Archive for juin 2024

Julian Assange enfin libéré

29 juin 2024

La nouvelle est un peu passée inaperçue en pleine campagne électorale française des législatives, alors que l’extrême droite pourrait potentiellement arriver au pouvoir et faire peser un risque sur la liberté de la presse. Le 26 juin 2024, le lanceur d’alerte Julian Assange est ressorti libre du tribunal de district de Saipan, dans les îles Mariannes du Nord, un archipel américain de la mer des Philippines, situé à quelques 3000 km des côtes de l’Australie, son pays d’origine que l’homme a rallié le jour même, trop pressé de fuir cette soi-disant démocratie américaine qui s’acharne sur lui depuis maintenant 14 ans !

Julian Assange quittant le tribunal de Saipan, dans les îles Mariannes, le 26 juin 2024 (photo © Kim Hong-Ji / Reuters / Le Monde)

C’est en effet un véritable calvaire qu’a vécu ce journaliste australien, victime d’une chasse à l’homme impitoyable menée par les États-Unis et leurs fidèles alliés, Suède et Grande-Bretagne en tête, au mépris des principes pourtant mis en avant par les gouvernements de ces pays, tous chantres de la liberté d’expression et des droits de l’Homme. La France elle-même, toujours prompte à donner de grandes leçons de morale, avait rejeté en 2021, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, la proposition de certains députés d’accorder le droit d’asile à Julien Assange, alors emprisonné dans de rudes conditions au Royaume-Uni où il était sous le coup d’une extradition imminente vers les USA.

Il encourrait pourtant une peine globale de 175 ans de prison avec des risques majeurs de procès inéquitable, de détention arbitraire voire même de torture physique et morale. Mais le gouvernement français avait alors balayé d’un revers de main ces arguments, affirmant « qu’il n’y avait pas lieu de donner une réponse favorable à son accueil en France en raison d’éléments liés à la situation juridique et à la situation de fait de l’intéressé ». Circulez, il n’y a rien à voir…

Les présidents français sur écoute : un dessin signé René Le Honzec (source © Contrepoints)

Un alignement aveugle sur la position américaine d’autant plus incompréhensible que c’est Julian Assange lui-même qui a permis de révéler, par l’intermédiaire de Médiapart et de Libération, en juin 2015, à la France quelque peu ébahie que l’organisme gouvernemental américain NSA (National Security Agency), qui dépend du ministère de la Défense, espionnait systématiquement les plus hautes instances politiques françaises, dont les Présidents de la République Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, et ceci de manière continue, au moins entre 2006 et 2012. Même le zélé atlantiste Pierre Lellouche, secrétaire d’État au Commerce extérieur entre 2010 et 2012, lui-même visé par ces écoutes systématiques, s’en était ému et avait dénoncé « un comportement indigne et lamentable entre nations démocratiques »…

Passionné d’informatique et un temps hacker dans sa jeunesse, Julian Assange s’était fait connaître au monde entier en 2010, lorsqu’il avait publié sur son site Wikileaks, créé en 2006 pour aider les lanceurs d’alerte à diffuser leurs informations, plusieurs centaines de milliers de documents américains confidentiels, pour dénoncer les agissements répréhensibles, voire criminels des autorités américaines et notamment des faits passibles de crimes de guerre commis par l’armée US en Irak, en Afghanistan et dans la prison de Guantanamo.

Comprendre Wikileaks, une vidéo éclairante du Monde, mise en ligne le 30 mars 2024

Cette publication, largement reprise et diffusée par les grands titres de la presse mondiale, avait mis le Pentagone en fureur. Dès juillet 2010, les autorités judiciaires américaines lançaient la traque du citoyen trop curieux et mobilisaient les chancelleries de tous leurs alliés pour le faire tomber dans leurs filets. En août 2010, alors que Julian Assange se rend en Suède pour une série de conférences, la police suédoise s’arrange pour faire témoigner deux femmes de son comité d’accueil, avec qui il a eu des relations intimes à l’occasion de son séjour, et déforme leurs propos au point d’accuser le journaliste australien de viol. Une accusation dont Julian Assange mettra 9 ans à se défaire alors même que le procureur, après l’avoir entendu en septembre 2010 souhaitait clôturer immédiatement le dossier.

 
Des accusations de viol totalement fantaisistes, simple stratagème pour mettre la main sur le lanceur d’alerte : un dessin signé Georges Chappatte (source © La-bas)

Mais c’était sans compter l’acharnement des autorités suédoises, prêtes à tout pour rendre service à leurs alliés américains. Alors que Julian Assange quitte le territoire avec l’accord du juge, la police suédoise émet à son encontre un mandat d’arrêt international au prétexte qu’il se serait soustrait à l’action de la Justice ! A plus de 30 reprises ses avocats proposent une nouvelle audition sous réserve que la Suède s’engage à ne pas l’extrader vers les États-Unis, mais cette dernière s’y refuse obstinément et fait monter la pression, au point qu’en juin 2012, Julian Assange n’a d’autre choix, pour sauver sa peau, que de se réfugier dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur à Londres.

Julian Assange, en mai 2017, alors réfugié dans les locaux de l’ambassade d’Equateur à Londres (photo © Peter Nicholls / Reuters / Le Figaro)

Il y restera reclus pendant 5 ans. Mais en avril 2017, les élections présidentielles en Équateur conduisent au pouvoir un banquier de droite, Guillermo Lasso, qui, en avril 2019, déchoit le journaliste australien de sa toute récente nationalité équatorienne. La police britannique intervient le jour même pour sortir de force Julian Assange des locaux de l’ambassade londonienne et le jeter immédiatement dans une prison de haute sécurité, après un simulacre de procès, en attendant que les États-Unis finalisent leur demande d’extradition. Du coup, les Suédois clôturent immédiatement l’affaire des viols supposé qui n’a plus lieu d’être et, en février 2020, le procès de Julian Assange s’ouvre en Grande-Bretagne, pour décider de son extradition.

Après l’arrestation de Julian Assange par la police britannique en avril 2019, un dilemme diplomatico-judiciaire…. un dessin signé Hysope

Mais la Justice britannique n’est pas aux ordres et elle rejette la demande, obligeant les Américains à faire appel pour obtenir enfin la décision d’extradition en décembre 2021, une décision que Julian Assange tente de contester devant la Cour suprême, mais cette dernière s’y oppose en mars 2022. Le 20 avril 2022, la Justice britannique confirme donc son accord pour l’extradition du trublion, un accord immédiatement approuvé par la ministre britannique de l’Intérieur, Priti Patel. Les avocats de Julian Assange ne baissent pas les bras pour autant et saisissent la Cour européenne des Droits de l’Homme tout en formulant plusieurs nouveaux recours devant la Haute Cour britannique. En mars 2024, les magistrats britanniques demandent officiellement à leurs homologues américains de s’engager à ce que Julian Assange ne sera pas torturé à l’issue de son extradition, une réponse qui ne va manifestement pas de soi puisqu’un délai de 3 semaines est accordé pour y répondre.

Sur la base de cette réponse, manifestement peu rassurante, la Justice britannique décide finalement, le 20 mai 2024, d’autoriser Julian Assange à faire appel de son extradition. Une décision qui a manifestement pesé, au même titre sans doute que le contexte électoral américain, pour accepter finalement de transiger. Un accord est conclu, par lequel l’Australien accepte de plaider coupable de « complot en vue d’obtenir et de divulguer des informations relevant de la défense nationale », un chef d’accusation sanctionné par une peine de 62 mois d’incarcération, que Julian Assange a déjà purgée puisqu’il était embastillé depuis 5 ans dans une prison de haute sécurité, à Belmarsh, connue sous le surnom de « Guantanamo britannique ». 

Julian Assange à son arrivée à Camberra, en Australie, le 26 juin 2024 (photo © Lukas Coch / Reuters / Amnesty International)

Le 25 juin 2024, il est donc enfin tiré de sa prison et embarque pour les îles Mariannes où un simulacre de procès lui permet officiellement d’être en même temps condamné et libéré. La fin d’un calvaire de 14 ans qui a brisé la vie de ce lanceur d’alerte et montré au monde entier à quel point les autorités américaines pouvaient faire pression sur leurs alliés pour imposer leur force la plus brutale. Mais un épisode qui confirme malgré tout que, dans les démocraties européennes, la Justice garde une certaine indépendance et peut arriver à garantir, contre la volonté du gouvernement, les droits d’un citoyen engagé, grâce à l’action opiniâtre de ses avocats et au soutien de l’opinion publique : pourvu que ça dure !

L. V.

A Mimet, le maire ne sait pas bien compter…

27 juin 2024

L’affaire a été relayée par nombre de médias nationaux et a fait les choux gras de BFM TV : dans la commune de Mimet, les élus municipaux se sont vu sucrer leur indemnité par la faute d’un trésorier public trop zélé ! C’est du moins ainsi qu’est présentée la situation par le maire, Georges Cristiani, qui s’étrangle en hurlant au complot et gémit : « c’est inhumain de faire ça ! ». Lui-même n’est pourtant pas à plaindre puisqu’il cumule, outre ses indemnités de maire, celles de vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence, où il est délégué à la concertation territoriale et à la proximité, mais aussi celles de conseiller régional, sans compter quelques mandats annexes, outre ses fonctions (honorifiques) de président de l’association des maires des Bouches-du-Rhône et celles de président (rémunéré) du Centre de gestion de la fonction publique territoriale des Bouches-du-Rhône.

