Tanzanie : une femme remplace un bulldozer

by

Le très controversé Président de la République unie de Tanzanie, John Pombe Magufuli, est décédé le 17 mars 2021, à l’âge de 61 ans, officiellement des suites de problèmes cardiaques, mais plus vraisemblablement du Covid-19, dont il niait pourtant l’ampleur, contre toute évidence. Depuis le début de la pandémie, cet ancien enseignant, pourtant détenteur d’un doctorat en chimie mais fervent chrétien, s’était rangé ouvertement dans le clan des coronasceptiques indécrottables, affirmant sans sourciller : « le virus a été totalement éliminé par Dieu, grâce aux prières des Tanzaniens ».

John Magufuli, lors de l’une de ses dernières apparitions en public, le 24 février 2021 à Dar es Salaam (photo © Stringer – Reuters / RFI)

Se proclamant ouvertement anti-masque, anti-vaccin et même anti-test, il n’hésitait pas à nier l’évidence et à falsifier la réalité en allant jusqu’à demander aux forces de l’ordre de pratiquer des tests PCR à l’aveugle sur des échantillons prélevés sur des chèvres, des cailles, des papayes et même sur de l’huile moteur, résultats tous proclamés positifs, histoire de bien accréditer l’idée que tout ceci n’est que pure invention. Fin avril 2020, le pays n’affichait que 21 décès liés au Covid-19 pour 509 personnes officiellement contaminées pour une population de 58 millions d’habitants et, depuis, la diffusion des chiffres de l’épidémie s’est tout simplement arrêtée, accréditant l’idée que le virus avait disparu du paysage. Et pourtant, l’épidémie progressait à grands pas dans le pays, notamment parmi les élites dirigeantes, jusqu’à emporter le Président lui-même qui n’était plus paru en public depuis le 27 février 2021.

Le président tanzanien enterrant la confiance, un dessin signé du Kenyan Gado (source © Courrier international)

Ministre des Travaux publics de 2010 à 2015, Magufuli y avait tiré son surnom de Tingatinga, autrement dit, le bulldozer en swahili. Un surnom qui lui allait comme un gant, non seulement pour sa politique ambitieuse de grands travaux, mais aussi pour ses méthodes radicales en matière de lutte contre la corruption et pour sa capacité à terrasser impitoyablement toute voix dissidente. Élu à la Présidence de la République le 29 octobre 2015 à l’issue d’une primaire comptant pas moins de 38 candidats, sa lutte implacable contre les dépenses publiques et son action contre la corruption sont incontestablement à porter à son crédit, même si cela a eu pour effet d’effrayer quelque peu les investisseurs habitués à des règles de fonctionnement plus souples, à l’africaine…

Tout ceci n’a pas empêché la Tanzanie d’afficher un des taux de croissance les plus élevés du continent, de l’ordre de 6 % en 2018 comme en 2019. Fidèle à sa méthode, « le bulldozer » s’est lancé dans un vaste programme d’investissement pour développer les infrastructures, portuaires, hydroélectriques et ferroviaires notamment, tout en n’hésitant pas à se rapprocher de la Chine pour bénéficier de son soutien économique.

Le pont Julius Nyerere construit avec l’aide des Chinois et inauguré en 2016 par John Magufuli, relie le quartier des affaires de Dar es Salaam à Kigamboni (source © Wikipedia)

Confronté, à partir de 2016, à une opposition qui se renforce, dans un pays où son parti, Chama cha Mapinduzi, ou Parti de la Révolution, est au pouvoir sans discontinuer depuis l’indépendance de la Tanzanie en 1962, John Magufuli, n’hésite pas, là aussi à jouer les bulldozers en limitant drastiquement la liberté d’expression, en suspendant les médias trop critiques et en jetant en prison ses opposants les plus virulents. En quelques années, la Tanzanie perd plus de 50 places dans le classement des nations établi par Reporters sans frontières et, en 2019, Amnesty International s’inquiète de « la destruction sans vergogne du cadre de défense des droits humains établis par le pays ».

Le bulldozer n’en a cure et en octobre 2020 il est réélu sans difficulté avec un score officiel fort honorable de 84 % des suffrages tandis que son parti remporte 99 % des sièges au parlement. Son rival malheureux, Tundu Lissu, dénonce des résultats « complètement fabriqués » mais seul le coronavirus a donc finalement réussi à mettre fin au pouvoir solidement établi de John Magufuli.

Samia Suluhu Hassan prêtant serment pour devenir Présidente de la République de Tanzanie (photo © Stringer – Reuters / DW)

Conformément à la constitution tanzanienne, c’est le Vice-Président qui a annoncé la mort du chef de l’État et qui a pris les rênes du pays jusqu’à la prochaine élection présidentielle, prévue en 2025 seulement. En l’occurrence, il s’agit d’une femme, Samia Suluhu Hassan, qui devient donc, de ce fait, la première femme présidente de l’histoire de la Tanzanie, et par ailleurs la première à accéder à ce poste en étant originaire de l’archipel semi-autonome de Zanzibar, dont les relations avec la partie continentale du pays sont traditionnellement houleuses.

Cette musulmane de 61 ans, mère de 4 enfants, devient du coup l’une des très rares femmes à accéder au rang de chef d’État sur le continent africain. Elle rejoint sur cette liste l’Éthiopienne Sahle-Work Zewde, élue Présidente de la République démocratique fédérale d’Éthiopie en octobre 2018, mais dont les fonctions sont largement honorifiques.

Sahle-Work Zewde, Présidente de la République d’Ethiopie (photo © Audrey Rolland / La libre Belgique)

Sans remonter à Cléopâtre ou à la Reine de Saba, d’autres les ont précédées, parmi lesquelles Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Libéria de 2006 à 2018 et surnommé « la Dame de fer », mais aussi Joyce Banda qui dirigea le Malawi de 2012 à 2014 ou encore Catherine Samba-Panza qui accéda à la présidence de la République centrafricaine entre 2014 et 2016. Des fonctions qui restent encore beaucoup trop rarement accessibles aux femmes sur un continent où celles-ci jouent pourtant un rôle économique majeur…

L. V.

Étiquettes : , , , , , , , , ,

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.