagnes de dénégation pour instiller le doute quant à l’existence même du réchauffement climatique, nier ses impacts dommageables potentiels et surtout persuader tout un chacun que l’exploitation des énergies fossiles n’avait aucun rapport avec ce phénomène.    

L’économie pétrolière vue par le dessinateur Adrien René : tant qu’il reste du pétrole à exploiter, pourquoi se brider ?

Une étude tout à fait comparable avait d’ailleurs été publiée en novembre 2021 par des chercheurs français à partir de l’analyse des archives de TotalEnergies, confirmant que la multinationale française était elle aussi alertée depuis les années 1970 du risque de réchauffement climatique lié à l’exploitation des énergies fossiles et parfaitement consciente de l’impact planétaire de son activité depuis les années 1980. Une lucidité qui, non seulement n’a pas incité les groupes pétroliers à infléchir leur activité, mais au contraire les a conduit à favoriser toutes sortes de campagnes de communication visant à discréditer les scientifiques qui tiraient la sonnette d’alarme. Une stratégie qui s’est poursuivie jusqu’à ce que les travaux du GIEC et les différentes COP finissent par convaincre la grande majorité que l’affaire était entendue, que le réchauffement climatique était devenu une réalité visible et que l’exploitation massive des énergies fossiles en était le principal responsable.

Navire pétrolier de Total au large des côtes de l’Angola en 2018 (photo © Rodger Bosch / AFP / FranceTVinfo)

Du coup, depuis les années 2000 et surtout 2010, les groupes pétroliers commencent à changer de stratégie de communication et se lancent dans le greenwashing. En 2021, le groupe pétrolier français a changé de nom pour se baptiser désormais Total Energies, afin de montrer sa volonté de se diversifier dans les énergies renouvelables, et affirme vouloir atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Un discours que l’on retrouve également chez ses principaux concurrents ExxonMobil, l’Italien ENI ou encore BP. Rappelons au passage qu’en cette même année 2021, l’Agence internationale de l’énergie a fixé comme feuille de route mondiale l’arrêt total de toute nouvelle mise en exploitation de nouveau gisement de gaz, pétrole ou charbon, si l’on veut garder une chance de limiter le réchauffement climatique en dessous des 2 °C.

Une des 10 barges flottantes d’exploitation pétrolière du groupe Total en Afrique de l’Ouest, mise en place en 2019 sur le champ Egina, exploité au large du Nigéria avec le Chinois CNOOC, le Brésilien Petrobras et le Nigérian Sapetro (photo © Georges Osodi / Bloomberg / Les Echos)

Mais un rapport récent de l’ONG Bloom montre que la réalité est bien différente. Depuis 2021, TotalEnergies a lancé par moins de 30 nouveaux projets d’exploitation d’énergie fossile, lesquels représentent en 2022 plus de 80 % de ses investissements ! La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique produit par la multinationale ne devrait pas dépasser 15 % d’ici 2030 : on est loin du compte, alors même que la firme annonce des résultats pharaoniques avec un bénéfice net de 20,5 milliards de dollars pour 2022… En revanche, comme le montre Bloom à travers l’analyse de ses 313 récents communiqués de presse, TotalEnergies communique presque exclusivement sur ses investissements dans le solaire et l’éolien, qui souvent accompagnent le développement de champs gaziers ou pétroliers.

Après « Tintin et l’or noir », Patrick Pouyané, ses juteux bénéfices et ses promesses de transition énergétique…, un dessin signé KAK, publié dans l’Opinion

Ainsi, même lorsque TotalEnergies évoque le projet Eacop d’immense oléoduc tant décrié que la multinationale projette de construire en Ouganda et en Tanzanie, elle communique sur les 5 fermes solaires qu’elle envisage de mettre en place le long du tracé, comme si cela pouvait contrebalancer l’impact planétaire du nouveau champ pétrolier qui sera ainsi mis en exploitation. Il en est de même au Qatar où TotalEnergies s’apprête à mettre en exploitation les champs gaziers de North Field East et North Field South, développant ainsi le plus grand projet au monde de gaz naturel liquéfié, en contradiction complète avec les engagements de l’Agence internationale de l’énergie. Mais tout va bien à entendre son PDG, Patrick Pouyané, car en parallèle TotalEnergies participe à l’installation de deux centrales photovoltaïques dans le pays… Comme d’ailleurs en Argentine où TotalEnergies a annoncé en septembre 2022 avoir bouclé les investissements nécessaires pour lancer l’exploitation d’un immense champ gazier au large de la Terre de Feu, installation dont l’impact environnemental sera (un peu) atténué par l’installation de quelques menus parcs éoliens…

Des militants d’Attac manifestent devant le siège de TotalEnergies à La Défense en 2019 (photo © Lucas Barioulet / AFP / Reporterre)

Bien entendu, les compagnies pétrolières ont beau jeu de dire qu’elles ne font que répondre à la demande mondiale, personne n’étant disposé à se passer aussi aisément des atouts considérables des énergies fossiles. Elles ne font donc que verdir leur communication pour masquer le fait qu’elles continuent à exploiter tant et plus les dernières gouttes de gaz et de pétrole encore accessibles. Comment pourrait-on les blâmer quand on voit les bénéfices que leurs actionnaires en retirent ?   

L. V.

Centre culturel de Carnoux : qui veut gagner 1 million ?

10 Mai 2023

Le Centre culturel est une véritable institution pour les 6500 habitants de Carnoux-en-Provence. Rares sont en effet les communes de cette taille qui peuvent s’enorgueillir de posséder un établissement culturel de cette qualité, en plus de la médiathèque toute récente et de l’Artea, une magnifique salle de spectacle de 308 places assises doublée d’un théâtre de verdure équivalent en plein air.

Situé à l’entrée de la Ville en face du Panorama, le Centre culturel a fait l’objet d’une belle rénovation architecturale il y a une quinzaine d’années avant de se voir adjoindre en 2016 une salle de musique dernier cri conçue par le cabinet d’architecture Plò pour un montant de 163 000 € qui donne un cadre particulièrement chaleureux et adapté aux cours de musique instrumentale.

Les bâtiments du Centre culturel de Carnoux-en-Provence (source © Centre culturel)

Cet écrin remarquable qui a permis à des générations de Carnussiens de s’initier au chant, à la musique, au théâtre et à bien d’autres activités créatrices et artistiques, a été longtemps géré par une structure associative, proche de la municipalité et à qui cette dernière mettait à disposition les locaux dont elle assurait l’entretien tout en versant une subvention d’équilibre. Les bénévoles de l’association se chargeaient de la gestion du centre et les usagers payaient directement les intervenants, en fonction des activités pratiquées, selon un schéma classique dans ce type d’établissement. En 2018, le montant de cette subvention annuelle s’élevait ainsi à 79 000 € pour 650 adhérents recensés.

Cette année-là cependant, suite à un rapport critique de la Chambre régionale des Comptes qui pointait l’opacité de la gestion de cette association et sa trop grande proximité avec l’exécutif municipal, la commune avait brusquement décidé de confier la gestion de cet équipement culturel public à une société privée, dans le cadre d’un contrat de délégation publique (DSP), en l’occurrence à la société ALG qui gère déjà depuis sa création en 2000, la salle de spectacle de l’Artea.

