La nouvelle est un peu passée inaperçue en pleine campagne électorale française des législatives, alors que l’extrême droite pourrait potentiellement arriver au pouvoir et faire peser un risque sur la liberté de la presse. Le 26 juin 2024, le lanceur d’alerte Julian Assange est ressorti libre du tribunal de district de Saipan, dans les îles Mariannes du Nord, un archipel américain de la mer des Philippines, situé à quelques 3000 km des côtes de l’Australie, son pays d’origine que l’homme a rallié le jour même, trop pressé de fuir cette soi-disant démocratie américaine qui s’acharne sur lui depuis maintenant 14 ans !
C’est en effet un véritable calvaire qu’a vécu ce journaliste australien, victime d’une chasse à l’homme impitoyable menée par les États-Unis et leurs fidèles alliés, Suède et Grande-Bretagne en tête, au mépris des principes pourtant mis en avant par les gouvernements de ces pays, tous chantres de la liberté d’expression et des droits de l’Homme. La France elle-même, toujours prompte à donner de grandes leçons de morale, avait rejeté en 2021, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, la proposition de certains députés d’accorder le droit d’asile à Julien Assange, alors emprisonné dans de rudes conditions au Royaume-Uni où il était sous le coup d’une extradition imminente vers les USA.
Il encourrait pourtant une peine globale de 175 ans de prison avec des risques majeurs de procès inéquitable, de détention arbitraire voire même de torture physique et morale. Mais le gouvernement français avait alors balayé d’un revers de main ces arguments, affirmant « qu’il n’y avait pas lieu de donner une réponse favorable à son accueil en France en raison d’éléments liés à la situation juridique et à la situation de fait de l’intéressé ». Circulez, il n’y a rien à voir…
Un alignement aveugle sur la position américaine d’autant plus incompréhensible que c’est Julian Assange lui-même qui a permis de révéler, par l’intermédiaire de Médiapart et de Libération, en juin 2015, à la France quelque peu ébahie que l’organisme gouvernemental américain NSA (National Security Agency), qui dépend du ministère de la Défense, espionnait systématiquement les plus hautes instances politiques françaises, dont les Présidents de la République Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, et ceci de manière continue, au moins entre 2006 et 2012. Même le zélé atlantiste Pierre Lellouche, secrétaire d’État au Commerce extérieur entre 2010 et 2012, lui-même visé par ces écoutes systématiques, s’en était ému et avait dénoncé « un comportement indigne et lamentable entre nations démocratiques »…
Passionné d’informatique et un temps hacker dans sa jeunesse, Julian Assange s’était fait connaître au monde entier en 2010, lorsqu’il avait publié sur son site Wikileaks, créé en 2006 pour aider les lanceurs d’alerte à diffuser leurs informations, plusieurs centaines de milliers de documents américains confidentiels, pour dénoncer les agissements répréhensibles, voire criminels des autorités américaines et notamment des faits passibles de crimes de guerre commis par l’armée US en Irak, en Afghanistan et dans la prison de Guantanamo.
Cette publication, largement reprise et diffusée par les grands titres de la presse mondiale, avait mis le Pentagone en fureur. Dès juillet 2010, les autorités judiciaires américaines lançaient la traque du citoyen trop curieux et mobilisaient les chancelleries de tous leurs alliés pour le faire tomber dans leurs filets. En août 2010, alors que Julian Assange se rend en Suède pour une série de conférences, la police suédoise s’arrange pour faire témoigner deux femmes de son comité d’accueil, avec qui il a eu des relations intimes à l’occasion de son séjour, et déforme leurs propos au point d’accuser le journaliste australien de viol. Une accusation dont Julian Assange mettra 9 ans à se défaire alors même que le procureur, après l’avoir entendu en septembre 2010 souhaitait clôturer immédiatement le dossier.
Mais c’était sans compter l’acharnement des autorités suédoises, prêtes à tout pour rendre service à leurs alliés américains. Alors que Julian Assange quitte le territoire avec l’accord du juge, la police suédoise émet à son encontre un mandat d’arrêt international au prétexte qu’il se serait soustrait à l’action de la Justice ! A plus de 30 reprises ses avocats proposent une nouvelle audition sous réserve que la Suède s’engage à ne pas l’extrader vers les États-Unis, mais cette dernière s’y refuse obstinément et fait monter la pression, au point qu’en juin 2012, Julian Assange n’a d’autre choix, pour sauver sa peau, que de se réfugier dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur à Londres.
Il y restera reclus pendant 5 ans. Mais en avril 2017, les élections présidentielles en Équateur conduisent au pouvoir un banquier de droite, Guillermo Lasso, qui, en avril 2019, déchoit le journaliste australien de sa toute récente nationalité équatorienne. La police britannique intervient le jour même pour sortir de force Julian Assange des locaux de l’ambassade londonienne et le jeter immédiatement dans une prison de haute sécurité, après un simulacre de procès, en attendant que les États-Unis finalisent leur demande d’extradition. Du coup, les Suédois clôturent immédiatement l’affaire des viols supposé qui n’a plus lieu d’être et, en février 2020, le procès de Julian Assange s’ouvre en Grande-Bretagne, pour décider de son extradition.
Mais la Justice britannique n’est pas aux ordres et elle rejette la demande, obligeant les Américains à faire appel pour obtenir enfin la décision d’extradition en décembre 2021, une décision que Julian Assange tente de contester devant la Cour suprême, mais cette dernière s’y oppose en mars 2022. Le 20 avril 2022, la Justice britannique confirme donc son accord pour l’extradition du trublion, un accord immédiatement approuvé par la ministre britannique de l’Intérieur, Priti Patel. Les avocats de Julian Assange ne baissent pas les bras pour autant et saisissent la Cour européenne des Droits de l’Homme tout en formulant plusieurs nouveaux recours devant la Haute Cour britannique. En mars 2024, les magistrats britanniques demandent officiellement à leurs homologues américains de s’engager à ce que Julian Assange ne sera pas torturé à l’issue de son extradition, une réponse qui ne va manifestement pas de soi puisqu’un délai de 3 semaines est accordé pour y répondre.
Sur la base de cette réponse, manifestement peu rassurante, la Justice britannique décide finalement, le 20 mai 2024, d’autoriser Julian Assange à faire appel de son extradition. Une décision qui a manifestement pesé, au même titre sans doute que le contexte électoral américain, pour accepter finalement de transiger. Un accord est conclu, par lequel l’Australien accepte de plaider coupable de « complot en vue d’obtenir et de divulguer des informations relevant de la défense nationale », un chef d’accusation sanctionné par une peine de 62 mois d’incarcération, que Julian Assange a déjà purgée puisqu’il était embastillé depuis 5 ans dans une prison de haute sécurité, à Belmarsh, connue sous le surnom de « Guantanamo britannique ».
Le 25 juin 2024, il est donc enfin tiré de sa prison et embarque pour les îles Mariannes où un simulacre de procès lui permet officiellement d’être en même temps condamné et libéré. La fin d’un calvaire de 14 ans qui a brisé la vie de ce lanceur d’alerte et montré au monde entier à quel point les autorités américaines pouvaient faire pression sur leurs alliés pour imposer leur force la plus brutale. Mais un épisode qui confirme malgré tout que, dans les démocraties européennes, la Justice garde une certaine indépendance et peut arriver à garantir, contre la volonté du gouvernement, les droits d’un citoyen engagé, grâce à l’action opiniâtre de ses avocats et au soutien de l’opinion publique : pourvu que ça dure !
L. V.