La frontière entre l’art et la technologie est de plus en plus ténue et certains œuvrent pour la faire carrément disparaître ! C’est notamment le cas du Japonais Toshiyuki Inoko, ingénieur de formation, qui, en 2001, fondait avec plusieurs anciens camarades de l’université de Tokyo le collectif TeamLab. Son objectif : « libérer l’art des contraintes physiques ». Ce groupe pluridisciplinaire composé d’artistes mais aussi d’ingénieurs, d’informaticiens, de spécialistes de l’imagerie numérique, de mathématiciens et d’architectes s’est ainsi fait connaître depuis 2011 par plusieurs expositions dans le monde entier, plongeant le visiteur dans un univers poétique et irréel qui évolue de manière interactive.

On est bien loin de l’art classique, figé et académique. Les œuvres de TeamLab, grâce à de complexes algorithmes, font entrer dans un univers onirique où le spectateur a l’impression de s’extraire des contingences de notre monde matériel pour pénétrer dans l’œuvre elle-même et interagir avec elle puisque celle-ci évolue en fonction de ses propres mouvements. Un art qui permet de s’abstraire des frontières du réel, en réponse au souhait de son fondateur qui l’exprime ainsi : « j’aimerais que cet espace soit un lieu où l’on puisse se rappeler que les frontières n’existent pas dans notre monde ».

Rien d’étonnant donc que le collectif ait appelé son propre musée le Digital Art Museum TeamLab Borderless, justement pour rappeler ce souhait de dépasser les frontières. Ouvert en juin 2018 dans le quartier quelque peu futuriste d’Odaiba, à Tokyo, en collaboration avec le promoteur japonais innovant Mori Building, ce premier espace muséal s’étend sur un hectare et rassemble une cinquantaine d’œuvres interactives. Mobilisant 520 ordinateurs et 470 projecteurs, mais aussi plusieurs centaines de techniciens hautement qualifiés qui s’activent en coulisses, cette cathédrale d’images géante constitue une véritable prouesse technologique car les images projetées ne sont pas préenregistrées mais réalisées en temps réel pour interagir avec les visiteurs qui y pénètrent !

Le visiteur passe d’une salle à l’autre et se retrouve plongé dans des univers oniriques et lumineux qui changent en permanence. Il se retrouve environné de nuées de papillons qui meurent quand on les touche, se perd dans une forêt de lampes, traverse des champs qui changent d’aspect à vue d’œil, se retrouve sous une averse de pluie lumineuse, se perd au milieu de ballons virtuels multicolores, fait du trampoline dans un décor féerique et changeant.
Une expérience déconcertante, qui bien sûr attire les foules de curieux. Dès la première année d’ouverture, le musée a reçu pas moins de 2,3 millions de visiteurs, soit davantage que le musée Van Gogh à Amsterdam et plus du double que le musée Picasso à Barcelone ou que le musée Dali à Figueras… De quoi inquiéter les tenants de l’art académique qui peinent à attirer autant !

Un succès tel que TeamLab a ouvert depuis un autre musée à Shanghaï en 2019 et a créé de multiples expositions dans le monde, dont une à La Vilette en septembre 2018, mais aussi une exposition permanente à Tokyo toujours ouverte, intitulée TeamLab Planets. On y pénètre pieds nus, ce qui permet de marcher dans l’eau sous une cascade virtuelle, mais aussi d’apprécier le moelleux d’une salle recouverte de coussins géants qui changent de volume au fur et à mesure que l’on s’affale dessus. Plongés dans l’eau jusqu’aux genoux, les visiteurs se retrouvent en immersion totale dans un aquarium géant, entouré de carpes koï virtuelles, tandis que, dans une autre salle, ils jouent à cache-cache au milieu de gros ballons gonflés à l’hélium. Une expérience immersive qui, elle-aussi, a connu une immense succès avec plus de 1,2 millions de visiteurs en un an !

Des expériences que le promoteur Mori Building, sponsor du TeamLab Borderless, vient de prolonger en créant une immense maquette en 3 dimensions qui représente une grande partie de la ville de Tokyo à l’échelle 1/1 000. De dimensions imposantes (15 m de large pour 24 m de long), cette maquette impressionnante de réalisme présente la particularité de pouvoir être illuminée par une trentaine de projecteurs, ce qui permet de la transformer en carte géante particulièrement pédagogique, pour visualiser aussi bien la topographie que la densité de population ou le tracé du réseau de transports publics. Un outil de choix pour visualiser les défis de la mégapole de demain et guider les choix d’aménagement de la capitale japonaise, mais aussi une attraction particulièrement spectaculaire qui ne peut que fasciner le non professionnel.
L. V.
Étiquettes : art, Innovation, Japon, Spectacle, Techniques, Urbanisme
Votre commentaire