Cette DSP, attribuée pour une durée de 5 ans et arrivant à son terme le 31 août 2023, le Conseil municipal de Carnoux avait délibéré le 2 mars dernier la reconduction de cette DSP. Une simple formalité d’ailleurs car le maire avait déjà retenu un prestataire pour rédiger les documents d’appel d’offre en vue de la consultation et n’a pas souhaité ouvrir le débat. Il existe pourtant de multiples possibilités pour gérer un tel équipement public culturel, depuis la régie directe avec du personnel municipal comme c’est le cas pour la médiathèque jusqu’à la délégation de service public confiée à une structure privée ou associative comme c’est le cas du Centre culturel de Cassis, en passant par des dispositifs de type régie autonome, dotée d’une autonomie financière…

Toujours est-il que la consultation en question a été lancée le 20 avril 2023, les candidats ayant jusqu’au 26 mai à midi pour remettre leurs offres. Une consultation assez discrète, il faut bien le reconnaître, dont on cherchera vainement la moindre trace sur le site officiel de la ville de Carnoux-en-Provence, pourtant régulièrement tenu à jour et pas avare d’informations détaillées sur la moindre réunion locale d’anciens combattants. Mais curieusement, la rubrique intitulée Marchés publics ne donne pas la moindre information sur les consultations publiques en cours. Il faut pour cela aller fouiller sur une plateforme d’achat ultra spécialisée, en l’occurrence Klekoon, pour accéder aux pièces du marché.

Page de garde du règlement de la consultation pour le renouvellement de la gestion du Centre culturel (source © Klekoon)

On y apprend ainsi que le futur délégataire du Centre culturel municipal devra gérer le site « pour le compte de la Ville » en assumant ses frais d’exploitation, qu’il « sera responsable de la reprise du personnel en poste, du recrutement et de la rémunération de l’ensemble des personnels nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement » et qu’il « s’engage à exploiter les installations et les activités qui en découlent, au mieux des intérêts des usagers prioritairement les enfants carnussiens et en garantissant le caractère laïc et éducatif de l’action menée et en respectant les obligations légales en matière d’hygiène et de sécurité ».

La valeur annoncée pour le montant global du contrat est estimée à 1 million d’euros HT tout rond et correspond au chiffre d’affaires prévisionnel cumulé sur 5 ans. De fait, les seuls bilans financiers communiqués aux candidats pour les exercices 2021 et 2022 font en effet état de produits d’exploitation qui s’élèvent à 157 632 € HT en 2021 et 209 091 € HT en 2022. Le million d’euros annoncé parait donc réaliste puisqu’il suppose un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 200 k€.

Tarifs 2022-2023 des activités offertes par le Centre culturel de Carnoux (source © Centre culturel)

Les pièces fournies aux candidats sont néanmoins très succinctes en la matière, indiquant seulement les tarifs pratiqués depuis la rentrée 2022 mais sans aucune mention du nombre d’adhérents alors qu’il s’agit d’une notion importante pour évaluer le taux de fréquentation du site et son dynamisme. Ces données ne figurent ni dans ce dossier de consultation des entreprises ni même sur le site de la mairie et encore moins sur celui du Centre culturel où la dernière lettre d’information disponible date de septembre 2016 ! On les trouve uniquement sur le site Carnoux citoyenne, écologiste et solidaire, alimenté par 2 élus d’opposition car ils ont été communiqués en conseil municipal le 26 janvier 2023… On y constate ainsi qu’à la rentrée 2021 le nombre d’adhérents était tombé à 272, après une année de fermeture lors de la période de confinement, alors qu’il était encore de 371 en 2019. Depuis, ce chiffre est remonté à 304 à la rentrée 2022, mais on reste loin du potentiel de 650 adhérents que revendiquait l’association en 2018, ce qui laisse une belle marge de progression au futur délégataire.

Quant au montant de la subvention versée par la commune pour combler les pertes d’exploitation, elle constitue un élément essentiel de l’économie du projet, par essence déficitaire. En théorie, cette subvention n’est versée que pour compenser les contraintes d’exploitation imposées par la municipalité, lesquelles sont précisées dans la délibération du 2 mars 2023 et s’avèrent assez légères puisqu’elles consistent simplement à la mise à disposition gratuite de la salle de spectacle 5 fois par an, pour l’arbre de Noël et le spectacle des enfants. Mais cette prestation est on ne peut mieux valorisée puisqu’elle l’a été à hauteur de 120 000 € en 2022 et même 131 026 € en 2021, exercice pour lequel cette somme a représenté 83 % du chiffre d’affaires annuel, uniquement pour mettre à disposition de la mairie 3 soirs par an une salle dont elle est propriétaire !

On est certes assez éloigné ici du cadre réglementaire d’une délégation de service public pour laquelle il est prévu normalement que « le délégataire se rémunère se rémunère substantiellement des recettes de l’exploitation, augmentées d’une participation communale en compensation des contraintes imposées par la collectivité ». Mais on ne chipotera pas pour si peu ! L’essentiel est que cette nouvelle consultation, bien que peu disserte sur les conditions réelles d’exploitation de ce bel outil qu’est le Centre culturel de Carnoux, suscite de nombreuses candidatures et fasse émerger un nouvel exploitant pour redynamiser cette structure, si utile pour animer la vie associative et le développement culturel et artistiques des Carnussiens, jeunes et moins jeunes…

L. V.

Le bruit qui court… après Total

29 avril 2023

Les activistes écologistes sont parfois un peu lourds avec leur manie de jeter du ketchup sur les toiles de maîtres dans les plus grands musées du monde ou, comme l’ont encore fait récemment des militants du collectif britannique Just Stop Oil, en recouvrant d’un pastiche un célèbre tableau de John Constable, conservé à la National Gallery de Londres et intitulé la Charrette de foin. Le paysage champêtre du XIXe siècle s’est ainsi retrouvé orné de routes goudronnées et d’avions vrombissant tandis que deux activistes revêtus de teeshirts au logo de l’association se collaient la main au cadre du tableau, avant de se faire proprement jeter par les vigiles du musée.

Deux militants de l’association britannique Just Stop Oil la main collée au cadre d’un tableau de John Constable recouvert d’un pastiche, en juillet 2022 à la National Gallery de Londres (photo © Carlos Jasso / AFP / Le Figaro)

Des actions militantes certes spectaculaires et qui ont pour but d’alerter l’opinion publique sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et l’arrêt de l’exploitation des énergies fossiles, mais qui ont aussi pour revers d’indisposer voire de choquer certains, en s’en prenant ainsi à des œuvres d’art universellement reconnues.

Rien de tel dans le savoureux canular dont TotalEnergies vient de faire les frais, de la part d’un collectif d’activistes français au nom bien inspiré Le Bruit qui court… Dimanche 23 avril au soir, des centaines de militants bien organisés ont placardé d’immenses panneaux de chantiers en différents points de Paris, Rouen, Grenoble, Lyon ou encore Marseille, annonçant la construction d’un gigantesque pipeline de plus de 1000 km de long, destiné à acheminer le pétrole de la Mer du Nord jusqu’au sud de l’Europe en passant par les Pays-Bas, la Belgique et la France, ainsi traversée de part en part.

Panneau d’information sur le projet WeCop accroché sur les grilles du jardin de ville à Grenoble (source © France TV)

En parallèle, plus de 3000 propriétaires de maisons situées sur le tracé de ce projet, surtout dans les beaux quartiers de ces grandes métropoles, ont reçu un courrier, d’apparence on ne peut plus officielle, les informant que, du fait du passage de ce vaste projet d’ampleur international sur leur propriété, ils allaient faire l’objet d’une mesure d’expropriation pour raison d’utilité publique.

