Roquefort-La Bedoule s’est (aussi) bâtie sur du sable…

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Contrairement à sa jeune voisine, Carnoux-en-Provence, qui vient tout juste de fêter, en 2016, ses cinquante années d’existence, ce qui ne l’a pas empêché de déjà démolir et reconstruire entièrement son hôtel de ville pourtant dernier né du Département, Roquefort-la Bédoule est une ville riche de son passé historique avec ses multiples vestiges d’implantations anciennes sur les hauteurs de la commune remontant au moins du temps des tribus celto-ligures qui occupaient la région avant l’arrivée des colons phocéens.

Ancien four à chaux à Roquefort-La Bédoule, alors alimenté en charbon extrait de Gardanne (source © Ba-idane)

La commune s’est développée grâce à son riche terroir viticole toujours aussi renommé mais elle doit surtout son essor économique à l’exploitation de ses fours à chaux, sous l’impulsion du polytechnicien varois, Benoît-Hyppolyte de Villeneuve-Flayosc qui découvre alors, entre 1834 et 1836, les caractéristiques mécaniques de ciments fabriqués non pas à partir de la calcination de calcaire pur, qui donne la chaux hydraulique bien connue depuis l’époque romaine, mais à partir des marnes, mélange naturel d’argile et de calcaire. Ses recherches emboitent d’ailleurs le pas de celles d’un autre polytechnicien, Louis Vicat, qui s’intéressant dès 1817 aux propriétés d’hydraulicité de la chaux, a compris l’intérêt d’ajouter de l’argile au calcaire pour aboutir à la fabrication des ciments.

Ancienne cimenterie De Villeneuve à La Bédoule (source © Rocare)

Toujours est-il que dès 1836 et à l’initiative de Villeneuve-Flayosc, s’ouvre près du petit village de Roquefort la première usine française de chaux hydraulique qui connait un grand succès car il est le premier à livrer le produit sous forme de poudre fine conditionnée dans des sacs plombés, selon un procédé que Lafarge cherchera d’ailleurs à lui racheter pour le faire breveter à son bénéfice, mais sans succès, l’ingénieur préférant rendre publique son invention !

Si la fabrication de chaux hydraulique et de ciment connaît un tel essor, jusqu’à initier la création du nouveau centre urbain de La Bédoule, au carrefour des routes conduisant à Cuges, Cassis, Aubagne et La Ciotat, éloigné du noyau historique de Roquefort mais plus proche des usines, c’est que la nature du sous-sol s’y prête admirablement. Outre les bancs de calcaire dur urgonien, exploités pour la pierre à bâtir, la commune possède en effet d’épais empilements de marnes à partir desquelles a été décrite le stratotype du Bédoulien, à l’initiative du géologue Toucas, sur la base de ses observations dans ce qui constitue aujourd’hui la carrière Lafarge, au nord de la gare de Cassis. Le Bédoulien est considéré comme le premier terme de l’Aptien, avant-dernier étage du Crétacé inférieur.

Société des chaux et ciments Romain Boyer à Roquefort-la-Bédoule au début du XIXe siècle (source © Xavier Darmalin – Le patronat marseillais et la deuxième industrialisation / PUP)

Au sud de la commune, au niveau du Pas de l’Oullier qui marque le col sur la route conduisant à La Ciotat, les formations qui affleurent sont d’âge cénomanien, marquant la base du Crétacé supérieur. On y trouve des barres de calcaire massif mais aussi localement une dizaine de mètres d’épaisseur d’argiles sableuses ocres et de sables très riches en silice. Cette couche de sable très particulier que l’on retrouve aussi bien à l’ouest de l’autoroute, dans le massif de la Marcouline, que du côté est, au-dessus du tour des Dallest, a été exploité en carrières souterraines à partir de1846 et jusqu’en 1958.

Entrée des anciennes galeries souterraines d’exploitation de sable à La Bédoule, transformées ensuite en champignonnières (source © blog L’estrangiè et li santoun)

L’exploitation se faisait manuellement, à la pelle et à la pioche, faisant vivre 3 familles dont celle des Dallest. Des wagonnets sur rail étaient remplis puis tirés à l’extérieurs à l’aide d’un treuil. Impropre à la fabrication du ciment du fait de sa forte teneur en argile, ce sable très fin de couleur jaune à ocre était alors très prisé par les maçons pour teinter les enduits de façade, ainsi que par les potiers d’Aubagne pour donner une belle couleur ocre à leurs tuiles romaines. Riche en silice, le sable était aussi utilisé par les ménagères pour récurer les fonds de casseroles. Il servait également en fonderie, jusqu’à celle de l’arsenal de Toulon. Mais le principal débouché industriel était la fabrication de verre. Acheminé par lourdes charrettes tirées par 8 chevaux, le sable de La Bédoule partait ainsi alimenter les usines verrières de La Capelette et de Saint-Marcel.

Ancienne galerie d’exploitation taillée dans les couches de sable ocre (source © blog L’estrangiè et li santoun)

En 1894, Marseille qui fut un important centre de fabrication de verre, ne compte plus que 3 verreries, fonctionnant toutes au gaz de houille : celle de Montredon, destinée à l’embouteillage d’huile et de vin, et celle de Saint-Marcel comptent une centaine d’employées chacune tandis que celle de Pont-de-Vivaux compte jusqu’à 1000 personnes. Les deux dernières appartiennent à la famille Queylard, une très vielle famille de verriers varois installée à Marseille depuis 1770, et fabriquent des bouteilles de toutes sortes, y compris de grosses dames-jeannes, mais aussi des ampoules pour l’éclairage. L’usine de Pont-de-Vivaux sera d’ailleurs reprise en 1960 par le groupe Boussois devenu ensuite BSN puis AGC Glass Europe.

Anciennes meules de champignonnières dans les carrières de La Bédoule (source © blog L’estrangiè et li santoun)

Le sable de La Bédoule ne sert plus à fabriquer le verre mais le maire de la commune, Marc Del Grazia, qui connaît bien ces anciennes carrières souterraine, reconverties jusque dans les années 1970 en champignonnières, avant d’être abandonnées, envisage de les valoriser en s’en servant d’échangeur thermique pour chauffer, via de la géothermie de faible profondeur,  les futures salles de classe de Roquefort-La Bédoule qui lance actuellement son projet de construction d’un nouveau groupe scolaire de 16 classes. Une idée astucieuse qui permet de bâtir l’avenir de la commune sur le sable du patrimoine historique en voie d’oubli ?

L. V.

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2 Réponses to “Roquefort-La Bedoule s’est (aussi) bâtie sur du sable…”

  1. « Du sable au verre » : Exposition, conférence… – Le Carrefour citoyen Says:

    […] Un article sur le sable et le passé de RLB par le Cercle progressiste carnussien […]

  2. Conférence « Du sable au verre » – Le Carrefour citoyen Says:

    […] Un article sur le sable et le passé de RLB par le Cercle progressiste carnussien […]

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