Georges Cristiani, maire de Mimet depuis 24 ans (photo © Nicolas Vallauri /                                                                                                 La Provence)

Mais forcément, il n’en est pas de même pour les 26 autres membres du conseil municipal de cette commune de 4600 habitants, proche de Gardanne et dont Georges Cristiani est le maire depuis juillet 2000. En la matière, les règles concernant la rémunération des élus municipaux sont fixées par le Code général des collectivités territoriales. Il y est précisé que les fonctions électives sont exercées à titre gratuit mais qu’elles peuvent donner lieu au versement d’indemnités de fonction qui viennent compenser les dépenses éventuelles et les contraintes liées à l’exercice d’une charge publique. Les maires comme tous les responsables d’exécutifs perçoivent ainsi une indemnité mensuelle fixée par référence à la grille indiciaire de la fonction publique territoriale et qui s’élève actuellement à 2 260,79 € par mois en montant brut (soumis à cotisations sociales et à l’impôt sur le revenu) pour des communes qui, comme Mimet ou Carnoux, sont comprises entre 3 500 et 10 000 habitants.

Les élus municipaux de Mimet autour de Georges Cristiani (source © Bulletin municipal Mimet informations n°175, juin 2022)

Les adjoints au maire, à qui le maire délègue une partie de ses fonctions exécutives, sont également indemnisés de droit, selon une indemnité brute mensuelle actuellement fixée à 904,32 €. Leur nombre est fixé par délibération et dépend donc du bon vouloir du maire qui se décharge ainsi de certaines de ses responsabilités sur ses adjoints. Mais la loi précise que le nombre d’adjoints ne peut excéder 30 % des effectifs du conseil municipal. A Mimet, où le nombre de conseillers municipaux élus est de 27, il n’est donc pas possible de désigner plus de 8 adjoints, comme d’ailleurs à Carnoux où les élus sont au nombre de 29.

Le village de Mimet, face à la Sainte-Victoire, qui s’enorgueillit d’être le plus haut village du département (photo © Jean-Marc Riboulet / Commune de Mimet)

Sauf que Georges Cristiani, qui n’est pourtant pas un novice en la matière puisqu’il est maire sans discontinuer depuis maintenant 24 ans et qu’il dirigé le CDG, chargé justement de former les fonctionnaires territoriaux aux subtilités du Code général des collectivités territoriales, a décidé de s’assoir purement et simplement sur les règles, comme il le fait en refusant obstinément de mettre en application la loi SRU qui impose de construire un minimum de logements sociaux sur sa commune. Il a donc nommé 9 adjoints au lieu de 8 et hurle désormais au complot et à la chicanerie administrative parce que le comptable public, un fonctionnaire d’État chargé de payer les dépenses et de recouvrer les recettes pour le compte de la commune, a osé lui écrire pour le rappeler à l’ordre et lui demander de corriger cette anomalie.

Les élus de Mimet devant l’hôtel de ville de la commune (photo © Commune de Mimet / France bleu)

Pour bien comprendre les subtilités de la situation, il faut savoir que les maires, outre ces dépenses obligatoires, ont aussi le droit de verser une indemnité à de simples conseillers municipaux, mais cette faculté est soumise à deux conditions. La première est que les conseillers en question se voient également déléguer une véritable responsabilité (on parle dans ce cas de « conseillers municipaux délégués »). La seconde est que le maire et ses adjoints acceptent alors de rogner un peu sur leurs propres indemnités pour permettre de verser ainsi des indemnités supplémentaires à certains de leurs collègues sans augmenter l’enveloppe globale fixée par les textes. Une amputation largement indolore, en particulier pour les maires qui, bien souvent, comme celui de Mimet, cumulent bien d’autres fonctions électives rémunérées, sachant que le cumul de ces rémunérations est en tout état de cause plafonné par la loi, à un niveau plutôt confortable puisqu’il est désormais de 8 897,92 € net par mois !

Il en résulte que le conseil municipal peut, par délibération, accepter de fixer pour le maire et ses adjoints, une indemnité inférieure au montant prévu par la loi, ce qui permet de partager le gâteau et de rémunérer également d’autres conseillers municipaux. Un levier précieux quand il s’agit de recruter des candidats et de s’assurer la fidélité de ses colistiers ! C’est ainsi que le maire de Carnoux a décidé par exemple d’attribuer systématiquement une délégation (totalement fictive et parfois légèrement farfelue) à tous les membres de sa liste élus au conseil municipal ce qui leur permet de toucher une indemnité mensuelle, contrairement aux 4 élus d’opposition : il n’y a pas de petite économie !

Georges Cristiani, maire de Mimet, entonnant la Marseillaise aux côtés de Martine Vassal et face au sénateur RN Stéphane Ravier à l’occasion de la dernière cérémonie des vœux en janvier 2024 (photo © J. DE. / La Provence)

Le maire de Mimet s’est, quant à lui, vu rappeler à l’ordre car non seulement il avait nommé un adjoint surnuméraire, mais il l’avait de surcroît pris en compte dans le calcul du montant de l’enveloppe à répartir entre les différents membres du conseil municipal. Face à une telle pratique, le comptable public a donc décidé de frapper fort en bloquant purement et simplement le versement des indemnités pour l’ensemble des élus de la commune de Mimet en attendant que la neuvième adjointe démissionne de ses fonctions et que la commune ne prenne une nouvelle délibération qui respecte la légalité. De quoi faire râler Georges Cristiani qui se répand dans tous les médias pour se plaindre du zèle de ces fonctionnaires qui se permettent de faire respecter la loi alors qu’il avait l’habitude de s’assoir dessus depuis 23 ans en toute impunité : intolérable, en effet…

L. V.

Des candidatures surprises pour les législatives 2024

21 juin 2024

Rarement en France des élections législatives, qui engagent l’avenir de la représentation nationale pour les années à venir, auront été organisées en un laps de temps aussi court ! Moins de trois semaines séparent l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, au soir du 9 juin 2024, et le premier tour des élections, prévu le 30 juin prochain… Les candidats avaient jusqu’au dimanche 16 juin à 16 heures pour déposer leur candidature, soit une semaine seulement pour se décider, alors que ce choix les engage pour une fonction à plein temps pour le moins prenante : de quoi décourager bien des bonnes volontés et faire la part belle aux apparatchiks et aux politiciens professionnels ! On a connu contexte plus favorable pour attirer des représentants de la société civile, désireux de s’investir au service de l’intérêt général… De quoi d’ailleurs réserver quelques surprises car, contrairement aux européennes où mois après mois les sondages avaient dessinées une image parfaite des dynamiques de vote, chacun va devoir ici se décider en fonction de ses propres convictions sans connaitre les tendances générales.

Des délais trop courts pour que les sondages d’opinion dessinent des tendances fiables : un dessin signé Deligne, publié dans Le Pèlerin du 19 juin 2024

Une des conséquences flagrantes de ces circonstances très particulières est que jamais sans doute, sous la Cinquième République, le nombre de candidats déclaré n’a été aussi faible : 4 011 au total, pour 577 circonscriptions à pourvoir, soit à peine 7 en moyenne par circonscription, là où les Français avaient le choix entre 38 listes lors des élections européennes le 9 juin dernier ! Par comparaison, en 2002, juste après la réélection de Jacques Chirac, le nombre de candidats en lice pour les législatives s’élevait à 8 444, soit plus du double… Et en 2022, après la réélection d’Emmanuel Macron, il y a 2 ans seulement, les 577 actuels députés sortants, avaient été départagés parmi un stock de 6 290 candidats avec 14 listes en moyenne parmi lesquelles chaque électeur pouvait faire son choix.

Mais la brièveté des délais n’explique pas, à elle seule, ce constat. Si les candidats sont moins nombreux que lors de certaines échéances passées, c’est aussi lié à l’évolution du paysage politique. Déjà en 2022, l’alliance de gauche mise en place sous le nom de NUPES avait largement contribué à réduire le nombre de candidatures à gauche. Cette année, la création, en quelques jours seulement, du Nouveau Front Populaire après l’annonce surprise de ces prochaines élections, vient renouveler l’opération en redonnant aux candidats de gauche une chance d’accéder au second tour d’où ils ont été longtemps exclus du fait de leurs divisions internes.

Déjà en 2022, les électeurs étaient un peu désemparés face à la valse des étiquettes politiques, mais ce n’était rien par rapport à 2024 ! Un dessin publié dans Le Progrès le 27 août 2021

Présents dans 557 circonscriptions, les candidats étiquetés NFP présentent une incontestable variété de profils et de parcours allant de Philippe Poutou, du Nouveau Parti Anticapitaliste, investi par LFI et parachuté dans l’Aude, à François Hollande, ancien Président de la République, de nouveau candidat en Corrèze, en passant par Dominique Voynet, ancienne ministre de l’écologie de Lionel Jospin, investie dans le Doubs par Europe Ecologie – Les Verts. Ils feront certes face à quelques candidatures dissidentes de gauche dont celle de Jérôme Cahuzac, ancien ministre du Budget condamné pour fraude fiscale et qui ose se présenter sous l’étiquette Centre gauche dans le Lot-et-Garonne. Plusieurs députés sortants LFI, dont Alexis Corbières, tenteront aussi leur chance après s’être vu refuser l’investiture par leur parti pour cause de positionnement jugé trop critique envers l’ombrageux Jean-Luc Mélenchon qui a néanmoins accepté d’adouber le député sortant François Ruffin dans la Somme, pourtant lui aussi de plus en plus distant.

A droite le jeu trouble du président des Républicains, Éric Ciotti, tenté par une alliance ouverte avec le Rassemblement national, alors même que son alter ego de Reconquête, Éric Zemmour, refuse d’en entendre parler et va jusqu’à exclure de son parti la totalité de ses députés européens pourtant fraîchement élus sous son étiquette, vient totalement brouiller les cartes et plonge ses électeurs dans un abîme de perplexité. Éric Ciotti revendique ainsi 62 candidats, dont lui-même à Nice, communs avec le Rassemblement national dans le cadre d’une alliance ouverte avec ce parti dans le sillage duquel il espère bien revenir au pouvoir, tandis que le parti LR annonce 400 candidats qui se présentent sous son étiquette face à des candidats LR, et dont certains rêvent plutôt d’une alliance avec le parti présidentiel d’Emmanuel Macron : chacun sa stratégie !