Le courrier comme les affiches renvoyait au site internet d’une entreprise fictive du nom de WeCop détaillant les objectifs et le calendrier du projet, tout en argumentant sur les vertus d’un tel pipeline d’envergure pour assurer une meilleure distribution. Une pétition avait même été mise en ligne pour permettre à chacun d’exprimer son désaccord éventuel avec le projet et un standard téléphonique dédié a été ouvert, animé par des militants qui ont donc dû recevoir les appels des riverains furieux : «Mais vous ne pouvez pas faire ça, c’est pire que l’invasion en Ukraine là, c’est pas possible» ont-ils ainsi entendu, parmi d’autres réactions de la part de propriétaires hors d’eux à l’idée qu’un pipeline pourrait venir ainsi traverser leur terrain pour améliorer les bénéfices de l’industrie pétrolière…

Faux permis de démolir de WeCop installé par les activistes du Bruit qui court à Marseille dans la nuit du 23 au 24 avril 2023 (source © Place GreNet)

Le projet avait été préparé depuis des mois et les militants mobilisés avaient su parfaitement tenir leur longue, de telle sorte que l’effet de surprise a joué à plein, semant un véritable trouble parmi les personnes confrontées à ce projet et à ces méthodes parfaitement vraisemblables de la part d’une multinationale. Dès le mardi 25 avril, l’association a donc dû communiquer un démenti formel et dévoiler le pot aux roses, tout en incitant les médias à divulguer l’affaire, ce dont ils ne se sont pas privés.

Bandeau du site internet WeCop développé pour assurer la crédibilité du projet… (source © WeCop)

Bien évidemment, ce projet de pipeline géant à travers la France n’existe que dans l’imagination de ces activistes, mais leur objectif est en réalité d’attirer l’attention des médias et de l’opinion publique sur un autre projet d’oléoduc géant, bien réel celui-là et porté par l’entreprise TotalEnergie à travers l’Ouganda et la Tanzanie sous le nom de Eacop pour East African crudle oil pipeline. La multinationale française cherche en effet à développer l’exploitation de ressources pétrolières gigantesques, estimées à plus de 1 milliard de barils, découvertes en 2006 sous le lac Albert en Ouganda.

Forage d’exploration de TotalEnergies dans la région du lac Albert en Ouganda (photo © Laurent Zylberman / Total)

Deux champs pétroliers devraient être mis en exploitation en parallèle. Celui de Tilenga, au nord du Lac Albert sera opéré par TotalEnergies et vise le creusement de 400 puits de pétrole dont la production sera acheminée vers une usine de traitement située à Kasenyi. Ces puits seront forés dans des zones rurales et, pour certains, au cœur du parc naturel des Murchison Falls. L’autre champ, dénommé Kingfisher, sera exploité plus au sud par l’entreprise chinoise CNOOC (China National Offshore Oil Corporation).

Le pétrole issu de l’ensemble des puits sera ensuite acheminé par un gigantesque oléoduc enterré de 1443 km reliant la ville de Kabaale en Ouganda au port de Tanga en Tanzanie où un terminal pétrolier doit être construit. Du fait de ses caractéristiques propres, le pétrole extrait doit être maintenu à une température de plus de 50 °C pour permettre son acheminement par oléoduc sans risque de colmatage. Le pipeline sera donc chauffé en permanence, si bien que son empreinte carbone sera bien colossale, sans compter les impacts environnementaux de son tracé à travers des zones agricoles et naturelles, et surtout son impact social sur les milliers de petits propriétaires situés le long du tracé et qui devront être expropriés sans pour autant être certains d’être indemnisés.

Tracé du projet d’oléoduc géant programmé par TotalEnergies entre le lac Albert et l’océan Indien, à travers l’Ouganda et la Tanzanie (photo © TotalEnergies / Usine nouvelle)

Il est peu probable que le canular monté par les activistes du Bruit qui court ait le moindre impact sur la construction du futur oléoduc Eacop de TotalEnergie et de CNOOC. Mais incontestablement l’affaire a fait du bruit et a permis de mettre en lumière les impacts de ce projet pharaonique d’investissement pétrolier mené jusqu’à présent en toute discrétion par TotalEnergies et sur lequel les médias français s’étaient bien gardés de communiquer. Comme quoi, les actions des activistes écologistes, surtout menées avec intelligence et un brin d’humour, peuvent avoir des résultats positifs…

L. V.

Affichage publicitaire illégal à Carnoux ?

13 mars 2023

Le 24 février 2022, il y a déjà un peu plus d’un an, le conseil municipal de Carnoux-en-Provence délibérait à l’unanimité pour donner un avis favorable à l’adoption du Règlement local de publicité intercommunal (RLPi). Ce document, instaurée par la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national sur l’environnement, n’existait pas jusqu’alors sur notre territoire alors qu’il permet de donner un cadre pour réglementer la taille et le positionnement des enseignes commerciales et des panneaux publicitaires qui ont tendance à défigurer toutes les entrées de ville.

Zone commerciale de Plan-de-Campagne à Marseille : une jungle de panneaux publicitaires… (source © Marianne)

La Métropole ayant souhaité, comme à son habitude, l’élaborer dans le cadre des ex-conseils de territoires, vestiges des anciennes intercommunalités, Carnoux est donc concerné par un règlement qui couvre 18 communes dont celle de Marseille, mais pas celle d’Aubagne, pourtant limitrophe. Lancé en 2017, le processus d’élaboration concerté de ce règlement intercommunal s’est poursuivi jusqu’en 2021, date à laquelle le projet a été arrêté avant d’être soumis à l’avis des communes concernées et à une enquête publique auprès des citoyens. La version définitive a finalement été adoptée par délibération du conseil de la Métropole le 5 mai 2022 et est pleinement exécutoire depuis le 17 juin 2022.

Ce document est constitué d’un rapport de présentation qui définit les grandes orientations ayant présidé à son élaboration et qui présente en annexe les cartes de zonage réglementaire par commune. Il contient également un règlement qui précise, pour chacune des zones ainsi délimitées, les modalités de mise en œuvre des panneaux publicitaires et des enseignes commerciales, au-delà des dispositions nationales déjà prévues dans le code de l’environnement.

En l’occurrence, le RLPi de notre territoire délimite 7 zones distinctes dont 2 seulement concernent Carnoux. Toute la zone bâtie de notre commune est placée en zone ZP6a, tout comme d’ailleurs l’agglomération voisine de Roquefort-la-Bédoule. La publicité n’y est strictement réglementée, de taille inférieure à 4 m2 et principalement réservée au mobilier urbain tandis que la publicité lumineuse y est interdite.

Extrait du zonage en annexe du rapport de présentation du RLPi (source © Métropole Aix-Marseille-Provence)

Quant aux zones boisées situées sur les hauteurs de Carnoux et notamment à l’entrée de la commune du côté des Barles, elles sont classées en zone 7b où toute publicité, de quelque nature qu’elle soit, y compris sur le mobilier urbain, est rigoureusement interdite. Une mesure tout à fait salutaire pour éviter de défigurer inutilement les zones naturelles de notre territoire en dehors de l’agglomération urbaine proprement dite !

