David Hockney, un artiste avant-gardiste

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Ce propos avait été rédigé en mai 2023, à l’occasion de la rétrospective organisée par le Musée Granet d’Aix-en-Provence à partir d’une sélection d’œuvres de David Hockney issues de la collection de la Tate Gallery de Londres. Ainsi, après quelques éléments biographiques, nous dégagerons les principales problématiques artistiques qui sous-tendent sa création, avant d’évoquer les démarches artistiques auxquelles il se réfère et enfin nous tenterons de montrer en quoi l’œuvre de David Hockney est celle d’un artiste de son temps.

Éléments biographiques

David Hockney est né en 1937 à Bradford (GB) au sein d’une famille nombreuse de classe moyenne. Comme on peut le découvrir en lisant le récent texte de Catherine Cusset intitulé « Vie de David Hockney » et édité chez Folio, le jeune David est espiègle, créatif et il aime dessiner sur tout support, y compris le journal de son père. En 1953, après ses études secondaires, il entre à l’école des Beaux-Arts de Bradford (Bradford School of Art) où il découvre différents modes d’expression (peinture, gravure, collage, photographie …), les courants artistiques de la modernité aussi bien que de la contemporanéité (cubisme, surréalisme, abstraction, Pop’art…) ainsi que des artistes comme J. Dubuffet et J. Pollock. Diplômé en 1957, il intègre le Royal College of Art de Londres. Dans cet établissement prestigieux, il se cultive énormément et parfait sa maîtrise de la peinture, de la gravure et découvre la sculpture.

David Hockney, devant certaines de ses œuvres à la galerie Lelong à Paris en 2020 (photo © Galerie Lelong / Paris Match)

En 1960, il est subjugué par les œuvres de l’exposition consacrée à Picasso. Une fois diplômé, il part pour New York, haut lieu de la penture américaine, puis en 1964 il s’installe à Los Angeles où il s’ouvre à l’esprit et au mode de vie américain. Durant cette période, il s’affirme artistiquement avec notamment sa série des grands portraits et des piscines. En 1980 il découvre, à l’occasion d’une exposition consacrée à la peinture chinoise, les modes de représentation de l’espace des artistes de l’Extrême Orient ce qui le conduit à approfondir ses recherches sur l’optique et la perspective. En 2019, il s’installe en Normandie où il s’adonne à la fois à la peinture sur de très grands formats et poursuit son exploration des possibilités créatrices offertes par les outils numériques.

Les questions artistiques en jeu dans l’œuvre de Hockney

La question fondamentale qui traverse son œuvre a été énoncée dès ses études au Royal College of Art de Londres : « Comment voyons-nous le monde et comment ce monde de temps et d’espace peut-il être capturé en deux dimensions ? ». En d’autres termes, comment rendre compte de la réalité d’objets en trois dimensions, fixes ou en mouvement, par une représentation réalisée sur un support à deux dimensions ? Il n’est pas le premier à se confronter à cette problématique. En effet, elle a germé chez Cézanne puis a nourri les artistes cubistes et traverse depuis la création moderne et contemporaine. L’adoption de la perspective inversée lui permet d’apporter des réponses personnelles à son questionnement sur la représentation. Il en est de même avec le principe de point focal en mouvement ou changeant.

La Chaise de Van Gogh, acrylique sur toile, 1988 (source © David Hockney / Connaissance des arts)  

La question de l’espace de la peinture est aussi très présente dans ses œuvres. Ainsi, dans l’œuvre de 1964 intitulée Man in Shower in Beverly Hills, David Hockney peint une figure sous la douche dans un espace figuré par le jeu des carreaux et du rideau, espace qu’il barre en diagonale en représentant un tapis. Au premier plan, comme en surimpression, il traite une plante en aplat noir affirmant ainsi un geste pictural. Enfin, dans l’angle supérieur droit, il représente en arrière-plan et comme en miniature un salon moderne et vivement coloré qui rompt la planéité du tableau. Avec ce tableau, il donne une réponse à la question : Comment fusionner espace pictural et réalité ? David Hockney parle d’ailleurs de naturalisme et non de réalisme. Son art est parfaitement figuratif, profondément ancré dans le réel, mais avec des niveaux de lecture qui se superposent et se surajoutent.

David Hockney, Man in Shower in Beverly Hills, 1964, acrylique sur toile, 167 x 167cm, Collection Tate Gallery, Londres (photo © MM / Musée Granet Aix-en-Provence, 2023)

Un autre questionnement concerne le langage de l’œuvre et en particulier le recours à des signes plastiques hétérogènes, lignes, formes, taches, dont les lettres et les chiffres qui fonctionnent aussi comme des codes.

Parmi les autres problématiques qui nourrissent le travail de David Hockney, il y a bien sûr la pratique des artistes. Nous avons déjà évoqué l’intérêt majeur pour la période cubiste de Picasso, mais aussi pour sa démarche : « Je ne fais pas des tableaux, j’explore » (P. Picasso), formule qu’il fait sienne dès les années 1970. Pour la couleur, ses intérêts se portent sur les œuvres de Paul Gauguin, de Vincent Van Gogh et d’Henri Matisse. S’agissant des grands formats plus tardifs, c’est à Monet et son travail sur le motif que l’on peut penser. Enfin, sa culture en art le conduit aussi bien à évoquer les recherches sur la perspective d’Hogarth qui a écrit un traité de la perspective en 1754 qu’à se nourrir d’œuvres plus anciennes comme les Annonciations.

David Hockney, artiste de son temps

Rappelons que lors de sa formation artistique dans les années 50, à Bradford et surtout à Londres, David Hockney a bénéficié d’un enseignement ouvert à tous les moyens d’expression dont la photographie. Cet outil demeure présent dans sa pratique. A ce propos, si de nombreuses peintures ont fait l’objet de recherches à la mine de plomb ou à l’aquarelle, les œuvres de sa période californienne sont très souvent issues de prises de vue photographiques.

Il expérimente des compositions combinant des photographies réalisées avec un appareil Polaroid. Ainsi, dans l’œuvre A Bigger Card Players, qui reprend le sujet des joueurs de cartes de Paul Cézanne, on repère sur le mur, outre une peinture du même sujet, Pearblossom Hwy de 1986 qui est un montage de « Polaroids ».

A Bigger Card Players, 2015, dessin photographique imprimé sur papier et monté sur cadre aluminium (source © David Hockney / Toledo Museum of Art)

Il utilisera aussi de nombreux montages tirages numériques comme dans l’œuvre Studio de 2017, immense tableau de 178 x 760 cm qui le représente au milieu de ses œuvres dans son atelier. Enfin, il travaille sur des supports numériques (IPad) qui lui permettent d’ajouter la dimension temporelle.

David Hockney est aussi éclectique dans sa création puisqu’à la peinture, à la photographie, à la gravure, il ajoute des scénographies et des sculptures. L’œuvre exposée, Caribbean Tea Time, datant de 1987, est une sorte de paravent sur lequel il synthétise ses recherches dans un ensemble qui n’est pas sans lien avec la structuration de l’espace par la couleur telle que la traitait Henri Matisse.

Michel Motré

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