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Georges Soros, le milliardaire anti-capitaliste

22 juillet 2023

Comme tous les ultra-riches qui se piquent de vouloir influer sur les affaires du monde, le milliardaire américain d’origine hongroise, Georges Soros s’est attiré bien des inimitiés et suscite moult controverses. Né en 1930 dans une famille juive, il a 13 ans lorsque les chars de l’Allemagne nazie débarquent à Budapest et ne doit d’échapper à la déportation que grâce à la protection d’un employé du ministère de l’Agriculture qui le fait passer pour son filleul. Initié à l’esperanto par son père, qui avait choisi en 1936 de changer son nom de famille de « Schwartz » en « Soros », il parvient à quitter en 1947 la Hongrie, alors sous occupation soviétique, en profitant d’un congrès international d’esperanto et s’installe en Angleterre où il entreprend des études d’économie tout en passant un doctorat de philosophie et en pratiquant différents petits boulots alimentaires.

Georges Soros, lors d’une interview en 1995 par le journaliste américain Charlie Rose (capture d’écran © YouTube)

Il s’installe aux États-Unis en 1956 et s’y initie à la finance avant de fonder en 1969 son propre fonds offshore, modestement dénommé Quantum Fund of Founds, basé à Curaçao, dans les Antilles Néerlandaises. Il spécule d’abord sur les marchés obligataires, puis, à partir de 1973 sur les devises, suite à l’abandon du système de taux de change fixe. C’est ainsi qu’en septembre 1992 il vend plus de 10 milliards de dollars en livres sterling, anticipant la position du gouvernement britannique de se retirer du mécanisme de change européen et de dévaluer sa monnaie nationale que Soros jugeait avec raison largement surévaluée. Lorsque la livre est introduite sur le marché libre, le fond Quantum augmente quasi instantanément sa valeur de plus de 15 milliards de dollars : un joli coup pour un spéculateur que certains désignent dès lors comme « l’homme qui a cassé la Banque d’Angleterre »…

Ardent partisan du parti démocrate, il investit en 2004 des millions de dollars pour empêcher, en vain, la réélection de Georges W. Bush. Et en 2016 il soutient de toutes ses forces la candidature d’Hillary Clinton pour s’opposer à l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Persuadé que celle-ci se traduira par une forte chute des indices boursiers américains, il spécule dans ce sens et perd près de 1 milliard de dollars dans l’opération !

Georges Soros mettant en garde l’Europe, lors du forum économique de Bruxelles en juin 2017, contre un danger existentiel lié au « dysfonctionnement des institutions, aux politiques d’austérité récurrentes et aux traités obsolètes » (photo © Commission européenne)

En 2017, alors que sa fortune personnelle est estimée à environ 25 milliards de dollars, il décide d’en transférer une large partie, à hauteur de 18 milliards, à sa propre fondation, un réseau intitulé Open Society Foundations (OSF), dans lequel il a déjà investi de l’ordre de 13 milliards de dollars en 30 ans  et qui devient alors la seconde ONG la plus richement dotée du monde, derrière celle de Bill Gates. Une opération spectaculaire, certes justifiée en partie par de sombres raisons d’optimisation fiscale, mais qui traduit une volonté incontestable du milliardaire américain de peser sur la vie politique mondiale, au-delà de la simple spéculation financière.

Créé dès 1979, initialement pour soutenir financièrement des étudiants noirs sudafricains alors en proie au régime d’Apartheid, ce réseau de fondations OSF traduit en réalité une immense activité philanthropique de la part de celui qui se veut philosophe avant d’être financier et dont l’objectif est de promouvoir dans le monde entier une « société ouverte », ce qu’il traduit par : « construire des démocraties vivantes et tolérantes dont les gouvernements sont responsables devant leurs peuples, et ouverts à la participation de tous ».