Extrait du règlement local de publicité intercommunal sur les zones 7 (source © Métropole Aix-Marseille-Provence)

Sauf que, plus d’un an après avoir approuvé à l’unanimité ce règlement et alors que celui-ci est supposé s’appliquer depuis le mois de juin 2022, rien n’a bougé et on compte toujours autant de panneaux publicitaires gigantesques, en particulier à l’entrée de Carnoux, lorsqu’on arrive d’Aubagne, dans un secteur pourtant supposé totalement dénué de tout support publicitaire et ceci jusqu’aux premières maisons de la commune, après le garage des Barles…

Le long de la RD 41 E, à l’entrée de Carnoux, dans le tronçon où tout affichage publicitaire est désormais interdit… (photo © CPC)

On aurait pu penser que le renouvellement au cours de cette même année 2022 du marché public de mobilier urbain passé par la Métropole aurait été l’occasion de revoir entièrement l’emplacement de ces panneaux publicitaires pour les mettre en conformité avec le règlement local. Mais le groupe Jean-Claude Decaux a fièrement annoncé le 21 juillet 2022 avoir de nouveau remporté le marché passé par la Métropole et en reste donc le titulaire pour les 16 ans à venir, ce qui concerne pas moins de 1331 abribus avec leurs panneaux publicitaires, mais aussi 579 panneaux d’information de 2 m2 (les fameuses « sucettes Decaux ») et de 8 m2, sans compter les nombreux mobiliers urbains à prévoir dans le cadre de l’extension du réseau de tramways et de métro. Un marché colossal dont la Métropole s’est bien gardé de dévoiler le montant et qui est entré en application le 1er janvier 2023.

Aux Barles, des affichages publicitaires en zone naturelle normalement interdite à la publicité (photo © CPC)

Toujours est-il qu’à ce jour, rien n’a changé et que ce beau règlement local que la Métropole a mis 5 ans à élaborer est resté lettre morte, comme si personne ne se préoccupait de le mettre en œuvre maintenant qu’il est approuvé officiellement… A Carnoux, les panneaux publicitaires de 2 m2 et de 8 m2 sont toujours en place le long de la route départementale dans le secteur où ils sont pourtant désormais interdits par le RLPi. On en dénombre pas moins de 5 sur ce seul petit tronçon de quelques centaines de mètres en zone boisée, dont 2 gigantesques panneaux de 3,20 m x 2,40 m !

Des panneaux Decaux qui servent quasi exclusivement à la communication de l’exécutif municipal (photo © CPC)

Qui plus est, ils servent essentiellement, comme à l’accoutumée, de support de communication à la seule commune de Carnoux. Plus de la moitié de ces espaces publicitaires sont en effet occupés du 1er janvier au 31 décembre par des affiches mises en place par la municipalité elle-même, sur fonds publics donc. On ne peut donc même pas justifier de leur maintien pour des raisons économiques puisque les seuls messages qu’ils véhiculent sont destinés à vanter les mérites de la commune et de son exécutif municipal, sans être porteur d’un véritable message, en dehors de celui qui incite à s’approvisionner chez les commerçants locaux. On pourrait donc aisément se passer de ces panneaux hideux qui défigurent le paysage sans le moindre objet.

Un affichage municipal sans réel objet mais qui défigure inutilement le paysage… (photo © CPC)

A l’heure de la sobriété énergétique et d’une attention plus soutenue envers notre cadre de vie menacé, il est peut-être temps de respecter enfin les bonnes résolutions prises collectivement au travers de ce règlement local de la publicité… Il revient certes à la Présidente de la Métropole d’assurer cette police de la publicité et donc de veiller à la bonne application du règlement qu’elle a élaboré, mais ceci ne peut se faire qu’en concertation avec les maires des communes concernées. A quand le démontage de ces panneaux d’affichage désormais illégaux ?

L. V.

Narendra Modi, nouvel empereur des Indes ?

11 mars 2023

On a coutume de dire que l’Inde est la plus grande démocratie du Monde. C’est en tout cas très bientôt le pays le plus peuplé du monde avec plus de 1,4 milliards d’habitants, un tout petit peu moins que la Chine aux dernières estimations mais plus pour longtemps car sa démographie est nettement plus dynamique que son voisin chinois qu’elle ne devrait pas tarder à dépasser. Quant à son caractère démocratique, il l’est incontestablement davantage que la Chine dont le président tout puissant, Xi Jinping vient d’être réélu ce vendredi 10 mars 2023 à l’unanimité par ses pairs du Parti communiste chinois pour son troisième mandat d’affilée à la tête du pays. En 2018, Xi Jinping n’avait pas hésité à faire sauter la disposition constitutionnelle interdisant au président de la République populaire de Chine de faire plus de deux mandats, tout en développant un culte de la personnalité de plus en plus marqué.

Le premier ministre indien Narendra Modi et son homologue australien Anthony Albanese faisant un tour de piste dans leur char le 9 mars 2023 dans le stade Marendra Modi à Ahmedabad (photo © Robert Cianflone / Getty Images / The West Australian)

Une dérive qui semble tenter également son homologue indien, le premier ministre Narendra Modi que le monde entier a pu voir le 9 mars 2023 faisant un tour de piste triomphal perché sur un char tel un empereur romain, saluant du bras tendu la foule en délire dans les tribunes de ce qui est considéré comme l’un des plus grands cirques du monde, le stade Narendra Modi, à Ahmedabad, rebaptisé ainsi en 2021 en l’honneur du Premier ministre.

On a connu attitude plus modeste de la part d’un chef de l’État, même aussi puissant que l’Inde. Pas sûr d’ailleurs que l’exercice ait été très apprécié par son homologue australien, le premier ministre Anthony Albanes, embarqué malgré lui dans ce tour de piste assez surprenant, en ouverture du quatrième test match de cricket qui opposait les deux équipes nationales. Déjà le fait d’avoir donné son nom, de son vivant, à un stade aussi emblématique est assez révélateur du culte de la personnalité dans lequel se complait le dirigeant indien. Bien sûr, d’autres l’avaient fait avant lui, tels Benito Mussolini ou Saddam Hussein, mais qui ne sont pas restés dans l’histoire comme des modèles de vertu démocratique.

Le premier ministre indien Narendra Modi recevant un portrait de lui-même avant le test match de cricket contre l’Australie le 9 mars 2023 (photo © Sportzpics for BCCI / PTI Photo / Rediff)

Et, comble de narcissisme, le dirigeant indien s’est vu offrir un portrait de lui-même, issu de collage de photos de joueurs de crickets, avant de monter dans son char doré pour son tour d’honneur du stade devant une foule estimée à environ 80.000 spectateurs. Certes, l’enjeu est de taille pour l’Inde de Modi, dans un pays où le cricket est le sport national et qui s’apprête d’ailleurs à accueillir en octobre prochain la coupe du monde de cricket. L’audience télévisées s’annonce colossale et le premier ministre indien envisage bien évidemment de capitaliser au maximum sur cette ferveur populaire pour s’assurer une réélection triomphale dans la foulée, en 2024, pour son troisième mandat !

Narendra Modi est en effet à la tête de l’Inde depuis mai 2014. Son parti, le BJP, le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata Party, était alors arrivé largement en tête de ces élections générales pour lesquelles 814,5 millions d’Indiens étaient inscrits sur les listes électorales ! Narendra Modi, en tant que directeur de la campagne du BJP était le candidat naturel pour ce poste, lui qui avait fait son ascension politique dans l’État du Gujarat où il avait été nommé ministre en chef en octobre 2001. De condition plutôt modeste, Modi s’était engagé comme propagandiste professionnel au RSS, un groupe nationaliste paramilitaire hindou d’extrême droite, avant de rejoindre le BJP où il a pris des responsabilités nationales dès les années 1990.

