Primaires à gauche : pourquoi tant de haine ?

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C’est entendu, le pouvoir rend fou et l’aspiration à exercer le pouvoir y contribue largement… Avant chaque élection, c’est la même chose dans tous les partis : chacun s’étripe pour avoir une place et espérer être élu. Comme si exercer la lourde tâche de représenter ses concitoyens et prendre en leur nom les décisions souvent difficiles qui s’imposent pouvaient compenser le rythme épuisant et l’absence totale d’intimité familiale qui caractérisent la vie quotidienne de nos élus. A croire que la griserie du pouvoir et de l’exposition médiatique est une drogue à laquelle il est bien difficile de renoncer une fois qu’on y a goûté…

Dans moins de trois mois auront lieu les prochaines présidentielles et chacun a pu constater, à l’occasion des primaires des écologistes puis celles de la droite, comment des hommes et des femmes engagés en politique dans le même camp et partageant grosso modo les mêmes idées ont pu s’affronter violemment, uniquement pour avoir le privilège de présenter leur candidature devant les électeurs. Assurément, le régime présidentiel qui caractérise notre Cinquième République explique largement cette course à l’échalote liée à la personnalisation de la fonction de chef de l’État.

Les candidats de gauche disent pourtant tous la même chose… Un dessin signé Ganaga (source © Blagues et dessins)

Dans ce contexte, certains bords politiques s’en tirent plutôt bien, soit parce qu’ils ont un candidat naturel incontesté, comme Emmanuel Macron ou Marine Le Pen, soit parce qu’ils ont réussi, malgré les obstacles et les frustrations immenses qui en découlent, à faire émerger un candidat à l’issue de primaires, comme c’est le cas de Valérie Pécresse pour le parti LR.

En revanche, la gauche se retrouve dans un véritable champ de ruines à quelques mois de l’échéance électorale avec toujours 7 candidats en lice malgré le retrait d’Arnaud Montebourg, dont la « remontada » annoncée avec panache le 4 septembre 2021 s’est finalement plutôt terminée en « degringolada » pour reprendre l’expression vacharde de nombreux médias et qui a donc jeté l’éponge le 19 janvier 2022 dans une video testament tournée sur le site gaulois de Bibracte au mont Beuvray…

Arnaud Montebourg sur le mont Beuvray annonçant qu’il renonce à sa candidature aux présidentielles (photo © capture d’écran Twitter / France TV info)

Si l’on excepte les candidatures d’extrême gauche de Philippe Poutou et de Nathalie Arthaud, qui n’ont aucune prétention à accéder aux responsabilités et seraient bien en peine de mettre en œuvre un programme de gouvernement cohérent, ce sont donc cinq personnalités de gauche qui se présentent pour l’instant à la candidature suprême, dont deux seulement ont déjà exercé des responsabilités ministérielles et qui toutes sont issues ou appartiennent encore aux partis historiques de la gauche française, associés au gouvernement lorsque la gauche était en responsabilité, sous François Mitterrand, dans le gouvernement de Lionel Jospin ou durant le quinquennat de François Hollande.

Jean-Luc Mélenchon en 1997, alors membre du parti socialiste, ici avec François Hollande et Lionel Jospin, dont il sera ministre délégué à l’enseignement supérieur (photo © Philippe Wojazer / Reuters / Le P’tit Libé)

Pourquoi alors cette incapacité totale à dialoguer et à envisager un programme commun de gouvernance alors que les différences idéologiques entre ces différentes composantes de la gauche sont pour le moins subtiles ? On pourrait certes pointer l’insistance de Fabien Roussel, candidat du Parti communiste, à vouloir développer coûte que coûte la filière nucléaire, ce qui a le don d’agacer un écologiste comme Yannick Jadot, lequel aurait pourtant bien du mal, même avec la meilleure volonté du monde, à tourner totalement la page du nucléaire s’il devait par miracle être élu à la tête du pays.

