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Du géocorail pour stabiliser le littoral ?

10 janvier 2022

Avec le réchauffement climatique global, le niveau moyen des océans s’élève progressivement, sous le simple effet de la dilatation thermique de l’eau. Mais tout laisse à penser que le phénomène risque fort de s’aggraver dans un proche avenir, sous l’effet de phénomènes complexes et plus difficiles à modéliser, la fonte des glaces polaires pouvant contribuer de manière significative à cette élévation progressive du niveau des mers. Mécaniquement, plus ce niveau s’élève, plus les zones côtières sont menacées, surtout dans les zones de côte sableuse, déjà soumises à une érosion naturelle du fait de l’action de la houle.

L’érosion côtière grignote lentement mais sûrement les infrastructures littorales (photo © Matthew J. Thomas / Actu-Environnement)

Ces phénomènes d’érosion côtière et de recul du trait de côte ne sont pas simples à modéliser car ils dépendent fortement des conditions locales et l’érosion se fait souvent par à-coups, à l’occasion de fortes tempêtes, si bien que la notion même de vitesse moyenne d’érosion du trait de côte n’a pas forcément grande signification et peut être très variable d’un point à un autre. Les analyses disponibles montrent néanmoins que 20 % du littoral national, y compris dans les territoires d’outre-mer (hors Guyane), est désormais en phase de recul et qu’environ 30 km² de terre a déjà été engloutie par la mer au cours des seules 50 dernières années.

L’immeuble Signal, à Soulac-sur-mer, menacé par l’érosion côtière, ici en 2014 lors de son évacuation (photo © Laurent Theillet / MaxPPP / Le Monde)

Chacun a vu notamment les images du Signal, cet immeuble d’habitation de 4 étages construit à la fin des années 1960 sur la côte landaise, dans la commune de Soulac-sur-Mer, en Gironde, à environ 200 m du littoral. Grignotée par les avancées de l’océan, l’immeuble est désormais directement menacé par les vagues et a dû être évacué par ses occupants en 2014. Il va désormais être démoli par la Communauté de communes dans le cadre d’un projet plus global de renaturation du littoral. Mais ce bâtiment n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres des constructions faites un peu imprudemment dans des secteurs menacés par l’érosion côtière. Ainsi, le CEREMA a publié en 2019 une étude estimant entre 5 000 et 50 000 (selon les hypothèse retenues) le nombre de logements qui seront directement menacées par ce recul du trait de côte d’ici 2100.

Des maisons directement menacées par l’érosion du littoral, ici sur la côte atlantique (photo © David Ademas / Ouest France)

La côte méditerranéenne est directement touchée par ce risque, tant sur les côtes sableuses, notamment dans le Languedoc et en Camargue, que sur les zones de falaises côtière. Ces dernières sont en effet soumises elles-aussi à des phénomènes chroniques d’érosion, sous l’effet principalement de la circulation d’eau dans les fissures des massifs rocheux, provoquant petit à petit la désagréqation de ces fronts rocheux qui s’éboulent périodiquement. La houle déblayant au fur et à mesure les matériaux issus de ces éboulements et accumulés en pied de falaise, le littoral recule inexorablement, finissant par menacer les maisons construites près du rivage.

Face à cette menace désormais bien caractérisée, une stratégie nationale de gestion du recul du trait de côte a été élaborée et la loi climat adoptée en août 2021 prévoit une liste de communes qui devront intégrer dans leur plan local d’urbanisme les zones potentiellement soumises à cette érosion littorale. Marseille sera directement concerné par cette menace, s’étant largement urbanisée en bordure même de la mer, dans des secteurs soumis à des éboulements récurrents.

A Marseille, de nombreuses constructions sont directement menacées par l’érosion littorale : ici le CIRFA (centre d’information et de recrutement des forces armées près des Catalans (source © Tourisme Marseille)

Si la logique consiste à limiter les constructions dans ces zones et à supprimer progressivement les bâtiments les plus menacés, des stratégies de protection sont aussi mises en œuvre, via des ouvrages de défense édifiés soit en haut de plage (sous forme de digues ou de murs), soit en pied de plage (sous forme de brise-lames et d’épis en enrochements), soit en immersion.

Pour limiter l’impact et le coût de tels ouvrages qui nécessitent de gros moyens de terrassement, une société implantée à Marseille depuis 2012 sous le nom de Géocorail, a mis au point un procédé innovant assez astucieux et d’ailleurs breveté. En injectant du courant électrique, à partir d’une cathode reliée à un générateur, et d’une anode en titane, on provoque une électrolyse de l’eau de mer qui permet de précipiter le calcium et le magnésium, lesquels se déposent sur le substratum sous la forme d’un liant naturel solide à base d’aragonite et de brucite, selon un mode de dépôt assez semblable à celui qui permet la construction naturelle de récifs coralliens.

Philippe Andréani, dirigeant de la société Géocorail, avec un fragment de grille recouverte de son liant déposé in situ (photo © Stéphanie Têtu / Le Moniteur)

Ce dépôt qui vient se former sur une armature de grillage métallique agglomère également tous les sédiments marins et débris en suspension dans l’eau, débris de coquillage, grains de sables et même déchets plastiques, formant un encroutement calcaire qui s’épaissit de 5 à 10 cm par an jusqu’à constituer une coque protectrice qui permet de renforcer naturellement les pieds de digues ou d’enrochement, de colmater les brèches en pied de quai ou de consolider les pieds de plage menacés d’érosion. Dès que l’ouvrage a atteint le niveau de protection recherche, il suffit de couper l’alimentation et le matériau ainsi généré devient inerte comme un dépôt calcaire naturel.

Formation de Géocorail en place pour renforcer un ouvrage de protection (source © Géocorail / La Gazette des Communes)

Dès 2016, une première application de ce procédé ingénieux a été testée à Châtelaillon-Plage, près de La Rochelle, pour renforcer une digue de protection. D’autres ont suivi depuis, notamment à Mèze, dans l’Hérault, où la société a imaginé, avec le syndicat mixte du bassin de Thau, de réaliser des cages en gabions remplies de coquilles d’huîtres pour recycler les quelques 8 500 tonnes générées chaque année par l’activité conchylicole locale. Immergés dans l’eau pendant un an, ces blocs se solidifient et peuvent ensuite remplacer des enrochements à moindre coût et faible impact environnemental. A Cannes, le béton naturel de Géocorail a aussi permis de renforcer des chaussettes brise houle immergées devant la Croisette.

Matériau biomimétique, le Géocorail offre de multiples applications, y compris pour remplacer des gabions ou des enrochements, voire pour agglomérer des sédiments pollués (source © Géocorail / Le Moniteur)

En 2021, le fonds d’investissement Truffle Capital, qui soutient cette entreprise depuis sa création, a levé 2,7 millions d’euros pour les injecter dans cette société en pleine croissance qui envisage aussi d’utiliser son procédé pour encapsuler directement au fond de l’eau des sédiments sous-marins pollués, pour éviter qu’ils ne soient remis en suspension par les hélice des bateaux ou lors de leur extraction. Un bel avenir en perspective pour cette entreprise qui mise sur une meilleure prise en compte par les collectivités de ces phénomènes d’érosion marine pour développer son carnet de commande…

L. V.