Train en feu à Godhra le 27 février 2002 (source © The Indian Express)

Le 27 février 2002, un train transportant des pèlerins hindous a pris feu à Godhra, causant une cinquantaine de victimes et provoquant des émeutes d’une rare violence, attisées par Narendra Modi et ses amis du BJP, persuadés que l’incendie a été provoqué délibérément par des musulmans. Il s’en est ensuivie une vague de violence qui a embrasé tout le Gujarat, largement encouragée par les nationalistes hindous et qui fera près de 2000 victimes selon certaines estimations. Un tribunal de New York a d’ailleurs tenté ultérieurement de traduire Modi en justice pour « tentative de génocide » mais cela ne l’a pas empêché d’être confortablement réélu à la tête du Gujarat en tenant un discours de haine contre la communauté musulmane.

Il fera ainsi 4 mandats comme gouverneur de cet État dont il vante le dynamisme économique tandis que les analystes notent que la situation se dégrade sur le front de la lutte contre la pauvreté et la malnutrition ainsi qu’en matière d’éducation. Mais Narendra Modi s’avère expert en communication, organisant des chats sur les réseaux sociaux dont il maîtrise parfaitement les codes, à la manière de son ami Donald Trump, tandis qu’il multiplie le recours aux hologrammes pour se démultiplier dans les campagnes tant pour sa quatrième élection à la tête du Gujarat en 2012 que lors de sa campagne nationale en 2014.

Narendra Modi aux côtés de Donald Trump lors d’un meeting à Houston, au Texas, le 22 septembre 2019 (photo © Saul Loeb / Getty Images / Foreign Policy)

Depuis qu’il est à la tête de l’Inde, Narendra Modi a résolument tourné le dos à la tradition socialiste et laïque soutenue pendant des décennies par le Congrès national indien, le parti de Jawaharlal Nehru et du Mahatma Ghandi. Il prône un capitalisme débridé dans lequel les privatisations jouent un grand rôle, et un nationalisme religieux hindou qui ne fait qu’attiser les tensions avec la communauté musulmane, surtout après l’attentat islamiste de Pulwama, dans le Cachemire en février 2019. Depuis le début de son deuxième mandat, en mai 2019, Modi mise tout sur l’exaltation du nationalisme indien et joue à fond sur le culte de sa personnalité, s’érigeant en protecteur de l’Inde face aux menaces extérieures de la Chine, du Pakistan et des islamistes, ce qui englobe à ses yeux les musulmans du Cachemire.

Une vision politique qu’on pourrait qualifier somme toute de nationale-populiste, pas forcément très rassurante pour la plus grande démocratie du Monde…

L. V.

Violences conjugales : une nouvelle grille (pain)…

3 décembre 2022

A l’occasion du 25 novembre, journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, le Département de Savoie a lancé sa campagne d’information sur les violences conjugales, réalisée et co-financée par la Préfecture de la Savoie et par le Centre Départemental de l’Accès au Droit (CDAD) de Savoie. Des sachets destinés à emballer les baguettes de pain ont ainsi été imprimées en 75 000 exemplaires et distribuées, par les brigades de la gendarmerie, dans 137 boulangeries des territoires ruraux de Savoie.

Sachets à pain pour alerter sur les violences faites aux femmes, ici en 2021 à Paris (source © Mairie du 10e arrondissement de Paris)

Sur ces sachets est imprimé d’un côté le violentomètre, qui se présente sous la forme d’une grille d’auto-évaluation comportant 23 questions rapides à se poser, qui permettent de repérer les comportements violents et de mesurer si la relation de couple est saine ou si elle est violente. Imaginé en Amérique latine, cet outil a été adapté en 2018 par l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, en partenariat avec l’Observatoire parisien de lutte contre les violences faites aux femmes et l’association En Avant Toute(s).

Le violentomètre rappelle ce qui relève ou non des violences à travers une graduation colorée décrivant 23 exemples de comportements types qu’un partenaire peut avoir. Les graduations vertes caractérisent une relation saine et celles qui ressortent en orange sont indicatrices de violences qui n’ont pas lieu d’être, voire de situations de danger contre lesquelles se protéger est nécessaire.

Sur l’autre face du sachet à pain, il est rappelé la notion de consentement, à savoir : « le fait de donner son accord de manière consciente, libre et explicite à un moment donné pour une situation précise » et surtout que faire si on est témoin ou victime de violence, comment signaler des violences et infractions sexistes et sexuelles, où trouver de l’aide et à qui s’adresser.

Affiche de sensibilisation de la campagne contre les violences faites aux femmes (source © dossier de presse Préfecture de Savoie)

Une démarche de communication originale et percutante donc, qui de surcroît implique directement les forces de l’ordre avec l’intervention des gendarmes pour la distribution des sachets !

Ces campagnes sont très importantes pour que les femmes prennent conscience qu’elles sont en danger et il y a encore du travail en la matière ! Comme le rappelle Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes : « Il y a un nombre exponentiel de femmes qui contactent des associations débordées. Le gouvernement n’a fait que chiffrer ce qui est déjà sur la table, il n’y a pas de moyens supplémentaires, notamment pour des solutions d’hébergement de qualité ». 

Comment mieux protéger les femmes ? Avoir les moyens de les accompagner et de les mettre en sécurité ? Tout faire pour éviter les féminicides ? C’est la question qui hante depuis des mois, pour ne pas dire des années, les associations. En effet que peut faire une femme qui est partie de chez elle avec ses enfants et qui ne trouve pas de place pour l’accueillir ? Elle ne peut que rentrer chez elle, jusqu’à la prochaine crise !

La Maison des femmes de Saint-Denis (source © Gomet)

On doit souligner tout de même l’ouverture en janvier 2022 de la Maison des femmes à Marseille au sous-sol de l’hôpital de la Conception, et qui doit emménager fin 2023 dans une vaste maison de ville mise à la disposition par le Conseil départemental, rue Saint-Pierre. Cette Maison des femmes a été conçue à l’image de celle de Saint-Denis ouverte en 2016 et qui connait un grand succès. Depuis, 12 autres centres ont suivi et 8 sont en projet.

Cependant en France les féminicides ne sont pas en baisse malgré ces campagnes. Pour Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, les chiffres de 2021 sont « glaçants » : « Malgré les efforts sans précédent engagés par l’État ces cinq dernières années, les féminicides restent à un niveau trop élevé », a-t-elle déclaré auprès de l’AFP. En effet 122 femmes ont perdu la vie en 2021 sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à l’année précédente, selon le bilan des « morts violentes au sein du couple » publié par le Ministère de l’Intérieur. Pour l’année 2022, le collectif #NousToutes a déjà décompté 85 féminicides en date du 21 août, soit en moins de 8 mois.

En Espagne, les féminicides ont diminué de 24 % en moins de 20 ans, ce qui confirme qu’une politique volontariste est payante. Depuis2004, la loi d’État contre les violences conjugales a mis en place un système de droits et d’aides sociales particulières pour les femmes victimes. Le texte a modifié le Code pénal, créé des crimes spécifiques et établi une juridiction spécialisée. 107 des 3 500 tribunaux du pays se consacrent exclusivement aux violences commises par un époux ou un ex-compagnon. En Espagne, il y a 100 fois plus de bracelets anti-rapprochement distribués qu’en France.

Manifestation contre les violences sexistes en Espagne (source © France TV info)

Depuis l’été 2021, le gouvernement travaille sur un tout nouveau concept qui pourrait faire basculer le Code pénal : un projet de loi baptisé « Solo sí es sí » (seul un oui est un oui). L’idée est d’inverser la charge de la preuve. Il reviendra au présumé agresseur de prouver qu’il y a eu consentement s’il veut être acquitté. Et non plus à la victime de prouver qu’elle a refusé l’acte sexuel. Une révolution en droit regardée avec envie par toutes les féministes européennes.

