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Yambo Ouologuem, un auteur malien à redécouvrir

3 août 2015
Yambo Ouologuem en 1968

Yambo Ouologuem en 1968

En 1968, alors que la décolonisation des pays africains est toute récente, ce jeune Malien, né au cœur du pays Dogon à Bandiagara d’une famille aisée, ancien élève de l’École normale supérieure et docteur en sociologie après avoir été étudiant au prestigieux lycée Henri IV à Paris, publie son premier roman aux éditions du Seuil : « Le Devoir de violence ». L’ouvrage est salué par la critique et lui vaut le prix Renaudot après avoir manqué de peu le prix Goncourt.

Premier romancier africain à recevoir une telle distinction, ce jeune enseignant de 28 ans, licencié ès lettres, licencié en philosophie, docteur en sociologie et diplômé d’études supérieures d’anglais, est alors promis à un bel avenir. Un an plus tard, il publie sous le pseudonyme d’Utto Rodolph, « Les Mille et une bibles du sexe », un roman érotique qui raconte les aventures sexuelles de quelques 300 couples libertins de la bourgeoisie européenne, un roman transgressif que certains comparent aux œuvres du marquis de Sade.Blog213_PhLivreBible

Pourtant, l’œuvre littéraire de ce romancier brillant connaît alors un coup d’arrêt brutal. Yambo Ouologuem est en effet accusé de plagiat pour avoir dans son premier roman fait figurer des citations d’autres auteurs, ce dont il se défend en accusant l’éditeur de n’avoir pas respecté les guillemets qu’il avait pris grand soin de figurer dans son manuscrit. Mais surtout, il se heurte à la critique de plusieurs intellectuels africains, adeptes de la négritude, Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor en tête, qui lui reprochent de ne pas donner du continent africain l’image idéalisée qu’ils cherchent à imposer pour justifier leurs critiques du colonialisme.

Affecté par ces critiques puis par le revirement de son éditeur qui retire de la vente son premier roman, l’auteur publie l’année suivante « Lettres à la France nègre » suivi de trois autres romans. Mais il décide finalement de rentrer au Mali à la fin des années 1970. Il y vit toujours, retiré en pays Dogon après s’être consacré à la direction d’un centre culturel près de Mopti et à l’édition de manuels scolaires.

Blog213_PhLivreDevoirSi l’on reparle aujourd’hui de cet auteur méconnu, c’est que ses deux ouvrages majeurs ont été réédités coup sur coup et que la critique littéraire redécouvre un écrivain injustement oublié. Réédité en 2015 aux éditions Vents d’ailleurs, son encyclopédie érotique est de nouveau accessible, de même que son fameux premier roman qui a été réédité en 2003 par Le Serpent à plumes et avait à l’époque fait l’objet d’une critique élogieuse dans le Monde Diplomatique.

Blog213_PhEsclavage

« Le Devoir de violence » raconte l’histoire d’un royaume africain fictif où règne la féodalité la plus brutale et l’asservissement cruel. L’esclavage y est pratiqué à grande échelle, avec la complicité des marchands arabes et européens. Une vision dérangeante effectivement qui ne montre pas les dirigeants de l’Afrique pré-coloniale sous leur meilleur jour… Ruse, corruption, ambitions personnelles ne reculant pas devant le recours au crime, guerres tribales, trahisons et manipulation de masse y sont monnaie courante dans ce royaume, mais pas plus dans cette société africaine que dans la plupart des autres qui ont subi un pouvoir autoritaire dépravé à un moment ou à un autre de leur histoire ! C‘est d’ailleurs en cela que ce roman est si universel et intemporel, même s’il a pu heurter lors de sa parution certains intellectuels engagés qui s’évertuaient à vouloir donner du continent africain avant l’invasion coloniale une image apaisée et idyllique.

Un roman contemporain et singulier, œuvre d’un grand écrivain qui mérite d’être redécouvert…

L.V.