A Manosque, on mise sur l’énergie verte

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Loin de tout miser sur le projet ITER et ses promesses d’accéder un jour peut-être à la maîtrise de la fusion nucléaire, le maire LR de Manosque, Bernard Jeanmet-Péralta, par ailleurs président de la communauté d’agglomération Durance Luberon Verdon Agglomération (DLVA), se débat depuis des années pour tenter de mettre en œuvre une autre voie de la transition énergétique, l’hydrogène vert.

C’est tout l’enjeu du projet Hygreen (pour « Hydrogène vert », en Provençal dans le texte), en gestation depuis 2 ans mais sur lequel la collectivité DLVA n’hésite plus désormais à communiquer largement. La Provence s’en était fait largement l’écho dans un article en février 2019 et le maire de Manosque n’a pas hésité à interpeller en direct à ce sujet le Président de la République Emmanuel Macron, lors de son passage à Gréoux-les-Bains, le 7 mars 2019, à l’occasion du Grand débat post Gilets jaunes.

A Gréoux, le maire de Manosque, Bernard Jeanmet-Péralta, interpellant Emmanuel Macron sur la filière de l’hydrogène vert (photo © Frédéric Speich / La Provence)

L’idée n’est pas nouvelle mais elle s’inscrit bien dans l’air du temps de la transition énergétique, et dans les ambitions du plan national Hydrogène dévoilé par Nicolas Hulot, du temps où il était encore ministre de la transition écologique. Elle consiste à développer la production locale d’électricité par panneaux photovoltaïques, puis à utiliser cette énergie verte pour fabriquer de l’hydrogène par électrolyse d’eau distillée. Un procédé très gourmand en électricité et actuellement peu compétitif face aux filières classiques de production d’hydrogène par voie chimique à partir d’hydrocarbures, mais qui a l’avantage d’être totalement décarboné et ne ne pas rejeter de gaz à effet de serre.

L’hydrogène ainsi produit constitue un excellent moyen de stocker l’énergie puisqu’il peut ensuite être restitué sous forme d’électricité via des piles à combustibles pour alimenter des véhicules à moteur électrique. L’avantage est que ces véhicules, qui disposent de leur propre réservoir d’hydrogène sous pression, peuvent faire le plein en quelques minutes seulement, comme avec une pompe à carburant traditionnelle, et disposer ensuite d’une autonomie de plusieurs centaines de kilomètres.

Toyota Miraï faisant le plein d’hydrogène (DR)

A Manosque, on ne sait pas encore très bien comment tout ceci va se concrétiser, mais les choses se précisent. Le pari du président de la DLVA, une communauté d’agglomération qui regroupe 25 communes du sud des Alpes de Haute-Provence (et une du Var) entre Durance et Verdon, est que son territoire dispose pour cela de nombreux atouts : un ensoleillement très favorable, de l’espace et même des cavités naturelles exploitées depuis 1969 pour le stockage d’hydrocarbures et qui pourraient être réemployées pour y conserver l’hydrogène ainsi produit.

Ces cavités sont réalisées artificiellement par dissolution du sel dans des couches géologiques profondes et permettent de stocker de grandes quantités d’hydrocarbure liquide en toute sécurité. Le site exploité par la société Géostock comprend ainsi 28 cavités pour une capacité de stockage de plus de 9 millions de m3, la plus importante de France, en plein cœur du Parc naturel régional du Luberon. Le groupement d’intérêt économique Géométhane, qui stocke du gaz naturel à plus de 1000 m de profondeur, près de Manosque, devrait être le partenaire associé au projet Hygreen.

A ce jour, un comité scientifique a été mis sur pied, ainsi qu’un comité stratégique de pilotage du projet, associant, outre les élus locaux, la Région PACA et les services de l’État. Les communes ont été sollicitées pour mettre à disposition les terrains sur lesquels seront installés les panneaux photovoltaïques, sachant que le territoire de la DLVA compte déjà près de 500 installations fonctionnelles pour une production annuelle supérieure à 12 GWh.

Parc solaire de Gréoux-les-Bains sur 180 ha, mis en service en juin 2017 par Solairedirect (source ENGIE)

Le projet dans son état actuel envisage la production d’électricité via plusieurs sites distincts équipés de panneaux photovoltaïques pour une puissance totale visée de 900 MWc. De quoi produire plus de 10 000 tonnes d’hydrogène vert chaque année. Dix commune de la DLVA ont déjà proposé des terrains pour l’implantation des premières installations au sol, soit l’équivalent de 650 ha à ce jour, l’objectif à terme étant de couvrir environ 1600 ha. Elles percevront en échange un loyer qui pourrait correspondre à environ 30 % de la recette, le reste revenant aux acteurs publics et privés qui apporteront l’essentiel de l’investissement tandis que la communauté d’agglomération DLVA percevra les recettes fiscales et que le territoire bénéficiera des retombées en matière d’emploi, les projections les plus optimistes faisant état d’un millier de postes créés sur 10 ans et de recettes pour le territoire évaluées à 10 millions d’euros par an pendant 30 ans : une véritable manne pour DLVA !

Le coût de l’opération n’est cependant pas négligeable puisqu’il est estimé actuellement  à près d’un milliard d’euros dont environ 600 millions pour les installations solaires de production d’électricité et le reste pour produire et stocker l’hydrogène. De l’hydrogène vert dont le sort n’est pas encore totalement fixé : il pourrait soit être injecté directement dans le réseau de gaz, soit être revendu à des sites industriels locaux, soit servir à la mise en place d’un réseau de transport public et au ravitaillement de flottes captives de voitures électriques.

Kangoo à hydrogène achetée par le Conseil départemental de la Manche en 2015 (source © Breez Car)

L’idée est en effet de promouvoir l’hydrogène comme carburant des véhicules décarbonés du futur, même si jusqu’à présent la filière reste encore très expérimentale malgré les initiatives de nombreuses collectivités qui mettent en place, qui leurs bus, qui leurs vélos à hydrogène. On trouve désormais sur le marché des voitures électriques Renault Kangoo équipés de piles à combustible à hydrogène par la société grenobloise Symbio FCell, rachetée par Michelin en février 2019. Et il existe même un train à hydrogène, le Coradia iLint, développé par Alstom et dont les premières rames roulent depuis fin 2018 pour le réseau régional de transport de Basse-Saxe en Allemagne.

Pour autant, le nombre de véhicules à hydrogène en service était estimé en 2018 à 6 500 tout au plus à travers le monde. A Paris, une flotte d’une centaine de taxis est exploitée depuis 2015 sous la marque Hype. Mais le marché reste encore très balbutiant du fait des coûts très élevés de ces véhicules et des craintes qui existent quant à la sécurité des réservoirs à hydrogène sous pression. L’hydrogène est en effet un gaz très volatile et qui s’enflamme facilement au contact de l’air.

Explosion d’une station de distribution d’hydrogène le 10 juin 2019 près d’Oslo, en Norvège le (source © Automobile propre)

Deux explosions ont d’ailleurs déjà eu lieu coup sur coup sur des usines de production et de distribution d’hydrogène, la première le 1er juin 2019 à Santa Clara en Californie, et la seconde le 10 juin 2019 près d’Oslo en Norvège. Dans les deux cas, tout le réseau de distribution d’hydrogène du pays a été mis à l’arrêt en attendant de diagnostiquer les causes réelles du sinistre, confirmant que la technologie, bien que très prometteuse dans le cadre de la transition énergétique, n’est peut-être pas encore totalement mature, ce qui bien sûr n’enlève rien aux rêves ensoleillés de la communauté d’agglomération DLVA…

L. V.

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