« Les violences envers les femmes sont le symptôme. Mais la maladie vient de la société, de ses préjugés et du système capitaliste », estime Me Serra, (avocat espagnol). « Comment peut-on aider une victime qui a fui son mari et vit dans la rue ? Aujourd’hui, le système capitaliste est poussé à l’extrême. On a une situation sociale toujours plus précarisée, une extrême droite qui banalise les violences : le contexte social ne peut que favoriser les violences envers les femmes. La meilleure formule pour lutter contre elles, c’est une politique sociale globale. Ensuite, on pourra parler de stratégie envers les violences conjugales. » Vaste chantier en perspective, assurément

C. T.

Le Conseil départemental épinglé par la CRC

31 octobre 2022

La Chambre régionale des Comptes (CRC PACA) vient de rendre public, lundi 24 octobre 2022, un rapport sur la gestion du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône entre 2013 et 2020, et les magistrats régionaux ne sont pas particulièrement tendres avec cette administration mastodonte qui compte près de 8000 agents en équivalents temps plein pour administrer le troisième département le plus peuplé de France.

La période d’analyse est intéressante si l’on se souvient que lors des élections départementales de mars 2015, le Département des Bouches-du-Rhône, majoritairement à gauche depuis 60 ans et présidé depuis 1998 par Jean-Noël Guérini, avait alors basculé à droite et est depuis cette date présidée par Martine Vassal, réélue d’ailleurs à ce poste en juin 2021 tout en cumulant depuis septembre 2118 cette présidence avec celle de la Métropole Aix-Marseille-Provence après avoir échoué en 2020 à remporter de surcroît la mairie de Marseille.

L’analyse détaillée de la CRC figure dans deux cahiers distincts dont la lecture est très instructive pour un citoyen attentif à la bonne utilisation des deniers publics et au bon fonctionnement de la démocratie locale. Le premier traite des compétences prises en charge par le Département, de sa gestion financière et de sa gestion des ressources humaines. Le second est axé sur la gestion de son patrimoine immobilier, sur ses pratiques en matière de marchés publics et sur les subventions octroyées aux associations.

Martine Vassal annonçant que le Département des Bouches-du-Rhône est candidat pour expérimenter le RSA conditionné à des heures de travail (photo © Franck Pennant / La Provence)

Et le moins qu’on puisse dire est que, sur chacun de ces points, l’analyse des magistrats de la CRC, n’est pas très élogieuse ! Rien que le périmètre de compétences réellement assumées pose problème, la CRC relevant que le Département, qui a pourtant réglementairement perdu sa clause de compétence générale, continue allègrement d’exercer des compétences, notamment en matière de transport public et d’aide au développement économique, qui relève désormais d’autres collectivités, Métropole ou Région notamment. Ainsi, alors que la création de la Métropole en janvier 2016, aurait dû entraîner un transfert automatique de la totalité des 1959 km de routes départementales situées sur son périmètre, seuls 53 km de ce réseau a effectivement été transféré à la Métropole en 2017 et 61 km sont toujours en cours de transfert depuis 2018 !

Les relations entre Département et Métropole font d’ailleurs l’objet d’interrogations de la part de la CRC, du fait de la forte interaction entre ces deux structures, sachant que 90 des 119 communes des Bouches-du-Rhône, représentant près de 92 % de la population départementale sont désormais dans le giron métropolitain. Curieusement, alors que les rumeurs de fusion entre les deux structures semblent s’éloigner, jamais les deux collectivités n’ont été aussi proches avec de multiples groupements d’achats, une politique de communication commune (au service de leur présidente unique) et un transfert financier massif du Département en faveur de la Métropole dont les subventions d’investissement ont été multipliées par 3 entre 2016 et 2020. La Métropole reçoit à elle-seule près de 30 % des aides du Département à l’investissement !

Le Bateau bleu, le siège du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône qui ne passe pas inaperçu (source © Structurae)

Cette question des aides massives accordées par le Conseil départemental aux communes et intercommunalités, n’en finit d’ailleurs pas d’étonner la CRC. Celle-ci constate ainsi une augmentation de 25 % des dépenses d’investissement du Département entre 2028 et 2020, liée non pas à ses propres investissements (dans la voirie et les collèges principalement) mais à des subventions aux autres collectivités qui représentent en 2020 plus des deux-tiers du total ! Certes, la loi autorise le Département à participer ainsi à l’aide aux projets des communes mais à un tel niveau, c’est du jamais vu…

D’autant que les critères de distribution de cette manne départementale semblent bien opaques, conduisant à des déséquilibres territoriaux qui intriguent la CRC : sur la période analysée, de 2013 à 2020, la Ville de Marseille a ainsi reçu un total de 170 € par habitant tandis que se voisine de Gignac-la-Nerthe a empoché 2611 € par tête de pipe. On n’ose imaginer le montant pour la ville de Carnoux où le moindre investissement est subventionné à plus de 60 % par le Département…

Alors que la situation budgétaire du Conseil départemental se dégrade d’année en année avec un endettement multiplié quasiment par 4 sur la période d’observation, la CRC s’étonne de cette générosité inhabituelle en faveur des communes, notant de manière feutrée et très diplomatique que « cette politique, davantage distributive que redistributive, ne répond que partiellement à un objectif de solidarité territoriale ». Une critique déguisée de clientélisme qui avait d’ailleurs fait l’objet d’échanges peu amènes lors du débat sur le rapport de la CRC qui avait eu lieu vendredi 21 octobre en séance publique du Conseil départemental. Danielle Milon, maire LR de Cassis et bombardée 1ère Vice-Présidente du Département déléguée au tourisme (tout un symbole qui en dit long sur les priorités de Martine Vassal), a tenté de justifier ce choix en expliquant, de manière aussi maladroite que malheureuse : « Martine Vassal a rétabli les inégalités qui existaient avant son élection en 2015 » : on ne saurait mieux dire en effet…

Le rapport de la CRC a été présenté et débattu lors de la séance du Conseil départemental du 21 octobre 2022 (source © CD 13)

On passera pudiquement sur les critiques acerbes de la CRC concernant une gestion budgétaire assez approximative, une méconnaissance du patrimoine publique, l’absence de stratégie pour la maintenance des collèges comme pour celle des espaces naturels sensibles, ou encore une politique de commande publique erratique et peu optimisée. Et encore, le rapport n’évoque même pas les déboires récents de certains de ses agents dont un ancien chef de service, Renaud Chervet, jugé au tribunal depuis le 24 octobre pour corruption après avoir été filmé en train de recevoir 10.000 € en liquide de la main d’un entrepreneur en échange d’un coup de main pour obtenir une grosse commande publique de la part du Département.

On passera aussi sur la question des subventions départementales aux quelques 48.000 associations recensées dans les Bouches-du-Rhone et dont 3.500 en moyenne bénéficient chaque année d’un coup de pouce financier qui représente quand même au total pas loin de 100 millions d’euros par an, partagé en 2020 entre 3.049 associations seulement alors que 7.300 dossiers de demande avaient été déposés. Là encore, la CRC s’étonne des disparités territoriales criantes dans la répartition de ces financements…

Renaud Chervet, ancien cadre du CD 13, lors de son procès pour corruption, avec, à droite, l’entrepreneur qui avait filmé la remise de billets en mains propres (photo © Jean-François Giorgetti / France 3)

En matière de gestion des ressources humaines, les magistrats de la CRC tombent de leur chaise en constatant que sur les près de 8000 agents que compte l’institution, seuls 11 d’entre eux relèvent d’un cycle de travail qui respecte effectivement la durée légale de 1607 heures annuelles, fixée par un décret datant quand même de juillet 2001. On ne saura pas qui sont ces valeureux héros qui sauvent l’honneur de la fonction publique territoriale, mais la CRC relève que tous leurs collègues bénéficient de congés supplémentaires indus qui, mis bout à bout, représentent plus de 200 postes à temps plein.