Pour peu que ces différentes personnalités politiques veuillent bien sortir de leurs positions les plus caricaturales, il ne leur serait sans doute pas très difficile de se rejoindre sur un socle commun et de gouverner ensemble sur la base de propositions pragmatiques. Avec à peine 25 % d’intentions de vote selon tous les sondages qui se succèdent à un rythme effréné depuis le début de cette campagne, la gauche est objectivement minoritaire dans le paysage politique actuel et il est donc parfaitement évident pour tout le monde qu’elle n’a pas la moindre chance d’arriver en tête de ces élections présidentielles, surtout si elle est incapable de surmonter ses querelles de préséances qui relèvent du pur enfantillage.

Christiane Taubira, une nouvelle candidature qui ne règle pas le problème de la gauche… Un dessin d’Emmanuel Chaunu publié dans Ouest France

La seule stratégie possible, dans un tel régime politique et avec les règles électorales qui sont les nôtres, est que les différents mouvements de gauche s’unissent et s’entendent sur un programme commun de gouvernement. C’est ce qui lui a permis d’arriver en responsabilité en 1981 (sans même remonter à 1936 !), en 1997 et en 2012. Comment dans ces conditions ne pas être désespéré par la situation actuelle où chacun des candidats refuse de faire le moindre compromis et de discuter avec ses alliés politiques naturels en vue d’élaborer une plateforme commune de gouvernement.

Arnaud Montebourg avait tenté de se placer dans cette dynamique mais a dû y renoncer. Christian Taubira tente désormais de s’y inscrire à son tour en s’appuyant sur la démarche de la Primaire populaire qui a tout tenté pour faire émerger cette candidature commune que la majorité des électeurs de gauche appellent de leurs vœux. Certains, autour du député européen Pierre Larrouturou et de la petite-fille de Stéphane Hessel, ont été jusqu’à entamer une grève de la faim pour alerter sur cette situation kafkaïenne.

Pierre Larrouturou entouré de militants écologistes en grève de la faim pour appeler à un sursaut de responsabilité en faveur d’une candidature unie à gauche (photo © Daniel Fouray / Ouest France)

Mais les réponses de certains des candidats et de leur entourage, notamment du côté de la France Insoumise, sont sans appel et rejettent catégoriquement ces appels au rassemblement, avec des mots d’une violence inouïe qui feraient presque passer ces alliés de la gauche écologiste ou social-démocrate pour des suppôts du capitaliste et en tout cas des ennemis à combattre, plus dangereux à leurs yeux que le clan LR ou même RN. La France de 2022 est en train de revivre le cauchemar de la république allemande de Weimar, lorsque communistes et sociaux-démocrates se déchiraient à qui mieux mieux, laissant finalement le champ libre au parti nazi en pleine ascension… Même le maire de Marseille, Benoît Payan, s’en est ému dans une interview à Libération, lui qui est bien placé pour savoir que seule une alliance de tous les mouvement de la gauche et de la société civile a permis de mettre fin au règne sans partage d’une droite marseillaise solidement implantée. « Nous sommes condamnés à être la gauche la plus bête du monde pendant encore combien de temps ? » a ainsi cinglé Benoît Payan, ajoutant : « Certains candidats de cette présidentielle ont été dans le même parti, d’autres ont soutenu les mêmes gouvernements. Ils dirigent ensemble des coalitions dans les villes et on essaie de nous faire croire que pour diriger le pays, ce n’est pas possible ? ».

Benoît Payan s’inquiète de la stratégie suicidaire de la gauche à 3 mois des présidentielles… (photo © Patrick Gherdoussi / La Croix)

Assurément, certains ont bien du mal à dépasser cette course égocentrique au pouvoir suprême qui les aveugle, oubliant que l’on ne gouverne pas seul mais en équipe et nécessairement en faisant des compromis pour pouvoir dégager des mouvements majoritaires. Aspirer à gouverner quant on est minoritaire ne peut fonctionner que sous un régime dictatorial, peut-être n’est-il pas inutile de le rappeler…

L. V.

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