Ciotti, président des Républicains, ose l’alliance avec le Rassemblement national : un dessin de Chaunu, publié le 12 juin 2024 dans Ouest-France

Reconquête de son côté revendique 330 candidats et est donc loin d’être présent dans toutes les circonscriptions, choisissant volontairement de se concentrer sur celles où il estime avoir ses chances, contrairement à un parti pourtant ultra minoritaire comme Lutte Ouvrière, qui n’a pas la moindre chance de faire élire le moindre député mais qui décide pourtant de présenter un candidat dans 542 circonscriptions, soit près de 95 % du territoire national !

Le parti présidentiel de son côté, qui se présente sous l’étiquette Ensemble pour la République, regroupe des candidats issus des partis Renaissance, Horizon, MODEM ou UDI, ne sera curieusement présent que dans 489 circonscriptions. Dans la plupart des circonscriptions d’outre-mer où les macronistes font des scores de misère, aucun candidat n’a même osé se présenter et dans une soixantaine de circonscriptions, la majorité présidentielle a préféré laisser la place à des candidats de la droite modérée, généralement étiquetés LR, sa priorité étant de n’avantager ni le Rassemblement national ni le Nouveau Front populaire qui sont les deux bêtes noires d’Emmanuel Macron, lequel a oublié depuis bien longtemps qu’il est issu du Parti socialiste et a été ministre de François Hollande !  Dans la circonscription de ce dernier, le clan macroniste soutient d’ailleurs ouvertement le candidat LR…

Le député sortant Lionel Royer-Perreaut, ex LR devenu Renaissance, en campagne dans une circonscription dominée par le RN (photo © Denis Thaust / La Provence)

Les électeurs risquent d’avoir bien du mal à s’y retrouver dans pareille jungle où les étiquettes politiques valsent dans tous les sens et ne veulent plus dire grand-chose. C’est le cas par exemple dans la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône où le député sortant, Lionel Royer-Perreaut, ancien UMP devenu LR est passé avec armes et bagages dans le camp macroniste : il se voit opposer, outre une écologiste NFP, Christine Juste, une candidate LR, un représentant de l’alliance RN-LR tendance Ciotti, mais aussi 3 autres candidats d’extrême droite dont une issue de Reconquête et un de Debout la France, sans compter 5 autres candidats allant de l’écologie de droite aux régionalistes en passant par Lutte ouvrière : bon courage aux électeurs pour démêler un tel imbroglio !

L. V.

Législatives 2024 : un nouveau Front populaire

17 juin 2024

Pour les dernières élections législatives organisées il y a 2 ans seulement, en juin 2022, et pour la première fois depuis bien longtemps, les forces de gauche avaient réussi à s’unir, sous le nom quelque peu improbable et souvent brocardé de NUPES. Une « nouvelle union » alors largement dominée par la figure du leader de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon qui se rêvait en futur Premier ministre d’un Emmanuel Macron fraîchement réélu, sans se rendre compte que sa personnalité clivante et ses positions tranchées l’ont placé, fin 2023, en tête des personnalités politiques française les plus détestées, avant même Éric Zemmour ou Sandrine Rousseau, avec un taux de rejet de 62 % !

Dessin de Chaunu, publié le 10 juin 2024 dans Ouest-France

Cette stratégie d’union à gauche avait néanmoins été plutôt payante puisque, dans notre circonscription, la 9ème des Bouches-du-Rhône, qui regroupe, outre Carnoux-en-Provence, les cantons d’Aubagne et de La Ciotat, et finalement gagnée par la candidate du Rassemblement national Joëlle Melin, le candidat de la Nupes, le tout jeune et peu expérimenté Lucas Trottmann, avait réussi l’exploit d’atteindre le second tour, ce qui n’était pas couru d’avance, loin s’en faut, éliminant cruellement dès le premier tour le maire de Gemenos, Roland Giberti, pourtant soutenu par tous les élus locaux du secteur…

En 2022, il y a 2 ans seulement, notre circonscription se choisissait une député RN, Joëlle Melin, ici entre ses deux principaux challengers de l’époque, Lucas Trottmann (NUPES) et  Bernard Mas-Fraissinet (majorité présidentielle) (source © La Provence)

Deux ans après, le paysage politique a bien changé. La victoire écrasante du Rassemblement national à l’occasion des élections européennes du 9 juin et la défaite humiliante du camp macroniste a conduit le Chef de l’État à déclarer illico la dissolution de l’Assemblée nationale et à annoncer dans la foulée des élections législatives anticipées, pour le 30 juin et le 7 juillet 2024, avec un délai d’organisation record. Une annonce inattendue qui a pris de court tous les partis politiques, provoquant des remous inimaginables, à l’image de la réaction lunaire du président des Républicains, le Niçois Éric Ciotti, qui décide tout seul et contre l’avis majoritaire de son bureau politique, de faire une alliance électorale avec le RN. Une déclaration qui lui vaut de se faire immédiatement exclure de son propre parti avant qu’un juge, saisi en référé, ne le rétablisse dans ses fonctions, de quoi déboussoler encore un peu plus les électeurs de LR, déjà frustrés par le score famélique de leur parti, crédité de 7,3 % seulement des suffrages exprimés le 9 juin dernier…

Éric Ciotti, toujours président des LR, se voyait déjà en fidèle allié du Rassemblement national (photo © Stéphane Mahé / Reuters / MSN)

A l’extrême droite aussi, cette situation inespérée provoque du tangage. Marion Maréchal, la tête de liste du parti Reconquête, présidé par Éric Zemmour, à peine élue au Parlement de Strasbourg, s’est faite exclure du parti avec 3 autres de ses colistiers élus, pour avoir osé plaider en faveur d’un rapprochement électoral avec le RN… Il n’en est pas question pour l’extrémiste Éric Zemmour qui persiste à vouloir présenter des candidats dans toutes les circonscriptions, une stratégie suicidaire qui ne lui avait permis de faire élire aucun député en 2022, pas même lui, malgré sa popularité relative, mais qu’il envisage pourtant de reconduire en 2024, en se limitant néanmoins à 330 circonscriptions sur 577 !

A gauche heureusement, la raison l’a emporté après le tumulte de la campagne des européennes, au cours de laquelle PS, PC, LFI et Verts se sont copieusement déchirés. Chacun cherchait naturellement à mordre sur l’électorat du voisin, dans le cadre d’une élection qui avait lieu à la proportionnelle intégrale et qui a largement placé en tête la liste conduite par Raphaël Glucksmann, rassemblant socialistes et Place Publique et qui a terminé à 13,8 %, juste derrière la liste du parti présidentiel, tandis que celle menée par Manon Aubry au nom de la France insoumise faisait un beau score à près de 10 %, loin devant les écologistes (5,5 %) et la liste de la Gauche Unie autour du PCF qui finit sans aucun élu avec à peine 2,4 % des suffrages.

Mais comme par miracle et face à l’électrochoc (relatif car annoncé depuis des mois, sondage après sondage) qu’a constitué le score fleuve du Rassemblement national qui rafle la première place avec 31,4 % des voix, les principaux partis de gauche ont su, dès l’élection passée, dépasser leurs rancœurs et travailler d’arrachepied pour bâtir en quelques jours seulement un accord électoral et un programme commun. Une véritable gageure, qui mérite d’être saluée et qui, une fois n’est pas coutume, prouve que nos responsable politiques sont parfois capables d’entendre les appels pressants de leurs militants.

Conférence de presse du Nouveau Front populaire le 14 juin 2024 à la Maison de la Chimie (photo © Firas Abdullah / ABACA / Le Point)

Après 4 jours d’intenses tractations, un accord électoral a donc été scellé jeudi 13 juin 2024 au soir, suivi d’un contrat de gouvernement annoncé en grandes pompes le 14 juin à l’occasion d’une conférence de presse à la Maison de la Chimie : le Nouveau Front Populaire est né ! Une référence historique bienvenue qui revoie la NUPES aux orties et fait judicieusement écho à l’alliance électorale négociée pour les élections législatives de 1936 autour du Parti radical, de la SFIO et du PC, laquelle avait permis la constitution du premier gouvernement de gauche présidé par Léon Blum, gouvernement à l’origine d’avancées sociales majeures. Le programme proposé par cette nouvelle alliance fait d’ailleurs également la part belle aux mesures sociales, s’engageant notamment à un gel des prix des produits de première nécessité, une hausse du SMIC, une abrogation des lois récentes sur la réforme des retraites et de l’assurance chômage, la taxation des superprofits et le rétablissement de l’impôt sur la fortune ou encore la gratuité totale de l’école publique, tout en promettant l’adoption rapide d’une loi de programmation climat-énergie.

Encore faut-il que la gauche, enfin unie, arrive à obtenir une majorité pour gouverner. Au vu du taux d’abstention assez élevé des dernières élections, où à peine plus d’un Français sur deux s’est exprimé, il est bien difficile d’extrapoler, même si la période estivale ne paraît guère propice à un taux de participation record. Les premiers sondages disponibles indiquent d’ailleurs que le RN devrait virer en tête, avec plus ou moins 30 % des intentions de vote en sa faveur, mais talonné par ce nouveau bloc de gauche, tandis que le camp présidentiel s’effondrerait autour de 18 %, avec deux fois moins de députés que dans la législature sortante. Le résultat circonscription par circonscription pourrait cependant être assez différent de cette projection globale et c’est d’ailleurs ce qui fait tout le charme de ces élections locales où les personnes comptent souvent plus que les idéologies.

