Carnoux : le maire vide ses placards…

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A chaque déménagement c’est la même chose : on vide les étagères à la hâte et on entasse dans des cartons tous ces bibelots accumulés au fil du temps et dont conservés par la force de l’habitude. Ensuite, on stocke en attendant de les ressortir un jour pour leur donner une nouvelle place. Et puis le temps passe et on oublie les babioles au fond de leur carton. Justement, c’est la fin de l’été et voici venu le temps des vide-greniers : c’est l’occasion ou jamais de se débarrasser enfin de toutes ces breloques dont on n’a plus vraiment l’utilité.  Pas de chance, le grand déballage prévu le 26 août à Carnoux a dû être annulé, pour cause de pluie après des mois ininterrompus de soleil de plomb, reporté au 24 septembre…

Le Grand déballage à Carnoux, sur la place du maréchal Lyautey, ici en 2014 (photo © Annie Monville / La Provence)

Du coup, le maire de Carnoux se retrouve avec sur les bras deux ou trois bricoles dont il ne sait plus très bien quoi faire et qui encombrent ses placards. C’est le cas notamment de ce fameux buste du maréchal Lyautey qui ornait jadis, depuis 1980, le monument aux morts de la ville, du temps où ce dernier trônait à l’angle de la place centrale de Carnoux, qui porte justement son nom. Il avait bien fallu le déplacer en 2013, pour faire place nette en vue de la construction d’un nouveau bloc de logements sociaux dans le prolongement de la Résidence III et manifestement, personne ne savait plus très bien quoi faire de ce buste dont l’origine elle-même prête à bien des spéculations.

Buste de Lyautey à son emplacement historique de Carnoux (photo © AAKPPA, 2007)

On l’avait vu réapparaître brièvement en 2014 pour les commémorations du 8 mai et du 14 juillet, placé sur son piédestal de l’autre côté de la rue, à côté de la plaque qui rend hommage aux soldats morts au champ d’honneur, même si la jeune commune de Carnoux n’a pas à déplorer de telles pertes depuis sa création. Mais le buste, décidément bien encombrant, avait dû de nouveau être mis en carton et remballé pour faire place nette aux travaux de réaménagement de la place Tony Garnier, devant la crémaillère. Ces derniers achevés, on aurait pu penser que le fameux buste du maréchal Lyautey allait retrouver sa place sur la toute nouvelle stèle, centre des innombrables cérémonies militaires qui se succèdent à Carnoux à la moindre occasion. Mais que nenni ! Le buste reste caché depuis maintenant près de 10 ans, relégué semble-t-il dans les locaux poussiéreux des services techniques de Carnoux, d’ailleurs désormais à usage métropolitain.

Remise de gerbe devant le buste en bronze du maréchal Lyautey à l’occasion du 8 mai 2014 (photo © Michèle Dumont / La Provence)

Il pourrait cependant resurgir bientôt des oubliettes, non pas à l’occasion du prochain Grand déballage de Carnoux, mais pour être replacé quelque part sur la place qui porte son nom. C’est en effet ce qu’il ressort d’un courrier adressé le 27 mai 2023 par la Présidente de l’Association des anciens combattants et victimes de guerre de Carnoux-en-Provence à Jacques Boulesteix, tête de liste de Carnoux citoyenne écologiste et solidaire aux dernières élections. Dans ce courrier, Danielle Vincente annonce en effet qu’après 4 ans de durs combats, elle a enfin réussi à convaincre l’exécutif municipal de ressortir le buste du maréchal pour lui retrouver une place honorable sur l’espace public carnussien, l’inauguration de la nouvelle stèle étant prévue prochainement : belle victoire en effet !

