La Chine adepte de la langue de bœuf piquante…

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On aurait presque tendance à l’oublier, depuis un an que le monde entier a les yeux braqués sur l’Ukraine qui tente tant bien que mal de résister aux assauts offensifs de l’armée russe. Pourtant, depuis une dizaine d’années, c’était un tout autre théâtre d’opération qui semblait focaliser l’attention, en l’occurrence la Mer de Chine, où les tensions militaires ne cessaient de croître.

Démonstration de force de centaines de navires de la milice maritime chinoise près des côtes philippines en mars 2021 (source © France TV info)

En mars 2021, ce sont pas moins de 180 vaisseaux de la milice maritime chinoise fermement amarrés sur le récif de Whitson qui avaient été repérés par les gardes côte philippins, dans un secteur pourtant situé dans la zone économique exclusive de 200 miles marins revendiquée par les Philippines et confirmée par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Il s’en était suivie une confrontation tendue, suivie en août 2021 par des discours assez fermes de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, à l’occasion d’une visite officielle au Vietnam où elle a affirmé vouloir « trouver des moyens de faire pression franchement, sur Pékin (…) pour qu’il remette en cause ses revendications maritimes abusives et excessives ».

Un discours peu diplomatique et qui est loin de faire retomber la pression dans cette Mer de Chine dont plusieurs nations revendiquent la propriété exclusive du fait de son grand intérêt stratégique mais aussi économique, pas seulement en raison de ses eaux poissonneuses mais surtout à cause des abondantes ressources en hydrocarbures explorées depuis les années 1970.

Plateforme chinoise de la CNOCC en Mer de Chine méridionale pour l’exploitation d’un gaz naturel par 1500 m de fond, installée en 2012 (source © CNTV)

Le 14 mars 1988, un violent accrochage avait déjà eu lieu sur un autre atoll du même archipel des Spratleys, où 3 frégates de la marine chinoise avaient été empêchées de débarquer par un groupe de jeunes soldats du génie vietnamiens occupés à sceller des bornes topographiques. La marine chinoise n’avait alors pas hésité à tirer au canon anti-aérien sur la soixantaine de militaires vietnamiens désarmés, faisant au moins 6 morts. Depuis, les incidents n’arrêtent pas de se multiplier, chacune des nations riveraines cherchant à annexer les milliers d’atolls déserts et pour la plupart semi immergés qui parsèment cette immense étendue maritime de 3,5 millions de km2.  

Soldats de l’armée chinoise en patrouille sur l’îlot désert de Woody dans l’archipel des Paracels en Mer de Chine (source © China Stringer Network / Le Temps)

La Chine considère en fait que la quasi-totalité de cet espace lui appartient exclusivement, y compris donc ces ilots jamais habités et couverts de guano qui constituent l’archipel des Spartleys, situé à plus de 2000 km de ses côtes les plus méridionales et à proximité des Philippines, de Brunei et de l’Indonésie à l’est, de la Malaisie au sud et du Vietnam à l’ouest. Elle s’oppose donc frontalement au découpage proposé en application du droit maritime international, qui prévoit des zones économiques exclusives selon une bande côtière de 200 miles comptée à partir des rivages habités.

Pour ce découpage, la loi internationale ne tient évidemment pas compte des rochers et récifs perdus en mer et jamais occupés par l’homme. Mais selon l’interprétation chinoise, tous ces atolls perdus en Mer de Chine, même les plus proches des côtes philippines ou vietnamiennes lui appartiennent car ses pêcheurs ont l’habitude d’y accoster. Sur cette base, la Chine revendique donc la quasi-totalité de cet immense espace maritime, à l’intérieur d’une ligne qui dessine une « langue de bœuf » s’insinuant très au sud, en limite des côtes philippines et vietnamiennes.

Carte de la Mer de Chine avec, en rouge, la ligne en 9 traits en forme de langue de bœuf englobant les territoires revendiqués par la Chine (source © éditions Belin)

Cette carte dite « à neufs traits » délimite ainsi une superficie de plus de 2 millions de km2 revendiquée par la Chine depuis 1947 et qui englobe quasiment toute la Mer de Chine à l’exception des zones côtières de faible profondeur. La superficie de terres émergées intégrées dans cet immense espace est minuscule, englobant notamment les îles Paracels, le récif de Scarborough, les îles Spratleys, le banc Macclesfield et le banc de James, des zones perpétuellement immergées respectivement à 22 et 11 m sur la surface de la mer mais dont la Chine dispute âprement la souveraineté face à ces voisins.

Et pour appuyer sa démonstration, elle n’hésite pas à remblayer massivement ces atolls pour les transformer en plateformes émergées sur lesquelles elle construit des infrastructures militaires. Une méthode d’ailleurs utilisée aussi par d’autres pays, si bien qu’on assiste à une course à l’annexion de ces îlots considérés comme autant de points d’appui pour justifier ses revendications territoriales, dans une ambiance de plus en plus militarisée.

Le président chinois Xi Jinping participant à une manœuvre militaire en Mer de Chine méridionale le 12 juillet 2018 (source © Xinhua / Reuters / Le Figaro)

La Chine a notamment installé une base sous-marine au large de l’île de Hainan située en limite méridionale de ses côtes, au sud-ouest de Taïwan. Cette île qui héberge plus de 9 millions d’habitants et est réputée pour l’attrait touristique de ses plages de sable fin, abrite aussi un site de lancement spatial et un chantier de construction de sous-marins nucléaires d’attaque dont la production, sur ce seul site, se fait au rythme accéléré d’un par an ! De quoi donner du poids à la force de dissuasion chinoise qui entend bien contrôler par l’intimidation l’ensemble de cet espace maritime donnant accès au détroit de Malacca situé au sud et qui permet le passage vers l’océan indien.

Edification d’une plateforme sur un des hauts-fonds des îles Spratleys par d’immenses dragueuses chinoise en vue de l’aménagement d’infrastructures militaires et portuaires (source © alter Quebec)

Depuis 2014, les Chinois ont ainsi édifié de multiples remblais dans les îles Paracels pour y installer des batteries de missiles et ils ont entrepris la réalisation de 7 îles artificielles sur des îlots des Spratleys, formant ce que certains appellent ironiquement « la grande barrière de sable ». En quelques années et au prix de terrassements gigantesques, les Chinois ont ainsi dragué d’énormes quantités de sables pour les déverser sur ces récifs coralliens et les recouvrir de béton, gagnant sur la mer pas moins de 13 km2 sur lesquels ils ont aménagé des infrastructures militaires avec radars, pistes d’atterrissage et base de lancements de missiles, ce qui leur permet de menacer les bateaux passant à leur portée.

L’impact environnemental de tels travaux est évidemment catastrophique mais on se doute que c’est bien le dernier des soucis de l’armée chinoise et de son gouvernement dont les visées impérialistes sont de moins en moins masquées…

L. V.

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2 Réponses to “La Chine adepte de la langue de bœuf piquante…”

  1. Chine-Russie : un rapprochement inquiétant ? | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] vise d’ailleurs clairement à exprimer la volonté chinoise d’imposer sa loi dans tout ce secteur géographique, en réaction à la rencontre récente de la présidente de Taïwan avec des parlementaires […]

  2. La nouvelle guerre des mondes | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] n’hésite plus désormais à revendiquer ouvertement et par l’intimidation si nécessaire la maîtrise complète des mers jusqu’au ras des côtes de ses voisins vietnamiens ou philippins et s’immisce partout où elle […]

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