Julian Assange : l’homme à abattre ?

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Même en démocratie, les lanceurs d’alerte ont rarement la vie facile… La législation a beau essayer de les protéger, certains gouvernements (pour ne pas dire la grande majorité d’entre eux) n’apprécient guère que des citoyens trop curieux viennent se mêler de ce qui ne les regarde pas et se piquent de dénoncer certains agissements qui iraient à l’encontre des grands principes démocratiques ou du respect des droits de l’Homme auxquels tout le monde se dit naturellement très attaché, du moins en théorie…

Écran d’accueil de Wikileaks (la vérité triomphera toujours…)

Rarement cependant, un lanceur d’alerte aura été autant persécuté que Julian Assange. Ce journaliste Australien n’avait pourtant pas précisément le profil de l’ennemi public n°1. Précurseur en matière de technologies de l’information, il avait participé dès 1993 au lancement d’un des premiers services internet grand public en Australie avant de se lancer dans l’édition de logiciels libres. En 2006, il fonde avec d’autres l’organisation non gouvernementale Wikileaks (le mot « leaks » signifiant « fuites » en anglais). Celle-ci se donne pour mission de publier, à l’échelle mondiale, des analyses politiques et sociales ainsi que des données transmises par des lanceurs d’alerte pour lesquels le site garantit la protection de la source. Plusieurs millions de documents relatifs à des scandales de corruption, d’espionnage et de violations des droits de l’Homme ont ainsi été publiés sur le site internet depuis sa création.

Julian Assange lors d’une interview au Danemark en novembre 2009 (photo © Peter Erichsen / New Media Day / Public Radio International)

Depuis juillet 2010, les informations publiées par Wikileaks ont été très largement relayées par de grands médias internationaux comme Le Monde, der Spiegel, El Pais, The Guardian ou encore le New York Times. Une telle audience devenant manifestement gênante pour certains intérêts, le site a dû faire face à partir de décembre 2010 à un véritable blocus financier organisé par la Bank of America, Visa, Mastercard, Pay Pal et autres Western Union

Extrait d’une vidéo avec la bande son tournée depuis un hélicoptère Apache de l’armée américaine en juillet 2007 à Bagdad : 2 journalistes de Reuters abattus car les soldats ont pris leurs caméras pour des armes… (source © Wikileaks / Le Figaro)

Il faut dire que depuis avril 2010, Wikileaks s’est attaché à diffuser un certain nombre de documents classifiés sur l’intervention américaine en Irak. Plusieurs vidéos dont celle qui montre les effets de l’attaque aérienne menée par des hélicoptères de l’armée américaine à Bagdad le 18 juillet 2007 et le meurtre d’au moins 18 civils dont deux journalistes de l’agence Reuters. La diffusion mondiale de ces documents qui donnent une image très dégradée de la violence avec laquelle l’armée américaine s’est comportée sur ce théâtre d’opération a mis en fureur le Pentagone qui commence aussitôt à enquêter sur Wikileaks et son porte-parole, Julian Assange, en s’appuyant sur une loi américaine de 1917 punissant des faits d’espionnage.

Dès juillet 2010, lorsque les documents compromettant sont publiés avec l’aide de Wikileaks, Julian Assange devient persona non grata aux États-Unis où il risque des poursuites judiciaires. Mais la traque déborde largement du territoire américain puisque les autorités demandent immédiatement à tous leurs alliés d’inonder Julian Assange de toutes les accusations criminelles possibles pour les 25 ans à venir !

Le Suisse Nils Melzer, rapporteur des Nations Unis sur la torture (photo © Keystone / SOTT)

Et les choses ne traînent pas… En août 2010, alors qu’il se rend en Suède pour une série de conférences, Julian Assange se retrouve pris au piège d’une accusation de viol portée par une femme. Une affaire qui, après coup, s’avère montée de toute pièce par la police suédoise comme le relate avec forces détails le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, dans un témoignage glaçant publié sur le site du journal belge militant Le Grand soir, mais relayé également par de nombreux autres médias dont Médiapart.

Selon ce spécialiste qui a eu à intervenir sur de multiples théâtres de guerre et de violations répétées des droits de l’Homme, « En 20 ans de travail avec les victimes de guerre, de violence et de persécution politique, je n’ai jamais vu un groupe d’États démocratiques s’unir pour isoler, diaboliser et maltraiter délibérément un seul individu… ». De fait, son analyse rétrospective de tout ce qu’a enduré Julian Assange depuis 2010 fait vraiment froid dans le dos.

