La Cour pénale internationale a osé !

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La décision prise par Karim Khan, procureur de la Cour pénale internationale en ce lundi 20 mai 2024 est historique et a fait l’effet d’une bombe. L’avocat britannique, qui avait dirigé à partir de 2018 une enquête spéciale des Nations Unies sur les crimes de l’État islamique et avait été élu en février 2021 troisième procureur à la tête de la CPI, a en effet annoncé qu’il allait demander un mandat d’arrêt international contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, ainsi que contre le leader du Hamas, Yahya Sinwar, et deux autres hauts dirigeants du Hamas : Mohammed Deif, chef des Brigades Al-Qassam, et Ismaïl Haniyeh, le leader politique du mouvement palestinien, qui vit en exil à Doha, au Qatar, tous accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité suite à l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 et les bombardements de l’armée israélienne en représailles qui auraient déjà fait plus de 35 000 morts.

Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense Yoav Gallant, à Tel Aviv le 28 octobre 2023 (photo © Abir Sultan / Reuters / Courrier International)

Cette demande doit encore être confirmée par les juges de la CPI mais elle n’en est pas moins symboliquement très forte et elle a d’ailleurs fait réagir vigoureusement le gouvernement israélien par la voix de son ministre des affaires étrangères qui évoque le « déshonneur historique » de la CPI qui vise à dénier à Israël « le droit de se défendre ». Israël a d’ailleurs tout tenté depuis des mois pour empêcher la CPI de prendre une telle décision, n’hésitant pas à faire pression, y compris via son allié américain, et même à exercer des menaces, mais qui n’ont finalement servi qu’à renforcer la détermination de Karim Khan. Du côté du Hamas d’ailleurs, la décision de la CPI passe tout aussi mal, lui qui dénonce les tentatives du procureur « d’assimiler la victime au bourreau en émettant des mandats d’arrêt contre un certain nombre de dirigeants de la résistance palestinienne ».

Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, ici en octobre 2022 (photo © Mahmud Hams / AFP / Courrier International)

Rien ne dit en tout état de cause que cette décision aura d’autres effets que symboliques. En supposant même qu’elle soit confirmée par les juges, elle sera simplement signifiée aux autorités des pays concernés pour y être exécutée, la CPI ne disposant pas de sa propre police. C’est bien d’ailleurs toute l’ambiguïté de cet outil de justice internationale, créé finalement assez récemment, en 2002 seulement, et destiné à juger les individus pour des infractions pénales alors que la Cour internationale de justice est un tribunal civil qui traite les différents entre les États.

Ouverture du procès de Nuremberg en novembre 1945, prémices d’une justice pénale internationale (photo © Ray d’Addavio / Mémorial de la Shoah)

Cette notion de tribunal pénal international s’inscrit directement dans la ligne du tribunal de Nuremberg, créé en août 1945 puis du tribunal de Tokyo, initié en janvier 1946, par les forces alliées victorieuses pour juger les crimes de guerre imputés aux vaincus de la seconde guerre mondiale. Une notion reprise en 1993 avec la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, suivie en 1994 par celle du TPI pour le Rwanda. D’autres suivront pour la Sierra Léone en 2002 et pour le Liban en 2009 notamment. C’est le Statut de Rome, adopté le 17 juillet 1998 par 120 pays, qui ouvre finalement la voie à la création de la CPI, qui est entrée en vigueur au 1er juillet 2002, après que 60 pays aient ratifié le texte.

Karim Khan, actuel procureur de la Cour pénale internationale (photo © John Thys / AFP / Nouvel Obs)

A ce jour, ce sont 124 pays qui ont ratifié le processus et adhèrent donc à la CPI, parmi lesquels la plupart des pays européens et de très nombreux États africains et latino-américains. L’Autorité palestinienne reconnait la CPI, mais pas Israël, pas plus d’ailleurs que les États-Unis qui ont toujours refusé que la CPI enquête sur ses actions en Afghanistan. La Russie a également refusé de ratifier le Statut de Rome, ce qui n’a pas empêché la CPI d’émettre en mars 2023 un mandat d’arrêt international à l’encontre de Vladimir Poutine, présumé responsable de crimes de guerres lors de l’agression russe contre le territoire ukrainien. La Russie a d’ailleurs répliqué en publiant une notice d’arrestation contre le procureur Karim Khan et trois des juges de la CPI !

Vladimir Poutine, objet d’un mandat d’arrêt international pour crime de guerre émis par la CPI (source © Le Courrier)

Ni la Chine ni l’Inde ne font partie de la CPI, pas plus que le Soudant dont le dirigeant, Omar el-Béchir a été en 2008 le premier chef d’État en exercice à faire l’objet d’un mandat d’arrêt international, réévalué en 2010 en y intégrant la notion de génocide pour les actions de son armée au Darfour. Destitué en 2019 et emprisonné depuis, il n’a toujours pas été remis à la CPI, contrairement à Ali Kosheib, l’un des chefs redoutés des terribles milices Janjawid, qui s’était réfugié en Centrafrique d’où il a été extradé vers la CPI.

Inquiétude chez les dirigeants suite à l’inculpation de chefs d’État en exercice par la CPI : un dessin signé Dilem (source © Zoom Algérie / Global Voices)

Il est bien difficile à ce stade d’évaluer les conséquences d’une telle décision, en supposant même qu’elle soit confirmée par les juges de la CPI, présidée depuis mars 2024 par la Japonaise Tomoko Akane et dans laquelle siège un juge français, Nicolas Guillou, ancien juge d’instruction et juge international depuis 2019. Cette annonce ne fait en tout cas pas les affaires du Premier ministre israélien déjà confronté à de fortes mobilisations de milliers de manifestants qui défilaient dans les rues le 20 avril dernier pour réclamer de nouvelles élections, reprochant notamment au gouvernement actuel de préférer les bombardements sur la bande de Gaza plutôt que de privilégier les négociations en vue de la libération des otages toujours détenus par le Hamas.

Manifestations à Tel Aviv demandant le départ de Benyamin Netanyahou, ici le 2 avril 2024 (photo © Ahmad Gharabli / AFP / BFM TV)

Beaucoup accusent désormais ouvertement Benyamin Netanyahou de faire la guerre à outrance contre le Hamas pour détourner l’attention de ses propres déboires judiciaires dont plusieurs accusations graves pour faits de corruption. Si en plus la Cour pénal internationale vient encore en rajouter une couche…

L. V.

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