Sur ce sujet, la CRC se montre, pour une fois, assez sévère en écrivant sans détours : « la collectivité est invitée à régulariser cette situation au plus tard pour le 1er janvier 2023, ainsi qu’à renforcer son dispositif de contrôle des heures supplémentaires réalisées et payées aux agents ». A un mois seulement des élections professionnelles prévues début décembre et qui verront les différents syndicats se livrer à la surenchère habituelle, voila une belle pierre dans le jardin de Martine Vassal : il serait fort étonnant que la CRC constate la moindre évolution dans ce domaine d’ici le 1er janvier prochain…

L. V.

Un CV qui fait le buzz

22 octobre 2022

Au Canada comme dans le monde anglo-saxon en général, il est fréquent de de commencer à travailler quand on est adolescent, et pas seulement pour des jobs d’été mais souvent pour de vrais boulots à temps partiel, le week-end et le soir après l’école. Chez nos amis québécois par exemple, la législation n’impose pas un âge minimum pour accéder au marché de l’emploi. Elle demande simplement l’autorisation parentale pour les enfants de moins de 14 ans et impose des charges horaires maximales jusqu’à 16 ans, mais pas au-delà. De très nombreux adolescents commencent donc à travailler régulièrement des 13-14 ans pour faire du gardiennage, de la vente en magasin, livrer les journaux ou faire la nounou.

Jeune adolescente canadienne au travail (source © RTL)

Au point que les services de l’État se croient obligés de rappeler régulièrement aux parents quelques conseils de base pour éviter que leur enfant ne s’adonne en totalité à une telle activité professionnelle, certes lucrative et gage d’autonomie personnelle, mais qui peut venir fâcheusement empiéter sur le temps scolaire et les périodes de repos nécessaires… En tout cas, dans un tel contexte, les médias regorgent de conseils en tous genre pour aider les parents angoissés à guider leur progéniture dans la rédaction de leur curriculum vitae, ce précieux sésame qui donne accès au monde du travail, même quand on n’a que 14 ans et aucune expérience professionnelle à faire valoir…

Mais évidemment, rien de tel en France où le travail des enfants est davantage réglementé. Sans remonter jusqu’au décret impérial de 1813 qui interdit le travail des enfants de moins de 10 ans dans les mines où ils faisaient pourtant merveille grâce à leur petite taille, il a quand même fallu attendre 1892 pour qu’une loi limite à 10 heures la durée maximum quotidienne de travail des enfants de moins de 13 ans, à une période où le travail était encore autorisé à partir de 12 ans… Il a ainsi fallu attendre 1936 pour que la scolarité devienne obligatoire jusqu’à 14 ans, puis 16 ans à partir de 1959.

Le jeune stagiaire, un auxiliaire devenu indispensable en entreprise : un dessin signé Schwartz pour le Rectorat de Rennes (source © CFTC)

Mais l’Éducation nationale, sous la pression ambiante, s’est mis en tête de pousser les enfants à s’imprégner du monde du travail qui les attend (ou pas) en rendant obligatoire des stages de découverte en entreprise au cours de la classe de 3ème et parfois dès la 4ème. Depuis 2019, ces séquences de découverte du monde professionnel sont en effet ouvertes avant même l’âge de 14 ans, comme si les enfants n’avaient rien de plus urgent à apprendre que la manière dont fonctionne le milieu professionnel.

Les nouvelles générations à la découverte du monde du travail : un dessin de Jiho, publié dans Marianne en 2015

Pour pouvoir trouver un tel stage d’observation, même limité à quelques jours, encore faut-il faire acte de candidature. Et voilà que les entreprises sollicitées se mettent à exiger des jeunes collégiens non seulement une lettre de motivation, mais même un véritable cv, comme s’ils étaient candidats pour un véritable recrutement ! Un curriculum vitae à 14 ans, quand on est encore au collège, quel sens cela peut-il bien y avoir ? C’est justement la question que s’est posée cette maman d’élève de Joué-les-Tours qui du coup s’est piquée au jeu et s’est chargée elle-même de rédiger le cv de son rejeton puis de la partager sur son propre réseau professionnel via l’application Linkedin.

Du coup, l’exercice, traité avec une bonne dose d’ironie et d’autodérision, a fait le buzz et le cv du petit Loulou a largement circulé, alors même qu’il n’a pas été rédigé par le principal intéressé comme sa mère le revendique haut et fort ! On y apprend ainsi que le jeune collégien, malgré son jeune âge, a déjà enchaîné 3 contrats à durée déterminée. Le premier était naturellement une « création de poste », de bébé cela va de soi, au cours de laquelle le jeune Loulou, outre de faire ses premières dents a « mis en place les processus internes au bon fonctionnement d’une famille et coaché [ses] parents sur l’optimisation de leur temps libre ».

Le cv du jeune Loulou, rédigé par sa maman… (source © France Bleu)

S’en est suivi un deuxième CDD de « poseur de questions » couronné par un beau succès personnel de « meilleur déguisement de Spiderman au carnaval de l’école en février 2014 ». Et depuis 2019, notre impétrant bénéficie donc d’un nouveau contrat à durée déterminée (c’est du moins ce que sa mère espère) de « geek à capuche », « champion du monde de la coupe de cheveux improbable » qui « essaie de survivre à l’adolescence, au réchauffement climatique et à [ses] parents frappadingues ». Un cv qui ne dira pas grand-chose des compétences du candidats, sinon qu’il baragouine un peu le Chinois, se débrouille en programmation et est plus doué pour le « codage de trucs bizarres » que pour le « rangement de [sa] chambre » ou le « vidage du lave-vaisselle », mais on s’en serait évidemment douté…

Il n’y a pas de souci à se faire naturellement pour le jeune Loulou qui a déjà reçu plusieurs offres de stages selon les médias qui ont largement relayé l’exercice potache de sa mère pleine d’humour. Il y a d’ailleurs gros à parier que d’autres parents d’élèves vont se piquer au jeu et que les DRH des entreprises sollicitées pour accueillir des élèves de 3ème en stage de découverte du mode du travail n’ont pas fini de s’amuser et de se faire passer les cv les plus drôles. D’ici à ce que la rédaction de cv devienne une épreuve obligatoire du Bac, il n’y a sans doute pas beaucoup à attendre…

L. V.

Ukraine : un milliardaire s’en va-t’en guerre…

20 octobre 2022

Le milliardaire américain né en Afrique du Sud, Elon Musk, l’homme actuellement le plus riche de la planète, patron, entre autres, de Tesla et de Space X, qui rêve de construire les trains hypersoniques du futur et de conquérir la planète Mars, se pique aussi de géostratégie internationale, voire de diplomatie mondiale. Normalement, ce n’est pas le rôle des industriels que de se mêler des affaires du monde, surtout lorsqu’ils dégénèrent en conflits armés, mais de nos jours l’argent donne ce pouvoir aux dirigeants des multinationales qui tirent eux-mêmes les ficelles en lieu et place de nos responsables politiques…

Le milliardaire Elon Musk se pique de diplomatie internationale (photo ©AFP / Le Matin)

Lorsque la Russie a décidé d’envahir son voisin ukrainien, en février dernier, on s’est surtout préoccupé du sort des milliardaires russes, ces fameux oligarques supposés inféodés à Vladimir Poutine, dont on a tenté, plus ou moins mollement selon les pays, de saisir certains des avoirs les plus ostensibles à l’étranger, en commençant par les yachts de luxe, du moins ceux qui ne se sont pas mis à temps à l’abri. Mais on n’avait pas imaginé que les milliardaires occidentaux viendraient à leur tour interférer dans ce conflit entre nations…

C’est pourtant ce qu’a fait Elon Musk à qui rien n’échappe. Le 14 mars 2022, il a carrément lancé un défi à Vladimir Poutine, par Tweet interposé, en lui proposant « un combat d’homme à homme » dont l’Ukraine serait l’enjeu. Il n’y a pas si longtemps, cela se serait réglé par un duel sur le pré mais apparemment Poutine n’a pas relevé le gant et c’est son affidé, le président tchétchène, Ramzan Kadyrov, qui a répondu à l’impertinent via son compte Telegram en lui suggérant que le combat n’était pas équitable et en l’invitant à s’entrainer en Tchétchénie avant d’affronter le redoutable ex-judoka du FSB.