Julian Assange, alors réfugié à l’ambassade équatorienne de Londres (photo © David G Silvers / Ambassade Equateur / L’Usine Nouvelle)

Sans rentrer dans les détails de l’affaire dont le scénario est digne des meilleurs histoires d’espionnage, le fait est que Julian Assange a été accusé pendant 9 ans d’avoir commis deux viols et ceci sur la base d’un simple témoignage de deux femmes qui avaient eu des relations sexuelles consenties avec lui à l’occasion de son séjour en Suède, où elles faisaient partie de son comité d’accueil. Sauf que aucune des deux femmes ne l’a jamais accusé de viol mais que la police suédoise a délibérément falsifié les compte-rendus d’interrogatoire.

Lorsque Julian Assange a appris, par la presse, qu’il était sous le coup d’une telle accusation, il a lui-même demandé à être entendu par la police. Le procureur avait souhaité clôturer l’affaire dès septembre 2010, mais le gouvernement suédois a fait pression pour qu’elle soit réouverte. Julian Assange a alors insisté à plusieurs reprises pour pouvoir être de nouveau entendu et se défendre de ces accusations, mais sans pouvoir jamais obtenir satisfaction. Lorsqu’il a demandé à pouvoir quitter le territoire suédois pour se rendre à Berlin puis à Londres, la justice lui a donné officiellement son accord. Une fois à Londres, Julian Assange s’est néanmoins retrouvé sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré par la justice suédoise ! A une trentaine de reprises, ses avocats ont offert qu’il se rende en Suède pour répondre de ces accusations totalement infondées, mais en exigeant la garantie qu’il ne soit pas extradé vers les États-Unis, ce que la Suède s’est toujours refusée à promettre, au prétexte qu’il n’y avait pas de demande officielle d’extradition formulée par ce dernier pays. Le Royaume-Uni cherchant de son côté à extrader de force Julian Assange vers la Suède, ce dernier n’a au d’autre choix que de se réfugier en 2012 à l’Ambassade d’Équateur à Londres, où il s’est retrouvé comme prisonnier pendant 7 longues années. Bien que naturalisé citoyen équatorien en 2017, Julian Assange est de fait victime de détention arbitraire, surveillé en permanence par Scotland Yard et la CIA, et ne pouvant sortir de l’ambassade sans être aussitôt extradé vers les USA où l’attend le camp de Guantanamo.

Alors que la justice suédoise avertissait les autorités britanniques qu’elle ne voyait plus très bien comment maintenir ses poursuites contre Julian Assange, ces dernières répliquaient « surtout, ne vous dégonflez-pas ». Car l’enjeu dans cette affaire, pour les Américains comme pour leurs alliés britanniques est bien de réduire définitivement au silence un citoyen australien qui a eu le courage de diffuser des éléments factuels qui les accusent ouvertement de torture et de crime de guerre. Une situation inacceptable aux yeux de l’armée américaine qui souhaite juger Julian Assange devant un tribunal aux ordres, lequel pourrait le condamner jusqu’à 175 ans de prison (alors même que les pires criminels de guerre de l’ex-Yougoslavie ont été condamnés à des peines nettement plus légères et que les responsables des crimes de guerre commis par des Américains en Irak ou en Afghanistan n’ont jamais été le moins du monde inquiétés).

Julian Assange lors de son arrestation à l’ambassade d’Équateur à Londres le 11 avril 2019 (extrait vidéo © RTL / M6)

En 2017, à l’issue d’élections en Équateur, le nouveau gouvernement a finalement accepté, à la demande des États-Unis, de déchoir Assange de sa nouvelle nationalité et de le livrer aux Britanniques qui l’ont sorti manu militari de l’ambassade le jour-même et jeté immédiatement en prison, condamné en quelques heures pour violation de liberté sous caution, et enfermé pour au moins 50 semaines dans une prison de haute sécurité, le temps que les Américains finalisent leur demande d’extradition. Du coup, les Suédois ont soudainement décidé de clore leur procédure engagée pour viol et qui n’avait que pour seul objectif de refermer le piège duquel le citoyen Julian Assange n’avait aucune chance de s’échapper. Pas très glorieux pour des pays qui se prétendent tous être des États de droit, attachés à la démocratie et au respect des libertés individuelles…

L. V.

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