Avec un deuxième tour prévu le 7 juillet 2024, certains risquent de penser davantage à la plage qu’aux élections législatives, comme en 2022 : un dessin de Chaunu publié dans Ouest-France

Rien n’est donc acquis à ce jour et tout dépendra de la mobilisation des électeurs de gauche, même si chaque élection vient confirmer qu’ils sont désormais minoritaires dans le pays par rapport aux sensibilités de droite et d’extrême droite. L’accord électoral prévoit un candidat unique à gauche dans 546 des 577 circonscriptions nationales, parmi lesquelles 229 sont promises à un candidat LFI, 175 au parti socialiste, 92 aux écologistes et 50 aux communistes (comme en 2022). Libre ensuite à chaque parti de désigner ses propres candidats dans les circonscriptions qui lui reviennent, ce qui a conduit aux premières polémiques suite aux décisions assez ubuesques de LFI de reconduire le député sortant Adrien Quatennens, pourtant condamné pour violences conjugales, mais pas les figures médiatiques que sont Alexis Corbière ou Raquel Garrido, évincés pour avoir osé exprimer certaines divergences internes, de même d’ailleurs que le député sortant des Bouches-du-Rhône Hendrick Davi. Ces derniers ont néanmoins décider d’entrer en dissidence et de maintenir leur candidature coûte que coûte…

Bernard Ourgourlou-Oglou, candidat du Nouveau Front Populaire pour les prochaines législatives dans la 9e circonscription des Bouches-du-Rhône (photo © Fabio Chikhoune / La Provence)

Toujours est-il que l’on connaît désormais celui qui incarnera le Nouveau Front Populaire dans notre circonscription, face à la député RN Joëlle Melin, déjà investie et qui se représentera. Il s’agit du socialiste Bernard Ougourlou-Oglou, élu d’opposition au conseil municipal de La Ciotat depuis 2020, et enseignant au lycée Méditerranée à La Ciotat. Ils retrouveront face à eux Bernard Mas-Fraissinet, déjà présent en 2022 au nom du parti macroniste désormais dénommé Ensemble, et Aurélien Michel pour le parti LR. Ce dernier, issu de La Ciotat, s’était déjà présenté en son nom propre en 2022 et avait fait le score famélique de 0,25 % mais c’est lui qui défendra les couleurs de la droite, aucun élu local n’ayant eu le courage de se présenter pour prendre une déculottée à 2 ans des prochaines municipales ! Quatre autres outsiders viendront comme à l’accoutumé pour le plaisir de brouiller un peu les pistes : Aksil Boualam au nom de L’écologie au centre, Jean-Marie Clorec pour Lutte ouvrière, et deux inconnus au positionnement incertain, Robert Santunione et Isabelle Mazzoni. Une campagne qui s’annonce courte mais intense !

L. V.

Le béton qui a la gueule de bois…

15 juin 2024

Quand on pense pollution et émission de gaz à effet de serre, on pense d’abord aux transports et aux déplacements qui, de fait, représentaient en France en 2020 près de 30 % de nos émissions de CO2, principalement liées à l’utilisation de la voiture individuelle. Mais le secteur du bâtiment est un autre gros contributeur qui représente près de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre, tout en absorbant près de 45 % de notre consommation énergétique nationale. Réduire l’empreinte carbone et améliorer l’isolation thermique de nos constructions représente donc un véritable défi pour faire face aux enjeux de la transition écologique.

Les principales sources d’émission de gaz à effet de serre en France par grands secteurs d’activité (source © Chouette Impact)

Nous sortons d’une période de très fort développement économique rendu possible grâce à l’abondance des énergies fossiles extrêmement performantes, gaz naturel et pétrole pour l’essentiel, qui ont permis des gains de productivité exceptionnels pour un coût très modéré. L’explosion de l’utilisation du béton a également bénéficié de cette source d’énergie hydrocarbonée abondante, très utile pour alimenter les fours à ciment et les engins utilisés pour extraire et concasser les granulats, mais dont les effets néfastes en termes d’impact sur les écosystèmes et le climat planétaire sont désormais bien connus et trop graves pour qu’on puisse continuer comme si de rien n’était.

Il est donc temps d’innover et d’explorer d’autres voies pour continuer à construire les habitations de demain sans accentuer le dérèglement climatique déjà très sensible avec son cortège de risques naturels induits. Heureusement, la capacité d’innovation humaine est sans limites ! Draguer les cours d’eau ou excaver les montagnes pour extraire des granulats destinés à la fabrication du béton n’est plus possible du fait des impacts environnementaux qui en découlent ? Qu’à cela ne tienne ! On a inventé le béton à base de copeaux de bois…

Aspect brut d’un panneau en béton de bois (photo © Shutterstock / By Beton)

L’affaire n’est d’ailleurs pas nouvelle puisque ce matériau dans lequel les granulats sont majoritairement remplacés par des fragments de bois étuvés et traités pour rester imputrescibles, sont utilisés en France depuis plus de 30 ans, dans la construction des murs anti-bruit. Le groupe Capremid s’est ainsi fait une spécialité de l’utilisation de bétons de bois mais aussi de caoutchouc (à base de vieux pneus déchiquetés recyclés) pour la réalisation de murs acoustiques le long des autoroutes ou des voies ferrées, structures légères autoporteuses et à très fort pouvoir absorbant acoustique.

Essais acoustiques mis en place par le CERIB sur le mur anti-bruit construit en 1989 à Écully (photo © Nicolas Miero / Construction Cayola)

Le premier écran acoustique en béton de bois installé en France date de 1989 et borde l’autoroute A6 dans la traversée d’Écully, au nord de Lyon. Sa durabilité initiale était prévue pour 30 ans mais 35 ans plus tard l’ouvrage est toujours en place et a conservé intactes ses caractéristiques structurelles mais aussi ses performances acoustiques initiales comme a pu le vérifier le CERIB (Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton) en 2022. Des propriétés qui ont amené les architectes à utiliser également ce matériau innovant, dans lequel jusqu’à 80 % (en volume) du sable nécessaire à la fabrication du mortier traditionnel est remplacé par des granulés de bois, notamment pour couler des dalles légères isolantes ou former des panneaux de remplissage et des cloisons dans les constructions à ossature bois.

Mais l’on va désormais beaucoup plus loin en utilisant le béton de bois pour des éléments structurels en construction traditionnels. L’un des précurseurs de cette nouvelle filière est l’ancien forestier François Cochet qui, en 2006, crée la société CCB Greentech pour valoriser les bois de trituration, qui sont déchiquetés pour en faire des granulats plutôt que de les utiliser comme bois d’œuvre, une technique qui permet d’utiliser au maximum et sans déchets tout le bois exploité.

Les trois associés de CCB Greentech dans leur usine de Beaurepaire : Cédrik Longin, François Cochet et Laurent Noca (source © Mag2Lyon)

François Cochet part en effet du constat que la forêt française est très largement sous-utilisée, seul 50 % du produit de la croissance forestière étant abattu et exploité. Cette part est même inférieure à 30 % dans un département très forestier comme l’Isère. Les arbres absorbent pourtant, durant leur croissance d’importantes quantités de CO2, contribuant fortement à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais si la forêt n’est pas exploitée et que le bois pourrit sur pied, seule une petite partie du carbone est minéralisée. Le fait de couper le bois et de l’inclure dans des produits de construction permet ainsi de stocker durablement le carbone sans le restituer à l’atmosphère. Au point que la société CCB se targue désormais de produire des bétons de bois au bilan carbone négatif, le bois incorporé, qui constitue plus de 60 % de la masse totale du matériau, ayant stocké davantage de gaz carbonique que le ciment utilisé n’en a rejeté pour sa fabrication !

Chantier de construction utilisant des panneaux préfabriqués en béton de bois TimberROC (source © CCB Greentech / Futura Sciences)

Dès 2010, la société CCB Greentech a obtenu un avis technique du CSTB pour l’utilisation de ses panneaux Lignoroc à ossature bois intégrée. En 2017, elle a développé une nouvelle technologie encore plus ambitieuse avec la préfabrication d’éléments en béton de bois utilisables pour construire des bâtiments jusqu’à 28 m de hauteur en les combinant avec des systèmes de poteaux et de chaînages en béton armé. Une véritable révolution dans le domaine de la construction, protégée par plusieurs brevets et commercialisée sous la marque TimberROC. En 2021, la société a réaménagé une ancienne friche industrielle de 5 ha, située à Beaurepaire, dans l’Isère, et y a installé un site de production ultra moderne pour la production industrielle de granulats de bois, associé à un centre de recherche appliquée, destiné à développer encore ces technologies innovantes et qui trouvent de plus en plus de débouchés pour la construction de logements comme de bâtiments industriels à base de matériaux biosourcés et eu bilan carbone négatif.

Usine de préfabrication de panneaux en béton de bois, du groupe Spurgin, à Mignières dans l’Eure et Loir, inaugurée en juin 2024 (source © Cayola Médias)

Outre son impact environnemental très positif, le béton de bois sous forme de panneaux préfabriqués présente en effet de multiples avantages car permettant des gains de productivité importants sur les chantiers grâce à une mise en œuvre aisée et rapide, avec des panneaux légers, faciles à manipuler, à scier ou à percer, et générant peu de déchets. Mais le matériau présente aussi l’avantage de présenter une excellente inertie thermique, une bonne résistance au feu ainsi qu’à l’impact des balles, des propriétés d’absorption acoustiques très performantes et permet surtout la respiration des murs, ce qui limite les risques de condensation et s’avère donc particulièrement adapté pour la construction de pièces à vivre avec un confort d’été apprécié.

Ces qualités remarquables expliquent le succès grandissant de cette technique de construction. La société Lafarge est rentrée au capital de la startup Greentech, contribuant à lui donner une assise financière très supérieure. La société commercialise désormais ses granulés de bois et sa technologie à une quinzaine d’usines de préfabrication qui exploitent sa licence. Une affaire qui marche !

L. V.

Élections européennes 2024 : le choc !

