Le béton qui a la gueule de bois…

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Quand on pense pollution et émission de gaz à effet de serre, on pense d’abord aux transports et aux déplacements qui, de fait, représentaient en France en 2020 près de 30 % de nos émissions de CO2, principalement liées à l’utilisation de la voiture individuelle. Mais le secteur du bâtiment est un autre gros contributeur qui représente près de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre, tout en absorbant près de 45 % de notre consommation énergétique nationale. Réduire l’empreinte carbone et améliorer l’isolation thermique de nos constructions représente donc un véritable défi pour faire face aux enjeux de la transition écologique.

Les principales sources d’émission de gaz à effet de serre en France par grands secteurs d’activité (source © Chouette Impact)

Nous sortons d’une période de très fort développement économique rendu possible grâce à l’abondance des énergies fossiles extrêmement performantes, gaz naturel et pétrole pour l’essentiel, qui ont permis des gains de productivité exceptionnels pour un coût très modéré. L’explosion de l’utilisation du béton a également bénéficié de cette source d’énergie hydrocarbonée abondante, très utile pour alimenter les fours à ciment et les engins utilisés pour extraire et concasser les granulats, mais dont les effets néfastes en termes d’impact sur les écosystèmes et le climat planétaire sont désormais bien connus et trop graves pour qu’on puisse continuer comme si de rien n’était.

Il est donc temps d’innover et d’explorer d’autres voies pour continuer à construire les habitations de demain sans accentuer le dérèglement climatique déjà très sensible avec son cortège de risques naturels induits. Heureusement, la capacité d’innovation humaine est sans limites ! Draguer les cours d’eau ou excaver les montagnes pour extraire des granulats destinés à la fabrication du béton n’est plus possible du fait des impacts environnementaux qui en découlent ? Qu’à cela ne tienne ! On a inventé le béton à base de copeaux de bois…

Aspect brut d’un panneau en béton de bois (photo © Shutterstock / By Beton)

L’affaire n’est d’ailleurs pas nouvelle puisque ce matériau dans lequel les granulats sont majoritairement remplacés par des fragments de bois étuvés et traités pour rester imputrescibles, sont utilisés en France depuis plus de 30 ans, dans la construction des murs anti-bruit. Le groupe Capremid s’est ainsi fait une spécialité de l’utilisation de bétons de bois mais aussi de caoutchouc (à base de vieux pneus déchiquetés recyclés) pour la réalisation de murs acoustiques le long des autoroutes ou des voies ferrées, structures légères autoporteuses et à très fort pouvoir absorbant acoustique.

Essais acoustiques mis en place par le CERIB sur le mur anti-bruit construit en 1989 à Écully (photo © Nicolas Miero / Construction Cayola)

Le premier écran acoustique en béton de bois installé en France date de 1989 et borde l’autoroute A6 dans la traversée d’Écully, au nord de Lyon. Sa durabilité initiale était prévue pour 30 ans mais 35 ans plus tard l’ouvrage est toujours en place et a conservé intactes ses caractéristiques structurelles mais aussi ses performances acoustiques initiales comme a pu le vérifier le CERIB (Centre d’études et de recherches de l’industrie du béton) en 2022. Des propriétés qui ont amené les architectes à utiliser également ce matériau innovant, dans lequel jusqu’à 80 % (en volume) du sable nécessaire à la fabrication du mortier traditionnel est remplacé par des granulés de bois, notamment pour couler des dalles légères isolantes ou former des panneaux de remplissage et des cloisons dans les constructions à ossature bois.

Mais l’on va désormais beaucoup plus loin en utilisant le béton de bois pour des éléments structurels en construction traditionnels. L’un des précurseurs de cette nouvelle filière est l’ancien forestier François Cochet qui, en 2006, crée la société CCB Greentech pour valoriser les bois de trituration, qui sont déchiquetés pour en faire des granulats plutôt que de les utiliser comme bois d’œuvre, une technique qui permet d’utiliser au maximum et sans déchets tout le bois exploité.

Les trois associés de CCB Greentech dans leur usine de Beaurepaire : Cédrik Longin, François Cochet et Laurent Noca (source © Mag2Lyon)

François Cochet part en effet du constat que la forêt française est très largement sous-utilisée, seul 50 % du produit de la croissance forestière étant abattu et exploité. Cette part est même inférieure à 30 % dans un département très forestier comme l’Isère. Les arbres absorbent pourtant, durant leur croissance d’importantes quantités de CO2, contribuant fortement à réduire nos émissions de gaz à effet de serre, mais si la forêt n’est pas exploitée et que le bois pourrit sur pied, seule une petite partie du carbone est minéralisée. Le fait de couper le bois et de l’inclure dans des produits de construction permet ainsi de stocker durablement le carbone sans le restituer à l’atmosphère. Au point que la société CCB se targue désormais de produire des bétons de bois au bilan carbone négatif, le bois incorporé, qui constitue plus de 60 % de la masse totale du matériau, ayant stocké davantage de gaz carbonique que le ciment utilisé n’en a rejeté pour sa fabrication !

Chantier de construction utilisant des panneaux préfabriqués en béton de bois TimberROC (source © CCB Greentech / Futura Sciences)

Dès 2010, la société CCB Greentech a obtenu un avis technique du CSTB pour l’utilisation de ses panneaux Lignoroc à ossature bois intégrée. En 2017, elle a développé une nouvelle technologie encore plus ambitieuse avec la préfabrication d’éléments en béton de bois utilisables pour construire des bâtiments jusqu’à 28 m de hauteur en les combinant avec des systèmes de poteaux et de chaînages en béton armé. Une véritable révolution dans le domaine de la construction, protégée par plusieurs brevets et commercialisée sous la marque TimberROC. En 2021, la société a réaménagé une ancienne friche industrielle de 5 ha, située à Beaurepaire, dans l’Isère, et y a installé un site de production ultra moderne pour la production industrielle de granulats de bois, associé à un centre de recherche appliquée, destiné à développer encore ces technologies innovantes et qui trouvent de plus en plus de débouchés pour la construction de logements comme de bâtiments industriels à base de matériaux biosourcés et eu bilan carbone négatif.

Usine de préfabrication de panneaux en béton de bois, du groupe Spurgin, à Mignières dans l’Eure et Loir, inaugurée en juin 2024 (source © Cayola Médias)

Outre son impact environnemental très positif, le béton de bois sous forme de panneaux préfabriqués présente en effet de multiples avantages car permettant des gains de productivité importants sur les chantiers grâce à une mise en œuvre aisée et rapide, avec des panneaux légers, faciles à manipuler, à scier ou à percer, et générant peu de déchets. Mais le matériau présente aussi l’avantage de présenter une excellente inertie thermique, une bonne résistance au feu ainsi qu’à l’impact des balles, des propriétés d’absorption acoustiques très performantes et permet surtout la respiration des murs, ce qui limite les risques de condensation et s’avère donc particulièrement adapté pour la construction de pièces à vivre avec un confort d’été apprécié.

Ces qualités remarquables expliquent le succès grandissant de cette technique de construction. La société Lafarge est rentrée au capital de la startup Greentech, contribuant à lui donner une assise financière très supérieure. La société commercialise désormais ses granulés de bois et sa technologie à une quinzaine d’usines de préfabrication qui exploitent sa licence. Une affaire qui marche !

L. V.

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