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Bombes à graines : une nouvelle arme de dissémination massive ?

10 février 2020

Germination d’une bombe à graine (source © Grainette)

C’est la nouvelle mode chez certains urbains adeptes d’un retour à la nature en ville : les bombes à graines… Comme toutes les modes, bien évidemment, elle nous vient des États-Unis ! Elle y a été développée dans les années 1970 par un mouvement citoyen qui cherchait à revitaliser le quartier de Bowery à New York et qui s’était dénommé par provocation The guerilla gardening. Elle consiste en effet à lancer dans des terrains vagues et autres délaissés urbains plus ou moins accessibles des boules d’argile et de terreau parsemées de graines de fleurs prêtes à germer. Une manière de faire refleurir ces espaces urbains à l’abandon et de favoriser la biodiversité locale…

Bousier roulant sa boule remplie de graines (photo © Rafaël Brix)

En fait, la technique est vieille comme le monde. Les anciens Égyptiens déjà avaient observé comment le bousier, ce gros scarabé noir, pousse inlassablement sa boule de fumier qui constitue un terreau idéal pour favoriser la germination des graines qui y sont involontairement incorporées. Les fellah s’en sont inspirés et ont utilisé la technique pour organiser, sitôt la décrue amorcée, la remise en culture des terrasses inondées par les crues annuelles du Nil.

Dans les années 1950, l’agronome japonais adepte de l’agriculture naturelle, Masanobu Fukuoka, a repris l’idée pour développer l’ensemencement des terrasses peu accessibles sur l’île montagneuse de Shikoku aux riches sols volcaniques. En 1997, c’est un ingénieur en aéronautique du MIT qui imagine de procéder à une reforestation massive de certaines régions dont les landes des Highlands écossaises, via un largage aérien de jeunes pousses de pins dans des sachets biodégradables de terreau.

Et maintenant, ce sont donc des militants écologistes qui se sont emparés de la technique pour jeter leurs seedbombs ou bombes à graines dans les espaces urbains délaissés ou peu accessibles : terrains vagues, jardinets en bordure de rue, chantiers et friches urbaines ou même toitures terrasses où un substrat naturel finit toujours par s’accumuler sous l’effet du vent et de la pluie.

Fabrication de bombes à graines (source © La ruche qui dit oui)

La plupart fabriquent eux-même leurs bombes et les tutoriels pour les guider sont légions sur internet. Le principe est des plus simples : les graines sont enrobées dans un mélange d’humus et de compost ou de terreau, puis l’ensemble est incorporé dans de l’argile que l’on malaxe pour en faire des boules de quelques centimètres de diamètre.

Grenade en terre cuite pour lancer des graines (source © blog.defi-ecologique)

Les variantes sont innombrables. Certains préfèrent insérer le mélange dans une coquille d’œuf dont l’extrémité est refermée par un morceau de papier journal collé. D’autres, à l’esprit de guérilleros militants, vont jusqu’à introduire leur mélange dans une poterie en terre cuite en forme de grenade dégoupillée, sans doute pour retrouver la jouissance de l’acte subversif qui consiste à lancer cette fausse grenade sur le toit du voisin et à la voir exploser en libérant ses précieuses semences…

L’efficacité de la méthode est des plus variables, certaines graines se prêtant plus que d’autres à une telle dissémination. Selon le site bien documenté blog.defi-ecologique, les variétés recommandées seraient le chèvrefeuille, particulièrement apprécié de nombreux insectes pollinisateurs, le coquelicot, qui se ressème ensuite naturellement, ou encore le cosmos, pour ses fleurs très esthétiques, ainsi que des espèces assez rustiques qui ne craignent pas trop la sécheresse, telles le rudbeckia ou certains sedum.

Conditionnement commercialisé par Balles de graines

La mode s’est tellement répandue que des entreprises spécialisées se sont même installées sur ce créneau. C’est le cas par exemple de la société française Balles de graines, installée près de Bordeaux et qui a lancé l’été dernier une opération promotionnelle pour envoyer des échantillons gratuits à tous ceux qui lui adressaient une enveloppe affranchie à leur adresse : une belle action de publicité…

En Grande-Bretagne, l’association Plantlife milite ainsi depuis 2013 pour inciter les municipalités à ensemencer les accotements à l’aide de bombes à graines pour y faire germer des plantes à fleurs mellifères plutôt que d’y planter du gazon qu’il faut tondre chaque semaine : une économie de main d’œuvre pour les services techniques de la commune et un gain pour favoriser la survie des insectes pollinisateurs…

Bordure de voirie fleurie par ensemencement à l’aide de balles à graines, dans la ville britannique de Rotherham (photo © pictorialmeadows.co.uk / Neozone)

Distributeur de bombe à graine aux États-Unis (source © urba-actu)

Aux États-Unis, on trouve même dans certaines boutiques ou sur l’espace public des distributeurs automatiques de bombes à graines prêtes à l’emploi : il suffit de glisser une pièce de 50 cents dans la fente et de récupérer sa boulette farcie de graines que l’on peut ensuite jeter à volonté sur le terrain vague qui s’étend devant sa fenêtre et avoir ainsi le plaisir de voir germer et fleurir quelques plantes au milieu de la friche abandonnée.

Faisant le constat que depuis 40 ans en Europe, 70 % des plantes à fleurs et 80 % des insectes pollinisateurs auraient disparu, une nouvelle société vient ainsi de se créer à Marseille sous le joli nom de Grainette. Elle commercialise ces bombes à graines sous différents types d’emballages, de la caisse en bois de 2 kg pour les événements festifs jusqu’au petit sachet en coton (bio, cela va de soi) de 20 grainettes, idéal pour les cadeaux de fin d’année entre militants branchés, le tout avec un slogan publicitaire soigneusement étudié : « Lancez, c’est planté ». Décidément, le marketing germe dans tous les terreaux…

L. V.