10 juin 2024

Tout le monde l’a assez répété : les citoyens ne s’intéressent plus à l’Europe, jugée trop lointaine, trop complexe, trop éloignée de nos préoccupations quotidiennes. Et comme ils s’intéressent aussi de moins en moins à la politique, même lorsqu’elle concerne leur cadre de vie le plus proche, reflet d’un repli consumériste généralisé et d’une forte baisse du militantisme partisan, chacun s’attendait à ce que la participation à ces élections européennes qui ont eu lieu en France ce dimanche 9 juin 2024, se traduise par un taux de participation catastrophique. Il faut dire que la dernière échéance électorale en France, lorsqu’il s’est agi, en avril 2022 de renouveler nos députés à l’Assemblée nationale, avait été marquée par un taux de participation d’à peine 46 % au second tour, une misère !

Les principales têtes de listes pour les Européennes 2024 (source © Le JDD)

C’est donc plutôt une bonne surprise de constater qu’une part non négligeable de nos compatriotes a fait l’effort de se rendre dans les bureaux de vote pour y déposer un bulletin. Avec un taux de participation de 52,5 %, ces élections européennes n’avaient pas suscité une telle mobilisation depuis 1994 ! Il faut dire que les électeurs français avaient l’embarras du choix avec pas moins de 38 listes en concurrence ! Un panel certes réduit par le fait que plusieurs de ces listes n’avaient même pas pris la peine de rédiger une profession de foi et de l’adresser au Ministère de l’Intérieur qui s’était pourtant efforcé de diffuser sur son site en ligne l’ensemble des documents reçus, facilitant vraiment le travail de réflexion des électeurs un tant soit peu curieux, sans compter que chacun a reçu dans sa boîte aux lettre les documents en question plusieurs jours à l’avance.

Dessin de Georges Chappatte publié dans le magazine allemand Der Spiegel

Toujours est-il que les Français se sont manifestement sentis davantage concernés par le sujet que lors des élections précédentes en 2019. La faute peut-être au contexte anxiogène, entre la pandémie de Covid qui a marqué les esprits, les fractures sociale qui s’aggravent, la crise écologique qui se concrétise et les tensions internationales entre guerre en Ukraine et conflit à Gaza, autant de facteurs qui amènent chacun à constater que seules des réponses globales peuvent être efficaces et que la France seule n’est pas en capacité de peser sur des problèmes d’une telle envergure dans un monde où l’économie est totalement mondialisée.

Sauf que le résultat de ces élections n’est pas très encourageant pour les démocrates attachés à des notions d’équité et de solidarité et qui pensent que la résolution des crises sociales et environnementales auxquelles nous devons faire face ne pourra se faire à l’échelle nationale mais exige des approches de coopération internationale renforcée. Les forces d’extrême droite remportent en effet une victoire éclatante avec 31,4 % des voix en faveur de la liste du Rassemblement national emmenée par le tout jeune et inexpérimenté Jordan Bardella, qui remporte donc 30 des 81 sièges réservés aux eurodéputés français. A cela s’ajoutent 5,5 % des suffrages exprimés en faveur de la liste Reconquête menée par Marion Maréchal et soutenue par Eric Zemmour, sans compter les 7,2 % qui sont allés à la liste LR menée par François-Xavier Bellamy, tenant d’une ligne très conservatrice et défendant des idées de plus en plus proches de l’extrême droite.

Un dessin signé KAK, publié dans l’Opinion en mars 2024, alors que la liste Renaissance était encore donnée à 18 %. : elle a fini à 14,6 %, juste devant celle du PS à 13,8 %…

Près de 45 % des Français se sont donc exprimés sans détour en faveur d’un repli identitaire et nationaliste, très critique envers l’Europe, non seulement dans sa volonté de solidarité et d’accueil, mais aussi dans ses politiques volontaristes en faveur de la préservation de notre environnement. Un choix très largement partagé en dehors des grandes métropoles puisque 93 % des communes françaises ont placé le Rassemblement national en tête à l’issue de cette séquence électorale ! C’est évidemment le cas dans la commune de Carnoux où l’extrême droite cumule 55,6 % des suffrages exprimés…

Liste arrivée en tête aux élections européennes 2024, commune par commune, résultats provisoires le 10 juin à 1h (source © Ministère de l’Intérieur / Le Parisien)

Un message d’autant plus inquiétant que cette tendance n’est pas propre à la France mais se retrouve dans bien d’autres pays européens, y compris en Allemagne ou l’AFD, parti d’extrême droite, arrive en deuxième position derrière la CDU conservatrice tandis que les Verts perdent la moitié de leurs représentants au Parlement européen.

Ce socle de 45 % ne constitue pas encore tout à fait une majorité de gouvernement mais s’en rapproche fortement. Sauf si en face les autres partis attachés aux valeurs de solidarité, de responsabilité environnementale et de progrès social, sont en mesure de se rapprocher en mettant de côté leurs divergences de sensibilité, souvent davantage d’ordre personnel ou historiques. On n’en prend malheureusement pas le chemin comme l’a encore montré cette récente campagne électorale. La France insoumise y a réservé l’essentiel de ses coups contre la liste menée par Raphaël Glucksmann, montrant une fois encore à quel point la gauche idéaliste n’abhorre rien tant que les adeptes de la social-démocratie et leur recherche du compromis.

A l’autre bout de l’échiquier politique, le centre droit dont se réclamait Emmanuel Macron en 2017 a montré une telle dérive vers un libéralisme économique débridé en faveur du monde de la finance, qu’il lui faudrait engager une véritable révolution pour pouvoir envisager une majorité de gouvernement avec les forces de gauche contre une alliance de la droite et de l’extrême droite.

Emmanuel Macron, annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, dans la soirée du 9 juin 2024 (capture d’écran © Midi Libre)

Aucun indice ne montre qu’une telle éventualité puisse se dessiner et l’annonce surprise du Président de la République qui décide une dissolution de l’Assemblée nationale une heure seulement après l’annonce des résultats électoraux des européennes, avec des élections législatives très rapprochées, dont le premier tour est d’ores et déjà fixé au 30 juin prochain et le second dès le 7 juillet, a peu de chance d’enclencher une telle dynamique.

Mener des stratégies d’opposition systématique et d’affrontement partisan est aisé et les responsables politiques français excellent dans ce domaine. Construire des majorités d’alliance en apprenant à prendre ensemble des décisions responsables et concertées alors même qu’on n’est pas d’accord sur tout et que chacun a ses propres références idéologiques et ses manières de voir, est autrement plus difficile. Il serait étonnant que les partis politiques français opposés aux visions simplistes et égoïstes de l’extrême droite y parviennent en un délai aussi court et s’engagent dans cette voie que la raison pourtant commande si l’on veut éviter que notre pays soit gouverné demain par le Rassemblement national avec Jordan Bardella comme prochain Premier ministre de cohabitation…

L. V.

Les arènes d’Arles et de Nîmes retrouvent leur lustre

8 juin 2024

Construit sur ordre de l’empereur Domitien, au 1er siècle après Jésus Christ, sans doute dans les années 80 à 90 de notre ère, l’amphithéâtre romain d’Arles fait partie des 20 plus grands édifices de ce type connus au monde. A l’époque la ville d’Arelate est en pleine expansion, ayant choisi en 49 avant J.-C. de soutenir Jules César contre la ville de Marseille, ce qui lui vaut de devenir colonie romaine quelques années plus tard. Les Grecs implantés à Marseille y avaient pourtant aménagé un comptoir commercial, sous le nom de Theliné, aux alentours de 500 av. J.-C., mais les populations celtes locales avaient repris le contrôle de la vile dès le début du IVe siècle av. J.-C.

Vue aérienne des arènes d’Arles, au sud-est de la vieille ville (source © Via Compostela)

La colonisation romaine permet à la ville d’Arelate un développement rapide avec l’aménagement de plusieurs quartiers successifs qui débordent rapidement des remparts édifiés sous le règne d’Auguste, en rive gauche du Rhône, et finalement abattus. L’amphithéâtre est le bâtiment le plus emblématique de cette période avec ses dimensions imposantes : de forme elliptique, son grand axe atteint 136 m de longueur, pour une hauteur de 21 m, et il pouvait contenir de l’ordre de 25 000 spectateurs dans sa configuration originale, répartis sur 34 niveaux de gradins.

L’ancien amphithéâtre romain d’Arles désormais surtout utilisé pour les spectacles de tauromachie, ici en août 2019 (source © Mundotoro)

Sa façade est ornée de 2 rangées superposées de 60 arcades en plein cintre et l’édifice avait été aménagé avec un dispositif judicieux de galeries circulaires, de passages horizontaux et d’escaliers disposés alternativement, pour faciliter le remplissage simultané des différents gradins. Initialement, l’édifice était surmonté d’une attique, aujourd’hui disparue, sur laquelle étaient fixés les mâts permettant de tendre le vélum pour abriter les tribunes. La partie centrale, l’arène proprement dite où se déroulaient les jeux et les combats de gladiateurs, était séparée des tribunes par un mur soigneusement appareillé et était rehaussée par un plancher en bois désormais disparu.

Gravure de J.B. Guibert montrant l’état de l’amphithéâtre vers 1750 (source © Wikipedia)

Très utilisé pendant tout l’empire romain et même au-delà jusque vers 550 après J.-C., alors que la ville d’Arles est tombée sous la domination des Francs, l’amphithéâtre romain perd progressivement sa fonction au cours du VIe siècle, alors que la ville subit plusieurs sièges successifs et une crue importante en l’an 580, suivi de périodes de famine et d’insécurité croissante. Les habitants se replient dès lors dans l’enceinte de l’amphithéâtre transformé en forteresse. Quatre tours de défense sont édifiées avec les pierres mêmes de l’édifice, et on compte alors plus de 200 maisons et même 2 églises qui s’entassent dans les arènes. En 1533, le roi François 1er, de passage, se désole de l’état déplorable de ce somptueux vestige romain envahi de masures délabrées et insalubres.

