Pierre Dac, toujours d’actualité ?

by

A Paris, le musée de l’art et de l’histoire du judaïsme, situé dans le Marais, organisait jusqu’au 27 août 2023, une exposition rétrospective intitulée « Le Parti d’en rire », en hommage à l’humoriste et homme de radio, Pierre Dac, décédé en 1975 d’un cancer du poumon après avoir fumé toute sa vie, lui qui considérait que « la mort n’est, en définitive, qu’un défaut d’éducation puisqu’elle résulte d’un manque de savoir-vivre ».

Pierre Dac en 1953 (photo © AGIP / BelgaImage / La Libre Belgique)

Une mort qu’il avait appelé de ses vœux à plusieurs reprises puisque celui qui est passé à la postérité (alors qu’il avait toujours estimé qu’il valait mieux « passer hériter à la Poste ») pour son humour pince-sans-rire, ses calembours loufoques et son goût immodéré pour les pitreries, a fait au moins quatre tentatives de suicide, suite à la mort de son frère, tué lors de la guerre de 1914-18, mais aussi plus tard, après la Libération, alors qu’il avait du mal à se faire une place dans le monde de la radio malgré son auréole de grand résistant pour avoir incarné la voix des Français de Londres.

Ce fils d’un boucher juif alsacien réfugié à Châlons-sur-Marne après la guerre de 1870, a été lui-même combattant et plusieurs fois blessé lors de la Première guerre mondiale. Renvoyé du lycée à 15 ans pour son goût immodéré des farces qui l’avait amené à accrocher un hareng saur à l’habit de son prof de maths, il fait de multiples petits boulots à Paris avant de se produire comme chansonnier d’actualité dans les années 1920 et d’adopter du coup le pseudonyme de Pierre Dac en lieu et place de son nom d’André Isaac. Il anime à partir de 1935 plusieurs émissions de radio à succès dont La société des Loufoques, avant de créer en 1938 le journal satirique, L’os à moelle, organe officiel des loufoques, bel exemple de parodie de presse. Francis Blanche y fait ses débuts en rédigeant des publicités pour des « porte-monnaie étanches pour argent liquide » ou de « la pâte à noircir les tunnels ».

Pierre Dac à Radio Londres pendant la Guerre (source © AFP / Radio France)

Il met près de 2 ans, après de longues périodes d’incarcération en Espagne, pour parvenir à rejoindre Londres où il participe à partir d’octobre 1943 aux émissions « Les Français parlent aux Français », et se lance, après la Libération, dans le cabaret et le théâtre avec des acteurs comme Robert Lamoureux puis Francis Blanche. C’est avec ce dernier qu’il crée en 1957 le sketch irrésistible Le Sâr Rabindranath Duval, une parodie de séance de divination en music hall, et qu’il lance les célèbres feuilletons radiodiffusés Malheur aux Barbus, Signé Furax, puis Bons baisers de partout.

Le fameux sketch du Sâr Rabindranath Duval, avec Francis Blanche (source © INA / YouTube)

Le 11 février 1965, Pierre Dac fait le buzz en présentant sa candidature à l’élection présidentielle face au général de Gaulle, entouré de son futur cabinet ministériel constitué notamment de Jacques Martin, Jean Yanne et René Gosciny, tous membres du MOU, le Mouvement ondulatoire unifié dont le slogan « Les temps sont durs, votez MOU ! » fait se gondoler la France entière. A tel point que l’Elysée s’inquiète de la popularité grandissante du candidat et lui demande discrètement de se retirer. Ce qu’il fait illico en se justifiant ainsi : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancour briguait lui aussi, mais au nom de l’extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n’ai aucune chance et je préfère renoncer ». Un beau pied-de-nez de la part de ce fin analyste de la vie politique française qui avait ainsi théorisé la « Géométrie politique : le carré de l’hypoténuse parlementaire est égal à la somme de l’imbécillité construite sur ses deux côtés extrêmes »…

Pierre Dac et Francis Blanche en 1959 (photo © Philippe Bataillon / INA / RTL)

Un aphorisme comme Pierre Dac en a laissé des centaines, tous plus loufoques les uns que les autres, à l’instar de ses sketches désopilants dont celui où il se présente en scientifique austère et sûr de lui décrivant dans ses moindres détails le fonctionnement de sa dernière invention, le Biglotron, « dernier-né de la technique expérimentale d’expression scientifique d’avant-garde » : « Entièrement réalisé en matière agnostique, autrement dit, pour éclairer le profane, en roubélure de plastronium salygovalent, il se présente sous la forme néo-classique d’un tripode-solipède rectangle, c’est-à-dire d’un ictère octo-polygonal à incidence ipso-facto-verso-rectométrique ».

Et de détailler, de l’air blasé du spécialiste qui s’efforce d’expliquer l’évidence à des néophytes : « on distingue dans le premier circuit, le Clebstroïde qui, isolé du pi-aixe de l’intrudmon par une armature en fignabulose ignifuge, agit par capillarité médullaire, sur le fiduseur de télédéconométrie différée, lequel, en vertu du phénomène d’osmose ondulatoire érigé en principe par le célèbre physicien Jean-Marie Keske-Lavoulvoule, catalyse en quelque sorte, le Schpoutzmud de dérivation qui, par voie de conséquence, se trouve entraîné par le bugmuch michazérospiroïdal en direction de la zone d’influence de la boustife de relevailles dont le tuyau d’argougnaphonie spéculaire libère un certain volume de Laplaxmol, lequel, comme chacun le sait, n’est autre qu’un combiné de smitmuphre à l’état pur et de trouduckium flitrant sulsiforé ». La suite est à l’avenant, débité d’un ton monocorde avec un débit de mitraillette, et reste un morceau de bravoure du comique de l’absurde.

Le Biglotron présenté par Pierre Dac (source © INA / YouTube)

Près de 50 ans après sa mort, cette rétrospective récente confirme que Pierre Dac reste d’actualité, comme son nom de scène devenu patronyme officiel en 1950 le laisse entendre. Ses aphorismes, pour absurdes qu’ils soient peuvent toujours servir à l’instar de conseil de sagesse élémentaire : « Rien de sert de penser, il faut réfléchir avant ». Doté d’une grande imagination, il rendait évidents les concepts géométriques les plus abscons, expliquant ainsi que « le carré est un triangle qui a réussi, ou une circonférence qui a mal tourné », et rendant limpide le fonctionnement de la Justice en rappelant que « un accusé est cuit quand son avocat n’est pas cru ». Des références qui ont inspiré bien de ses successeurs, de Raymond Devos à Coluche en passant par Pierre Desproges…

L. V.

Étiquettes : , , , ,

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.