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Rapport Woerth : des propositions audacieuses

1 juin 2024

Peut-on encore réformer l’organisation territoriale à la française ? Ce fameux millefeuille est devenu tellement indigeste à force d’empiler les couches successives d’administration qui finissent par s’écraser et se mélanger mutuellement, au point que plus personne ne sait qui fait quoi… Les rapports sur le sujet s’entassent depuis des années sans que l’on sache très bien quoi en faire, sinon s’en servir pour caler les armoires branlantes du ministère de la décentralisation qui d’ailleurs a disparu. Mais cela n’a pas empêché Emmanuel Macron de confier en novembre 2023 une nième mission sur le sujet, partant du constat que « notre organisation territoriale, fruit de notre histoire, est devenue trop complexe au fil du temps. Les Français ne s’y retrouvent plus et, de cet enchevêtrement naît une forme de confusion et de dilution des responsabilités et, malheureusement, de défiance à l’égard de l’action publique et de ceux qui l’incarnent ».

Le tableau est sombre et la mission n’était donc pas aisée pour celui à qui elle a échu, en l’occurrence Éric Woerth, un proche de Nicolas Sarkozy, ancien ministre du Budget dans le gouvernement de François Fillon et qui avait rallié le clan macroniste en 2022. Sa lettre de mission était large, lui demandant de réfléchir non seulement à simplifier notre organisation territoriale, mais aussi à l’adapter aux spécificités locales, à clarifier la répartition des compétences entre les différentes entités tout en consolidant leurs moyens et en revalorisant les fonctions électives locales : une véritable gageure !

Le député de l’Oise, Éric Woerth, ici en décembre 2023, et la couverture de son rapport remis en mai 2024 (source © E. Woerth / Banque des Territoires)

La remise du rapport Woerth, qui a eu lieu le jeudi 30 mai 2024, était donc attendue avec curiosité, d’autant que le principal intéressé avait prévenu d’emblée qu’il ne proposerait pas de supprimer l’une des strates issues de la décentralisation, comme le suggérait pourtant fortement le Président de la République : réduire le nombre de couches dans lesquelles tout le monde se perd aurait sans doute fait consensus, sauf pour les tenants de la strate qui aurait ainsi été sacrifiée ! Woerth a donc choisi habilement d’éviter cet écueil mais, pour autant, ses 51 propositions, regroupées dans un pavé de 160 pages sous le titre quelque peu optimiste : « Décentralisation : le temps de la confiance », ne sont pas toutes consensuelles, loin s’en faut !

Révélées par le Figaro, ces propositions qui se veulent assez directement applicables et pourraient ouvrir la voie à une nouvelle loi de décentralisation avant la fin de l’actuel mandat présidentiel, viennent notamment proposer une nouvelle répartition des compétences entre les différentes entités existantes. La commune verrait ainsi son rôle renforcé en retrouvant ses compétences dans le domaine de la gestion de proximité, en particulier dans le domaine de la voirie et des politiques du logement et de l’urbanisme. Il est notamment proposé que les maires se voient transférer la gestion du contingent préfectoral pour l’attribution des logements sociaux sur leur commune. Quant aux conseillers municipaux, il est proposé d’en réduire le nombre de 20 % tout en relevant leurs indemnités dans les communes de moins de 20 000 habitants. Carnoux passerait ainsi de 29 à 23 élus, ce qui ferait quand même 100 000 élus locaux de moins en France !

Les logements sociaux attribués selon les ressources du ménage, en principe… Un dessin signé Ranson (source © Le Parisien)

Les différentes formes d’intercommunalité actuelles, de la communauté de commune à la métropole, pourraient être fusionnées et leurs compétences renforcées notamment dans le domaine des aides à la pierre pour la construction de logements sociaux ou dans la gestion des aides pour la rénovation énergétique des habitations. Au passage, Éric Woerth propose ni plus ni moins que de supprimer la métropole du Grand Paris qui n’a guère donné de signe d’efficacité depuis sa création début 2016, tout en ôtant à celle du Grand Lyon son statut de collectivité territoriale à part entière. Il rejette donc par la même occasion l’idée d’élire au scrutin direct nos représentants métropolitains comme l’espéraient certains, mais se prononce pour une élection directe des maires des trois grandes villes, prônant ainsi l’abandon de la fameuse loi PLM voulue par Gaston Deferre qui lui avait permis de conserver en 1983 la mairie de Marseille en étant minoritaire en voix !