Il faudra pourtant atteindre 1823 pour que la municipalité d’Arles prenne le taureau par les cornes et entreprenne l’expulsion puis la démolition des 212 maisons d’habitations encore présentes dans l’enceinte ou contre la façade. L’opération, colossale, ne sera achevée qu’en 1851, même si en 1830 le dégagement est suffisamment avancé pour y organiser une première course de taureaux, histoire de célébrer la toute récente prise d’Alger. Dès lors, l’ancien amphithéâtre romain, désormais plus connu sous le nom d’arènes d’Arles, devient un haut-lieu de la tauromachie, tandis que les autorités s’évertuent à retrouver et à restaurer les vestiges de l’ancien édifice, classé monument historique dès 1840 par Prosper Mérimée, puis inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1981.

Façade des arènes d’Arles, après restauration (source © Flickr)

Une œuvre gigantesque et qui n’est toujours pas achevée près de deux siècles plus tard ! Des sommes importantes ont été investies et des générations d’architectes des monuments historiques se sont succédé pour tenter de consolider ces ruines et de les restaurer en essayant de rester fidèle à leur état initial. A partir de 1987, les travaux se concentrent sur la travée 45, avec une reprise des parements des façades et du promenoir, ainsi que la reconstitution des parties hautes de l’entablement du premier étage. En 1998, après une série de fouilles réalisées sous le monument, un programme ambitieux de restauration est élaboré, dans le cadre du Plan patrimoine antique en PACA. Une première tranche de travaux a débuté en 2003, portant sur les travées 46 à 52, suivie d’une seconde à partir de 2005 sur les travées 34 à 45, et enfin d’une troisième entre 2008 et 2013, qui permet, aux termes de 10 ans de travaux et pour une dépense globale de près de 25 millions d’euros, de restituer un édifice nettement rajeuni.

Mais un autre chantier a été engagé depuis et se poursuit, concernant cette fois la restauration des arènes de Nîmes, dans le Gard. Ces dernières ont également été construites vers 90 après J.-C. et comportent, comme l’amphithéâtre d’Arles, 60 travées avec autant d’arches en façade, même si les dimensions de l’édifice sont légèrement moindres avec un grand axe de 133 m seulement. Lui aussi a servi de forteresse et a abrité de nombreuses maisons pendant tout le Moyen-Age, avant d’être dégagé au cours du XIXe siècle. Mais contrairement à celui d’Arles, il a conservé son attique de couronnement et une bonne partie de ses gradins.

Vue des arènes de Nîmes avec le parvis réaménagé (photo © Krzysztof Golik / Wikipedia)

Comme à Arles, de nombreuses opérations de consolidation ont déjà eu lieu. Le parvis a été réaménagé en 2007 et un programme ambitieux de restauration en site occupé a été engagé depuis 2009, car la construction reste très fragilisée par les nombreuses infiltrations d’eau qui, au fil des siècles, ont causé de multiples écaillements voire éclatements des pierres de taille. Depuis 15 ans, les travaux se poursuivent donc, ayant déjà permis de traiter 29 des 60 travées, avec une perspective d’achèvement pour 2034, pour un coût global assez conséquent de 54 millions d’euros, financé par l’État, le Département du Gard, la Région et la Fondation internationale pour les monuments antiques de Nîmes.

Le travail est complexe car il vise à remplacer le moins de pierres possibles pour conserver à ce vestige antique son apparence actuelle. Les parements ont d’abord été consolidés par des injections de mortier et la mise en place de goujon métalliques ou en fibre de verre. Les pierres sont ensuite soigneusement nettoyées par un procédé aussi doux que possible, par nébulisation, puis application de compresses à base d’algues et d’agents actifs et enfin microgommage.

Remplacement d’une pierre sur le chantier des arènes de Nîmes par des compagnons de l’entreprise Sèle en 2018 (photo © Ville de Nîmes / Le Figaro)

Une fois ce lifting effectué, un diagnostic fin est effectué pour décider, soit de remplacer le bloc s’il est trop fragilisé, soit d’en recoller certaines parties par injection de résine époxy, soit de procéder à une greffe en remplaçant les parties manquantes ou altérées. Un véritable travail de romain, surtout dans les parties supérieures où 10 % des gradins ont totalement disparus, ce qui oblige à les remplacer par des blocs neufs, taillés dans la carrière voisine de Barutel. En parallèle, des feuilles de plomb sont posées sur les parties horizontales et des gouttières en inox sont posées pour drainer les eaux pluviales tout en protégeant la pierre de l’altération. Après l’amphithéâtre d’Arles, celui de Nîmes devrait bientôt retrouver tout son lustre antique !

L. V.

Une écologiste à la tête du Mexique ?

6 juin 2024

Après l’Afrique du Sud, c’était au tour du Mexique d’organiser le 2 juin 2024, ses élections, dites fédérales, qui prévoient simultanément l’élection du Président de la République et le renouvellement des 128 membres du Sénat et des 500 parlementaires de la Chambre des députés, mais aussi les membres des 31 conseils étatiques qui administrent les différents États de la fédération. Une élection majeure pour cet immense pays hispanophone de près de 130 millions d’habitants, limitrophe des États-Unis d’Amérique, et qui intervient dans un contexte politique assez particulier.

Le président mexicain sortant, Andrés Manuel López Obrador, à Mexico, lors d’une conférence de presse, en février 2024 (photo © Présidence du Mexique / AFP / France TV info)

Le président sortant, Andrés Manuel López Obrador, élu en 2018 et qui n’est pas autorisé par la Constitution à briguer un second mandat, jouit en effet d’une popularité remarquable à en croire les sondages qui lui accordent un taux de satisfaction de 60 % qui ferait pâlir d’envie bien des dirigeants de ce monde, à commencer par le président français, Emmanuel Macron, dont plus de 70 % des Français se disent actuellement mécontents… Il faut dire que Obrador, par ailleurs écrivain prolixe puisqu’il a publié pas moins de 18 livres depuis 1986, n’a pas à rougir de son bilan. Issu de l’aile gauche du Parti révolutionnaire institutionnel, il a participé en 1989 à la fondation du Parti de la révolution démocratique, qu’il a dirigé entre 1996 et 2000. S’étant distingué dans la lutte contre la corruption, il s’est présenté en 2018 pour la troisième fois à l’élection présidentielle, en se déclarant opposé à l’accord de libre-échange avec les États-Unis (ALENA) et en traitant Donald Trump de « brute irresponsable » !

Malgré ses convictions, il s’est efforcé de mener une politique économique plutôt modérée mais son mandat a surtout été marqué par la mise en place de programmes sociaux volontaristes, se traduisant notamment par une forte augmentation du salaire minimum et des actions ambitieuses de lutte contre la pauvreté, via par exemple des plans de reboisement à grande échelle. Son engagement incontestable contre la violence et la corruption qui gangrènent le pays n’a pas forcément porté pleinement ses fruits, dans un pays où l’insécurité reste un problème majeur : rien que pendant cette dernière campagne, on recense 82 homicides directement liés au cycle électoral, dont pas moins de 34 candidats assassinés !

Claudia Scheinbaum en campagne (source © France 24)

La forte popularité du président sortant, surtout parmi les couches populaires, a fortement bénéficié à celle qui se présentait sous les couleurs de l’Alliance de gauche, regroupant le Mouvement de régénération nationale, parti issu du mouvement social et créé en 2011 par Obrador, ainsi que le Parti des travailleurs et le Parti vert écologiste du Mexique. Claudia Scheinbaum, qui vient donc d’être largement élue présidente du Mexique, avec plus de 58 % des suffrages exprimés, première femme à assumer cette fonction dans un pays resté plutôt machiste, est une scientifique de renom. Première Mexicaine titulaire d’un doctorat en ingénierie énergétique obtenu à l’université de Berkeley, elle a travaillé aux côtés de son mentor Obrador alors que celui-ci était gouverneur de l’État de Mexico et qu’il lui avait confié le portefeuille de l’environnement.

En 2007, c’est en tant que scientifique qu’elle participe aux travaux du GIEC et fait alors partie des rédacteurs du 4e rapport sur l’évolution du climat, l’année même où le GIEC est distingué par l’attribution du prix Nobel de la paix. Elle sera d’ailleurs membre jusqu’en 2017 du Comité des politiques de développement, un organe des Nations-Unies en charge des politiques de coopération internationale. Élue à son tour en juillet 2018 chef du gouvernement de l’État de Mexico, son mandat est marqué par une politique très volontariste en matière d’actions environnementales et d’aides sociales, avec un bilan plutôt flatteur sur le plan sécuritaire puisque le nombre d’homicides est divisé par deux, même s’il est terni par le dramatique accident de métro qui fit 26 morts le 3 mai 2021.

Claudia Scheinbaum célébrant sa large victoire électorale au soir du 2 juin 2024 (photo © Alexandre Meneghini / Reuters / France 24)

A l’issue de la primaire qui l’opposait à 5 autres candidats de gauche et qu’elle a facilement remportée, Claudia Scheinbaum a fait campagne avec pour slogan « Pour le bien de tous, les pauvres d’abord », qui reflète bien la réputation de grande écoute qu’elle s’est taillée comme maire de Mexico et sa volonté à résoudre les problèmes avec pragmatisme, ce qu’elle attribue à sa formation scientifique, affirmant ainsi : « Les scientifiques ont cette qualité d’être formés pour trouver les causes d’un problème, et pour trouver des solutions efficace. En ce sens, je pense qu’être scientifique est un avantage. Autant sur les projets à visée sociale que sur la gouvernance, l’administration. Et je pense qu’il doit y avoir une connexion entre la science et les processus de décision politique ».