L’ancien hôtel de ville de Carnoux démoli en 2020, ici le 20 octobre 2016, l’année du jubilée de la commune (photo © Yohanne Lamoulre / Picturetank / Le Monde)

Et dans le même temps, voilà que l’on ressort aussi des cartons un autre souvenir de famille du patrimoine communal, une plaque en bronze qui était fixée au mur de l’ancienne mairie de Carnoux, inaugurée en 1970 puis abattue sans sommation à la fleur de l’âge, au cœur de l’été 2020. Cette plaque, qui avait été confectionnée par les élèves du lycée Jean Perrin, avait été apposée en 1984 dans l’hôtel de ville pour retracer les principaux événements de l’histoire si singulière de notre commune.

Elle rappelle comme il se doit, que tout est parti de Casablanca, au Maroc, en cette fin de mars 1957, lorsque deux entrepreneurs, Émilien Prophète et Gilles Cabanieu, décident de s’associer pour fonder une structure au nom ronflant, la Coopérative immobilière française, en vue de construire un groupe d’habitations dans le sud de la France, destiné aux colons français installés au Maroc, lequel vient tout juste d’accéder à l’indépendance.

Carte topographique du secteur datant de 1866 : le hameau des Barles et l’ancien relai de poste de Carnoux sont alors les seules constructions existantes (source © IGN / Remonter le temps)

Les deux promoteurs jettent leur dévolu sur 300 hectares de garrigues et de terres agricoles qui s’étendent dans le vallon de Carnoux, uniquement traversé par un chemin de terre reliant Aubagne à Cassis et dans lequel les seules bâtisses sont un ancien relai de poste du XVIIIe siècle, installé au lieu-dit Carnoux, et un petit hameau de culture avec son moulin et ses bastides traditionnelles, implanté à l’Est du vallon, au lieu-dit Les Barles. Une partie de ces terres est rachetée à la veuve de Tony Garnier, l’architecte lyonnais qui s’était entiché de l’ancien relai de diligence de Carnoux, déjà transformé en hôtel, au point d’y finir ses jours en 1948.

Photo aérienne de Carnoux prise le 27 mai 1960, alors que les premières maisons commencent à sortir de terre (source © IGN / Remonter le temps)

Sur cette plaque sont également mentionnés le début des constructions en 1958 et finalement l’érection de Carnoux en commune nouvelle, actée par un décret du Ministère de l’Intérieur, en date du 28 août 1966, jetant comme il se doit un voile pudique sur les déboires du projet qui peine à commercialiser ses lots jusqu’à l’arrivée des pieds noirs rapatriés d’Algérie en 1962, ainsi que sur les malversations de la CIF qui n’hésitait pas à revendre plusieurs fois ses terrains à bâtir : business is business… Et bien sûr, la plaque mentionne aussi l’élection du premier conseil municipal de la toute nouvelle commune de Carnoux, en janvier 1967, conseil qui désigne Pierre Maret comme premier maire de la commune naissante. Lui-même rapatrié de Tunisie, il dirigea jusqu’en 1971 ce premier conseil municipal dont les 15 autres membres étaient tous pieds-noirs, 11 venant du Maroc et 4 d’Algérie.

Église Notre-Dame d’Afrique à Carnoux, édifiée à partir de 1964, désormais réceptacle de l’histoire de notre jeune commune ? (photo © Boris Horvat / AFP / La Provence)

Une plaque hautement symbolique donc et qui retrace toute l’histoire singulière de notre commune, mais qui, elle non plus, n’a pas trouvé sa place sur les murs du nouvel hôtel de ville de Carnoux, inauguré en grandes pompes en juillet 2022 et où pourtant l’espace ne manque pas. On apprend ainsi que la fameuse plaque pourtant patrimoine incontestable des citoyens de Carnoux a depuis été remise à Mme Salama, ancienne secrétaire du promoteur Émilien Prophète, et que cette dernière compte la transmettre elle-même à l’église Notre-Dame d’Afrique le 15 septembre 2023 : un bien curieux parcours pour cette plaque officielle qui rend hommage à la création si particulière de notre commune et qui risque donc d’échouer, non pas dans la maison commune de la cité, voire dans l’espace mémoire de la médiathèque municipale, mais dans un établissement privé, propriété du diocèse de Marseille…

L. V.

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