La métropole marseillaise fait d’ailleurs l’objet d’un traitement spécifique dans ce rapport qui affirme d’emblée qu’elle « n’a pas fait la preuve de son efficacité en matière de développement et de services publiques, créant de nombreuses crispations ». Une belle claque pour Martine Vassal, d’autant que le rapport Woerth suggère par ailleurs d’interdire désormais la possibilité de cumuler présidence de la Métropole et du Département ! Pas question pour autant de scinder le territoire métropolitain en deux, comme l’exige la maire d’Aix-en-Provence qui rêve de faire sécession de l’aire marseillaise en se repliant sur les communes riches de la zone aixoise…

Éric Woerth accueilli par Martine Vassal le 21 mars 2024, devant l’hémicycle du Pharo pour assister à la conférence métropolitaine des maires (photo © A. Mt. / La Provence)

Les propositions du très droitier Éric Woerth ne vont certainement pas faire plaisir à ses amis politiques élus locaux puisqu’il veut s’attaquer, de gré ou de force, au système des attributions de compensation qui encore permis en 2023 aux 92 communes membres de la métropole Aix-Marseille-Provence de se voire reverser pas moins de 660 millions d’euros : c’est le principal poste de dépense de la Métropole, loin devant la gestion des transports publics, de l’assainissement ou encore des ordures ménagères qui sont pourtant ses compétences essentielles et la raison d’être de sa création ! Pour compenser cette diminution de recette pour les communes habituées à cette manne financière, le rapport Woerth évoque la nécessité de développer des transferts des communes les plus riches vers les autres, une solidarité qui ne va pas de soi localement et qui nécessitera sans doute une implication des magistrats de la Chambre régionale des Comptes ! Quant au retard colossal pris dans le développement des transports en commun, il est proposé pour le résorber, la création d’un syndicat spécifique regroupant Métropole, Département, Région et État, afin d’en rationaliser enfin la gestion.

Même simplifiée, la répartition des compétences entre collectivités reste un casse-tête : un dessin signé Urbs (source © Département de la Gironde)

Le rapport ne se focalise cependant pas uniquement sur la situation de l’aire métropolitaine marseillaise. Il se penche aussi sur le cas de l’Alsace qui souhaiterait se détacher de la région Grand-Est, ce que rejette le rapport qui préconise cependant des transferts de compétences spécifiques à la collectivité récemment crée par la fusion des deux départements alsaciens. Il revient aussi sur le cumul des mandats en envisageant le retour des députés-maires qui ont pourtant disparu du paysage politique français depuis 2017, ainsi que celui des conseillers territoriaux, imaginés par Nicolas Sarkozy mais jamais appliqués, siégeant à la fois à la région et au Département.

Un dessin signé Aurel (source © Over Blog)

Concernant ces deux dernières strates, poids lourds de la décentralisation, les propositions du rapport Woerth, bien que ne remettant pas en cause leur existence, se traduiraient par une évolution sensible de leurs compétences. Le Département se verrait renforcer son rôle dans le domaine de l’aide sociale, aux côtés de l’État, via la création d’un « service départemental des solidarités ». Il se verrait aussi transférer la totalité du réseau routier non communal, soit 8000 km de voirie supplémentaire non concédée, toujours gérée par l’État, ainsi que les musées nationaux, mais aussi la gestion de l’eau et des milieux aquatiques, pour l’instant de compétence intercommunale, ainsi que celle des risques naturels et plus globalement tout ce qui concerne la résilience des territoires et leur adaptation au changement climatique.

Quant à la Région, il est question de concentrer encore davantage ses actions sur la planification et l’aide au développement économique, avec la possibilité de lui transférer certains grands ports maritimes, des aéroports et les trains intercités, le tout accompagné de ressources fiscales accrues en lui faisant bénéficier notamment d’une fraction de l’impôt sur les sociétés et de la moitié de la cotisation foncière des entreprises avec pourvoir d’en fixer le taux, ce qui n’est pas le cas actuellement. De manière générale, les ressources fiscales des différentes strates seraient mises en cohérence avec leurs compétences effectives, communes et intercommunalités se voyant attribuer la quasi-totalité de la fiscalité foncière et des droits de mutation, tandis que le Département bénéficierait d’une importante dotation de solidarité et d’une part de CSG pour l’aider à remplir ses missions.

Les dotations de l’État aux collectivités territoriales, une source de crispation permanente… Un dessin signé Deligne (source © La Montagne)

Nul n’est en mesure de dire à ce jour quel sort sera réservé à ce rapport même s’il se murmure que le gouvernement en a déjà validé l’essentiel et compte bien le mettre en œuvre avant les prochaines échéances présidentielles, quitte à recourir au référendum pour faire valider les mesures les plus consensuelles. Sa lecture fera sans doute grincer quelques dents et on imagine notamment qu’il ne fera guère plaisir à Martine Vassal. On ne pourra pas dire cependant qu’il manque d’audace car, même s’il ne prône pas une révolution des différentes strates administratives nationales, il préconise quand même plusieurs évolutions assez décoiffantes, de nature à rendre plus efficient le fonctionnement de nos collectivités territoriales et peut-être plus lisible pour le citoyen lambda, ce fameux millefeuille largement indigeste…

L. V.