Une position qui la démarque nettement de celle qui était sa principale adversaire pour ces élections présidentielle, en l’occurrence Xóchitl Gálvez, une chef d’entreprise issue du Parti d’action nationale, un parti conservateur allié pour la circonstance avec le Parti révolutionnaire institutionnel et le Parti de la révolution démocratique. Soutenue par l’élite économique et l’intelligentsia conservatrice mexicaine, chantre de la réussite individuelle et de l’ascension sociale, Xóchitl Gálvez s’est surtout distinguée dans cette campagne, face à une Claudia Scheinbaum plutôt austère et sérieuse, par son franc parler, n’hésitant pas à accuser le clan présidentiel sortant de « narcoparti » pour moquer sa tendance à négocier avec les gangs mafieux plutôt que de les combattre frontalement et affirmant en réunion publique : « Il faut des ovaires pour combattre le crime et j’ai assez d’ovaires pour appliquer la loi, ça suffit ! ».

Xóchitl Gálvez, la candidate de l’opposition conservatrice, largement battue à l’issue des élections du 2 juin 2024, ici en meeting en mai 2024 (photo © Yuri Cortez / AFP / Challenges)

Cette détermination n’aura pas suffi à barrer le chemin de la présidence à Claudia Scheinbaum qui se retrouvera donc en septembre prochain à la tête de ce pays réputé violent et machiste, mais où l’élection présidentielle se sera finalement jouée entre deux femmes de tête et a été remportée par une scientifique, écologiste convaincue et désireuse de réformer en profondeur le Mexique en y introduisant plus de justice sociale et en le préparant mieux à la transition énergétique qui s’impose : la politique réserve parfois de bonnes surprises…

L. V.

Aqua Domitia : bon sens ou non-sens ?

4 juin 2024

La Catalogne et l’Andalousie souffrent de la sécheresse, l’une des pires de leur histoire après trois années consécutives de déficit pluviométrique. Mais elles ne sont pas les seules et le pays catalan en France est également concerné. Alors que la majeure partie de notre pays a connu cet hiver des records de pluies avec des inondations désastreuses notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais, mais aussi en Poitou-Charentes et dans les Alpes, les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales sont restés largement à l’écart avec des cumuls de précipitation inférieurs à 300 mm depuis le 1er septembre 2023, ce qui n’a pas permis la recharge hivernale des nappes. A Perpignan, il est tombé moins de 100 mm d’eau entre septembre 2023 et mars 2024, alors qu’une ville comme Biarritz a enregistré 1370 mm sur la même période !

Une situation d’autant plus préoccupante que le pays catalan a connu, sur les 2 dernières années seulement 5 mois où la pluviométrie était supérieure ou égale à la normale saisonnière ! Le secteur s’inquiète donc, à juste titre, sur la capacité de ses ressources en eau à faire face à la saison estivale qui commence avec ses besoins croissants en irrigation des cultures et en alimentation en eau potable pour la saison touristique… Un contexte politique idéal pour inciter la région Nouvelle Aquitaine à lancer, à grands sons de trompettes, l’étude d’extension de son réseau de transfert d’eau brute puisée dans le Rhône, joliment dénommé Aqua Domitia.

Aqua Domitia pour les nuls… un dessin signé Gendrin pour Reporterre (source © X)

Une référence latine qui fait penser à la Via Domitia, l’ancienne voie romaine qui reliait le Rhône aux Pyrénées et dont on retrouve des vestiges le long de l’autoroute actuelle entre Nîmes et Montpellier, mais qui, en latin signifie aussi « l’eau maîtrisée ». Un projet ambitieux et qui remonte aux années 2005, lorsque la région Languedoc-Roussillon, alors présidée par Georges Frêche, a lancé une réflexion prospective intitulée Aqua 2020, pour réfléchir à la manière de concilier un développement démographique en pleine croissance avec des ressources en eau limitées, menacées par la pollution et par une pluviométrie de plus en plus aléatoire du fait du changement climatique global.

Cette réflexion a débouché sur l’engagement de programmes visant à réduire le gaspillage de l’eau en déployant des techniques d’irrigation moins gourmandes et en limitant les fuites sur les réseaux, mais surtout sur un projet ambitieux, dont le coût prévisionnel a alors été évalué à 140 millions d’euros, baptisé donc Aqua Domitia, et qui consiste pour l’essentiel à relier et mailler les réseaux alimentés d’une part par des prélèvements sur le Rhône, pour alimenter le Gard et le nord de l’Hérault, et d’autre part par le barrage des monts d’Orb, qui alimente Béziers et l’ouest de l’Hérault. L’idée générale est de sécuriser toute l’alimentation en eau de la région en pompant l’essentiel de l’eau nécessaire dans le Rhône, pour soulager les autres ressources locales jugées plus vulnérables et plus aléatoires.

Mise en place de tuyaux en fonte de 1 m de diamètre pour les besoins du réseau Aqua Domitia, ici fin 2019 sur la commune de Saint-Thibéry dans l’Hérault (photo © Damien Alquier / Le Moniteur des travaux publics)

En 2008, la Région a confié la maîtrise d’ouvrage de ce vaste projet à BRL après avoir demandé à l’État de lui transférer la concession de l’aménagement hydraulique mis en œuvre par cette société publique. Depuis cette date, c’est donc la Région, principal actionnaire de BRL qui est propriétaire d’un vaste réseau constitué de 100 km de canaux, environ 5000 km de canalisations, 80 stations de pompage, 6 stations de potabilisation de l’eau et 2 barrages, l’ensemble constituant un patrimoine dont la valeur à neuf est évaluée à près de 2 milliards d’euros, qui alimente plus de 700 000 personnes et irrigue plus de 35 000 hectares.

La station de pompage de Pichegru, sur la commune de Bellegarde, alimentant le réseau hydraulique régional concédé à BRL (source © BRL / Dis-Leur)

Un réseau qui ne s’est pas constitué en un seul jour puisque les premiers aménagements datent de 1946, lorsqu’a été créée la première Compagnie d’aménagement du Bas-Rhône, destinée à irriguer la Camargue et alors présidée par Philippe Lamour qui prendra la tête en 1955 de la toute nouvelle Compagnie nationale d’aménagement du Bas-Rhône Languedoc, désormais connue sous ce nom de BRL. En 1995, c’est ce même BRL qui planchait déjà sur un projet encore plus ambitieux de transfert de l’eau du Rhône pour alimenter la Catalogne, déjà en quête de ressources sécurisées en eau. Un projet pharaonique qui avait alors déclenché la colère des agriculteurs du cru, déjà confronté à la forte concurrence de leurs collègues espagnols et qui craignaient que ces derniers n’en profitent pour augmenter encore leur production à moindre coût.

Schéma global du maillage du projet Aqua Domitia (source © BRL)

Le projet Aqua Domitia a donc été conçu à l’encontre de cette ambition initiale an limitant les débits à 2,5 m3/s, ce qui ne permet pas d’envisager une extension à terme vers nos voisins espagnols. Cela reste néanmoins un projet gigantesque, dont la réalisation effective a débuté en 2012, après un vaste débat public,  et s’est déroulée sous forme de phases successives. La première qui s’est achevée en 2016 a permis de sécuriser les besoins en eau potable d’une grande partie du littoral, grâce aux maillons Sud Montpellier et Littoral Audois, et assure la desserte de plus de 2 000 ha supplémentaires irrigués, mis en eau grâce aux 1ères tranches des maillons Biterrois et Nord Gardiole. La jonction entre ces deux maillons centraux (Nord Gardiole et Biterrois) s’est faite en 2022, dans le cadre de la deuxième phase du programme. Elle a permis, avec la 1ère tranche du maillon Minervois alimentée grâce à la réserve de Jouarres, de favoriser l’irrigation de près de 4 000 ha supplémentaires.

Station de pompage de la Méjanelle, à Maugio dans l’Hérault, qui permet la jonction entre l’eau pompée dans le Rhône et celle provenant du barrage sur l’Orb (photo © Florence Guilhem / Pressagrimed)

Il est donc question désormais d’étendre encore ce réseau vers l’Aude et las Pyrénées Orientales, mais en examinant simultanément d’autres possibilités de contribuer à la sécurisation des ressources en eau dans ce secteur, via des projets hydrauliques locaux et notamment la liaison entre le barrage de Vinça et le lac de Villeneuve de la Raho, mais aussi la réutilisation des eaux usées traitées ou encore la construction de retenues collinaires. Une approche prudente car cette démarche de transferts d’eau massifs depuis le Rhône suscite de nombreuses controverses. Le coût colossal des investissements déjà réalisés, évalué en réalité à 220 millions d’euros, très au-delà donc des chiffrages prévisionnels initiaux, est déjà énorme mais on évoque désormais un coût supplémentaire de l’ordre de 500 millions pour une extension en vue de la desserte de Perpignan et de sa région, selon les premières évaluations de l’étude que vient de lancer la Région Nouvelle Aquitaine en vue d’examiner la faisabilité du projet.

Carole Delga, présidente de la Réion Nouvelle Aquitaine, actionnant les vannes aux côtés de Jean-François Blanchet, le directeur de BRL (à gauche), à l’occasion de l’inauguration d’un nouveau réseau d’irrigation sur les collines des Costières, le 23 mai 2023 (source © BRL)

En parallèle, le volume colossal d’ores et déjà prélevé dans le Rhône, qui se sont élevés pour l’année 2023 à 165 millions de m3 pour alimenter ce réseau hydraulique, interroge sur la durabilité d’une telle approche. Toutes les projections confirment en effet la tendance à la disparition des glaciers alpins à brève échéance, faisant peser une menace réelle sur le maintien à long terme de débits d’étiage suffisants dans le fleuve. L’eau du Rhône constitue une ressource majeure, même si, en période estivale, 30 % de cette ressource est d’ores et déjà exploitée pour les besoins des grandes métropoles que sont Lyon et Marseille, mais aussi, via le Canal de Provence, une bonne partie des Bouches-du-Rhône et du Var. Contrairement aux idées simplistes véhiculées par certains syndicats agricoles, toute l’eau qui va à la mer n’est pas perdue inutilement, car elle est indispensable au maintien des milieux naturels et des écosystèmes, y compris en Méditerranée…

Un véritable débat de société donc entre une approche techniciste visant à chercher des réponses purement techniques et économiques en pompant l’eau là où elle existe et en tirant des kilomètres de tuyaux pour la distribuer, et une approche plus globalisante qui prend aussi en compte le respect des milieux naturels et pousse à adapter les prélèvements pour les rendre compatibles avec les ressources effectives, ce qui peut conduire à faire évoluer certaines pratiques, agricoles ou touristiques notamment…

L. V.

Rapport Woerth : des propositions audacieuses

1 juin 2024

Peut-on encore réformer l’organisation territoriale à la française ? Ce fameux millefeuille est devenu tellement indigeste à force d’empiler les couches successives d’administration qui finissent par s’écraser et se mélanger mutuellement, au point que plus personne ne sait qui fait quoi… Les rapports sur le sujet s’entassent depuis des années sans que l’on sache très bien quoi en faire, sinon s’en servir pour caler les armoires branlantes du ministère de la décentralisation qui d’ailleurs a disparu. Mais cela n’a pas empêché Emmanuel Macron de confier en novembre 2023 une nième mission sur le sujet, partant du constat que « notre organisation territoriale, fruit de notre histoire, est devenue trop complexe au fil du temps. Les Français ne s’y retrouvent plus et, de cet enchevêtrement naît une forme de confusion et de dilution des responsabilités et, malheureusement, de défiance à l’égard de l’action publique et de ceux qui l’incarnent ».