Elon Musk, le milliardaire insatiable et touche à tout (source © Blagues et dessins)

Cela n’a pas empêché le milliardaire américain de s’impliquer directement dans le conflit à la demande du gouvernement ukrainien qui l’a sollicité dès le mois de février en lui demandant une assistance satellitaire pour maintenir les services de communication du pays, ce qu’Elon Musk a accepté en lui envoyant des stations internet Starlink pour aider le pays à rester connecté malgré l’offensive russe. Comme chacun sait, Starlink n’est autre qu’un fournisseur indépendant d’accès à internet qui repose sur une constellation de milliers de satellites lancées justement par Space X, la petite boîte d’Elon Musk.

En cours de déploiement depuis juin 2019, le dispositif s’appuie déjà sur plus de 2000 satellites dont la particularité est d’être placés en orbite terrestre basse, ce qui diminue fortement leur temps de réaction. L’inconvénient d’un tel système qui, à terme, devra s’appuyer sur pas moins de 42 000 satellites pour couvrir les besoins de tous les clients potentiels, c’est bien évidemment de provoquer un bel encombrement de notre orbite terrestre, au risque de provoquer des collisions en chaîne et, accessoirement, de perturber fortement les observations spatiales depuis les télescopes terrestres. Mais un milliardaire, même philanthrope, ne se préoccupe pas de ce genre de détail…

Lancement d’un satellite par Space X (source © Space X / 01 net)

Toujours est-il qu’Elon Musk a aussitôt répondu positivement à l’appel du pied de Kiev, déployant à travers le pays près de 20 000 terminaux pour donner accès à son dispositif Starlink qui assure ainsi, depuis le début de l’invasion russe, l’essentiel du service internet de l’Ukraine et notamment du système de commande de l’artillerie militaire des forces ukrainienne. Car, bien sûr, dans la guerre moderne, on ne tire plus au jugé mais on utilise des missiles téléguidés grâce au GPS et le système Starlink est bien adapté pour cela car beaucoup plus difficile à brouiller par l’ennemi que les réseaux internet classiques.

Une aide fort bienvenue donc pour l’Ukraine où la popularité du milliardaire américain a grimpé en flèche, au point de voir sa trogne de potache sur des affiches 4 x 3 m dans le centre de Kiev ! Sauf que le 14 octobre dernier, à la surprise générale et après une petite conversation téléphonique entre Vladimir Poutine et Elon Musk, ce dernier a annoncé son intention de stopper son financement du dispositif… Un coup dur pour l’armée ukrainienne qui perdrait ainsi un outil vital en matière de transmission, indispensable pour guider les drones comme les missiles mais aussi pour assurer une guerre offensive. « Combattre sans Starlink sur la ligne de front, c’est comme combattre sans armes » résume ainsi un commandant ukrainien dépité !

Militaires ukrainiens recevant des terminaux Starlink en juin 2022 (photo © ArmyInform / Ministère ukrainien de la Défense)

Pourquoi un tel revirement ? Selon le quotidien américain The Daily Beast, rapporté notamment par Le Courrier International, cette décision serait consécutive à un échange un peu animé survenu quelques jours plus tôt, suite à la proposition par Elon Musk d’un plan de paix dans lequel il suggère que l’on pourrait mettre fin au conflit si l’Ukraine acceptait de s’engager à rester neutre et à renoncer définitivement à la Crimée, envahie par la Russie en 2014 et annexée depuis. Une suggestion qui a fait bondir l’ambassadeur ukrainien en Allemagne, Andrij Melnyk, lequel a twitté en réponse au généreux milliardaire : « Allez vous faire foutre ». Une recommandation qu’Elon Musk a donc suivi à la lettre…

Andrij Melnyk, ambassadeur ukrainien en Allemagne depuis 2014, un diplomate au langage peu diplomatique… (photo © Susanne Hübner / IMAGO / Der Spiegel)

On notera au passage que le style ampoulé des échanges diplomatiques est devenu sensiblement plus direct depuis que les milliardaires s’en mêlent. On a certes toujours connu des incidents diplomatiques liés à des gestes d’agacement, à l’instar de celui du dey d’Alger, le pacha turc Hussein Dey qui, le 30 avril 1827 avait flanqué son chasse mouche dans la figure du consul de France Pierre Deval, en réaction à des paroles insolentes de ce dernier, déclenchant ainsi le blocus maritime de son pays. Mais il est vrai que le monde feutré de la diplomatie mondiale était habitué à l’utilisation d’un langage plus châtié : autre temps, autres mœurs !

Quoi qu’il en soit, il semble que l’affaire se résume plutôt à une affaire de gros sous. Le milliardaire justifie en effet son retrait annoncé par des raisons économiques, estimant que l’opération commence à lui coûter cher et qu’il ne serait « pas raisonnable » de continuer à payer ainsi, jugeant qu’après tout le gouvernement américain pourrait bien prendre le relai et payer la note qui pourrait s’élever à 400 millions de dollars par an, sachant qu’il a déjà déboursé 80 millions depuis le début de l’année. On peut être riche et se montrer pingre : les deux sont d’ailleurs souvent liés… D’autant qu’Elon Musk se garde bien de rappeler que les 20 000 terminaux fournis à l’Ukraine pour le déploiement de Starlink ont été pour l’essentiel financés par d’autres que lui, principalement le gouvernement américain, le Royaume-Uni et la Pologne, Space X se contentant d’assurer la maintenance et l’exploitation…

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky en visite dans une tranchée du Donetsk, le 6 décembre 2021 (photo © Service de presse de la Présidence d’Ukraine / Reuters)

En fait, Elon Musk est depuis revenu à de meilleurs sentiments après que les Ukrainiens aient rappelé qu’il avait en tout état de cause joué un rôle déterminant pour aider le pays aux premiers mois du conflit : il n’est jamais inutile de flatter un peu l’ego d’un industriel, surtout milliardaire… Dès le 15 octobre, Elon Musk a donc twitté : « Même si Starlink continue à perdre de l’argent et que d’autres entreprises reçoivent des milliards de dollars des contribuables, nous continuerons à financer gratuitement le gouvernement ukrainien ». Voilà qui devrait apaiser les craintes de Volodymyr Zelensky empêtré dans un conflit de haute intensité contre l’armée russe qui détruit méthodiquement toutes les infrastructures civiles ukrainiennes, y compris les réseaux de téléphone cellulaire et d’internet, si utiles dans la guerre moderne. Il ne lui reste plus qu’à croiser les doigts en espérant que le milliardaire américain, un tantinet susceptible, ne prenne pas de nouveau la mouche…

L. V.