Les géants du pétrole redressent la tête

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En 2020, au plus fort du confinement mondial lié à la pandémie de Covid 19, le prix des hydrocarbures était en pleine dégringolade, suite au brusque ralentissement de l’activité économique planétaire. A cette période pas si lointaine, il y a 3 ans seulement, les compagnies pétrolières elles-mêmes juraient, la main sur le cœur, que la transition énergétique était en marche, que la période faste du recours massif aux hydrocarbures fossiles était passée et que leur priorité était désormais de développer les énergies renouvelables.

Après la période Covid, la hausse des prix du pétrole, une manne pour les pays producteurs… un dessin de Dilem pour le journal Liberté, publié le 20 mai 2020 (source © Gagdz)

Le nouveau patron de BP l’affirmait sans ambages : « Le budget carbone du monde s’épuise rapidement ; nous avons besoin d’une transition rapide vers la neutralité », tandis que le français Total décidait en 2021 de changer de raison sociale et de s’appeler désormais TotalEnergies, pour bien montrer son ambition de diversification ou du moins de le faire croire à ses clients, à l’instar d’ailleurs de ses 2 concurrents européens Shell et ENI, qui promettent de leur côté d’atteindre la neutralité carbone dès 2050.

Fin 2020, le géant américain ExxonMobil se faisait carrément éjecter du Dow Jones après une spectaculaire dépréciation de sa valeur boursière et devait tailler dans ses investissements en matière d’exploration pétrolière. A l’époque, chacun lorgnait sur l’exemple du danois Orsted qui avait abandonné dès 2018 le marché du pétrole pour se consacrer exclusivement aux énergies renouvelables et qui a vu le prix de ses actions bondir de 60 % en 2020 !

Des supertankers pour transporter toujours plus de pétrole de par le monde (photo © G. Traschuetz / Pixabay / Futura Sciences)

Et puis la guerre en Ukraine est arrivée, début 2022, dans un contexte de redémarrage de l’activité économique. Les exportations massives de pétrole et de gaz russe qui inondaient l’Europe notamment, se sont progressivement réduites. Du coup, le cours des hydrocarbures s’est remis à flamber, et avec lui les bénéfices des compagnies pétrolières. En 2022, les cinq majors (ExxonMobil, Chevron, Shell, TotalEnergies et BP) ont enregistré un bénéfice net record de 151 milliards de dollars, et même de plus de 200 milliards si l’on en déduit les pertes conjoncturelles liées au retrait forcé du marché russe !

Les compagnies pétrolières ont profité de la conjoncture pour s’en mettre plein les poches : un dessin signé Cambon (source © Urtikan)

En mars 2022, le baril de Brent frôlait le prix record de 140 dollars, près de 3 fois plus qu’en 2020, tandis que le gaz se négociait à l’été 2022 en Europe à 350 € le MWh, plus de 15 fois son tarif habituel… Du coup, TotalEnergies annonçait pour l’exercice 2022 un bénéfice record de 20,5 milliards de dollars, de quoi redonner un large sourire à ses actionnaires, grassement rémunérés. Et la période faste s’est poursuivie en 2023, ExxonMobile et Chevron, les deux géants américains, annonçant fin avril des bénéfices trimestriels très supérieurs à leurs prévisions, grâce notamment à une forte augmentation de l’extraction de pétrole et de gaz ! Quant à TotalEnergies, la compagnie annonçait à son tour un bénéfice record de 5,6 milliards de dollars pour le premier trimestre 2023, en hausse de 12 % par rapport à 2022.

Dans ce contexte d’euphorie généralisée, les compagnies pétrolières ont totalement oublié leurs belles promesses d’il y a 3 ans ! Mi-juin 2023, le nouveau patron de Shell, Wael Sawan, a ainsi annoncé sans vergogne qu’il n’avait plus la moindre intention de tenir ses engagements en matière de transition énergétique et que son objectif était désormais de concurrencer ExxonMobil dans sa course à l’exploitation massive d’hydrocarbures.

L’exploitation pétrolière en plein boom : oublié la lutte contre le réchauffement climatique… (source © Midi Libre)

De son côté, la firme BP a annoncé dès février 2023 qu’elle renonçait carrément à son objectif initial de neutralité carbone, préférant engranger des profits, et tant pis si l’humanité doit y passer, sous l’effet du changement climatique global qui s’accélère de jour en jour… Même TotalEnergies a annoncé la couleur lors de l’assemblée générale de ses actionnaires en mai 2023, confirmant qu’il n’était pas question de réduire la voilure en matière d’exploitation pétrolière et gazière alors même que la demande mondiale explose ! Une prise de position qui a valu à son PDG de voir son salaire augmenté de 10 % et d’être élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur lors de la promotion du 14 juillet : félicitations !

Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, ici en 2021 avec Emmanuel Macron, élevé au rang d’officier de la Légion d’honneur : un petit geste pour la planète ? (photo © Ludovic Marin / AFP / La Voix du Nord)

Les dernières projections de l’Agence internationale de l’énergie estiment en effet que la demande mondiale de pétrole n’a jamais été aussi haute et devrait atteindre pour l’année 2023 un record historique évalué à 102,3 millions de barils par jour en moyenne annuelle, supérieure donc au précédent record qui datait de 2019, avant la crise du Covid, à une période où un consensus était en train d’émerger (difficilement) pour tenter de s’orienter vers une baisse globale du recours aux énergies fossiles pour tenter de se rapprocher des objectifs de la COP 21.

Quand l’offre peine à satisfaire la demande, c’est le jackpot pour les compagnies pétrolières : un dessin signé Delize (source © Atlantico)

Toutes ces belles intentions semblent désormais complètement oubliées. Les États-Unis notamment ont retrouvé dès 2022 leur niveau record de production de pétrole brut établi en 2019 et espèrent bien le dépasser en 2023, et plus encore en 2024. La reprise du trafic aérien après la période de confinement a fait repartir à la hausse la demande mondiale de kérosène qui n’a jamais été aussi élevée, sous l’effet d’une reprise économique. La planète peut bien se réchauffer à grande vitesse, il n’est plus du tout d’actualité que les compagnies pétrolières et gazières mondiales fassent le moindre effort pour freiner leur exploitation : advienne que pourra !

L. V.

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2 Réponses to “Les géants du pétrole redressent la tête”

  1. COP 28 à Dubaï : quel bilan ? | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] permettront de développer rapidement des procédés de séquestration du CO2, de telle sorte que l’impact carbone de l’industrie extractive pétrolière sera considéré comme neutre pour la planète. Une utopie […]

  2. Changement climatique : la plongée dans l’inconnu… | Cercle Progressiste Carnussien Says:

    […] Ces données factuelles n’ont donc rien de rassurant et se traduisent d’ores et déjà par un réchauffement climatique mondial supérieur à 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui laisse penser que le seuil fatidique de 1,5 °C qui servait de référence lors de la COP 21, sera très rapidement atteint. Un sondage effectué par le média britannique The Gardian auprès de nombreux scientifiques ayant participé aux travaux du GIEC et publié le 8 mai 2024, montre d’ailleurs que 80 % de ces chercheurs estiment que l’augmentation de température moyenne atteindra très vraisemblablement 2,5 °C d’ici 2100. Les trois-quarts d’entre eux se montrent désespérés par l’inertie de nos responsables politiques et par l’importance majeure du lobby économique, notamment issu de l’activité pétrolière. […]

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