Considéré comme philanthrope par les uns, comme un dangereux manipulateur par d’autres, Georges Soros est devenu la bête noire de la droite conservatrice et des comploteurs en tous genres…, un dessin signé Kak, publié dans l’Opinion

Une vision somme toute assez humaniste et qui lui vaut de soutenir financièrement, via l’OSF, des dizaines de fondations nationales et des centaines d’ONG de par le monde militant en faveur des droits de l’homme, de l’éducation, de la démocratie, de la santé, contre la corruption ou en faveur des minorités mais aussi pour la légalisation du cannabis, voire contre l’islamophobie en France.

Une activité intense qui lui a valu bien des critiques, d’autant que l’homme n’a pas forcément la langue dans sa poche… Désireux d’aider à la démocratisation de la vie politique en Europe centrale après la chute du mur de Berlin en 1989, il s’investit fortement, notamment en Hongrie, son pays natal, où il finance de nombreuses organisations citoyennes et favorise l’accès à l’éducation supérieure, au point de déclencher la colère du dirigeant nationaliste Viktor Orbán qui l’accuse d’ingérence et l’oblige finalement à déménager sa fondation qui doit se replier à Berlin en 2018.

Georges Soros à Budapest en 2012, dans son pays natal dont Viktor Orban l’a chassé (photo © Akos Stiller / Bloomberg / Getty Images / Jeune Afrique)

Les mouvements soutenus par Georges Soros ont été très actifs dans les révoltes populaires qui ont abouti à la chute du Serbe Slobodan Milošević en 2000 mais aussi lors de la révolution orange et les manifestations de la place Maidan en Ukraine en 2013. Lors de l’invasion russe en Crimée, avant même le conflit armé actuel, Georges Soros insiste lourdement auprès des dirigeants européens pour qu’ils viennent en aide financièrement à l’Ukraine pour éviter une nouvelle invasion russe qu’il pressent et pour combattre le modèle promu par Vladimir Poutine, plus désireux de rétablir le nationalisme, voire l’impérialisme russe que de défendre des valeurs démocratiques.

Une logique qui le conduit à s’inquiéter aussi de la montée en puissance de la Chine, qualifiant Xi Jinping d’homme le plus dangereux au monde pour la liberté, et le régime chinois comme « le régime autoritaire le plus riche, le plus puissant, le plus sophistiqué dans l’intelligence artificielle et les machines ». Des critiques qu’il formule aussi à l’encontre du gouvernement américain dont il a largement remis en cause l’implication pendant la guerre en Irak, considérant que la guerre contre le terrorisme a finalement fait bien plus de morts que le terrorisme lui-même… Une vision qui l’amène aussi à se montrer particulièrement critique envers le gouvernement israélien actuel de Benyamin Netanyahou, mais aussi contre les GAFAM qu’il considère comme une menace réelle pour la société et la démocratie, et même contre le capitalisme qu’il juge amoral et beaucoup trop favorable aux classes les plus aisées.

Georges Soros avec son plus jeune fils, Alexander, à qui il a passé les rênes de ses fondations (photo © Alexander Soros / Facebook / The Times)

Un discours que nombre de ses détracteurs estiment largement hypocrite dans la mesure où il en a lui-même largement bénéficié, mais cela n’enlève rien à la force de ses convictions et à la réalité de son engagement en faveur d’une société démocratique plus ouverte. A 92 ans, Georges Soros est désormais totalement retiré des affaires, un de ses fils ayant repris la main sur ses fondations depuis fin 2022 tandis que son fonds spéculatif Quantum s’est transformé en 2011 en un groupe familial d’investissement. Ce qui n’a pas empêché Georges Soros de se distinguer en étant classé en 2023 par le magasine People with money comme l’homme d’affaire le mieux payé du monde avec, pour cette année, 46 millions de dollars de revenus issus de ses placements boursiers, de son patrimoine immobilier et de très lucratifs contrats publicitaires, entre autres…

Georges Soros lors du dernier forum économique de Davos en 2022 (photo © AFP / Les Echos)

Mais l’homme est (re)devenu philosophe et affirme s’intéresser surtout aux idées, précisant magnanime : « Je n’ai pas besoin personnellement de toute cette fortune. Mais malheureusement, si je n’avais pas gagné tout cet argent, je crois que personne n’écouterait mes idées ». On ne prête décidément qu’aux riches…

L. V.