Le tableau est sombre et la mission n’était donc pas aisée pour celui à qui elle a échu, en l’occurrence Éric Woerth, un proche de Nicolas Sarkozy, ancien ministre du Budget dans le gouvernement de François Fillon et qui avait rallié le clan macroniste en 2022. Sa lettre de mission était large, lui demandant de réfléchir non seulement à simplifier notre organisation territoriale, mais aussi à l’adapter aux spécificités locales, à clarifier la répartition des compétences entre les différentes entités tout en consolidant leurs moyens et en revalorisant les fonctions électives locales : une véritable gageure !

Le député de l’Oise, Éric Woerth, ici en décembre 2023, et la couverture de son rapport remis en mai 2024 (source © E. Woerth / Banque des Territoires)

La remise du rapport Woerth, qui a eu lieu le jeudi 30 mai 2024, était donc attendue avec curiosité, d’autant que le principal intéressé avait prévenu d’emblée qu’il ne proposerait pas de supprimer l’une des strates issues de la décentralisation, comme le suggérait pourtant fortement le Président de la République : réduire le nombre de couches dans lesquelles tout le monde se perd aurait sans doute fait consensus, sauf pour les tenants de la strate qui aurait ainsi été sacrifiée ! Woerth a donc choisi habilement d’éviter cet écueil mais, pour autant, ses 51 propositions, regroupées dans un pavé de 160 pages sous le titre quelque peu optimiste : « Décentralisation : le temps de la confiance », ne sont pas toutes consensuelles, loin s’en faut !

Révélées par le Figaro, ces propositions qui se veulent assez directement applicables et pourraient ouvrir la voie à une nouvelle loi de décentralisation avant la fin de l’actuel mandat présidentiel, viennent notamment proposer une nouvelle répartition des compétences entre les différentes entités existantes. La commune verrait ainsi son rôle renforcé en retrouvant ses compétences dans le domaine de la gestion de proximité, en particulier dans le domaine de la voirie et des politiques du logement et de l’urbanisme. Il est notamment proposé que les maires se voient transférer la gestion du contingent préfectoral pour l’attribution des logements sociaux sur leur commune. Quant aux conseillers municipaux, il est proposé d’en réduire le nombre de 20 % tout en relevant leurs indemnités dans les communes de moins de 20 000 habitants. Carnoux passerait ainsi de 29 à 23 élus, ce qui ferait quand même 100 000 élus locaux de moins en France !

Les logements sociaux attribués selon les ressources du ménage, en principe… Un dessin signé Ranson (source © Le Parisien)

Les différentes formes d’intercommunalité actuelles, de la communauté de commune à la métropole, pourraient être fusionnées et leurs compétences renforcées notamment dans le domaine des aides à la pierre pour la construction de logements sociaux ou dans la gestion des aides pour la rénovation énergétique des habitations. Au passage, Éric Woerth propose ni plus ni moins que de supprimer la métropole du Grand Paris qui n’a guère donné de signe d’efficacité depuis sa création début 2016, tout en ôtant à celle du Grand Lyon son statut de collectivité territoriale à part entière. Il rejette donc par la même occasion l’idée d’élire au scrutin direct nos représentants métropolitains comme l’espéraient certains, mais se prononce pour une élection directe des maires des trois grandes villes, prônant ainsi l’abandon de la fameuse loi PLM voulue par Gaston Deferre qui lui avait permis de conserver en 1983 la mairie de Marseille en étant minoritaire en voix !

La métropole marseillaise fait d’ailleurs l’objet d’un traitement spécifique dans ce rapport qui affirme d’emblée qu’elle « n’a pas fait la preuve de son efficacité en matière de développement et de services publiques, créant de nombreuses crispations ». Une belle claque pour Martine Vassal, d’autant que le rapport Woerth suggère par ailleurs d’interdire désormais la possibilité de cumuler présidence de la Métropole et du Département ! Pas question pour autant de scinder le territoire métropolitain en deux, comme l’exige la maire d’Aix-en-Provence qui rêve de faire sécession de l’aire marseillaise en se repliant sur les communes riches de la zone aixoise…

Éric Woerth accueilli par Martine Vassal le 21 mars 2024, devant l’hémicycle du Pharo pour assister à la conférence métropolitaine des maires (photo © A. Mt. / La Provence)

Les propositions du très droitier Éric Woerth ne vont certainement pas faire plaisir à ses amis politiques élus locaux puisqu’il veut s’attaquer, de gré ou de force, au système des attributions de compensation qui encore permis en 2023 aux 92 communes membres de la métropole Aix-Marseille-Provence de se voire reverser pas moins de 660 millions d’euros : c’est le principal poste de dépense de la Métropole, loin devant la gestion des transports publics, de l’assainissement ou encore des ordures ménagères qui sont pourtant ses compétences essentielles et la raison d’être de sa création ! Pour compenser cette diminution de recette pour les communes habituées à cette manne financière, le rapport Woerth évoque la nécessité de développer des transferts des communes les plus riches vers les autres, une solidarité qui ne va pas de soi localement et qui nécessitera sans doute une implication des magistrats de la Chambre régionale des Comptes ! Quant au retard colossal pris dans le développement des transports en commun, il est proposé pour le résorber, la création d’un syndicat spécifique regroupant Métropole, Département, Région et État, afin d’en rationaliser enfin la gestion.

Même simplifiée, la répartition des compétences entre collectivités reste un casse-tête : un dessin signé Urbs (source © Département de la Gironde)

Le rapport ne se focalise cependant pas uniquement sur la situation de l’aire métropolitaine marseillaise. Il se penche aussi sur le cas de l’Alsace qui souhaiterait se détacher de la région Grand-Est, ce que rejette le rapport qui préconise cependant des transferts de compétences spécifiques à la collectivité récemment crée par la fusion des deux départements alsaciens. Il revient aussi sur le cumul des mandats en envisageant le retour des députés-maires qui ont pourtant disparu du paysage politique français depuis 2017, ainsi que celui des conseillers territoriaux, imaginés par Nicolas Sarkozy mais jamais appliqués, siégeant à la fois à la région et au Département.

Un dessin signé Aurel (source © Over Blog)

Concernant ces deux dernières strates, poids lourds de la décentralisation, les propositions du rapport Woerth, bien que ne remettant pas en cause leur existence, se traduiraient par une évolution sensible de leurs compétences. Le Département se verrait renforcer son rôle dans le domaine de l’aide sociale, aux côtés de l’État, via la création d’un « service départemental des solidarités ». Il se verrait aussi transférer la totalité du réseau routier non communal, soit 8000 km de voirie supplémentaire non concédée, toujours gérée par l’État, ainsi que les musées nationaux, mais aussi la gestion de l’eau et des milieux aquatiques, pour l’instant de compétence intercommunale, ainsi que celle des risques naturels et plus globalement tout ce qui concerne la résilience des territoires et leur adaptation au changement climatique.

Quant à la Région, il est question de concentrer encore davantage ses actions sur la planification et l’aide au développement économique, avec la possibilité de lui transférer certains grands ports maritimes, des aéroports et les trains intercités, le tout accompagné de ressources fiscales accrues en lui faisant bénéficier notamment d’une fraction de l’impôt sur les sociétés et de la moitié de la cotisation foncière des entreprises avec pourvoir d’en fixer le taux, ce qui n’est pas le cas actuellement. De manière générale, les ressources fiscales des différentes strates seraient mises en cohérence avec leurs compétences effectives, communes et intercommunalités se voyant attribuer la quasi-totalité de la fiscalité foncière et des droits de mutation, tandis que le Département bénéficierait d’une importante dotation de solidarité et d’une part de CSG pour l’aider à remplir ses missions.

Les dotations de l’État aux collectivités territoriales, une source de crispation permanente… Un dessin signé Deligne (source © La Montagne)

Nul n’est en mesure de dire à ce jour quel sort sera réservé à ce rapport même s’il se murmure que le gouvernement en a déjà validé l’essentiel et compte bien le mettre en œuvre avant les prochaines échéances présidentielles, quitte à recourir au référendum pour faire valider les mesures les plus consensuelles. Sa lecture fera sans doute grincer quelques dents et on imagine notamment qu’il ne fera guère plaisir à Martine Vassal. On ne pourra pas dire cependant qu’il manque d’audace car, même s’il ne prône pas une révolution des différentes strates administratives nationales, il préconise quand même plusieurs évolutions assez décoiffantes, de nature à rendre plus efficient le fonctionnement de nos collectivités territoriales et peut-être plus lisible pour le citoyen lambda, ce fameux millefeuille largement indigeste…

L. V.